14.035 Message concernant la modification du code pénal (Dispositions pénales incriminant la corruption) du 30 avril 2014

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet de modification du code pénal, en vous priant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

30 avril 2014

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Didier Burkhalter La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2014-0417

3433

Condensé Dans l'ensemble, les normes pénales incriminant la corruption, introduites en 2000 et 2006, ont fait leurs preuves. Il est toutefois devenu nécessaire d'apporter certains correctifs, en particulier dans le domaine de la corruption privée qui doit dorénavant être poursuivie d'office et incriminée dans le code pénal, afin de clarifier sa portée et signaler que, à l'instar de la corruption d'agents publics, la corruption dans le secteur privé n'est pas acceptable.

Contexte La Suisse appartient aux pays qui sont parmi les plus épargnés par le phénomène de la corruption et ses normes pénales réprimant la corruption sont adéquates dans l'ensemble. Ce constat global est confirmé par les institutions intergouvernementales spécialisées du Conseil de l'Europe, de l'OCDE et de l'ONU, dans le cadre de leurs évaluations mutuelles.

La Suisse possède toutefois aussi certaines caractéristiques qui exigent une attention particulière. Son économie est largement globalisée et très engagée sur les marchés internationaux, où les standards en matière de lutte contre la corruption sont parfois déficients. Par ailleurs, la Suisse abrite de nombreuses fédérations sportives internationales qui gèrent souvent des intérêts économiques et financiers très importants et dont les décisions ont, par le passé, parfois été entachées par des scandales de corruption.

Dans ce contexte, certains points spécifiques des normes suisses incriminant la corruption font l'objet de critiques ponctuelles mais assez régulières, notamment au sein du Parlement ainsi que de la part d'instances internationales.

Si, dans l'ensemble, le dispositif général de lutte contre la corruption a fait ses preuves, il est devenu nécessaire d'apporter certains correctifs au vu des développements de ces dernières années et de l'évolution au niveau international.

Contenu du projet En premier lieu, la corruption privée doit dorénavant être poursuivie d'office.

Actuellement, la corruption privée est seulement poursuivie sur plainte. Il existe pourtant un intérêt public prépondérant à poursuivre la corruption privée. Au-delà des intérêts financiers privés, la corruption privée peut aussi nuire à des intérêts publics, par exemple porter atteinte à la santé et à la sécurité publiques si des activités commerciales dans ce domaine sont entachées de corruption. On
peut également penser aux grands intérêts en jeu, y compris d'importants subventionnements publics, lorsque des évènements sportifs de renommée planétaire sont attribués.

En deuxième lieu, la portée concrète de l'infraction de corruption privée doit être clarifiée. Une controverse à ce sujet a notamment surgi suite à des soupçons de corruption entachant la procédure d'attribution par la FIFA des Coupes du monde de football 2018 et 2022. Déjà en 2004, le Conseil fédéral considérait qu'il était

3434

douteux que le droit actuel couvre les actes de corruption dans le cadre de l'attribution de manifestations sportives.

Ce manque de clarté découle principalement de la systématique de l'infraction de corruption privée, qui est insérée dans le droit sur la concurrence déloyale, créant ainsi un lien entre cette infraction et la notion de concurrence déloyale. Or, ce lien n'est pas convaincant, car des comportements équivalents sont punissables ou non suivant le contexte (situation de concurrence ou non). Par exemple, lorsque le comportement corruptif n'interfère pas dans le jeu de la concurrence, parce qu'il intervient dans un contexte de monopole ou parce que la corruption ne porte pas sur l'acquisition d'un marché, mais intervient après la conclusion du contrat, la corruption privée n'est pas punissable.

En conséquence, l'infraction de corruption privée doit être détachée de la notion de concurrence déloyale et constituer une infraction autonome dans le code pénal.

Cela permettra aussi de clarifier la position des fédérations sportives internationales, notamment.

En dernier lieu, la portée des art. 322quinquies et 322sexies du code pénal, incriminant l'octroi, respectivement l'acceptation d'un avantage indu par un agent public, doit être légèrement étendue. Cela permettra de couvrir également le fait d'accorder des avantages indus à un tiers avec l'intention d'influencer un agent public. Ce comportement nuit en effet aux exigences de transparence et d'intégrité de l'agent public concerné. Il est donc nécessaire d'étendre le champ d'application des art.

322quinquies et 322sexies du code pénal au cas où l'avantage indu profite à un tiers et pas seulement à l'agent public concerné, comme c'est le cas actuellement. Cette extension s'impose également pour assurer la pleine conformité du droit suisse avec la convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe. Les dispositions correspondantes du code pénal militaire (art. 141a, al. 1, et 143, al. 1, du code pénal militaire du 13 juin 1927) seront par ailleurs modifiées de manière analogue.

3435

Message 1

Présentation du projet

1.1

Contexte

1.1.1

La problématique de la corruption et son évolution

La lutte contre la corruption est un domaine qui vit une évolution dynamique depuis de nombreuses années. La corruption constitue une atteinte grave aussi bien aux principes de base de l'Etat de droit et aux droits de l'homme qu'au bon fonctionnement de l'économie de marché et de la société. La globalisation a accentué encore l'importance de lutter contre la corruption, par exemple afin d'éviter d'importantes distorsions de la concurrence dans des marchés de plus en plus internationalisés.

Au niveau international, plusieurs instruments juridiques ont été mis sur pied afin de renforcer la lutte contre la corruption. La Suisse est partie aux principales conventions internationales dans ce domaine. Afin de suivre cette évolution globale et remplir ses obligations internationales, la Suisse a révisé ses dispositions pénales incriminant la corruption, tout d'abord de manière fondamentale en 2000, puis de manière plus spécifique en 2006. Elle a ainsi notamment introduit la criminalisation de la corruption d'agents publics étrangers et internationaux ainsi que la responsabilité pénale des entreprises.

1.1.2

Situation globale en Suisse

La Suisse appartient aux pays qui sont parmi les plus épargnés par le phénomène de la corruption et ses normes pénales réprimant la corruption sont adéquates dans l'ensemble. Elle est ainsi régulièrement perçue comme un des dix pays les moins corrompus selon un classement de Transparency International1. Ce constat global est confirmé par les institutions intergouvernementales du Conseil de l'Europe, de l'OCDE et de l'ONU, qui examinent régulièrement la situation dans les différents pays, publient des rapports et formulent des recommandations à leur égard.

Ainsi, les dispositions incriminant la corruption en Suisse ont notamment fait l'objet d'un rapport du GRECO (Groupe d'Etats contre la corruption) en octobre 20112.

Cette institution spécialisée du Conseil de l'Europe, dont la Suisse est membre, a pour tâche de s'assurer, par le biais d'un processus d'évaluation mutuelle, que ses Etats membres respectent les normes et les standards du Conseil de l'Europe en matière de lutte contre la corruption. Dans son rapport, le GRECO reconnaît que la Suisse possède un solide droit pénal de la corruption, qui répond largement aux exigences de la Convention pénale du 27 janvier 1999 sur la corruption3 (ci-après convention pénale) et de son protocole additionnel du 15 mai 20034. Une apprécia1 2

3 4

Voir l'indice de perception de la corruption: la Suisse se classe 7e en 2013, 6e en 2012, 8e en 2011 et en 2010, 5e en 2009 et en 2008, 7e entre 2007 et 2004, 8e en 2003.

GRECO, Troisième cycle d'évaluation: Rapport d'évaluation sur la Suisse ­ Incriminations, du 21 octobre 2011, §93, publié sur Internet: www.ofj.admin.ch > Thèmes > Criminalité > Corruption (GRECO).

RS 0.311.55 RS 0.311.551

3436

tion globalement positive des dispositions pénales incriminant la corruption ressort également du rapport sur la Suisse5 établi dans le cadre du Mécanisme d'examen de l'application de la Convention des Nations Unies du 31 octobre 2003 contre la corruption6.

1.1.3

Points spécifiques critiqués

La Suisse possède toutefois aussi certaines caractéristiques qui exigent une attention particulière. Son économie est largement globalisée et très engagée sur les marchés internationaux, où les standards en matière de lutte contre la corruption sont parfois déficients. Par ailleurs, la Suisse abrite de nombreuses fédérations sportives internationales qui gèrent souvent des intérêts économiques et financiers très importants et dont les décisions, par exemple lorsqu'il s'est agit d'attribuer l'organisation d'événements sportifs de renommée planétaire, ont parfois été entachées par des scandales de corruption7.

Dans ce contexte, certains points spécifiques des normes suisses incriminant la corruption font l'objet de critiques assez régulières. Ainsi, les deux Commissions des affaires juridiques du Parlement ont notamment décidé de donner suite à l'initiative parlementaire 10.516 (FIFA. Pour une poursuite d'office de cas de corruption dans le secteur privé), qui préconise que l'infraction de corruption dans le secteur privé, actuellement réprimée aux art. 4a et 23 de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD)8, soit poursuivie d'office et transférée au titre 19 (Corruption) du code pénal (CP)9. Cette initiative vise notamment à ce que les fédérations sportives soient incluses sans ambiguïté dans le champ d'application de l'infraction de corruption privée. Cette demande est également formulée par Transparency International Suisse, dans son rapport sur le système National d'Intégrité en Suisse10.

La problématique de la corruption a par ailleurs aussi été abordée sous l'angle distinct du sport. Ce domaine est en effet confronté à certains problèmes spécifiques de corruption et de matchs truqués. A la suite du postulat 11.3754 (Sport. Lutte contre la corruption et matchs truqués), le Conseil fédéral a publié, le 7 novembre 2012, le rapport «Lutte contre la corruption et les matchs truqués dans le sport», qui examine de manière approfondie cette problématique et formule des propositions, y compris concernant les dispositions pénales incriminant la corruption.

5

6 7

8 9 10

Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Rapport d'examen de la Suisse [application de la convention des Nations Unies contre la corruption, cycle 2010­2015], §16, publié sur Internet: www.unodc.org > Corruption > Groupe d'examen de l'application ­ liens fiche pays > Switzerland.

RS 0.311.56 Lutte contre la corruption et les matchs truqués dans le sport ­ Rapport du 7 novembre 2012 en réponse au postulat 11.3754 déposé le 28 juin 2011 par la Commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil des Etats, p. 22, publié sur Internet: www.baspo.admin.ch > Actualités > Dossiers politiques actuels > Corruption et paris illégaux.

RS 241 RS 311.0 Transparency International Suisse, Résumé du Rapport «Système National d'Intégrité» Suisse, du 7 février 2012, p. 23, publié sur Internet: www.transparency.ch > Publications > Etudes et rapports > Système National d'Intégrité.

3437

De manière plus générale, les institutions internationales expriment, elles aussi, certaines préoccupations et recommandent des améliorations concrètes pour renforcer encore l'efficacité des dispositions pénales suisses. A cet égard, le GRECO a adressé cinq recommandations à la Suisse. Certaines de ces préoccupations et recommandations sont également reprises dans le cadre du Mécanisme d'examen de la convention des Nations Unies contre la corruption, ainsi que cela ressort des observations émises par le Groupe d'examen de l'application de la convention11.

1.1.4

Avant-projet et procédure de consultation

Au vu de ces différents éléments, le Conseil fédéral a décidé, en juin 2012, de réviser les normes pénales incriminant la corruption, notamment à la lumière des critiques émises jusqu'alors. Le mandat délivré au Département fédéral de justice et police (DFJP) ne demandait pas de réviser fondamentalement le dispositif général de lutte contre la corruption, car celui-ci a, dans l'ensemble, fait ses preuves, comme l'avaient rappelé les rapports du GRECO et des Nations Unies. Il s'agissait bien plutôt d'apporter les correctifs devenus nécessaires au vu des développements de ces dernières années et de l'évolution au niveau international.

Le 15 mai 2013, le Conseil fédéral a mis en consultation externe l'avant-projet législatif préparé par le DFJP12. La consultation s'est achevée le 5 septembre 2013.

57 participants ont pris position, dont 9 de leur propre initiative. Tous les cantons, 6 partis politiques et 20 organisations intéressées se sont prononcés. Dans l'ensemble, la révision proposée a été bien accueillie, tant par les cantons que par les partis et les organisations intéressées, et la grande majorité des participants approuvent le projet dans ses grandes lignes. Concrètement, la révision proposée est soutenue sans réserve par 17 participants, dont 14 cantons13, 1 parti politique14 et 2 organisations15.

8 autres participants16 sont fondamentalement d'accord mais font des remarques complémentaires. 3 participants17 souhaitent seulement que le texte de loi soit précisé. 12 participants18 estiment que le projet devrait être plus ambitieux et demandent des révisions législatives supplémentaires. A l'inverse, 9 participants19 rejettent un 11

12

13 14 15 16 17 18

19

Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Rapport d'examen de la Suisse [application de la convention des Nations Unies contre la corruption, cycle 2010­2015], §51­52.

L'avant-projet et le rapport explicatif ainsi que la synthèse des résultats de la consultation peuvent être consultés sous: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2013 > Département fédéral de justice et police.

AR, BE, FR, GL, GR (implicitement), NE, NW, OW, SG, SH, SZ, TG, UR, VS.

Parti évangélique suisse (PEV).

Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse (CCPCS), Union des Associations Européennes de Football (UEFA).

AG, JU, SO, TI, VD, ZH, Union des villes suisses (UVS), Conférence des autorités de poursuite pénale de Suisse (CAPS).

BL, ZG, Université de Lausanne (UNIL).

GE, LU, Parti écologiste suisse (les Verts), Parti socialiste suisse (PS), Union syndicale suisse (USS), Section suisse de la Commission internationale de juristes (ICJ-CH), Ministère public de la Confédération (MPC), Société Suisse des Pharmaciens (pharmaSuisse), Swiss Olympic (SwOl), Transparency International Suisse (TIS), Université de Berne (UNIBE), Université de Genève (UNIGE).

AI, BS, les Libéraux-Radicaux (PLR), l'Union démocratique du centre (UDC), l'Association suisse des banquiers (ASB), la Fédération des entreprises suisses (economiesuisse), l'Association suisse des gérants de fortune (ASG), le Centre patronal (Cp), la Fédération Internationale de Football Association (FIFA).

3438

des éléments principaux de la révision. Enfin, celle-ci est rejetée dans son ensemble par 3 participants20.

Le seul point véritablement controversé du projet concerne la suppression de la plainte et la poursuite d'office qui en découle. Cette question est abordée plus spécifiquement au ch. 1.2.1.

1.2

Principaux points de la révision

1.2.1

Corruption dans le secteur privé

1.2.1.1

Suppression de la condition de la plainte

Actuellement, la corruption privée est poursuivie sur plainte (art. 4a et 23 LCD).

Même si la LCD prévoit une légitimation relativement large pour définir le cercle des plaignants21, dans la pratique, aucune condamnation, selon toute vraisemblance, n'a encore été prononcée en matière de corruption privée, alors que cette norme est entrée en vigueur il y a près de huit ans22. Cette absence de condamnation ne peut guère être interprétée comme une absence totale de corruption privée en Suisse23.

L'absence de condamnation et le très faible nombre de cas pendants laisse plutôt penser que la condition de la plainte constitue un obstacle excessif pour la poursuite pénale, par exemple lorsque les acteurs concernés du secteur privé (généralement des employeurs), après avoir découvert l'infraction, s'arrangent à l'amiable avec l'auteur pour éviter toute publicité négative.

Pourtant, les raisons usuelles justifiant que la poursuite pénale ne se fasse que sur plainte ­ telles que le caractère minime de l'atteinte au bien protégé, le rapport étroit et personnel entre l'auteur et la victime ou l'intrusion excessive des autorités pénales dans la sphère privée de la victime ­ ne sont pas données pour la corruption privée.

Au contraire, il existe un intérêt public prépondérant à poursuivre la corruption privée. Au-delà des intérêts financiers de l'employeur ou du mandant, la corruption privée peut aussi nuire aux intérêts financiers de tiers ainsi qu'à des intérêts publics, par exemple en portant atteinte à la santé et à la sécurité publiques si des activités commerciales dans ce domaine sont entachées de corruption. De manière plus géné20 21

22

23

USAM, ASCD, FSA.

En effet, la LCD ne suit pas la même approche que le CP, qui restreint le droit de porter plainte au seul lésé. La LCD l'étend par contre à certaines associations professionnelles et à des organisations de protection des consommateurs. De plus, la Confédération est également légitimée à porter plainte dans certains cas, notamment pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales de grande ampleur (cf. message du 2 sept. 2009 concernant la modification de la loi fédérale contre la concurrence déloyale, FF 2009 5539 5569).

L'intégration de cette infraction dans la LCD empêche un relevé statistique plus précis.

Un sondage effectué par l'Office fédéral de la justice en été 2012 auprès des Ministères publics cantonaux a révélé qu'aucun d'entre eux n'avait connaissance d'une condamnation pour corruption privée. En février 2014, une demande complémentaire auprès des Ministères publics ayant annoncé des cas pendants a débouché sur la même absence de condamnation connue.

Voir, par exemple, GRECO, Troisième cycle d'évaluation: Rapport d'évaluation sur la Suisse ­ Incriminations, du 21 octobre 2011, §87, publié sur Internet: www.ofj.admin.ch > Thèmes > Criminalité > Corruption (GRECO), ou Mark Pieth, Die Strafbarkeit der Privatbestechung als neue Herausforderung an die Anwaltschaft, Revue de l'Avocat 5/2007, p. 195.

3439

rale, la corruption privée nuit au bon fonctionnement de l'économie et à la confiance des acteurs économiques en un marché libre et non biaisé.

La corruption est ainsi une infraction trop grave, qui nuit à divers intérêts publics et privés, pour pouvoir laisser sa poursuite à la libre disposition des particuliers, comme c'est le cas par exemple pour un dommage à la propriété simple ou pour un vol dans le cadre familial (poursuivis seulement sur plainte en vertu de l'art. 144, al. 1, resp. 139, ch. 4, CP).

Par conséquent, la corruption privée doit dorénavant être poursuivie d'office, à l'instar d'infractions contre le patrimoine similaires, telles que l'abus de confiance ou la gestion déloyale. Cette modification permet également de mettre en oeuvre le premier volet de l'initiative parlementaire 10.516 qui demande que la corruption privée soit poursuivie d'office et transférée dans le CP. Elle répond aussi à la critique la plus sévère du GRECO envers les normes pénales incriminant la corruption en Suisse. Au vu de l'absence de condamnation pour corruption privée, le GRECO préconise en effet de renforcer l'effectivité des dispositions pénales concernées en supprimant l'exigence d'une plainte préalable.

Il est vrai que, lors de la consultation, les opinions étaient divisées sur la suppression de la condition de la plainte. Il s'agit du seul point véritablement controversé du projet. Alors que les cantons sont, en très large majorité, en faveur d'une poursuite d'office de la corruption privée (seuls deux cantons24 s'y opposent), les partis, les associations économiques et les autres organisations sont davantage partagés25. Quoi qu'il en soit, le rejet est moins net qu'en 1998, lorsqu'il avait déjà été proposé en consultation de renoncer à l'exigence de la plainte pour la corruption privée.

Les opposants estiment notamment que le système actuel est satisfaisant et qu'il doit incomber au lésé de choisir s'il faut ouvrir une procédure pénale. Ils craignent également que la modification proposée augmente la charge de travail des autorités pénales et désécurise les acteurs économiques. Afin d'éviter les interventions disproportionnées, certains proposent une solution intermédiaire, où les infractions mineures ne seraient poursuivies que sur plainte.

Le Conseil fédéral considère que les arguments
mentionnés ci-dessus, qui plaident pour la suppression de la plainte, prédominent clairement. Quant à la crainte d'une restriction excessive de l'autonomie des particuliers ou d'une intervention disproportionnée des autorités de poursuite pénale, les éléments suivants s'y opposent.

Premièrement, la norme pénale s'applique seulement lorsqu'il existe une relation juridique de droit privé. Pour être répréhensible, la corruption privée doit porter atteinte aux intérêts juridiques d'un tiers, en droit d'attendre, le plus souvent de son 24 25

Appenzell Rhodes-Intérieures et Bâle-Ville.

Concernant les partis, la poursuite d'office est soutenue par le PS, les Verts et le PEV, mais le PLR ainsi que l'UDC s'y opposent. Le PDC doute fortement que la condition de la plainte doive être supprimée dans tous les cas. Concernant les organisations intéressées, la proposition est soutenue par quasiment toutes les organisations non économiques (notamment la CCPCS) ainsi que par l'Union syndicale suisse (USS) et PharmaSuisse.

Par contre, l'Union suisse des arts et métiers (USAM), l'Association suisse des banquiers (ASB), la Fédération suisse des avocats, le Centre Patronal vaudois ainsi que l'Association suisse du commerce dentaire (ASCD) la rejettent. Economiesuisse rejette également la proposition, mais pourrait accepter, à titre subsidiaire, que la condition de la plainte soit restreinte aux cas mineurs. 2 organisations sportives internationales se sont également prononcées sur ce point. Alors que la FIFA rejette la proposition, l'UEFA la soutient.

3440

collaborateur ou de son mandataire, que ce dernier respecte, envers lui, son obligation de loyauté et exécute ses tâches de manière intègre et loyale, conformément à ses obligations juridiques. L'infraction de corruption privée n'interdit donc pas le comportement «vénal» d'un particulier, s'il ne viole pas une obligation juridique de loyauté qu'il a envers un tiers.

Deuxièmement, le projet maintient la règle qui autorise explicitement certains types d'avantages. Tout d'abord, ne sont pas incriminés les avantages convenus par contrat. Les relations contractuelles (éventuellement sous forme de directives internes ou de cahier des charges) entre l'employé et l'employeur, le mandataire et le mandant, etc. permettent de préciser quels avantages sont autorisés. Ceux-ci ne constituent donc pas, par définition, des avantages indus et ne tombent pas sous le coup de la corruption privée. Par ailleurs, au-delà de ces accords contractuels, tous les avantages sociaux qui sont de faible importance et conformes aux usages sociaux continuent aussi d'être autorisés (art. 322decies, al. 1, P-CP) Troisièmement, les exigences d'intégrité dans le secteur privé sont moindres par rapport à celles exigées dans le secteur public. Alors que les agents publics ne peuvent pas recevoir d'avantage indu, même sans lien avec un acte déterminé, même sans influence sur l'exécution de leurs devoirs ou sur leur pouvoir d'appréciation (art. 322quinquies et 322sexies CP), la corruption privée, quant à elle, est réprimée seulement lorsque l'avantage indu est lié à une violation de ses devoirs par l'employé, le mandataire ou l'auxiliaire ou lorsqu'il est destiné à influencer son pouvoir d'appréciation. Il faut donc que la confiance de l'employeur, du mandant, etc. soit violée.

Enfin, il faut rappeler que la norme s'applique seulement aux activités commerciales ou professionnelles. Les activités non professionnelles ou bénévoles sont donc exclues (voir ci-dessous, ch. 1.2.1.2).

Quant à la crainte d'une intervention disproportionnée des autorités pénales, notamment dans les cas mineurs, il convient de rappeler que le droit pénal prévoit déjà une règle spécifique selon laquelle l'autorité renonce à la poursuite pénale lorsque la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes (art. 52 CP).

Concernant la
création d'une catégorie d'infractions mineures qui ne seraient poursuivies que sur plainte, comme l'ont suggéré certains participants à consultation, elle s'avère non seulement superflue, mais également difficilement praticable. Il est en effet difficile de trouver des critères qui permettent aux autorités pénales de savoir, déjà au début de la procédure, si elles peuvent ouvrir et mener une enquête ou si elle doivent attendre le dépôt d'une plainte.

1.2.1.2

Clarification du champ d'application de la norme

Même si l'infraction de corruption privée n'est guère appliquée en pratique, son champ d'application fait l'objet de controverses, déjà au niveau théorique. Ce flou cause des problèmes d'interprétation quant aux situations concrètes dans lesquelles un comportement est punissable ou non. Une controverse à ce sujet a notamment surgi suite à des soupçons de corruption entachant la procédure d'attribution par la

3441

FIFA des Coupes du monde de football 2018 et 202226. Déjà dans son message de 200427, le Conseil fédéral considérait qu'il était douteux que le droit actuel couvre les actes de corruption dans le cadre de l'attribution de manifestations sportives.

Or, en raison du principe de légalité, la portée des normes légales réprimant une infraction doit être définie de manière claire et précise. Il s'avère que le manque de clarté quant à la portée de l'infraction de corruption privée peut provenir théoriquement de deux facteurs: d'une part, la restriction de l'infraction aux domaines commercial et professionnel et, d'autre part, le lien entre corruption privée et concurrence déloyale. Il s'agit dès lors de revenir sur ces deux éléments et d'examiner s'ils sont adéquats.

La restriction de l'infraction aux activités commerciales ou professionnelles n'est pas problématique Dans le droit actuel, le champ d'application de la norme est restreint aux activités commerciales ou professionnelles. Cette restriction, qui exclut fondamentalement les activités non professionnelles du champ d'application de l'infraction, n'est pas contestée en tant que telle. Le recours à la sanction par le droit pénal, en tant qu'instrument d'ultima ratio, doit en effet être limité autant que nécessaire. C'est pourquoi la corruption entre privés doit rester non punissable en dehors des relations professionnelles ou commerciales. Par exemple, si une personne privée fournit, en échange de cadeaux, un alibi à une connaissance pour couvrir ses escapades extraconjugales, la norme pénale ne s'appliquera pas. Cette solution est par ailleurs conforme à la convention pénale, qui n'exige pas que d'autres activités soient couvertes28. Il s'agit toutefois encore de s'assurer que cette restriction aux activités professionnelles ou commerciales ne joue pas un rôle dans le flou qui entoure les fédérations sportives internationales.

S'agissant des employés des fédérations sportives internationales, ils sont déjà couverts, sans problèmes particuliers, par la norme actuelle, car ils agissent dans le cadre de leurs activités professionnelles. Quant aux fonctions dirigeantes exercées à titre accessoire dans les fédérations internationales, la notion d'activité commerciale ou professionnelle doit être comprise au sens large, en incluant une activité
professionnelle accessoire, afin de couvrir aussi les fonctions qui ne seraient pas exercées à plein temps, tout en étant rémunérées comme une activité professionnelle.

Dans la pratique, il faudra en effet recourir, notamment, au critère de la rémunération pour différencier, d'une part, une activité professionnelle, même exercée à titre accessoire, par exemple, par les membres du comité exécutif d'une grande organisation sportive et, d'autre part, une activité non professionnelle, comme celle de président de l'association locale des apiculteurs ou celle de caissière de la société de gymnastique ou encore de membre du comité local d'un parti politique. La norme ne devrait en effet pas être étendue aux activités exercées à titre bénévole dans la

26

27

28

Lutte contre la corruption et les matchs truqués dans le sport ­ Rapport en réponse au postulat 11.3754 déposé le 28 juin 2011 par la Commission de la science, de l'éducation et de la culture du Conseil des Etats, du 7 novembre 2012, p. 22.

Message du 10 novembre 2004 concernant l'approbation et la mise en oeuvre de la Convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption et du Protocole additionnel à ladite convention (Modification du code pénal et de la loi fédérale contre la concurrence déloyale), FF 2004 6549 6575.

Convention pénale sur la corruption ­ Rapport explicatif, § 53.

3442

société civile, comme par exemple, celle de la présidente d'une association de quartier qui reçoit un pot-de-vin pour militer en faveur d'un projet routier ou immobilier.

Parmi les autres critères possibles, la nature de la fonction exercée et l'étendue des responsabilités endossées ou encore l'importance et le fonctionnement de l'entité en cause peuvent également entrer en ligne de compte pour déterminer s'il s'agit d'une activité professionnelle ou commerciale.

Il n'est par conséquent pas nécessaire de modifier la restriction actuelle de l'infraction de corruption privée aux activités commerciales ou professionnelles. Le libellé de la norme peut être maintenu sur ce point.

Suppression du lien entre corruption privée et concurrence déloyale La systématique de l'infraction de corruption privée, qui est insérée dans la LCD (art. 4a), crée un lien entre cette infraction et la notion de concurrence déloyale. A l'heure actuelle, la corruption privée est donc seulement réprimée lorsqu'elle entre dans le champ d'application de la LCD. L'art. 2 LCD précise que cette loi s'applique aux comportements ou pratiques commerciaux qui sont trompeurs ou qui contreviennent de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influent sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients. La corruption privée au sens de la LCD fausse donc le fonctionnement du marché et influence de manière inadmissible le jeu de la concurrence. Selon la jurisprudence, «l'acte doit être objectivement propre à avantager ou désavantager une entreprise dans sa lutte pour acquérir de la clientèle, ou à accroître ou diminuer ses parts de marché»29.

C'est, par exemple, le cas lorsqu'un producteur de freins corrompt le responsable des achats d'un constructeur automobile pour obtenir un contrat de sous-traitance, alors que son produit n'offre pas le meilleur rapport qualité-prix. Il interfère ainsi de manière déloyale dans le libre jeu du marché, en faussant la concurrence. Son comportement est punissable en vertu de la LCD.

Par contre, lorsque le comportement corruptif n'interfère pas dans le jeu de la concurrence, par exemple, parce qu'il intervient dans un contexte de monopole ou parce que la corruption ne porte pas sur l'acquisition d'un marché, mais intervient après la conclusion du contrat, la corruption privée
n'est pas punissable.

C'est, par exemple, le cas, si un sous-traitant qui fournit des pièces de freins corrompt le responsable du contrôle qualité d'un constructeur automobile pour qu'il ferme les yeux sur la qualité déficiente de son produit à la livraison. Ce comportement n'interfère en effet pas dans le jeu de la concurrence car le contrat est déjà conclu. Un tel comportement ne serait donc pas punissable en vertu de la LCD, même si les éléments de l'art. 4a LCD sont, en soi, remplis. En effet, la loi n'est pas applicable, dans son ensemble, à cette situation en raison de la définition de son champ d'application à l'art. 2 LCD.

A l'heure actuelle, la corruption privée reste donc dépendante de la notion de concurrence déloyale au sens de la LCD. Or, ce lien apparaît comme artificiel, voire incohérent, car des comportements équivalents sont punissables ou non suivant le contexte (situation de concurrence ou non).

29

ATF 126 III 198, consid. 2c, p. 202.

3443

De plus, ce rattachement à la LCD ne permet pas de couvrir assez clairement les actes de corruption concernant l'attribution de grandes manifestations sportives comme les Jeux Olympiques ou la Coupe du monde de football30. En effet, la concurrence entre villes candidates, à l'instar des procédures internes d'élection pour des fonctions dirigeantes au sein de ces organisations sportives, ne relèvent en principe pas de la notion de concurrence au sens de la LCD. Le lien créé entre l'infraction de corruption privée et la concurrence déloyale pose ainsi des problèmes pour s'assurer que certains actes commis au sein d'organisations privées, spécialement les fédérations sportives internationales, soient soumis aux règles pénales en matière de corruption. Au vu des enjeux financiers importants que recèlent l'attribution des Jeux Olympiques ou de la Coupe du Monde de football, par exemple, il faut en effet considérer qu'il existe un intérêt public suffisant à ce que ce genre de procédures ne soient pas entachées par des comportements corrompus. Or, il s'est avéré que les mécanismes de contrôle interne de ces organismes peuvent se révéler insuffisants.

En conclusion, l'infraction de corruption privée doit être détachée de la notion de concurrence déloyale et constituer une infraction autonome dans le code pénal. Cela permettra aussi de clarifier la position de diverses entités à but non lucratif, notamment les fédérations sportives internationales. Lors de la consultation, la très grande majorité des participants a soutenu le transfert de la corruption privée dans le code pénal. Outre les 17 intervenants qui ont approuvé l'avant-projet en bloc, 28 ont soutenu explicitement ce point. Seuls 2 participants31 s'y sont opposés, en plus des 3 participants qui ont rejeté l'avant-projet en bloc.

1.2.2

Corruption d'agents publics

Les art. 322quinquies et 322sexies CP incriminent une forme atténuée de corruption d'agents publics. Contrairement à la forme standard des art. 322ter et 322quater CP, ces infractions n'englobent pas les cas où l'avantage indu est destiné à un tiers.

En effet, dans leur formulation actuelle, ces deux articles ne couvrent pas les cas où un avantage indu est octroyé à un tiers pour qu'un agent public accomplisse un acte qu'il est de toute façon obligé d'accomplir. Or, cette hypothèse doit également être couverte en droit suisse en vertu de la convention pénale. Sur ce point précis, les art.

322quinquies et 322sexies CP n'étaient pas, selon l'évaluation du GRECO, en pleine conformité avec les engagements internationaux de la Suisse. Il a donc recommandé à la Suisse d'y remédier. Il est vrai que si le tiers est un proche de l'agent public, comme l'épouse, par exemple, on considère que l'agent public peut aussi en bénéficier indirectement. Par contre, le droit actuel ne couvre pas d'autres hypothèses où l'agent public n'a pas de liens patrimoniaux directs avec le tiers, comme par exemple, lorsque le tiers est un parti politique ou un club sportif.

Or, dans différentes constellations, le fait d'accorder des avantages indus à un tiers avec l'intention d'influencer un agent public peut aussi nuire aux exigences d'intégrité de l'agent public concerné. Il est donc nécessaire d'étendre le champ d'application des art. 322quinquies et 322sexies CP au cas où l'avantage indu profite à un tiers et pas seulement à l'agent public concerné, comme c'est le cas actuellement.

30 31

FF 2004 6549 6575 Bâle-Ville et l'UDC.

3444

Cet avantage indu doit toutefois, comme actuellement, être lié à l'accomplissement par l'agent public des devoirs de sa charge et l'auteur doit agir, également sur ce point, avec conscience et volonté.

Une telle extension est, par ailleurs, soutenue par une partie de la doctrine32. Elle a, en outre, été très bien accueillie en consultation. Seul un participant33 s'y oppose expressément.

1.3

Autres thématiques abordées dans l'avant-projet

Le rapport explicatif du 15 mai 2013 a également examiné d'autres propositions et critiques en relation avec les normes pénales incriminant la corruption. Le GRECO a, par exemple, préconisé d'examiner l'opportunité de retirer les réserves formulées par la Suisse lors de la ratification de la convention pénale et d'entreprendre, le cas échéant, les modifications législatives nécessaires.

Matériellement, ces réserves et déclarations concernent: ­

le trafic d'influence, qui n'est que très partiellement incriminé en droit suisse,

­

la renonciation à incriminer la corruption d'agents publics étrangers, lorsque celle-ci porte sur des actes que ces derniers sont de toute façon obligés d'accomplir (actes liés),

­

l'exigence de la double incrimination prévue par le droit suisse pour poursuivre les infractions de corruption commises à l'étranger.

Dans son rapport «Lutte contre la corruption et les matchs truqués dans le sport»34, le Conseil fédéral est par ailleurs arrivé à la conclusion que l'instauration d'une responsabilité pénale cumulative de l'entreprise (art. 102, al. 2, CP) pour les actes de corruption passive devait aussi être examinée.

1.3.1

Incrimination du trafic d'influence

Le trafic d'influence suppose une relation triangulaire dans laquelle une personne dotée d'une influence réelle ou supposée sur une personne exerçant une charge publique, «échange» cette influence contre un avantage fourni par un tiers. Par exemple, un parlementaire touche des avantages financiers de la part d'un entrepreneur pour qu'il use de son influence auprès de deux conseillers communaux, membres de son parti, afin qu'ils choisissent l'entreprise en question dans le cadre de l'adjudication d'un marché public. En outre, l'infraction de trafic d'influence est donnée, que l'influence soit ou non exercée et que l'influence supposée produise ou non le résultat recherché.

Le code pénal suisse ne contient pas d'infraction intitulée «trafic d'influence», mais certains cas graves de trafic d'influence sont néanmoins réprimés par les art. 322ter à 322septies CP.

32 33 34

Voir Queloz/Borghi/Cesoni, Processus de corruption en Suisse, p. 373 et Jositsch, Das Schweizerische Korruptionsstrafrecht, p. 370­372.

l'Union suisse des arts et métiers (USAM).

Ch. 4.3.5, p. 46.

3445

Le législateur a en effet souhaité se concentrer sur l'intégrité des agents publics, dont les actes en matière de corruption peuvent saper la confiance des citoyens dans l'administration publique, dans la justice et dans les autorités en général, plutôt que de chercher à incriminer le comportement de certaines personnes privées qui gravitent en dehors du cercle de la fonction publique.

Ainsi, le droit suisse en vigueur se focalise sur le comportement du dernier maillon de la chaîne, à savoir l'agent public, en incriminant non seulement la corruption au sens étroit (art. 322ter et 322quater CP), mais aussi les cas d'acceptation ou d'octroi d'avantages (art. 322quinquies et 322sexies CP).

Par conséquent, le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion, dans son rapport explicatif du 15 mai 2013, que les formes les plus graves du trafic d'influence sont déjà réprimées en droit suisse et que les dispositions pénales suisses couvrent les phases préalables de la corruption par une approche différente, mais également appropriée, à savoir celle des art. 322quinquies et 322sexies CP.

Lors de la consultation, la très grande majorité des participants s'est ralliée à cette conclusion, la plupart implicitement. Seules deux organisations35 ont critiqué la renonciation à incriminer le trafic d'influence.

Par ailleurs, le GRECO, dans le cadre de sa procédure de conformité, s'est penché sur l'analyse effectuée dans le rapport explicatif du 15 mai 2013. Il a estimé que cette analyse était suffisante pour considérer que la Suisse avait effectivement réexaminé l'opportunité de la non-incrimination du trafic d'influence. Le GRECO en a conclu que sa recommandation sur ce point avait été mise en oeuvre de façon satisfaisante36.

1.3.2

Extension des cas de corruption transfrontalière aux actes liés

L'infraction de l'art. 322septies CP, qui concerne les agents publics étrangers, s'applique seulement lorsque l'acte envisagé est contraire aux devoirs ou dépend du pouvoir d'appréciation de l'agent public. Le cas où l'agent étranger reçoit un avantage pour accomplir un acte conforme à ses devoirs et qui ne dépende pas de son pouvoir d'appréciation (acte lié) n'est donc pas couvert par l'art. 322septies CP.

Cela concerne principalement les libéralités appelées «petits paiements de facilitation», destinés à inciter l'agent public à exécuter ses fonctions. Il peut s'agir, par exemple, de l'apposition d'un cachet que l'agent doit de toute façon délivrer ou de l'octroi d'un permis lorsque toutes les conditions sont remplies.

Quoi qu'il en soit, l'art. 322septies CP a une portée large, car les notions de devoirs et de pouvoir d'appréciation de l'agent public doivent être interprétées extensivement, indépendamment du montant de l'avantage indu. Ainsi, l'avantage destiné à accélérer l'exécution d'un acte administratif constitue aussi une violation des devoirs et du pouvoir d'appréciation de l'agent public. Il tombe donc aussi sous le coup de l'art.

35 36

La Section suisse de la Commission internationale de juristes (ICJ-CH) et l'Université de Berne (UNIBE).

GRECO, Troisième cycle d'évaluation: Rapport de Conformité sur la Suisse, du 18 octobre 2013, §24 à 25, publié sur Internet: www.ofj.admin.ch > Thèmes > Criminalité > Corruption (GRECO).

3446

322septies CP, même s'il s'agit d'un petit paiement. Cette interprétation peut par ailleurs s'appuyer sur une décision de jurisprudence, par analogie37.

Dans le rapport explicatif du 15 mai 2013, le Conseil fédéral a présenté, de manière approfondie, les motifs justifiant de ne pas étendre la norme pénale incriminant la corruption d'agents publics étrangers. Lors de la consultation, la très grande majorité des participants s'est ralliée à cette conclusion, la plupart implicitement. Seules six organisations38 ont critiqué la renonciation à cette mesure. Elles avancent trois arguments principaux. Premièrement, les montants en jeu seraient parfois très substantiels et représenteraient une véritable culture dans certains pays. Deuxièmement, une telle extension de l'incrimination serait très utile lorsqu'il n'est pas pas possible de prouver, notamment en raison des difficultés de l'entraide judiciaire, le lien entre un avantage et un acte déterminé accompli par un agent public étranger. Troisièmement, il ne serait ni cohérent ni conforme à l'éthique sociale que le même comportement soit sanctionné lorsque des agents publics suisses sont impliqués, mais non lorsqu'il s'agit d'agents publics étrangers.

Le Conseil fédéral considère que ces arguments ne justifient pas de modifier le droit suisse actuel qui constitue une solution équilibrée et respectant les obligations internationales endossées par la Suisse. Comme mentionné ci-dessus, l'art. 322septies CP a une large portée et les notions de violation des devoirs et de pouvoir d'appréciation de l'agent public sont interprétées extensivement.

De plus, le GRECO, dans le cadre de sa procédure de conformité, s'est penché sur l'analyse effectuée dans le rapport explicatif du 15 mai 2013. Il a estimé que cette analyse était suffisante pour considérer que la Suisse avait effectivement réexaminé l'opportunité de ne pas étendre aux actes liés la corruption d'agents publics étrangers. Il en a conclu que sa recommandation sur ce point avait été mise en oeuvre de façon satisfaisante39.

1.3.3

Suppression de l'exigence de la double incrimination pour les actes de corruption

La condition de la double incrimination représente un principe fondamental du droit pénal suisse. L'idée sous-jacente est d'appliquer le code pénal aux actes commis à l'étranger seulement si ces actes sont aussi punissables à l'endroit où ils sont commis. Cette règle est une émanation du principe de la légalité, qui est de rang constitutionnel. En d'autres termes, seuls des motifs exceptionnels permettent de punir quelqu'un qui se comporte de manière conforme aux règles du lieu où il se trouve.

Le droit suisse prévoit ainsi certaines exceptions restrictives, par exemple, lorsque la protection de l'Etat suisse et de la défense nationale est en jeu (art. 4 CP) ou l'intégrité sexuelle des mineurs (art. 5 CP). Il existe également des exceptions pour certaines infractions spécifiques très graves, comme par exemple la prise d'otage

37 38

39

Obergericht Zürich, II. Strafkammer, Urteil vom 16. November 2010 i. S.A. gegen Staatsanwaltschaft Zürich-Limmat ­ SB 100547.

Les Verts (PES), la Section suisse de la Commission internationale de juristes (ICJ-CH), le Ministère public de la Confédération, SwissOlympic (SwOl), Tranparency International Suisse (TIS) et l'Université de Genève (UNIGE).

GRECO, Troisième cycle d'évaluation: Rapport de Conformité sur la Suisse, du 18 octobre 2013, §15 à 16.

3447

(art. 185, al. 5, CP), le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre (art. 264m CP).

L'exigence de la double incrimination est toutefois interprétée de telle manière qu'il suffit que l'acte en question soit également punissable à l'endroit où il a été commis, sans qu'il soit nécessaire que la définition de l'acte ou la sanction prévue soient identiques (double incrimination abstraite). De plus, il faut rappeler que la corruption d'agents publics est une infraction usuelle, incriminée probablement par quasiment tous les Etats du monde. Au surplus, l'incrimination de la corruption est érigée en obligation internationale dans différents instruments juridiques, y compris la convention de l'ONU, ratifiée par 170 Etats40. L'obstacle qu'aurait pu constituer la condition de la double incrimination semble ainsi être négligeable sur le plan théorique. En pratique, il n'existe d'ailleurs pas de cas concret connu, où l'exigence de la double incrimination aurait constitué un obstacle.

A titre de comparaison, d'autres pays européens, comme la France, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas, connaissent également le principe de la double incrimination et ont formulé une réserve similaire à celle de la Suisse.

Au vu de ce qui précède, le Conseil fédéral a considéré, dans son rapport explicatif du 15 mai 2013, que ni la gravité, ni les caractéristiques des infractions de corruption ne justifient que la Suisse renonce au principe de la double incrimination. Lors de la consultation, tous les participants se sont ralliés à cette conclusion, la plupart implicitement.

Par ailleurs, le GRECO, dans le cadre de sa procédure de conformité, s'est penché sur l'analyse effectuée dans le rapport explicatif du 15 mai 2013. Il a estimé que cette analyse était suffisante pour considérer que la Suisse avait effectivement réexaminé l'opportunité de renoncer à l'exigence de la double incrimination. Il en a conclu que sa recommandation sur ce point avait été mise en oeuvre de façon satisfaisante41.

1.3.4

Responsabilité des entreprises pour corruption passive

Finalement, le Conseil fédéral a examiné, dans son rapport explicatif du 15 mai 2013, la proposition d'étendre à la corruption passive la responsabilité pénale cumulative des entreprises (notion qui inclut les personnes morales de droit privé, notamment les associations). Celle-ci n'est pas prévue actuellement. Elle est en effet limitée à la corruption active (art. 102, al. 2, CP).

Cette distinction s'explique par des différences conceptuelles fondamentales. La responsabilité pénale cumulative des entreprises a pour but d'incriminer un comportement répréhensible de leur part. Dans le cas de la corruption active, on part de l'idée que l'entreprise va profiter du crime de corruption active commis en son sein.

Par contre, la corruption passive nuit généralement à l'entreprise au sein de laquelle elle a lieu. Le comportement répréhensible du corrompu porte en effet atteinte à son obligation juridique de loyauté envers elle. Par exemple, si, dans le cadre de la 40 41

Etat février 2014.

GRECO, Troisième cycle d'évaluation: Rapport de Conformité sur la Suisse, du 18 octobre 2013, §29 à 30.

3448

négociation d'un contrat entre deux entreprises, le négociateur de la première entreprise soudoie son partenaire de la deuxième entreprise pour obtenir un contrat excessivement favorable, la première entreprise bénéficiera d'un contrat très favorable, alors que le comportement du collaborateur de la deuxième entreprise nuit très clairement aux intérêts commerciaux de cette dernière. Dans cette optique, il serait contradictoire de punir l'entreprise déjà lésée.

S'il est possible que la responsabilité pénale cumulative des entreprises pour la corruption passive ait éventuellement un effet préventif supplémentaire en obligeant celles-ci à prendre les mesures nécessaires pour empêcher une telle infraction en leur sein, l'introduction d'une telle responsabilité va à l'encontre de la systématique et des principes sous-jacents à la responsabilité pénale des entreprises. De plus, une telle responsabilité pénale cumulative pour la corruption passive n'est pas exigée par les standards internationaux42.

Pour ces raisons, le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion qu'une telle proposition, qui viserait l'ensemble des entreprises, doit être rejetée. Lors de la consultation, la très grande majorité des participants s'est ralliée à cette conclusion, la plupart implicitement. Seules cinq organisations43 ont critiqué la renonciation à étendre la responsabilité pénale cumulative des entreprises à la corruption passive.

2

Commentaire des dispositions

2.1

Corruption dans le secteur privé

2.1.1

Les nouvelles dispositions du code pénal (art. 322octies et 322novies P-CP)

Dorénavant, la corruption dans le secteur privé sera poursuivie d'office, comme c'est déjà le cas pour la corruption d'agents publics.

Quant au libellé des art. 322octies et 322novies P-CP, il reprend de manière presque identique celui de l'art. 4a, al. 1, LCD. Les éléments constitutifs de l'infraction ne changent pas. La peine encourue ne change pas non plus (peine maximale de trois ans de privation de liberté). La peine encourue tient ainsi compte du degré de gravité moindre de l'infraction par rapport à la corruption d'agents publics (crime passible d'une peine maximale de cinq ans). La transformation de l'infraction de corruption privée en crime punissable d'une peine de cinq ans au maximum, afin, par exemple, de l'ériger en infraction préalable au blanchiment d'argent, irait à l'encontre de cette pondération.

Seul le transfert de l'infraction de corruption privée dans le CP influence le champ d'application de la norme, en supprimant le lien avec la notion de concurrence déloyale. Cela permet une clarification de son champ d'application.

Il n'est dorénavant plus nécessaire que la corruption privée fausse le fonctionnement du marché ou influence de manière inadmissible le jeu de la concurrence pour 42

43

Art. 18 convention pénale et art. 2 en relation avec l'art. 1 de la Convention du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (convention OCDE; RS 0.311.21).

Les Verts (PES), la Section suisse de la Commission internationale de juristes (ICJ-CH), Tranparency International Suisse (TIS), l'Université de Berne (UNIBE) et l'Université de Genève (UNIGE).

3449

qu'elle soit punissable. Selon la jurisprudence actuelle, l'acte doit en effet «être objectivement propre à avantager ou désavantager une entreprise dans sa lutte pour acquérir de la clientèle, ou à accroître ou diminuer ses parts de marché»44.

La corruption privée sera donc aussi punissable lorsque le comportement corruptif n'interfère pas dans le jeu de la concurrence, par exemple, parce qu'il intervient dans un contexte de monopole ou parce que la corruption ne porte pas sur l'acquisition d'un marché, mais intervient après la conclusion du contrat. Tel est par exemple le cas si, comme déjà mentionné, un sous-traitant qui fournit des pièces de freins corrompt le responsable du contrôle qualité d'un constructeur automobile pour qu'il ferme les yeux sur la qualité déficiente de son produit à la livraison. Ce comportement n'était jusqu'à maintenant pas punissable car il n'interfère pas dans le jeu de la concurrence vu que le contrat est déjà conclu. A l'avenir, il sera punissable. Il en découle ainsi une légère extension du champ d'application, qui reste néanmoins limité aux activités commerciales et professionnelles. Les biens juridiques protégés restent principalement la loyauté due par les employés, les mandants, etc. dans leurs activités commerciales et professionnelles, respectivement l'intérêt de l'employeur, du mandataire, etc. à l'exercice loyal et objectif des tâches confiées ainsi que l'intérêt public à un libre marché, qui sera défini plus largement que la lutte contre la concurrence déloyale. Dans certaines circonstances, les intérêts de tiers peuvent également être directement touchés.

Par ailleurs, cette modification permet de se libérer des doutes sur la notion de concurrence déloyale en matière d'attribution de grandes manifestations sportives.

Seul le critère de l'activité commerciale ou professionnelle reste pertinent à cet égard. Or, il a été exposé ci-dessus (ch. 1.2.1.2) en quoi cet élément constitutif couvre l'activité des fédérations sportives internationales.

Outre le critère de l'activité commerciale ou professionnelle, un autre critère important continue d'encadrer la définition de la corruption privée. Comme déjà mentionné ci-dessus (ch. 1.2.1.1), il doit exister une relation tripartite. La corruption privée doit porter atteinte aux intérêts juridiques d'un tiers,
en droit d'attendre, le plus souvent de son collaborateur ou de son mandataire, que ce dernier respecte, envers lui, son obligation de loyauté découlant de la loi ou d'un contrat. L'infraction de corruption privée n'interdit donc pas le comportement «vénal» d'un particulier, s'il ne viole pas une obligation juridique de loyauté qu'il a envers un tiers.

Par ailleurs, le projet maintient l'approche restrictive choisie pour le secteur privé, pour lequel les infractions d'octroi, respectivement d'acceptation d'un avantage indu ne s'appliquent pas, contrairement à ce qui vaut pour les agents publics suisses (art. 322quinquies et 322sexies CP).

Concernant le champ d'application, la corruption d'agents privés étrangers est également couverte pour autant qu'un critère de rattachement avec la Suisse, tel que prévu par les règle générales du CP, existe (l'acte a lieu en Suisse ou l'auteur est suisse, par ex.).

44

ATF 126 III 198, consid. 2c, p. 202.

3450

2.1.2

Le droit de la concurrence déloyale n'est pas modifié

Même si l'infraction de corruption privée est transférée dans le code pénal, il n'y a pas lieu de modifier la définition actuelle des comportements déloyaux dans la LCD.

Une disposition spécifique, à savoir l'art. 4a LCD actuel, doit continuer de préciser que la corruption privée peut constituer un comportement déloyal. L'art. 4a LCD doit ainsi être maintenu dans la LCD, tout en supprimant sa mention à l'art. 23 qui définit quels comportements déloyaux entraînent des conséquences pénales. Ces conséquences pénales seront dorénavant régies par le code pénal (art. 322octies et 322novies P-CP).

Le maintien de l'art. 4a LCD en tant que disposition spécifique dans la LCD permet, de manière significative, aux personnes atteintes dans leurs intérêts économiques par un comportement déloyal de faire valoir les droits qui découlent de l'art. 9 LCD, notamment pour démontrer qu'un dommage a été causé de manière illicite. Pour ce faire, il suffira de démontrer que les conditions de l'art. 4a LCD sont remplies45.

Cela permet notamment à toute personne qui subit une atteinte dans ses intérêts économiques par un acte de corruption privée de déposer une action en cessation de troubles et en dommages-intérêts (art. 9, al. 1 et 3, LCD).

En l'absence d'une disposition spécifique sur la corruption privée dans la LCD, il ne resterait plus que la clause générale (art. 2 LCD) pour faire valoir les droits qui découlent de l'art. 9 LCD, ce qui constituerait un désavantage considérable.

2.2

Corruption d'agents publics (art. 322quinquies et 322sexies P-CP)

Suite à la révision des art. 322quinquies et 322sexies CP, seront dorénavant aussi couverts tous les cas où un avantage indu est octroyé à un tiers pour qu'un agent public accomplisse les devoirs de sa charge, y compris lorsque l'agent public n'a pas de liens patrimoniaux directs avec le tiers, comme par exemple, lorsque le tiers est un parti politique ou un club sportif. Il n'est donc plus nécessaire que l'agent public bénéficie, ne serait-ce qu'indirectement, de l'avantage indu.

La condition du comportement intentionnel, par contre, demeure, également dans cette nouvelle hypothèse. Ceci implique que l'agent public devra, d'une manière ou d'une autre, avoir connaissance de l'avantage indu, afin que le lien avec l'accomplissement des devoirs de sa charge, tel qu'exigé par ces deux articles soit donné.

Au surplus, les dispositions pénales incriminant la corruption d'agents publics ne sont pas modifiées. Le libellé français des art. 322quinquies et 322sexies CP subit néanmoins encore une adaptation formelle, afin d'employer la formulation épicène habituelle.

45

Philippe Spitz in P. Jung/P. Spitz, Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb, Stämpflis Handkommentar, Berne 2010, no 156, art. 9.

3451

2.3

Dispositions communes (art. 322decies P-CP)

L'al. 1 de l'art. 322decies P-CP combine deux dispositions. D'une part, il reprend le sens de l'art. 322octies, ch. 2, qui définit l'avantage indu en matière de corruption d'agents publics. D'autre part, il reprend le sens de l'art. 4a, al. 2, LCD, qui définit l'avantage indu en matière de corruption privée. La portée matérielle de ces deux normes n'est pas modifiée.

Les avantages conformes aux usages sociaux et de faible valeur continuent ainsi d'être exclus du champ d'application de la norme pénale et ne sont, par définition, pas punissables. De même, les avantages autorisés par le règlement de service ou convenus par contrat ne sont pas non plus incriminés. Afin de ne pas vider la norme de sa substance, les avantages autorisés ou convenus doivent toutefois avoir été définis antérieurement à l'acte en question. Concernant la corruption privée, il convient encore de rappeler que les avantages qui bénéficient à l'employeur (rabais, primes de fidélité, etc.) ne sont évidemment pas non plus incriminés.

Quant à l'al. 2, il reprend, sans en modifier la portée, le libellé de l'art. 322octies, ch. 3, relatif aux particuliers accomplissant des tâches publiques.

2.4

Adaptation de l'art. 102, al. 2, CP

Comme la corruption privée active sera dorénavant incriminée dans le CP et non plus dans la LCD, le libellé de l'art. 102, al. 2, CP doit être adapté en remplaçant la référence à l'art. 4a, al. 1, let. a, LCD par la mention de l'art. 322octies P-CP.

2.5

Adaptation du code pénal militaire (art. 141a, al. 1, et 143, al. 1, CPM)

Les art. 141a, al. 1, et 143, al. 1, du code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)46 (octroi, respectivement acceptation d'un avantage) doivent être adaptés afin de reprendre la modification des dispositions pendantes du CP (voir le commentaire des art. 322quinquies et 322sexies P-CP, ci-dessus, ch. 2.2).

De plus, le libellé français des art. 141a, al. 1, et 143, al. 1, CPM subit également une adaptation formelle, afin d'employer la formulation épicène habituelle.

Il n'est, par contre, pas nécessaire d'introduire les infractions de corruption privée active et passive dans le CPM. En effet, concernant en particulier la corruption passive, les militaires sont considérés comme des agents publics. Par conséquent, ils relèvent en première ligne de l'art. 142 CPM. Subsidiairement, le droit pénal ordinaire (en particulier les art. 322octies et 322novies P-CP) s'applique, le cas échéant, aux personnes soumises au droit pénal militaire et celles-ci sont alors justiciables devant les tribunaux ordinaires (art. 8 et 219, al. 1, CPM). Il n'y a donc, de ce point de vue, aucun changement par rapport à la situation juridique actuelle où la corruption privée active et passive est incriminée par la LCD.

46

RS 321.0

3452

3

Conséquences

3.1

Conséquences pour la Confédération et les cantons

La suppression de la condition de la plainte en matière de corruption privée pourrait entraîner une augmentation du nombre de poursuites pénales concernant la corruption privée, qui est quasi nulle pour l'instant. Il pourrait donc s'ensuivre un léger surplus de travail pour les autorités de poursuite pénale cantonales. Les ressources actuelles à disposition suffiront certainement à gérer cette charge supplémentaire, limitée à un domaine très spécifique de la criminalité. Pour la Confédération, le projet n'a pas de conséquences en matière de finances ou de personnel.

3.2

Conséquences économiques

Les conséquences du projet sur les acteurs économiques sont tout à fait marginales.

La modification des normes pénales ne devrait pas entraîner de charge supplémentaire pour les entreprises. D'un point de vue macro-économique, le projet vise à renforcer l'intégrité au sein des acteurs économiques et a pour but d'éviter que la corruption privée porte atteinte au bon fonctionnement de l'économie et à la confiance des acteurs économiques en un marché libre et non biaisé.

4

Relation avec le programme de la législature

Le projet n'a été annoncé ni dans le message du 25 janvier 2012 sur le programme de la législature 2011 à 201547, ni dans l'arrêté fédéral du 15 juin 2012 sur le programme de la législature 2011 à 201548. Ceci s'explique par le fait que, au moment de l'élaboration du message relatif au programme de la législature précitée, le Parlement n'avait pas encore décidé de la suite à donner à l'initiative parlementaire 10.516 et que le Conseil fédéral ne s'était pas encore saisi du rapport du GRECO.

5

Aspects juridiques

5.1

Constitutionnalité

Les modifications proposées relèvent de la compétence législative générale de la Confédération en matière de droit pénal et de procédure pénale (art. 123, al. 1, de la Constitution49).

47 48 49

FF 2012 349 FF 2012 6667 RS 101

3453

5.2

Compatibilité avec les obligations internationales

Les modifications proposées concordent avec les standards internationaux en matière de lutte contre la corruption. Elles assurent la pleine conformité du droit suisse avec la Convention pénale du Conseil de l'Europe du 27 janvier 1999 sur la corruption et son protocole additionnel, également à l'aune de leur interprétation par le GRECO.

3454