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FEUILLE FÉDÉRALE 109e année

Berne, le 9 mai 1957

Volume I

Paraît, en règle générale, chaque semaine. Prix: 80 francs par an; 16 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement Avis: 60 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des Hoirs C.-J.Wyss, société anonyme, à Berne

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant un article constitutionnel sur l'énergie atomique et la protection contre les radiations (Du 26 avril 1957) Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un projet d'article constitutionnel destiné à servir de base à la future législation sur l'énergie atomique et la protection contre les radiations.

I. INTRODUCTION Depuis le début du siècle, le développement de la technique a créé plusieurs fois des situations qui appelaient des dispositions de droit fédéral et, par conséquent, une addition à la constitution. Nous rappellerons que le développement des usines hydroélectriques et les problèmes qui en résultaient ont motivé, en 1908, l'insertion d'un article 24bis, qui plaçait l'utilisation des forces hydrauliques sous la haute surveillance de la Confédération et autorisait le législateur fédéral à édicter des dispositions sur le transport et la distribution de l'énergie électrique. La motorisation naissante de la circulation routière exigea d'étendre, dans ce domaine également, les attributions législatives de la Confédération. Cela se fit sous la forme d'un article 37 bis, qui fut adopté par le peuple et les cantons en 1921. Il autorise la Confédération à édicter des prescriptions concernant les automobiles et les cycles. Les progrès de l'aviation amenèrent, en même temps, l'adoption d'un article 37 ter déclarant que la législation sur la navigation aérienne est du domaine de la Confédération.

Aujourd'hui, il est de toute évidence que l'utilisation de l'énergie nucléaire suscite une série de problèmes qu'il paraît tout à fait impossible de résoudre sans l'aide de l'Etat. La recherche serait déjà une impossibilité Feuille fédérale. 109e année. Vol. I.

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1170 si l'Etat ne lui affectait pas des sommes considérables. Comme la législation des Etats qui jouent un rôle dirigeant dans le domaine atomique ne permet pas le commerce libre des matières fissibles, l'acquisition des combustibles nucléaires suppose aussi l'intervention de l'Etat. De leur côté, l'entreposage et le transport de substances radioactives, de même que la construction de réacteurs d'essais à des fins scientifiques et de réacteurs de production, posent maint problème touchant aux finances, au droit et à la sécurité. Une tâche particulièrement importante consiste à protéger contre les radiations les personnes occupées dans les installations où fonctionne un réacteur ou dans lea laboratoires atomiques, de même que la zone où sont construits de tels installations et laboratoires. Mentionnons encore la question de la responsabilité civile et de l'assurance.

Bien que cette énumération des différents genres de questions que suscitent la production et l'utilisation de l'énergie atomique ne soit aucunement complète, nous pensons qu'elle montre déjà que ces phénomènes nouveaux exigent des dispositions juridiques particulières. De telles dispositions n'existent cependant aujourd'hui que pour certains secteurs du vaste domaine où se développent la recherche, la technique et l'économie nucléaires. Nous mentionnons ici l'arrêté du Conseil fédéral du 23 août 1951 classant comme matériel de guerre le matériel atomique, les engins atomiques, les machines pour la transformation du noyau atomique, les appareils détecteurs de la radioactivité, etc., et soumettant par conséquent au régime de l'autorisation leur fabrication, acquisition, vente ou distribution. Nous rappelons également l'arrêté fédéral du 18 décembre 1946 encourageant les recherches dans le domaine de l'énergie atomique, l'arrêté fédéral du 21 décembre 1954 encourageant la construction et l'exploitation d'un réacteur atomique et, enfin, l'arrêté fédéral du 21 décembre 1956 approuvant l'accord de coopération entre le gouvernement suisse et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique pour l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, arrêté qui autorise le Conseil fédéral à édicter les prescriptions nécessaires à l'exécution de l'accord.

L'utilisation de l'énergie atomique a manifestement une telle importance économique, sociale et culturelle
qu'une réglementation générale s'impose. A défaut d'une telle réglementation, il y aurait lieu de craindre que le développement de la recherche et de la technique atomiques ne soit entravé dans notre pays par l'insuffisance de l'aide prêtée à la recherche, les difficultés d'acquisition des combustibles nucléaires et l'incertitude quant à la protection de la santé et à l'assurance. Il y aurait alors lieu de redouter, à longue échéance, des inconvénients sérieux d'ordre économique et scientifique. Les conditions d'une activité prometteuse dans le domaine de la recherche atomique seraient considérablement améliorées par l'existence d'une réglementation générale. Pour cette raison également, il importe de mettre sur pied sans retard les dispositions que nécessite l'instauration de ce régime juridique.

1171 Etant donnée la structure federative de notre Etat, on doit, il est vrai, se demander s'il y a lieu de charger la Confédération d'établir les dispositions nécessaires dans le domaine de l'énergie atomique ou s'il ne serait pas préférable de laisser ce soin aux cantons. Quand il s'agit de l'énergie atomique, il n'y a guère lieu d'avoir égard aux particularités régionales qu'on a l'habitude d'invoquer en faveur de la compétence cantonale. Au contraire, il importe en particulier que les prescriptions sur la protection contre les radiations soient applicables à l'ensemble du pays, les dangers que font courir les radiations pouvant, suivant les cas, s'étendre bien audelà des frontières cantonales. Si la Confédération renonçait à établir ses propres dispositions, il en résulterait une dispersion des forces qui nuirait au développement tant économique que scientifique. A cela s'ajoute que, faute de- personnel spécialisé, les cantons ne seraient guère à même d'exercer la surveillance technique exigée par la protection de la population. Si la compétence était laissée aux cantons, la Confédération ne pourrait que difficilement participer aux efforts internationaux qui sont faits -- aussi dans l'intérêt de la Suisse -- pour unifier les diverses législations en vue d'assurer une coopération plus efficace entre les Etats. Rappelons enfin qu'en laissant aux cantons le pouvoir de légiférer, on créerait de grandes difficultés pour le jour où il s'agirait d'exécuter des accords internationaux -- bilatéraux ou multilatéraux -- concernant l'énergie nucléaire (nous pensons par exemple à l'accord conclu entre la Suisse et les Etats-Unis d'Amérique le 21 juin 1956, à l'adhésion de la Suisse à l'agence internationale de l'énergie atomique créée par les Nations Unies et à la participation suisse aux efforts de l'Organisation européenne de coopération économique dans le secteur atomique). Comme dans d'autres domaines d'importance nationale, le besoin d'une législation uniforme, applicable à l'ensemble du territoire de la Confédération, est manifeste. Partout où l'on avait essayé de régler les choses sur la base de la souveraineté cantonale (par ex. en matière de chemins de fer, de forces hydrauliques, de circulation routière et de protection des eaux), il a fallu constater tôt ou tard que, vu le développement enregistré
dans le domaine technique et économique, un transfert de la compétence à la Confédération était une nécessité.

Des considérations générales et des raisons pratiques montrent que, dans le secteur atomique, des dispositions fédérales entrent seules en considération, ce qui ne doit naturellement pas empêcher de déléguer certains pouvoirs aux cantons. Alors que ceux-ci exercent tous les droits qui ne sont pas transférés à la Confédération, celle-ci n'a cependant que les pouvoirs que la constitution lui attribue expressément. L'article 23 de la constitution autorise la Confédération à ordonner à ses frais ou encourager par des subsides les travaux publics qui intéressent la Suisse ou une partie considérable du pays. De l'avis général, la Confédération peut aussi, en vertu d'une compétence accordée tacitement par la constitution, encourager par des subventions appropriées des oeuvres d'intérêt national qui doivent être

1172 accomplies et ne peuvent l'être qu'avec son concours. C'est ainsi que l'Assemblée fédérale, comme nous l'avons dit plus haut, a décidé, en 1946, d'encourager la recherche atomique par des contributions et, en 1954, de faciliter par une aide financière la construction et l'exploitation d'unréacteur atomique.

Les dispositions de portée générale dans le domaine de l'énergie atomique se présentent sous un tout autre aspect que ces arrêtés prévoyant des subventions. La constitution ne contient actuellement aucune disposition spéciale concernant le pouvoir de légiférer en matière d'énergie nucléaire. Mais on doit se demander si la compétence fédérale peut être fondée sur quelque autre disposition constitutionnelle. Si tel n'est pas le cas, il est nécessaire de compléter la constitution par une nouvelle disposition.

Un article constitutionnel spécial doit-il être adopté ? Ou les attributions nécessaires peuvent-elles se fonder sur des dispositions constitutionnelles existantes ? C'est là une question qui ne peut être résolue qu'en considération des faits auxquels devra s'appliquer la future législation fédérale sur l'énergie atomique. C'est pourquoi nous essayerons, dans le chapitre III, de dégager les grandes lignes des problèmes que pose la rédaction d'une loi sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique et la protection contre les radiations. Comme le contenu d'une telle loi dépendra essentiellement de l'état actuel de la recherche, de la technique et de l'économie nucléaires et des perspectives qu'elles offrent, nous croyons indiqué de donner préalablement quelques informations sur les progrès enregistrés et le travail à accomplir dans ces domaines.

IL LE RÔLE DE L'ÉNERGIE ATOMIQUE 1. Les possibilités d'utilisation pacifique de la nouvelle source d'énergie Des considérations purement militaires avaient conduit aux premières dispositions prises pour utiliser l'énergie nucléaire. Mais il apparut bientôt qu'en soumettant à leur contrôle la transformation des noyaux atomiques d'éléments radioactifs, les physiciens avaient ouvert une source d'énergie à peu près incommensurable, qui, bien employée, pourrait être des plus utiles à l'humanité. La conférence atomique internationale qui siégea à Genève en août 1955 sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies révéla au grand public les multiples
possibilités offertes par l'utilisation de l'énergie nucléaire. Suivant le genre et la construction des réacteurs employés, le déclenchement d'une réaction en chaîne sous contrôle sert soit à divers buts scientifiques dans le domaine de la physique, de la chimie, de la médecine, de la biologie et de la technologie, soit à la production d'énergie, la chaleur tirée des combustibles nucléaires étant employée au chauffage ou transformée en courant électrique. Les produits secondaires fournis par

1173 le fonctionnement de réacteurs atomiques ne sont guère moins importants.

Nous pensons ici aux isotopes radioactifs de certains éléments, qui sont déjà produits artificiellement et jouent un rôle considérable dans la recherche scientifique, la médecine, l'industrie et l'agriculture.

L'utilisation de l'énergie atomique à des fins scientifiques, pour l'essai de matériaux dans des réacteurs atomiques, pour la création de nouvelles sortes de plantes au moyen d'isotopes radioactifs, pour le diagnostic médical, pour la thérapie, etc., intéresse surtout les hommes voués à la recherche scientifique et les spécialistes, quand bien même on peut en attendre des conséquences appréciables pour l'hygiène, la technique agricole et industrielle et l'économie en général. En revanche, la production d'électricité à partir de combustibles nucléaires offre, aujourd'hui déjà, maint aspect entièrement pratique, ce qu'il faut attribuer au fait que les sources traditionnelles d'énergie -- le charbon, le pétrole et le butane -- satisferont à la longue toujours moins une demande croissante et que l'exploitation de nouvelles forces hydrauliques rencontrera tôt ou tard les limites tracées par la rentabilité et la technique. Le développement industriel des pays économiquement sous-développés, dont les besoins croissants en énergie et en chaleur ne pourront guère être couverts par les sources traditionnelles d'énergie, pose des problèmes particulièrement ardus. On constate ainsi que l'humanité ne pourra probablement pas conserver et élever son niveau de vie actuel si elle ne réussit pas à tirer parti des réserves d'énergie et de chaleur contenues dans l'atome.

L'évolution est très rapide dans tout le domaine de la recherche et de la technique atomiques. Là où des réacteurs sont construits, à des fins de recherches, d'essais ou de production, l'esprit inventif de l'homme fait apparaître sans cesse des constructions nouvelles, dont les possibilités d'application devront être démontrées par la pratique. Il n'est pas possible de dire d'ores et déjà quels types de réacteurs se révéleront les meilleurs.

Si, après avoir surmonté de sérieuses difficultés techniques, on arrivait à créer et exploiter un type de réacteur dans de bonnes conditions de rentabilité, il serait à prévoir que l'énergie électrique produite par les usines
atomiques -- aujourd'hui sensiblement plus coûteuse que l'énergie thermique ou hydraulique -- deviendrait nettement meilleur marché. En réglant et contrôlant le processus de fusion, les savants réussiront peut-être, un jour, à mettre à disposition des utilisations pacifiques les immenses quantités d'énergie libérées par la fusion des noyaux atomiques de l'eau lourde.

Dans ce cas, des perspectives toutes nouvelles s'ouvriraient à l'homme dans le secteur de la production d'énergie et de chaleur.

Les problèmes qui se posent aux chercheurs et aux techniciens en matière atomique ne sont aucunement limités à la recherche de nouvelles possibilités d'utilisation de l'énergie nucléaîre et de meilleurs procédés de production de l'énergie. Les nombreuses mesures à prendre pour prévenir l'effet nocif des radiations ont une importance telle que la recherche dans

1174 ce domaine est devenue une branche particulière de la science atomique.

L'élimination des déchets radioactifs résultant de l'exploitation des réacteurs et de la production de matières fissiles représente un problème sui generis. Il est possible que la solution qui sera donnée à la question de savoir si les résidus radioactifs peuvent être rendus inoffensifs ou même utilisés avec profit par des procédés techniques absolument sûrs décidera du mode d'utilisation future de l'énergie atomique. Les mesures de protection se présenteraient sous un jour tout différent si l'on arrivait à utiliser l'énergie atomique par fusion au lieu de fission. On peut s'attendre, dans ce cas, à la disparition d'une grande partie des difficultés qu'offre la protection contre les radiations. Une dernière tâche importante doit être mentionnée. Il s'agit des mesures efficaces à prendre pour protéger l'humanité contre un emploi abusif de matières fissiles ou de produits de la fission présentant un danger.

2. Les eïïorts faits à l'étranger Pendant la seconde guerre mondiale, ce furent surtout les Etats-Unis d'Amérique qui poussèrent les recherches et la technique atomiques. Il s'agissait d'une activité commandée par des raisons militaires et exercée à l'aide de ressources considérables. Après la guerre, l'Union soviétique et la Grande-Bretagne cherchèrent à rattraper ce retard. Dans le domaine de l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, les Etats-Unis, qui disposent d'abondants gisements de matières premières (pétrole, butane, charbon) et d'importantes forces hydrauliques non exploitées, portèrent leurs premiers efforts surtout sur la recherche des diverses possibilités d'utilisation de la nouvelle forme d'énergie et moins sur les réalisations pratiques. On y examina de nombreux types de réacteurs pour déterminer s'ils sont utilisables et rentables, mais on n'y a achevé qu'un petit réacteur destiné à la production générale de courant. Une grosse somme de travail pratique a été en revanche fournie dans le secteur de l'utilisation des isotopes à des fins médicales, agricoles et industrielles. Ce n'est que tout récemment que les Etats-Unis ont commencé à construire une série de grands réacteurs à but de production, L'Angleterre, qui a souvent de la peine à couvrir ses besoins en énergie, s'appliqua, au contraire,
à mettre la nouvelle forme d'énergie au service de la production électrique. De bonne heure, de vastes programmes de construction d'usines atomiques furent élaborés. Ils furent par la suite modifiés plusieurs fois dans le sens d'une extension et d'une accélération. La première des installations en exploitation est située à Calder Hall et peut produire 92 000 kW. Une seconde grande usine en est à ses débuts. Depuis l'été dernier, la France a, à Marcoule, sa première usine atomique, qui contribue à l'alimentation du réseau de fourniture de courant.

A fin 1956, il y avait dans le monde 76 réacteurs servant aux recherches, aux essais de matériaux ou à la production d'énergie. 53 d'entre eux étaient installés aux Etats-Unis et 10 en Angleterre. On construisait à cette époque

1175 38 réacteurs de recherches et 27 réacteurs de production et préparait la construction de 198 autres (71 de la première sorte, 127 de la seconde).

On peut se faire une idée approximative des efforts américains si l'on pense que quelque 15 000 savants et spécialistes sont au service de l'autorité atomique suprême, l'«Atomic Energy Commission», et des entreprises privées au bénéfice d'une licence de cette autorité et que le total des personnes occupées dans le secteur atomique est évalué à 140 000. Suivant les informations fournies par l'<
Il ressort du dernier rapport de gestion de l'autorité britannique compétente en matière atomique («Atomic Energy Authority») que cette autorité occupe 24 000 personnes. Précisons qu'il s'agit non seulement de chercheurs et de spécialistes mais aussi d'autres personnes. Abstraction faite des réacteurs d'essais, l'Angleterre, qui exploite déjà un réacteur à fins de production, compte en construire dans un délai de dix ans dix-huit autres, d'une puissance moyenne de 300 000 kW. Les crédits ouverts pour l'exécution du programme de recherches et de construction durant la période 1956/1957 se montent à 68 millions de livres, ce qui correspond à quelque 820 millions de francs.

La France a, elle aussi, fait de grands efforts pour ne pas demeurer en
arrière. Elle peut enregistrer des résultats remarquables dans le domaine des recherches. Elle possède des centres de recherches à Saclay et Châtillon, où sont installés divers réacteurs d'essais. Un autre centre est en voie de création à Grenoble. On y prévoit la construction de deux usines à grande puissance, qui s'ajouteraient à l'usine de Marcoule déjà en exploitation.

A fin 1955, le commissariat français pour l'énergie atomique occupait 5421 personnes, dont 2200 dans le centre de Saclay. Le budget du commissariat pour 1956 se montait à 60,7 milliards de francs français.

L'Union soviétique s'emploie très activement à développer la production d'énergie atomique à des fins civiles. Selon des informations parues

1176 dans la presse, il y avait dans ce pays, en juillet 1956, quatre réacteurs en exploitation, l'un servant à la production d'énergie, les autres à des recherches. Un cinquième était encore en construction. Nous n'avons pas pu recueillir d'autres renseignements.

Divers autres pays ont montré qu'ils entendaient faire des efforts pour ne pas demeurer en arrière, quand bien même ils se trouvaient, à maint égard, dans des conditions moins favorables que les puissances à la tête du mouvement. Le Canada avait achevé, en 1945 déjà, la construction du premier réacteur installé hors des frontières des Etats-Unis. Un second suivit deux ans plus tard. L'un et l'autre servent surtout à des recherches.

La Suède a commencé l'exploitation d'un réacteur d'essais. Une société par actions, à caractère mixte, projette la construction de cinq autres réacteurs, dont un réacteur de recherches qui travaillera avec de l'uranium enrichi. Deux des installations projetées seront construites avec le concours d'entreprises électriques et auront une puissance de 75 000 et 100 000 kW.

Pour accélérer l'exécution du programme, la Suède a commandé, il y a quelque temps, aux Etats-Unis un réacteur de 30 000 kW. L'Allemagne, qui jouait avant la guerre un rôle de premier plan dans le domaine de la recherche atomique, n'a pu reprendre son activité qu'en 1955. Le programme de la République fédérale prévoit trois phases, qui, jusqu'à un certain point, chevauchent les unes sur les autres. Dans la première phase, il s'agira surtout d'encourager les travaux de recherche et de développement dans les universités et instituts. La deuxième sera celle de la construction de réacteurs à des fins de recherches et d'enseignement dans sept villes universitaires. La troisième sera celle de l'utilisation économique de l'énergie atomique. Selon les informations fourmes par le ministre chargé des questions atomiques, il s'agirait de mettre en exploitation jusqu'en 1975 des réacteurs de tout genre d'une puissance totale de 2,8 à 3 millions de kW.

En Amérique du Sud, le Venezuela à installé dans les environs de Caracas un centre de recherches comprenant vingt-sept bâtiments et installations modernes et a ouvert pour ces dix prochaines années un crédit de 50 millions de dollars.

Il est difficile de confronter arithmétiquement les dépenses faites par
les divers Etats pour la recherche et le développement dans le secteur atomique. Cela est dû en particulier au fait que certains pays y englobent les dépenses destinées à des fins militaires tandis que d'autres -- la Suisse notamment -- indiquent des chiffres qui, en raison de la structure de l'Etat et du régime de liberté économique, ne représentent pas le total des dépenses. Nous mentionnerons cependant, à ce propos, que, suivant une estimation récente d'un groupe de travail international, la Suisse vient en queue dans la liste des pays pour lesquels on a établi le chiffre des dépenses faites par tête de population. Même si cette liste ne permet pas de conclusions tout à fait sûres, elle montre que d'autres Etats ont dépensé jusqu'à présent beaucoup plus que nous pour la recherche atomique.

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3. Les efforts faits jusqu'à présent par la Suisse Jusqu'à la seconde guerre mondiale, la Suisse figurait en très bon rang parmi les pays s'occupant de recherches atomiques. Le cyclotron de fabrication suisse qui fut présenté à l'exposition nationale de 1939 et devait être affecté à l'institut de physique de l'école polytechnique fédérale était considéré comme quelque chose de remarquable. C'était le deuxième appareil de ce genre qui eût été achevé. Par suite de la guerre, notre pays se laissa fortement dépasser par les Etats qui cherchaient à pousser la recherche et la technique nucléaires à des fins stratégiques ou en vue de la production d'énergie. La recherche fut, en Suisse, entravée surtout par le fait qu'on ne pouvait se procurer de l'uranium pendant la guerre et les premières années d'après-guerre. Les organes de la Confédération et le monde dé la science et de l'économie suivirent néanmoins attentivement les progrès de la recherche et de la technique à l'étranger et ne manquèrent aucune occasion propice pour s'insérer dans le mouvement.

Les efforts qui ont été faits en Suisse dans ce domaine ayant déjà été exposés brièvement dans notre message du 31 juillet 1956 concernant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement suisse et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique pour l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, nous pouvons nous borner à donner quelques explications générales et complémentaires. Rappelons toutefois que le Conseil fédéral a constitué une commission suisse d'étude pour l'énergie atomique en novembre 1945 déjà, à une époque où les possibilités d'utilisation pacifique de la nouvelle énergie étaient encore complètement inconnues. Cet organisme, composé de représentants de la science et de la recherche scientifique, de l'industrie et de la Confédération, fut chargé de stimuler les travaux de recherches dans le domaine de la physique nucléaire et de faire des propositions en vue de l'appui financier à leur donner. A cet effet, une somme de 6 millions de francs fut mise à la disposition de la commission pour les années 1946 à 1955, en vertu de l'arrêté fédéral du 18 décembre 1946 encourageant les recherches dans le domaine de l'énergie atomique.

La commission d'étude a, par exemple, ordonné et encouragé des recherches concernant la teneur du minerai en
uranium, l'obtention d'uranium pur, la fabrication d'eau lourde en Suisse, l'utilisation d'isotopes radioactifs en vue d'élucider certaines questions biologiques, etc. Comme on n'a pas trouvé en Suisse de gisements de matières fissiles qui vaudraient la peine d'être exploités, la commission s'est efforcée, dès le début, d'obtenir ces matières nécessaires au fonctionnement de réacteurs. Cependant, elle n'y parvint qu'en 1954, en raison du fait que les pays producteurs de matières fissiles avaient interdit leur exportation.

Notons aussi qu'il existe depuis l'été 1955 une commission administrative interdépartementale spéciale pour les questions atomiques, qui est chargée d'élucider les problèmes d'ordre administratif. Au début de 1956, le Con-

1178 seil fédéral a en outre constitué dans son sein une délégation spéciale pour les problèmes de l'énergie atomique. Le poste de délégué du Conseil fédéral pour les questions atomiques a été confié à M. Otto Zipfel, ancien délégué aux possibilités de travail.

La construction d'un réacteur atomique suisse avait été envisagée dès 1946 (voir le message du 17 juillet 1946, concernant l'encouragement des recherches dans le domaine de l'énergie atomique). La commission d'étude pour l'énergie atomique s'est maintes fois occupée de ce problème.

De son côté, l'économie privée reconnut à temps l'importance de la construction d'un réacteur et entreprit, en collaboration et en contact étroit avec l'école polytechnique fédérale, diverses études préliminaires auxquelles elle consacra d'importantes sommes d'argent. Différents projets étaient déjà largement mis au point lorsque se présenta, pour la première fois, au cours de l'hiver 1954/1955, la possibilité concrète d'acquérir à des conditions supportables de l'uranium en tant que combustible nucléaire, ainsi que de l'eau lourde servant de modérateur. Ainsi, la construction d'un réacteur atomique suisse était enfin devenue possible et ne dépendait plus, pour l'essentiel, que de son financement. Sur l'initiative prise par des milieux privés, fut créée le 1er mars 1955 une société d'études, la Réacteur S. A., au financement de laquelle participèrent 141 entreprises suisses de différentes branches économiques. Elle se chargea de construire et d'exploiter le réacteur. Le capital-actions, d'un montant de 1,6 million de francs, ainsi que d'autres versements supplémentaires, d'un montant de 14,6 millions de francs, ont été fournis par l'économie privée. Par arrêté fédéral du 21 décembre 1954, la Confédération s'est déclarée prête à soutenir la construction et l'exploitation du premier réacteur atomique suisse par une contribution de 11,8 millions de francs.

En contre-partie, la société d'études s'est engagée, par contrat, à limiter son activité aux recherches, à rendre les plus récentes découvertes accessibles à la science et à l'industrie, à communiquer contre rémunération à des entreprises suisses, pour leur permettre d'en tirer profit, les découvertes techniquement utilisables et à faire autant que possible appel, pour l'exploitation du réacteur, à la collaboration
de représentants des hautes écoles suisses et des entreprises industrielles intéressées. Les recettes de la société provenant de la mise en oeuvre des résultats des recherches ou de la vente d'isotopes radioactifs doivent servir à couvrir les dépenses courantes d'exploitation. Un dividende ne pourra pas être versé pendant la durée de validité des contrats conclus avec la Confédération, ni au cours des deux années qui suivront leur expiration. Bien que ne participant pas au capital-actions, la Confédération s'est réservé divers droits de contrôle et d'approbation; elle délègue aussi trois représentants dans le conseil d'administration de la Réacteur S. A.

L'installation entreprise par la Réacteur S. A. à Wurenlingen dans le canton d'Argovie sera vraisemblablement achevée au cours de l'année

1179 1959. Elle consistera en un réacteur d'essai thermique et hétérogène et est conçue comme devant précéder immédiatement celle du véritable réacteur de production. L'uranium naturel (U 238) sera utilisé comme combustible nucléaire et l'eau lourde comme modérateur. Au début, l'installation était prévue pour la fourniture d'une production thermique représentant 10 000 kilowatts; grâce aux renseignements recueillis à la conférence de Genève sur l'énergie atomique concernant la construction de réacteurs, les plans initiaux ont pu être modifiés et complétés et la capacité de l'installation être accrue d'environ un quart. L'énergie produite par la transformation nucléaire dans le réacteur apparaît sous la forme de chaleur; celle-ci est enlevée du réacteur au moyen d'un conducteur (par ex., eau légère ou lourde, dioxyde de carbone) et peut être utilisée pour actionner une turbine à vapeur ou à gaz raccordée à un générateur de courant. Il n'est cependant pas prévu de machine thermique ni de générateur pour l'installation d'essai à Wurenlingen; l'utilisation de la chaleur obtenue par transformation nucléaire a été réservée au réacteur de production à construire plus tard.

Ajoutons que la Confédération a saisi l'occasion d'acquérir le réacteur Swimming-Pool exposé lors de la conférence de Genève par la commission américaine de l'énergie atomique et qu'elle l'a cédé au prix d'achat à la Eéacteur S. A. pour des expériences et la formation du personnel, n s'agit ici aussi d'une installation d'essai; le combustible est de l'uranium enrichi et le modérateur, de l'eau légère; il développera une puissance thermique de 1000 kilowatts.

Etant donné que, manifestement, la Suisse est obligée -- et continuera de l'être -- de collaborer avec d'autres Etats tant pour se procurer des matières fissiles que pour échanger des résultats de recherches, nous avons, dès le début, prêté toute l'attention nécessaire aux efforts internationaux dans ce domaine. La Suisse fait partie de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) depuis sa fondation en 1953. Cette organisation vise des buts de caractère scientifique et est en train de construire à Genève un laboratoire de recherches nucléaires équipé d'appareils les plus modernes. La Confédération comme aussi le canton de Genève ont encouragé la construction de
ce centre international de recherches en lui accordant diverses facilités. Notre pays a aussi adhéré à l'organisme international créé par les Nations Unies sous le nom d'agence internationale de l'énergie atomique. Selon son statut actuel, cette institution doit s'occuper principalement de la répartition des combustibles nucléaires et de l'application de mesures internationales de contrôle. Notre pays a aussi pris part de façon active aux pourparlers qui eurent Heu au sein de l'Organisation européenne de coopération économique. H est représenté dans le comité européen de direction pour l'énergie atomique et dans différents organismes d'étude et groupes de travail pour l'encouragement de la recherche scientifique, la formation de spécialistes, la création d'entreprises communes et la protection contre les radiations.

1180 Mentionnons enfin l'accord de coopération entre la Suisse et les EtatsUnis d'Amérique pour l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, conclu le 21 juin 1956, que nous avons soumis à l'approbation des conseils législatifs par notre message du 31 juillet 1956. Cet accord permettra à notre pays de se procurer en Amérique des appareils et objets d'équipement, des matières fissiles et des informations confidentielles. Des négociations sont en cours avec les gouvernements français, britannique et canadien en vue de la conclusion d'accords pour l'utilisation pacifique de l'énergie atomique.

La nécessité de suivre l'évolution des recherches et de la technique atomiques est devenue une affaire vraiment vitale pour notre pays. Privée de nappes pétrolifères et de gisements de charbon, la Suisse s'emploie à exploiter intensivement ses sources d'énergie les plus importantes, à savoir les forces hydrauliques. Mais nos propres sources d'énergie ne permettent actuellement de couvrir qu'environ 33 pour cent de la totalité de nos besoins bruts en énergie (forces hydrauliques 24, bois de feu 9) ; pour le reste, nous sommes tributaires de l'étranger. En dépit de très gros efforts en vue de développer nos forces hydrauliques, efforts qu'il faut soutenir par tous les moyens, la couverture de nos besoins en énergie et en chaleur nous imposera la nécessité d'augmenter encore l'importation d'énergie étrangère sous la forme de charbon et de combustibles liquides. Les spécialistes considèrent par exemple que si toutes nos forces hydrauliques utilisables peuvent être exploitées dans les limites de leur rentabilité, jusqu'en 1975, l'importation de produits étrangers, solides et liquides, devrait être, à ce moment-là, à peu près deux fois plus élevée qu'en 1955 et que --- si les importations de charbon ne peuvent pas être sensiblement accrues -- celle des combustibles et carburants liquides devrait, à elle seule, être triplée.

Ces perspectives ne sont pas du tout réjouissantes, d'autant moins que l'on ne peut guère s'attendre à une augmentation notable de la production européenne de charbon, que les importations de combustibles liquides ne sauraient être indéfiniment accrues et qu'elles courent en outre le risque -- l'expérience l'a montré -- d'être troublées par des événements contre lesquels nous n'avons aucune
possibilité d'agir. C'est pourquoi les représentants de l'économie électrique estiment que l'on ne devrait pas plus tarder à construire quelques petits réacteurs atomiques destinés à produire du courant électrique, ne serait-ce déjà que pour recueillir des expériences au sujet de leur fonctionnement et de former le personnel nécessaire.

Mais, pour d'autres raisons encore, il est de toute importance pour notre avenir de mettre nos recherches et notre technique au service de l'économie atomique. Les entreprises industrielles qui fabriquent et exportent des générateurs, des turbines à gaz et à vapeur, des échangeurs

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de chaleur, des instruments de mesure et de contrôle, etc., doivent se familiariser à temps avec le fonctionnement de ces appareils et installations lorsqu'ils sont raccordés à des réacteurs atomiques. En effet, notre industrie d'exportation ne pourra, à la longue, maintenir son rang dans la concurrence internationale que si elle met au plus tôt sur le marché des constructions satisfaisant suffisamment aux exigences particulières du fonctionnement des réacteurs. De même, l'industrie suisse des instruments et appareils doit se livrer assez tôt à la fabrication d'engins atomiques spéciaux, de pièces destinées aux réacteurs, etc. Notre pays devrait en outre être en mesure d'offrir en temps opportun des machines atomiques complètes pour la production d'énergie, y compris des réacteurs atomiques. Les entreprises chimiques, notamment, ne manqueront pas de s'intéresser à l'utilisation des produits accessoires provenant de la transformation nucléaire, en particulier des isotopes radioactifs. Dans ce domaine, toutes sortes d'appareils et installations d'un genre nouveau sont cependant aussi nécessaires, ce qui ouvre devant l'esprit inventif de nos ingénieurs et techniciens des possibilités presque inépuisables. Mais cela suppose des travaux préliminaires de grande envergure, qui dépendent aussi, en partie, des dispositions que la Confédération prendra dans le domaine de l'utilisation civile de l'énergie atomique.

III, LES PROBLÈMES QUE POSE LA FUTURE LEGISLATION Nous sortirions du cadre du présent message en donnant des précisions sur la loi qu'on prépare en vue de régler l'utilisation pacifique de l'énergie atomique et la protection contre les radiations. Nous pensons cependant intéresser les conseils législatifs et le public en indiquant approximativement la direction que nous comptons suivre en élaborant la loi.

Dans d'autres pays également, on est occupé à préparer des lois sur l'énergie atomique. Les voies suivies ne se distinguent cependant pas encore suffisamment les unes des autres pour qu'on puisse donner quelques précisions à ce sujet.

1. L'encouragement de la recherche et la formation des spécialistes Considérant l'importance des travaux de recherche et de développement dans le domaine de l'énergie nucléaire, la Confédération soutient aujourd'hui déjà certaines activités en vertu des arrêtés
fédéraux pris en 1946 et 1954. Vu les conditions particulières qui existent dans le secteur de la recherche et de la technique atomiques (nous pensons notamment au retard à rattraper en matière de recherche), il paraît indiqué de mettre les autorités fédérales, s'il le faut d'une façon toute générale, en mesure

1182 d'exercer une influence sur la recherche en l'encourageant. Il ne pourra naturellement jamais s'agir de diriger véritablement la recherche. Nous envisageons en revanche une coordination de certains travaux de recherche et de développement, combinée avec des prestations financières de la Confédération. Il y aura lieu de vouer une attention toute particulière à la formation de spécialistes et au développement des connaissances de ceux qui ont terminé leurs études universitaires, sans quoi il ne serait pas possible de rattraper en temps utile notre retard dans la recherche et la technique atomiques. Dans la loi, on pourra se borner à poser quelques principes, puisqu'il y aura lieu de soumettre aux conseils législatifs des projets spéciaux concernant ces mesures d'encouragement.

2. La participation de la Confédération à la construction d'installations atomiques

Comme nombre de problèmes d'ordre scientifique ou technique ne peuvent être résolus qu'au moyen d'expériences pratiques avec un réacteur, la Confédération doit, si elle veut encourager efficacement la recherche et la technique, pouvoir continuer à verser des subventions pour la construction et le fonctionnement de réacteurs ou d'autres installations atomiques. Tant qu'il s'agira d'installations pour essais, pleines de risques, et non pas d'installations à fins de production, il est peu probable que les milieux de l'économie soient disposés à supporter eux-mêmes tous les frais extrêmement élevés de ces installations. D'autres prestations entrent cependant en considération, à côté des subventions. Nous ne pensons néanmoins pas qu'il faille insérer à ce sujet des dispositions particulières dans la loi sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique et sur la protection contre les radiations. Il conviendra, au contraire, de soumettre aux conseils législatifs, dans chaque cas, un projet spécial, qui précisera en même temps les conditions et charges attachées par la Confédération aux subventions ou facilités accordées, 3. Les conditions pour la création et le fonctionnement d'installations atomiques

Une des questions les plus importantes que devra régler la future loi sera celle des conditions à remplir pour qu'un réacteur ou une installation destinée à produire ou traiter des combustibles nucléaires puisse être construit et exploité. H s'agira alors de tenir compte du régime foncièrement libéral auquel est soumise notre économie, des dangers que comporte le processus de production et des contingences internationales.

La construction et le fonctionnement d'installations atomiques devront en tout cas être subordonnés sous une forme ou une autre à l'autorisation

1183 des pouvoirs publics et être soumis à la surveillance de l'Etat. En autorisant des installations et en exerçant la surveillance, les autorités devront se préoccuper des dangers auxquels sont exposés l'intégrité corporelle et la propriété et prendre les mesures appropriées pour les prévenir. Elles doivent en outre assurer la sécurité extérieure de la Suisse et l'observation de ses engagements internationaux.

4. Les matières premières et les combustibles nucléaires, les machines et les appareils Comme telles, les matières premières (notamment l'uranium et le thorium naturels, le minerai, les concentrés, les combinaisons et alliages de ces deux éléments) ne sont pas une source particulière de dangers.

H est cependant recommandable de soumettre, pour des raisons de contrôle, leur importation, leur transit et leur exportation à des dispositions spéciales.

Les combustibles nucléaires, tels que le plutonium, l'uranium 233, l'uranium 235, de même que l'uranium 238 enrichi par la fission d'une de ces matières, sont en revanche extrêmement dangereux par eux-mêmes. Pour assurer une surveillance suffisante, il conviendrait de régler par la loi non seulement l'importation, le transit et l'exportation, mais encore la production, le traitement et l'utilisation, l'entreposage et le transport et toute autre forme de détention de ces combustibles nucléaires et autres matières radioactives.

Dans certaines circonstances, il ne suffira pas de surveiller le trafic des combustibles nucléaires. Si la couverture des besoins du pays l'exige, il pourra être indiqué que la Confédération achète elle-même des matières premières et des combustibles nucléaires pour les mettre ensuite à la disposition de ceux qui exploitent des installations atomiques au bénéfice d'une autorisation. Ainsi, la Confédération peut seule, à l'heure actuelle, se procurer des combustibles nucléaires. Pour acquérir ce droit, elle a dû (comme par exemple dans l'accord avec les Etats-Unis) prendre des engagements très précis au sujet des matières mises à sa disposition et des informations les concernant. Elle devra certainement donner des assurances semblables dans l'avenir, qu'il s'agisse d'accords à conclure avec différents Etats ou avec l'agence internationale pour l'énergie atomique ou encore avec l'autorité atomique de l'Organisation européenne
de coopérative économique.

Les installations de production et les appareils employés par la technique atomique peuvent, eux aussi, causer des dangers. Il peut donc paraître nécessaire d'autoriser la Confédération, aux fins de contrôle, à soumettre au régime du permis l'importation, le transit et l'exportation de ces machines, installations et instruments, mais non pas l'acquisition et la cession dans le pays.

118é 5. la protection contre les radiations nocives II importe de veiller à ce que les radiations n'altèrent pas la santé des personnes travaillant dans les installations atomiques et de la population résidant dans le voisinage de ces installations. S'il existe des prescriptions de protection suffisantes et si leur application est rigoureusement surveillée, le danger des radiations ne sera, semble-t-il, pas très grand. Il ressort des rapports de 1'«Atome Energy Commission» des Etats-Unis, del'«Atome Energy of Canada Ltd» et du conseil de la recherche médicale de l'Angleterre que les cas de dommages dans les installations atomiques ont été jusqu'à présent très peu nombreux et que le pourcentage des accidents est sensiblement inférieur à, celui qui est enregistré dans les mines ou dans la production d'énergie électrique. Le fait paraît devoir être attribué à la crainte des dangers, laquelle incite l'exploitant à prendre toutes les précautions et le personnel à se montrer très prudent. L'une des tâches principales de la future législation atomique consistera néanmoins à assurer une protection aussi efficace que possible contre les radiations nocives.

La pierre angulaire de toute réglementation destinée à prévenir les dangers des radiations sera le principe selon lequel quiconque s'occupe de radiations radioactives ou exploite des installations émettant de telles radiations doit prendre toutes les précautions qui s'imposent, selon l'expérience, l'état de la technique et les circonstances, pour empêcher que des personnes ou des biens ne subissent des dommages. La production et l'utilisation de l'énergie atomique ne sont pas seules à constituer un danger pour le public. L'emploi toujours plus fréquent d'isotopes radioactifs dans les hôpitaux, laboratoires, établissements d'essais, etc., expose, lui aussi, de nombreuses personnes à des radiations nocives. H est ainsi évident que les mesures à prendre pour prévenir les dangers causés par les isotopes doivent être prévues dans les dispositions à édicter au sujet de la protection contre les radiations. Vu la parenté existant entre les rayons Röntgen et la radioactivité, il convient d'inclure le premier de ces domaines -- où la protection contre les radiations ne paraît pas encore complètement assurée -- dans les dispositions protectrices.

Pour protéger la
santé des personnes occupées dans les installations atomiques, on devra envisager non seulement des mesures d'ordre technique mais aussi des mesures prophylactiques d'ordre médical, telles que surveillance constante de l'état de santé des ouvriers et employés, réglementation spéciale de la durée du travail, octroi de vacances prolongées et interdiction de l'emploi de jeunes gens. Les dispositions à prendre pour protéger la population devront chercher aussi à empêcher que l'atmosphère, le sol et l'eau ne deviennent radioactifs. On sera obligé de faire des mesures sur la radioactivité aux alentours des réacteurs et autres installations atomiques. Des règles spéciales devront aussi être édictées au sujet du transport des substances radioactives. Une tâche d'une grande

1185 importance consistera à établir des dispositions concernant l'élimination des produits inutilisables (cendre radioactive). Pour que l'air, le sol et l'eau demeurent purs, il y aura lieu d'empêcher l'évaporation de ces produits, leur enfouissement et leur évacuation dans les rivières et les ruisseaux.

Dans des cas particuliers, une autorisation ne pourrait être donnée que pour de petites quantités et à la condition que des précautions spéciales soient prises.

En ce qui concerne les dispositions d'ordre juridique en matière de protection contre les radiations, nous ne croyons pas qu'il soit judicieux de les insérer, sous une formo détaillée, dans la future loi fédérale sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique. Comme tout est, pour le moment, en mouvement dans ce domaine, il serait bien préférable de ne faire figurer dans la loi que la règle générale et de confier au Conseil fédéral le soin d'édicter les dispositions d'exécution. C'est ainsi que l'on avait pratiqué pour les installations à fort et à faible courant, où l'on a une loi du 24 juin 1902 et deux ordonnances du 7 juillet 1933 qui concernent l'une les installations à fort courant, l'autre les installations à faible courant.

Pour prévenir des difficultés de délimitation et d'interprétation, le nouvel article constitutionnel doit également être rédigé de manière à donner à la Confédération non seulement le pouvoir de légiférer en matière d'énergie atomique mais aussi celui d'édicter les dispositions sur la protection contre les dangers des rayons ionisants.

6. Les problèmes do la responsabilité civile et de l'assurance Etant donnés les grands risques qu'impliqué le fonctionnement de réacteurs et autres installations atomiques, on constate d'emblée que les dispositions du code des obligations sur la responsabilité en cas de faute ne peuvent assurer une protection suffisante. Nous avons actuellement une responsabilité causale dans le domaine des chemins de fer, des installations électriques et de la circulation automobile. Nous devrons instituer un régime semblable dans le secteur atomique, de façon que l'exploitant, indépendamment de toute faute de sa part, couvre les dommages -- peutêtre considérables -- causés par son installation. H s'agira, en l'occurrence, de régler des problèmes particuliers en matière d'assurance et
de garantie.

Les problèmes en relation avec la responsabilité civile et l'assurance ne sont pas encore éclaircis. Nous présenterons des propositions concrètes dans le projet de loi qui sera fondé sur l'article constitutionnel.

7. Les dispositions pénales II ne serait pas bon que l'insertion de dispositions pénales trop nombreuses dans la future législation atomique donne l'impression qu'un esprit policier aurait fait intrusion dans le domaine de l'utilisation de l'énergie atomique à des fins pacifiques. Certes, on comprend que les Etats qui Fzuille, fédérale. 109« année. Vol. I.

82

1186

attachent une importance particulière à l'utilisation militaire de l'énergie nucléaire répriment très sévèrement la divulgation de connaissances scientifiques et de données techniques qui doivent être tenues secrètes dans l'intérêt de la défense nationale. Mais il semble que la Suisse puisse se contenter de compléter les dispositions de son code pénal sur la violation de secrets de fabrication et d'affaires.

On sera en outre obligé d'édicter quelques dispositions pénales spéciales pour se protéger contre les dangers atomiques particuliers. IL s'agira notamment de réprimer la mise en danger intentionnelle de la vie humaine et de la propriété d'autrui au moyen de combustibles nucléaires et autres substances radioactives.

8. Les mesures d'organisation Le Conseil fédéral s'efforcera de créer, pour l'exécution des tâches que lui confiera la loi, une organisation simple. Certains droits devront cependant être confiés aux services chargés de contrôler l'application de la loi: droit de demander des informations et des rapports, droit de pénétrer dans des installations et bureaux, droit de prendre connaissance des livres de l'entreprise, etc., cela dans la mesure nécessaire à l'exercice des attributions. Ces droits de contrôle ont une importance pratique déjà du fait que le Conseil fédéral, dans l'accord conclu avec les Etats-Unis, a dû s'engager à autoriser des représentants de la commission américaine de l'énergie atomique à opérer, avec le concours de spécialistes suisses, les contrôles prévus dans l'accord. Le statut de l'agence internationale de l'énergie atomique, ratifié par la Suisse, prévoit, sur le plan multilatéral, des contrôles analogues.

IV. LA DISPOSITION CONSTITUTIONNELLE 1. La nécessité d'un nouvel article constitutionnel Relevons d'emblée que M. Schoch, président du Conseil des Etats, a rédigé un avis circonstancié sur cette question et qu'il y conclut à la nécessité d'insérer une nouvelle disposition dans la constitution.

La législation relative aux questions atomiques embrassera des prescriptions d'ordre très varié. Il se peut aussi que, par-delà la réglementation esquissée plus haut, on doive envisager des interventions étatiques d'une plus grande ampleur. Il faudra, à notre avis, s'efforcer d'instaurer un régime aussi libéral que possible, mais on devra en tout cas se garder de
limiter trop étroitement les pouvoirs du législateur. Constatons à ce propos que la Confédération pourra être appelée à édicter des dispositions sur les points suivants : a. Encouragement de la recherche; 6. Encouragement de l'économie atomique;

H87 c.

d.

e.

/.

g.

h.

t.

k.

l.

Bégaie fédérale, associée à un système de concessions ; Limitations d'ordre économique; Protection de la population contre les dommages; Protection des travailleurs contre les dommages; Responsabilité civile; Obligation de contracter une assurance ou de fournir des sûretés; Sauvegarde de la sécurité extérieure du pays; Engagements internationaux; Dispositions pénales.

Il s'agit d'examiner ici si la constitution permet déjà à la Confédération de légiférer sur ces différents objets ou s'il est au contraire besoin d'un nouvel article constitutionnel pour lui en donner la compétence.

a. Jusqu'ici, la Confédération, pour encourager les recherches scientifiques, a usé d'une compétence reconnue tacitement. On peut toutefois se demander si, sans une nouvelle disposition constitutionnelle, elle aurait le droit de poursuivre une oeuvre d'encouragement de grande ampleur, qui impliquerait la formation rapide de notre relève scientifique.

6. H serait peut-être possible de fonder les mesures d'encouragement de l'économie atomique sur l'article 31 bis, 2e alinéa, de la constitution s'il s'agissait avant tout de stimuler certaines branches économiques ou professionnelles. Mais les mesures à envisager dans ce domaine auront pour principal objet de favoriser, d'une manière toute générale, le développement de l'énergie atomique. H semble donc que l'article susindiqué n'offre pas une base constitutionnelle suffisante.

c. L'institution d'une régale fédérale -- qui n'est pas prévue pour le moment -- aurait pour effet de réserver à l'Etat le droit de créer et d'exploiter des installations atomiques. L'Etat pourrait alors accorder à son gré des concessions à des entreprises. La constitution ne permet actuellement pas d'adopter une telle mesure.

d. Abstraction faite d'une régale fédérale, la Confédération ne saurait arrêter des mesures d'ordre économique restreignant la liberté du commerce et de l'industrie que dans les limites tracées par l'article 31 bis, 3e alinéa, de la constitution. Il faudrait donc que soient réunies les conditions étroitement définies qu'établit cette disposition.

e. En ce qui concerne la protection de la population contre les dommages qu'elle pourrait subir par le fait d'entreprises privées, notons que l'article 3lois, 2e alinéa, autorise la Confédération à légiférer «sur l'exercice du commerce et de l'industrie». L'autorité fédérale a donc la compétence toute générale d'adopter des prescriptions de police dans ce domaine. Si toutefois la menace provient, non d'une entreprise relevant du commerce

1188 ou de l'industrie, mais d'une installation exploitée par une université ou de substances dont un particulier dispose hors de toute intention lucrative, la constitution n'offre aucun moyen d'intervenir.

/. Aux termes de l'article 34 ter, 1er alinéa, lettre a, de la constitution, la Confédération a le droit de légiférer «sur la protection des employés ou ouvriers». La constitution permet donc déjà d'assurer la protection du personnel employé dans les exploitations atomiques.

g. La responsabilité civile, en tant que matière du droit civil, peut être réglementée par la Confédération en vertu de l'article 64 de la constitution.

h. Si la Confédération entend, en complément de la responsabilité civile et pour garantir la réparation de dommages éventuels, imposer l'obligation de contracter une assurance ou de fournir des sûretés, elle pourra peut-être, à l'égard des entreprises à but lucratif, s'appuyer pour ce faire sur l'article Slbis, 2e alinéa, de la constitution (exercice du commerce et de l'industrie). Nous laisserons toutefois la question ouverte.

i. Pour ce qui concerne la sécurité extérieure du pays, nous renvoyons à l'article 85, chiffre 6, de la constitution, qui offre les moyens d'y pourvoir.

Il y a cependant controverse sur la question de savoir si cette disposition attribue des pouvoirs législatifs à la Confédération ou si elle ne l'autorise qu'à adopter des mesures concrètes dans des cas particuliers.

k. La Confédération a également le droit de contracter des engagements internationaux dépassant le cadre des attributions qu'elle exerce en vertu de son droit interne (voir l'art. 8 de la constitution). II n'est donc pas besoin à cet égard d'un nouvel article constitutionnel.

l. La Confédération est compétente, en vertu de l'article Gibis, pour édicter des dispositions pénales.

Il ressort de ce qui précède que la Confédération curait déjà actuellement les pouvoirs nécessaires pour instaurer, dans certaines limites, une législation sur les questions atomiques. Elle pourrait arrêter des prescriptions de police en matière de sécurité industrielle, édicter des dispositions sur la protection des travailleurs, la responsabilité civile et la sécurité extérieure du pays, statuer des sanctions pénales, encourager dans une certaine mesure la recherche et l'économie atomiques, éventuellement
aussi imposer une assurance-responsabilité civile. En revanche, elle n'aurait indéniablement ni la compétence d'instaurer un régime de concessions ni celle d'édicter des prescriptions de politique économique générale ou de prendre des mesures d'hygiène dont le champ d'application, dépasserait le cercle des entreprises à but lucratif. Au surplus, nous devons rappeler que la constitutionnalité de certaines mesures d'encouragement comme celle des prescriptions instituant une assurance-responsabilité civile obligatoire serait pour le moins discutable.

1189 Pour ces motifs, nous estimons qu'il conviendrait d'introduire un nouvel article dans la constitution. Il importe de ne laisser planer aucun doute sur la compétence de la Confédération d'édicter, au fur et à mesure des besoins qui se manifesteront, les prescriptions nécessaires en matière d'énergie atomique et de protection contre les radiations.

2. Compétence générale ou restreinte La constitution contient déjà diverses dispositions qui confèrent à la Confédération la compétence toute générale de légiférer dans un domaine donné (chemins de fer: art. 26; navigation: art. 24ter; navigation aérienne: art. 37fer; postes et télégraphes: art. 36). Nous n'ignorons pas que les dispositions constitutionnelles ainsi conçues éveillent une certaine méfiance.

Pour des raisons tirées des faits, il n'est cependant pas toujours possible de formuler dans la constitution, ne serait-ce que dans leurs grandes lignes, les principes auxquels la Confédération devra se tenir dans sa législation.

Cette remarque vaut tout spécialement pour la réglementation des questions atomiques. Comme les recherches sur l'énergie atomique sont en plein développement et que maints problèmes restent à élucider en ce qui concerne la portée et les répercussions de cette nouvelle forme d'énergie, il importe que la constitution ne circonscrive pas trop étroitement les pouvoirs du législateur fédéral. Sinon, nous pourrions nous trouver dans la situation déplaisante de devoir sous peu la reviser une fois encore. Même si une telle réglementation semble indiquée à la lumière des circonstances actuelles, il se peut qu'une évolution rapide oblige à la réexaminer bientôt. En pareil cas, il faudra que les adaptations nécessaires puissent se faire par une simple modification de la loi, sans qu'il soit besoin de reviser la constitution.

C'est pourquoi nous proposons de donner à la Confédération une compétence générale qui lui permette d'adapter la législation à toutes les éventualités. Il va sans dire que, grâce au referendum facultatif, le peuple suisse aura toujours le moyen de s'esprimer sur les prescriptions projetées.

Le législateur fédéral se trouve dans la même situation aujourd'hui qu'au moment où il a établi le texte de l'article sur la navigation aérienne (art. 37ter), accepté en 1921 par le peuple et les cantons. On ignorait également,
à, cette époque, quelles questions de droit et quelles nécessités législatives allait susciter une évolution impossible à prévoir. En revanche, une certitude s'imposait, en vue notamment des conventions internationales à conclure sur la navigation aérienne: il fallait accorder à la Confédération la compétence de légiférer dans ce domaine. Les mêmes considérations s'appliquent aujourd'hui au problème de l'énergie atomique.

Il faut cependant faire une exception en ce qui concerne la question de la protection contre les radiations. Les dispositions que la Confédération devra arrêter sur ce point se caractérisent comme de pures prescriptions de police, et cette circonstance devra ressortir du texte constitutionnel.

1190 D'un autre côté, la compétence attribuée à la Confédération dans ce domaine particulier devra déborder le cadre des questions atomiques et s'étendre, par exemple, à la protection contre les rayons X, 3. Le nouvel article constitutionnel Nous proposons d'introduire dans la constitution un article Z&quinquies rédigé comme il suit : «La législation touchant l'énergie atomique est du domaine de la Confédération.

La Confédération édicté des prescriptions sur la protection contre les dangers des rayons ionisants.» La tournure «touchant l'énergie atomique» doit montrer sans ambiguïté que la Confédération est compétente pour édicter des prescriptions de tout ordre, en particulier des dispositions en vue d'encourager la recherche atomique ou de créer une assurance-responsabilité civile obligatoire. Si l'on se bornait, par exemple, à parler de «l'utilisation et l'emploi de l'énergie atomique», le droit de la Confédération de légiférer en matière de recherches et d'assurance prêterait à contestation.

Au second alinéa, l'expression «rayons ionisants» permettra d'étendre les mesures de protection au-delà du domaine de l'énergie atomique. Nous avons donné une tournure imperative à cette disposition pour bien marquer que les prescriptions destinées à assurer la protection contre les dangers des radiations sont absolument nécessaires dans l'intérêt général.

En statuant que «la législation touchant l'énergie atomique est du domaine de la Confédération», la disposition que nous proposons laisse les mains entièrement libres au législateur fédéral. Burckhardt (Kommentar zur Bundesverfassung, 3e édition, p. 323 s.) partage cette manière de voir; elle s'exprime déjà dans les messages du Conseil fédéral à l'appui des articles sur la navigation aérienne (FF 1910, I, 824 s.) et la navigation (FF 1917, IV, 327). Elle conserve certainement sa valeur dans le présent cas.

Cela ne signifie nullement que la future loi sur les questions atomiques doive prévoir des interventions de l'Etat sur le plan économique. Au contraire, dans l'état actuel des choses, on devrait pouvoir se passer de pareilles interventions. Le législateur devra en tout cas partir du point de vue que l'utilisation de l'énergie nucléaire est l'affaire de l'économie et s'inspirer du souci de préserver le libre jeu de la concurrence dans toute la mesure
possible. Si une réglementation différente a été adoptée pour l'utilisation des forces hydrauliques, la cause en est à des circonstances particulières -- telles que la localisation étroite de ces sources d'énergie et l'existence de législations cantonales traditionnelles -- qui n'entrent pas en ligne de compte dans le cas de l'énergie atomique. Il faut précisément relever comme

1191 un des avantages de l'énergie nucléaire le fait qu'elle n'est pas liée par la nature à un endroit géographique donné ; sous ce rapport aussi, elle ouvrira de nouvelles perspectives et aiguillonnera la concurrence entre les différents producteurs d'énergie.

En revanche, il est absolument indispensable que le législateur prenne des mesures non seulement pour encourager des recherches extrêmement importantes pour notre économie, et extraordinairement coûteuses, mais aussi pour assurer la protection contre les dangers de la radioactivité. Il n'est pas sans intérêt de relever qu'en subventionnant la recherche atomique, la Confédération aura la possibilité d'exercer une certaine influence sur son évolution et de s'employer à coordonner les efforts de l'économie privée, sans pour cela recourir à un véritable dirigisme. Constatons enfin que les considérations d'ordre stratégique qui ont amené d'autres pays à soumettre l'économie atomique à un contrôle très strict de l'Etat n'entrent pas en ligne de compte en Suisse.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 26 avril 1957.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le president de. la Confédération, Streuli usas

Le chancelier de la Confédération, Ch. Oser

1192 (Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL introduisant

dans la constitution un article 24 quinquies sur l'énergie atomique et la protection contre les radiations

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu les articles 85, chiffre 14, 118 et 121, 1er alinéa, de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 26 avril 1957, arrête:

I La constitution fédérale est complétée par la disposition suivante: Article 2d quinquies La législation touchant l'énergie atomique est du domaine de la Confédération.

La Confédération édicté des prescriptions sur la protection contre les dangers des rayons ionisants,

II Le présent arrêté est soumis à la votation du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution.

11333

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant un article constitutionnel sur l'énergie atomique et la protection contre les radiations (Du 26 avril 1957)

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