Rapport sur les résultats de l'évaluation intermédiaire de la nouvelle organisation judiciaire fédérale du 18 juin 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, En exécution du postulat Pfisterer 07.3420 «Réforme de l'organisation judiciaire et de la justice. Evaluation», nous vous soumettons le présent rapport intermédiaire et vous remercions d'en prendre connaissance.

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

18 juin 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2010-1026

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Condensé En exécution du postulat Pfisterer 07.3420 (Réforme de l'organisation judiciaire et de la justice), le Conseil fédéral présente au Parlement les résultats de l'évaluation intermédiaire de la nouvelle organisation judiciaire fédérale.

Cet examen visait à déterminer si la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, qui est entrée en vigueur au début de 2007, a atteint ses objectifs. Les analyses et enquêtes ont été confiées à deux groupes de travail externes.

Elles ont débouché sur des conclusions positives: les objectifs ont été atteints dans une large mesure et il n'y a pour l'heure aucune nécessité impérieuse de légiférer.

En d'autres termes, la mise en oeuvre de la réforme est en bonne voie. L'évaluation intermédiaire a abouti plus précisément aux résultats suivants: ­

Le premier objectif de la réforme de l'organisation judiciaire fédérale, à savoir décharger le Tribunal fédéral (TF) et sauvegarder ainsi sa capacité de fonctionnement en sa qualité d'autorité judiciaire suprême, a été partiellement atteint. Les greffiers et les autres collaborateurs du TF ont estimé que leur charge de travail était moins lourde. Les juges, en revanche, n'ont ressenti aucun allègement. Ce sont essentiellement la réforme de l'organisation du Tribunal fédéral (en particulier l'instauration de la commission administrative) et la création du Tribunal administratif fédéral (TAF) qui ont induit l'allègement constaté.

­

Le second objectif de la réforme (améliorer la protection juridictionnelle dans certaines matières) a été atteint, en dépit de la concurrence existant entre cet objectif et l'objectif 1 (décharger le TF). Les collaborateurs des trois tribunaux fédéraux, le personnel des tribunaux cantonaux supérieurs et les avocats qui ont été interrogés estiment que, dans l'ensemble, la réforme de l'organisation judiciaire fédérale a permis d'améliorer la protection juridictionnelle. A leurs yeux, ce sont la création du TAF, l'introduction du recours unifié et ­ dans une moindre mesure ­ la création du Tribunal pénal fédéral (TPF) et l'instauration de nouvelles voies de recours au niveau cantonal qui ont essentiellement contribué à ce résultat.

­

Le troisième objectif de la réforme, à savoir la simplification des procédures et des voies de recours, a également été atteint. Ce sont principalement la création du TAF et l'introduction du recours unifié qui ont conduit à ce résultat. Cependant, les personnes interrogées estiment que les processus sont toujours complexes.

Lors de la deuxième étape de l'évaluation, on réitérera les enquêtes, on procédera à des analyses supplémentaires et on approfondira les réflexions engagées. En 2013, le Conseil fédéral adressera à l'Assemblée fédérale un rapport détaillé dans lequel il se prononcera sur les résultats finaux de l'évaluation. Il s'y exprimera aussi sur la nécessité de prendre des mesures en fonction de ces résultats.

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Rapport 1

Contexte

1.1

Révision totale de l'organisation judiciaire fédérale

La révision totale de l'organisation judiciaire fédérale est entrée en vigueur au début de 2007. Elle englobait des modifications législatives relatives à l'organisation du TF et à la procédure devant cette instance, aux autorités judiciaires précédentes et au régime des voies de recours en amont du tribunal suprême. La révision totale de l'organisation judiciaire fédérale a également des incidences à l'échelon des cantons, la nouvelle législation leur accordant jusqu'au début de 2011 pour adapter leur système judiciaire en conséquence. Sa base constitutionnelle est la réforme de la justice, qui a été acceptée par le peuple et les cantons le 12 mars 2000.

La révision totale de l'organisation judiciaire fédérale vise les objectifs suivants: ­

objectif 1: décharger efficacement et durablement le TF et sauvegarder ainsi sa capacité de fonctionnement;

­

objectif 2: améliorer la protection juridictionnelle dans certains domaines;

­

objectif 3: simplifier les procédures et les voies de recours.

La création du TPF ne doit pas être mise au premier chef en relation avec la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale. Cette instance a bien plutôt été mise en place dans l'optique du «projet d'efficacité» et des objectifs de politique criminelle qu'il poursuivait.

1.2

Postulat Pfisterer 07.3420

Le postulat Pfisterer 07.3420 a chargé le Conseil fédéral d'évaluer l'efficacité de la réforme de la justice et de la nouvelle organisation judiciaire fédérale, de présenter les mesures nécessaires, de donner aux tribunaux la possibilité de se prononcer, de soumettre au Parlement ou aux commissions compétentes des évaluations intermédiaires succinctes et, enfin, de soumettre au Parlement un rapport exhaustif sur la question. Le Conseil fédéral a proposé au Parlement d'accepter le postulat. A l'époque où celui-ci a été déposé, l'Office fédéral de la justice (OFJ) avait déjà procédé aux premiers préparatifs d'une évaluation. Le présent rapport rend compte des résultats provisoires de l'évaluation de l'efficacité de la nouvelle organisation judiciaire fédérale. Cette évaluation ne porte pas sur le «projet d'efficacité», pas plus que sur les codes de procédure qui entreront en vigueur en 2011.

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2

Une évaluation de large envergure

2.1

Participation des tribunaux fédéraux, des autorités judiciaires cantonales et des universités

Le Département fédéral de justice et police (DFJP) et, plus précisément, l'OFJ sont responsables de l'évaluation de la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale. Par souci d'associer le plus tôt possible les principaux acteurs au projet, l'OFJ a institué, dès la phase de conception, un groupe consultatif de suivi, dont la composition ressort du tableau ci-après: Office fédéral de la justice: Tribunal fédéral: Tribunal administratif fédéral: Tribunal pénal fédéral: Tribunal administratif du canton de Berne: Cour suprême du canton de Schaffhouse: Université de Zurich: Université de Genève:

Luzius Mader, sous-directeur (présidence) Susanne Leuzinger-Naef, vice-présidente Paul Tschümperlin, secrétaire général Elena Avenati-Carpani, juge Philippe Weissenberger, juge Daniel Kipfer Fasciati, vice-président Patrick Guidon, secrétaire général suppléant Ruth Herzog, juge Arnold Marti, vice-président Regina Kiener, professeur Thierry Tanquerel, professeur

L'association de ce groupe de suivi au projet vise à faciliter l'accès aux données, à encourager la coopération, à favoriser le bon accueil des travaux et, tout particulièrement, à assurer une sorte de contrôle continu de la qualité de l'évaluation de l'efficacité. Il a participé à l'élaboration du concept de l'évaluation et du cahier des charges afférent à celle-ci et à la sélection des groupes de travail externes. Il suit l'avancement des travaux et examine les rapports sur les résultats intermédiaires et le rapport final.

2.2

Mandat

L'OFJ a élaboré ­ en étroite collaboration avec le groupe de suivi ­ un concept d'évaluation qui a été approuvé par la cheffe du DFJP au début de 2008. L'un des défis majeurs que devaient relever les évaluateurs était la complexité du domaine à analyser. En effet, la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale englobe plusieurs lois et implique de nombreux acteurs et une multitude de mesures. En outre, les objectifs de la réforme entrent en concurrence. Afin de prendre en compte les interactions complexes qui caractérisent l'objet de l'analyse, le concept prévoit une évaluation de large envergure qui se rapporte aux faits enregistrés durant la période 2007 à 2011 et dont les résultats seront comparés avec la situation en 2006 et, plus exactement, avec l'évolution de 2002 à 2006.

Quant au cahier des charges, qui s'inspire fortement du concept, il a été soumis à plusieurs universités, instituts et bureaux spécialisés dans les évaluations, qui ont été invités à soumettre une offre. Huit offres ont été envoyées avant l'expiration du 4416

délai de soumission. Après un examen approfondi des offres par le groupe de suivi, l'OFJ a chargé, en automne 2008, une communauté de travail de procéder à l'évaluation. Cette communauté se compose du centre de compétence Public Management (KPM) de l'université de Berne (professeur Andreas Lienhard), d'Interface Politikstudien (M. Stefan Rieder) et de l'université de Zurich (professeur Martin Killias). Elle bénéficie de l'appui d'un pool d'experts comprenant cinq personnes (les professeurs Walter Kälin, Jolanta Kren, Alexander Markus [université de Berne], M. Fabio Righetti, ancien juge cantonal et le professeur Frédéric Varone [université de Genève]).

Afin de compléter l'évaluation de l'efficacité, l'OFJ a chargé une équipe de projet de l'université de Zurich (professeurs Felix Uhlmann, Giovanni Biaggini et Andreas Auer) de déterminer si, après la révision totale, la protection juridictionnelle continue de présenter des lacunes et, dans l'affirmative, dans quels domaines.

Au début de 2010, la communauté de travail et l'équipe de projet ont chacune déposé un rapport intermédiaire fouillé1 sur lequel se fonde le présent rapport.

3

Résultats intermédiaires des études

3.1

Etude générale de l'efficacité

3.1.1

Objet et manière de procéder

La communauté de travail KPM/Interface/université de Zurich a examiné dans quelle mesure la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale avait atteint ses objectifs à l'automne 2009 et a analysé les effets exercés par les différentes mesures appliquées dans ce cadre. La question centrale à laquelle il s'agissait de répondre était la suivante: les changements induits par la révision ont-ils contribué à décharger le TF (objectif 1), à améliorer la protection juridictionnelle (objectif 2) et à simplifier la procédure (objectif 3) et, dans l'affirmative, jusqu'à quel point?

L'évaluation a porté sur les points suivants: ­

1

Aspects organisationnels: il s'agit plus précisément des modifications apportées à l'organisation du TF (par ex., l'intégration partielle du Tribunal fédéral des assurances [TFA] de Lucerne au TF de Lausanne), de l'instauration du TAF et du TPF, des adaptations apportées au régime de surveillance et de haute surveillance des trois tribunaux fédéraux et, enfin, des modifications des voies de recours cantonales (notamment, l'instauration d'un système de double instance). Le but de l'évaluation était de déterminer si les Rapport A: Lienhard Andreas, Rieder Stefan et Killias Martin (avec la collaboration de Schwenkel Christof, Hardegger Sophie et Odermatt Simon), Evaluation der Wirksamkeit der neuen Bundesrechtspflege: Zwischenbericht der Evaluationsphase I zuhanden des Bundesamtes für Justiz, Berne/Zurich/Lucerne, 31 mars 2010.

Rapport B: Uhlmann Felix, Biaggini Giovanni et Auer Andreas, Evaluation der Wirksamkeit der neuen Bundesrechtspflege: Teilprojekt Rechtsschutzlücken, Zwischenbericht, Zurich, janvier 2010.

Les deux rapports (existant uniquement en allemand) sont téléchargeables à l'adresse http://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/themen/staat_und_buerger/evaluation/bundesamt_fuer _justiz.html.

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mesures énumérées ci-dessus ont contribué à décharger le TF et, dans l'affirmative, jusqu'à quel point.

­

Modifications touchant les procédures, les tâches et les voies de droit: parmi les réformes importantes à signaler sous ce point, nous citerons l'instauration du principe du double contrôle judiciaire des décisions fédérales et cantonales, la limitation du pouvoir d'examen du TF aux questions de droit (notamment dans le domaine des assurances sociales) et l'introduction du recours unifié au TF. L'évaluation visait à déterminer dans quelle mesure ces modifications ont permis de décharger le TF, d'améliorer la protection juridictionnelle et de simplifier les procédures.

­

Modification du nombre et de la qualité des arrêts: ce point concerne, au premier chef, les jugements rendus par les trois tribunaux de la Confédération. L'évaluation visait à déterminer comment la charge du TF avait évolué et jusqu'à quel point les données relevées étaient révélatrices d'un effet d'allègement induit par la réforme.

­

Incidences de la révision de l'organisation judiciaire fédérale sur les groupes-cibles: il s'agissait d'examiner si et jusqu'à quel point les modifications induites par cette révision touchent le corps des avocats, de même que les organisations (principalement, celles qui oeuvrent dans le domaine social et en matière de protection de l'environnement) et les unités administratives fédérales, qui ont qualité pour recourir étaient touchés par les modifications induites par la réforme de l'organisation judiciaire.

Pour évaluer les quatre points susmentionnés, les responsables ont combiné les méthodes suivantes: ­

Analyse de document: message, lois pertinentes, publications scientifiques et rapports annuels et autres documents émanant des tribunaux fédéraux et de tribunaux cantonaux ayant trait à la révision de l'organisation judiciaire fédérale.

­

Interviews qualitatives: portant sur un total de 33 personnes appartenant aux tribunaux fédéraux, aux tribunaux cantonaux supérieurs, aux unités administratives fédérales et au barreau.

­

Enquêtes quantitatives: auprès de sept groupes de personnes différents (trois tribunaux fédéraux, tribunaux cantonaux supérieurs, barreau, organisations intéressées, unités administratives de la Confédération).

­

Analyses statistiques: évaluation des statistiques des trois tribunaux fédéraux portant sur le nombre et le volume des recours et des arrêts. Les données étaient tirées de leur rapport annuel ou d'analyses internes auxquelles ces tribunaux, notamment le TF, avaient procédé et dont ils avaient fourni les résultats en vue de l'évaluation.

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3.1.2

Résultats de l'évaluation intermédiaire

Trois catégories de résultats ont été combinées dans le but de déterminer si les trois objectifs de la révision de l'organisation judiciaire fédérale ont été provisoirement atteints: ­

les appréciations subjectives émises par les personnes interviewées;

­

les résultats de l'évaluation détaillée des diverses mesures fondée sur les documents de base, les interviews et les enquêtes;

­

les résultats des analyses statistiques.

Tous ces résultats ont ensuite été fondus en une appréciation globale.

Bilan intermédiaire concernant l'objectif 1: décharger efficacement et durablement le TF et sauvegarder ainsi sa capacité de fonctionnement L'évaluation intermédiaire a révélé que la révision de l'organisation judiciaire fédérale avait permis de décharger le TF et donc que l'objectif 1 était ­ du moins, en partie ­ atteint. Ce constat est corroboré par trois résultats partiels: ­

Premièrement, les collaborateurs du TF relèvent qu'ils ont pu observer un allègement de leurs tâches au quotidien suite à l'application des mesures prévues au titre de la révision de l'organisation judiciaire fédérale et que le bon fonctionnement de l'autorité juridictionnelle suprême était garanti. A noter cependant que, comparativement aux autres catégories de personnel, les juges se montrent plus réservés dans l'appréciation qu'ils portent sur l'allègement induit par la révision. Une majorité d'entre eux estime que le TF continue d'être surchargé par un trop grand nombre d'affaires de peu d'importance.

­

Deuxièmement, il ressort de l'analyse de l'impact de seize mesures prévues au titre de l'objectif 1 que cinq d'entre elles ont eu un effet modérateur sur la charge à laquelle le TF doit faire face. En revanche, le fait que le TF est l'autorité de surveillance du TAF et du TPF s'est traduit par un accroissement de cette charge. Enfin, on a estimé que dix des mesures analysées n'ont eu, jusqu'à présent, aucune influence sur la charge du TF.

­

Troisièmement, l'analyse des données statistiques a montré que l'allègement de la charge du TF est dû, pour l'essentiel, à une diminution du nombre des recours en matière de droit public. Dans certains domaines (assurances sociales, droit civil et droit pénal), on note également un raccourcissement de la durée des procédures. On peut considérer que ces deux changements ont été, partiellement, induits par la révision de l'organisation judiciaire fédérale. Il reste à savoir si cette tendance se confirmera au cours de la deuxième étape de l'évaluation.

Quelles sont les mesures qui ont, au premier chef, contribué à décharger le TF? A la lumière des analyses, on peut affirmer qu'il s'agit d'abord des modifications apportées à l'organisation de ce tribunal (en particulier, l'institution de la Commission administrative) et de la création du TAF. L'instauration de la compétence de statuer en qualité de juge unique, prévue à l'art. 108 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribu-

4419

nal fédéral (LTF)2 a également eu des effets positifs. Quant à la création du TPF, à l'extension de la procédure simplifiée et à la limitation du pouvoir d'examen dans les litiges relevant du droit des assurances sociales, ils n'ont contribué que dans une mesure plus restreinte à alléger la charge du TF. Dans l'ensemble, l'allègement a été moins important que ce que l'on escomptait initialement, résultat qui est dû principalement au recours constitutionnel subsidiaire.

Il est, en outre, patent que certaines des mesures censées avoir pour effet de décharger le TF (augmentation des valeurs litigieuses minimales, obligation générale de participer aux coûts, intégration partielle du Tribunal fédéral des assurances, instauration des autorités judiciaires inférieures) n'ont pas eu cet effet, voire n'ont eu aucun effet du tout. Il n'est toutefois pas impossible que cette situation se modifie une fois qu'auront été créées les nouvelles voies de recours au niveau cantonal. Les résultats enregistrés jusqu'à présent dans les cantons ne laissent pas encore paraître des modifications notables. En outre, il ressort des interviews réalisées auprès du TF que les personnes interrogées n'ont pas eu l'impression que leur charge de travail s'allégeait dans la mesure souhaitée. Nombre de juges estiment qu'en dépit de la révision de l'organisation judiciaire fédérale, ils continuent à être passablement chargés, pour ne pas dire surchargés. Si l'on compare le nombre des juges du TF et le nombre des recours dont ils sont saisis ou des arrêts qu'ils rendent, on constate que, de 2002 à 2007, la charge de travail n'a cessé de croître. En revanche, on observe un modeste allègement en 2008. Celui-ci est-il durable? C'est là une question à laquelle on ne pourra répondre qu'après avoir observé l'évolution sur une période assez longue. A ce propos, il faut noter que, depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation judiciaire, le nombre des juges ordinaires du TF a été ramené de 41 à 38 et celui des juges suppléants de 41 à 19.

Bilan intermédiaire concernant l'objectif 2: améliorer la protection juridictionnelle dans certains domaines En dépit de la concurrence entre l'objectif 1 (réduire la charge du TF) et l'objectif 2 (améliorer la protection juridictionnelle), l'évaluation intermédiaire permet de conclure que la révision de l'organisation judiciaire fédérale a eu pour effet d'accroître la protection juridictionnelle. Cette appréciation est étayée par les éléments suivants:

2

­

Dans l'appréciation globale qu'ils ont livrée lors des interviews, les collaborateurs des trois tribunaux fédéraux, ceux des tribunaux supérieurs des cantons et les membres du barreau estiment que, dans l'ensemble, la réforme de l'organisation judiciaire fédérale a contribué à accroître la protection juridictionnelle.

­

L'analyse des différentes mesures prévues au titre de la réforme de l'organisation judiciaire fédérale fait ressortir que quatre d'entre elles ont eu un effet positif ou assez positif sur l'accroissement de la protection juridictionnelle. Inversement, deux mesures ont eu plutôt pour effet de la restreindre. Enfin, onze mesures n'ont eu qu'une incidence assez faible, voire aucune incidence.

­

Quant à l'analyse statistique, elle ne permet de tirer aucune conclusion sur la réalisation de l'objectif 2.

RS 173.110

4420

S'agissant de l'objectif 2, la révision a eu des effets antagonistes. D'une part, la création du TAF, l'instauration du recours unifié et, dans une moindre mesure, la création du TPF et, pour autant qu'elle soit déjà réalité, l'instauration de nouvelles voies de recours au niveau cantonal ont accru la protection juridictionnelle des justiciables. Ces quatre mesures ont un étroit rapport avec la révision de l'organisation judiciaire fédérale. D'autre part, le législateur a intentionnellement restreint la protection juridictionnelle par deux mesures: des limitations du pouvoir d'examen dans le domaine des assurances sociales et l'obligation de participer aux coûts de la procédure en cas de recours dans ce domaine.

Aux yeux des responsables de l'évaluation, la concurrence entre les objectifs qui a été décrite plus haut n'est toutefois pas telle que seule une réduction de la protection juridictionnelle ait permis de décharger le TF. En effet, en instaurant les tribunaux fédéraux de première instance et le recours unifié, le législateur est parvenu ­ du moins en partie ­ à mieux concilier ces objectifs.

Plusieurs autres mesures (par ex., réglementation de l'effet suspensif des recours formés devant le TF, définition des décisions finales) ont aussi eu un effet positif pour la protection juridictionnelle. Toutefois, si l'on en croit les éléments recueillis lors des enquêtes, cet effet serait de faible ampleur. Onze mesures soumises à l'analyse n'ont eu qu'une faible incidence, voire aucune incidence, sur la protection juridictionnelle.

Bilan intermédiaire concernant l'objectif 3: simplifier les procédures et les voies de recours Jusqu'à présent, la révision a eu un effet positif puisqu'elle a permis de simplifier la procédure dans le cadre de l'organisation judiciaire fédérale (objectif 3). Toutefois, comparativement aux résultats obtenus au titre des objectifs 1 et 2, les effets produits par la révision en ce qui concerne l'objectif 3 ont été un peu moins prononcés, ce qu'attestent les résultats relatés ci-après: ­

L'appréciation globale émise par les membres des trois tribunaux fédéraux qui ont été interviewés incite à conclure que la révision a induit une certaine simplification des procédures au sein de l'appareil judiciaire fédéral. Cependant, ces personnes estiment que les processus restent complexes. Les membres du barreau considèrent que l'instauration du recours unifié s'est traduite par une nette simplification des procédures. En revanche, les membres des tribunaux cantonaux supérieurs sont d'avis que la révision n'a aucunement contribué à simplifier les procédures.

­

L'analyse de l'impact des différentes mesures a débouché sur le constat suivant: deux mesures ont entraîné une simplification des procédures au sein de l'appareil judiciaire fédéral. Douze autres n'y ont contribué que modestement. Enfin, deux mesures ont plutôt rendu les procédures plus complexes.

­

Quant aux analyses statistiques, elles ne permettent de tirer aucune conclusion sur la réalisation de l'objectif 3.

Il ressort des enquêtes que deux mesures ont principalement contribué à simplifier les procédures: la création du TAF et l'instauration du recours unifié. La plupart des intervenants s'accordent à reconnaître l'impact majeur de ces deux innovations.

Douze mesures (ce qui n'est pas négligeable) n'ont eu qu'un effet assez restreint, voire aucun effet en ce qui concerne la simplification des procédures. Quant à la création du TPF, elle a eu plutôt tendance à complexifier la procédure devant les 4421

autorités judiciaires fédérales. C'est là le résultat d'un conflit avec l'objectif 2. En effet, si, d'une part, la création du TPF a contribué à accroître la protection juridictionnelle, l'intervention de cette nouvelle autorité dans la procédure a, d'autre part, eu pour effet d'allonger et de complexifier celle-ci. Il faut d'ailleurs noter que la mise en place de cette autorité juridictionnelle, qui s'inscrivait dans l'optique du «projet d'efficacité» et des objectifs de politique criminelle qu'il poursuivait, n'a contribué que dans une faible mesure à ce que les objectifs visés par la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale soient atteints. L'instauration de l'obligation de participer aux coûts de la procédure dans les litiges en matière d'assurances sociales, elle aussi, tend à rendre la procédure plus complexe. Toutefois, dans l'ensemble, la révision a eu pour effet de simplifier les procédures.

3.1.3

Appréciation intermédiaire globale

En substance, on peut tirer de l'évaluation quelques conclusions provisoires: 1.

Jusqu'à présent, les mesures analysées ont contribué notablement à ce que la réforme atteigne ses trois objectifs, et notamment la création du TAF, l'instauration du recours unifié et la réorganisation du TF. De l'avis du TF, il faut encore améliorer la situation en ce qui concerne l'objectif 1 (il s'agit d'évaluer les répercussions qu'ont les exceptions statuées à l'art. 83 LTF sur l'unité et le développement de la jurisprudence qu'il incombe au TF de garantir). La compétence de statuer en qualité de juge unique prévue à l'art. 108 LTF constitue également une importante mesure d'allègement de la charge du TF. Quant aux effets des nouvelles voies de droit qui doivent être instaurées au niveau cantonal, ils ne peuvent pas encore être évalués puisque la mise en oeuvre ne s'achèvera qu'en 2011.

2.

L'instauration de l'obligation de prendre en charge les coûts dans les litiges en matière d'assurances sociales et la limitation du pouvoir d'examen du TF en cette matière, n'ont eu, dans l'ensemble, que des effets mineurs et à double tranchant. Si ces mesures, d'une part, allègent la charge de travail du TF, elles se traduisent, d'autre part, par une restriction de la protection juridictionnelle. Sous cet angle, l'objectif 1 et l'objectif 2 entrent donc en concurrence.

3.

On constate également un conflit d'objectifs à propos de la création du TPF.

Cette mesure était nécessaire, après l'élargissement de la compétence juridictionnelle de la Confédération en matière pénale («projet d'efficacité»), pour éviter les laborieux procès directs devant le TF (objectif 1) tout en permettant un contrôle juridictionnel par cette instance suprême (objectif 2).

Dès le départ, on savait que cette mesure se traduirait par un accroissement du nombre des recours formés devant le TF, conséquence qui va à l'encontre de l'objectif 3.

4422

3.2

Etude portant sur les lacunes en matière de protection juridictionnelle

3.2.1

Objet et démarche suivie

L'étude menée par les professeurs Uhlmann, Biaggini et Auer visait à répondre à la question suivante: après l'entrée en vigueur de la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, subsiste-t-il des lacunes dans la protection juridictionnelle et, dans l'affirmative, dans quels domaines? A cette fin, il s'agissait d'abord de définir sous l'angle de la doctrine juridique la notion de «lacune dans la protection juridictionnelle».

Cette notion se définit à la lumière d'une comparaison entre l'état existant et l'état souhaité. Il y a lacune dans la protection juridictionnelle lorsque des attentes légitimes en la matière ne sont pas satisfaites. Les attentes légitimes (état souhaité) découlent des principes pertinents énoncés par la Constitution (Cst.)3 (art. 29 ss et 188 ss) et des objectifs de la révision de l'organisation judiciaire fédérale. Selon ces principes, la protection juridictionnelle doit être exercée primordialement à l'égard des individus, par une autorité judiciaire (y compris le tribunal suprême). En outre, elle doit être effective. Quant à l'état existant, il résulte des restrictions de la protection juridictionnelle imposées par les dispositions légales (par ex. limitations de l'accès au juge sous la forme de l'exclusion du recours dans certains domaines ou de la fixation de valeurs litigieuses minimales). Il découle aussi de la pratique adoptée par les tribunaux (par ex. en ce qui concerne les conditions de recevabilité des recours) ou des difficultés pratiques auxquelles se heurtent les justiciables (par ex.

durée ou coût des procédures judiciaires). Cependant, toute restriction de la protection juridictionnelle ne constitue pas une lacune. Il n'y a lacune que si, dans le cas d'espèce, la restriction ne peut être objectivement justifiée. Elle peut l'être pour des motifs tenant à la séparation des pouvoirs, au fédéralisme, à la justiciabilité, à la praticabilité du traitement des litiges, à la nécessité d'alléger la charge des tribunaux et à la banalité des litiges en cause.

3.2.2

Catégories de restrictions de la protection juridictionnelle

Le rapport intermédiaire dresse un état des restrictions de la protection juridictionnelle et évalue, à titre provisoire, si celles-ci se justifient objectivement ou constituent des lacunes dans cette protection. Il analyse les catégories suivantes de restrictions:

3

­

Restrictions à caractère général: objet des recours; valeurs litigieuses minimales et limitation du pouvoir d'examen aux questions de principe; liste des recours irrecevables (art. 83 LTF); pouvoir d'examen et étendue de celui-ci; qualité pour recourir; obligations de soulever les griefs et de les motiver; durée et frais des procédures.

­

Restrictions dans différents domaines: sécurité intérieure et sécurité extérieure; droit en matière d'asile et droit des étrangers; naturalisations; examens; décisions en matière de grâce; droits politiques.

RS 101

4423

­

3.2.3

Problèmes spécifiques: absence d'une juridiction constitutionnelle en matière de lois fédérales; recours subsidiaire de droit constitutionnel; suppression presque totale des voies de recours internes à l'administration fédérale.

Appréciation intermédiaire

A titre de premier bilan, le rapport intermédiaire relève que la réforme de l'organisation judiciaire fédérale n'a pas laissé subsister de lacunes patentes en matière de protection juridictionnelle pas plus qu'elle n'en a créé. Ni dans la doctrine, ni dans la jurisprudence, ni au travers des premiers échos émanant des praticiens, on ne trouve d'aspects donnant lieu à des critiques unanimes et insistantes. De l'avis des auteurs du rapport, qui s'appuient sur certaines remarques des auteurs de doctrine et sur les résultats des enquêtes menées auprès des tribunaux et des représentants du barreau, il y aurait cependant lieu de procéder à une analyse plus approfondie des points suivants: ­

Certains membres des tribunaux et du barreau ont émis des critiques à propos de la liste des exceptions figurant à l'art. 83 LTF. Ils déplorent principalement que le TF ne soit pas en mesure d'assurer l'unité de la jurisprudence et que des questions parfois importantes soient tranchées définitivement par le TAF alors que des points d'importance mineure peuvent être déférés au TF. Dans de premiers avis parvenus aux responsables de l'évaluation, d'aucuns préconisent que le TF statue pour le moins sur des questions de principe ou sur des cas d'importance, proposition qui vaut en particulier à l'égard des arrêts du TAF.

­

La création du TAF était censée entraîner la disparition quasi-totale des voies de recours internes à l'administration fédérale. L'intervention du TAF ne devait pas allonger le cours de la procédure. Afin d'éviter que la situation des justiciables ne se détériore, le législateur a conféré au TAF un plein pouvoir d'examen des décisions attaquées, autrement dit la compétence de les contrôler sous l'angle du droit, des faits et de la proportionnalité. D'aucuns émettent cependant des doutes quant à l'effectivité de la protection juridictionnelle. En effet, même si le TAF dispose d'un plein pouvoir d'examen, il n'exercerait pas ou ne serait pas en mesure d'exercer celui-ci, les connaissances techniques nécessaires lui faisant défaut.

­

Certains reprochent au TF, s'agissant de l'obligation de soulever des griefs et de les motiver, d'adopter une pratique si stricte qu'elle fait obstacle à une protection juridictionnelle effective. Cette critique est notamment dirigée contre la pratique appliquée en cas de violation de droits fondamentaux (art. 106, al. 2, LTF). Il y a là une certaine distorsion par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, distorsion relevée par plusieurs membres du groupe de suivi également.

­

Dans de premiers avis émanant des tribunaux, l'absence d'une juridiction constitutionnelle en matière de lois fédérales (art. 190 Cst.) est l'une des lacunes les plus fréquemment citées.

­

Dans les domaines de l'asile et du droit des étrangers, l'accès au TF est restreint. Le recours de droit public contre les décisions du TAF est exclu dans la plupart des cas. Aussi fait-on souvent appel à la dénonciation à l'autorité

4424

de surveillance. Il existe certes la possibilité d'attaquer les décisions cantonales en matière de droit des étrangers par la voie du recours constitutionnel subsidiaire. Toutefois, cette voie échoue dans la plupart des cas, faute d'un intérêt légitime.

­

4

Sur le principe, les restrictions de la protection juridictionnelle contre les décisions en matière de sécurité intérieure et de sécurité extérieure sont incontestées. Il existe, cependant, des domaines qui sont de nature à faire naître des lacunes de protection juridictionnelle (par ex., exercice des attributions conférées au Conseil fédéral par les art. 184, al. 3, et 185, al. 3, Cst.; exclusion de toute possibilité de protection juridictionnelle en cas d'application de sanctions adoptées par l'ONU).

Conclusion: pour l'heure, il n'y a aucune nécessité impérieuse de légiférer

Au stade actuel de nos connaissances, nous pouvons affirmer que la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale donne satisfaction. Les résultats de l'évaluation intermédiaire ne font apparaître aucun problème de mise en oeuvre qui exigerait l'adoption de mesures législatives. Elle a permis de recueillir des informations qui seront précieuses pour les trois tribunaux de la Confédération et serviront aux commissions administratives de ces instances dans l'action qu'elles entreprendront en vue d'optimiser le fonctionnement interne de celles-ci.

Le TF estime cependant qu'il y a lieu d'agir au niveau des exceptions statuées par l'art. 83 LTF. Dans quelques domaines du droit importants, de telles exceptions sont en effet de nature à l'empêcher d'assumer pleinement sa fonction de garant de l'unité et du développement du droit. L'examen de cet aspect sera approfondi lors de la suite des travaux. Le Conseil fédéral reconnaît la nécessité d'agir.

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Perspectives

Lors de la deuxième étape de l'évaluation (période 2011 à 2012), on procédera à des enquêtes et analyses de données supplémentaires de même qu'à une analyse des jugements. Les résultats seront repris dans un rapport final. En outre, en 2012, paraîtra un rapport exhaustif sur les lacunes qui pourraient subsister en matière de protection juridictionnelle. Dans ces deux rapports, on analysera minutieusement les défauts pouvant encore affecter la mise en oeuvre de la révision de l'organisation judiciaire fédérale et les nouvelles lacunes qui auraient pu se faire jour. En 2013, le Conseil fédéral adressera à l'Assemblée fédérale un rapport détaillé dans lequel il se prononcera sur les résultats finaux de l'évaluation et sur la nécessité de prendre des mesures en fonction de ces résultats.

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