02.440 Initiative parlementaire LP. Limiter le privilège des créances accordé aux salariés Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 26 juin 2009

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous soumettons un projet de modification de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite, en vous priant de l'approuver.

Le projet est simultanément transmis pour avis au Conseil fédéral.

26 juin 2009

Au nom de la commission: La présidente, Gabi Huber

2009-2189

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Condensé Aux termes du droit actuel, les créances des travailleurs fondées sur le contrat de travail sont privilégiées en cas de faillite ­ c'est-à-dire considérées comme des créances de première classe ­ si elles sont nées ou sont devenues exigibles pendant le semestre précédant l'ouverture de la faillite. Il en va de même des créances résultant d'une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l'employeur et des créances en restitution de sûretés (art. 219, al. 4, let. a, de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite). Si le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence, exclut de ce privilège les travailleurs qui jouissent d'une large indépendance vis-à-vis de leur employeur, un privilège illimité est accordé à tous ceux qui se trouvent dans un rapport de subordination effectif avec ce dernier, quel que soit le montant de leur salaire.

Cette situation est choquante lorsque les créances de salaire de travailleurs ayant un traitement très élevé sont privilégiées au détriment des autres créanciers. La commission propose donc de modifier la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite afin de limiter les créances privilégiées des travailleurs au montant maximum du gain assuré au titre de l'assurance-accidents obligatoire (actuellement 126 000 fr.).

Si la créance de salaire venait à excéder cette somme, la différence serait traitée comme une créance de troisième classe, comme celles des autres créanciers.

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Rapport 1

Genèse du projet

1.1

Initiative parlementaire

Le 21 juin 2002, M. Roberto Zanetti, conseiller national, a déposé une initiative parlementaire qui demandait que parmi les créances de travailleurs, seules soient considérées comme de première classe les créances ne dépassant pas le double du montant maximal du gain assuré au sens de la loi fédérale sur l'assurance-accidents.

Les 17 février et 28 avril 2003, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (ci-après «la commission») a examiné l'initiative et proposé sans opposition de lui donner suite.

Le Conseil national a suivi cet avis le 11 décembre 20031.

Se fondant sur l'art. 21quater, al. 1, de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC)2, il a chargé la commission d'élaborer un projet.

1.2

Travaux de la commission

Au cours de ses travaux, la commission a été informée à plusieurs reprises des travaux du groupe d'experts que l'Office fédéral de la justice a institué pour réexaminer la procédure concordataire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP)3, travaux qui débordaient la thématique analysée ici. En mai 2006, elle a décidé de traiter séparément la problématique spécifique soulevée par l'initiative parlementaire Zanetti.

En 2007 et 2008, la commission a consacré deux séances à l'élaboration d'un projet concrétisant l'initiative parlementaire. Le 22 août 2008, elle a approuvé un avantprojet de modification de la LP, par 12 voix contre 7, qu'elle a envoyé en consultation.

Le 26 juin 2009, la commission a pris acte des résultats de la procédure de consultation et a approuvé le présent projet de loi par 17 voix contre 0 et 8 abstentions.

La commission a été secondée dans ses travaux par le Département fédéral de justice et police, conformément à l'art. 21quater, al. 2, LREC.

2

L'essentiel du projet

2.1

Contexte

Actuellement, l'art. 219, al. 4, let. a, LP accorde un privilège de première classe au travailleur pour les créances qu'il peut faire valoir en vertu du contrat de travail et qui sont nées ou qui sont devenues exigibles pendant le semestre précédant l'ouver1 2 3

BO 2003 N 1962 RO 1962 773; cf. l'art. 173, ch. 3, de la loi sur le Parlement (RS 171.10) RS 281.1

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ture de la faillite, pour les créances résultant d'une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l'employeur et pour les créances en restitution de sûretés. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral4, ne bénéficient de ce privilège que les travailleurs qui se trouvent dans un rapport de subordination effectif avec l'employeur tombé en faillite. Ce rapport de subordination fait défaut lorsque le travailleur jouit d'une large indépendance, par exemple s'il est directeur ou membre de la direction.

Cette règle n'est pas satisfaisante: il y a des travailleurs qui sont dans un rapport de subordination effectif avec leur employeur mais qui touchent des salaires très élevés (par ex. des conseillers en placement, des joueurs de football, des pilotes). Bien que le salaire de ces travailleurs dépasse largement ce qui est nécessaire à leur entretien, il est privilégié dans sa totalité en cas de faillite, généralement au détriment des autres créanciers.

La commission estime donc que le privilège illimité accordé actuellement aux créances des travailleurs n'est pas équitable et qu'il convient de le limiter en termes absolus pour ce qui est des salaires.

En juin 2008, le groupe d'experts «procédure concordataire», institué en été 2003 par l'Office fédéral de la justice (OFJ) afin d'examiner la nécessité de réviser le droit de l'insolvabilité, a rendu un rapport contenant une proposition allant dans le même sens, autrement dit de limiter le privilège à un montant de 100 000 francs par travailleur5. Le 28 janvier 2009, le Conseil fédéral a mis en consultation un avantprojet de révision partielle de la LP, qui s'appuie sur les travaux du groupe d'experts. L'avant-projet ne contenait plus la proposition relative à la limitation du privilège. En effet, le Conseil fédéral avait préféré attendre les résultats de la consultation sur la présente initiative parlementaire, qui prévoyait une mesure semblable.6

2.2

Avant-projet et résultats de la consultation

Le 22 août 2008, la commission a adopté un avant-projet qu'elle a envoyé en consultation. Celui-ci prévoyait une modification de l'art. 219, al. 4, LP afin de limiter au montant maximum du gain assuré au titre de l'assurance-accidents obligatoire (actuellement 126 000 francs) les créances des travailleurs colloquées en première classe. Si la créance de salaire venait à excéder cette somme, la différence serait traitée comme une créance de troisième classe, comme celles des autres créanciers.

24 cantons, 5 partis politiques et 18 organisations intéressées ont donné leur avis.

La grande majorité des participants (19 cantons, 5 partis politiques et 11 organisations) se félicite de ce que l'on veuille limiter le privilège des créances accordé aux salariés à un montant déterminé. Pour motiver leur point de vue, ces participants ont repris, pour l'essentiel, les arguments développés par la commission.

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ATF 118 III 46 cons. 2 (qui résume la jurisprudence) Rapport du groupe d'experts «procédure concordataire», Berne, juin 2008, p. 24 (disponible, ainsi que l'avant-projet, à l'adresse suivante: http://www.ejpd.admin.ch/ejpd/fr/ home/themen/wirtschaft/ref_gesetzgebung/ref_schkg.html).

Rapport explicatif relatif à l'avant-projet, p. 23 (le rapport et l'avant-projet sont disponibles à l'adresse suivante: http://www.admin.ch/ch/f/gg/pc/ind2009.html#DFJP)

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Dans plusieurs avis critiques, on a fait observer que la révision préconisée n'aurait guère d'incidences sur la pratique étant donné l'importance du montant maximum prévu (BS, NW, OW, SG, SO). Si trois participants (OW, Centre Patronal, Fédération des entreprises romandes) vont jusqu'à rejeter la proposition de la commission pour cette raison, plusieurs autres (LU, PCS, UDC, Juristes démocrates de Suisse) préconisent de réduire ce montant.

Certains participants ont rejeté l'avant-projet pour des raisons d'ordre matériel, arguant notamment que le privilège des créances accordé aux salariés sous l'empire du droit actuel vise à protéger les personnes qui sont tributaires d'un revenu régulier, en d'autres termes tous les travailleurs. Selon les opposants, le travailleur règle son standing en fonction du montant de ses revenus. On ne voit pas pourquoi les travailleurs qui ont des salaires supérieurs à la moyenne bénéficieraient d'une protection de leur niveau de vie plus restreinte que celle dont jouissent les autres travailleurs.

Autre motif invoqué pour justifier le rejet de la nouvelle réglementation proposée: celle-ci porterait atteinte au principe de l'égalité de traitement des créanciers (Centre Patronal). Même les collaborateurs les mieux rémunérés sont dépendants de leur employeur, ont l'obligation de fournir à l'avance leurs prestations et n'ont, en règle générale, que des possibilités restreintes, pour ne pas dire nulles, d'influer sur le devenir de l'entreprise. (BL, Union patronale suisse). La proposition a également été rejetée au motif que les travailleurs dont les créances salariales sont colloquées en première classe et qui sont liés à l'employeur en faillite par un rapport de subordination, ne peuvent pas, à la différence d'un fournisseur, par exemple, prendre de nouvelles dispositions, exiger des sûretés ou rompre tout simplement les relations d'affaires avec leur débiteur. Enfin, il pourrait être extrêmement préjudiciable à une entreprise qui rencontre des difficultés financières que ses employés hautement qualifiés la quittent parce qu'ils ont tout lieu de craindre pour leur salaire (economiesuisse, Union patronale suisse).

3

Commentaire de la disposition proposée

La question qui se pose en premier lieu, si l'on veut restreindre le privilège des créances de salaire, est celle du montant concret de la limite maximale. Il faut par ailleurs examiner si la jurisprudence évoquée du Tribunal fédéral, qui consiste à ne privilégier que les salaires des travailleurs qui sont dans un rapport de subordination effectif avec l'employeur tombé en faillite, doit être intégrée dans la loi ou si le privilège (limité) dont bénéficieront les salaires doit valoir pour tous les travailleurs.

3.1

Montant maximum

Le projet définit le montant maximum à concurrence duquel les créances en cas de faillite seront colloquées en première classe en se référant au montant maximum du gain assuré au titre de l'assurance-accidents obligatoire (art. 22, al. 1, de l'ordonnance sur l'assurance-accidents; OLAA7), qui est actuellement de 126 000 francs et

7

RS 832.202

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qui est régulièrement adapté au renchérissement par le Conseil fédéral (dernière adaptation: 1er janvier 20088).

Cette référence dynamique à l'OLAA a pour premier avantage qu'il ne sera pas nécessaire de réviser la LP pour adapter au renchérissement le montant maximum de la créance privilégiée; il sera adapté automatiquement lors de chaque révision de l'art. 22, al. 1, OLAA. De plus, la référence au montant maximum du gain assuré dans la loi fédérale sur l'assurance-accidents (LAA)9 est cohérente avec plusieurs autres lois fédérales. Par exemple, la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité (loi sur l'assurance-chômage, LACI)10 se réfère à ce montant pour fixer le gain assuré (art. 23, al. 1, 2e phrase) et pour déterminer l'indemnité en cas d'insolvabilité (art. 52, al. 1, 1re phrase); la loi fédérale sur l'assurance-invalidité (LAI)11 en fait dépendre le montant de l'indemnité journalière (art. 24, al. 1).

Ce montant maximum semble aussi juste sur le fond: l'art. 219, al. 4, let. a, LP, en donnant la priorité au travailleur dont l'employeur fait faillite afin qu'il puisse obtenir le gain de son travail qui normalement le fait vivre, est animé par une volonté de protection sociale. Les dispositions citées de la législation en matière d'assurances sociales, qui assurent que le travailleur reçoive, si un cas d'assurance survient, de quoi couvrir ses besoins habituels sans excéder une certaine limite, reposent sur la même idée. Il s'agit dans tous les cas de compenser le désavantage subi, la compensation intervenant en relation avec la perception d'un salaire mais d'éviter, par l'introduction d'une limite maximale, qu'elle ne soit excessive dans certains cas. Aussi la commission estime-t-elle qu'il est justifié de prévoir un traitement différencié selon que les créances de salaires excèdent ou non cette limite maximale, rejetant les objections soulevées lors de la consultation. Notons enfin que le montant maximum de 126 000 francs fixé à l'art. 22, al. 1, OLAA se rapporte au gain sur une année. Comme l'art. 219, al. 4, let. a, LP vise les créances nées ou devenues exigibles pendant les six mois qui précèdent l'ouverture de la faillite, soit la moitié d'une année, le montant maximum proposé pour le privilège dans la faillite correspond, s'agissant du moins
du salaire mensuel de base, au double du gain assuré au sens de l'OLAA, comme le demande l'initiative parlementaire.

Il faut bien noter que la référence au montant maximum du gain assuré dans l'assurance-accidents que la commission propose d'inscrire à l'art. 219, al. 4, let. a, LP est une référence au montant fixé en chiffres absolus à l'art. 22, al. 1, OLAA, indépendamment du salaire réel du travailleur ou de son salaire déterminant au sens de l'art. 22 OLAA. Ces deux dernières valeurs ne jouent aucun rôle lorsqu'il s'agit de déterminer le montant maximum du privilège en matière de faillite. La disposition se réfère bien au montant annuel maximum.

Sur le plan pratique, la plupart des travailleurs ne seront pas concernés par la limite, fixée en chiffres absolus, des créances privilégiées. En effet, la somme du salaire dû sur six mois et des éventuelles autres créances (treizième mois, gratifications) excèdera rarement 126 000 francs.

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RO 2007 3667 RS 832.20 RS 837.0 RS 831.20

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Par ailleurs, il est nécessaire de ne pas soumettre au montant limite proposé les créances que le travailleur peut faire valoir en restitution de sûretés: il s'agit de valeurs que le travailleur lui-même a avancées et qui, en cas de faillite, doivent être privilégiées dans tous les cas et en leur totalité. Elles font donc l'objet d'une nouvelle let. abis, qui, sur le fond, correspond à la législation actuelle.

Une minorité (Daguet, Jositsch, Leutenegger Oberholzer, Sommaruga Carlo, Thanei, Vischer) souhaite que les créances que le travailleur peut faire valoir conformément aux plans sociaux ne soient pas elles non plus soumises à la limite prévue, et propose d'ajouter à cet effet une lettre ater. La minorité rappelle qu'en cas de faillite d'un employeur, il est possible que des prestations liées à un plan social (notamment dans le cadre de retraites anticipées) n'aient pas été versées, alors même que ces prestations, associées aux autres créances prévues à la let. a, peuvent dépasser la limite des 126 000 francs même pour des travailleurs au revenu moyen. Aux yeux de la minorité, le fait que des créances liées à un plan social ne soient pas privilégiées en leur totalité en cas de faillite est contraire à la volonté de protection sociale exprimée par le législateur. La commission a rejeté cette proposition par 12 voix contre 10, et 3 abstentions, considérant qu'il était inutile d'ajouter une nouvelle let. ater étant donné que le montant maximal prévu était déjà relativement élevé; en outre, cet ajout aurait introduit une notion juridique nouvelle, qui resterait à définir.

3.2

Rapport de subordination

La deuxième question qui se pose est l'opportunité d'inscrire explicitement dans la loi la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle seuls les travailleurs se trouvant dans un rapport de subordination effectif avec leur employeur peuvent bénéficier du privilège prévu par l'art. 219, al. 4, let. a, LP. La commission s'en abstient dans l'idée que la législation proposée ne remet pas en question la jurisprudence du Tribunal fédéral et qu'il est préférable de laisser aux tribunaux la flexibilité nécessaire pour trouver une solution équitable dans chaque cas.

3.3

Droit transitoire

Pour des raisons pratiques, il faut que les créances soient colloquées dans l'ordre prescrit par le droit en vigueur au moment de l'ouverture de la faillite, de la saisie ou du sursis concordataire. Ce principe incontesté a déjà été appliqué lors de la réintroduction des privilèges pour les créances des assurances sociales (modification de la LP du 24 mars 2000)12.

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RO 2000 2531

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4

Conséquences

La modification proposée de la LP n'a pas de conséquences pour la Confédération, les cantons ni les communes, que ce soit sur le plan du personnel ou sur celui des finances.

5

Constitutionnalité

La compétence législative de la Confédération en matière de droit civil est fondée sur l'art. 122, al. 1, de la Constitution13.

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RS 101

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