17.070 Message concernant la prorogation de la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées du 22 novembre 2017

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet d'une prorogation de la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

22 novembre 2017

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2017-2232

87

Condensé Le présent projet de loi vise à prolonger de quatre années supplémentaires la durée de validité de la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées. Cette prorogation vise à éviter un affaiblissement du cadre légal régissant la lutte contre le terrorisme en Suisse avant l'adoption et la mise en oeuvre du projet de loi destiné à aligner l'art. 74 de la loi fédérale sur le renseignement sur l'art. 2 de la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «Etats islamiques» et les organisations apparentées.

Contexte Le 12 décembre 2014, le Parlement a adopté la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées (loi interdisant «AQ/EI»). Cette loi fédérale résulte de la fusion de deux ordonnances: l'ordonnance interdisant le groupe «Al-Qaïda» et les organisations apparentées, qui a été prorogée à plusieurs reprises depuis 2001, et l'ordonnance interdisant le groupe «État islamique» et les organisations apparentées, qui a été adoptée en octobre 2014. La durée de validité de la loi interdisant «AQ/EI» expire le 31 décembre 2018. Au centre de cette loi figure l'art. 2, qui punit d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire l'association ou toute autre forme de soutien aux groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» ou aux autres organisations apparentées. La poursuite de cette infraction est soumise à la juridiction fédérale.

En octobre 2014, lors des délibérations parlementaires portant sur la loi fédérale sur le renseignement (LRens), les Chambres fédérales ont ajouté au texte proposé par le gouvernement un nouvel art. 74 afin notamment d'octroyer au Conseil fédéral le droit de prononcer, par voie de décision, l'interdiction d'organisations terroristes. Ce nouvel article punit, tout comme le fait l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI», l'association ou toute autre forme de soutien à une organisation interdite.

En revanche, il n'attribue pas la compétence de poursuivre et de sanctionner cette infraction aux autorités fédérales et la peine prévue est limitée à une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. La LRens est entrée en vigueur le 1er septembre 2017.

Contenu du projet Dans le cadre du projet de mise en oeuvre de la
convention et du protocole additionnel du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, le Conseil fédéral propose différentes mesures pour renforcer les moyens de lutte contre le terrorisme.

Le projet, qui a été mis en consultation en juin 2017, prévoit entre autre de supprimer les différences susmentionnées (peine inférieure et absence de compétence fédérale) que présente l'art. 74 LRens avec l'art. 2 de la loi interdisant «Al-Qaïda».

Or, comme ce projet ne pourra pas être traité par le Parlement et mis en vigueur le Conseil fédéral avant l'expiration de la loi interdisant «AQ/EI», c'est-à-dire avant le 31 décembre 2018, il est nécessaire de proroger celle-ci de quatre années supplémentaires. Cela évitera l'affaiblissement du cadre légal régissant la lutte contre

88

le terrorisme en Suisse, tout en donnant suffisamment de temps au Parlement pour traiter la révision de l'art. 74 LRens et au Conseil fédéral pour rendre une décision d'interdiction. Dès que l'art. 74 LRens modifié sera entré en vigueur et mis en oeuvre, la loi interdisant «AQ/EI» pourra être abrogée.

Le présent projet est donc uniquement destiné à prolonger la durée de validité de la loi interdisant «AQ/EI» de quatre années supplémentaires, sans que son contenu ne soit modifié.

89

FF 2018

Message 1

Présentation du projet

1.1

Contexte

De l'ordonnance du Conseil fédéral de 2001 à la promulgation de la loi fédérale urgente de 2014 Suite aux attentats du 11 septembre 2001 et se fondant sur les art. 184, al. 3, et 185, al. 3, de la Constitution (Cst.)1, le Conseil fédéral a édicté le 7 novembre 2001 l'ordonnance interdisant le groupe «Al-Qaïda» et les organisations apparentées2.

Après avoir été prolongée à trois reprises, en 2003, 2005 et 2008, cette ordonnance a été remplacée le 1er janvier 2012 par l'ordonnance de l'Assemblée fédérale du 23 décembre 2011 interdisant le groupe «Al-Qaïda» et les organisations apparentées3, dont la validité était limitée jusqu'au 31 décembre 2014. Le 8 octobre 2014, et toujours en se fondant sur les art. 184, al. 3, et 185, al. 3, Cst., le Conseil fédéral a édicté l'ordonnance interdisant le groupe «État islamique» et les organisations apparentées4, dont la validité était limitée jusqu'au 8 avril 2015. Ces deux ordonnances de 2012 et 2014 sanctionnaient d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire l'association ou toute autre forme de soutien aux organisations précitées. L'infraction n'était soumise à la juridiction fédérale que dans l'ordonnance de 2014.

En février 2014, le Conseil fédéral a transmis au Parlement un projet de loi fédérale sur le renseignement5. En octobre 2014, dans le cadre des délibérations parlementaires, les Chambres fédérales ont notamment ajouté au texte proposé par le Conseil fédéral une nouvelle disposition visant l'interdiction d'organisations pour des raisons de sécurité intérieure et extérieure. Pour élaborer cette disposition, qui figure aujourd'hui à l'art. 74 de la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement (LRens)6, les Chambres se sont basées sur l'art. 2 des ordonnances précitées, qui étaient alors en vigueur. En adoptant l'art. 74 LRens, le Parlement a créé une base légale durable permettant d'interdire les organisations ou les groupements terroristes ou extrémistes violents. A l'époque, il était déjà clair que la nouvelle loi sur le renseignement n'entrerait en vigueur qu'après l'expiration des ordonnances.

Afin de réunir les deux ordonnances dans un même texte légal et d'éviter tout vide juridique avant l'entrée en vigueur de la loi sur le renseignement, le Conseil fédéral a transmis au Parlement en novembre 2014
un projet de loi fédérale urgente interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées7 (ci-après: loi interdisant «AQ/EI»). Adoptée par le Parlement le 12 décembre 2014, 1 2 3 4 5 6 7

90

RS 101 RO 2001 3040 RO 2012 1 RO 2014 3255 FF 2014 2029 RS 121 FF 2014 8755

FF 2018

cette loi fédérale8 est entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Sa durée de validité expire le 31 décembre 2018. A la différence des ordonnances de l'Assemblée fédérale (et donc également de l'art. 74 LRens), l'art. 2 de cette loi punit d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus (et non pas de trois ans) ou d'une peine pécuniaire l'association ou toute autre forme de soutien aux groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» ou aux autres organisations apparentées; en outre, il soumet la poursuite de cette infraction à la juridiction fédérale.

Entrée en vigueur de la LRens, en particulier de son art. 74 Acceptée en votation populaire le 25 septembre 2016, la loi fédérale du 24 septembre 2015 sur le renseignement9 est entrée en vigueur le 1er septembre 2017.

L'art. 74 LRens permet au Conseil fédéral d'interdire une organisation ou un groupement qui, directement ou indirectement, propage, soutient ou promeut d'une autre manière des activités terroristes ou l'extrémisme violent, menaçant concrètement la sûreté intérieure ou extérieure (al. 1). L'interdiction se fonde (al. 2) sur une décision de l'Organisation des Nations Unies (ONU) ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Par ailleurs, quiconque s'associe ou apporte son soutien, sur le territoire suisse, à une organisation ou à un groupement interdits visé à l'al. 1 est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 4).

Comme mentionné précédemment, la norme pénale de l'art. 74 LRens présente, au niveau matériel, deux différences avec l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI»: en premier lieu, elle ne soumet pas la compétence de poursuivre et de juger les infractions prévues par cette disposition aux autorités fédérales; en second lieu, elle prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire, soit une peine inférieure à celle prévue par l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI». Ce second élément a notamment pour conséquence que la violation de l'art. 74 LRens n'est pas une infraction préalable au blanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis du code pénal (CP)10.

Au niveau procédural, il y a également lieu de noter qu'à la différence de la loi interdisant «AQ/EI», l'art. 74 LRens ne déploie ses effets qu'à partir du moment où le Conseil fédéral
interdit une organisation. L'interdiction devra figurer dans une décision de droit administratif. Comme une telle décision est susceptible de porter gravement atteinte aux droits des organisations concernées et de leurs membres, elle sera limitée dans le temps conformément à l'art. 74, al. 3, LRens. Elle pourra néanmoins être prolongée plusieurs fois par périodes de cinq ans. Ce système contraint les autorités à vérifier périodiquement si les conditions pour prononcer une interdiction sont toujours valables. La décision du Conseil fédéral pourra faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif fédéral selon la procédure décrite dans la loi du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)11. En dérogation à ce que prévoit la PA, l'art. 83, al. 2, LRens précise cependant que les recours contre les

8 9 10 11

RS 122 RS 121 RS 311.0 RS 172.021

91

FF 2018

décisions d'interdiction n'auront pas d'effet suspensif. La décision du Tribunal administratif fédéral pourra ensuite être contestée au Tribunal fédéral.

Projet de mise en oeuvre de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre le terrorisme En juin 2017, le Conseil fédéral a mis en consultation un projet d'arrêté fédéral concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé et portant approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 pour la prévention du terrorisme et de son protocole additionnel du 22 octobre 201512. Au coeur de ce projet figurent l'introduction, dans le code pénal, d'un nouvel art. 260sexies destiné à réprimer le recrutement, l'entraînement et le voyage en vue d'un acte terroriste ainsi que la modification de l'art. 260ter CP (organisations criminelles et terroristes). Une modification de l'art. 74 LRens est également proposée, afin de le faire correspondre ­ s'agissant de la peine et de la compétence des autorités de poursuite pénale ­ à l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI»13. Dès que l'art. 74 LRens modifié sera entré en vigueur et mis en oeuvre, la loi interdisant «AQ/EI» pourra être abrogée. Cependant, comme cette entrée en vigueur ne pourra pas intervenir avant l'échéance de la loi interdisant «AQ/EI», c'est-à-dire avant le 31 décembre 2018, il est nécessaire de trouver une solution pour éviter tout affaiblissement du cadre légal régissant la poursuite, la répression et l'interdiction des organisations terroristes.

Solutions examinées Compte tenu de la situation juridique actuelle et des projets de modification en cours, les variantes suivantes ont été examinées: ­

renoncer à proroger la loi interdisant «AQ/EI»;

­

proroger la loi interdisant «Al-Qaïda», afin que la modification de l'art. 74 LRens puisse entrer en vigueur avant son expiration.

Renoncer à proroger la loi interdisant «Al-Qaïda» Cette variante aurait pour conséquence qu'à partir du 1er janvier 2019 l'interdiction des groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées ainsi que la répression des actes de participation et de soutien à ces organisations commis après cette date14 seraient principalement encadrées par les art. 74 LRens (version du 25 septembre 2015) et 260ter CP (organisation criminelle). Or, ces dispositions présentent des différences significatives par rapport à la loi interdisant «AQ/EI». En effet, le champ d'application de l'art. 260ter CP est plus restreint puisqu'il ne réprime pas expressément l'organisation d'actions de propagande ou le fait d'encourager les 12

13 14

92

Rapport du Conseil fédéral de juin 2017 relatif à l'approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé, disponible sous: www.bj.admin.ch > Sécurité > Terrorisme > Prévention du terrorisme Rapport du Conseil fédéral de juin 2017 (note 12), ch. 4.3.

Les actes commis avant le 1er janvier 2019 continueraient d'être soumis à la loi interdisant «AQ/EI» par exception à l'art. 2, al. 2, CP (voir not. Gauthier, in: Roth/Moreillon, Commentaire romand, Code pénal I, Bâle 2009, n. 36 ad art. 2).

FF 2018

activités d'une organisation terroriste «de toute autre manière»; quant à l'infraction figurant à l'art. 74 LRens, même si elle utilise les mêmes termes que ceux de l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI» pour décrire le comportement pénalement répréhensible, elle prévoit une peine inférieure et n'est pas soumise à la juridiction fédérale.

Compte tenu du péril que représentent les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées, il n'est pas acceptable d'affaiblir, ne serait-ce que de manière temporaire, le cadre légal régissant l'interdiction des organisations précitées et la répression du soutien apporté à celles-ci. Du point de vue de l'efficacité des poursuites pénales et du principe de la célérité, il n'est pas non plus souhaitable que la compétence juridictionnelle soit provisoirement transférée aux autorités cantonales entre le 1er janvier 2019 et la date d'entrée en vigueur de l'art. 74 LRens révisé conformément à l'avant-projet.

Proroger la loi interdisant «AQ/EI», afin que la modification de l'art. 74 LRens puisse entrer en vigueur avant son expiration Cette variante consisterait simplement à prolonger de quatre années supplémentaires la durée de validité de la loi interdisant «AQ/EI», à savoir jusqu'au 31 décembre 2022. Ce laps de temps supplémentaire permettrait ainsi au Parlement de traiter le projet de mise en oeuvre de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme ­ qui contient la modification de l'art. 74 LRens ­ bien avant cette nouvelle échéance. La nouvelle version de l'art. 74 LRens, de même que les autres dispositions concernées par ce projet (art. 260ter et 260sexies CP notamment), entreraient ainsi en vigueur en même temps et avant le 31 décembre 2022. Le Conseil fédéral aurait également le temps de rendre une décision d'interdiction avant cette date butoir. A partir de ce moment-là, la loi interdisant «AQ/EI» pourrait être abrogée et serait du même coup remplacée par un dispositif complet et cohérent, non limité dans le temps.

1.2

Bref rappel du contenu de la loi

La loi interdisant «AQ/EI» est composée de quatre articles, dont les art. 1 et 2 constituent le coeur: L'art. 1 consacre l'interdiction des groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et des organisations apparentées. Les organisations qui figurent sur la «Liste relative aux sanctions contre l'EI et Al-Qaïda» établie par le Conseil de sécurité de l'ONU15 tombent sous le coup de cette disposition. Cela n'est cependant pas une condition indispensable, les autorités de poursuite pénale disposant d'une certaine marge d'appréciation à cet égard.

L'art. 2 incrimine le fait de s'associer sur le territoire suisse à un groupe ou une organisation visé à l'art. 1 ou de mettre à sa disposition des ressources humaines ou matérielles, d'organiser des actions de propagande en sa faveur ou en faveur de ses objectifs, de recruter des adeptes ou d'encourager ses activités de toute autre ma15

La liste peut être consultée sur Internet sous: www.un.org > Conseil de sécurité > Organes subsidiaires > Sanctions > Liste récapitulative des sanctions

93

FF 2018

nière. Cette infraction, qui est alignée sur les art. 260ter et 260quinquies CP, est passible d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire. C'est donc un crime qui fait du même coup partie des actes sous-jacents au blanchiment d'argent, conformément à l'art. 305bis CP. Dans son message du 12 novembre 2014 concernant la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées16, le Conseil fédéral précise: «On s'assure ainsi que les valeurs patrimoniales d'entités terroristes soient soumises aux normes pénales en cas de blanchiment d'argent, tout comme le sont les valeurs patrimoniales servant à financer le terrorisme et les organisations criminelles».

L'art. 3 rappelle que les dispositions générales du code pénal relatives à la confiscation de valeurs patrimoniales, en particulier les art. 70, al. 5, et 72 sont applicables et l'art. 4 déclare la loi urgente, la soumet au référendum et limite sa durée de validité à quatre ans à partir du 1er janvier 2015. Seul l'art. 4 doit être modifié par le présent projet: un nouvel al. 3 va entériner la prorogation de la loi pour quatre années supplémentaires.

1.3

Appréciation de la solution retenue

La solution consistant à proroger la loi interdisant «AQ/EI» est la plus avantageuse, car elle permet simultanément: (1) de maintenir sans interruption une interdiction explicite des groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et des autres organisations apparentées, (2) d'empêcher un affaiblissement temporaire de la réglementation (notamment en maintenant la même sanction pénale et la compétence juridictionnelle des autorités fédérales), (3) de donner du temps au Parlement pour qu'il puisse traiter la révision en cours de l'art. 74 LRens et (4) de donner au Conseil fédéral le temps de préparer et de rendre une décision d'interdiction. Comme cela a déjà été évoqué plus haut, la loi interdisant «AQ/EI» n'aura plus lieu d'être dès que l'art. 74 LRens révisé entrera en vigueur et que le Conseil fédéral aura rendu sa décision d'interdiction, de sorte qu'elle pourra être immédiatement abrogée.

La nécessité d'éviter un affaiblissement de la répression et de préserver la compétence des autorités fédérales en matière de poursuite et de répression du terrorisme n'est pas remise en question. Comme indiqué sous ch. 2, la loi interdisant «AQ/EI» a largement fait ses preuves et l'activité des organisations terroristes visées n'a pas fléchi, bien au contraire.

1.4

Renonciation à une procédure de consultation

Le rapport relatif à la mise en oeuvre de la convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme faisait déjà clairement état de l'intention du Conseil fédéral de proposer au parlement la prorogation de la loi interdisant «AQ/EI» en ces termes: «Lors de l'élaboration de l'avant-projet ci-joint, le Conseil fédéral a conclu à la nécessité d'harmoniser les règles de l'art. 74 LRens sur l'interdiction des organi16

94

FF 2014 8755 8764

FF 2018

sations et celles relatives aux organisations terroristes de la législation sur Al-Qaïda et l'État islamique et de l'art. 260ter CP. La première devra rester en vigueur jusqu'à ce que l'art. 74 LRens révisé entre en vigueur à son tour. Le Conseil fédéral demandera une prolongation au Parlement dans un projet séparé [...] car il est peu probable que le projet commenté ici puisse déjà entrer en vigueur le 1er janvier 2019 ou plus tôt»17. Dans le prolongement de cette déclaration, le Conseil fédéral a, dans sa lettre d'accompagnement du 22 juin 2017, expressément demandé aux destinataires de la consultation de s'exprimer sur le principe de la prorogation de la loi interdisant «AQ/EI»18. Les participants qui ont répondu à cette question19 ont approuvé sans réserve la prorogation. De plus, comme le contenu de la loi interdisant «AQ/EI» ne fait l'objet d'aucune modification matérielle dans le cadre du présent projet, il n'était pas nécessaire d'organiser une nouvelle procédure de consultation.

2

Importance de la loi et expériences tirées de son application

2.1

Développement des activités d'«Al-Qaïda», de l'«État islamique»

Appréciation de la menace «État islamique» L'«État islamique» est une organisation terroriste transnationale, à motivation djihadiste, issue des rangs d'«Al-Qaïda» mais indépendante d'elle depuis 2014, qui a contrôlé pendant un certain temps de vastes régions de Syrie et d'Irak et qui en contrôle encore certaines aujourd'hui. Il cherche à imposer dans ces territoires sa représentation rigide de l'Islam, basée sur la violence. Il diffuse des images, des vidéos et des récits d'actes de violence qu'on peut qualifier de crimes de guerre en faisant un usage ciblé des plateformes de communication modernes et ce, partout dans le monde. Les opposants à l'«État islamique» en Syrie et en Irak sont des Sunnites de courant différent, des Chiites, des Kurdes et des membres de minorités non musulmanes de Syrie et d'Irak. L'«État islamique» menace également, depuis septembre 2014, de commettre des attentats à l'encontre des ressortissants et des intérêts de tous les États faisant partie de la coalition qui le combat. Ses liens avec les attentats perpétrés dans différents pays européens témoignent de la volonté et des capacités de l'organisation de s'en prendre aussi à l'Europe et d'y répandre la violence. Depuis le milieu de 2014, plus de 50 attentats commis dans les pays occidentaux, et qui ont fait quelque 1700 morts et blessés, sont à mettre au compte de l'«État islamique», directement ou indirectement (par ex. en inspirant, soutenant ou solidarisant). L'«État islamique» a également pris pied à l'extérieur de sa zone d'origine, la Syrie et l'Irak. Divers groupements terroristes se sont réclamés de lui et ont 17 18

19

Rapport du Conseil fédéral de juin 2017 (note 12), ch. 4.3.1.

Voir la lettre d'accompagnement du Conseil fédéral du 22 juin 2017, disponible sous: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2017 > DFJP > Approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son protocole additionnel et renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé.

Zoug, Grison, Thurgovie, Tessin, Genève et le PDC.

95

FF 2018

déclaré d'autres régions comme étant des provinces de l'«État islamique» (par ex.

l'«État islamique Province du Khorasan», actif en Afghanistan et au Pakistan).

Depuis 2015, l'«État islamique» est soumis à une forte pression militaire. Il a perdu la plupart des régions qu'il avait conquises en Syrie et en Irak. L'«État islamique» et ses provinces font cependant preuve d'une grande résilience. Ils parviennent à reconquérir des régions et des villes qu'ils contrôlaient naguère. Avec ses exécutions horribles, mises en scène de manière à frapper au plan médiatique (et notamment des exécutions, décapitations et immolations publiques), l'«État islamique» a démontré à plusieurs reprises qu'il a la volonté et la capacité de mettre ses menaces à exécution.

La propagande, les activités et les plans de l'«État islamique» restent déterminants pour la menace terroriste en Europe. Malgré des défaites militaires, l'«État islamique» et ses différentes branches représentent encore une lourde menace pour l'Europe et les intérêts occidentaux. Sa propagande déploie encore un effet auprès de ses groupes-cibles. La menace que le terrorisme djihadiste d'obédience sunnite fait actuellement peser n'est pas entamée par les pertes territoriales de l'«État islamique».

Même si les structures quasi-étatiques et hiérarchiques de l'«État islamique» s'écroulaient complètement, en Syrie et en Irak, celui-ci conserverait son caractère terroriste et resterait une menace pour l'Europe et d'autres régions du monde.

Bien que la Suisse ne fasse pas partie de la coalition militaire contre l'«État islamique», elle est elle aussi concernée par la situation régnant en Europe sur le front des menaces. Elle appartient au monde occidental, que les djihadistes considèrent comme des ennemis de l'Islam, et constitue à ce titre une cible potentielle pour les attentats terroristes. Et surtout, les intérêts des États membres de la coalition militaire contre l'«État islamique» pourraient être visés par des attentats sur le territoire suisse. Les intérêts de la Suisse à l'étranger pourraient également être touchés par des attentats.

Appréciation de la menace «Al-Qaïda» «Al-Qaïda» n'a pas été complètement éradiquée depuis les attentats du 11 septembre 2001 malgré les efforts considérables engagés par la communauté internationale et malgré la mort
d'Oussama Ben Laden, son leader de longue date. Si le noyau d'«AlQaïda» a perdu ses capacités opérationnelles, ses branches régionales conservent une grande influence dans leur zone d'opération (comme «Al-Qaïda dans la péninsule arabique», «Al-Qaïda au Maghreb islamique», «Al-Qaïda dans le sous-continent indien», «Al-Shabaab» en Somalie). Le noyau d'«Al-Qaïda» et ses branches continuent de propager le djihad mondial et les attentats dans le monde occidental.

La menace que représente «Al-Qaïda» subsiste. Son caractère dépend toutefois beaucoup des conditions régionales. Le noyau d'«Al-Qaïda» reste fidèle à son intention de commettre des attentats sur des cibles occidentales, mais il ne dispose actuellement plus que de ressources limitées pour pouvoir les exécuter seul. Ses branches régionales représentent une menace pour les intérêts suisses dans leurs zones primaires d'opération. La probabilité d'un attentat hors de cette zone d'influence directe, par exemple en Europe, peut aujourd'hui être considérée comme plus faible. À moyen terme, par contre, le noyau d'«Al-Qaïda» et ses différentes branches pourraient planifier et exécuter des actions terroristes hors de leur zone d'influence,

96

FF 2018

en raison de leurs aspirations inchangées et des ressources dont elles disposent encore, ou inspirer des individus à en mener seuls.

Attentats à motivation djihadiste en Europe Depuis l'entrée en vigueur de la loi interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées, le 1er janvier 2015, de nombreux attentats terroristes dont la motivation djihadiste et les liens avec ces organisations sont avérés ont été commis dans plusieurs États d'Europe. En l'espace d'un peu plus de deux ans et demi, plus d'une dizaine d'attentats ont fait de nombreux morts. Il faut citer ceux qui ont frappé la France (notamment Paris et Nice), l'Angleterre (Londres et Manchester), l'Allemagne (Berlin), la Belgique (Bruxelles), l'Espagne (Barcelone et Cambrils), la Finlande (Turku) et la Russie (St-Pétersbourg et Surgut). Mais aussi le Danemark (Copenhague) et la Suède (Stockholm). D'autres attentats n'ont fait «que» des blessés grâce à des interventions rapides (par ex. attaque au pistolet des passagers d'un TGV reliant Bruxelles à Paris) ou d'erreurs de manipulation des auteurs (par ex. attentat-suicide lors du festival d'Ansbach).

2.2

Application de la loi dans la pratique

Depuis le 1er janvier 2015, date de l'entrée en vigueur de la loi interdisant «AQ/EI», et jusqu'à la fin juin 2017, le Ministère public de la Confédération a traité 75 affaires appliquant cette loi. 32 affaires ont été liquidées par décisions entrées en force (nonentrée en matière, clôture, jugement). Trois affaires ont donné lieu à des condamnations. 13 affaires ont été suspendues. 28 affaires sont actuellement en cours et deux affaires donnent lieu à des recherches préliminaires. En outre, à la fin juin 2017, fedpol menait de son côté 16 affaires appliquant cette même loi et se trouvant au stade initial des investigations policières.

La plupart des affaires précitées ont également été ouvertes pour participation ou soutien à une organisation criminelle terroriste au sens de l'art. 260ter CPS. Au début de l'affaire, il n'est pas toujours possible de distinguer précisément les différents soupçons d'infractions.

La loi interdisant «AQ/EI» permet aux autorités de poursuite pénale d'être plus efficaces dans leurs investigations. D'une part, elle nomme spécifiquement les organisations terroristes interdites, soit Al-Qaïda, l'État islamique et les organisations apparentées, et dispense ainsi les autorités de poursuite pénale de devoir établir, dans chaque cas et préalablement à tout autre incrimination, l'existence d'une organisation criminelle terroriste au sens de l'art. 260ter CP, disposition dans laquelle cette notion est définie de manière générale et abstraite. En outre, comme la juridiction fédérale est expressément prévue pour l'application de la loi interdisant «AQ/EI» (art. 2, al. 3, de la loi), les autorités de poursuite pénale fédérales sont également dispensées de fournir en procédure les éléments établissant la compétence fédérale dans la cause. D'autre part, la loi couvre une plus large palette de comportements en lien avec une activité terroriste: association sur le territoire suisse à un groupe ou à une organisation visée à l'art. 1 de ladite loi, mise à disposition de ressources humaines ou matérielles, activités de propagande ou de recrutement à la faveur de ces

97

FF 2018

groupes ou organisations ou encouragement d'activités de toute autre manière. Cette dernière infraction est volontairement définie de manière très large et permet d'incriminer tout ce qui favorise l'existence et les activités des organisations terroristes interdites. Par exemple, dans son jugement du 15 juillet 2016, confirmé par le Tribunal fédéral20, le Tribunal pénal fédéral a condamné pour cette infraction un jeune homme interpellé à l'aéroport de Zurich juste avant qu'il n'entre dans un avion l'emmenant en Turquie. La Cour a estimé que le départ décidé et annoncé pour un voyage de djihad constituait déjà un passage à l'acte pouvant favoriser les activités de recrutement de l'État islamique auprès de l'entourage de ce jeune homme.

En outre, la loi permet d'ouvrir une instruction même lorsque la personne visée n'a pas de lien direct avec l'organisation terroriste. La norme pénale répond ainsi également aux exigences les plus récentes posées aussi bien par le Groupe d'action financière (GAFI) que, indirectement, par la résolution 2178 de l'ONU21. De plus, et ce n'est pas le moindre de ses avantages, la loi élargit le champ d'application des poursuites pénales aux personnes ayant combattu ou combattant à l'étranger et qui ne sont pas de nationalité suisse, cas de figure ayant une grande portée en pratique22.

Ces personnes ne pourraient pas être poursuivies sous le titre de l'art. 260ter CP pour des actes commis à l'étranger, même si celles-ci ont un titre de séjour suisse. En effet, la poursuite pénale d'actes commis à l'étranger sous l'angle de l'incrimination de l'art. 260ter CP est plus étroite que la poursuite pénale d'actes commis à l'étranger sous l'angle de la loi interdisant «AQ/EI», sur la base de la règle spéciale prévue en son art. 2, al. 2. Enfin, la loi définit clairement la juridiction fédérale pour son application, ce qui permet d'éviter tout éventuel conflit de compétence, positif ou négatif, surtout dans les premières phases de la procédure.

Face à la situation actuelle en matière de terrorisme, les autorités de poursuite pénale ont encore besoin des incriminations prévues par la loi interdisant «AQ/EI». Le contenu de cette dernière devrait être pérennisé avec l'entrée en vigueur de l'arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe
pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé23. Il est primordial, du point de vue des autorités de poursuite pénale appliquant pratiquement la loi interdisant «AQ/EI», que cette dernière puisse déployer ses effets au-delà du 31 décembre 2018 et jusqu'à l'entrée en vigueur de l'arrêté fédéral précité.

20 21 22 23

98

ATF du 22 février 2017, 6B_948/2016.

Disponible sous: www.un.org > Documents > Résolutions du Conseil de sécurité > 2014 > Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d'actes de terrorisme.

La poursuite pénale pour soupçon de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité au sens de l'art. 264m CP est réservée.

Voir ch. 1.3.

FF 2018

2.3

Conclusion

Les activités de l'«État islamique» et d'«Al-Qaïda» restent une menace pour la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse et pour la communauté internationale.

Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) tient une liste des terroristes djihadistes «à risque», c'est-à-dire constituant une menace particulière pour la sécurité de la Suisse. La majorité de ces personnes présentent un lien avec les groupes djihadistes précités.

Il est donc important, du point de vue du SRC, que toutes les activités menées par ces organisations en Suisse et à l'étranger restent passibles d'une peine, tout comme les actes visant à soutenir ces organisations aux plans financier, matériel ou humain, par ex. par des opérations de propagande, des collectes de fonds ou le recrutement de nouveaux membres.

De manière générale, il s'avère donc que l'interdiction des groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et des organisations apparentées reste de mise et qu'elle a aussi montré son utilité dans la pratique de la poursuite pénale.

3

Commentaire des dispositions

Prorogation de l'acte législatif Le présent projet de loi ajoute uniquement un nouvel al. 3 à l'art. 4 de la loi interdisant «AQ/EI», afin d'en prolonger la durée de validité de quatre ans, soit jusqu'au 31 décembre 2022. Conformément à la technique législative en vigueur, le délai initial de la loi (tel qu'il figure à l'art. 4, al. 2, de la loi) n'est pas biffé, mais reste visible. Cette prorogation servira un double but: d'une part, elle permettra l'entrée en vigueur de l'art. 74 LRens révisé avant que la loi interdisant «AQ/EI» expire et, d'autre part, elle donnera suffisamment de temps au Conseil fédéral pour qu'il puisse désigner les organisations faisant l'objet d'une interdiction, conformément à la procédure prévue par l'art. 74 LRens24.

Entrée en vigueur et durée de validité Afin de garantir la continuité de la validité de la loi interdisant «AQ/EI», la prorogation doit entrer en vigueur le 1er janvier 2019. La durée de validité de quatre ans garantit que le Parlement et le Conseil fédéral puissent, respectivement, traiter le projet de révision de l'art. 74 LRens et rendre une décision d'interdiction.

Lien avec les autres dispositions régissant l'interdiction des organisations terroristes et la répression de leur activité Comme la loi interdisant «AQ/EI» couvre en partie des questions qui peuvent tomber sous le coup du code pénal et de la LRens, il y a lieu de brièvement évoquer la question d'une éventuelle collision entre ces différentes dispositions.

24

Cette procédure est décrite plus en détail sous ch. 1.2.

99

FF 2018

S'agissant tout d'abord de l'art. 74 LRens, qui est entré en vigueur le 1er septembre 2017, il y a lieu d'emblée de souligner que le problème est inexistant. En effet, tant que le Conseil fédéral ne rend aucune décision d'interdiction, l'art. 74 LRens reste pour ainsi dire lettre morte. Or, le Conseil fédéral n'a aucune raison de prononcer l'interdiction des groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et des organisations apparentées tant que la loi interdisant «AQ/EI» est en vigueur. En d'autres termes, une transition harmonieuse entre la loi interdisant «AQ/EI» et l'art. 74 LRens révisé peut être garantie par une abrogation de la première loi en même temps que l'entrée en force de la décision d'interdiction du Conseil fédéral fondée sur l'art. 74 LRens. Un conflit entre ces deux législations n'est donc pas à craindre.

En ce qui concerne ensuite la relation entre l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI» et l'art. 260ter CP, le Tribunal pénal fédéral a considéré que le premier, en tant que disposition spéciale plus récente, avait la priorité sur le second25. En d'autres termes, l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI» absorbe l'art. 260ter CP et le concours n'est donc qu'apparent (ou imparfait).

Enfin, si l'acte de soutien ou de participation à une organisation présente un lien avec l'infraction principale ­ plus grave ­ commise par l'organisation, l'art. 2 de la loi interdisant «AQ/EI» devrait en principe céder le pas sur cette infraction principale (par ex. l'assassinat, la prise d'otage, les lésions corporelles graves, etc.)26.

4

Conséquences

4.1

Conséquences pour la Confédération, les cantons et les communes

Comme mentionné sous ch. 2.2, de nombreuses affaires impliquant la loi interdisant «AQ/EI» ont été instruites depuis l'entrée en vigueur de cette dernière le 1er janvier 2015. Comme rappelé sous ch. 2.2 également, la plupart de ces affaires ont également été ouvertes pour participation à une organisation criminelle terroriste au sens de l'art. 260ter CP, qui est en vigueur depuis le 1er janvier 1994. Par conséquent, l'ouverture de ces affaires n'est pas à mettre sur le compte de l'entrée en vigueur de la loi interdisant «AQ/EI» ­ qui n'a d'ailleurs fait que remplacer des ordonnances de l'Assemblée fédérale qui étaient déjà en vigueur depuis de nombreuses années (voir ch. 1.1) ­ mais bien d'une intensification de l'activité criminelle dans ce domaine spécifique. De plus, toutes ces affaires ont pu être traitées par les autorités compétentes avec les ressources dont elles disposent. La prorogation de la loi interdisant «AQ/EI» n'implique donc pas de dépenses supplémentaires ou de besoins en personnel. Par ailleurs, comme la compétence des autorités fédérales est maintenue, aucun surcroît de travail pour les cantons et les communes n'est à prévoir.

25 26

100

Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 15 juillet 2016 (SK.2016.9), cons. 1.15.

Voir, par analogie, l'application subsidiaire de l'art. 260ter CP par rapport aux infractions commises par l'organisation (rapport du Conseil fédéral de juin 2017 [note 12], ch. 4.1.2.8.

FF 2018

4.2

Conséquences économiques

La loi interdisant «Al-Qaïda» n'a pas eu un impact direct sur l'économie de la Suisse. Cependant, dans la mesure où elle renforce la sûreté intérieure et contribue à la protection de la population, elle établit des conditions-cadres favorables à l'économie et, partant, renforce indirectement l'attractivité et la compétitivité de la Suisse.

4.3

Conséquences sur la politique extérieure

La renommée internationale de la Suisse est préservée en particulier en ce qui concerne sa volonté affirmée et constante de combattre efficacement le terrorisme islamiste intégriste.

5

Relation avec le programme de la législature et avec les stratégies du Conseil fédéral

Le projet n'a été annoncé ni dans le message du 27 janvier 2016 sur le programme de la législature 2015 à 201927, ni dans l'arrêté fédéral du 14 juin 2016 sur le programme de la législature 2015 à 201928. Cela s'explique par le fait que le sort de la loi sur le renseignement ­ qui présente un lien étroit avec le présent projet ­ ne pouvait être connu qu'après les dates précitées, à savoir le 25 septembre 2016, date de l'approbation de la loi par le peuple.

6

Aspects juridiques

6.1

Constitutionnalité

Le projet de prorogation de la loi interdisant «AQ/EI» repose sur la compétence tacite de la Confédération de préserver la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse. Il s'agit d'une compétence inhérente de la Confédération de prendre les mesures nécessaires pour se protéger et protéger ses institutions et ses organes et de prévenir les dangers menaçant l'existence même de l'État. La pratique récente fonde ces compétences fédérales découlant de l'existence et de la nature même de l'État et qui ne sont pas attribuées explicitement dans la Constitution sur l'art. 173, al. 2, Cst.

La protection de l'État comporte des éléments de sécurité intérieure et extérieure. En ce qui concerne cette dernière, la Confédération dispose d'une compétence générale, inscrite à l'art. 54 Cst., qui englobe elle aussi une large compétence de légiférer. Le présent projet peut ainsi se fonder sur l'art. 173, al. 2, Cst. et sur la compétence de la Confédération en matière d'affaires étrangères (art. 54, al. 1, Cst.).

27 28

FF 2016 981 FF 2016 4999

101

FF 2018

6.2

Compatibilité avec les obligations internationales

La prorogation est en partie destinée à maintenir la conformité du droit suisse avec les obligations internationales. Celles-ci découlent en particulier des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU instituant des sanctions à l'encontre des groupes «AlQaïda» et «État islamique»29; de la résolution 2178 du même conseil relative à la répression des voyages à des fins terroristes et leur financement; et des recommandations du GAFI, qui constituent les normes internationales de référence dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Lors de sa visite en Suisse en 2016, le GAFI est arrivé à la conclusion que les dispositions pénales réprimant le financement du terrorisme et le soutien à une organisation terroriste étaient en grande partie conformes à la recommandation 5 (Infraction de financement du terrorisme)30. Ce bon résultat s'explique aussi par l'existence de la loi interdisant «Al-Qaïda», de sorte qu'il y a lieu de garantir sa validité jusqu'à l'entrée en vigueur et la mise en oeuvre de l'art. 74 LRens révisé.

6.3

Forme de l'acte à adopter

La prorogation d'une loi fédérale dont la durée de validité est limitée exige l'adoption d'une loi fédérale, et dans le cas présent d'une loi dont la durée de validité est elle aussi limitée.

29 30

102

Voir en particulier les résolutions 1267, 1333, 1989, 2083, 2161, 2253 et 2368 et les résolutions auxquelles elles renvoient.

GAFI, Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Suisse, Rapport d'évaluation mutuelle, Décembre 2016, p. 255.