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Message du

conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant

la révision du IIIme chapitre de la constitution fédérale, qui traite de la révision de celle-ci.

(Du 13 juin 1890.)

Monsieur le président et messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre aujourd'hui un message qui fait suite à nos rapports et à nos propositions sur les motions relatives à la révision de la constitution, adoptées en 1884 et plus tard et liquidées pour la plupart (voir message du 22 mai 1889).

Il a pour objet le IIIme chapitre de la constitution fédérale, qui traite de la révision, et se termine par une proposition ayant pour but de rendre possible la révision partielle de la constitution fédérale par la voie de l'initiative populaire.

Voici, en peu de mots, ce que prescrit au sujet de la révision de la constitution fédérale notre droit fédéral actuel, tel qu'il est réglé par la constitution, les lois et les arrêtés de l'assemblée fédérale.

La constitution fédérale peut être révisée en tout temps (article 118 de la constitution fédérale).

La révision de la constitution fédérale rentre dans les attributions de l'assemblée fédérale (article 84 et article 85, chiffre 14, de la constitution fédérale). Elle constitue une affaire qui doit être

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traitée séparément par chacune des deux chambres (article 92 de la constitution fédérale) et a lieu dans les formes statuées pour la législation fédérale (article 119 de la constitution fédérale), c'est-àdire conformément aux dispositions de la « loi fédérale sur les rapports entre le conseil national et le conseil des états, ainsi que sur la forme de la promulgation et de la publication des lois et des arrêtés», du 22 décembre 1849, et à celles des règlements pour le conseil national et le conseil des états.

L'assemblée foderale a le droit de procéder à une révision générale (révision totale) ou à une révision partielle de la constitution fédérale. Elle a usé du. premier de ces droits (sous le régime de la constitution fédérale de 1848, qui renfermait textuellement les mêmes dispositions que la constitution actuelle concernant la révision), en procédant aux révisions totales de 1872 et de 1874, et du second en procédant aux révisions partielles de 1865 (sept articles), de 1879 (modiiication de l'article 65 concernant la peine de mort), de 1885 (modification de l'article 31 et intercalation d'un nouvel article 32bi8 et d'un nouvel article 6 des dispositions transitoires, fabrication et vente des boissons distillées et législation sur les auberges), de 1887 (modification de l'article 64 concernant la protection des inventions).

Pour qu'un arrêté de révision soit valable, il faut, comme pour tout autre arrêté, qu'il y ait entente entre les deux conseils. S'ils ne peuvent tomber d'accord, «la question reste sans solution, jusqu'à ce qu'elle soit remise à l'ordre du jour en la manière psescrite pour la législation » (article 6 de la loi fédérale sur les rapports entre les deux conseils, etc.)

La constitution fédérale statue elle-même une exception dans un seul cas, à savoir lorsqu'il s'agit de la révision totale de la constitution fédérale. Lorsqu'une section de l'assemblée fédérale décrète la révision et que l'autre section n'y consent pas, l'affaire n'en reste pas là, mais, en vertu de l'article 120 de la constitution fédérale, la question de savoir si la révision doit avoir lieu est soumise à la votation du peuple suisse. Une révision partielle de la constitution au sujet de laquelle les chambres ne tombeut pas d'accord ne peut pas être soumise à, la votation du peuple. La façon dont la question
doit être posée au peuple est exactement prescrite par la constitution fédérale et ne peut pas être modifiée à volonté. Elle est telle que, si le peuple résout cette question affirmativement, la révision ne porte pas sieulement sur un point quelconque, mais doit consister en une révision totale. Lorsque la chambre qui a pris l'initiative d'une révision partielle déterminée ne veut pas y renoncer, malgré le rejet définitif de l'autre chambre, elle décrète la révision totale et le reste se passe comme il est indiqué ci-dessus.

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Outre ce mode de procéder ordinaire en matière de révision constitutionnelle, basé sur l'initiative des conseils, la constitution fédérale en prévoit un extraordinaire basé sur l'initiative populaire.

Cinquante mille citoyens suisses ayant droit de voter peuvent demander directement la révision de la constitution fédérale (article 120 de la constitution fédérale). La forme et le délai dans lesquels une pareille demande doit être présentée sont déterminés par la loi fédérale concernant le mode de procéder pour les demandes de révision de la constitution fédérale, du 5 décembre 1867.

Lorsque la demande est conforme à la constitution et aux lois, la question de savoir si la révision doit avoir lieu est soumise à la votation du peuple. La question est posée de la môme façon que dans le cas précédent, que nous venons de traiter, et les conséquences sont les mêmes. Suivant la constitution actuelle, la révision totale peut seule avoir lieu par la voie de l'initiative populaire ; toutefois, il est évident qu'elle peut aussi se borner à la révision de quelques articles seulement.

Si le peuple est appelé à voter sur la question de la révision et si la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, les deux conseils doivent en tout cas être renouvelés pour entreprendre la révision (article 120, 2me alinéa, de la constitution fédérale), ce qui a toujours lieu dans les formes statuées pour la législation fédérale.

Le résultat des délibérations sur les points où il y a entente entre les deux conseils est soumis à l'acceptation du peuple et des cantons. La constitution fédérale révisée (lorsqu'il y a eu révision totale) ou les articles modifiés et les nouveaux articles (lorsque les conseils ont procédé à une révision partielle) entrent en vigueur lorsqu'ils ont été acceptés par la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation et par la majorité des cantons.

Durant les délibérations relatives à la révision de la constitution fédérale (1871 à 1874), il n'a pas été question de modifier les dispositions d'alors sur la révision de la constitution et personne n'a proposé d'introduire la révision partielle par voie d'initiative populaire. Les dispositions de la constitution fédérale de 1848 ont passé telles quelles dans la constitution de 1874. Un incident survenu plus tard semble démontrer qu'on ne s'était pas rendu exactement compte, à cette époque, du contenu et de la portée des dispositions relatives à l'initiative populaire en matière de révision constitutionnelle, qui n'avait jamais été mise en pratique.

414 Cet incident consiste dans la pétition adressée en 1879 par le comité central du Volksverein suisse à l'assemblée fédérale, pour la prier de « procéder sans retard, de sa propre initiative, à la révision des articles 39 et 120 de la constitution fédérale, et cela séparément», puis dans celle de 56,526 citoyens suisses demandant de remplacer l'article 39 de la constitution fédérale par un nouvel article et de soumettre celui-ci à la votation du peuple. Ces pétitions ont provoqué deux messages du conseil fédéral, du 28 novembre 1879 (F. féd. 1879, III. 1081) et du 18 août 1880 (F. féd. 1880, III. 583), qui éclaircissent les dispositions constitutionnelles concernant la révision de la constitution et démontrent, en particulier, qu'il est inadmissible de soumettre au peuple la question de la révision d'un article quelconque et plus inadmissible encore de lui soumettre, pour l'acceptation ou le rejet, un article constitutionnel proposé par voie d'initiative populaire.

Les deux pétitions, telles qu'elles étaient présentées, ont été écartées ; toutefois, elles ont fourni l'occasion de discuter la question de savoir s'il ne conviendrait pas que l'assemblée fédérale entreprit la révision de l'article 120, afin de rendre possible la révision partielle par voie d'initiative populaire.

A cette époque, cette question a été résolue négativement, et cela surtout pour motifs d'opportunité. Elle sé pose derechef aujourd'hui sous forme de motion présentée en 1884 au sein du conseil national. Le conseil fédéral vous propose de l'aborder et de compléter la constitution actuelle dans le sens de ladite motion.

Cet incident de 1880 prouve qu'il ne s'agit pas d'une question de doctrine, mais d'une question de nécessité pratique ; il démontre que l'idée de modifier telle ou telle disposition constitutionnelle en.

vigueur ou d'introduire une nouvelle disposition propre à contribuer au développement du pays peut aussi bien germer dans le sein do la population que dans l'assemblée fédérale. Si cette idée surgit au sein de l'assemblée fédérale et est adoptée, cette autorité peut immédiatement lui donner suite en procédant tout simplement à une révision de la disposition constitutionnelle y relative et en soumettant la modification ou l'adjonction décrétée à la votation, comme le prescrit la constitution. Mais qu'une
idée analogue de révision surgisse en dehors de l'assemblée fédérale, au sein du peuple, et qu'elle soit par exemple en contradiction avec la manière de voir de cette dernière, il lui sera impossible de suivre son cours directement, à moins que ses promoteurs ne viennent heurter à la porte de l'assemblée fédérale pour la lui présenter sous forme de pétition. Les 50,000 citoyens suisses qui, en 1880, ont réclamé une simple révision de l'article concernant les billets de banque ont dû se résigner à voir leur demande de révision par-

415 tielle changée en une demande générale de révision de la constitution et soumise au peuple sous cette forme. Qu'est-ce qui était juste ? Il est évident que, pour le peuple, la question de savoir si la constitution fédérale doit être révisée est tout autre que celle de savoir si tel ou tel article doit Être abrogé, modifié ou complété. L'incertitude concernant les résultats probables d'une révision, jointe à l'éventualité inévitable, en cas d'affirmative, du renouvellement des deux conseils, pèse tellement dans la balance en faveur du rejet, qu'on peut parfaitement prétendre qu'il est impossible, par la voie de l'initiative populaire, telle qu'elle est réglée par l'article 120 actuel, d'apprendre à connaître la véritable volonté populaire concernant la modification de la constitution et de lui faire droit.

Les constitutions des cantons ne renferment pas de restriction semblable en contradiction avec les idées démocratiques et entravant la liberté d'action du peuple. Les constitutions de tous les cantons, sauf un très-petit nombre, prévoient la révision partielle de la constitution par voie d'initiative ; chaque fois qu'une demande de révision partielle appuyée par le nombre voulu de citoyens ayant le droit de voter est présentée, on soumet au peuple la question d'une révision partielle déterminée et, s'il la résout affirmativement, on procède à cette révision limitée.

L'organisation federative par laquelle la Confédération, en sa qualité d'état, diffère des cantons n'exige pas qu'on se borne à admettre l'initiative populaire en matière de révision totale. Le fait que 50,000 citoyens suisses, qui ont actuellement le droit de demander la révision totale de la constitution, pourront aussi réclamer une révision partielle, à l'avenir, ne constitue pas une modification de principe du rôle du peuple et des cantons dans la Confédération, pas plus que la faculté de soumettre au peuple, outre la question de la révision totale, celle d'une révision de telle ou telle disposition de la constitution. Dans les deux cas, la révision a lieu par voie législative, c'est-à-dire que les deux facteurs de l'état fédératif, le peuple et les cantons, le conseil national et le conseil des états, y coopèrent, et, puisque la nouvelle constitution ne peut entrer en vigueur que lorsqu'elle a été acceptée par la majorité
du peuple, soit des citoyens suisses prenant part à la votation, et par la majorité des cantons, il en sera de même pour les modifications partielles ou les adjonctions qui pourraient y être apportées.

La possibilité de procéder à des révisions partielles a pour conséquence d'exposer la loi fondamentale plus fréquemment et plus facilement à des modifications. Toutefois, l'assemblée fédérale a entrepris à plusieurs reprises, de son propre mouvement, des révisions partielles et démontré par là qu'elle n'y voit aucun danger pour le

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bien du pays et l'ordre public et que, au contraire, elle considère ces améliorations successives bien examinées comme plus fructueuses, en temps ordinaire, que la révision totale. Les expériences de plusieurs années faites par tous les cantons où la révision partielle peut être entreprise par voie d'initiative populaire prouvent d'ailleurs que cette institution démocratique n'entraîne nullement, dans la pratique, des demandes de révision nombreuses, prématurées et irréfléchies, et il n'y a pas de motif pour admettre qu'elle exercera d'autres effets dans la Confédération. Elle le fera d'autant moins que la Confédération possède un chemin plus court pour de semblables révisions partielles : la révision spontanée par l'assemblée fédérale, qui discutera ordinairement à temps et elle-même les objets importants à réviser.

Passant au projet d'arrêté que nous vous soumettons, nous commençons par faire observer que nous n'avons inscrit dans le nouvel article constitutionnel, qui introduit l'institution de l'initiative populaire en matière de révision partielle, que les points principaux qui doivent être déterminés par la constitution, tandis qu'une loi fédérale à élaborer renfermera les détails secondaires relatifs à l'exécution, tels que formes, délais, etc.

Une révision partielle peut consister dans l'abrogation ou la modification d'un ou de plusieurs articles de la constitution, ou bien dans la promulgation et l'adjonction d'une nouvelle disposition. Une révision de ce genre, quand môme elle ne se rapporte qu'à un seul objet, peut embrasser plusieurs articles, comme par exemple on a dû modifier l'article 31, qui traite de la liberté de commerce et d'industrie, en même temps qu'on a conféré à la Confédération la compétence de légiférer sur la fabrication et la vente des boissons distillées. Une demande de révision partielle par voie d'initiative peut donc réclamer l'abrogation ou la modification d'une ou de plusieurs dispositions constitutionnelles, ainsi que l'introduction d'un nouveau principe dans la constitution.

Une question importante à résoudre est celle de savoir si la môme demande d'initiative peut avoir pour objet plusieurs matières différentes.

Il est évident que, à chaque mouvement révisionniste, plusieurs questions peuvent surgir simultanément et faire l'objet de demandes de révision
par voie d'initiative populaire ; quant à la question de savoir si plusieurs objets qui n'ont aucun rapport entre eux et sont entièrement différents peuvent être présentés collectivement dans une seule et même demande, elle mérite d'être examinée de plus près. Nous aurions une pareille demande combinée, ai l'on voulait réclamer dans une seule et même demande -- nous empruntons cet

417 exemple à la séance du conseil national du 6 juin 1884, si riche en motions révisionnistes -- la révision de l'article 73 (arrondissements pour les élections au conseil national), de l'article 27 (article scolaire), de l'article 31 (liberté de commerce et d'industrie), de l'article 32 (ohmgelds des cantons), de l'article 89 (referendum), de l'article 120 (révision de la constitution), de l'article 34, 2me alinéa (assurances), de l'article 49 (liberté de conscience et de croyance) -- motions Zemp et consorts, Lutz et Moos -- ou -- suivant les motions Vögelin, Keller et Joos -- la révision des articles 27, 31, 34 (législation sur les fabriques), 38 et 39 (monnaies), .72 et 73 (élections au conseil national), 75 (exclusion des membres du clergé), 89 et 120, ou l'allocation de subventions fédérales en faveur de l'agriculture et des industries alpestres, de l'industrie, des beauxarts et des entreprises scientifiques, enfin la centralisation complète du droit civil et du droit pénal et, cas échéant, la suppression du conseil des états.

Bien qu'il soit peu probable qu'une demande de révision partielle de la constitution propose simultanément la révision d'un aussi grand nombre de matières si hétérogènes et d'importance si diverse, vu que, s'il était nécessaire de réviser tant de points, on réclamerait certainement plutôt la révision totale (ce qui aurait été peut-être plus correct de la part du conseil national), il est, en revanche, tout aussi improbable qu'une demande de révision par voie d'initiative populaire se bornera toujours à ne traiter qu'un seul objet.

Or, le conseil fédéral estime que, lorsque plusieurs objets différents sont présentés par voie d'initiative populaire pour être révisés ou admis dans la constitution, chacun d'eux doit former l'objet d'une demande spéciale d'initiative.

Certes, tout le monde est d'avis qu'on ne peut pas soumettre en bloc au peuple, lorsqu'il est appelé au scrutin, la révision d'objets différents, mais que la votation doit avoir lieu séparément sur chacun d'eux. Aussi est-il plus simple et plus naturel que la séparation ait lieu déjà dans la demande d'initiative. Cette séparation a, de plus, l'avantage de laisser plus de liberté aux citoyens. Une demande d'initiative ne peut pas être formulée de telle sorte qu'un citoyen qui, tout en étant d'accord avec la
révision d'un objet, ne l'est cependant pas avec celle d'un ou de plusieurs autres, soit contraint ou bien de signer le tout, ou bien de ne pas signer du tout. D'ailleurs, cette séparation est le seul moyen de fournir à l'ensemble des électeurs appelés à l'urne ensuite de l'initiative prise par un nombre relativement petit de citoyens la garantie que la révision de chaque objet sur lequel ils ont à se prononcer est réellement réclamée par le nombre prescrit de citoyens ayant droit de vote.

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Quant au nombre d'électeurs qui doivent appuyer une demande de révision présentée par voie d'initiative, pour qu'il lui soit donné suite, il ne peut être ni trop grand, ni trop petit. La constitution fédérale le fixe à 30,000 pour les demandes de votation sur les lois et arrêtés, et à 50,000 pour les demandes de révision totale de la constitution. Dans les cantons qui possèdent des dispositions relatives à la révision partielle de leur constitution, c'est-à-dire qui ont introduit l'initiative populaire en cette matière (abstraction faite des cantons à landsgemeinde), les nombres requis sont les suivants: Zurich 5,000 ce qui équivaut à 63 \ » » 163 Schwyz .

2,000 » » » 136 Unterwaiden le haut 500 » » » 280 800 » » le bas .

» » 208 Fribourg .

6,000 » » » 83 Baie-ville 1,000 » sur 1000 » » 130 Baie-campagne 1,500 » citoyens » » 83 Schaffhouse 1,000 » » St-Gall .

» 193 > ayant le 10,000 » droit » » 225 Grisons .

5,000 » de voter.

» Argovie .

5,000 » » 125 » Thurgovie » 103 2,500 » » Tessin 7,000 » » 186 » Vaud 6,000 » » 95 » Valais » 217 6,000 » » Neuchâtel 3,000 » » 121 Or, le referendum ne modifie ni la constitution, ni les lois, tandis que le droit d'initiative en matière de révision partielle de la constitution a une importance positive bien plus grande et peut, suivant les circonstances, aboutir à des modifications constitutionnelles et législatives aussi considérables que celles résultant d'une révision totale. Il est donc préférable que le nombre d'électeurs fixé pour appuyer une demande de révision partielle de la constitution se rapproche davantage de celui qui est requis pour une révision constitutionnelle que de celui qu'on exige pour une demande de referendum. Si la Confédération fixe ce nombre à 50,000, cela fait 75,6 électeurs sur 1000 et constitue une facilité d'initiative comme on ne la rencontre dans aucun canton, à l'exception de celui de Zurich.

Un autre point à examiner est le mode de procéder d'après lequel doivent être traitées les demandes de révision partielle faites par un nombre suffisant d'électeurs. A cet égard, nous trouvons dans les constitutions cantonales deux systèmes différents.

-119 Suivant le premier de ces systèmes, toute demande de révision partielle de la constitution, qui doit naturellement désigner les » articles à réviser, est soumise directement à la votation du peuple, afin qu'il se prononce sur la question de savoir si la révision doit avoir lieu, oui ou non. Si la majorité repousse la demande, celle-ci est considérée comme liquidée. Si, par contre, le peuple répond affirmativement, l'autorité législative doit procéder à la révision et en soumettre le résultat à la votation définitive.

Suivant le second système, la demande est transmise en premier lieu à l'autorité législative pour discussion et décision. Si l'autorité approuve la révision demandée, elle y procède et soumet le résultat de ses délibérations à la votation populaire. Sinon, elle soumet au peuple la question de savoir si la révision doit avoir lieu, oui ou non. Lorsque cette question est résolue négativement, la révision est naturellement enterrée, lorsqu'elle est résolue dans le sens affirmatif, il faut que la révision ait lieu; dans ce dernier cas, certains cantons prévoient le renouvellement des autorités.

Les deux systèmes ont leurs avantages et leurs inconvénients.

Le premier système est de nature à éveiller des scrupules, vu que le peuple est appelé à voter sur une question qui touche à sa constitution, sans avoir entendu le préavis des autorités responsables, du conseil national et du conseil des états ; que l'assemblée fédérale, lorsque la votation populaire est favorable à la révision, est contrainte d'y procéder, sans pouvoir auparavant exprimer au peuple son avis sur l'entrée en matière, et enfin que, suivant les circonstances, c'est-à-dire chaque fois que l'assemblée fédérale est d'accord avec la révision demandée, le peuple est obligé sans nécessité de voter deux fois. Il a cependant aussi les avantages incontestables que voici. La demande de révision, présentée par une fraction relativement assez petite de la population, doit obtenir l'assentiment du peuple dans son ensemble, avant qu'on lui donne suite, ce qui est propre à maintenir les révisions constitutionnelles dans de sages limites ; elle doit être motivée à fond (sens, but, moyens) devant le peuple ; elle est discutée publiquement et contradictoirement par la presse, ce qui facilite considérablement les débats au sein des
chambres ; enfin, ce système ne provoque pas de conflit entre le peuple et. les chambres, et il offre des garanties certaines que la révision aboutira à un résultat conforme à la volonté de la majorité et qu'elle sera adoptée à la votation définitive.

Le second système est conforme aux principes parlementaires habituels et préserve le peuple contre les menées des partis et les surprises mieux que le premier. La demande de. révision est transmise premièrement aux chambres législatives, qui chargent des com-

420 missions spéciales de l'examiner et de la préaviser, puis la discutent et prennent leurs décisions ; ces délibérations sont propres à garantir que la révision demandée sera discutée à fond et envisagée sons toutes ses faces, et cela -- on est en droit de l'admettre -- d'une façon plus objective qu'on ne saurait l'exiger de la part de la presse de parti. Lorsque le peuple est appelé à se prononcer, on lui soumet soit un article révisé formulé par l'assemblée fédérale, soit, pour le cas où celle-ci repousse la révision demandée, le texte de la demande de révision et, en regard, l'arrêté des chambres législatives motivant le rejet. Dans les deux cas, le peuple reçoit cette communication par la voie officielle ; il est bien mieux et plus complètement renseigné et peut se prononcer en meilleure connaissance de cause que s'il était appelé, comme avec le premier système, à prendre une décision de son chef et d'emblée sur une demande de révision.

Toutefois, d'importantes difficultés surgissent lorsque les chambres législatives repoussent la demande et que le peuple doit se prononcer sur la question de savoir s'il y a lieu de lui donner suite. Si le peuple, contrairement au refus motivé des chambres, résout cette question affirmativement, il en résulte un conflit qui ne peut se terminer autrement que par le renouvellement des deux conseils. Inutile de dire ce que signifie à tous égards cette éventualité, lorsqu'elle survient au milieu d'une période législative. Sans do ut«, elle se présentera rarement, car on s'efforcera de la prévenir à temps. A cet effet, l'assemblée fédérale adoptera les demandes de révision dont elle n'est pas certaine qu'elles seront repoussées par le peuple, procédera à la révision et en soumettra le résultat au peuple pour l'acceptation ou le rejet. De cette façon, chaque demande de révision suffisamment appuyée conduit à de nouveaux articles et, à moins que le peuple lui-même n'y mette un frein par des rejets à la votation définitive, la loi fondamentale se trouve, selon nous, trop aisément exposée à d'importantes modifications. Il est évident que de pareils rejets à la votation définitive se produiront plus souvent avec ce second système qu'avec le premier, où les conseils ne soumettent au peuple une proposition de révision bien déterminée qu'après qu'il s'est prononcé en
faveur de la révision dans une votation préalable.

Après un examen minutieux, le conseil fédéral a donné la préférence au premier système, c'est-à-dire qu'il a adopté pour l'initiative en matière de révision partielle le mode de procéder que prévoit la constitution fédérale actuelle pour l'initiative en matière de révision totale, à l'exception du renouvellement des chambres.

L'éventualité du renouvellement des chambres constitue pour la révision partielle un obstacle tel, qu'il est nécessaire de la supprimer si l'on veut réellement que cette révision soit réalisable en pratique

421 Or, pour cela, il faut soumettre directement de révision présentée par voie d'initiative et un délai légal propre à garantir qu'elle sera en public. Car, du moment que le peuple pétitionnement pour s'engager dans celle de correct que les conseils ne s'interposent pas, tiative un chemin direct jusqu'au peuple.

au peuple la demande fixer en môme temps suffisamment discutée abandonne la voie du l'initiative, il est plus mais ouvrent à l'ini-

Maintenant, comment faut-il poser la question au peuple lorsqu'une demande de révision partielle présentée par voie d'initiative est appuyée par le nombre voulu de citoyens habiles à voter ?

En mentionnant plus haut les motifs généraux à l'appui de notre proposition tendant à introduire la révision partielle de la constitution par la voie de l'initiative populaire, nous avons fait ressortir que cette institution ne saurait altérer notre organisation federative, vu que la révision partielle due à l'initiative et à la votation populaires a lieu, tout comme la révision totale, dans les formes statuées pour la législation, c'est-à-dire qu'elle est délibérée par les deux organes législatifs de la Confédération, le conseil national et le conseil -des états, qui doivent tomber d'accord entre eux. Ici, nous devons cependant faire observer que cela n'est exact qu'à condition qu'on laisse à la législation fédérale la compétence qui lui revient et qu'on ne diminue pas non plus l'importance du facteur cantonal de cette législation. Or, il n'en serait plus ainsi, dès que la votation populaire sur une demande d'initiative devrait décider non seulement si la révision partielle doit avoir lieu, mais encore indiquer les objets qui doivent être révisés et comment ils doivent l'être. Car, il est évident que, dans ce cas, il ne serait plus nécessaire d'avoir recours à la législation fédérale pour formuler le nouvel article, dont le contenu aurait été déterminé par la votation populaire, mais tout au plus à une commission de rédaction, et que l'influence cantonale ne pourrait plus se faire sentir qu'à la votation définitive.

Pour que l'initiative populaire en matière de révision partielle soit compatible avec notre organisation federative actuelle, la votation populaire sur une demande d'initiative, en admettant qu'elle ait un résultat affirmatif, ne peut aller au delà de la déclaration que la révision partielle demandée par voie d'initiative doit avoir lieu.

Et c'est dans ce sens que la question doit être soumise à la votation populaire.

Il est clair que la demande d'initiative, c'est-à-dire la conclusion positive formulée par les initiateurs même, doit être publiée

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officiellement et distribuée comme d'habitude, déjà avant le jour de la votation, aux citoyens suisses ayant droit de voter.

Lorsque la question posée est résolue affirmativement par la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation, l'assemblée fédérale doit procéder à la révision partielle.

Pour la révision totale de la constitution, lorsqu'elle est décidée par voie de votation populaire, l'article 120 prévoit le renouvellement obligatoire des deux conseils. Cette disposition a sa raison d'être, car, lorsque le peuple se voit obligé de recourir à un acte semblable, il faut admettre qu'il existe entre lui et ses représentants des divergences profondes et il s'agit ordinairement, en pareil cas, d'une nouvelle évolution politique dont il est nécessaire de confier l'exécution à de nouveaux organes. Il en est autrement lorsqu'il n'est question que d'un besoin partiel, d'une modification ou adjonction à, apporter à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles déterminées. Nous estimons que, dans ce cas, il n'y a pas de motifs suffisants pour le renouvellement des conseils, notamment pas pour leur renouvellement obligatoire, surtout si le mode de procéder proposé par nous pour les demandes d'initiative est adopté.

On pourrait se demander s'il ne conviendrait pas, afin d'éviter des retards, de fixer un certain délai dans lequel l'assemblée fédérale doit procéder à la révision. Nous avons fait intentionnellement abstraction d'une pareille disposition dans notre proposition, vu que nous la considérons comme inutile et superflue.

Le résultat des délibérations des chambres sur la révision ou celui de la votation définitive du peuple et des cantons sur les articles révisés est toujours douteux. Déjà plusieurs fois les cantons ont fait l'expérience que le peuple, après avoir décrété la révision constitutionnelle et nommé une constituante pour y procéder, a rejeté quand môme la constitution révisée qui lui était soumise.

L'histoire de la révision fédérale renferme de semblables exemples, où le peuple, après avoir réclamé la révision, a rejeté ensuite les lois qui lui étaient soumises; il en a été ainsi pour l'article 47 de la constitution fédérale. Pour le cas qui nous occupe, il peut arriver que, bien que les délibérations des chambres relativement à la révision n'aboutissent à aucun résultat,
pour cause de divergences définitives, ou que le résultat ne réponde pas à l'idée renfermée dans la demande d'initiative, cette révision soit néanmoins adoptée à la votation définitive, ou bien il peut arriver qu'elle soit rejetée en votation définitive, malgré que- le résultat réponde à l'idée en question. La constitution ne peut pas prévoir de mesures pour telle ou telle issue déterminée d'une demande de révision partielle par voie d'initiative. L'article 120 de la constitution fédérale ne prévoit

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rien de semblable pour la révision totale, mais se borne à statuer que la révision demandée doit être entreprise. Nous croyons devoir nous en tenir à cette disposition pour le cas où la révision partielle est réclamée par la votation populaire.

Enfin, le projet que nous vous soumettons prévoit l'élaboration d'une loi fédérale qui statuera le nécessaire concernant les formes et les délais à observer pour ces demandes d'initiative et pour la votation populaire.

Déjà sous le régime de la constitution de 1848, on a élaboré une pareille loi, bien que l'article 113 -- l'article 120 actuel -- n'en disait rien. C'est la loi fédérale concernant le mode de procéder pour les demandes de révision de la constitution fédérale, du 5 décembre 1867. Elle prescrit la forme de ces demandes et à qui elles doivent ótre adressées; la façon dont le droit de vote des signataires doit être attesté ; le délai durant lequel les signatures restent valables; l'autorité compétente pour vérifier si ces conditions sont remplies; l'autorité qui soumet au peuple la question du vote.

Plus tard, on a promulgué la loi fédérale concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, du 17 juin 1874, qui règle le mode de procéder en matière de demandes de referendum et de votations y relatives et qui a été complétée par un règlement du conseil fédéral « concernant les demandes de votation populaire sur les lois et arrêtés fédéraux et de révision de la constitution fédérale», du 2 mai 1879, lequel abroge plusieurs prescriptions de la loi fédérale de 1867. Il est nécessaire de dire dans la constitution que le mode ultérieur de procéder pour les demandes de révision partielle et la votation populaire sera déterminé par la loi ; l'élaboration d'une loi de ce genre fournira l'occasion de régler à nouveau les prescriptions existantes sur les actes populaires de cette nature.

Nous pensons que ces observations suffiront à éclaircir et à motiver lo nouvel article 121 que nous vous proposons.

Il est inutile de motiver spécialement les modifications à apporter aux articles 118, 119 et 120. Elles ne renferment rien de nouveau et ont uniquement pour but de fixer le texte des interprétations admises et de mettre ces dispositions en rapport logique entre elles et avec le nouvel article 121.

Parmi les motions révisionnistes de nature
politique, celle qui nous occupe nous paraît être la plus importante. La possibilité de réviser partiellement la constitution par la voie de l'initiative populaire permet de présenter librement toute espèce de postulats concernant la révision et ouvre au peuple une nouvelle voie jusqu'ici fermée. La grande importance et la portée de cette innovation

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nous semblent justifier suffisamment le fait que le présent message se borne à traiter la question de la révision de la constitution.

Sans doute, il eût été facile de donner plus d'extension à l'initiative populaire ; mais nous aurions dû pour cela quitter le domaine constitutionnel pour nous engager dans celui de la législation, où nous aurions immédiatement rencontré d'autres postulats du même genre liés les uns aux autres et devant être traités simultanément.

Or, ni la question du referendum, ni celle de l'initiative en matière de lois ne nous paraissent être assez étudiées et mûres pour qu'il soit possible et désirable de présenter des propositions à ce sujet en môme temps que celles relatives à la révision de la constitution.

Le fait qu'un objet de la constitution (l'assurance contre les accidents) se trouve en ce /moment en état de révision, joint au prochain renouvellement intégral du conseil national, pourrait suggérer la question de savoir s'il convient de soumettre une nouvelle proposition de révision à l'assemblée fédérale actuelle qui, certainement, ne pourra plus la traiter. Si ces dernières considérations n'ont pas pu nous décider k renoncer de présenter notre proposition de révision, celles mentionnées plus haut et d'autres encore nous ont engagés à ne pas aller au delà du strict nécessaire et de ce qui a été préparé dans l'opinion publique.

En considération de ce qui procède, nons avons l'honneur de vous recommander l'adoption du projet d'arrêté fédéral ci-dessous et nous saisissons cette occasion pour vous renouveler l'assurance de notre considération très-distinguée.

Berne, le 13 juin 1890.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération : L. R U C H O N N E T .

Le chancelier de la Confédération: RlNGIEB.

425 Projet.

Arrêté fédéral concernant

la révision de la constitution fédérale.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE

de la CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message du conseil fédéral du 13 juin 1890 ; en application des articles 84, 85, chiffre 14, et 118 de la constitution fédérale, arrête : er

me

Art. 1 . Le III chapitre de la constitution fédérale du 29 mai 1874, qui traite de la révision de celle-ci, est modifié comme suit :

Art. 118.

La constitution fédérale peut être révisée en tout temps, totalement ou partiellement.

Art. 119.

Dans les deux cas, la révision a lieu dans les formes statuées pour la législation fédérale.

Art. 120.

Lorsqu'une section de l'assemblée fédérale décrète la révision totale de la constitution fédérale et que l'autre section n'y consent pas, ou bien lorsque cinquante mille citoyens suisses ayant droit de voter demandent la révision totale, la question de savoir si la constitution fédérale doit être Téviséé est, dans l'un comme dans l'autre cas, soumise à la votation du peuple suisse, par oui ou par non.

Feuille fédérale suisse. Année XLII. Vol. III.

28

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Si, dans l'un ou dans l'autre de ces cas, la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, les deux conseils seront renouvelés pour travailler à la révision.

Art. 121.

On peut aussi réclamer, par la voie fle l'initiative populaire, l'abrogation ou la modification d'articles déterminés de la constitution fédérale, ainsi que l'adoption de nouvelles dispositions constitutionnelles.

Si, de cette manière, plusieurs objets différents sont présentés pour être révisés ou admis dans la constitution fédérale, chacun d'eux doit former l'objet d'une demande spéciale d'initiative.

Dès que 50,000 citoyens suisses ayant le droit de vote présentent une demande do ce genre, on soumettra à la votation du peuple la question de savoir si la révision partielle réclamée par eux doit avoir lieu ; dans le cas où la majorité des citoyens suisses prenant part au vote se prononce affirmativement, l'assemblée fédérale procède à cette révision.

Une loi fédérale statuera le mode ultérieur de procéder pour ces demandes et votations populaires.

Art. 122.

La constitution fédérale révisée entre en vigueur lorsqu'elle a été acceptée par la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation et par la majorité des états.

Pour établir la majorité des états, le vote d'un demicanton est compté pour une demi-voix.

Le résultat de la votation populaire dans chaque canton est considéré comme le vote de l'état.

Art. 2. Le présent arrêté fédéral est soumis à la votation du peuple et des cantons.

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Message du conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant la révision du IIIme chapitre de la constitution fédérale, qui traite de la révision de celle-ci. (Du 13 juin 1890.)

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1890

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3

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26

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Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

21.06.1890

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