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7322 MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet d'arrêté concernant l'octroi d'allocations anticipées en faveur de Suisses victimes de la persécution nationale-socialiste (Du 1er février 1957)

Monsieur le Préaident et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un message à l'appui d'un projet d'arrêté concernant des Suisses qui ont été victimes d'actes de persécution nationale-socialiste et auxquels ne s'appliquent pas les mesures de réparation prises du côté allemand.

Le régime national-socialiste, de 1933 à 1945, s'est signalé par des actes particulièrement cruels commis à l'égard d'un nombre considérable de personnes appartenant aux pays les plus divers et auxquelles, dit en simples termes, il n'était reproché que le délit d'opinion, la race ou la nationalité.

Ces persécutions ont consisté en atteintes portées aussi bien à la vie, à l'intégrité corporelle ou à la liberté qu'au patrimoine ou à l'activité professionnelle. Envois dans des camps de concentration, déportations dans des conditions effroyables, condamnations et incarcérations arbitraires, tortures infligées jusqu'à la mort, mépris de la dignité humaine, étaient monnaie courante.

Ce qui nous incite à revenir sur les méfaits de ce régime est que, parmi ses victimes, figurent des citoyens suisses. Ceux-ci appartiennent à toutes les couches sociales et à toutes les confessions. Le fait d'être ressortissants d'un Etat qui représentait loyalement les intérêts de l'Allemagne dans des pays en guerre avec elle ne les a pas épargnés. Les dirigeants nationauxsocialistes considéraient notre pays comme un élément perturbateur dans l'exécution de leurs desseins politiques. Nos compatriotes dans les territoires contrôlés par le IIIe Reich eurent à subir fréquemment les conséquences de cette conception.

311 Dès le début de l'ère nationale-socialiste, noua avons été amenés à intervenir auprès des autorités du IIIe Beich, afin de faire cesser les persécutions dont certains de nos compatriotes étaient objet. Là où le mal était déjà consommé, nous demandions réparation. Bans quelques cas, nos interventions ont été couronnées de succès: des Suisses en péril, souvent déjà arrêtés, envoyés dans des camps ou menacés de déportation, purent être libérés. Le plus souvent, nos efforts sont restés malheureusement sans effets ou n'ont abouti qu'à des résultats incomplets. Nos démarches étaient rendues d'autant plus difficiles que les victimes étaient en général empêchées systématiquement d'entrer en contact avec nos légations et nos consulats.

Les difficultés d'agir se sont accentuées au fur et à mesure que le régime devenait plus rigide. Avec la guerre, puis l'aggravation de la situation politique et militaire du IIIe Eeich, elles devinrent pour ainsi dire insurmontables à cause de la mentalité régnant dans les milieux qui dirigeaient l'Allemagne.

n

1. Abstraction faite de considérations humanitaires, morales et politiques, les actes dont il s'agit comportent un aspect juridique classique.

En effet, d'après les principes du droit des gens, les Etats sont tenus de reconnaître certains droits aux étrangers. Us y sont tenus, que leur législation n'accorde pas ou accorde ce minimum de droits à leurs propres ressortissants. C'est ainsi que les Etats ont le devoir de: reconnaître aux étrangers l'aptitude à être sujets de droit; leur accorder le libre exercice des cultes; les protéger des atteintes criminelles à la vie, à la liberté, à l'honneur, aux droits privés, notamment à la propriété privée; leur reconnaître le droit d'ester en justice, notamment de se défendre devant un tribunal ou l'autorité administrative. Us doivent s'interdire à leur endroit toute mesure arbitraire, y compris dénis de justice, arrestations sans motif valable, prolongations non dûment motivées d'une arrestation. Ils doivent surtout les préserver d'un traitement contraire à la dignité humaine.

L'Etat qui viole ces principes engage sa responsabilité internationale.

Il en découle pour lui l'obligation de réparer le tort causé et pour l'Etat lésé le droit d'exiger la réparation du tort subi. Peu importe que l'autorité ayant commis ces actes illicites soit le parlement, le gouvernement, un tribunal, l'administration, l'armée, la police, etc. La responsabilité est acquise dès que l'acte illicite est le fait d'un organe d'Etat.

La réparation peut revêtir deux formes: restitution en nature ou, si elle n'est pas possible, allocation d'une indemnité équitable. C'est le second procédé qui entre en général en ligne de compte pour les persécutions nationales-socialistes.

Il en résulte que l'Etat allemand a l'obligation d'accorder réparation aux victimes suisses. La Confédération a le droit d'obtenir cette réparation pour celles qui ne seraient pas indemnisées directement.

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2. Peu après l'effondrement du IIIe Reich, des initiatives ont été prises par les puissances occidentales d'occupation (Etats-Unis d'Amérique, France, Grande-Bretagne) en vue de régler les conséquences des persécutions nationales-socialistes dans certains cas. H s'agissait en particulier de biens confisqués, dont restitution fut ordonnée. La République fédérale d'Allemagne créée, plusieurs Etats (Länder) ont pris des mesures visant à la réparation d'autres cas. Les dispositions régionales cependant différaient selon la zone d'occupation et le Land. A l'effet d'uniformiser la législation, la République fédérale promulgua, le 18 septembre 1953, la «loi fédérale complémentaire pour l'indemnisation des victimes de la persécution nazie».

L'application de la loi ne devait cependant pas toujours se faire, comme on l'attendait, dans l'esprit qui l'avait inspirée et qui voulait rendre justice aux victimes des persécutions hitlériennes. De vives critiques s'élevèrent aussi bien en Allemagne qu'à l'étranger. Le 1er avril 1956, sur proposition du gouvernement, le parlement de Bonn adopta une «loi fédérale pour l'indemnisation des victimes de la persécution nazie», tenant compte dans une certaine mesure des doléances qui avaient été exprimées au sujet de la législation antérieure. Cette loi fédérale est entrée en vigueur avec effet rétroactif au 1er octobre 1953. Les personnes intéressées suisses ont, autant que possible, été renseignées sur cette évolution législative par le département politique ainsi que nos représentations diplomatiques et consulaires au moyen de communiqués de presse, de circulaires et de communications individuelles.

La loi actuelle n'accorde souvent qu'une réparation restreinte; elle n'en est pas moins, dans son ensemble, positive. Toutefois -- et c'est là que gît le problème --, elle présente une lacune essentielle du fait que ne peuvent être indemnisées que les personnes qui, avant ou à l'époque de l'acte persécuteur, étaient domiciliées sur territoire du IIIe Reich (frontière de 1937) et qui, après la guerre, ont pris domicile sur territoire de la République fédérale d'Allemagne. Cette exclusive frappe bien plus de la moitié des victimes suisses des persécutions nationales-socialistes. Le gouvernement de la République fédérale, que nous sachions, n'envisage plus la révision de la loi.
D'après la documentation du département politique, il s'agirait d'au moins 530 cas de sévices (exécutions, décès et disparitions dans des camps de concentration, incarcérations, tortures, atteintes à la santé, etc.) et 125 cas de spoliations et d'atteintes à la situation professionnelle, présentant un caractère de persécution.

Ces 655 dossiers -- nous insistons bien -- concernent uniquement les cas des Suisses persécutés qui demeurent privés de toute prestation en vertu de la législation allemande. L'absence d'une réparation quelconque en faveur de ces compatriotes confère au Conseil fédéral une prétention de droit international envers le gouvernement allemand (chiffre 1 ci-dessus).

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3. Nous sommes intervenus d'une manière continue auprès du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne afin d'obtenir une solution satisfaisante de cette question, Nos démarches se sont heurtées sans cesse à une fin de non-recevoir.

Intransigeant, Bonn se retranche derrière l'article 5 de l'accord signé à Londres le 27 février 1953, entre la République fédérale d'Allemagne et 20 Etats, dont la Suisse, à l'effet de régler la question des dettes extérieures allemandes (voir notre message du 5 mai 1953 concernant ledit accord); Cet article 5 stipule que l'examen des créances nées à l'encontre du Reich au cours de la deuxième guerre mondiale et appartenant à des pays qui n'ont pas été en guerre avec l'Allemagne ni occupés par elle, et à des ressortissants de ces pays, est différé jusqu'au règlement définitif du problème des Réparations. Il faut se souvenir des raisons qui sont à l'origine de cette clause. En convoquant la conférence de Londres, les puissances d'occupation occidentales avaient prévu, d'entrée de cause, cette réglementation en se souvenant des expériences faites dans le domaine des Réparations à la suite de la première guerre mondiale. On désirait autant que possible ne pas entraver la reconstruction économique de la République fédérale d'Allemagne.

Or, depuis, l'économie de la République fédérale s'est raffermie à telle enseigne qu'il est permis de considérer à présent comme dépassées les conditions ayant présidé à l'adoption de l'article 5 de l'accord de Londres.

Pour l'Etat allemand subsiste le devoir humanitaire de réparer à temps le préjudice dû à d'aussi graves violations du droit des gens.

Nous avons par conséquent insisté vivement, mais sans succès, auprès du gouvernement de Bonn pour l'amener à honorer d'une manière ou d'une autre sa dette. La solution de l'arbitrage ne nous a pas paru possible, vu les conditions générales créées par l'accord de Londres. C'est ainsi que se révèlent épuisés, pour le moment, les moyens d'agir auprès de la République fédérale d'Allemagne.

III Afin d'éviter que la situation pénible des intéressés suisses ne se prolonge indéfiniment -- elle dure depuis douze ans pour les cas les moins anciens --, nous estimons nécessaire maintenant de recourir à une solution interne à titre provisoire et exceptionnel. Nous vous proposons d'accorder à ceux
de nos compatriotes qui, en vertu des mesures prises du côté allemand, sont privés d'une réparation une indemnité à titre d'allocation anticipée, à la charge de la Confédération. Il s'agit d'une oeuvre sortant de l'ordinaire ; elle ne crée pas de précédent. Elle trouve sa justification dans les circonstances spéciales que nous avons décrites, consistant à la fois dans la situation dérivée de l'accord de Londres et dans le caractère fondamental des atteintes portées à des Suisses. Il s'agit d'actes inhumains perpétrés non dans le cadre d'opérations inhérentes à la guerre, mais dans celui d'une politique appliquée de manière systématique par des organes gouvernemen-

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taux. En instituant les indemnités prévues, la Confédération suisse ne remplit pas une obligation juridique, mais accomplit un acte de libéralité.

La seule obligation juridique qui existe demeure du côté allemand. Ce litige, qui remonte à l'époque hitlérienne, grève les relations germano-suisses.

Nous restons cependant persuadés que, tôt ou tard, sera trouvée une solution engageant le gouvernement allemand à s'acquitter de l'obligation qu'il a envers la Confédération en vertu du droit international. Le Conseil fédéral maintient cette prétention bilatérale, que ne préjuge pas la présente solution interne.

Voici, dans leurs grandes lignes, les dispositions de l'arrêté proposé.

D'après les indications qui sont en mains du département politique, la somme de 15 millions de francs devrait suffire pour assurer l'exécution de l'oeuvre envisagée. Les allocations seraient fixées selon les principes généraux du droit des gens. Ces règles sont déjà appliquées dans d'autres domaines analogues relevant du département politique. Seuls seraient pris en considération les cas issus d'actes de persécution nationale-socialiste proprement dite, telle que définie au début du présent message. Doivent être exclus les cas de dommages de guerre, ceux découlant de la législation en matière de devises ainsi que ceux des personnes qui se sont ressenties du régime national-socialiste d'une manière générale seulement.

Il appartiendrait à une commission désignée par le Conseil fédéral de décider des allocations dans chaque cas. Au sein de cet organisme siégeraient des représentants de l'administration fédérale et des experts qualifiés choisis notamment dans les milieux des Suisses de l'étranger. Afin d'établir d'une manière définitive les cas à examiner, la commission devrait être à même de publier un appel avec délai forclusif. Ses décisions seraient susceptibles de recours à la commission de recours pour les indemnités de nationalisation instituée par arrêté fédéral du 21 décembre 1950.

Nous vous recommandons d'adopter le projet qui vous est soumis afin de mettre un terme à cette question sur le plan interne. Nous nous efforcerons de la résoudre également sur le plan international, comme nous l'avons déjà dit.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 1er février 1957.

Au nom du Conseil fédéral suisse: 1U97

Le, président de la Confédération, Streuli Le chancelier de, la Confédération, Ch. Oser

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Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL concernant

l'octroi d'allocations anticipées en faveur de Suisses victimes de la persécution nationale-socialiste

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu le message du Conseil fédéral du 1er février 1957, arrête:

Article premier Les Suisses qui ont été victimes d'actes de persécution nationalesocialiste et auxquels ne s'appliquent pas les mesures de réparation prises dans l'Etat responsable reçoivent de la Confédération une indemnité équitable à titre d'allocation anticipée.

L'indemnité peut être refusée au double national dont la nationalité suisse n'est pas prépondérante.

Art. 2 La Confédération est subrogée à l'ayant droit dans l'exercice de ses prétentions à l'égard de tiers jusqu'à concurrence du montant obtenu en vertu du présent arrêté.

Art. 3 La somme totale prévue pour l'exécution du présent arrêté est fixée à 15 millions de francs.

Art. 4 Une commission désignée par le Conseil fédéral, composée de quatre ou cinq représentants de l'administration fédérale et de trois ou quatre autres experts, décide des allocations à verser aux ayants droit proportionnellement à la somme prévue à l'article 3.

La commission peut publier un appel avec délai forclusif.

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Art. 5 Les décisions de la commission peuvent être déférées à la commission de recours pour les indemnités de nationalisation, qui statue en dernier ressort.

Le recours n'est recevable que pour violation du droit. L'appréciation juridique erronée d'un fait est assimilée à la violation du droit. La commission de recours fonde sa décision sur les faits tels qu'ils ont été constatés en première instance. Cependant, elle rectifie d'office les constatations reposant manifestement sur une inadvertance.

Art. 6 Le Conseil fédéral est chargé d'exécuter le présent arrêté et d'édicter les dispositions d'exécution nécessaires.

Il publiera le présent arrêté conformément à la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux et fixera la date d'entrée en vigueur.

11407

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet d'arrêté concernant l'octroi d'allocations anticipées en faveur de Suisses victimes de la persécution nationale-socialiste (Du 1er février 1957)

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07.02.1957

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