Rapport du Conseil fédéral concernant le classement de la motion 04.3224 de la CAJ-N du 29 avril 2004 (Utilisation de symboles de mouvements extrémistes appelant à la violence et à la discrimination raciale comme norme pénale) du 30 juin 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, En vous soumettant le présent rapport, nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2004

M 04.3224

Utilisation de symboles de mouvements extrémistes appelant à la violence et à la discrimination raciale comme norme pénale (CN 7.3.2005, Commission des affaires juridiques CN; CE 15.6.2005)

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

30 juin 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2010-1374

4427

Rapport Contexte

1

Le début des années 90 a été marqué par divers incidents impliquant des protagonistes des milieux d'extrême droite propageant des idéologies racistes et des appels à la violence. Ces incidents ont été suivis d'un fort accroissement du commerce de livres, de vidéos, de CD et de symboles tels que drapeaux, emblèmes et uniformes.

L'incident survenu le 1er août 2000 au Grütli, où une centaine d'extrémistes de droite ont perturbé le discours du conseiller fédéral Kaspar Villiger, a eu un retentissement particulier. Ces événements ont amené l'ancienne cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP) à charger, en été 2000, la Police fédérale de l'époque d'analyser la situation, d'identifier les points faibles et de proposer des mesures pour désamorcer le problème.

L'élaboration d'une «loi fédérale instituant des mesures contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant à la violence» a notamment débouché sur un avant-projet de norme pénale (art. 261ter AP-CP). Ce texte visait à sanctionner le fait de vanter, de proposer, d'exposer, de porter, de montrer ou de rendre accessibles de quelque autre manière des symboles à caractère raciste, mais aussi le fait de fabriquer, d'importer, de prendre en dépôt ou de mettre en circulation de tels symboles et le fait d'utiliser publiquement des paroles, des gestes ou des formules de salutations à caractère raciste1. L'avant-projet se fondait sur les rapports de deux groupes de travail interdépartementaux2, aux travaux desquels avaient pris part des représentants des cantons. Mis en consultation au printemps 2003, l'avant-projet a été approuvé sur le fond par une majorité des organismes consultés3.

1

2

3

L'avant-projet du 12 février 2003 est consultable à l'adresse: http://www.fedpol.admin.ch/etc/medialib/data/kriminalitaet/extremismus_rassismus.

Par.0017.File.tmp/Gesetzesentwurf_f.pdf et voici sa formulation exacte: Art. 261ter (nouveau) Symboles à caractère raciste 1. Celui qui, publiquement, aura vanté, proposé, exposé, porté, montré ou, de quelque autre manière, rendu accessibles des symboles à caractère raciste tels que des drapeaux, des insignes et des emblèmes, ou des objets munis de tels symboles, celui qui aura fabriqué, importé, entreposé ou mis en circulation des symboles à caractère raciste ou des objets munis de tels symboles afin de les diffuser ou de les utiliser au sens de l'al. 1, celui qui, publiquement, aura utilisé des paroles, des gestes ou des formules de salutations à caractère raciste, sera puni des arrêts ou de l'amende.

2. Les symboles et les objets seront confisqués.

3. Les ch. 1 et 2 ne s'appliquent pas lorsque l'utilisation des symboles ou des objets sert à des fins culturelles ou scientifiques dignes de protection.

Institué en 2000, le groupe de travail Extrémisme de droite avait pour tâche d'analyser la situation, d'identifier les points faibles et de proposer des mesures appropriées pour atténuer le problème. Le groupe de travail Coordination et mise en oeuvre de mesures dans le domaine de l'extrémisme de droite a, quant à lui, vu le jour en 2001; il était chargé de coordonner la mise en oeuvre des mesures proposées par le groupe de travail Extrémisme de droite.

Les résultats de la procédure de consultation sont consultables à l'adresse: http://www.ejpd.admin.ch/etc/medialib/data/sicherheit/bwis/ ergebnisse_vernehmlassung.Par.0002.File.tmp/041222_BWIS_Ergebnisse_VL-f.pdf.

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Le 22 décembre 2004, le Conseil fédéral a pris connaissance des résultats de la procédure de consultation concernant l'avant-projet de loi fédérale instituant des mesures contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant à la violence. Il a décidé de scinder les travaux en deux projets distincts, afin de mieux réaliser les différents objectifs de la révision. Ce faisant, il a notamment décidé de réviser le code pénal (CP)4 et le code pénal militaire du 13 juin 1927(CPM)5, afin d'y introduire une nouvelle disposition destinée à lutter contre le racisme: l'interdiction de symboles racistes. La révision de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (LSCPT)6 devait par ailleurs se limiter à l'adjonction de l'art. 261bis CP (discrimination raciale), en vigueur, à la liste des infractions justifiant une mise sous surveillance. Tenant compte des résultats de la consultation, le Conseil fédéral a néanmoins décidé de ne pas créer de norme punissant la fondation d'un groupement raciste, l'adhésion à un tel groupement ou l'appel à fonder un tel groupement ou à y adhérer (art. 261quater AP-CP)7. Il par ailleurs chargé le DFJP d'élaborer un message allant dans ce sens.

2

Motion 04.3224 du 29 avril 20048 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant l'utilisation de symboles de mouvements extrémistes appelant à la violence et à la discrimination raciale comme norme pénale

Alors que les travaux d'évaluation de la procédure de consultation de 2003 étaient encore en cours, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a examiné, le 29 avril 2004, la pétition 04.20109, lancée en 2003 lors de la session des jeunes, qui demandait à l'Assemblée fédérale d'interdire tout symbole faisant publiquement l'apologie du nazisme et du fascisme. Considérant que l'avant-projet de loi fédérale instituant des mesures contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant à la violence prévoyait déjà une disposition pénale allant dans ce sens,

4 5 6 7

8

9

RS 311.0 RS 321.0 RS 780.1 L'avant-projet du 12 février 2003 est consultable à l'adresse: http://www.fedpol.admin.ch/etc/medialib/data/kriminalitaet/ extremismus_rassismus.Par.0017.File.tmp/Gesetzesentwurf_f.pdf; voici son libellé: Art. 261quater (nouveau) Groupements racistes Celui qui aura fondé un groupement dont le but ou les activités visent à commettre des actes réprimés part l'art. 261bis, celui qui aura adhéré à un tel groupement, celui qui aura appelé à la fondation d'un tel groupement ou à l'adhésion à un tel groupement, sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende.

Texte de la motion 04.3224 (consultable à l'adresse: http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20043224): «Le Conseil fédéral est chargé de soumettre au Parlement aussi rapidement que possible un projet d'acte législatif prévoyant des mesures destinées à lutter contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant à la violence. Le texte doit notamment instituer une norme pénale punissant l'utilisation en public de symboles faisant l'apologie de mouvements extrémistes appelant à la violence et à la discrimination raciale.» BO 2005 N 166 ss; BO 2005 E 641

4429

la CAJ-N s'est bornée à admettre l'existence d'un besoin de légiférer, tout en soulignant que les nouvelles normes pénales ne devraient pas se limiter à réprimer l'utilisation de symboles des mouvements de l'extrême droite. C'est pourquoi elle a déposé une motion (04.3224)10, au sens de l'art. 126, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement11, qui chargeait le Conseil fédéral de soumettre aussi rapidement que possible aux Chambres fédérales un projet d'acte prévoyant des mesures destinées à lutter contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant à la violence. Le texte devait notamment instituer une norme pénale punissant l'utilisation en public de symboles faisant l'apologie de mouvements extrémistes appelant à la violence et à la discrimination raciale.

Dans sa réponse du 25 août 2004, le Conseil fédéral a proposé d'accepter la motion, estimant en substance que l'avant-projet de loi fédérale instituant des mesures contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant à la violence, mis en consultation l'année précédente, allait largement dans le sens de la motion12.

La motion a été adoptée le 7 mars 2005 par le Conseil national et le 15 juin 2005 par le Conseil des États. Lors des débats au Parlement13, d'aucuns ont relevé que tous les mouvements extrémistes n'appelaient pas à la violence et à la discrimination raciale et qu'il était donc important que les critères de l'extrémisme, de la violence et de la discrimination raciale soient cumulatifs. Leur application séparée conduirait en effet à réprimer aussi les groupements qui remettent en question l'État de droit et la démocratie sans pour autant recourir à la violence et à la discrimination raciale, alors que de tels mouvements doivent pouvoir exister dans un pays libre. Les parlementaires en question ont souligné que la nouvelle norme pénale devrait plutôt sanctionner les symboles des mouvements extrémistes qui rejettent la démocratie, les droits de l'homme ou l'État de droit et qui sont prêts à user de la violence et à inciter à la discrimination raciale pour parvenir à leurs fins.

Les débats sur la motion de la CAJ-N au sein des Chambres fédérales ayant déjà fait ressortir qu'il serait tout sauf facile de remplir le mandat qui en découlait14, le chef du DFJP a chargé l'OFJ en février 2006 d'établir un rapport
analysant le problème et mettant en lumière les solutions envisageables. L'élaboration de ce rapport a ensuite été retardée, car celui-ci devait également évaluer la nécessité de modifier la norme pénale prévoyant de sanctionner le fait de nier, de minimiser grossièrement ou de chercher à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité perpétrés pour des raisons racistes (art. 261bis, al. 4, deuxième membre de phrase, CP). Le 21 décembre 2007, le Conseil fédéral a pris connaissance d'un document de travail de l'OFJ15, datant de mai 2007, portant sur l'opportunité de réviser l'art. 261bis CP et décidé qu'il n'était pas nécessaire, à ce stade, de préciser plus avant cette norme pénale.

En avril 2008, l'OFJ a soumis à la consultation des offices un projet de rapport interne sur l'introduction et l'application pratique d'une norme pénale telle

10 11 12 13 14 15

BO 2005 N 166 ss; BO 2005 E 641 ss RS 171.10 BO 2005 N 166 ss BO 2005 N 166 ss; BO 2005 E 641 ss BO 2005 N 166 ss; BO 2005 S 641 ss Consultable à l'adresse: http://www.bj.admin.ch/etc/medialib/data/kriminalitaet/ gesetzgebung/rassismus.Par.0002.File.tmp/arbeitspapier-hearing-f.pdf.

4430

qu'exigée par la motion de la CAJ-N. Ce rapport concluait qu'il convenait de renoncer à introduire dans le CP et le CPM de nouvelles normes pénales sanctionnant les symboles extrémistes, racistes ou faisant l'apologie de la violence. Désireux d'ouvrir un vaste débat sur la question, le Conseil fédéral, s'acquittant ainsi d'une partie du mandat conféré par la motion de la CAJ-N, a décidé le 1er juillet 2009 de soumettre à consultation un avant-projet de normes devant compléter le CP et le CPM, normes censées sanctionner l'utilisation et la diffusion publiques, la fabrication et l'entreposage, de même que l'importation, le transit et l'exportation de symboles racistes.

Bien qu'un projet similaire ait été mis en consultation en 2003, il a lancé cette nouvelle procédure, car six années s'étaient écoulées et le contexte général avait évolué.

Dans cet avant-projet, le Conseil fédéral s'est efforcé de concrétiser les aspects de la motion qui restreignent la liberté d'expression, mais il l'a fait dans une mesure proportionnée et dans le respect de la technique législative. La norme pénale proposée se contentait donc de sanctionner l'utilisation et la diffusion publiques de symboles racistes et renonçait à associer ces symboles à un mouvement précis. Tout comme l'art. 261bis CP (Discrimination raciale) en vigueur, la disposition proposée protégeait les biens juridiques que sont la dignité humaine et la paix publique.

L'avant-projet laissait ainsi pour une large part aux autorités de poursuite pénale le soin d'apprécier le caractère raciste d'un symbole. A ce stade, le Conseil fédéral savait toutefois déjà pertinemment que l'application pratique de l'interdiction de symboles racistes se heurterait à de grosses difficultés.

3

Consultation

3.1

Rapport et avant-projet du Conseil fédéral

Outre un historique des travaux antérieurs, une comparaison des normes légales et un chapitre consacré aux questions de principe et aux difficultés quant à la mise en oeuvre de la motion de la CAJ-N, le rapport destiné à la consultation contenait un avant-projet de normes pénales concernant l'utilisation et la diffusion de symboles

4431

racistes (art. 261ter AP-CP et 171d AP-CPM)16 assorties de commentaires. Le rapport examinait aussi l'adoption d'une réglementation préventive au niveau fédéral.

Une telle réglementation relevant toutefois du droit de la police qui est du ressort des cantons, en vertu de la répartition constitutionnelle des compétences, l'idée de légiférer au niveau fédéral a été abandonnée pour les raisons qui sont explicitées dans le rapport.

Les normes pénales proposées devaient permettre de sanctionner le fait d'utiliser ou de diffuser publiquement, de fabriquer, de prendre en dépôt, d'importer, de faire transiter ou d'exporter des symboles racistes ou des variations de ces derniers. Elles visaient principalement les symboles utilisés à l'époque du nazisme, expressément mentionnés dans les nouveaux art. 261ter AP-CP et 171d AP-CPM. Pour le reste, elles laissaient aux autorités de poursuite pénale le soin d'apprécier le caractère raciste d'autres symboles ou de leurs variations. Les deux textes mentionnaient également des objets représentant ou contenant des symboles racistes ou des variations de ceux-ci. Ce faisant, ils sous-entendaient par exemple la reproduction d'un symbole raciste sur une pochette de CD ou de DVD ou sur une jaquette de livre, un buste du «Führer» ou un brassard arborant la croix gammée. De tels objets étaient censés tomber sous le coup de l'art. 261ter. ch. 2, AP-CP.

Pour obtenir l'effet préventif général visé et marquer la réprobation de la société à l'égard de ceux qui violeraient cette norme, le Conseil fédéral a jugé approprié d'ériger la nouvelle infraction en une contravention, un acte punissable sanctionné par une amende17. Il estimait que les autorités pénales pourraient ainsi intervenir sans trop stigmatiser le contrevenant.

16

17

Consultable à l'adresse: http://www.bj.admin.ch/etc/medialib/data/kriminalitaet/ gesetzgebung/rassistischesymbole.Par.0005.File.tmp/vn-ber-f.pdf Art. 261ter AP-CP Utilisation de symboles racistes 1. Quiconque utilise ou diffuse publiquement des symboles racistes et notamment nazis, ou des variations de ces symboles, tels que des drapeaux, des insignes, des emblèmes, des slogans ou des formes de salut, ou encore des objets qui représentent ou contiennent de tels symboles ou variations, tels que des écrits, des enregistrements sonores ou visuels ou des images, quiconque fabrique, prend en dépôt, importe, fait transiter ou exporte de tels symboles ou des variations de ces derniers ou de tels objets en vue de leur diffusion ou de leur utilisation publique, est puni de l'amende.

2. Les objets sont confisqués.

3. Les ch. 1 et 2 ne s'appliquent pas lorsque l'utilisation ou la diffusion publique des symboles ou des objets sert des fins culturelles ou scientifiques dignes de protection.

Art. 171d AP-CPM Utilisation de symboles racistes 1. Quiconque utilise ou diffuse publiquement des symboles racistes et notamment nazis, ou des variations de ces symboles, tels que des drapeaux, des insignes, des emblèmes, des slogans ou des formes de salut, ou encore des objets qui représentent ou contiennent de tels symboles ou variations, tels que des écrits, des enregistrements sonores ou visuels ou des images, quiconque fabrique, prend en dépôt, importe, fait transiter ou exporte de tels symboles ou des variations de ces derniers ou de tels objets en vue de leur diffusion ou de leur utilisation publique, est puni de l'amende.

L'infraction est punie disciplinairement si elle est de peu de gravité.

2. Les objets sont confisqués.

3. Les ch. 1 et 2 ne s'appliquent pas lorsque l'utilisation ou la diffusion publique des symboles ou des objets sert des fins culturelles ou scientifiques dignes de protection.

Cf. à ce sujet l'art. 103 ss CP.

4432

Ne devait toutefois pas être sanctionnée l'utilisation ou la diffusion publique des symboles ou des objets visés, si elle servait des fins culturelles ou scientifiques, le terme «culturel» étant pris dans le même sens qu'aux art. 135 et 197 CP, où il englobe toutes les manifestations spirituelles, artistiques, politiques, littéraires, historiques et religieuses.

La procédure de consultation a pris fin le 30 octobre 2009.

3.2

Résumé des résultats

Sur les 92 organismes consultés, 60 ont donné leur avis: 25 cantons, 8 partis politiques et 27 organisations ou particuliers intéressés (autres organismes)18.

Au total, 20 cantons19, 2 partis politiques20 et 11 autres organismes21 (soit une faible majorité des organismes ayant exprimé leur avis) ont salué sur le principe la proposition du Conseil fédéral de compléter le CP et le CPM par de nouvelles dispositions réprimant l'utilisation publique, la diffusion, la fabrication, la prise en dépôt, l'importation, le transit et l'exportation de symboles racistes. Par ailleurs, 5 cantons22, 6 partis politiques23 et 10 autres organismes24 ont rejeté l'avant-projet et 6 autres organismes25 ont expressément renoncé à se prononcer sur son contenu.

Du point de vue strictement numérique, la majorité des 33 participants à la consultation ont approuvé l'avant-projet, mais 1926 d'entre eux ont exprimé des doutes quant à la praticabilité des normes légales proposées. 21 participants ont rejeté l'avantprojet.

3.3

Réserves majeures et principaux motifs de rejet

Violation du principe de précision de la base légale OW, BE, SO, PLR, UDC, Identité suisse et FVS ont jugé que l'avant-projet violait le principe de précision de la base légale, dans la mesure où les normes pénales proposées ne spécifient pas avec la clarté voulue qui se rend ou non coupable de l'infraction définie. A leur avis, il appartient au législateur et non pas au juge de fixer les limites de la punissabilité.

18

19 20 21 22 23 24 25 26

Une évaluation des diverses consultations figure dans le rapport Modification du code pénal (CP) et du code pénal militaire (CPM) ­ Synthèse des résultats de la consultation relative au rapport et à l'avant-projet concernant les symboles racistes, publié par le DFJP en janvier 2010.

AG, AR, BE, BL, GL, GR, JU, LU, NE, NW, SG, SH, SO, SZ, TG, TI, UR, VD, VS, ZG.

PCS, PS.

USS, CCPCS, CAPS, FSCI-PJLS, GRA, UNIL, FSFP, Association des communes suisses, UVS, CFR, SU.

AI, BS, GE, OW, ZH.

UDF, PLR, PES, UDC, auto-partei.ch, PPS.

SIUG, Identité Suisse, Centre Patronal, mediawatch.ch, JDS, FVS, ISP, UNIGE, EB, TF.

FC, SKS, USP, ASM, Union patronale suisse, secsuisse.

BE, LU, SZ, NW, ZG, SH, SG, TG, TI, VD, NE, JU, UVS, USS, CCPCS, CAPS, FSCI-PJLS, UNIL, FSFP.

4433

Difficultés d'application De nombreux cantons27, le PLR, l'UDF et divers autres organismes28 ont déclaré qu'il serait extrêmement difficile, voire impossible, d'appliquer concrètement les normes pénales proposées en raison du manque de précision des expressions «symboles racistes» et «variations de ces symboles», ce qui placerait les autorités d'exécution face à des problèmes pratiquement insolubles. On a aussi reproché au projet de ne pas tenir compte des difficultés que poserait l'appréciation des variations de symboles racistes, car il serait souvent impossible de faire clairement la part des choses entre ce qui constitue un symbole et ce qui représente une variation de ce symbole. L'adoption de ces normes pénales risquerait ainsi de susciter des attentes élevées à l'égard des organes d'exécution, qui ne seraient pas en mesure d'y répondre au vu des difficultés d'application prévues. Aux yeux de ces participants, il fallait rejeter une norme inapplicable, qui allait poser aux autorités d'exécution de multiples et épineux problèmes lors de l'appréciation du caractère punissable d'un comportement.

Inadéquation du droit pénal pour assurer la prévention De nombreux participants29 à la consultation ont estimé qu'une réglementation dans le CP ou dans le CPM ne constituait pas une solution ou constituait, au mieux, une solution incomplète. A leur avis, la discrimination raciale est en effet un phénomène social que des instruments pénaux ne peuvent ni prévenir ni réprimer de manière satisfaisante. Pour accompagner ou remplacer une sanction pénale, plusieurs participants30 ont préconisé une meilleure prévention, en particulier au sein de la famille, à l'école, pendant la formation et dans la vie quotidienne. On parviendrait ainsi à contrer les idées racistes bien mieux que par le biais d'une norme pénale. La prévention serait plus efficace que la répression pour résoudre ce problème social, car les mesures répressives n'interviennent qu'après l'apparition d'un problème. Or, dans une société éclairée, l'argumentation devrait l'emporter sur l'interdiction et une exclusion sociale de l'extrémisme de droite aurait plus de poids que sa répression par l'État. Pour s'attaquer aux racines du mal, il faudrait d'intensives campagnes de sensibilisation et d'éducation politique, ainsi que des projets visant à
sensibiliser les membres des milieux concernés et à les aider à en sortir. Il importerait également de bien faire connaître les réalités historiques, l'origine, la signification et l'impact des idéologies et des mouvements racistes, et les dangers qu'ils représentent pour les États de droit démocratiques.

Absence d'une nécessité impérieuse de légiférer Certains participants31 à la consultation ont argué qu'au vu des statistiques des années précédentes il n'était pas urgent d'adopter les dispositions proposées pour compléter le CP et le CPM. En effet, ces dispositions ne seraient, selon toute probabilité, appliquées que dans quelques rares cas et le besoin de légiférer n'était pas impérieux, puisque la Suisse n'avait aucun retard à rattraper sur les États de l'UE. Si les milieux visés existaient certes en Suisse et qu'ils faisaient parfois la une des 27 28 29 30 31

VD, TG, SO, SH, NE, NW, BS, ZH, AI, OW, UR, BE, LU, GE.

CAPS, CCPCS, SIUG, Union des villes suisses, FSFP.

AI, SO, PCS, PS, UDC, PPS, PES, PLR, UDF, USS, JDS, UNIL, mediawatch.ch, SU, TF.

SO, PCS, PS, PES, PLR, UDF, USS, JDS.

ZH, PES, PLR, ISP, FVS, JDS.

4434

médias, le nombre de leurs membres et leurs activités étaient sans commune mesure avec ceux rencontrés par exemple en Allemagne. Le fait que la législation en vigueur permettait déjà de lutter contre les manifestations les plus graves du racisme plaidait également contre la création d'une nouvelle norme pénale. Celle-ci risquait, de plus, d'inciter les membres de groupements racistes à utiliser sans cesse de nouveaux symboles, jusqu'alors inconnus et dès lors d'apparence anodine, afin de tourner la loi.

4

Conclusions et recommandations du Conseil fédéral

Dans son avis du 25 août 2004 sur la motion 04.3224 du 29 avril 2004 de la CAJ-N, le Conseil fédéral avait proposé d'accepter la motion. A ce moment-là, sa proposition se comprenait et se justifiait, puisque l'avant-projet mis en consultation en 2003 allait largement dans le sens de la motion. Les débats parlementaires de 2005 ont toutefois précisé le mandat de la motion en spécifiant que la nouvelle norme pénale ne devait viser que les symboles utilisés par les mouvements extrémistes qui renient la démocratie, la dignité humaine ou l'État de droit et qui sont prêts à recourir à la violence et à la discrimination raciale pour arriver à leurs fins. Les trois éléments constitutifs de l'infraction réprimée par la nouvelle norme pénale requise, à savoir l'extrémisme, la violence et la discrimination raciale devaient dès lors être cumulatifs. Pour les raisons exposées da manière détaillée dans le rapport de juin 2009, qui accompagnait le nouvel avant-projet mis en consultation, il s'avérait toutefois impossible de mettre la motion en oeuvre à la lettre. Afin de s'acquitter d'une partie au moins du mandat qu'elle contenait, le Conseil fédéral a proposé une norme légale qui se limite à réprimer l'utilisation et la diffusion publiques de symboles racistes sans les associer à un mouvement précis. Cependant, même une telle interdiction (limitée aux symboles racistes) aurait pu engendrer de sérieux problèmes d'application. Voilà pourquoi le Conseil fédéral a décidé, le 1er juillet 2009, de soumettre la norme pénale proposée à une procédure de consultation.

Après avoir pris connaissance des résultats de la consultation et avoir à nouveau soigneusement pesé les arguments pour et contre l'adoption d'une nouvelle norme pénale, le Conseil fédéral parvient aux conclusions suivantes: Même si une majorité des participants à la consultation a approuvé l'avant-projet, la praticabilité de la norme pénale a été sérieusement mise en doute par nombre d'entre eux, notamment par 10 cantons32, la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse (CCPCS) et la Conférence des autorités de poursuite pénale de Suisse (CAPS). De plus, l'avant-projet a été rejeté par une minorité importante, comprenant 5 cantons33 et 6 partis politiques34. Enfin, il convient de prendre au sérieux les craintes formulées quant aux difficultés
qu'engendrerait l'application des normes pénales proposées.

Le principe de précision de la base légale inscrit à l'art. 1 CP, qui a rang constitutionnel35, prévoit clairement que seuls les comportements expressément décrits dans la loi peuvent être sanctionnés, afin que chacun puisse distinguer sans équivoque ce 32 33 34 35

BE, LU, NW, ZG, SH, SG, TG, TI, VD, NE.

ZH, BS, GE, OW et AI.

PLR, UDC, PES, UDF, auto-partei.ch, PPS.

Art. 5, al. 1, Cst.

4435

qui est punissable de ce qui ne l'est pas. La loi doit être formulée de manière suffisamment précise pour que le sujet de droit puisse s'y conformer et prévoir avec un certain degré de certitude les conséquences d'un comportement déterminé36. En effet, seules des lois dont l'énoncé représente une base assez solide pour l'application du droit permettent aux décisions judiciaires d'être prévisibles. Ni la jurisprudence, ni la doctrine n'exigent que chaque sujet de droit soit en mesure d'appréhender de manière exacte l'interprétation juridique de l'ensemble des éléments constitutifs infraction. Il doit néanmoins lui être possible d'identifier les éléments essentiels qui caractérisent le comportement sanctionné. Or, dans le cas présent, il est impossible de donner une définition claire des symboles racistes. En font sans conteste partie les symboles connus du nazisme, tels la croix gammée (inversée ou non), la «rune de la victoire» (Sigrune), ce «S» stylisé qui, doublé, servait d'insigne aux SS, ou encore le salut hitlérien. Les difficultés surgissent lorsque les symboles ont une signification pour les membres d'un groupe, mais restent hermétiques aux personnes extérieures. Parmi de tels symboles, on trouve par exemple les signes suivants: des nombres, comme 88 pour Heil Hitler (le ch. 8 représentant la 8e lettre de l'alphabet), 18 pour Adolf Hitler, 14 pour les 14 mots du slogan «We must secure the existence of our race and a future for our children», etc.

A supposer même qu'il les remarque, le non-initié ne saura pas ce que ces symboles représentent, car il pourrait tout aussi bien s'agir de numéros que des sportifs célèbres arborent sur leur maillot. Au même titre, il est difficile de savoir dans quelle mesure le fait de porter un pull ou un tee-shirt de la marque Londsdale pourrait menacer la dignité humaine ou la paix publique, voire leur porter atteinte. Comment un citoyen moyen non initié pourrait-il savoir que la combinaison de lettres «nsda» contenue dans Lonsdale est une allusion au parti allemand NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiter Partei) et présente dès lors un caractère nationaliste?

L'obligation de rédiger les normes pénales le plus précisément possible revêt en l'occurrence une importance d'autant plus grande que l'acte visé relève d'un domaine protégé par un droit
fondamental essentiel pour la démocratie, à savoir la liberté d'expression. Le Conseil fédéral partage dès lors l'avis de la CCPCS qui estime que l'avant-projet mène tout droit à une lex imperfecta.

Le Conseil fédéral partage également le constat de certains participants à la consultation pour qui le projet n'apportera aucun avantage pratique, ni aux autorités de poursuite pénale ni à la société. On peut, en effet, d'ores et déjà, prévoir qu'un nouvel art. 261ter CP engendrera à tous les niveaux de l'appareil répressif, de la police au Tribunal fédéral, de nombreux et épineux problèmes de délimitation entre ce qui est punissable et ce qui ne l'est pas. De plus, l'entrée en vigueur de la nouvelle norme pénale susciterait d'énormes attentes auxquelles les organes d'exécution ne seraient pas à même de répondre au vu des difficultés d'application. L'adoption du projet ne produirait donc pas l'effet escompté. Il n'est donc pas étonnant que les cantons, pourtant compétents en la matière, n'aient jusqu'ici pas introduit une disposition de ce type dans leurs lois de police. Le Conseil fédéral parvient dès lors à la conclusion que l'interdiction des symboles racistes n'améliorerait en rien le pouvoir d'intervention de la police.

Force est aussi de se ranger à l'avis des cantons et des autorités de poursuite pénale qui ont par ailleurs argué que l'avant-projet ne répond pas à une nécessité sociale impérieuse. Les milieux visés existent certes en Suisse et ils font parfois la une des 36

Cf., notamment: ATF 132 I 49; 128 I 327; 119 IV 242.

4436

médias, mais leur taille et leur influence (nombre de membres et activités) sont sans commune mesure avec celles de groupements que l'on rencontre par exemple en Allemagne. Le droit pénal ne peut ni ne doit en fin de compte empêcher tout comportement nuisible à la société ou servir d'outil pédagogique.

Une meilleure prévention s'avère d'ailleurs beaucoup plus efficace que la répression pénale. Elle devrait notamment intensifier les campagnes de sensibilisation et miser davantage sur l'éducation politique dans les écoles, afin d'encore mieux faire connaître les réalités historiques, les origines, la signification et les conséquences des idéologies et des mouvements racistes, ainsi que les dangers qu'ils représentent pour les États de droit démocratiques.

Au niveau international, la Suisse se doit de respecter la Convention internationale du 21 décembre 1965 sur l'élimination de toutes les formes de racisme, qui interdit toute forme de discrimination raciale37 et exige des États parties qu'ils adoptent une réglementation appropriée dans ce domaine. Pour se conformer à cette convention, la Suisse a mis en vigueur le 1er janvier 1995 les art. 261bis CP et 171c CPM. La convention ne contraint toutefois pas les États à se doter d'une réglementation interdisant expressément les symboles racistes. Dans son quatrième rapport sur la Suisse du 2 avril 200938, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) recommande pourtant à notre pays d'ériger en infractions pénales l'utilisation de symboles racistes en public et le fait de créer des groupements racistes ou de participer à de tels groupements. Si la Suisse prend ces recommandations très au sérieux, elle n'est pas absolument tenue de les appliquer. En 2004, le Conseil fédéral a ainsi renoncé à interdire les associations qui promeuvent la discrimination raciale. Relevons par ailleurs que la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l'Union européenne du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal39 ne prévoit pas d'interdire certains symboles, telle la croix gammée.

Enfin, le Conseil fédéral souligne que l'utilisation ou la diffusion de symboles racistes n'échappent pas à toute sanction, puisqu'elles sont d'ores et déjà punissables, en application de
l'art. 261bis CP, lorsque ces symboles incarnent une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion et qu'ils font l'objet de propagande publique. Dans l'un de ses arrêts40, le Tribunal fédéral a précisé la notion de «public» au sens de l'art. 261bis CP. Jusqu'alors, les actes étaient considérés comme publics s'ils avaient été accomplis devant un cercle relativement grand d'individus n'entretenant pas de relations personnelles. Sous prétexte d'agir dans un cadre privé (concrétisé par un contrôle à l'entrée ou l'absence d'annonce publique du lieu de la manifestation), il était donc possible d'organiser un concert skinhead ou une conférence d'extrême droite. La jurisprudence s'étant affinée, une déclaration raciste est désormais considérée comme publique lorsqu'elle n'est pas faite au sein du cercle familial ou d'amis, voire dans un contexte marqué par des relations personnelles ou de confiance particulière. Un rassemblement n'est donc plus considéré comme privé à partir du moment où l'entrée est contrôlée et que l'accès n'est autorisé qu'à un certain public.

La justice militaire se réfère également à la jurisprudence plus précise du Tribunal 37 38 39 40

RS 0.104 http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Switzerland/CHE-CbC-IV2009-032-FRE.pdf (15.9.2009) JO L 328 du 6.12.2009, p. 55 ATF 130 IV 111 ff.

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fédéral. Les actes racistes commis au sein de l'armée sont donc en principe considérés comme publics. Le caractère public n'est en effet pas exclu par le simple fait que l'acte est commis à l'intérieur de la caserne, par exemple, ou uniquement en présence de membres de l'armée. L'acte à caractère raciste peut être perpétré par la parole, l'écriture, l'image, le geste, etc. C'est le but de l'action qui est déterminant. L'auteur de l'acte doit s'adresser à un groupe public de personnes avec l'intention de les influencer. Si ces conditions ne sont pas remplies, il s'agit de l'expression non punissable d'une opinion41. Le salut hitlérien, par exemple, est certes l'expression d'une idéologie qui vise à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion. Selon le droit actuel, cette idéologie ne fait cependant l'objet d'une propagande publique que lorsque le salut hitlérien s'adresse au public dans l'intention de l'influencer. Si l'interdiction d'utiliser ou de diffuser des symboles racistes aux fins de propagande, en vertu de l'art. 261bis CP, peut suffire pour protéger la dignité humaine et la paix publique, puisqu'il s'agit de protéger les membres d'une race, d'une ethnie ou d'une religion contre la discrimination en public, il en va autrement lorsque l'élément de propagande est absent. De quel bien juridique faudrait-il en effet invoquer la protection lorsqu'un individu seul se contente par exemple de porter un brassard avec une croix gammée? Faute de pouvoir définir clairement le bien juridique protégé, la condamnation d'un tel «acte» n'aurait guère de chance d'être considérée comme compatible avec la liberté d'expression garantie par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l'homme.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral recommande au Parlement de renoncer à interdire l'utilisation publique de symboles extrémistes, incitant à la violence et racistes, de même qu'à compléter le CP et le CPM par une norme pénale sur les symboles racistes. Le Conseil fédéral propose à l'Assemblée fédérale de classer la motion 04.3224.

41

Niggli, Rassendiskriminierung, N 1120; Dorrit Schleiminger in: Marcel Alexander Niggli/Hans Wiprächtiger [éd.], Basler Kommentar zum Strafgesetzbuch II, 2e éd., Bâle 2007, N 36 et 40 ad art. 261bis CP.

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