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XLIIIme année, Vol. Y.

N° 5l. Mercredi 16 décembre 1891

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Message du

conseil fédéral àl'assemblée fédérale concernant

l'introduction du monopole des allumettes.

(Du 20 novembre 1891.)

Monsieur le président et messieurs, La question des allumettes a souvent occupé les autorités fédérales dans le cours des dernières années ; elle a acquis par là une certaine célébrité, de sorte que, avant d'aborder la proposition qui fait la base du présent message, il peut paraître opportun de la faire précéder d'un court aperçu de ce qui a été fait jusqu'ici, en tant que cet aperçu présente un intérêt d'actualité.

I.

Nous prenons pour point de départ de notre aperçu une requête adressée le 5 mars 1876 à l'assemblée fédérale par la société de médecine, et de chirurgie du canton de Berne et se rapportant à la loi fédérale sur les fabriques, qui était en délibération à cette époque. Cette requête avait pour but d'attirer l'attention de l'assemblée fédérale sur l'industrie des allumettes. Elle signalait le préjudice considérable que cette industrie exerçait sur les conditions sanitaires de la population ouvrière qui s'en occupait et proposait Feuille fédérale suisse. Armée XLIII. Vol. V.

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des dispositions législatives qui devaient avoir une efficacité protectrice sous différents rapports (ventilation, exclusion des enfants astreints à fréquenter» l'école, responsabilité, inspections, etc.), sans, cependant pouvoir encore se résoudre à recommander «le moyen le plus radical et le plus sur », c'est-à-dire « l'interdiction absolue de l'emploi du phosphore ordinaire ».

Partant de cette dernière idée et donnant suite à une motion Joos, un arrêté du conseil national du 18 février 1878 fut conçu en ces termes : « Le conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait paslieu d'interdire la fabrication et la vente des allumettes phosphoriques. » Nous avons présenté eu,date du 14 mai 1878 le rapport demandé (P. féd. 1878. II. 785), dans lequel nous proposions « de ne pas donner d'autre suite, pour le moment, au postulat en question », étant d'avis qu'une restriction de la vente des allumettes chimiques aux sortes qui, par exemple, ne prennent pas feu sur toute surface, n'aboutirait pas au but qu'on avait eu vue, soit à la diminution des incendies causas par imprudence, et que, quant à l'amélioration des procédés de fabrication, il y »avait d'abord lieu rie tenter l'efficacité des moyens que la loi Sur les fabriques mettait à notre disposition.

Le rapport de la commission du conseil des états, du 15 juin 1878 (P. féd. 1878, III. 17) se rangea dans les points essentiels à la proposition du conseil fédéral, mais contenait la proposition additionnelle suivante : « Le conseil fédéral est invité à vouer une attention spéciale à la fabrication des allumettes phosphoriqnes à l'occasion de l'exécution de la loi sur les fabriques, et à présenter, en temps opportun, à l'assemblée fédérale un rapport sur les mesures qui auront été prises et les résultats qu'on en aura obtenus. » Le 26 juin 1878 les chambres fédérales ont aJopté notre proposition avec cette dernière adjonction sous forme d'arrêté.

Dans la suite, l'inspectorat fédéral des fabriques, qui venait d'être institué, procéda aux inspections dans tous les cantons, en vouant une attention particulière à la fabrication des allumettes.

Au sujet de cette dernière, l'inspectorat présenta, le 17 mai 1879, un rapport spécial circonstancié, qui concluait par cette proposition : « L'emploi du phosphore jaune dans la fabrication des allumettes est interdit. »

605 Nous nous sommes rangés à l'opinion que ce n'est que par une telle interdiction qu'il est possible de mettre définitivement un terme aux ravages causés par le phosphore jaune, et nous vous avons présenté avec notre message du 21 novembre 1879 (P. féd.

1879, III. 748) un projet de loi contenant la disposition principale ci-après : « La i'abrication, l'importation et la vente des allumettes pour lesquelles on emploie du phosphore jaune sont interdites à partir du 1er janvier 1881.» A notre message ont succédé les publications suivantes : 1. la loi fédérale concernant la fabrication des allumettes phosphoriques, du 23 décembre 1879 (Ree. off., nouv. série, V.

31), qui sanctionnait l'interdiction de l'emploi du phosphore; 2. le règlement sur la fabrication des allumettes phosphoriques, du 6 avril 1880 (Ree. off., nouv. série, V. 33), et 3. le règlement concernant l'organisation et l'exploitation des fa' Iriques qui se servent de substances explosibles pour la fabrication des allumettes, du 25 mai 1880 (Ree. off., nouv. série, VI. 447) ; ces deux règlements étaient destinés à fixer les conditions auxquelles les allumettes sans phosphore ou les allumettes au phosphore rouge (la modification connue comme inoffensive) pouvaient être fabriquées ; 4. l'arrêté du conseil fédéral concernant les amendes pour contravention à la défense d'importer des allumettes au phosphore jaune, du 17 juillet 1880 (Ree. off., nouv. série, V. 160) ; 5. l'arrêté du conseil fédéral concernant le transport, sur les cliemins de fer suisses, des allumettes ordinaires et des allumetles-liougies ait phosphore jaune, du 16 février/15 mars 1881 (Ree. off., nouv. série, V. 305).

L'interdiction de la fabrication et de l'importation des allumettes au phosphore jaune était entrée en vigueur le 1er janvier 1881, celle de la vente de ce produit, le 1er juillet 1881, mais peu de temps s'était écoulé, que déjà s'élevaient les plaintes les plus violentes sur le nouveau produit, qui, par sa mauvaise qualité, son emballage mal conditionné, etc., causait des accidents nombreux ; alors commença la période des fameuses « allumettes fédérales », dont chacun se souvient ; la contrebande et la fabrication clandestine (au phosphore interdit) allaient leur train, et le nouveau régime devint bientôt non seulement très impopulaire, mais aussi l'objet d'une opposition violente.

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Cette situation intolérable a donné lieu à Varrete fédéral du 28 juin 1881, conçu comme suit: i Le conseil fédéral est invité à prendre les mesures nécessaires pour prévenir la fabrication, en Suisse, d'allumettes d'un usage dangereux. » Aussi bien avant qu'après cet arrotò nous avons fait notre possible pour amener une amélioration, au moyen de circulaires et d'exhortations aux gouvernements cantonaux, d'instructions aux fabricants et au public, etc. ; nous rappelons entre autres, pour comcompléter notre exposé, la publication des brochures suivantes : Les nouvelles allumettes suisses. Conférence donnée le 19 décembre 1880 à Winterthur par M. le Dr A. Rössel.

Les dangers de la fabrication et de Vwsage des nouvelles allumettes, par M. E. Nüsperli, inspecteur fédéral des fabriques.

Juin 1881.

Deux gouvernements cantonaux, ceux de Vaud et de NeucMtel, ont édicté d'eux-mêmes des prescriptions (arrêtés du 3 août et du 23 août 1881) qui visaient entre autres à l'interdiction de la vente des allumettes prenant feu sur toute surface.

Il est facile à concevoir que, dans cet état de choses, les fabricants ne se trouvaient pas dans une situation enviable et prenaient la défense de leurs intérêts.

Nous avons répondu au postulat susmentionné du 28 juin 1881 par notre message du 6 décembre 1881 (F. féd., IV. 615), concernant la fabrication et la vente des allumettes, dans lequel nous demandions la compétence, qui ne nous avait pas été accordée jusque là, mais que nous estimions indispensable, « d'établir des règlements sur la fabrication des allumettes, tant dans les fabriques que dans les maisons particulières, et sur l'emballage, le transport et la vente de ces marchandises et de fixer, en cas de contravention aux prescriptions de ce règlement, des pénalités qui peuvent aller jusqu'à la prison ». Dans le projet d'arrêté fédéral y relatif, nous avons prévu pour ces pleins pouvoirs une durée de deux ans, présumant qu'au bout de ce terme la question se serait éclaircie et aurait abouti à des conditions normales.

Le conseil national n'a pas été de cet avis ; en date du 31 janvier 1882 il a édicté l'arrêté suivant : « La question des allumettes est renvoyée au conseil föderal, qui est chargé :

607 1. de faire examiner par des experts les nouveaux produits signalés (Schwarzenbaeh) ; 2. de résoudre la question de savoir si l'on doit autoriser la fabrication et la vente des allumettes qui s'allument sur toute surface rude, moyennant qu'elles ne contiennent point de phosphore jaune ; 3. d'examiner la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu d'abroger la loi du 23 décembre 1879 sur la fabrication des allumettes phospboriques ou de n'en conserver que les parties concernant la sanie des ouvriers ; 4. de présenter, pour la session de juin, un rapport et des propositions sur ces deux points et de prendre, dans l'intervalle, les mesures prévues pur la loi contre la contrebande et la fabrication interdite. » Nous avons immédiatement chargé une commission d'experts de nous présenter sur ces questions un rapport, qui est daté du 3 mars 1882, et sur la base duquel nous avons adressé à l'assemblée fédérale notre rapport complémentaire concernant la fabrication des allumettes, da 16 mai 1882 (P. féd., II. 920). Dans ce rapport, nous maintenions notre point de vue antérieur, d'après lequel, pour prévenir tant la nécrose que les cas nombreux d'empoisonnement et d'incendie, il était indispensable de maintenir l'interdiction dephosphore jaune dans la fabrication; nous estimions «qu'il, faut y regarder à deux fois avant de déclarer notre impuissance et de battre en retraite», et nous aboutissions aux conclusions suivantes : 1.1. que la loi du 23 décembre 1879 doit être maintenue dans son principe ; 2. qu'il y a lieu de la compléter en tenant compte des conclusions contenues dans le rapport des experts fédéraux ; 3. qu'à cet effet l'adoption du projet d'arrêté que nous vous avons soumis en date du 6 décembre 1881 doit être de nouveau recommandée. » Ou n'ignore pas que les chambres fédérales n'ont pas donné suite à nos propositions, mais ont édicté la « loi fédérale concernant la fabrication et la vente d'allumettes chimiques, du 22 juin 1882 (Ree. off., nouv. série, VI. 439), qui abrogeait celle du 28 décembre 1879, respectivement l'interdiction de l'emploi du phosphore jaune dans la fabrication des allumettes, interdiction qui avait exercé ses effets pendant dix-huit mois à peine. Mais en môme temps nous obtenions pleins pouvoirs d'établir les règlements et les dispositions pénales nécessaires, principalement en vue de prévenir la propagation de la nécrose.

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Nous avons, en conséquence, édicté le « règlement concernant la fabrication et la vente des allumettes, du 17 octobre 1882 (Ree.

off., nouv. série., VI. 441), dont les articles 7 et 11 ont été revisés depuis par les arrêtés du conseil fédéral du 1er juin 1883 et du 1« juillet 1889.

No nous bornant pas à imposer des prescriptions, nous avons voulu agir par l'instruction en faisant imprimer et répandre autant que possible la brochure : « Comment peuvent être évités les dangers gui se rattachent à la manipulation du phosphore jaune ? » instruction à l'usage des fabricants et des ouvriers de l'industrie des allumettes, rédigée sur l'ordre du département fédéral du commerce et de l'agriculture par l'inspectorat des fabriques. 3 février 1883.

Après les expériences que nous avions faites jusqu'alors, nous ne fûmes nullement surpris de voir que les nouvelles prescriptions étaient observées d'une manière tout-à-fait défectueuse ; aussi avons-nous constaté dans notre rapport de gestion pour l'exercice de 1885 « que, malgré toutes les prescriptions sur les mesures de précaution à observer, la nécrose fait ses victimes ».

Cette remarque paraît avoir donné lieu à l'arrêté fédéral du 1er juillet 1886, conçu en ces termes : « Le conseil fédéral est invité à examiner de quelle manière on pourrait combattre efficacement la nécrose'du phosphore.» L'inspectorat des fabriques fut invité derechef à présenter un rapport sur la question. Nous nous référons à son rapport au département fédéral du commerce et de l'agriculture concernant la fabrication des allumettes au phosphore jaune, du 24 octobre 1886 (P. féd. III. 982), que nous vous avons transmis sans commentaire et qui conclut par les propositions suivantes : « C'est avec cette ferme conviction que nous conseillons, en première ligne, le renouvellement de l'interdiction de 1879 relativement à l'emploi du phosphore jaune, toutefois en modifiant, suivant, ce qui précède, les dispositions légales prises à cette époque. Et si cela était impossible, le monopole des allumettes nous paraît ótre le seul moyen promettant quelque effet pour rendre tout au moins plus rares les cas de maladie, en empêcher dans une certaine mesure la forme intensive et procurer au moins aux individus atteints une compensation pécuniaire. » Afin-d'éviter tout équivoque, nous ajoutons que c'est du monopole de la fabrication des allumettes au phosphore jaune qu'il s'agissait.

609 Du reste la question resta en suspens jusqu'à ce qu'elle fut soulevée derechef par une nouvelle motion Joos, sanctionnée en ces termes par Varrete du conseil national du 16 décembre 1889 : « Le conseil fédéral est invité à examiner la question de savoir si l'on ne devrait pas, de nouveau, interdire la fabrication et la vente d'allumettes phosphoriques constituant un poison, et à présenter un rapport à cet égard. » Nous reviendrons plus tard sur cet arrêté. Mais avant de clore ce chapitre, nous nous permettons de mentionner les publications ·ci-après, qui complètent l'aperçu que nous venons de vous présenter : « Das Verlot der .PhosphorZündhölzchen in der Schweiz und ·dessen Wiederaufhebung », par le professeur Dr G. Lunge. Septembre 1882.

« Fort mit dem Gift der .Phosphor-Zündhölzchen ! » par le Dr G. Güster.

« Die Zündholz-Frage nach schweizerischen Verhältnissen beleuchtet », réplique à la brochure du Dr Custer. Novembre 1886.

« Zur Geschichte der PhosphorneJcrose », écrit polémique d u c r D F. Ris, à Kloten. Février 1887.

II.

Pour être parfaitement orienté dans la matière importante qui nous occupe ici, il ne sera pas sans utilité de jeter un coup d'oeil sur les dispositions des législations étrangères dans la question des allumettes. Nous résumons donc ci-après ces dispositions, «n tant qu'elles sont parvenues à notre connaissance.

Allemagne. La loi impériale du 13 mai 1884, concernant la fabrication des allumettes et les droits qui frappent cet article, de même que la publication du 11 juillet 1884, concernant les installations à établir dans les locaux servant à la fabrication des allumettes dans la composition desquelles entre du phosphore blanc, comprennent le régime qui doit être appliqué k la fabrication des allumettes au phosphore jaune.

Angleterre. La loi sur les fabriques et les ateliers, du 27 mai 1878, ne contient que quelques rares dispositions relatives à l'hygiène dans les fabriques d'allumettes.

Autriche-Hongrie, ^ordonnance du ministère de l'intérieur et du commerce du 17 janvier 1885 contient des dispositions ayant

610 pour but t de protéger les personnes occupées à la fabrication d'allumettes phosphoriques contre les influences délétères inhérentes à cette industrie : c A. dans les exploitations où l'on manipule du phosphore ordinaire, c'est-à-dire du phosphore jaune ou blanc ; « B, dans les exploitations où l'on n'emploie, pour la fabrication des allumettes, pas d'autre phosphore que le phosphore rouge. » Belgique. Un arrêté du 25 mars 1890 soumet les fabriquesd'allumettes à une série de prescriptions sanitaires destinées à prévenir la nécrose.

Danemark. La loi du 14 février 1874 interdit la fabrication, l'importation et la vente des allumettes dont la masse inflammable contient du phosphore, ou d'autres espèces quelconques d'allumettes qui prennent feu sur d'autres surfaces que celles préparées à cet efiet. Autant que nous sachions, ce pays est le seul où cette interdiction existe.

Une publication du ministère de la justice du 28 février 1877 contient les dispositions réglementaires à observer pour l'ins° tallation et l'exploitation des fabriques d'allumettes.

Les Etats-Unis de l'Amérique du nord frappent la fabrication des allumettes d'une imposition.

France. La loi du 2 août 1872 octroie le monopole à l'état.

Nous en reproduisons ci-après les dispositions : Art. 1er. A partir de la promulgation de la présente loi,, l'achat, la fabrication et la vente des allumettes chimiques sont attribués exclusivement à l'état dans toute l'étendue du territoire.

Art. 2. Le ministre des finances est autorisé soit à faire exploiter directement par les administrations des manufactures de l'état et des contributions indirectes, soit à concéder par voie d'adjudication publique ou à l'amiable, le monopole des allumettes.

Art. 3. Il sera procédé à l'expropriation des fabriques d'allumettes chimiques actuellement existantes dans la forme et dans les conditions déterminées par la loi du 3 mai 1841. A cet eô'et, le ministre des finances est autorisé à avancer la somme qui sera nécessaire pour pourvoir aux indemnités d'expropriation.

Cette avance sera régularisée au moyen d'un prélèvement annuel sur le produit du monopole. Elle fera l'objet d'un nouveau compte classé parmi les services spéciaux du trésor.

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Art. 4. Le prix des allumettes fabriquées que la régie descontributions indirectes vendra aux consommateurs ne pourra excéder la fixation ci-après, savoir : Allumettes en par kilogramme .

.

» boite de 150 .

.

» » » 60 .

.

Tolérance de 10 pour 100.

lois.

.

. fr. 2. 50 .

. » --.10 .

. » --. 05

Allumettes en cire.

par boite de 40 .

.

.

. fr. --. 10 Tolérance de 10 pour 100.

Art. 5. Les stipulations financières à intervenir dans le cas dela mise en ferme de l'impôt des allumettes chimiques seront soumises à l'approbation de l'assemblée nationale.

Art. 6. Quel que soit le mode adopté pour l'exploitation du monopole, l'importation, la circulation et la vente des allumettes demeurent assujetties au régime et aux pénalités établis par les lois des 4 septembre 1871 et 29 janvier 1872.

Art. 7. Sont abrogées toutes les dispositions contraires à la présente loi.

La loi du 19 mai 1874 et les décrets des 14 mai 1875 et 22 septembre 1879 contiennent des dispositions spéciales sur l'exclusion absolue ou partielle des enfants dans les fabriques d'allumettes.

Il ne faut pas oublier d'ailleurs qu'en France, dans la question du monopole, ce n'est pas le point de vue hygiénique, mais bien le point de vue fiscal qui domine ; on regardait tout simplement les allumettes comme un objet imposable. Néanmoins il est instructif de jeter un coup d'oeil sur l'exécution de la loi du 2 août 1872.

Le gouvernement français n'exploita pas d'abord le monopole lui-même, mais l'afferma, par contrat du 12 octobre 1872, resp.

du 11 décembre 1874 (approuvé par la loi du 15 mars 1873, resp.

du 28 janvier 1875), à la Société anonyme des allumettes chimiques, moyennant un droit de fermage de 16,030,000 francs pour la vente jusqu'à concurrence de 40 milliards d'allumettes. L'état expropria les fabriques à des prix exorbitants et dépensa à cet effet fr. 31,749,414.19; les fabriques furent mises gratuitement à la disposition de la société prénommée.

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Cette dernière commença son exploitation le 1er janvier 1875 ; mais au lieu d'atteindre le chiffre prévu de 40 milliards d'allumettes, la vente n'arriva en 1875 qu'à 15 milliards et la société perdit jusqu'en 1880 14 millions de son capital. En 1880 elle se réorganisa et parvint dans la suite à se récupérer de ses pertes, mais sans arriver encore à des bénéfices.

Le 31 décembre 1884 l'état dénonça le contrat avec la société précitée, qui adopta dorénavant la raison sociale : compagnie générale des allumettes chimiques, pour le renouveler le 28 janvier 1884 (une convention additionnelle est datée du 27 mars 1884) pour une nouvelle durée de 5 ans, avec cette modification essentielle que le droit de fermage pour les 4 années de 1885 à 1888 était élevé à 17,030,000 francs, et pour 1889 à 18,030,000 francs.

Lorsque cette convention fut débattue en 1884 dans la chambre, 83 députés proposèrent d'affranchir la fabrication des allumettes, mais d'imposer cet article, à l'exception des allumettes destinées à l'exportation, en alléguant que ces mesures auraient pour effet de ranimer l'industrie indigène, le commerce et l'exportation et d'améliorer la qualité des produits. Nous avons à ajouter que ce système avait déjà été tenté dans les années 1871--1874 (loi sur l'imposition des allumettes du 4 septembre 1871 et autre loi plus rigoureuse du 22 janvier 1872), mais qu'on y avait renoncé parce qu'il rapportait trop peu à l'état (tout au plus 8 à 9 millions par année).

Mais, bien que le rapport de la commission lui-môme eût constaté que la commission aurait préféré proposer à la chambre la suppression de tonte imposition, directe ou indirecte, des allumettes, qui pèse sur toutes les classes de la population, et bien que des plaintes nombreuses eussent été soulevées contre les procédés de la compagnie, qui, au détriment des consommateurs, ne livrait à la plupart des dépôts que des allumettes de luxe, dont la vente produisait un bénéfice plus considérable, la convention du 28 janvier 1884 fut néanmoins approuvée par des raisons fiscales.

Même la proposition de la commission de substituer dans la fabrication le phosphore rouge ou phosphore jaune échoua contre la résistance du gouvernement, qui insistait entre autres sur la difficulté de l'introduction d'un frottoir spécial, que cette mesure exigerait.

Diverses
motions présentées à la chambre (27 mars 1876, 28 janvier 1878, 27 février 1886) et tendant à supprimer les visites domiciliaires pratiquées par la compagnie chez des particuliers, pour la recherche de marchandises prohibées, et autorisées par une loi ·du 28 juillet 1875, n'eurent pas un meilleur sort.

613 En 1888 le ministre des finances, Peytral, dénonça de nouveau la convention pour le termo du 31 décembre 1889. Son successeur, Rouvier, voulait, il est vrai, conserver le revenu fixe que le droit de fermage payé jusqu'alors offrait à l'état et renouveler le contrat, mais cette institution, qui rappelait celle des fermiers généraux de l'ancien régime, n'avait plus la faveur de la chambre ; les intérêts personnels de certains fabricants marseillais entrèrent en jeu, et le député (ex - ministre) Peytral, un des principaux adversaires du monopole, réussit au mois de novembre 1889 à faire adopter un arrêté favorable à la fabrication libre soumise à l'imposition. En même temps on fit de nouvelles mais vaines tentatives pour la suppression du phosphore jaune, la restriction du travail des enfants, etc. (motions David, Baudin).

Pour sauver le monopole et faire départir la chambre de son arrêté (adopté à une majorité de 4 voix), le gouvernement lâcha alors la compagnie générale et proposa la régie. Celle-ci fut adoptée et entra en action à partir du 1er janvier 1890. L'état reprit à sa charge les fabriques cédées en son temps à la compagnie, de laquelle il dut racheter, conformément au contrat, ses grands approvisionnements de marchandises (y compris ceux des dépôts, selon une décision du conseil d'état) aux prix en gros (et non aux prix de revient !) ; la compagnie générale procéda à sa liquidation.

Les résultats financiers de la première année n'ont pas été fructueux pour l'état ; toutefois ces conditions ne manqueront pas do subir une modification favorable. Il n'a pas été introduit d'innovations sous le rapport hygiénique.

En fait d'allumettes suédoises, la vente du monopole n'est que de 5 à 10 %· La Grèce a aussi introduit, par la loi du 28 mars 1884, le monopole de l'état pour l'importation, la fabrication et la vente des allumettes de toutes sortes ; l'état a lui-même la faculté de fabriquer, d'affermer le monopole entièrement ou en partie, ou de faire face à la consommation en important de l'étranger. C'est cette dernière alternative qui a prévalu.

Un décret du 9 décembre 1885 établit des prescriptions détaillées concernant les marques, la régie, la vente et le prix des allumettes.

La Hollande et l'Italie (y compris la Sardaigne) ne possèdent pas de dispositions concernant la fabrication et la vente des allumette?.

La Russia frappe la fabrication des allumettes d'une forte im-

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position (minimum 1500 roubles par année pour une fabrique déjà existante et 3000 roubles pour toute nouvelle fabrique).

Suède. Une ordonnance royale du 18 février 1870 énumère les conditions auxquelles les allumettes clans la composition desquelles, il entre du phosphore jaune, peuvent être fabriquées. La disposition suivante est remarquable par sa rigueur : § 6. Aucun ouvrier âgé de moins de 15 ans ne peut être occupé à la préparation de la pâte inflammable ou à l'application de.

cette dernière sur les allumettes ; aucune personne ne peut être occupée à ces travaux pendant plus de six mois, ou les reprendre, après l'expiration de ce terme, avant un intervalle d'au moins deux mois, pendant lesquels il ne se soit déclaré aucun effet nuisible de ce travail sur sa santé.

Une chose surprenante, c'est qu'il n'existe pas de prescriptions concernant la fabrication des allumettes dites suédoises. D'après lerapport du consul suisse à Stockholm du 19 octobre 1891, les allumettes au phosphore et la nécrose ont presque complètement disparu en Suède depuis des années, grâce au prix modique des allumettes suédoises (21 centimes par 10 boites de la fabrique de Jönköping, 14 à 17 centimes par 10 boites des autres fabriques).

Les fabriques sont au nombre de 35 ; elles occupent 5000 ouvriers en chiffre rond; la production totale est de 12 à 14 millions de francs ; l'exportation figure dans ce chiffre pour 11 à 13 millions.

La Norvège n'a pas de dispositions concernant la fabrication des allumettes.

En général, dans la plupart des états (Allemagne, Autriche,, Angleterre, Belgique, Amérique du nord), la fabrication tend à se concentrer entre les mains de quelques grandes compagnies.

III.

Dans notre chapitre I er nous avons vu quel grand nombred'arrêtés, de prescriptions, etc., ont été appliqués à la fabrication des allumettes eu Suisse pendant un laps de temps relativement court. Le but que l'on poursuivait essentiellement était la lutte contre la nécrose du phosphore; c'est vers ce but aussi qu'étaient dirigés la plupart des efforts tentés dans les états que nous venons.

de mentionner.

Nous n'avons plus à nous prononcer ici sur le caractère et les effets de la nécrose, ce sujet ayant déjà été traité d'une manière circonstanciée dans plusieurs messages et rapports antérieurs.

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II nous reste plutôt à observer quels résultats ont atteints les efforts faits par l'état pour prévenir cette maladin.

Noas pouvons nous en faire une idée à peu près exacte en observant le nombre des cas de nécrose constatés parmi les ouvriers clé l'industrie des allumettes ; nous disons une idée à peu près exacte, car .on peut admettre avec certitude qu'un grand nombre de cas de maladie ont été tenus secrets. *) Les chiffres les plus complets que nous ayons à cet égard nous sont fournis par le JJJme arrondissement d'inspection des fabriques, qui comprend la vallée de Frutigen. En confrontant un rapport de la direction de l'hôpital de l'Ile à Berne, dont nous devons la communication à l'obligeance de la direction cantonale de l'intérieur, avec les notes de l'inspecteur fédéral des fabriques, nous relevons que dans 9 fabriques seulement, donc dans la majeure partie des fabriques d'allumettes de la vallée de Prutigen, il y a eu pendant les années 1880--1889 20 cas de nécrose, dont l'un avec issue mortelle, et qui se répartissaient dans une mesure égale sur les deux sexes; un fait qui permet de conclure que le nombre sus-indiqué est dans tous les cas au-dessous de la réalité, c'est que parmi ces 20 cas 5 seulement ont été déclarés conformément aux prescriptions.

On sera peut-être surpris d'apprendre que, malgré les rigoureuses prescriptions en vigueur, ce chiffre très élevé de cas de maladie (qui est naturellement encore beaucoup plus fort pour la Suisse -entière) soit possible. Nous trouvons l'explication de ce fait dans une circonstance dont on a peut-être trop peu tenu compte jusqu'ici, c'est-à-dire dans le peu de force de résistance qu'on rencontre chez l'ouvrier de certaines contrées par suite d'une alimentation défectueuse.

Ces conditions fâcheuses ne peuvent otre représentées d'une manière plus frappante que par le passage ci-après, extrait d'une lettre d'an des plus grands fabricants d'allumettes du canton de Berne, datée du 16 avril 1890: « II est vrai que la nécrose du phosphore a fait de nombreuses victimes et que rien n'est plus justifié que de chercher un remède à ce mal ; il ne s'agit que de savoir en quoi doit consister ce remède.

o - *) M. le pasteur K. Stettier dit dans so a livre « Das Frutigland » : « Pour pouvoir apprécier approximativement le nombre de ces malheureuses victimes,
dont la plupart sont des jeunes filles, on ne peut a'eu tenir aux tableaux statistiques, dressés dans l'intérêt des fabricants; il faut avoir vécu nombre d'années au milieu de ces ouvriers et s'être livré soi-même a des observations. »

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II
faut à l'ouvrier occupé à la fabrication des allumettes phosphoriques avant tout une nourriture saine et fortifiante, puis une propreté minutieuse et enfin de vastes ateliers, où l'air puisse être convenablement renouvelé.

« Le premier et le plus important de ces facteurs fait cruellement défaut dans bien des localités où les ouvriers, contrairement, aux prescriptions de la loi sur les fabriques, sont payés en denrées f au lieu de l'être en numéraire.

« Ces denrées leur sont portées en compte par le fabricant ii 30% et davantage au-dessus de leur valeur réelle; lo pain même doit être livré par le boulanger au fabricant, qui le revend à l'ouvrier en le frappant d'une taxe additionnelle de 5 à 6 centimes par kilogramme.

« C'est ainsi que l'ouvrier se trouve encore frustré d'une bonne partie de son salaire déjà si minime; et quelle peut être la conséouence d'un salaire insuffisant, sinon que l'ouvrier est obligé en première ligne de compter les bouchées?

« Ensuite de cette alimentation insuffisante, la constitution physique s'affaiblit, s'étiole et perd toute force de résistance contro les maladies et notamment contre l'action du phosphore jaune; voilà donc pourquoi c'est précisément là où ce système d« payement des salaires est en usage que, comme le démontre l'expérience, la nécrose fait les plus grands ravages. . . »

L'ancien inspecteur des fabriques du lllrae arrondissement, M. Nusperli, complète ces assertions par les observations suivantes dans son rapport du 19 mai 1890 : « Une conséquence de la concurrence irrationnelle que se font les fabricants dans la vente de leurs allumettes, c'est que la plupart d'entre eux, lorsqu'ils ne peuvent pas obtenir dans leurs tournées le nombre de commissions qu'ils désireraient, offrent aux marchands leurs allumettes en échange de marchandises quelconques, telles que du café, du sucre, du savon, des articles de mercerie, afin de pouvoir placer leur marchandise grâce à ce procédé. Il eu résulte un commerce d'échange auquel les ouvriers des fabriques d'allumettes sont aussi forcés de participer, car, comme le fabricant ne peut pas consommer dans son propre ménage toutes les marchandises qu'il s'est procurées de cette manière, il installe lui-même un magasin d'épiceries, bien qu'il y en ait déjà un asse/ grand nombre dans la vallée de Frutigen. Outre ces marchandises acquises par échange, plusieurs fabricants débitent aussi du pain, qui est ordinairement revendu aux ouvriers avec ime augmentation de 2 centimes par miche, c'est-à-dire 2 centimes plus cher qu'on ne

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le paye au boulanger. Les ouvriers vont alors se pourvoir d'une partie des denrées nécessaires chez le fabricant, qui note dans un carnet les marchandises qu'il a livrées; ce carnet sert de livre de compte tous les quinze jours, lors du payement des salaires. -- Dans mes inspections à Frutigen j'ai pu me convaincre qu'au jour de paye bien des ouvriers non seulement ne perçoivent pas de salaire en numéraire, mais redoivent môme des sommes plus ou moins fortes pour marchandises reçues en sus de ce qui leur revient; ceux qui de cette façon restent débiteurs du fabricant pendant des mois ne sont pas rares ; d'autres ouvriers, qui se trouvent dans une situation plus favorable, reçoivent encore au règlement de compte un solde de 5, 10 ou 30 centimes en numéraire. . . » II nous reste enfin à citer les lignes suivantes, qui touchent notre question et sont extraites du livre déjà mentionné « Dos Frutigland », par le pasteur K. Stettler (1887) : « Nous savons combien les ouvriers de fabrique et ceux qui travaillent pour des particuliers aimeraient bien souvent être payés en numéraire, mais ils doivent se contenter de recevoir des fabricants, qui tous tiennent en même temps des magasins d'épiceries, un payement en nature !...

Un travail si pénible et des salaires si minimes engendrent une race qu'on ne s'attendrait pas à trouver dans les Alpes et si près d'établissements de cure très fréquentés, etc. » Mais la raison principale des ravages que la nécrose continue à faire doit être attribuée, comme on l'a signalé déjà bien des t'ois, au fait que les prescriptions, quelque utiles et opportunes qu'elles soient, ne sont pas observées et que la maladie trouve môme accès dans des localités où tous les moyens propres à la prévenir sont mis en usage avec la plus minutieuse sollicitude. Les expériences de ces 9 dernières années, pendant lesquelles la fabrication au phosphore jaune a été reprise, le prouvent suffisamment, et nous pouvons nous dispenser de réitérer des plaintes bien connues et qui reviennent sans cesse; nous prenons la liberté de citer, comme preuves à l'appui, les rapports annuels imprimés des gouvernements cantonaux et de nos inspecteurs de fabriques, dont nous nous bornons à reproduire ci-après les passages les plus frappants.

Kapport concernant le Jer arrondissement d'inspection des fabriques;
exercice 1884/85 : « Au surplus, les expériences faites dans des établissements parfaitement organisés, tels que la fabrique Schätti, à Fehraltorf, sont décourageantes. Dans cette exploitation deux ouvriers ont été attaqués de la nécrose du phosphore; ces ouvriers étaient occupés à la préparation du bois, loin des vapeurs de phosphore ; il est

18 vrai qu'ils travaillaient antérieurement dans un local où se dégageaient des vapeurs de phosphore, mais qui était très bien aéré et tenu propre. -- L'interdiction du phosphore jaune aurait seule pu appporter un remède efficace. »

Rapport concernant le IIIme arrondissement d'inspection des fabriques; exercice 1888/89 : « Plusieurs cas de nécrose ont de nouveau été constatés dans des fabriques d'allumettes phosphoriques, et môme dans des établissements où l'on observe un ordre et une propreté modèles. La maladie atteint à peu près dans la môme mesure les ouvriers de l'un et de l'autre sexe. Il n'y a guère d'autre moyen de supprimer les dangers d'intoxication que d'exclure absolument le phosphore jaune de la fabrication des allumettes. »

Rapport du conseil d'état du canton de Berne; exercice 1889/90 : « Comme de tout temps, ce sont les fabriques d'allumettes du district de Frutigen qui ont nécessité la plus grande attention dans la surveillance des installations et de l'exploitation. Plusieurs nouveaux cas de nécrose du phosphore se sont malheureusement déclarés dans ces établissements pendant l'exercice écoulé. Quelquesuns de ces cas paraissent s'expliquer, il est vrai, par la malpropreté et la négligence des ouvriers en question ; d'autres, par contre, ont été évidemment causés par le fait que ces ouvriers ont été occupés pendant une trop longue série d'années à appliquer sur les allumettes le soufre et la pâte inflammable. » Citons encore le passage suivant extrait d'un rapport que nous a présenté, à la date du 8 décembre 1890, l'inspecteur actuel des fabriques du IIIme arrondissement, M. Itausclieribach, au sujet d'une inspection spéciale dans la vallée de Prutigeh, à laquelle il a procédé sur notre invitation : « Les mesures préventives à prendre contre la nécrose du phosphore ne semblent pas non plus ótre observées d'une manière satisfaisante; les prescriptions y relatives ne sont pas du tout exécutées, ou ne le sont qu'à demi. Ainsi j'ai eu dans différentes localités à critiquer la mauvaise ventilation et le manque de propreté, bien que, dès ma première inspection, ma présence ait été annoncée à la ronde, ce qui ressort du fait que j'ai trouvé presque partout des traces d'un nettoyage fait à la hâte . . . Les contrôles médicaux étaient partout en bon ordre (à l'exception d'un établissement, où il n'y en avait pas). Il résulte de ces livres que la sur-

619 veillance médicale se fait régulièrement et assez minutieusement.

Mais à quoi servent toutes les prescriptions des fonctionnaires préposés à la surveillance, si les ouvriers eux-mêmes, en faveur desquels ces prescriptions ont été faites, ne veulent pas les observer? » Du reste ailleurs non plus on n'a pas réussi à. supprimer la nécrose du phosphore.

Nous lisons dans la dissertation « Die Phosphornekrose », par le Dr Häckel, assistant de la clinique chirurgique à Jena (publiée dans les archives de la chirurgie de Langenbeck), que de 1857 à 1889 cette clinique a eu en traitement 56 malades affectés de la nécrose du phosphore (provenant en partie, il est vrai, de l'industrie domestique, supprimée par une loi impériale *), et que les faibles chiffres des cas de maladie annoncés dans les communications officielles des contrôleurs des fabriques sont trop bas. Quant aux effets de la loi impériale précitée du 13 mai 1884, c'est-à-dire des prescriptions concernant son exécution, Häckel remarque .ce qui suit : « Nous sommes donc forcés de reconnaître qu'on n'a pas réussi à se rendre maître de la maladie, et nous devons nous ranger décidément à l'opinion de Hirt » (qui avait plaidé en faveur de l'interdiction du phosphore jaune) . . . « Les plaintes formulées par Hirt ont leur raison d'être encore aujourd'hui, et le seul moyen radical qui puisse aboutir à une protection efficace des ouvriers, c'est l'interdiction absolue des allumettes au phosphore blanc.> Le Dr B. Magitot, membre de l'académie de médecine, produit danc sa « Pathogénie et prophylaxie des accidents industriels du phosphore » (Paris 1888) une statistique détaillée avec la description de 69 cas de nécrose, observés pendant les années de 1873 à 1888, dont 39 provenaient de la fabrication française et 30 de la fabrication italienne; 21 de ces cas ont eu une issue mortelle. Au surplus l'auteur fait l'observation suivante : « Si l'on additionnait toutes les statistiques connues jusqu'à ce jour, on arriverait certainement à plusieurs centaines de cas, chiffre encore bien inférieur à la réalité, car il faut tenir compte des faits ignorés, et nous n'avons aucun renseignement sur les divers centres de fabrication d'Angleterre, de Belgique et de Hollande, où nous n'avons pas encore porté nos investigations. » *) On prétend que l'industrie domestique
est encore pratiquée clandestinement. -- La situation critique de leur industrie a engagé des fabricants allemands a réclamer le monopole. Voir l'appel en faveur de ce dernier dans la « Zeitschrift für Zündwaarenfabrikation, organe de la société des fabricants d'allumettes en Allemagne » (juillet 1890).

Feuille fédérale suisse. Année XLIII.

Vol. V.

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Nous signalons encore le fait que même le règlement sur 1' « Hygiène des ateliers », que la compagnie générale des allumettes chimiques déjà citée a fait afficher dans ses ateliers, n'a pas été en état de faire diminuer le nombre des cas de maladie.

IV.

sr

Après l'espose qui précède il n'est guère nécessaire d'insister davantage sur le point que la suppression du phosphore jaune dans l'industrie des allumettes est le seul moyen capable de supprimer aussi la nécrose. C'est indubitablement cette même manière de voir qui a donné lieu à l'arrête du conseil national du 1er juillet 1889 (voir ci-dessus au chapitre I), lequel nous imposait la tâche d'étudier la question. Au moins l'auteur de la motion, M. Joos a-t-il appuyé cette dernière de motifs partant évidemment du môme point de vue.

Revenant à cet arrêté comme point de départ, nous constatons qu'on ne peut imaginer que deux manières d'y faire droit : la fabrication d'allumettes sans phosphore jaune, soit par l'industrie privée, comme jusqu'ici, soit par l'état.

Pour ce qui est de la première de ces deux alternatives, nous ne pouvons y acquiescer.

Une de nos principales raisons c'est qu'en laissant le champ libre à l'industrie privée, on n'atteindrait certes pas aussi sûrement que par l'autre voie que nous venons d'indiquer le but humanitaire que l'on a en vue. La fabrication actuelle des allumettes est en elle-môme déjà divisée et travaille souvent avec les ressources les plus minimes ; il est à présumer que, quelle que soit l'espèce d'allumettes que l'on aurait à fabriquer, les établissements continueraient à se faire une concurrence déraisonnable; il en résulterait, comme jusqu'à présent, que les conditions d'existence, tant des patrons que des ouvriers, seraient réduites jusqu'aux limites de l'impossible, que l'alimentation empirerait en proportion de l'exiguïté des salaires, et que cet état de choses amènerait des conséquences hygiéniques graves. On ne peut en effet s'attendre à ce que ce seul changement du mode de production puisse remédier au marasme chronique de l'industrie, et il n'est donc pas étonnant que, abstraction faite des conséquences financières toujours menaçantes de la responsabilité civile, des voix nombreuses s'élèvent des rangs des fabricants eux-mêmes en faveur de l'exploitation par l'état, c'est-à-dire du monopole, puisque leur propre exploitation n'est souvent pour eux qu'une source de soucis.

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N'oublions pas après cela que, tant que l'industrie privée subsistera, l'occasion et la tentation de fabriquer des marchandises roMbées, c'est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, des allumettes au phosphore jaune, subsisteront dans une large mesure tant que ces marchandises trouveront des acheteurs. Et cette dernière condition se réalisera, il n'y a pas à en douter; il est vrai que les allumettes sans phosphore (nous entendons par là sans phosphore jaune) ont bien gagné du terrain chez nous ces dernières années, mais les allumettes constituant un poison prédominent encore généralement, et il est certain que, si elles sont de nouveau interdites, beaucoup de consommateurs chercheront à s'en procurer, soit parce que ces allumettes sont un peu meilleur marché, soir, principalement parce qu'on se défait avec peine d'une habitude invétérée.

Les expériences qu'on a faites à cet égard lors de la première interdiction des allumettes au phosphore sont assez éloquentes; on se souvient que sous son régime, assez court il est vrai, il n'a pas été possible d'empêcher la fabrication clandestine.

Ce qu'il y a de plus à craindre, c'est que celle-ci, quittant les bâtiments des fabriques (si l'on peut appeler ces locaux de ce nom), ne se retire dans les maisons particulières pour prendre le caractère de l'industrie domestique. Or, plus cette dernière est pratiquée secrètement (car elle devrait aussi être interdite d'office), plus les dangers sous le rapport sanitaire seront grands, car tout ce qui l'entoure entrera en contact direct avec l'élément dangereux.

Il est sans doute vrai que les mêmes inconvénients peuvent aussi se présenter dans l'exploitation en régie, mais il est impossible qu'ils prennent des dimensions aussi menaçantes que lors d'une simple interdiction de l'emploi du phosphore. La fabrication par l'Etat sera concentrée dans un nombre très restreint de grands établissements; les petites fabriques disparaîtront et leurs propriétaires auront à se vouer à une autre occupation, ce qui leur sera facilité par la somme de rachat qu'ils retireront. Dés qu'une partie de la population cessera d'être en contact permanent avec l'industrie des allumettes, que les ustensiles, les matières premières, dont l'Etat se sera chargé, seront hors de portée, la fabrication prohibée sera devenue presque impossible. Il y
aura encore moins à craindre si l'on parvient à fixer pour les produits du monopole un prix de vente qui ne diffère pas trop de celui des allumettes au phosphore. Enfin, il ne faut pas oublier que dans l'exploitation en régie organisée sur une base solide, le contrôle sera beaucoup plus efficace que dans les fabriques privées, disséminées par douzaines dans 12 cantons différents.

La contrebande aussi, qui autrefois jouait un si grand rôle, pourra être combattue plus efficacement lorsque toute la fabrication

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indigène sera entre les mains de l'Etat et que la provenance des marchandises pourra être recherchée avec plus de facilité. La surveillance des frontières par la Confédération est du reste, soit dit en passant, mieux organisée qu'il y a »me distaine d'années.

Un autre facteur important dont il faut tenir compte, c'est que la fabrication privée n'offre pas a priori une garantie pour la qualité de la marchandise. Qu'on se rappelle l'époque de la première interdiction du phosphore : on lançait dans le public une masse de marchandise détestable et même extrêmement dangereuse, il s'ensuivait une quantité d'accidents graves et le régime entier tombait presque partout dans unejmpopularité irrémédiable. Il n'y a pas de prescription qui puisse nous garantir qu'en édictant une nouvelle interdiction, on empêche le retour de conditions semblés, la production de recettes absurdes, la naissance d'un état de choses dangereux tant pour les consommatenrs que pour les fabricants. Pour ce qui concerne particulièrement ces derniers, nous ne pouvons nous empêcher de rappeler que parmi les matières qui servent à la fabrication des allumettes sans phosphore jaune, il s'en trouve dont le mélange est extrêmement explosible. On objectera sans doute que c'est l'affaire du contrôle à exercer par la Confédération d'empocher que les ouvriers employés à la fabrication des allumettes ne soient exposés à des maladies ou à des risques d'explosions et à pourvoir à ce qu'on ne mette en circnlation que des produits qui répondent à toutes les exigences des consommateurs quant à la qualité et à la modicité des prix. Mais nous insistons encore une fois sur ce point que môme le contrôle censé le plus rigoureux et le plus incessant, s'étendant sur un aussi grand nombre d'établissements et embrassant en outre l'industrie domestique, ne serait pas à même de s'acquitter de sa tâche dans ces deux sens et que do nouvelles clameurs ne tarderaient pas à s'élever contre la Confédération. Celle-ci serait de nouveau et à tort (car elle serait obligée d'abandonner l'exécution de ses prescriptions protectrices à d'autres agents qu'aux siens propres) rendue responsable 'de tous les dommages et de tous les désagréments. Dans ces circonstances nous prêterons décidément assumer de fait la responsabilité pleine et entière d'arriver, par l'introduction du
monopole, à organiser une exploitation exempte de dangers et à servir le public à sa satisfaction. Nous espérons bien que, sous tous les rapports que nous venons de mentionner, l'exploitation en régie, qui disposerait d'un personnel très capable et des meilleures ressources techniques, qui serait placée sous une direction très sérieuse et n'aurait pas à s'épuiser dans une concurrence préjudiciable, offrirait des garanties beaucoup plus sûres à l'avantage tant des consommateurs que des producteurs. Dans tous

623 les cas, nous ferions tout ce qui dépendrait de nous pour arriver à ce résultat.

Nous croyons ne pas pouvoir nous dispenser de mentionner encore une autre raison qui s'oppose à ce que l'ancienne interdiction du phosphore soit renouvelée. Il nous semble qu'il ne serait guère dans l'intérêt de la dignité de nos institutions, tant vis-à-vis de l'étranger que vis-à-vis du pays, de prendre une attitude si versatile ; et nous croyons que précisément dans notre pays on ne comprendrait pas qu'on introduise en 1879 une mesure aussi importante que l'interdiction du phosphore dans · l'industrie des allumettes, pour la rapporter en 1882 et la réintégrer en 1891 ou 1892 dans des conditions généralement semblables. A part cela on serait obligé de recommencer tout au début et de repasser =par une filière de situations intolérables, fans compter que le changement d'exploitation occasionnerait aux fabricants, sans qu'il y ait de leur faute, des frais considérables, pour lesquels ils ne pourraient réclamer aucune indemnité (voir la décision concernant la pétition de E. Bohy et Brack; message du 1er juin 1883).

Ainsi que nous venons de l'exposer, nous n'avons heureusement pas besoin de recourir à ce moyen, puisqu'il s'en présente un autre qui atteindra mieux le but que nous poursuivons de préserver les ouvriers de l'industrie des allumettes d'une hideuse maladie professionnelle.

Nous voulons parler de l'autre alternative que nous avons indiquée, soit Y exploitation monopolisée en régie.

Déjà dans les motifs cités à l'appui de l'arrêté du conseil national du 1er juillet 1889 mentionné plus haut, on a, en passant, fait allusion au monopole. Dans un rapport du 19 février 1891, présenté sur sa demande à notre département de l'industrie, M. le conseiller national Dr Joos résout de même dans le sens affirmatif la question de savoir s'il y a lieu d'introduire le monopole de la fabrication des allumettes et ajoute : « L'avantage direct et l'avantage du directeur se contrebalanceront à peu près dans la nouvelle entreprise, mais on arriverait à prévenir la nécrose du phosphore et à réduire les primes d'assurance contre l'incendie (c'est-à-dire par la diminution des sinistres causés par des enfants)... » « Pour ma part, l'introduction du monopole des allumettes, -- et bien entendu des allumettes de sûreté -- me paraît
un acte de bonne politique, môme sous le point de vue social. Je ne puis guère me figurer une législation internationale efficace sur les fabriques qu'en ce sens que tels ou tels états donnent le bon exemple aux antres par des progrès déjà réalisés. ·»

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En outre, dans l'intention de s'orienter approximativement sur l'organisation et la portée du monopole, notre département de l'industrie a invité, en date du 28 avril 1891, les inspecteurs fédéraux des- fabriques à recueillir les indications nécessaires et à répondre, dans un rapport collectif, aux questions suivantes : 1. Etendue de la consommation des allumettes en Snisse, dont : a. Allumettes au phosphore jaune.

l. Allumettes sans phosphore jaune.

2. Quel effectif de fabriques privées, pourvues d'installations modèles, serait nécessaire pour faire face à la consommation ° entière de la Suisse, en supposant que la vente des allumettes au phosphore jaune soit interdite ?

3. A combien reviendrait l'achat, soit l'expropriation de toutes les fabriques actuellement existantes ?

4. De quelle manière l'état pourrait-il faire face à la consommation ?

Combien de fabriques et où ?

Combien d'ouvriers ?

Rapports entre l'industrie domestique et le monopole.

5. Budget d'une production capable de faire face au besoin.

Le rapport des inspecteurs fédéraux des fabriques concernant la question du monopole des allumettes, du 21 septembre 1891, qu'on trouvera annexé au présent message, donne sur les points ci-dessus les renseignements les plus circonstanciés, de sorte que nous pouvons en général nous y référer.

Néanmoins, nous sommes dans le cas de compléter ces renseignements par quelques observations au chapitre suivant.

V.

La presse venait à peine de répandre la nouvelle que nous avions l'intention de proposer l'institution du monopole de l'état pour la fabrication des allumettes, que déjà de toutes parts, et même de l'étranger, on entendait prétendre que le motif qui nous guidait avait un caractère financier, c'est-à-dire qu'il s'agissait pour nous de créer de nouvelles ressources pour la Confédération.

Nous ignorons quelles raisons ont pu donner naissance à cette supposition, mais nous pouvons assurer que dans toutes les

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phases de la question, et tant que nous nous en sommes occupés, elle est et a toujours été absolument dénuée de fondement. Nous tenons à déclarer ici hautement et clairement que le seul mobile qui nous ait guidés dans la préparation du présent projet a été le voeu de délivrer les ouvriers do l'industrie des allumettes de la nécrose du phosphore, qui a fait trop longtemps des victimes ; et lors même que celles-ci ne seraient qu'en petit nombre, chacune d'elles justifierait l'intervention de l'Etat. Il est en effet temps que l'Etat mette un terme à la situation actuelle, qui fait outrage aux aspirations humanitaires de notre époque.

La poursuite d'un but de fiscalité nous était donc tout-k-fait étranger. Nos inspecteurs des fabriques ont, il est vrai, calculé d'eux-mêmes, dans le rapport précité, un bénéfice annuel de fabrication do 610.000 francs en faveur de la Confédération, mais en ajoutant que ce bénéfice serait absorbé pendant des années par les frais de l'expropriation. Il va de soi que le produit du monopole doit au moins couvrir les frais de l'entreprise. Mais à part cela nous viserions à ce que le prix de vente des allumettes, qui sont après tout un objet de première nécessité et d'usage général, soit aussi modique que possible. Et si au bout de quelques années il restait un petit bénéfice net, ce ne serait pas un malheur, car si la Confédération veut pouvoir suffire aux tâches sociales dont on attend d'elle la solution, il faut aussi qu'elle en ait les moyens.

Du reste, il sera toujours possible d'établir le budget du monopole de telle manière qu'il n'en résulte pas de produit net, si l'on n'en veut absolument pas réaliser.

Il est superflu de nous étendre davantage sur le fait qu'une des premières conséquences du point de vue que nous venons de préciser, c'est la proscription du phosphore jaune de la fabrication en régie. On a vu que même dans les établissements les mieux installés, les cas de nécrose sont possibles ; on ne peut donc se rassurer en disant que l'Etat est plus à même que l'industrie privée, d'appliquer dans la fabrication tous les moyens connus pour prévenir l'intoxication par le phosphore. Il serait injustifiable d'exposer à ce risque de maladie les ouvriers des fabriques de l'Etat.

Et, bien que dans notre projet d'arrêté il ne soit pas'question de l'interdiction du
phosphore, qui n'est pas du domaine de la constitution, rcais de celui d'une loi réglant le détail, nous envisageons comme inadmissible, et nous tenons à le déclarer ici formellement, que, contrairement aux préceptes de l'humanité, l'allumette au phosphore jaune ne soit pas procrite en même temps que le monopole serait adopté.

Quelles espèces d'allumettes livrera le monopole ? C'est ce qu'on ne peut déterminer à l'avance ; cela dépend en grande partie

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des phases des progrès techniques et des besoins de la consommation. Il est indubitable que les allumettes dites suédoises, qui ne prennent feu que sur nn frottoir spécial, feront aussi partie de la fabrication. Pour ce qui est des allumettes qui s'enflamment sur toute surface, il y a sans doute à remarquer que bien des personnes les regardent comme presque indispensables, aussi s'étaiton livré, déjà lors de la première interdiction du phosphore, à la fabrication d'allumettes de ce genre, mais elles étaient très défectueuses et ont causé bien des accidents. Or, il paraît qu'on a maintenant réussi à préparer une allumette convenable sans phosphore jaune et prenant feu sur toute surface; au moins nous en a-t-on présenté des spécimens qui fonctionnent d'une manière satisfaisante, de sorte qu'il y a lieu d'espérer qu'on pourra remplacer avantageusement l'allumette au phosphore, même sous le rapport de l'inflammabilité.

Ajoutons cjue, dans l'intérêt d'une exécution rationnelle du monopole, la Confédération devra se réserver la fabrication et la vente non seulement des allumettes proprement dites, mais aussi des allumettes-bougies et autres produits analogues, bien que, dans notre projet d'arrêté, nous ayons adopté le terme d'allumettes comme le plus usité.

Quant à la vente des allumettes, on pourra l'organiser de différentes manières. Mais il faut dans tous les cas qu'elle soit limitée aux marchandises fournies ou admises par la Confédération, afin d'ôter toute possibilté à la fabrication clandestine et à la contrebande et de mettre la Confédération en état de maintenir l'équilibre financier dans l'exploitation du monopole.

Au surplus, nous sommes d'avis que, à moins que des raisons majeures ne s'y opposent, la vente doit être facilitée autant quepossible. C'est pourquoi nous ne pourrions, pour le moment, nous déclarer partisans d'un système d'après lequel des personnes pourvues à cet effet d'une concession fédérale auraient seules le droit de vendre des allumettes, car celles-ci sont un objet de nécessité si générale qu'on doit pouvoir s'en procurer partout. Il ne serait pas sage non plus de créer des difficultés à cet égard et de se charger de l'embarras du contrôle de bureaux de régie. Mais si le droit de vente des allumettes ne doit être soumis à aucune restriction, il faut que la Confédération,
afin d'obvier aux abus, se réserve la compétence de fixer un maximum pour le prix de détail.

Une conséquence de notre système, c'est que l'importation d'allumettes destinées à des acheteurs .autres que la Confédération, doit aussi être interdite. Il est bon de prévoir une exception en

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faveur de cette dernière, vu qu'elle pourrait bien se trouver dans le cas de se procurer à l'étranger certaines spécialités, échantillons, etc. Du reste il ne faut pas que la · marchandise étrangère puisse dans certaines circonstances supplanter ou discréditer la marchandise indigène, ce qui pourrait fort bien arriver, par exemple, si on pouvait s'en procurer de mauvaise qualité à des prix très bas; il ne fant pas non plus que l'importation empêche pour ainsi dire le contrôle des infractions au monopole dans le pays, ni qu'elle amoindrisse le gain que la classe ouvrière retire de la fabrication indigène et dont la perte serait gravemeut ressentie dans les contrées intéressées.

Nous ne pouvons terminer ce chapitre de notre message sans faire remarquer que le fait de l'adoption du monopole de la Confédération ne résoudrait toutefois pas d'emblée la question de savoir si l'état doit fabriquer lui-même ou s'il doit transférer par voie de concession et sous certaines conditions, le droit de fabriquer à un nombre limité de fabricants. Nous ne nous sommes pas étendus plus au long sur le mode à suivre pour les concessions, parce que ce n'est là qu'une forme particulière du monopole et que nous avons exposé sous ce titre général de « monopole » tous les motifs que nous voulions avancer en faveur de la question.

Quant à savoir d'après quel système le monopole devra être réalisé, c'est ce que déterminera la législation à édicter pour l'application de l'article de la constitution.

Car notre proposition requiert naturellement une disposition additionnelle de la constitution, cette dernière n'offrant pas, dans sa teneur actuelle, la compétence nécessaire. Le projet d'arrêté fédéral ci-après prévoit ce qui est nécessaire à cet égard, et particulièrement comme disposition additionnelle à l'article 31 (concernant la liberté de commerce et d'industrie et ses réserves) et un nouvel article 34 ter. La chose nous paraît si simple que nous ne croyons pas devoir ajouter à notre projet d'autres commentaires. Dès que le principe aura obtenu sa sanction, la réglementation des détails devra naturellement faire l'objet d'une loi d'exécution; ce qui peut être dit dès à présent sur l'exécution du monopole a été exposé dans le présent message et dans le rapport déjà mentionné des inspecteurs des fabriques (voir l'annexe),
auquel nous nous référons encore une fois.

L'insertion du nouvel article a eu lieu à la suite des articles 34 et 34 bu, ces derniers ayant de même, entièrement ou en partie, trait à la protection à accorder aux ouvriers.

Nous avons enfin à faire observer qu'une velléité éventuelle A'imposer la fabrication officielle dans les cantons est déjà rendue

628

impossible par l'article 7 de la loi fédérale du 23 décembre 1851 concernant les garanties politiques et de police en faveur de la Confédération (Ree. off., III. 33).

Nous recommandons instamment notre projet à votre bienveillante appréciation et à votre approbation. Il n'est pas digne de notre pays de laisser subsister plus longtemps la misère à laquelle sont en butte les malheureuses victimes d'une industrie meurtrière.

Agréez, monsieur le président et messieurs, l'assurance de notre considération distinguée.

Berne, le 20 novembre 1891.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération : WELTI.

Le chancelier de la Confédération : EINQIEB.

629 Projet.

Arrêté fédéral concernant

l'adjonction à la constitution fédérale du 29 mai 1874 de dispositions additionnelles ayant trait au monopole des allumettes.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message du conseil fédéral du 20 novembre 1891, décrète : I. La constitution fédérale du 29 mai 1874 reçoit les dispositions additionnelles suivantes : A l'article 31.

« f. La fabrication, l'importation et la vente des allumettes, en conformité de l'article 34ter. » Article 34'«.

« La fabrication, l'importation et la vente des allumettes dans toute la Suisse appartiennent exclusivement k la Confédération.

« La législation fédérale arrêtera les dispositions nécessaires pour l'application de ce principe. » t II. Ces dispositions additionnelles seront soumises à la votation du peuple et des cantons.

III. Le conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

630

Annexe.

Eapport inspecteurs fédéraux des fabriques concernant la question du monopole des allumettes.

An département fédéral de l'industrie, à Berne.

Avant de traiter directement les questions que vous nous avez posées au sujet de la fabrication des allumettes, nous prenons la liberté de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur les différentes phases et les transformations que cette branche d'industrie a subies dans notre pays depuis 1886, c'est-à-dire depuis la présentation de notre dernier rapport spécial.

A cette époque-là, il y avait en exploitation 28 établissements qui occupaient en moyenne 650 ouvriers, nombre qui descendait parfois au-dessous de 500. D'après les relevés faits en vue de la statistique des fabriques, il n'y avait en 1888 plus que 24 établissements en activité ; 4 d'entre eux ont même suspendu leur travail, au moins temporairement. Le nombre d'ouvriers qu'on déclarait n'était déjà plus que de 349. Cette énorme diminution du chiffre des ouvriers était la conséquence do la mauvaise marche des affaires et du complet découragement des fabricants d'allumettes, qui ne voyaient pas non plus se réaliser les effets favorables qu'ils espéraient des droits d'entrée élevés dont avaient été frappées les allumettes. Une amélioration temporaire seulement avait pu être obtenue par la constitution d'un syndicat de fabricants d'allumettes, auquel appartenaient notamment des industriels de la vallée de Prutigen, et qui était parvenu à faire arriver à fr. 6. 50 le prix de la caisse de marchandise, qui était descendu à 5 francs.

Mais déjà an bout de deux années d'existence, les procédés déloyaux de quelques membres du syndicat amenèrent la dissolution

631 de cette association. Elle fut suivie d'une baisse rapide des prix, qui menaça sérieusement l'existence de maint établissement et consomma la ruine de maint autre. Encore au commencement de 1890, on vendait de grands stocks de marchandise à fr. 4. 80 la caisse de 60,000 allumettes, c'est-à-dire à un prix qui, au dire des vendeurs eux-mêmes, était bien inférieur au prix de revient. Et de nouveau on vit beaucoup de fabriques arrêter leur exploitation entièrement ou en partie ; les gains étaient devenus si minimes que quiconque trouvait un autre genre convenable d'occupation tournait le dos à la fabrication des allumettes.

Dans cette détresse on eut recours encore une fois à l'institution d'un syndicat, qui, depuis le mois de mars 1890, embrasse la majeure partie des fabricants d'allumettes au phosphore jaune. On mit des restrictions à la production en n'accordant à chaque fabricant que la confection d'un certain nombre de caisses par semaine.

Dans les époques où le débit est faible, ce nombre peut encore être réduit par le comité de l'association. Un membre du syndicat qui veut renoncer à fabriquer lui-même, peut, naturellement moyennant indemnité, céder sa quote de production à un autre co-intéressé.

La vente ne s'effectue pas par les membres en particulier, mais par des agents communs, nommés et reconnus comme tels par le syndicat. Les prix auxquels les membres sont tenus de livrer leurs produits, et ceux auxquels ces derniers doivent être vendus, sont arrêtés. Dans le principe, tout allait à merveille. Le débit était satisfaisant. Bien que les salaires aient été augmentés de 10 à 20 °/0, l'année 1890 a été fructueuse pour les fabricants. Mais ces beaux résultats alléchèrent bien des convoitises. Les années 1890 et 1891 ont vu fonder pas moins de 7 nouveaux établissements.

Quelques-uns des nouveaux entrepreneurs entrèrent dans le syndicat.

Mais comme la consommation restait la même, on dut procéder à une nouvelle répartition du nombre des caisses à produire, et comme on ne voulait pas ôter aux nouveaux membres l'envie d'entrer dans le syndicat, on les a, paraît-il, largement favorisés dans cette répartition. Ceci équivalait pour les anciens membres à une réduction considérable du nombre des caisses qu'ils avaient à produire, et par conséquent à une diminution considérable de leur gain. Mais
ils éprouvèrent un préjudice encore plus sensible par les nouvelles fabriques qui n'entrèrent pas dans l'association. Ces fabriques vendaient dans le principe aux mêmes prix et réalisaient de plus gros bénéfices, n'ayant pas à contribuer aux dépenses résultant des services d'agents intermédiaires et aux autres frais. Mais, à part cela, il ne tenait qu'à elles d'abaisser les prix et de faire par là une concurrence redoutable au syndicat, outre que, d'un moment à l'autre, il peut se produire un encombrement du marché. Grâce à

632 la hausse des prix, les fabriques allemandes ont elles-mêmes pu placer leurs marchandises d'une manière avantageuse. On assure qu'elles ont livré des marchandises aux détaillants, franco à domicile, à raison de 9 francs par caisse, tandis que le prix de revient était de fr. 5. 50. Un concurrent allemand très dangereux, domicilié près de la frontière, s'était laissé décider par les fabricants de la Suisse orientale, moyennant un dédommagement annuel de 3000 marcs, à renoncer à toute importation d'allumettes. Ce tribut a été réparti sur tous les contractants en proportion de la quote de production qui leur était assignée. Le prix de chaque caisse achevée, ou plutôt de chaque caisse à produire, était par là enchéri de 10 centimes. Ceux-là aussi qui avaient cédé leur quote de production à d'autres (dans la règle contre une bonification de fr. 1. 75 par caisse) devaient participer à cette imposition.

Peu à peu le marché s'encombra de nouveau ; le débit se ralentit. D'après les indications de quelques fabricants, la quantité de marchandise vendue variait entre les 2/s e^ les 8/4 de l'évaluation des caisses. On trouve ça et là de grands amoncellements de stocks d'allumettes ; des établissements qui n'appartiennent pas aux plus considérables et travaillent avec environ 7 ouvriers avaient des stocks de 600 à 1000 caisses. Ce n'est que dans la vallée de Frutigen qu'il n'y avait que des stocks peu nombreux ou peu considérables. Les vendeurs sont autorisés à accorder, en cas de nécessité, des remises allant, à ce qu'on dit, jusqu'à 13 °/0. D'après des communications que nous avons reçues, il paraît qu'on a fait, dans des ventes par fortes parties, des remises allant jusqu'à 7 °/0.

Il va de soi que c'est tout autant de moins que les fabricants perçoivent pour leurs marchandises et que leur bénéfice se trouve sensiblement diminué. Nous voyons donc que la situation de l'industrie des allumettes est de nouveau critique. Il paraît qu'on soupçonne généralement des membres peu loyaux du syndicat de vendre pour leur propre compte. De toutes parts on prédit une chute imminente du syndicat. « Mais si le syndicat se dissout, » prétendait un fabricant très perspicace, « nous retombons dans les prix de 5 francs par caisse ; on recommence à payer de faibles salaires, et, conséquence naturelle, on ne peut plus se
procurer que le plus mauvais personnel d'ouvriers. » Dans un autre établissement, on manifestait le même découragement : « On en arriverait bientôt, disait-on, à ce que ceux-là seuls pourraient faire quelque bénéfice qui tourmentent les gens, payent mal, fournissent trop peu d'allumettes par paquet ou en somme ont recours à des manoeuvres déloyales. » Avec ces circonstances concorde la diminution survenue récemment dans le nombre des ouvriers de l'industrie des allumettes, qui a accusé, pendant un certain temps, une augmentation

683

considérable. Aujourd'hui, nous comptons do nouveau 350 ouvriers, nombre dans lequel, il est vrai, ne sont pas compris les ouvriers occupés à la préparation du bois et à la confection des boîtes. En revanche, on a fait entrer en ligne de compte 93 personnes qui s'occupent de la fabrication d'allumettes dites de sûreté ou d'alluinettes-bougies ; il en résulte donc que 257 seulement s'occupent de la fabrication d'allumettes au phosphore jaune.

Nous ajoutons quelques renseignements concernant la fabrication d'allumettes suédoises. Vous n'ignorez pas combien cette fabrication était tombée pendant un certain temps. En 1888 elle n'occupait que 14 ouvriers ; aujourd'hui ils sont environ 90 ; il y a quelques mois, ils étaient 130, et la production entière des fabriques d'allumettes suédoises se débite en Suisse ! Ce débit n'est sans doute pas si abondant qu'on le désirerait. La création de nouveaux établissements, la plupart capables de fabriquer sur une grande échelle, a suivi une marche trop rapide. Il en est résulté dans cette branche aussi un excès de production qui a nécessité une réduction de l'exploitation.

Après ces observations préliminaires, nous allons tâcher de répondre avec la plus grande précision possible aux questions que vous avez posées.

I. Consommation des allumettes en Suisse.

Si nous voulions calculer l'extension de la consommation en additionnant la somme des caisses à produire par les membres du syndicat, d'après leur évaluation, la production des fabricants n'appartenant pas au syndicat et l'excédant de l'importation sur l'exportation, nous obtiendrions un chiffre beaucoup trop élevé. Nous obtiendrons un résultat plus exact en prenant pour base de notre calcul le nombre de caisses indiqué lors de notre enquête du printemps dernier, et auquel, à cette époque-là, chaque fabricant évaluait sa production effective. Autant que nous sachions, les chiffres peuvent avoir plus ou moins varié dans chaque établissement, mais se sont très peu modifiés dans leur ensemble. En calculant ainsi, nous obtenons 119,431 caisses à'allumettes fabriquées en Suisse dans des établissements syndiqués et autres. La caisse est évaluée à 50,000 allumettes. L'importation ^allumettes étrangères s'est élevée pour les trois dernières années à 2819 q., l'exportation à 1525 q. ; reste donc un excédant importé de 1294 q., soit 431 q.

par année. Comme 8 caisses font un quintal métrique, nous aurions à ajouter 3448 caisses au chiffre calculé plus haut, et le total des

634 allumettes consommées en Suisse s'élèverait à 122,879 caisses. En 1886 ce chiffre était évalué à 105,000 caisses par les fabricants d'allumettes de l'Oberland bernois ; le chiffre que nous avons calculé ne sera, dans tous les cas, pas au-dessous de la réalité.

Une question plus difficile à résoudre c'est celle de savoir combien de ces allumettes sont des allumettes suédoises ou des allumettes-bougies. Nons savons, il est vrai, que nos fabriques suisses évaluaient leur production à 19,575 caisses, mais on ne peut relever des tableaux douaniers combien il a été importé de l'une ou de l'autre espèce. L'exportation d'allumettes suédoises est minime, autant-que nous sachions, et peut ótre entièrement négligée. Nous ne croyons cependant pas nous tromper de beaucoup en portant en compte, comme allumettes de sûreté, les 56 q. qui, par exemple en 1889, ont été importés de la Suède et du Danemark. Des 545 q. d'allumettes allemandes on ne peut guère calculer que tout au plus '/5 = 109 q. d'allumettes sans phosphore. Nous aurions donc 165 q. ou 1320 caisses à porter en compte. Le nombre total des caisses d'allumettes sans phosphore que consomme la Suisse atteindrait donc le chiffre de 20,895, et celui des caisses d'allumettes au phosphore jaune arriverait à 101,984. Le premier de ces chiffres est, il est vrai, en contradiction frappante avec l'opinion d'un homme de la partie, qui estime l'importation d'allumettes suédoises aux 60 °/0 de la consommation totale. Si, conformément à son avis, il était importé une fois et demie autant que la Suisse produit, nous aurions une importation de 29,362 caisses d'allumettes de sûreté, donc plus de huit fois autant que l'importation totale d'allumettes d'après la statistique douanière.

Nons maintenons en conséquence nos chiffres ci-dessus indiqués.

On entend souvent manifester l'opinion que la consommation diminuerait si les allumettes de sûreté étaient seules admises. Cela pourrait être si le prix de ces allumettes était par trop élevé. En revanche nous pouvons constater la faveur croissante dont jouissent les allumettes de sûreté. Même les voyageurs du syndicat de Frutigen tiennent cet article. Nous ne voulons pas décider si, en produisant cet article par grandes quantités, dans de grandes fabriques bien organisées, on ne pourrait pas compter sur une augmentation
des débouchés ensuite d'une augmentation de l'exportation. La chose n'est pas impossible, car la Suède, la Norvège et le Danemark exportent en masse dans les pays d'outre-mer, qui sont tout anssj bien ouverts à nos fabricants, et pour ce qui concerne les frais de fabrication, d'après ce que nous avons appris, ils ne présenteront .guère de différences considérables dans ces pays-là ou dans le nôtre.

On remarquera peut-Stre avec surprise que, dans nos calculs, nous n'avons pas le moins du monde, tenu compte de la contre-

635 bande. Nous croyons pouvoir négliger ce facteur presque entièrement. D'après les communications de la direction des péages du jjm» arrondissement, il n'y a absolument pas d'indices d'où l'on puisse ·conclure que la contrebande se fasse dans cet arrondissement ; quant aux autres étendues de frontière, il ne nous est rien parvenu d'important, et môme ceux-là qui ont le plus grand intérêt à la découverte de la contrebande n'y attachent pas une grande importance. Voilà du moins ce que nous ont répondu plusieurs fabricants d'allumettes quo nous avons consultés.

II. Quel effectif de fabriques privées, pourvues d'installations modèles, serait nécessaire pour faire face à la consommation entière de la Suisse, en supposant que la vente des allumettes au phosphore jaune soit interdite?

Pour résoudre cette question avec certitude, nous ne pouvons faire mieux que de nous baser sur les communications que nous avons reçues, tant de vive-voix, que par écrit, d'une fabrique d'allumettes très bien installée. Nous avons relevé que, par une exploitation continue et intense, cet établissement peut livrer environ 36,000 caisses par année. Une autre fabrique nouvellement créée, pourvue d'installations perfectionnées et occupant déjà plus d'ouvriers que la première, pourrait bien livrer des quantités encore plus considérables. Il est vrai que la préparation du bois et la confection des boites absorbent l'activité d'une bonne partie du personnel ; en revanche la fabrique peut aussi se livrer sous ce rapport à une production hors ligne. La Suisse occidentale possède aussi' quelques petites fabriques bien installées d'allumettes de sûreté, qui, travaillant chacune avec environ 10 ouvriers, peuvent confectionner de 2400 à 3000 caisses par année.

En nous basant sur ces chiffres, nous pouvons admettre que peut-être trois à quatre grandes fabriques peuvent parfaitement suffire à la consommation de toute la Suisse. En supposant que de petits établissements soient créés en nombre tel que, conjointement uux deux grandes fabriques que nous avons citées, ils puissent faire face au besoin, on ne peut guère s'attendre à ce qu'ils puissent être qualifiés d'établissements modèles sous le rapport de l'organisation et de la direction. On ne peut, en conséquence, guère désirer d'en voir surgir une vingtaine à côté des deux grands établissements déjà existants. Par contre, il ne serait pas du tout impossible que .deux ou trois des grands établissements qui s'occupent de la confection d'allumettes au phosphore jaune, ne fussent transformés en fabriques d'allumettes de siireté.

Feuille fédérale suisse. Année XL1II. Vol. V.

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III. A combien reviendrait Tachât, soit l'expropriation de toutes les fabriques existantes?

Pour résoudre cette question, nous devons nous borner à déterminer aussi exactement que possible les valeurs engagées dans notre fabrication d'allumettes, à donner quelques indications concernant l'estimation nécessaire de la moins-value des inventaires, et à fournir quelques données pour l'évaluation des bénéfices réalisés jusqu'ici par ces exploitations.

Pour ce qui concerne les' bâtiments, le fonds et le très-fonds inséparables des bâtiments et nécessaires à l'exploitation, les forces hydrauliques existantes, il faudra sans doute les payer d'après leur valeur intégrale courante. L'estimation de cette valeur aura lieu certes le plus facilement là où, comme dans le canton de Berne, elle a déjà été faite en vue du cadastre. Dans d'autres cantons, nous avons pu utiliser l'évaluation dus institutions d'assurance contre l'incendie, mais les cantons possédant de ces institutions n'y admettent pas tous les fabriques d'allumettes. Là où nous avons utilisé cette évaluation, nous avons ajouté à la somme d'assurance une plus-value de 10 °/0 pour tenir compte do la valeur du fonds et du très-fonds. Pour un assez grand nombre d'établissements, nous n'avions pas d'autres données que le prix d'achat, et pour les fabriques tout-à-fait nouvelles, les frais de construction. Ces derniers n'ont sans doute pas toujours pu être déterminés, même approximativement, à l'aide de pièces justificatives quelconques ; mais nous avons eu si souvent l'occasion de comparer les frais de nouvelles bâtisses, que notre estimation, basée sur ces comparaisons, ne s'écartera guère du chiffre exact. Dans certains cas, il est vrai, notre taxation a abouti à des sommes beaucoup inférieures à celles qu'on voulait nous suggérer, sans doute en vue d'une expropriation possible. Il s'est trouvé des établissements que leurs propriétaires estimaient, à notre avis, au triple et même au sextuple de leur valeur. -- Nous sommes arrivés dans notre évaluation totale des bâtiments, y compris les forces hydrauliques, à une somme de 578,610 francs. Un tableau annexé au présent mémoire indique tous les postes particuliers*) qui constituent dans leur ensemble la somme ci-dessus.

Relativement aux machines et aux ustensiles, nous nous sommes décidés à porter en
compte le prix que coûterait leur acquisition à nouveau. Nous n'ignorons pas que bien des machines sont vieilles et hors d'usage, .mais nous ne savons pas où et dans quelle mesure ce cas se présente. Ces machines peuvent peut-être servir en*) Ces indications ce peuvent être publiées.

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core de longues années et avoir pour leur propriétaire presque la même valeur que des machines neuves. Pour les cadres, il est vrai, en tant qu'ils sont confectionnés en bois, on ne peut admettre qu'une durée moyenne de quatre ans tout au plus; la moitié d'entre eux ne peuvent plus servir que moyennant des réparations fréquentes, et la valeur effective de tous les cadres dépassera à peine la moitié des frais d'achat. De même, les rayons, qui le plus souvent sont aussi construits en bois, s'usent très rapidement et doivent être remplacés tous les dix ans. Néanmoins, l'amortissement considérable qui s'impose pour ces rayons ne nous a pas engagés ii admettre une réduction, tandis que nous en avons calculé une de 50°/0 pour les cadres. Sous lo titre «menus ustensiles», nous avons t'ait figurer les vases pour la masse inflammable, les tables, etc., et nous les avons calculés à raison de 5 francs par ouvrier. Pour les prix des autres objets, nous nous sommes dirigés d'après les indications des fabricants, que nous avons comparées et trouvées concordantes, et en morue temps d'après les prix-courants de leurs fournisseurs de machines et d'appareils, le cas échéant avec adjonction d'une plus-value pour droits d'entrée et transport. De cette manière, nous avons obtenu pour les ustensiles une valeur totale de 442,852 francs.

Nous no portons rien en compte pour les provisions de bois préparé, de boites, de caisses et de marchandise achevée. Nout supposons qu'à partir de la promulgation d'un arrêté introduisant le monopole, il ne sera plus permis de bâtir ou d'installer à nouveaa des fabriques d'allumettes, mais qu'en revanche, il sera fixé un terme jusqu'à l'expiration duquel on pourra continuer à fabriquer des allumettes au phosphore jaune, pour épuiser les provisions de matière première et attendre l'expiration des résiliations légales des contrats de travail. Au surplus, la Confédération pourrc.it prendre à son compte en tout temps, au prix ùVchat, une bonne partie des matières premières servant à la fabrication et les mettre en oeuvre elle-même sans subir de perte.

Nous arrivons de cette manière à une somme d'expropriation de 1,021,462 francs, mais jusqu'ici il n'a été aucunement question ^'indemnité pour la renonciation à l'exploitation. Bien des fabricants avouent que si la Confédération acheta.it leur
établissement à des conditions aussi favorables que celles que nous venons d'exposer, ils ne demanderaient pas mieux que de vendre. D'autres parlent d'une indemnité comme d'une chose allant de soi, mais ne peuvent s'entendre quant au chiffre de cette indemnité. Dans tous les cas, il ne peut être question, à notre avis, d'une indemnité équivalant à un gain de plusieurs années, à moins qu'on ne veuille restituer un gain plus élevé qu'on ne peut l'attendre de la marche

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actuelle des affaires. Depuis 1878, il n'y a eu que 2 à 3 années où il ait pu être question de bénéfices dans la fabrication des allumettes ; beaucoup d'autres années n'ont produit que des pertes, (juantité d'établissements ont succombé et ont dû suspendre leur exploitation. Même parmi ceux qui s'occupent de la fabrication d'allumettes suédoises, plusieurs ont eu le môme sort. En ce moment déjà, bien des fabriques d'allumettes sont entièrement ou aux trois quarts désertes. S'il y a encore des fabricants étrangers au syndicat qui fassent de gros bénéfices dans la fabrication d'allumettes au phosphore jaune, c'est aux dépens des membres de l'association et de tout l'avenir de leur branche d'industrie. Chacun s'attend à une crise générale. La fabrication d'allumettes suédoises ne se trouve guère dans une situation plus prospère. Les fabriques actuelles peuvent produire bien au-delà de ce qui est nécessaire à la consommation ; la lutte de la concurrence ne peut pas manquer de devenir de plus en plus acharnée. Les plus grandes fabriques et les mieux outillées ne peuvent déployer que la moitié de leur activité.

Il n'est pas facile de déterminer le chiffre du gain. Les frais de fabrication d'une caisse d'allumettes au phosphore jaune sont calculés bien différemment. Dans la Suisse orientale on les évalue assez généralement à 6 francs. Dans ce chiffre, l'amortissement est presque entièrement négligé. Dans l'Oberland bernois, certaines personnes ne calculent que fr. 4. 40, chiffre dans lequel il n'est de même pas tenu compte des intérêts, de l'amortissement, des impôts, de l'entretien des fabriques, des rachats payés à des concurrents.

Si l'on travaille à meilleur marché dans ces contrées, cela s'explique par les salaires souvent excessivement minimes de la fabrication des allumettes et des industries accessoires. Le prix de vente de la marchandise achevée s'élève, d'après des rapports concordants de la Suisse orientale, encore à l'heure qu'il est à 8 francs par caisse d'allumettes emballées en boites rondes à 300 pièces et remises aux vendeurs du syndicat. Dans l'Oberland on paye pour les deux tiers de la fabrication, emballée en petites boites à 50 allumettes, 7 francs, et pour d'autres sortes, dont la consommation est moins générale, de fr. 8. 50 à fr. 12. 50. Le produit moyen a été calculé exactement
à fr. 8. 01 par caisse. Il serait heureux que ce fût le produit net ! Mais ce produit est diminué par différentes choses : par le transport jusqu'à destination, qui est à, la charge du fabricant, par la remise déjà mentionnée, qui s'élève actuellement jusqu'à 7°/ 0 , par la part du rachat payé à des fabricants étrangers (les fabricants de l'Oberlaud ont par exemple racheté en partie le droit de fabrication de la fabrique de Nyon), par les indemnités résultant de la responsabilité civile, été. Dans la période de pros-

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perite du syndicat, quelques fabricants ont cédé leur quote de production à raison de fr. 1. 75 par caisse de production annuelle.

Aujourd'hui, les fabricants qui ont pris ces quotes à leur compte se lamentent déjà, alors môme que le cédant contribue pour sa part au payement des sommes de rachat. Il nous semble que, môme dans les bonnes années, le bénéfice net par caisse ne peut en aucun cas ótre évalué à plus de fr. 1. 25. Cette supposition admise, lo bénéfice à faire sur les 119,431 caisses à'allumettes au phospiwre jaune fabriquées en Suisse s'élèverait à 149,800 francs. D'après les calculs établis dans l'Oberland bernois, mais sujets aux erreurs que nous avons mentionnées, ce bénéfice atteindrait la sommo d'environ 210,000 francs.

Les communications fournies par les fabricants d'allumettes de sûreté quant aux frais de fabrication de leurs produits diffèrent très peu entre elles. Elles varient entre fr. 10. 30 et 10. 50 par caisse. Les prix de vente accusent des chiffres d'autant plus différents. Ils varient entre 12 francs et 17 francs. Comme notamment le plus grand établissement de la Suisse occidentale livre sa marchandise au premier de ces prix, il est bien permis rte supposer qu'avec le temps les concurrents seront forcés de l'imiter. Dans ce cas le gain se réduirait donc à fr. 1. 60 par caisse. Mais le produit moyen de vente des fabriques d'allumettes suédoises de cette contrée., prises collectivement, s'élève à fr. 13. 50, d'où résulterait un bénéfice de fr. 3. 10 par,, caisse. Dans ce dernier cas le bénéfice total de toute la fabrication à'allumettes de sûreté en Suisse serait de 60,682 francs par année ; dans le premier cas, par contre, le plus probable pour l'avenir, il ne serait que de 31,320 francs.

Nous croyons avoir mentionné dans ce qui précède tous les facteurs essentiels qui entrent en ligne de compte dans la "question de l'expropriation. Les frais de cette expropriation pourraient ôtro calculés assez facilement, sur la base de nos indications, dès que les principes d'après lesquels le rachat devrait avoir lieu, seront arrêtés. Mais il y a une chose qu'on ne doit pas perdre de vue : la valeur d'au moins deux des plus grandes fabriques d'allumettes suédoises, c'est-à-dire une somme de 457,000 francs, pourrait sans autre être portée au compte de l'exploitation monopolisée. En
outre, un certain nombre de machines, de rayons, de cadres, pourraient être utilisés comme matériel de rechange pour des exploitations déjà existantes ou pour l'outillage de fabriques à installer à nouveau.

Nous évaluons ces objets à 43,000 francs au moins. Il y aurait enfin à défalquer une certaine somme pour les bâtiments appartenant à l'état, les terrains et les forces hydrauliques, ces dernières pouvant être calculées, d'après les données de la statistique, environ ii 25, et, d'après des informations prises sur les lieux, à peu près à 40

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chevaux de forne. Nous ne nous faisons pas d'illusion quant à la valeur vénale de ces objets, mais nous croyons pouvoir l'estimer à 10-- 20 °/0 de la valeur immobilière indiquée dans notre calcul, soit en chiffre rond tout au moins à 40,000 francs.

Le total des frais de l'expropriation des seules fabriques subirait donc par là une diminution de 540,000 francs, et il en résulterait une perte nette de 481,462 francs.

IV. De quelle manière l'état pourrait-il faire face à la consommation?

Nous n'avons pas besoin de répéter io fait connu que la fabrication d'un produit modèle à un prix modique est plutôt possible dans les grands établissements qua dans les petits et que, de môme, dans ceux-là il est beaucoup plus facile de réaliser tout ce qui peut servir à protéger la vie et la santé de l'ouvrier. Dans nos rapports noua avons à réitérées fois signalé le fait que l'exiguïté de la grande majorité de nos fabriques d'allumettes est le plus grand obstacle à ce que, malgré les mesures les plus rigoureuses, on n'arrive jamais chez nous à assurer la vie et la santé de l'ouvrier dans la môme mesure que dans tant de grandes fabriques de l'étranger. Ce sont là des raisons suffisantes pour expliquer que nous ne pouvons recommander que l'exploitation dans de'grands établissements, si la Confédération se "décide à introduire le monopole de la fabrication des allumettes. Mais nous n'allons pas jusqu'à proposer que toute la fabrication soit concentrée dans une seule et même localité. D'un côté nous voudrions favoriser, au moins jusqu'à un certain point, des contrées pour lesquelles la fabrication des allumettes a constitué jusqu'ici une ressource importante ; de l'autre nous pensons que Ja Confédération aurait intérêt à utiliser, par économie, de grands établissements bien organisés, qui deviendraient sa propriété par l'expropriation. Les établissements que nous avons on vue sont ceux de Brugg et de Fleurier; quant à la contrée qu'il s'agirait de favoriser BOUS n'avons guère besoin de nommer l'Oberland bernois, et spécialement la vallée de Frutigen. La nécessité d'une quatrième fabrique est-elle démontrée, on pourrait très bien l'installer dans la Suisse orientale. Si l'on se décidait à pratiquer à part la fabrication de spécialités, par exemple celle des allumettes-bougies, on pourrait se contenter d'un petit
établissement bien organisé dans lo canton de Vaud. Il serait, du reste aussi possible, sans sacrifice excessif, de tranférer l'établissement de Fleurier dans ce canton ou dans une autre contrée peu industrielle, sans grand détriment pour une contrée déjà largement favorisée par l'industrie horlogère, en supposant que l'inventaire de

641 de cet établissement en fait de machines, ce qui serait l'essentiel, devienne la propriété de la Confédération. La fabrication des caisses et des boîtes pourrait être pratiquée, en tout ou partie, à part de l'industrie proprement dite des allumettes. Il serait désirable d'y adjoindre la préparation du bois, pour laquelle nous sommes dans une certaine mesure tributaires de l'étranger. L'établissement de Fleurier, la fabrique Schätti et quelques autres grands et même petits établissements peuvent déjà se suffire à eux-mêmes sous ce rapport ; la chose serait d'autant plus facile si la fabrication des allumettes était concentrée dans une seule main. La fabrication des boîtes, exercée comme industrie domestique, occupe actuellement un grand nombre de personnes dans l'Oberland bernois. D'après un relevé du préfet du district de Frutigen, environ 1160 personnes s'occupent plus ou moins de cette branche. Il est vrai que bon nombre d'entre elles ne trouvent du travail que temporairement et que les salaires sont extrêmement bas. 1000 boîtes à 300 allumettes nu coûtent que 6 francs dans les fabriques zurichoises; dans l'Oberland bernois on peut, dit-on, les avoir même à fr. 4. 50. Dans le canton de Zurich on indique pour les salaires un chiffre de 1 franc à fr. 2. 30 par jour; dans l'Oberland ils sont proportionnellement inférieurs et si bas qu'une fabrique d'un autre canton paye à l'industrie domestique pour ses boîtes à tiroirs, et tout en fournissant le bois préparé, le double qu'on paye pour la même sorte dans la vallée du Frutigen. Il serait donc facile de concentrer la fabrication des boîtes en grande partie dans l'Oberland bernois, respectivement clé la conserver à cette contrée, malgré l'enchérissement causé par les frais de transport.

Il est sans doute assez peu probable que l'industrie domestique puisse continuer à exister dans la même extension qu'aujourd'hui.

Par contre on peut bien regarder comme certain que les conditions de gain do cette industrie prendront, une tournure plus favorable.

Tous les inconvénients de l'exploitation en petit, les nombreux intermédiaires qui absorbent bonne partie des bénéfices, le payement des ouvriers en marchandises, lié d'ordinaire avec les exploitations de ce genre, seraient supprimés et il en résulterait en fin de compte plutôt un avantage qu'une perte
pour les contrées qui se livrent à la fabrication des boîtes et une amélioration évidente de la situation des ouvriers encore occupés.

Il ne nous est pas possible de fournir des indications plus précises quant au nombre des ouvriers qui, après l'introduction du monopole de la fabrication, se rattacheraient à cette fabrication en pratiquant Vindustrie domestique. Et môme pour le calcul du nombre à'ouvriers de fabrique probablement nécessaire, nous devons nous appuyer principalement sur les expériences de A. A. La fa-

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brique en question calcule pour une production annuelle maximum de 36,000 caisses un effectif de 75 personnes, mais en préparant le bois et confectionnant une partie des boîtes elle-même. (Lu restant, à raison d'une production de seulement 90 caisses par semaine, est confectionné en dehors de l'établissement par 52 familles comprenant environ 100 personnes; il a été payé à cet effet en février 1891 743 francs et en mars 660 francs). Actuellelement la fabrication de 90 caisses par semaine, ou 4680 par année, exige 23 personnes. N. N. fabriquait avec 80 personnes 9865 caisses, mais croit pouvoir arriver avec seulement 4 personnes de plus à 20,000 caisses, tout compris, c'est-à-dire en produisant tout lui* même. X. X. prétendent livrer avec 10 personnes 24CO caisses par année, mais achètent ailleurs les bois préparés et les caisses. Il résulte de cette dernière indication qu'on peut compter 240 caisses par année et par ouvrier, à condition de ne pas préparer le bois et de ne pas confectionner les boîtes et les caisses soi-même. N. N.

compte pouvoir produire 236 caisses par ouvrier, même en exécutant tous les travaux en bois. A. A., peut-être trop optimiste, compte sur 480 caisses. Mais il n'entend peut-être que la fabrication proprement dite des allumettes, puisque, d'après une communication antérieure, il indique un nombre d'au moins 150 ouvriers comme nécessaire pour une production de 36,000 caisses, d'accord en ce point avec les données de N. N., si dans les deux établissements les confections en bois doivent aussi être fournies. Ce serait une grande avance sur la petite fabrique, qui livre le même chiffre par tête sans ces confections.

En divisant le chiffre de 122,879 caisses, que nous avons calculé pour la consommation totale annuelle, par 240 caisses, nous arrivons, sans doute en comprenant la préparation du bois, des caisses et des boîtes, que nous pouvons abandonner du moins en partie à l'industrie domestique, à un chiffre nécessaire de 512 ouvriers. Dans tous les cas le nombre des ouvriers régulièrement occupés dans les fabriques ne sera pas moindre que jusqu'à présent, ou ne le sera que très peu, malgré une production en grand plus avantageuse. On n'en doutera pas si l'on compare les indications fournies par les fabricants d'allumettes au phosphore jaune pour l'année dernière, d'après
lesquelles 241 ouvriers (non compris ceux occupés à la préparation du bois) ont produit 112,026 caisses, soit 464 caisses par personne et par année.

On a souvent manifesté l'appréhension de voir une production clandestine d'allumettes au phosphore jaune, dans les maisons particulières, succéder immédiatement à l'interdiction de fabrication et renverser tous nos calculs. Nous ne le craignons pas, attendu que l'introduction du monopole fournirait à la Confédération de tout.

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autres moyens de supprimer la fabrication non autorisée et même l'importation que ceux dont elle disposait lors de l'interdiction du phosphore jaune.

V. Budget d'une production capable de faire face au besoin.

Avant de tenter l'établissement d'un budget pour la fabrication des allumettes par la Confédération, nous prenons la liberté de présenter quelques remarques sur les prix de vente et sur le mode d'exploitation dans la marche actuelle de la fabrication.

Actuellement le prix que les revendeurs au détail payent aux vendeurs du syndicat ou aux marchands en gros varie entre 9 francs, fr. 9. 50, et même, au dire de quelques-uns, 10 francs ; dans les magasins, le paquet de 5 à 600 allumettes au phosphore jaune se vend à 20, dans mainte localité même à 15 centimes. Les marchands an détail réalisent donc sur la marchandise un bénéfice de 60 à 120 °/0. Quant aux allumettes de sûreté, ils les achètent à des prix bien différents, selon la qualité et l'emballage, un objet qui se prête à la comparaison ce sont les boites rondes, qui se vendent à 15 francs par caisse et à 13 francs par grandes commandes. Mais ces boites sont encore si peu répandues que nous n'en connaissons pas les prix de détail, mais seulement ceux des boites à tiroir, connues partout. Ces dernières coûtent fr. 15. 50 par caisse et se vendent à 30 centimes le paquet = '/ioo c'e caissei donc avec un bénéfice de 93 °/0. Ces gros bénéfices sur les allumettes de toutes sortes ont pour conséquence qu'une grande quantité de marchands s'occupent de la vente de cet article.

Sous supposons qu'après l'introduction du monopole la vente sera organisée de môme manière que pour la poudre, le sel, etc.

Le nombre des vendeurs d'allumettes diminuerait alors considérablement, le débit de ceux qui resteraient augmenterait, circonstance qui, lors même que leur provision serait fortement diminuée, les engagerait facilement à se charger de la vente.

Les fabricants qui en 1886 ont recommandé le monopole, ont supposé une -provision de vente de 3 francs par caisse de 25 francs, soit 12 °/0. Nous trouvons ce chiffre trop bas et nous calculons 5 francs par caisse et le double ou le triple pour les qualités de luxe, d'autant plus qu'elles ne se vendent qu'en détail, par exemple par boites pour fumeurs.

Les prix de détail seraient naturellement arrêtés et publiés par l'administration. Nous ne faisons du reste qu'effleurer ce point avant de passer k un sujet beaucoup plus important : le calcul des frais de production. Comme, d'après nos suppositions, il ne s'agit

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que de grandes exploitations, qui, vu l'absence de toute concurrence, peuvent compter sur un placement sûr et regulier, qui n'auront jamais à subir de pertes sensibles de la part dea acheteurs, et qui enfin disposent de moyens suffisants pour faire des achats avantageux et s'approprier les progrès les plus récents de la science, ces établissements se trouveraient dans une situation des plus favorisées quant au chiffre des frais de production. Dans tous les cas les fabriques actuelles travaillent dans des conditions beaucoup plus défavorables. Mais il ne faut pas oublier non plus qu'à cos fabriques de l'état s'imposent dans une large mesure bien des devoirs et bien des charges. Elles doivent être des établissements modèles, notamment quant à la sollicitude pour les ouvriers, à toutes les dispositions à prendre pour préserver leur santo et leur vie, à une tension modérée des aptitudes physiques, aux institutions d'utilité publique, telles que habitations ouvrières, etc. Mais elles doivent aussi fitre des établissements modèles sous le rapport de la livraison rie produits de première qualité. Toutes ces choses ne peuvent ótre réalisées sans annuler, par le surcroît de dépenses qui en résulte, l'avantage que présente l'exploitation en grand, comparée aux établissements privés actuels.

Si donc N. N., par exemple, paye maintenant à ses ouvriers adultes fr. 3. 35, et à ses ouvrières âgées de 16 et 17 aus fr. 1. 65 à 2 francs, et cela sons le régime de la journée de 10 heures, ces salaires pourraient bien subir directement ou indirectement une hausse assez considérable (par exemple par la concession d'habitations ouvrières à-bon marché, les assurances, etc.). Nous ne comptons donc pas sur une réduction des frais actuels de production les plus élevés ou même moyens, et pas même là, où les gens étaient habitués jusqu'ici à des salaires infimes, encore amoindris par le système des payements en denrées, qui n'a pas encore été tout-àfait supprimé.

Quant aux frais de production des allumettes de sûreté, les calculs des fabriques qui les produisent actuellement présentent une concordance surprenante. Quelques-unes d'entre elles indiquent de fr. 10. 30 à fr. 10. 50 par caisse ; une seule, qui travaille dans des conditions assez défavorables, calcule fr. 11. 60, prix qui se rapporte, il est vrai, aux allumettes
prismatiques dans des boites à tiroir, et non à l'espèce moins coûteuse des grandes boites rondes.

En présence de ces chiffres, nous ne croyons pas exagérer en portant à 11 francs le prix de revient d'une caisse d'allumettes de sûreté, y compris tous les frais de transactions et de la livraison ·dans les dépôts. Il nous semble inutile d'établir un calcul détaillé, ne pouvant contrôler l'exactitude des détails.

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La fixation des prix de vente peut avoir lieu de différentes manières et selon les différents facteurs auxquels on attache une importance principale. Nous sommes guidés dans nos propositions par les principes suivants : nous estimons que le but principal de l'introduction du monopole des allumettes est de supprimer une industrie qui tient ses ouvriers sous la menace permanente de graves préjudices sanitaires et qui est même propre à mettre eu danger la santé des consommateurs. Si nous désirons cette suppression, c'est surtout parce que sans l'intervention de l'état on ne pourra jamais s'attendre à ce que les conditions économiques de l'ouvrier prennent à la longue uu tel aspect que, grâce à une meilleure alimentation et à un régime plus rationnel, l'ouvrier soit ' plutôt à même de résister aux risques de sa profession. Il ne faut pas que la poursuite de ce but soit entravée ou rendue impossible par quelque circonstance que ce soit, de nature à provoquer la contrebande ou la fabrication occulte d'allumettes au phosphore jaune. Il ne faut donc pas que la vente au détail des allumettes subisse un enchérissement excessif. Le chiffre des bénéfices du monopole n'est que d'importance secondaire, d'autant plus que ce serait précisément la grande masse de la population ouvrière, en laveur ·de laquelle, d'après une idée généralement répandue, la plus grande partie du gain devrait être affectée, qui aurait à supporter en premier lieu le surcroît'de charges résultant d'un enchérissement des prix des allumettes.

Ainsi qu'il résulte de la comparaison des frais de revient (11 francs vis-à-vis de 6 francs), c'est une chose inévitable que le prix des allumettes de sûreté devra être plus élevé. Le Danemark aussi, qui, depuis nombre d'années, a interdit la fabrication et la vente des allumettes au phosphore jaune, accuse pour les allumettes de sûreté un prix qui se trouve avec celui des allumettes vénéneuses dans le rapport de 4 : 3. Il ne nous serait guère possible d'arriver à un rapport plus favorable pour les prix fie détail du monopole.

Supposons que le prix de revient par cuisse soit de 11 francs, la provision de vente 5 francs et le bénéfice pour l'état de môme 5 francs ; nous arrivons ainsi à un prix de 21 francs par caisse.

Pour l'usage général, la plus grande partie des allumettes serait probablement
emballée en grosses boites rondes, livrées en paquets de 2 boîtes, donc par '/ioo de caisse. Le paquet reviendrait donc à 21 centimes. On pourrait même descendre à 20 centimes si l'on voulait accorder aux vendeurs, pour les allumettes en boîtes à tiroir, les emballages et les formes extraordinaires, uue plus forte part de bénéfice. Cela pourrait se faire, par exemple, en vendant les boîtes à tiroir, dont 1000 font une caisse, à 3 centimes la

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pièce, soit 10 pour 25 centimes, et les boites plus élégantes à un prix proportionnellement plus élevé. On aurait doue pour la consommation domestique ordinaire le même prix qu'on paye dans bien des localités par paquet de deux grosses boites (il est vrai qu'ailleurs on ne paye que 15 centimes). Pour les sortes paraffinées ou en boites plus fines, les prix seraient, malgré l'augmentation de la provision accordée au vendeur, encore meilleur marché que maintenant chez le débitant. Il est aisé de reconnaître que de telles conditions ne peuvent que contribuer à populariser le monopole.

Mais comment l'état s'en trouvera-t-il ? En calculant la consommation totale de la Suisse à 122,000 caisses d'allumettes, noua obtenons un gain de fabrication de 610,000 francs, y compris/ comme dans les calculs des différentes fabriques que nous avons mentionnées, les intérêts de l'amortissement du capital absorbé par le premier établissement, de même que la régie de l'exploitation et les frais de transport, évalués à 25 centimes par caisse.

Mais à l'opposite de ces recettes, nous avons les frais d'expropriation, qui peuvent arriver à des chiffres très différents, selon les' dispositions servant de base aux expropriations. Les sommes affectées à l'amortissement devront naturellement être prélevées sur le produit du monopole et peuvent, selon les circonstances, l'absorber pendant des années. Nous voudrions donc de prime abord lancer un petit avertissement : c'est qu'on ne s'exagère pas le rapport du monopole et qu'on ne considère pas ce dernier comme une mine d'or. Néanmoins, cela n'empêchera pas, nous l'espérons, qu'on ne fasse un pas en avant pour mettre enfin un terme à la position misérable des parties de notre population qui s'occupent de lafabrication des allumettes.

Mollis, le 21 septembre

1891.

Au nom des inspecteurs fédéraux des fabriques :

Dr F. Schnier.

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Message du conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant l'introduction du monopole des allumettes. (Du 20 novembre 1891.)

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