ad 03.459 Initiative parlementaire Application à titre provisoire de traités internationaux Rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, du 18 novembre 2003 Avis du Conseil fédéral du 18 février 2004

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Nous exprimons ci-après notre avis, conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement, au sujet du rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, du 18 novembre 2003 (FF 2004 703).

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

18 février 2004

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Joseph Deiss La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

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Avis 1

Le point de la situation

Le 5 mars 2003, le Conseil des Etats a donné suite à l'initiative parlementaire Spoerry «Rendre impossible l'application provisoire des traités internationaux entraînant des effets négatifs»1. La Commission des institutions politiques du Conseil des Etats a décidé par la suite d'aborder la question de l'application à titre provisoire des traités internationaux en élaborant sa propre initiative.

Le texte de l'initiative de la commission énumère d'abord les conditions matérielles auxquelles le Conseil fédéral peut décider l'application à titre provisoire (cf. nouvel art. 7b de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration2). Ainsi des traités seraient-ils susceptibles d'être appliqués à titre provisoire, si la sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse et une urgence particulière l'exigent. Dans un tel cas, le Conseil fédéral devrait, dans un délai de six mois à compter du début de l'application à titre provisoire, soumettre à l'Assemblée fédérale le projet d'arrêté fédéral portant approbation du traité concerné. Passé ce délai, l'application à titre provisoire prendrait fin.

En outre, l'initiative parlementaire vise à associer l'Assemblée fédérale à la décision du Conseil fédéral. A cet effet, la commission a choisi une solution qui laisse au Conseil fédéral la compétence de décider de l'application à titre provisoire, mais l'oblige au préalable à consulter les commissions parlementaires compétentes (cf.

nouvel art. 152, al. 3bis, de la loi sur le Parlement3). Une minorité de la commission souhaite aller plus loin et propose une réglementation selon laquelle chacune des deux commissions de politique extérieure peut s'opposer à l'application à titre provisoire d'un traité déterminé.

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Avis du Conseil fédéral

2.1

Généralités

Le Conseil fédéral n'a pas d'objection à formuler contre la proposition de la commission de régler au niveau de la loi la question de l'application à titre provisoire des traités internationaux4. Cette dernière n'est, en effet, réglée qu'implicitement dans la Constitution fédérale. Le fait de régler les conditions matérielles de l'application à titre provisoire des traités conduit à une plus grande clarté.

L'application à titre provisoire des traités fait partie des compétences générales en matière de politique étrangère. Ces dernières appartiennent, selon la Constitution fédérale, au Conseil fédéral (art. 184 Cst.). L'application à titre provisoire d'un traité peut notamment permettre de résoudre rapidement un problème ou servir de mon1 2 3 4

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Iv.parl. 02.456; BO 2003 E 75 ss.

LOGA, RS 172.010 LParl, RS 171.10 La question de l'application à titre provisoire ne concerne que les traités soumis à l'approbation de l'Assemblée fédérale. Pour les traités dont l'approbation relève de la compétence du Conseil fédéral, la question ne se pose pas, puisque il n'y a pas lieu d'attendre l'achèvement de la procédure parlementaire pour mettre en vigueur le traité.

naie d'échange dans le cadre de négociations pour permettre la conclusion d'un traité qui comporte globalement des avantages pour la Suisse. Elle ne modifie en rien les compétences de l'Assemblée fédérale en matière d'approbation des traités.

L'importance numérique des traités internationaux appliqués à titre provisoire est plutôt modeste. En 2001, par exemple, un seul des 24 traités approuvés par l'Assemblée fédérale a été appliqué à titre provisoire par le Conseil fédéral5. En 2002, sept des 26 traités approuvés par le Parlement ont été appliqués à titre provisoire.

En 2002, cependant, l'application à titre provisoire d'accords n'a reposé directement sur la compétence générale du Conseil fédéral en matière de politique étrangère (art. 184, al. 1, Cst.) que dans un seul cas6. Dans les six autres cas, elle s'est basée sur la loi sur les mesures économiques extérieures, qui habilite le Conseil fédéral à appliquer à titre provisoire des accords qui touchent le trafic des marchandises, des services et des paiements «afin de sauvegarder des intérêts économiques suisses essentiels» (art. 2)7. Des dispositions analogues se trouvent dans d'autres lois fédérales8. Comme le mentionne le rapport de la Commission des institutions politiques (ch. 2.3.3 in fine), ces dispositions légales spéciales l'emportent sur la réglementation d'ordre général proposée à l'art. 7b LOGA. En revanche, ledit rapport ne tranche pas la question de savoir si l'obligation de consultation s'étendrait à l'ensemble des cas où le Conseil fédéral désire recourir à l'application provisoire d'un traité ou se limiterait aux cas où il ne dispose pas d'une habilitation explicite dans une loi spéciale.

L'application à titre provisoire des traités internationaux ne pose, dans la grande majorité des cas, aucun problème. Au cours de ces dernières années, seul un traité appliqué à titre provisoire par le Conseil fédéral n'a pas été approuvé par l'Assemblée fédérale9.

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Il s'agissait de l'échange de notes des 1er/8 février 2000 entre la Confédération suisse et la Principauté de Lichtenstein relatif à l'égalité de traitement dans les domaines de l'accès à la profession d'agent fiduciaire et de l'encouragement à la construction de logements (RS 0.142.115.142.2; FF 2001 985).

Deuxième Convention complémentaire à la Convention de sécurité sociale entre la Suisse et la Principauté de Liechtenstein du 29 novembre 2000 (RS 0.831.109.514.13; FF 2001 5939).

RS 946.201. L'application à titre provisoire d'accords qui prévoient l'adhésion à une organisation internationale est également soumise à une seconde condition, celle de l'urgence.

Les six traités appliqués à titre provisoire sur la base de cette disposition sont: l'Accord de libre-échange du 21 juin 2001 entre les Etats de l'AELE et la République de Croatie et l'Arrangement sous la forme d'un échange de lettres entre la Confédération suisse et la République de Croatie sur le commerce des produits agricoles (RS 0.632.312.911; FF 2002 1303); l'Accord de libre-échange du 21 juin 2001 entre les Etats de l'AELE et le Royaume hachémite de Jordanie et l'Arrangement sous la forme d'un échange de lettres entre la Confédération suisse et le Royaume hachémite de Jordanie relatif aux produits agricoles (RS 0.632.314.671; FF 2002 1231); l'Accord international de 2001 sur le café (pas encore publié au RO, FF 2002 1492); et l'Accord portant mandat du Groupe d'étude international du jute 2001 (pas encore publié au RO, FF 2002 1526).

Par exemple, à l'art. 4 de la loi fédérale sur le tarif des douanes, RS 632.10.

Accord entre la Confédération suisse et l'Allemagne relatif à la fourniture de services de la navigation aérienne au-dessus d'une partie du territoire allemand par la Confédération suisse et aux effets de l'exploitation de l'aéroport de Zurich sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne (FF 2002 3171).

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2.2

Conditions matérielles de l'application à titre provisoire

La commission propose de régler à l'art. 7b, al. 1, LOGA les conditions matérielles de l'application à titre provisoire des traités internationaux. Le Conseil fédéral n'a pas d'objection à formuler contre la proposition de régler ces conditions dans la loi.

Conformément à la pratique suivie jusqu'à maintenant, le Conseil fédéral décide d'appliquer à titre provisoire un traité «lorsque la sauvegarde d'intérêts suisses essentiels ou une urgence particulière l'exigent et qu'il n'est en conséquence pas possible de respecter la procédure d'approbation ordinaire»10. Un cumul de ces deux conditions n'est toutefois pas requis. Il peut y avoir des situations, dans lesquelles une application à titre provisoire peut constituer, pour la Suisse, un argument de négociation lui permettant de conclure un traité globalement favorable. Dans ce genre de situations, il se peut que l'application à titre provisoire serve à la sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse (c'est-à-dire à l'heureuse conclusion du traité lui-même) sans pour autant qu'elle ne soit justifiée par une urgence particulière.

L'application à titre provisoire du traité remplit ainsi la première, mais pas la seconde des conditions proposées par la commission. Inversement il y a des traités qui requièrent, pour des motifs rationnels, d'être appliqués rapidement, quand bien même, en raison du peu d'importance de leur contenu, on ne saurait prétendre que leur application à titre provisoire sert à la sauvegarde «des intérêts essentiels de la Suisse». Une application à titre provisoire de ce genre de traités ne remplit ainsi que la seconde condition (c'est-à-dire l'urgence).

Aux termes de la proposition de la commission, le Conseil fédéral ne peut décider de l'application à titre provisoire d'un traité que «si la sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse et une urgence particulière l'exigent». Or ce libellé, qui implique la réalisation simultanée des deux conditions, ne se limite pas, contrairement aux explications contenues dans le rapport de la commission11, à consacrer dans la loi la pratique actuelle mais introduit, au contraire, une réglementation nouvelle plus restrictive. A l'avenir l'application à titre provisoire serait, en effet, d'emblée exclue pour tout traité qui ne serait pas d'une importance majeure pour la Suisse, même si une
urgence particulière requiert son application à titre provisoire. De même l'application à titre provisoire serait exclue lorsqu'elle ne s'impose pas pour des raisons d'urgence particulière, mais sert d'une autre manière à la sauvegarde des intérêts essentiels de la Suisse.

La pratique actuelle a fait ses preuves. Selon le Conseil fédéral, une restriction de cette pratique en posant des conditions plus sévères dans la LOGA ne se justifie pas.

En revanche, subordonner l'application à titre provisoire à des conditions plus sévères reviendrait à réduire sans nécessité la latitude du Conseil fédéral en matière de politique extérieure. Aussi le Conseil fédéral propose-t-il que la nouvelle réglementation se limite à codifier la pratique actuelle et fixe les conditions matérielles auxquelles est subordonnée l'application à titre provisoire des traités de manière alternative et non cumulative.

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Message du Conseil fédéral du 13 septembre 1995 concernant les échanges de lettres relatifs au statut des fonctionnaires internationaux de nationalité suisse à l'égard des assurances sociales suisses (AVS/AI/APG et AC), FF 1995 IV 749, 755.

Cf. ch. 2.2.

Le Conseil fédéral propose donc de libeller le nouvel art. 7b, al. 1, LOGA comme il suit: Art. 7b, al. 1 1

Si l'Assemblée fédérale est compétente pour l'approbation d'un traité international, le Conseil fédéral peut décider ou convenir de son application à titre provisoire si la sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse ou une urgence particulière l'exige.

2.3

Fin de l'application à titre provisoire

L'application à titre provisoire de traités internationaux est prévue à l'art. 25 de la Convention de Vienne, du 23 mai 1969, sur le droit des traités12. En vertu de cette même disposition, cette application prend fin si un Etat notifie aux autres Etats son intention de ne pas devenir partie au traité (al. 2).

Selon la proposition de la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, l'application à titre provisoire prendrait fin si, dans un délai de six mois à compter du début de ladite application à titre provisoire, le Conseil fédéral n'a pas soumis à l'Assemblée fédérale le projet d'arrêté fédéral portant approbation du traité concerné (art. 7b, al. 2, LOGA). Dans ce cas, le Conseil fédéral notifie aux Etats contractants la fin de l'application à titre provisoire (al. 3).

Dans la grande majorité des cas, le Conseil fédéral respectera ce délai. En cas de retard, la règle proposée ne posera pas de problème si l'application à titre provisoire résulte d'un acte unilatéral de la Suisse: lorsque le Conseil fédéral «décide» (cf.

art. 7b, al. 1, du projet) de l'application provisoire, il peut également décider de la fin de cette application provisoire par notification aux Etats contractants.

En revanche, lorsque l'application à titre provisoire résulte d'un accord entre les parties, les al. 2 et 3 proposés par la commission n'auront qu'une portée limitée. En particulier, la Suisse ne pourra pas, dans tous les cas, mettre fin à l'application provisoire sans notifier en même temps aux Etats co-contractants sa volonté de renoncer à la ratification du traité. Cependant, l'éventuel retard du Conseil fédéral à présenter un message aux Chambres relatif à un traité appliqué à titre provisoire ne signifie pas nécessairement que la Suisse n'entend pas ratifier cet accord. Or, pour pouvoir mettre fin néanmoins à l'application provisoire, cette possibilité devrait avoir été prévue dans l'accord lui-même ou les co-contractants devraient consentir à la fin de cette application à titre provisoire. Pour éviter des problèmes de droit international public, le Conseil fédéral ne devrait accepter à l'avenir une clause prévoyant l'application provisoire que si cette clause réserve la possibilité de mettre fin à cette application par un acte unilatéral. Une telle politique est en principe possible, elle a
pourtant comme conséquence de limiter encore la marge de négociation de notre pays.

De plus, la Suisse susciterait l'incompréhension des autres Parties au traité si elle se réserverait la possibilité de mettre fin à l'application à titre provisoire d'un traité tout en le ratifiant quand même par la suite (après l'approbation du Parlement) et en le mettant en vigueur définitivement. Le résultat de ce procédé, consistant à appliquer 12

RS 0.111

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provisoirement un traité, puis à suspendre son application à titre provisoire avant de le mettre définitivement en vigueur, pourrait être de porter atteinte à la crédibilité de la politique extérieure de la Suisse et à la sécurité du droit.

La règle prévoyant que l'application provisoire prend fin si le Conseil fédéral ne soumet pas à l'Assemblée fédérale, dans les six mois, l'arrêté fédéral portant approbation du traité, peut ainsi s'avérer problématique. Le Conseil fédéral estime, par conséquent, qu'il y a lieu de renoncer à une telle disposition.

Le Conseil fédéral propose donc de biffer l'art. 7b, al. 2 et 3.

2.4

Forme de l'association d'organes parlementaires

La Commission propose qu'à l'avenir, le Conseil fédéral soit tenu de consulter les commissions parlementaires compétentes avant de décider de l'application à titre provisoire d'un traité international.

Le Conseil fédéral estime que cette disposition est inutile. En effet, l'art. 152 LParl fixe, de manière générale, les droits et les obligations concernant l'information et la consultation des commissions parlementaires. Le Conseil fédéral part du principe qu'en vertu de cette disposition, toute commission peut, si nécessaire et dans des cas particuliers, obliger unilatéralement le Conseil fédéral à l'informer et à la consulter.

Ainsi selon le droit en vigueur, les commissions parlementaires peuvent exiger du Conseil fédéral qu'il les consulte à propos de l'application à titre provisoire d'un traité international. Dès lors, le Conseil fédéral estime qu'il n'est pas nécessaire d'introduire une obligation de consultation particulière, qui viendrait s'ajouter au régime général de l'art. 152 LParl.

Le Conseil fédéral propose donc de biffer l'art. 152, al. 3bis.

Quant à la proposition de la minorité (cf. art. 7b, al. 1bis), le Conseil fédéral estime qu'il se révélerait problématique d'accorder un droit d'opposition définitive aux Commissions de politique extérieure. Une telle solution contreviendrait à la pratique qui s'est développée jusqu'à maintenant et qui a fait ses preuves. Or il se justifie de laisser au Conseil fédéral la responsabilité de décider de l'application à titre provisoire des traités pour les deux raisons suivantes: d'abord, cela permettrait au Gouvernement de continuer à user de tous les instruments de négociation utiles, en l'autorisant à offrir, en cours de négociation et dans les cas qui ne présenteraient pas de difficultés, l'engagement de mettre un traité en application à titre provisoire.

Ensuite, la réglementation actuelle est l'expression d'un partage clair des compétences respectives du Parlement et du Gouvernement en matière de politique étrangère.

Si, à l'avenir, la décision d'appliquer à titre provisoire un traité incombait explicitement ­ ou implicitement ­ à une commission parlementaire, la liberté de choix que le Parlement entend se réserver quant à l'approbation dudit traité s'en trouverait menacée plus qu'elle ne l'est maintenant du fait d'une décision du Conseil
fédéral: la position d'une commission parlementaire préjugerait en effet davantage la décision finale d'approbation du traité que la position du Conseil fédéral. Vue sous cet angle, la solution proposée par la minorité de la Commission, qui confère une sorte de pouvoir de décision préalable à une commission parlementaire, ne semble pas judicieuse.

Le Conseil fédéral propose donc de rejeter la proposition de la minorité relative à l'art. 7b, al. 1bis, LOGA.

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