3613 # S T #

RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour l'extension de la juridiction constitutionnelle (revision de l'article 113 de la constitution).

(Du 17 septembre 1937.)

Monsieur le Président et Messieurs, Par décision du 25 septembre/2 octobre 1936, vous nous avez transmis la demande de 58 690 citoyens, déposée le 29 juin 1936, tendante à la sauvegarde des droits constitutionnels des citoyens.

Nous avons l'honneur de vous exposer notre avis à ce sujet.

A. TEXTE DE LA DEMANDE ET CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES I.

Nous mettons en regard le texte de l'article 113 de la constitution fédérale en vigueur et le texte proposé. Le préambule et les paragraphes 1 et 2 du premier alinéa des deux textes sont identiques: Article 113.

Le Tribunal fédéral connaît en outre: 1. Des conflits de compétence entre les autorités fédérales, d'une -part, et les autorités cantonales, d'autre part; 2. Des différends entre cantons, lorsque les différends sont du domaine du droit public;.

(Texte en vigmur.)

3. Des réclamations pour violation de droits constitutionnels des citoyens, ainsi que des réclamations de particuliers pour violation de concordats ou de traités.

(Texte 'proposé.)

3. Des réclamations des particuliers pour violation de concordats ou de traités par des actes législatifs ou administratifs cantonaux; 4. Des réclamations pour violation de droits constitutionnels des citoyens par des lois et arrêtés fédéraux, ainsi que par des actes législatifs ou administratifs cantonaux. Le recours peut aussi être dirigé contre des ordonnances fédérales, sous réserve de la juridiction administrative du Tribunal fédéral.

Sont réservées les contestations administratives, à déterminer par la législation fédérale.

Dans tous les cas prémentionnés, le Tribunal fédéral appliquera les lois votées par l'Assemblée fédérale et les arrêtés de cette assemblée qui ont une portée générale. Il se conformera également aux traités que l'Assemblée fédérale aura ratifiés.

(Biffé.)

Dans tous les cas, le Tribunal fédéral appliquera les traités ratifiés par l'Assemblée fédérale de même que les lois et arrêtés fédéraux acceptés en votation populaire.

Dans sa juridiction civile et pénale, le Tribunal fédéral appliquera en outre les autres dispositions de la législation fédérale.

Le paragraphe 4 du texte proposé est ainsi conçu en allemand et en italien : II Tribunale federale giudice Das Bundesgericht urteilt ferner: inoltre : 4. über Beschwerden betref4. sui ricorsi per violazione dei fend Verletzung verf assungsmässiger Rechte der Bürger durch die Bun- diritti costituzionali dei cittadini con desgesetzgebung und Bundesver- leggi, disposizioni e regolamenti ordnungen, sowie durch kantonale federali, nonché con decisioni e Erlasse und Verfügungen. Die Be- decreti cantonali. Il ricorso può schwerde kann mit Vorbehalt der essere diretto, riservata la giurisVerwaltungsgerichtsbarkeit des Bun- dizione amministrativa del Tribudesgerichts auch gegen eidgenössische nale federale, anche contro ordinanze delle Autorità federali.

Verfügungen gerichtet werden.

Le texte proposé dans les trois langues officielles de la Confédération manque de concordance. Ainsi, l'expression « kantonale Verfügungen » du paragraphe 3 et de la première phrase du paragraphe 4, expression empruntée de l'article 178 de la loi sur l'organisation judiciaire fédérale (OJT), est traduite exactement par «decisioni cantonali» dans le texte italien et inexactement dans le texte français par «actes administratifs cantonaux», termes différents de ceux de l'article 178. L'expression française est trop étroite; elle ne comprend pas les décisions judiciaires cantonales; or, par exemple, les recours de droit public dirigés contre des décisions cantonales pour violation de l'article 59 de la constitution fédérale (garantie de la juridiction du juge du domicile du défendeur) ou pour violation de traités internationaux sont, en règle générale, dirigés contre des prononcés judiciaires et non pas contre des actes administratifs. En interprétant le texte proposé, il faudrait partir de l'idée que ses auteurs n'ont nullement voulu supprimer ou restreindre la recevabilité du recours de droit public contre les décisions judiciaires. Les mots « kantonale Verfügungen » (3° et 4° première phrase) devraient donc s'interpréter, à l'encontre du texte restrictif français, dans le sens qu'ils ont à l'article 178 de la loi sur l'organisation judiciaire fédérale, où ils sont traduits en français par «décisions cantonales».

Plus douteux est le sens qu'il convient de donner à l'expression « eidgenössische Verfügungen » (4°, seconde phrase). S'agit-il uniquement d'actes administratifs fédéraux ou s'agit-il aussi de prononcés judiciaires ?

Une chose est certaine, c'est l'exclusion des actes législatifs, car ces derniers sont prévus dans la première phrase du même paragraphe. En conséquence, la seconde phrase vise seulement les décisions rendues dans des cas particuliers, à savoir des actes qui appliquent la loi. Il paraît dès lors critiquable que l'expression « eidgenössische Verfügungen » soit traduite dans le texte français et l'italien (4°, seconde phrase) par « ordonnances », « ordinanze », soit par le terme couramment employé pour désigner les « Verordnungen », c'est-à-dire certains actes législatifs, alors que seules des décisions particulières sont visées. Les signataires qui n'ont lu que le texte français
ou l'italien peuvent difficilement se rendre compte qu'ils ont ainsi proposé la recevabilité d'un recours au Tribunal fédéral contre des décisions fédérales particulières et par là une modification de la juridiction administrative fédérale. Le texte français n'indique pas que les ordonnances fédérales sont aussi prévues par la première phrase du paragraphe 4, car il traduit l'expression allemande « Bundesgesetzgebung und Bundesverordnungen » par « lois et arrêtés fédéraux », termes qui correspondent seulement à « Bundesgesetze » et « Bundesbeschlüsse », mais non à « Bundesverordnungen » (ordonnances). Le texte italien emploie à la première phrase en question les trois mots « leggi », « disposizioni », « regolamenti » (federali) ; le mot « disposizioni » est vague (la notion technique de « Bundesbeschluss » se rend en italien par « decreto federale » ou par « risoluzione federale »).

De même, la distinction entre « regolamenti » (4°, première phrase) et

« ordinanze » (seconde phrase) ne permet guère de reconnaître leur véritable sens (opposition entre ordonnances et décisions rendues dans des cas particuliers).

Le terme « Bundesgesetzgebung » (dernier alinéa du texte proposé, en français : « législation fédérale » ; en italien : « legislazione federale ») est manifestement emprunté de l'article 114 ois, 3e alinéa, de la constitution fédérale, aux termes duquel la cour administrative fédérale doit appliquer la législation fédérale. Le sens en est donc le même dans les deux textes: L'expression « législation fédérale » signifie la même chose que « lois votées par l'Assemblée fédérale et arrêtés de cette assemblée qui ont une portée générale » (« Bundesgesetze und allgemeinverbindliche Bundesbeschlüsse »).

On peut se demander s'il en est de même pour la première phrase du paragraphe 4 où « Bundesgesetzgebung » est traduit par « lois et arrêtés fédéraux», « leggi, disposizioni e regolamenti federali ». Qu'en est-il des arrêtés fédéraux qui n'ont pas une portée générale ? On n'a sans doute eu en vue que les arrêtés de portée générale, et non pas les « arrêtés simples » qui sont généralement des actes administratifs de l'Assemblée fédérale et ne constituent par conséquent pas des actes législatifs. Il est vrai qu'exceptionnellement certains actes législatifs ont été rendus sous forme d'arrêtés fédéraux simples, à savoir lorsqu'une loi fédérale autorisait l'Assemblée à édicter une réglementation sans réserver le referendum. Nous admettons que la première phrase du paragraphe 4 prévoit aussi de pareils arrêtés (appelés parfois « arrêtés de l'Assemblée fédérale », « Beschlüsse der Bundesversammlung ») qui sont des actes législatifs. En revanche, ces arrêtés ne font pas partie de la législation fédérale prévue au dernier alinéa du texte proposé ou à l'article 1146is, 3e alinéa, de la constitution fédérale.

L'initiative manque encore de clarté en plusieurs autres endroits communs aux trois textes. Nous y reviendrons. Pour le moment, nous voulons signaler une conséquence de la rédaction défectueuse et des divergences des trois textes. Si l'initiative était acceptée, la loi d'exécution ne pourrait adopter la terminologie du nouvel article de la constitution; elle devrait être rédigée en termes concordants dans les trois langues officielles de la Confédération
et éviter autant que possible les obscurités. Et au cas où la loi d'exécution ne serait pas l'objet d'un referendum, il appartiendrait au Tribunal fédéral de dire en dernier Heu si elle reste dans le cadre de l'article constitutionnel.

Notre rapport du 7 septembre 1936 sur l'aboutissement de l'initiative intitulait la demande : « initiative pour la sauvegarde des droits constitutionnels des citoyens ». Le comité d'action a aussi employé la formule « extension de la juridiction constitutionnelle » (« Erweiterung der Verfassungsgerichtsbarkeit »), qui rend mieux le sens de la demande. Nous la préférons.

Ajoutons que ledit comité a aussi déposé des commentaires juridiques de M. le professeur Giacometti. Nous nous y référerons à l'occasion.

II.

L'initiative tend à instituer un contrôle judiciaire des actes législatifs de la Confédération, et, en premier lieu, elle prévoit le contrôle du législateur fédéral par le Tribunal fédéral. Ce contrôle serait, d'une part, rendu possible par la recevabilité du recours de droit public au Tribuna,!

fédéral contre des actes législatifs fédéraux pour violation de droits constitutionnels des citoyens; d'autre part, il appartiendrait aussi au Tribunal fédéral, comme cour de droit public, d'examiner accessoirement -- c'està-dire à titre préjudiciel à l'occasion d'un cas concret d'application -- la constitutionnalité des lois fédérales et des arrêtés fédéraux de portée générale, qui n'ont pas été soumis au peuple. Seuls les traités internationaux et les lois et arrêtés fédéraux acceptés par le peuple ne seraient pas sujets au contrôle de leur constitutionnalité ni, partant, attaquables directement au moyen d'un recours de droit public formé auprès du Tribunal fédéral.

L'initiative admet aussi la recevabilité du même recours pour violation de droits constitutionnels, contre des décisions fédérales rendues dans des espèces déterminées. En outre, en biffant le deuxième alinéa de l'article 113 de la constitution fédérale actuellement en vigueur, on supprime la faculté du législateur fédéral de réserver aux autorités politiques fédérales la compétence pour connaître de certains recours contre des arrêtés et des décisions cantonaux pour violation de droits constitutionnels ou de traités avec l'étranger (art. 189, 1er et 4e alinéas, OJF).

Les diverses modifications de l'article 113 actuel seraient les suivantes: Quant aux conflits de compétence entre autorités fédérales et autorités cantonales (1°), l'initiative étend le contrôle confié au Tribunal fédéral.

Cette juridiction pourrait en effet, à l'occasion d'un pareil conflit, examiner préjudiciellement si des lois et arrêtés fédéraux édictés sans consultation du peuple, qui sont applicables en l'espèce, concordent dans leur fond avec les dispositions de la constitution fédérale. En conséquence, les cantons pourraient aussi user du conflit de compétence lorsqu'ils voudraient soutenir qu'une telle loi ou un tel arrêté sort des limites constitutionnelles de la compétence des autorités fédérales et empiète sur la compétence des cantons. En vertu du droit
actuel, cela n'est pas possible, puisque le Tribunal fédéral n'a pas le droit d'examiner la constitutionnalité des lois fédérales et des arrêtés fédéraux qui ont une portée générale.

Le texte proposé étend le recours de droit public au Tribunal fédéral contre les décisions et arrêtés cantonaux pour violation de traités avec l'étranger, en supprimant le deuxième alinéa de l'article 113 en vigueur et en faisant ainsi passer dans la compétence du Tribunal fédéral les cas visés à l'article 189, 4e alinéa, de la loi sur l'organisation judiciaire fédérale.

De même, se trouve élargi le domaine du recours de droit public au Tribunal fédéral contre les décisions et arrêtés cantonaux pour violation de droits constitutionnels. Les cas énumérés au premier alinéa de l'article 189 de la

10

loi sur l'organisation judiciaire fédérale ressortiraient dorénavant au Tribunal fédéral. Plus importante est la modification qui en résulte pour l'étendue de la compétence de cette autorité. Le Tribunal pourrait aussi contrôler si la loi fédérale ou l'arrêté fédéral, base de l'acte cantonal, est en harmonie avec la constitution fédérale. De plus, d'après le droit actuel, le Conseil fédéral statue définitivement sur les recours contre les décisions et arrêtés cantonaux pour violation de lois fédérales administratives et de police, et, par attraction de compétence, il connaît par là aussi de la violation des articles 4 et 31 de la constitution fédérale ou 2 des dispositions transitoires de la constitution (principe dit dé la force dérogatoire du droit fédéral). Au regard de l'initiative, la décision du Conseil fédéral ne semble plus être définitive, mais sujette au recours au Tribunal fédéral pour violation de droits constitutionnels.

Le recours de droit public au Tribunal fédéral contre des actes législatifs fédéraux (lois fédérales, arrêtés fédéraux et ordonnances fédérales), prévu sous le chiffre 4° du texte proposé, est tout à fait nouveau ; de même, le recours contre des décisions fédérales particulières pour violation de droits constitutionnels. De la sorte, le recours pour violation de droits individuels, recevable seulement contre des actes cantonaux en vertu du droit actuel, serait aussi recevable contre des actes fédéraux. Pour se rendre compte de la portée pratique de cette extension, on peut se fonder sur la jurisprudence du Tribunal fédéral relative aux recours formés contre des actes cantonaux. Il faut que la disposition constitutionnelle prétendument violée crée un droit individuel selon ladite jurisprudence. La qualité pour recourir appartient à celui qui a été lésé dans ses intérêts personnels par la décision critiquée; s'il attaque un acte de portée générale, il faut que le recourant soit tout au moins atteint virtuellement. Au nombre des droits constitutionnels du citoyen, il convient de ranger entre autres l'égalité devant la loi. On peut en conclure qu'à l'avenir le recours pour violation de l'article 4 de la constitution fédérale serait possible aussi contre les décisions et les arrêtés fédéraux dans la même mesure où il l'est maintenant contre les décisions et actes cantonaux,
en sorte que le recours au Tribunal fédéral pour cause d'arbitraire serait recevable de manière toute générale.

Quant au principe de la séparation des pouvoirs, la jurisprudence reconnaît au citoyen actif le droit de collaborer à l'oeuvre du législateur, en ce sens qu'elle lui permet de s'opposer à ce qu'un acte législatif cantonal sujet au referendum y soit soustrait. Tout citoyen qui possède le droit de vote a qualité pour attaquer un pareil acte pour violation du droit de referendum. Au surplus, chacun est apte à recourir contre la violation du principe de la séparation des pouvoirs lorsqu'il se dit lésé dans ses droits individuels et qu'effectivement l'acte attaqué l'atteint dans ses intérêts personnels. Le recours pourrait donc être dirigé contre des arrêtés fédéraux urgents, -aussi bien par les citoyens actifs pour violation dudit droit de collaboration, que par celui que l'arrêté atteint et qui se plaint d'une

11 violation de ses droits individuels (par exemple de la liberté de commerce et d'industrie; cf. Kirchhofer dans la Zeitschrift für Schweiz. Recht, nouvelle série, vol. 55, p. 136). Nous devons cependant insister sur le fait que, si l'initiative aboutit à un vote favorable du peuple, il appartiendra au Tribunal fédéral de décider dans quelle mesure la pratique suivie pour les actes cantonaux s'étendra aussi aux actes fédéraux.

Selon le droit en vigueur, les lois fédérales et les arrêtés fédéraux qui ont une portée générale doivent être appliqués par tous les tribunaux, de même qu'ils lient le citoyen. Il n'existe qu'un seul droit objectif. Suivant l'initiative, ce caractère obligatoire subsiste pour le Tribunal fédéral comme cour civile, pénale et administrative, et, de manière générale, pour tous les autres tribunaux. En revanche, le Tribunal fédéral sera compétent pour examiner comme cour de droit public la constitutionnalité des lois fédérales et des arrêtés fédéraux de portée générale qui n'auront pas été soumis au peuple. On attribue ainsi une force différente et contradictoire à une seule et même loi ou à un seul et même arrêté, suivant quelle autorité judiciaire et même suivant quelle chambre du Tribunal fédéral est saisie de l'affaire.

On comprend que les auteurs de l'initiative n'aient pas osé conférer un pouvoir de contrôle général à tous les tribunaux. Mais même la solution proposée ne laisse pas de présenter de graves inconvénients. La loi d'exécution devrait, le cas échéant, chercher le moyen d'atténuer dans une certaine mesure les conséquences fâcheuses de l'inégalité de la force inhérente à l'acte législatif suivant le juge qui est appelé à en connaître. On pourrait, par exemple, songer à suspendre l'instance cantonale tant qu'un recours de droit public est pendant devant le Tribunal fédéral. De nombreuses difficultés sont toutefois inévitables. Ainsi, . lorsqu'une condamnation pénale aura acquis force de chose jugée et que, saisi d'un recours de droit public dans une nouvelle affaire, le Tribunal fédéral déclare contraire à la constitution la disposition légale en vertu de laquelle la condamnation a été prononcée. On ne saurait pourtant se placer à un point de vue purement formaliste et se contenter de dire: le condamné n'a pas attaqué la constitutionnalité de la disposition
appliquée, il ne peut donc s'en prendre qu'à lui-même si la peine encourue est devenue définitive. Il y a lieu de noter en outre que les autorités pénales de la Confédération, par exemple la cour pénale fédérale, seraient liées par la loi fédérale ou par l'arrêté fédéral, tandis que la cour de droit public du Tribunal fédéral aurait compétence pour déclarer contraire à la constitution la disposition même dont la violation a motivé la peine infligée au recourant. Le recours de droit public peut donc, à la vérité, être tenu pour admissible contre les jugements pénaux d'autorités cantonales, mais non contre ceux d'autorités fédérales.

Le 3e alinéa actuel et les 3e et 4e alinéas du texte proposé ont trait à l'examen de la constitutionnalité quant au fond des actes législatifs fédéraux: Le juge est-il compétent pour dire si l'acte en question est, dans son essence, en harmonie avec la constitution fédérale ? Autre chose est

12

l'examen de la constitutionnalité quant à la forme. Ce contrôle fait complètement abstraction du contenu de l'acte législatif et porte uniquement sur l'observation des formes prescrites. Les tribunaux ont pouvoir d'examiner si la loi ou l'arrêté dont l'application est en cause a été dûment publié, lorsque la publication est requise pour sa validité. La constatation que cette formalité a été ou n'a pas été accomplie épuise le contrôle de la constitutionnalité quant à la forme. Ce pouvoir du juge existe déjà aujourd'hui. L'initiative n'y change rien. Nous pouvons donc nous passer de commentaires.

Pratiquement, la question de la forme est d'ailleurs de minime importance.

Nous nous occuperons par conséquent uniquement du contrôle de la constitutionnalité quant au fond.

Le nouveau 2e alinéa de l'article 113 de la constitution donne au Tribu nal fédéral la compétence pour examiner si une loi fédérale ou un arrêté fédéral qui n'a pas été soumis au peuple est constitutionnel quant au fond, et cela dans tous les cas où le Tribunal doit évoquer une affaire en vertu de l'article 113, premier alinéa, de la constitution fédérale, soit aussi dans des différends de droit public entre cantons (2°) et lorsqu'il est saisi d'un recours formé pour violation d'un concordat. L'importance pratique du contrôle apparaîtra notamment dans les conflits de compétence entre autorités fédérales et autorités cantonales et surtout à l'occasion de recours de particuliers pour violation de leurs droits constitutionnels. On peut se demander si, selon le nouveau 2e alinéa, l'examen s'étend aussi aux cas dont la cour de droit public du Tribunal fédéral connaît non pas aux termes de l'article 113, mais aux termes de l'article 114 de la constitution (par exemple art. 189, 3e alinéa, OJF et quelques-uns des cas visés à l'article 180 OJF). Nous admettons que cette question, qui pratiquement ne joue d'ailleurs pas un grand rôle, doit être résolue affirmativement puisque dans ces cas c'est aussi la cour de droit public qui serait compétente.

B. LE CONTRÔLE DES ACTES LÉGISLATIFS DE LA CONFÉDÉRATION PAR LE JUGE III.

La question du contrôle judiciaire des lois fédérales (1) a été soulevée en 1923 au Conseil national par la motion de Rabours. Celle-ci demandait le dépôt d'un projet de revision de l'article 113, 3e alinéa, de la constitution
en ce sens que. le Tribunal fédéral aurait pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois fédérales et des arrêtés fédéraux de portée générale.

Le Conseil national a rejeté la motion (cf. Burckhardt, Droit fédéral, vol. 3, n° 936).

Le Conseil des Etats a pris en considération en 1925 le postulat Scherer qui invitait le Conseil fédéral à examiner s'il n'y aurait pas lieu d'instituer (*) Le mot « loi » est pris par la suite dans le sens large d'acte législatif (lois, arrêtés, ordonnances législatives).

13

un recours de droit public « pour cause d'inconstitutionnalité des arrêtés fédéraux qui n'ont pas été soumis au referendum » et « pour cause d'inconstitutionnalité ou d'illégalité des arrêtés du Conseil fédéral ». Notre rapport du 27 décembre 1928 (FF 1929, I, 1s.) a conclu négativement.

Les deux conseils se sont ralliés à cette conclusion le 4 octobre 1929 et le 6 mars 1930 (cf. Burckhardt, op. cit. n° 937 ; Bulletin sténogmphique CN 1930, p. 30 à 39 et 117 à 121).

Au cours de l'année 1934, la société suisse des juristes s'est occupée de la question de la juridiction constitutionnelle. Les rapports du professeur Fleiner : « Die Prüfung der Verfassungsmässigkeit der Bundesgesetze durch den Richter» et du professeur Rappard : «Le contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales par le juge aux Etats-Unis et en Suisse» ont été publiés.

Il en est de même du procès-verbal de la discussion (« Verhandlungen des Schweiz. Juristenvereins» 1934, p. las., 36 a s. et 279a à 305a).

Au nombre des réglementations du contrôle judiciaire à l'étranger, celle des Etats-Unis d'Amérique présente un intérêt particulier. On sait que, dans ce pays, tous les tribunaux exercent, depuis un arrêt rendu en 1803, un contrôle général et accessoire sur les lois. Ils ont le droit d'examiner dans chaque espèce si la loi applicable de l'Union ou d'un de ses Etats est conforme à la constitution de l'Union ou dudit Etat. La question de la constitutionnahté ne peut être soulevée qu'à titre préjudiciel, mais en tout état de cause, en sorte qu'une loi depuis longtemps en vigueur et non attaquée peut tout à coup, à une occasion fortuite, être déclarée inconstitutionnelle. Le juge n'annule pas formellement la loi inconstitutionnelle, mais refuse de l'appliquer à l'espèce pendante. La loi se trouve ainsi invalidée. De tels arrêts de la cour suprême de l'Union lient les juridictions inférieures de l'Union et les tribunaux des Etats s'y soumettent également.

La cour suprême a elle-même pour règle de ne pas s'écarter de ses propres arrêts. L'arrêt du tribunal supérieur d'un Etat confédéré est décisif pour l'interprétation de la constitution de cet Etat.

Ce système américain conduit à un gouvernement du pays par le juge.

C'est seulement le tribunal suprême qui décide définitivement du caractère obligatoire de la loi. Il arrive
souvent que la cour suprême tranche à une voix de majorité, soit par cinq voix contre quatre, la question de la constitutionnalité d'une loi. Le développement de toute la législation sociale a été entravé par la pratique judiciaire, car le juge a déclaré contraire à la constitution beaucoup de lois protectrices de l'ouvrier. Même dans la récente crise, plusieurs lois importantes ont été les victimes du contrôle exercé par le juge. On sait qu'un courant révisionniste se fait sentir actuellement. Pour les détails du système américain, notamment pour les facteurs historiques et politiques de son développement, ainsi que pour ses conséquences pratiques, nous renvoyons au rapport du professeur Rappard et à l'étude du professeur Schindler : « Die Verfassungsgerichtsbarkeit in den Vereinigten Staaten von Amerika und in der Schweiz » Zeitschrift

14

für Schweiz. Recht, nouvelle série, vol. 44, p. 19 s.). Notons que le referendum législatif n'existe pas dans l'Union.

Le contrôle judiciaire est peu répandu en Europe. Il existe en Norvège sous une forme analogue au système des Etats-Unis. On le trouve aussi en Autriche et en Tchécoslovaquie, où une cour constitutionnelle exerce un certain contrôle, de même qu'en Roumanie.

Il y a deux façons d'amener le juge à contrôler la constitutionnalité d'un acte législatif: a. L'acte législatif peut être attaqué directement, « par voie d'action »; ce sera le cas lorsqu'un recours tendant à faire annuler la loi est recevable auprès du Tribunal constitutionnel dans un certain délai à partir de la publication de l'acte législatif. C'est la loi elle-même qui est attaquée; le tribunal l'annule si et dans la mesure où il la juge contraire à la cons-.

titution. La loi est aussi attaquée directement lorsqu'un canton fait d'une loi non obligatoire pour le Tribunal fédéral l'objet d'un conflit de compétence avec la Confédération (art. 113, 1°, Cst.); dans ce cas, cependant, le droit en vigueur ne prévoit pas de délai pour l'introduction du conflit de compétence.

6. La loi peut être attaquée indirectement, « par voie d'exception ».

Le juge examine alors la constitutionnalité accessoirement, à titre préjudiciel, à l'occasion d'un cas particulier, c'est-à-dire lorsqu'il est saisi d'une cause qui concerne l'application de cette loi. Le moyen préjudiciel tiré de l'inconstitutionnalité d'un acte législatif n'est lié à aucun délai.

Il peut être invoqué dans un cas concret qui se présente seulement nombre d'années après l'entrée en vigueur de la loi. Le juge, alors, n'applique tout simplement pas la loi si et dans la mesure où il la trouve inconstitutionnelle; mais il ne l'annule pas formellement. Pratiquement, cela revient à constater que la loi n'est pas valable. Pareil contrôle préjudiciel s'opère, par exemple, lorsqu'un recours est dirigé contre un acte d'application de la loi (dans un délai qui ne court qu'à partir du jour où la décision a été prononcée dans le cas particulier). L'objet du recours, c'est l'acte d'application, et, préjudiciellement, le recourant allègue l'inconstitutionnalité de la loi. Si le juge résout affirmativement la question préalable, il annule la décision qui applique la loi inconstitutionnelle.
Il y a en vérité encore une troisième voie, mais elle n'est guère praticable. Les deux premières conduisent au contrôle d'un acte déjà édicté.

La troisième mène à un contrôle préalable. Elle a pour but d'empêcher l'adoption d'une loi inconstitutionnelle. Cet examen préjudiciel du juge ne pourrait, pratiquement, s'étendre à tous les actes fédéraux. Il ne saurait notamment porter ni sur les arrêtés fédéraux urgents, ni sur les arrêtés du Conseil fédéral.

La première voie -- qui permet d'attaquer directement les lois et arrêtés fédéraux -- 'donne au citoyen la faculté de recourir, dans un délai assez

15

bref, contre l'acte qu'il critique et d'obtenir, dans un laps de temps relativement court, une décision judiciaire sur la question de constitutionnalité.

Ce dernier avantage n'existe toutefois que si l'expiration du délai non utilisé ou l'arrêt sur le recours formé en temps utile liquide définitivement ladite question, sans possibilité d'être soulevée à nouveau. Cependant, il se peut que l'inconstitutionnalité n'apparaisse que plus tard à l'occasion de l'application de l'arrêté ou de la loi. Souvent, le citoyen n'aura sujetdé se plaindre qu'une fois l'acte appliqué dans un cas qui le touche personnellement. C'est la deuxième voie -- indirecte -- qui lui permettra alorsen tout temps de faire examiner après coup la constitutionnalité de la loi par le juge. Mais on crée ainsi une grave insécurité du droit. L'acte législatif doit, en effet, établir des règles valables. Or leur validité est précisément mise en question par la possibilité d'un contrôle judiciaire exercéaccessoirement à l'occasion d'un cas concret.

. Le comité d'initiative déclare qu'il n'a pas voulu instituer d'une manière générale le pouvoir de contrôle du juge selon le système américain et qu'il a voulu permettre au justiciable d'attaquer la loi directement. En vérité, il a même été plus loin; il a cumulé le moyen direct et le moyen indirect, car il a non seulement prévu le recours dirigé contre l'acte législatif, maisencore l'examen préalable de sa constitutionnalité à propos de n'importe quelle espèce dont la cour de droit public du Tribunal fédéral peut être saisie. Ce contrôle préjudiciel se distingue du contrôle américain en ce sensqu'il n'appartient pas à chaque tribunal, quel qu'il soit, mais uniquement au Tribunal fédéral, et seulement lorsqu'il statue comme cour de droit public. Cette solution présente toutefois, elle aussi, l'inconvénient d'ébranler la stabilité du droit ; car même après l'expiration du délai du recours contre la loi, comme après l'arrêt rendu sur les recours formés en temps utile, la question de la constitutionnalité pourrait encore être soulevée à l'occasion d'un recours contre une décision rendue en vertu de ladite loi dans un casparticulier. Toute application pourrait donner ouverture au recours, pourvu que la décision attaquée rentre dans le cadre de l'article 113, chiffre 4°, que le recourant ait
qualité pour agir et que le recours soit formé dans les.

trente jours de la prononciation ou de la communication de cette décision.

Le comité d'initiative estime que la solution proposée constitue le développement du recours de droit public déjà organisé contre les actes cantonaux. Sans doute, le droit en vigueur permet de soulever le moyen de l'inconstitutionnalité non seulement dans un recours formé directement contre la loi, mais aussi en tout temps dans un recours dirigé contre une décision qui applique la loi (cf. par exemple ATF 56, I, p. 526). Qu'on se représente cependant l'extension de ce moyen aux actes fédéraux, delà manière proposée par l'initiative. Toutes les lois fédérales et tous les arrêtés fédéraux existants (hormis les actes acceptés par une votation populaire) pourraient être mis en discussion -- fussent-ils déjà en vigueur depuis de longues années -- par le simple fait qu'un recours serait formé

16

contre une décision quelconque appliquant l'un ou l'autre de ces ctes, alors que jusqu'ici ils étaient inattaquables. Tout à coup l'écluse serait ouverte, d'où se déverserait un flot de recours, car on verrait toute sorte d'actes législatifs en vigueur soumis au contrôle du juge. Il suffirait à un particulier d'alléguer qu'une loi appliquée à son cas viole des droits constitutionnels. L'expérience faite à l'occasion des recours de droit public contre des actes cantonaux montre combien les recourants sont ingénieux à se forger de pareilles armes. Lorsque le recourant ne sait trop quel droit individuel pourrait avoir été violé, il invoque à toute fin l'article 4 de la constitution et se plaint d'arbitraire et d'inégalité de traitement. Le Tribunal fédéral devrait se saisir de cette masse de recours attaquant les lois et arrêtés fédéraux, dussent-ils apparaître d'emblée dénués de tout fondement. Et le Conseil fédéral et l'administration fédérale devraient entrer dans le fond du débat et exposer pourquoi les actes critiqués sont constitutionnels. Alors même qu'en définitive le Tribunal fédéral nierait dans tous les cas l'inconstitutionnalité alléguée, le seul fait de mettre subiteir ?nt en discussion l'ensemble de la législation fédérale actuelle causerait une insécurité juridique paralysante et néfaste pour l'autorité de la loi, sans parler de tout le travail fait en pure perte. Voilà quel serait en réalité le prétendu « développement organique » du recours de droit public existant, si on retendait aux actes législatifs fédéraux. En insistant sur la nécessité d'autoriser en tout temps le contrôle préjudiciel de la constitutionnalité, malgré l'expiration du délai de recours contre la loi, le comité d'initiative reconnaît que cette éventualité a une importance pratique considérât le.

Tandis que le citoyen ne peut attaquer la loi ou l'arrêté directement que pour violation de droits individuels, l'examen préalable, qui est préjudiciel pour la validité de la loi appliquée, est un examen de sa constitutionnalité en général. La cour de droit public doit refuser d'appliquer la loi dès qu'elle est inconstitutionnelle, et non point seulement si elle viole une disposition constitutionnelle qui institue un droit individuel.

On peut toutefois se demander si cette différence jouerait dans la pratique un grand
rôle en cas de recours contre une décision appliquant la loi critiquée.

Soit dit en passant qu'en cas d'acceptation de l'initiative, la loi d'exécution devrait veiller à ménager au Conseil fédéral l'occasion de se faire entendre chaque fois que la question de la constitutionnalité des règbs du droit fédéral est posée préjudiciellement. Car cette question préalable peut aussi se poser dans une procédure à laquelle le Conseil fédéral ou l'administration ne participe pas, lorsque, par exemple, un recours attaque une décision cantonale rendue en vertu d'une loi fédérale ou qu'un différend de droit public existe entre deux cantons.

Puisque, comme nous l'avons déjà relevé, l'initiative place au premier plan le contrôle du législateur fédéral par le juge, nous nous occuperors dans les sections IV et V surtout des lois et des arrêtés fédéraux. Observons

17

d'emblée que l'initiative excepte du contrôle les actes législatifs acceptés dans une votation populaire, un pareil contrôle n'étant politiquement pas tolérable. En revanche, l'examen du juge s'étendrait aux lois fédérales et aux arrêtés fédéraux de portée générale qui n'ont pas fait l'objet d'un referendum, ainsi qu'aux arrêtés fédéraux urgents. La solution ne serait toutefois pas satisfaisante ni objectivement justifiée qui consisterait à traiter une loi fédérale ou un arrêté fédéral différemment suivant qu'une votation populaire aurait eu lieu ou non. Car les lois auxquelles le peuple aurait fait un accueil si favorable que le referendum n'aurait même pas été demandé seraient précisément celles qui seraient soumises au contrôle judiciaire. Une loi qui aurait soulevé de l'opposition et été l'objet d'un referendum serait seule soustraite à la juridiction constitutionnelle, tandis que serait par exemple soumise à cette juridiction la loi qui aurait soulevé si peu d'opposition que la tentative de recueillir les signatures nécessaires au referendum aurait échoué.

Quant aux ordonnances fédérales -- par quoi nous entendons tous les actes législatifs du Conseil fédéral, des départements et d'autres organes fédéraux --, nous rappelons que le juge est compétent pour en contrôler préjudiciellement la constitutionnalité. Mais, dans cet examen, il est lié par les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale (cf. entre autres ATF 61, I, p. 365). Comme les ordonnances législatives doivent, en règle générale, procéder d'une mission donnée par le législateur, la question de leur constitutionnalité coïncide avec celle de savoir si elles restent dans le cadre de la délégation de pouvoir, soit jusqu'où s'étend la délégation émanant de la loi ou de l'arrêté. Si l'autorité qui a édicté l'ordonnance n'a pas outrepassé le pouvoir délégué, le droit de contrôle du juge cesse.

L'initiative tend à conférer à la cour de droit public du Tribunal fédéral la compétence pour examiner aussi la constitutionnalité de la délégation de pouvoir. Elle propose en outre d'instituer un recours au Tribunal fédéral à l'encontre des ordonnances mêmes. En tant que le Conseil fédéral fait usage de son propre pouvoir d'édicter des ordonnances en vertu de l'article 102, 8° à 10°, de la .constitution, le tribunal peut seulement contrôler si l'ordonnance sort de ces limites.

IV.

Ce n'est guère parce que la constitution aurait été violée par des lois fédérales qu'on demande d'instituer le Tribunal fédéral comme gardien de la constitution à l'égard du législateur. Le reproche que l'on fait à telle ou telle loi de violer la constitution découle d'une appréciation personnelle, le plus souvent peu concluante (notons qu'il s'agit parfois de lois anciennes auxquelles on a donné une base constitutionnelle indiscutable depuis leur adoption, de sorte que la question n'est plus actuelle). La constitutionnalité des dispositions critiquées peut se défendre par des arguments plus sérieux.

Feuille fédérale. 89e année. Vol. III.

2

18

Quoi qu'il en soit, on ne peut parler d'une violation « manifeste » de la constitution. Voici un fait significatif: Dans son rapport à la société des juristes, de 1934 (op. cit. p. 29 a), le professeur Fleiner cite l'article 277 du code civil comme exemple d'une disposition légale contraire à la constitution; selon lui, cette disposition ne serait pas conforme à l'article 49, 3e alinéa, de la constitution, aux termes duquel le droit de disposer de l'éducation religieuse des enfants jusqu'à l'âge de seize ans révolus appartient à « la personne qui exerce l'autorité paternelle ou tutélaire ». L'article 277 prévoit que les père et mère disposent de l'éducation religieuse de l'enfant (en tant qu'ils exercent la puissance paternelle). L'inconstitutionnalité de cet article résiderait dans le fait qu'en cas de mort du père, il confie l'éducation religieuse de l'enfant à la mère, quand bien même elle n'est pas tutrice. Or cette argumentation méconnaît que, selon le code civil, aucune tutelle n'est instituée tant que l'un des détenteurs de la puissance paternelle subsiste. Il est évident que l'article 49,3e alinéa, de la constitution n'entend pas déterminer quel est le détenteur de la puissance paternelle, cette question étant régie par le droit civil (c'est-à-dire, jusqu'en 1912, par le droit cantonal et, depuis, par le code civil). Peu importe aussi que les textes allemand et italien du code ne parlent pas, comme le texte français, de «puissance paternelle», mais d'«autorité des parents» («elterliche Gewalt»).

L'article 166 de la loi sur l'organisation militaire oblige les cantons à verser à la Confédération la, moitié du produit net de la taxe sur les exemptions militaires; selon l'article 42, lettre e, de la constitution, c'est la moitié du produit brut de cette taxe qui revient à la Confédération. Supposé que la constitution soit violée sur ce point, un contrôle judiciaire ne servirait à rien, ici non plus. Outre que, selon l'initiative, la loi sur l'organisation militaire, adoptée en votation populaire, serait soustraite au contrôle, on ne voit en effet pas qui aurait qualité pour porter le cas devant le Tribunal fédéral.

Ce sont surtout les arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence qui sont à l'origine du mouvement en faveur d'une extension de la juridiction constitutionnelle. On reproche aux
autorités fédérales d'abuser de cette clause. L'arrêté fédéral urgent qui eut la plus grande portée est celui qui, au début de la grande guerre, conféra des pouvoirs extraordinaires au Conseil fédéral. Ces pouvoirs furent limités en 1919, puis supprimés en 1921. Pendant la guerre, le droit extraordinaire a été principalement créé par des ordonnances prises par le Conseil fédéral en vertu de ses pleins pouvoirs. Dans la période d'après guerre, plusieurs arrêtés fédéraux urgents furent édictés; d'une manière générale, il s'agissait cependant de mesures qui devaient servir de transition entre le droit extraordinaire institué pendant la guerre et la législation ordinaire. Formant un degré intermédiaire entre les ordonnances de guerre et la législation ordinaire, ces arrêtés facilitèrent l'abrogation progressive des prescriptions édictées en vertu des pleins pouvoirs

19 et le retour à la législation normale. Lorsqu'éclata la crise économique, la situation se modifia de nouveau. De nombreux arrêtés fédéraux urgents furent édictés; il s'agit cependant toujours de mesures extraordinaires prises pour combattre la crise et ses conséquences. Ce sont des mesures temporaires (dont la durée d'application est le plus souvent déterminée d'emblée); elles doivent avoir effet pour peu de temps seulement ou, si cela n'est pas possible, être intégrées dans la législation ordinaire. Parfois, ce sont des mesures qui, normalement, ne pourraient être prises sans une revision préalable de la constitution; souvent elles apportent des modifications temporaires aux lois fédérales. Certaines d'entre elles portent fortement atteinte aux droits individuels, notamment à la liberté de commerce et d'industrie; quelques-unes ont transféré temporairement à la Confédération des attributions des cantons. Aussi est-il compréhensible que dès que les conditions économiques paraissent améliorées, on demande de toutes parts l'abrogation des prescriptions extraordinaires et qu'on soit porté à articuler le grief de « violation de la constitution ». Nous devons cependant insister sur le fait qu'il serait dangereux d'agir comme si les temps étaient déjà redevenus normaux.

La guerre mondiale et la crise économique ont clairement démontré que l'Etat peut se trouver en état de nécessité. En 1914, lorsqu'éclata la guerre, on put immédiatement se rendre compte de la menace qu'elle constituait pour notre indépendance politique et économique, et l'existence d'un état de nécessité tomba sous les sens. Cependant, la crise récente, dont l'intensité a dépassé tout ce qu'on pouvait imaginer, qui a réduit les moyens d'existence d'une grande partie de la population et bouleversé les fondements de notre économie, a, elle aussi, fait peser sur notre pays la menace de graves dangers. Dans de telles époques, des mesures extraordinaires sont de salut public. Tout ne dépend-il pas de la rapidité et de l'énergie avec lesquelles on peut agir sans être tenu de suivre en tous points la procédure normale que prévoit la constitution ? Il faut alors s'adapter le plus rapidement possible à des circonstances qui se modifient, car souvent des événements surviennent à l'improviste, qui rendent nécessaires des mesures que l'on n'avait
pas prévues. Nul ne conteste d'ailleurs qu'il peut y avoir un « véritable état de nécessité » et que, malheureusement, cet état de nécessité existe en réalité. Aucun pays ne peut se passer de dispositions fondées sur le droit de nécessité (cf. Fleiner, Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Gemeindeverwaltung, 1927, p. 577).

Sauf en matière de douane (art. 29, dernier alinéa), la constitution ne contient aucune disposition expresse sur le droit de nécessité. Il en est résulté des controverses dans la doctrine. La question principale est la suivante: Si aucune disposition constitutionnelle ne prévoit expressément le droit de nécessité, ce droit peut-il déroger à tel ou tel article de la constitution ? En d'autres termes, les dispositions constitutionnelles

20

régissant les droits individuels et délimitant les attributions de la Confédération et des cantons apportent-elles les mêmes restrictions au droit de nécessité qu'à la législation ordinaire ?

Certes, le droit de nécessité ne doit déroger à l'ordre constitutionnel que dans la mesure où des besoins impérieux l'exigent. Dans la mesure où cette dérogation est commandée par les circonstances, le droit de nécessité peut cependant déroger à l'ordre constitutionnel, et la dérogation est alors conforme à l'ordre juridique. La considération suivante est décisive à cet égard: Les droits constitutionnels des citoyens et le partage constitutionnel des attributions entre la Confédération et les cantons ont pour condition première l'existence de l'Etat. La Confédération viendrait-elle à disparaître, il en serait fait tant des droits constitutionnels des citoyens que des attributions de la Confédération et des cantons. Le sens de la constitution peut-il être que les droits individuels et la répartition des attributions entre les cantons et le pouvoir fédéral doivent, en toutes circonstances, subsister intacts, même au prix de la ruine de la Confédération ? La constitution ne peut raisonnablement avoir ce sens: toute défense efficace de l'Etat et, partant, de la constitution, deviendrait impossible si, en toutes circonstances, on ne pouvait prendre que les seules mesures qui ne touchent aucunement aux droits individuels et à la répartition des attributions de la Confédération et des cantons. Lorsqu'un danger sérieux menace l'existence même de l'Etat, on doit pouvoir, s'il le faut, empiéter sur les droits individuels et modifier la répartition des attributions. En ne leur faisant ainsi subir qu'une atteinte temporaire, limitée à l'indispensable, on pourvoit mieux à leur protection, tandis qu'en cas contraire, ils pourraient être définitivement compromis. Puisque de telles dérogations à certaines dispositions constitutionnelles sont conformes à l'esprit de la constitution et, partant, légales, il ne saurait être question de violation de la constitution, ce qui impliquerait un acte contraire au droit. Dira-t-on que l'arrêté du 3 août 1914 qui conférait les pleins pouvoirs au Conseil fédéral violait la constitution? Bien au contraire, les autorités fédérales auraient violé le premier devoir que leur impose la constitution
si, à cette époque critique, elles avaient omis de prendre les mesures nécessaires.

Cette façon de voir correspond aussi, sans aucun doute, au sentiment du droit du peuple suisse. Nous nous trouvons également en complet accord avec l'opinion exprimée par le Tribunal fédéral (cf. par exemple ATF 41, I, 553; 60, I, 197).

Quant à savoir si, dans tel cas particulier, on a invoqué à raison le droit de nécessité, c'est-à-dire si le danger était assez sérieux et imposait les mesures prises, c'est un point sur lequel les avis peuvent différer. Chaque individu tend à apprécier la situation d'après ses intérêts personnels. Il considérera très facilement comme inéluctable une mesure qui le protège

21

et lui est utile; peut-être même trouvera-t-il qu'elle ne va pas assez loin.

Le danger qui le menace personnellement lui paraît en effet particulièrement grand. Il sera porté, en revanche, à tenir pour inutile une mesure qui diminue ses libertés ou lui impose des charges. Les autorités fédérales ne peuvent cependant pas voir les choses d'une manière aussi subjective ; elles doivent, au contraire, apprécier la situation selon des critères objectifs, en considérant l'intérêt général. Si elles ne peuvent prétendre être infaillibles, elles ont du moins toujours agi au plus près de leur conscience et dans toute la mesure de leurs moyens. Lorsqu'on critique le recours au droit de nécessité et les mesures extraordinaires, on ne doit pas oublier que ce sont ces moyens qui nous ont permis de tenir pendant la guerre. L'application de mesures extraordinaires a de même sensiblement atténué la crise récente et ses conséquences, qu'elle a ainsi rendues supportables.

On reproche aussi au droit établi pour lutter contre la crise d'être confus et techniquement mal construit, d'être une législation improvisée; il faut cependant relever qu'on y a précisément recours lorsqu'on doit agir rapidement et s'adapter à des circonstances changeantes; il s'agit dès lors de ne pas perdre du temps à polir et repolir des textes, ni d'attendre que la situation soit redevenue stable et nette.

Le recours au droit de nécessité est subordonné à l'existence d'un danger sérieux pour le pays, danger auquel on ne peut parer en légiférant selon les règles ordinaires. Définir plus exactement ces conditions est chose impossible, car les événements futurs ne sauraient être prévus de façon quelque peu sûre; d'ailleurs, leurs conséquences peuvent être très variées.

Le danger justifie-t-il, dans tel cas particulier, le recours à des mesures extraordinaires ? C'est une question qu'on ne peut résoudre qu'après avoir apprécié et pesé les intérêts publics menacés, et une saine appréciation de la situation exige une connaissance étendue des divers éléments à considérer.

Une limitation de l'usage du droit de nécessité réside dans le fait que les prescriptions extraordinaires doivent déroger le moins possible à la constitution et aux lois fédérales et qu'il ne peut s'agir que de mesures indispensables. Il faut reconnaître que lorsque la crise est
particulièrement grave et se fait sentir pendant longtemps dans toute son intensité, on apprécie selon des critères un peu moins rigoureux la nécessité des mesures extraordinaires. En revanche, dès que la situation s'améliore quelque peu, on applique de nouveau des critères plus rigoureux. Le moment est déjà venu de se montrer plus strict.

Etant prises pour la durée de la crise, les mesures extraordinaires n'ont qu'une validité temporaire. Leur durée ne doit d'ailleurs pas nécessairement coïncider avec celle du danger auquel elles sont destinées à parer. Ainsi, rien n'empêche, théoriquement, que déjà avant la disparition de ce danger on revienne à la législation ordinaire et qu'on intègre à cette législation les prescriptions extraordinaires.

22

La forme selon laquelle l'Assemblée fédérale peut, dans des circonstances extraordinaires, prendre des mesures urgentes est l'arrêté fédéral urgent.

Doivent être déclarés urgents les arrêtés fédéraux dont l'application ne peut souffrir les retards qu'entraîné le referendum facultatif. L'urgence suppose donc un péril en la demeure, la menace d'un dommage considérable qu'il convient d'écarter par une intervention rapide. L'urgence se rapporte donc au temps. Ces dernières années, on a parfois parlé d'une urgence « matérielle » («materielle Dringlichkeit»), qu'on a tenté d'opposer à la notion d'urgence dans le temps, et on a voulu ainsi distinguer entre deux espèces d'urgence. Ce qui est juste dans cette thèse, c'est qu'il y a un certain élément matériel dans la notion d'urgence, et cet élément, c'est le péril en la demeure. Si une mesure est considérée comme de peu d'importance ou pas nécessaire, on ne craindra pas le retard qu'entraîné le referendum, et l'on renoncera peut-être même à la prendre.

Une mesure ne peut être urgente que si elle est considérée comme nécessaire et qu'elle présente une certaine importance; mais à cet élément matériel doit toujours s'ajouter un élément de temps, à défaut duquel on doit nier l'urgence. Les exemples donnés par M. Giacometti (dans la « Festgabe » en l'honneur du professeur Fleiner, 1937, p. 54) de cas où il n'y aurait pas eu urgence à agir sans délai, ne sont pas pertinents ; s'il est vrai que, dans tous ces cas, les autorités fédérales ont insisté sur la nécessité matérielle de la mesure envisagée, elles ont aussi toujours considéré qu'il y avait péril en la demeure. Lorsque M. Giacometti conteste le caractère d'urgence même de l'arrêté fédéral tendant à garantir la sûreté de la Confédération et de l'arrêté fédéral sur la défense aérienne passive, il oublie qu'il était grand temps de prendre ces mesures et que les autorités ne pouvaient assumer la responsabilité de les différer.

Quand on se demande si un arrêté fédéral peut souffrir le retard qu'entraîné le referendum, on ne doit pas seulement tenir compte des quatrevingt-dix jours du délai référendaire, mais aussi du temps qui, lorsque le referendum aboutit, s'écoule encore nécessairement jusqu'au moment de la votation populaire. Et ce ne sont pas seulement ces délais qui ralentissent le travail législatif
lorsqu'on.suit les voies ordinaires. Il y a encore le fait que le projet de loi présenté aux chambres est l'objet d'une étude approfondie, qui prend un temps relativement long, tandis que l'arrêté fédéral urgent est, en règle générale, traité suivant une procédure accélérée. La voie ordinaire est encore plus longue lorsque la loi ne peut être édictée sans une revision préalable de la constitution. L'arrêté fédéral urgent constitue une forme plus souple. Certes, en principe, l'arrêté fédéral ne doit ni modifier ni abroger les dispositions d'une loi fédérale. Mais il y a une exception à cette règle : en cas de nécessité, une dérogation temporaire aux dispositions des lois fédérales est licite lorsque la situation l'exige impérieusement (Bulletin sténographique 1920, Conseil des Etats 441; 1917,

23

Conseil des Etats 222; 1914, Conseil national 496; cf. aussi Burckhardt, Droit fédéral suisse, II, n° 617). Il s'agit alors toujours d'une dérogation passagère à des règles posées par des lois, et jamais d'une abrogation ou d'une modification définitives. Il en est de même des dérogations apportées en cas de nécessité par certains arrêtés fédéraux urgents à des dispositions de la constitution.

Souvent, l'arrêté fédéral urgent lui-même exige encore une procédure trop lente et n'est pas assez souple pour satisfaire à la nécessité d'une prompte intervention. Aussi maint arrêté fédéral urgent se borne-t-il à donner au Conseil fédéral le pouvoir de prendre, dans des limites déterminées, certaines mesures et notamment d'édicter certaines normes juridiques.

Le droit de nécessité n'a qu'une durée limitée. C'est pourquoi il n'y a pas lieu de craindre que l'arrêté fédéral urgent ne devienne la forme normale de la législation de la Confédération.

y.

Le désir de voir confier au Tribunal fédéral le contrôle du pouvoir législatif procède de l'idée que l'Assemblée fédérale aurait failli à sa tâche de gardienne de la constitution et qu'on doit se mettre en quelque sorte en quête d'un autre gardien; les promoteurs de l'initiative l'ont trouvé dans le Tribunal fédéral, qu'ils veulent voir collaborer sous une forme négative à l'oeuvre législative. Cela doit être le moyen de faire échec à « l'omnipotence de l'Assemblée fédérale », de « freiner la tendance que l'on a d'éliminer le peuple du travail législatif » et de « réagir contre la décadence déjà avancée de la démocratie ».

Certes, on doit observer fidèlement la constitution. On doit aussi lui reconnaître une plus grande autorité qu'à la loi. Nous estimons cependant que la voie proposée par les auteurs de l'initiative pour renforcer cette autorité de la constitution n'est pas la bonne.

On lit dans un appel du comité d'initiative que le contrôle de la constitutionnalité des lois est avant tout une tâche juridique et non politique.

On prétend même parfois que le contrôle judiciaire soustraira à l'influence politique l'examen de la constitutionnalité d'une loi ou d'un arrêté fédéral et garantira des solutions inspirées uniquement par des considérations juridiques. Cette idée du juge appelé à examiner les limites que la constitution apporte à la loi donne à penser que les auteurs de l'initiative se représentent ce juge en quelque sorte comme un vérificateur des poids et mesures qui vérifie au moyen de son étalon. Il mesurerait ainsi la constitutionnalité des lois fédérales et marquerait d'un trait la limite entre ce qui est conforme à la constitution et ce qui lui est contraire. Ceux qui se représentent les choses de cette façon oublient qu'il y a entre ces deux activités une différence essentielle. L'étalonneur emploie une mesure

24

matérielle, et c'est d'ailleurs son métier de se servir de l'étalon; le contrôle de la coiistitutionnalité d'une loi est, lui, un mesurage intellectuel ; il implique une appréciation des faits, qui est du ressort du législateur.

On doit avant tout bien saisir ce qu'est l'examen de la constitutionnalité d'une loi ou d'un arrêté fédéral. Ce problème a été élucidé dans sa plénitude par les recherches fouillées du professeur W. Burckhardt (cf. surtout Organisation der Rechtsgemeinschaft et Methode und System des Rechts, ainsi qu'un article paru dans la Revue de la société des juristes bernois, vol. 68, p. 305, intitulé « Grundsätzliches über die Abgrenzung der Gesetzgebungskompetenzen zwischen Bund und Kantonen»). On peut également citer, dans le même domaine, les travaux du juge fédéral H. Huber (Kompatenzkonflikt zwischen dem Bund und den Kantonen et Die Garantie der individuellen Verfassungsrechte), ainsi que celui de N. Biert (Die Prüfung der Verfassungsmässigkeit der Gesetze durch den Richter).

Les dispositions de la constitution qui règlent les attributions du législateur fédéral reposent pour la plupart sur des notions de valeur; ainsi la question de compétence ne peut pas être tranchée préalablement à celle de fond, qui est de choisir la règle à édicter ; en effet, la compétence du législateur est définie selon des critères matériels qui ne peuvent être déterminés sans qu'on anticipe sur la décision quant au fond, et celle-ci doit être prise par l'organe législatif compétent. Dans tous les cas où la question de compétence ne peut être séparée de celle de fond, le tribunal ne pourrait donc pas établir si le législateur fédéral a outrepassé les limites que lui impose la constitution -- à l'égard soit des attributions des cantons, soit des libertés individuelles -- sans se prononcer également sur le fond ou tout au moins en préjuger les points essentiels. Il remplirait ainsi une tâche qui n'est pas la sienne, mais celle du législateur. Cependant, même lorsque les questions de fond et de compétence peuvent être disjointes, la question de compétence ne peut être résolue que par une appréciation, une évaluation. La raison en est que le législateur établit seul des notions qui sont applicables telles quelles et ne demandent pas à être appréciées.

En règle générale, les dispositions de la constitution
qui déterminent ou limitent sa compétence ne contiennent pas de notions semblables. En contrôlant la constitutionnalité de la loi, le juge referait ainsi en gros le travail du législateur. L'« interprétation » de la constitution fédérale est quelque chose de différent de l'interprétation des lois; c'est une activité créatrice de droit. On ne peut interpréter les dispositions constitutionnelles qu'en portant un jugement de valeur. L'examen de la constitutionnalité d'une loi est un acte d'ordre législatif et non une pure question de déduction logique et rationnelle. L'auteur de cet examen doit se mettre à la place du législateur, dont la tâche, est d'apprécier les intérêts en présence et de poser une règle contenant le jugement de valeur qu'il doit porter sur ces intérêts. Au contraire, les autorités qui appliquent la loi ne sont pas appelées,

25

si la règle est complète, à apprécier ces intérêts mais seulement à appliquer avec logique la règle posée. L'évaluation, la juste appréciation des intérêts est spécifiquement la tâche du législateur; l'application dans leur conséquence logique des règles posées selon cette appréciation est le rôle du juge et de l'administration.

Notons en particulier que la question de savoir si un arrêté fédéral a été à tort déclaré urgent ne peut, elle non plus, être résolue que si l'on rend un jugement de valeur, qui est du ressort du législateur. Ne convient-il pas, dans chaque cas, d'examiner si un sursis à l'application de l'arrêté serait préjudiciable et, dans l'affirmative, si le préjudice serait tel qu'il justifie l'application immédiate ? Et c'est précisément en matière de droit de nécessité que le contrôle judiciaire se heurterait aux plus grandes difficultés. L'examen de ce droit est une question éminemment politique, et si le Tribunal fédéral devait procéder à cet examen, il partagerait les responsabilités du législateur pour les destinées du pays. En principe, le Tribunal fédéral lui-même devrait reconnaître le droit de nécessité, bien qu'aucune disposition de la constitution ne le mentionne; on ne concevrait en effet pas qu'il sacrifie l'existence du pays à une simple théorie, qui d'ailleurs est fausse. Et il décevrait ainsi les partisans de l'initiative. Le principe du droit de nécessité étant admis, il ne lui resterait plus qu'à examiner si, dans l'espèce donnée, le recours à ce droit se justifiait. Mais c'est là une question de fond, dont la solution dépend de la nécessité et de la valeur des mesures prises. Si le Tribunal fédéral se bornait à revoir la question dans ses grandes lignes, il arriverait difficilement à une solution autre que celle de l'Assemblée fédérale. Notre haute cour et le Conseil fédéral seraient assaillis de nombreux recours qui resteraient sans résultat.

C'est.tout ce qu'on retirerait de cette nouvelle institution, qui, en outre, mettrait en jeu la confiance dans les tribunaux. ' La tâche de l'autorité chargée d'estimer la nécessité et l'opportunité de certaines mesures, et qui consiste principalement à donner une appréciation d'ordre législatif, convient mieux au législateur, organe qui crée le droit, qu'au juge, organe chargé de l'appliquer.

Le législateur doit, lui aussi,
décider d'après des principes. Mais en matière de législation la distinction entre le droit et l'arbitraire coïncide avec la distinction entre les règles qui sont justifiées par les circonstances et celles qui ne le sont pas. Le législateur est mieux placé que le juge pour décider ce que les circonstances cpmmandent. L'organisation des autorités, ainsi que la procédure qu'elles suivent, dépendent de leur tâche; aussi bien, l'organisation des autorités législatives est-elle complètement différente de celle des tribunaux. Le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois conduirait à traiter sous forme de procès des questions qui, par leur nature, ressortissent au pouvoir législatif et à les résoudre selon une procédure non appropriée.

26

Dans un Etat démocratique, un partage clair et net des responsabilités est indispensable. Or, si l'on introduit le contrôle judiciaire, qui assumera la responsabilité de donner au pays les lois qui lui sont indispensables ?

Notre haute cour de justice ne peut assumer seule cette responsabilité, car elle n'aurait qu'un rôle négatif, consistant dans l'examen des cas portés à sa connaissance. Elle ne pourrait que défaire ce que l'Assemblée fédérale aurait fait, mais ne pourrait bâtir elle-même et mettre quelque chose de nouveau à la place de ce qu'elle aurait détruit. Le rôle positif, qui est d'établir les lois nécessaires, resterait celui de l'Assemblée fédérale, qui, cependant, ne pourrait être rendue uniquement et totalement responsable de la législation. Quelle part de responsabilité lui resterait-il alors? En outre, cette dispersion des responsabilités paralyserait l'activité créatrice du législateur. La responsabilité de la législation ne doit pas être partagée ; un seul pouvoir doit répondre du tout, et il faut lui laisser la compétence nécessaire.

Il importe qu'une seule autorité décide souverainement du caractère obligatoire des lois et des arrêtés fédéraux de portée générale. Actuellement, c'est l'Assemblée fédérale qui exerce cette fonction en vertu de l'article 113, dernier alinéa, de la constitution. C'est d'ailleurs conforme aux prérogatives que lui reconnaît l'article 71, selon lequel, sous réserve du droit du peuple et des cantons, l'autorité suprême de la Confédération est exercée par l'Assemblée fédérale: Si l'on introduisait le contrôle judiciaire, une décision définitive sur le caractère obligatoire d'une loi n'interviendrait, en revanche, que lorsque le tribunal aurait, à l'occasion d'un recours, constaté que le législateur n'avait pas outrepassé sa compétence et l'aurait proclamé dans un arrêt. Par le contrôle judiciaire, le pouvoir législatif se trouverait, pour ce qui est de sa fonction par excellence, subordonné au pouvoir du juge, qui déciderait de la validité des lois. La relation entre les trois pouvoirs serait radicalement transformée et l'article 71 de la constitution serait partiellement vidé de son sens. Au-dessus de l'Assemblée fédérale, il y aurait le Tribunal fédéral, auquel serait dévolu le rôle de contribuer à l'oeuvre législative sous une forme négative.
Le Tribunal fédéral est élu par l'Assemblée fédérale pour une durée déterminée (six ans) et le nombre de ses juges est fixé par la loi. Or ces faits ne s'accommodent pas du rôle qui lui serait dévolu. Des frictions pourraient naître de la contradiction qu'il y aurait entre les pouvoirs conférés à l'Assemblée fédérale et la subordination de cette autorité aux arrêts du Tribunal fédéral.

Le contrôle par le Tribunal fédéral des lois et des arrêtés fédéraux d'une portée générale augmenterait la puissance de ce corps. D'autre part, le Tribunal fédéral devrait se charger d'une tâche qui, naturellement, n'est pas la sienne ; l'augmentation de son prestige serait à la longue compensée par un affaiblissement de la considération et de l'autorité dont il jouit.

27

Le contrôle de la constitutionnalité des lois étant d'ordre politique, le Tribunal fédéral devrait entrer dans la voie politique et ne pourrait échapper au danger d'une « politisation ». Chose à noter, ce sont précisément des membres de sa section de droit public qui ont signalé ce danger.

La discussion politique se poursuivrait jusque dans les délibérations du Tribunal fédéral, qui serait ainsi entraîné dans la lutte politique. Ses arrêts seraient, selon les tendances politiques, approuvés ou critiqués.

Par l'introduction du contrôle judiciaire, on cherche à soustraire à la politique l'examen de la constitutionnalité des lois fédérales; en fait, on aboutirait au résultat contraire en mêlant l'administration de la justice à la politique. La méfiance à l'égard des pouvoirs politiques ne disparaîtrait pas, et l'on risquerait d'éveiller de la méfiance à l'égard du Tribunal fédéral, méfiance qui pourrait s'étendre à tous les tribunaux en général, c'est-à-dire au pouvoir judiciaire. Or la confiance dans les tribunaux est un bien précieux, que l'on doit conserver et ne pas mettre en jeu. L'introduction du contrôle judiciaire aurait des répercussions sur les élections judiciaires, qui deviendraient une affaire politique.

Le contrôle judiciaire des lois compromet d'autre part la sécurité dans les relations juridiques. Selon le système actuel, toute loi fédérale et tout arrêté fédéral d'une portée générale est considéré sans autre comme conforme à la constitution et fait autorité pour les tribunaux et les citoyens ; au contraire, avec le système du contrôle judiciaire, les lois et arrêtés qui n'auraient pas été soumis à une votation populaire ne seraient applicables que sous la réserve qu'un arrêt du Tribunal fédéral ne les déclare pas inconstitutionnels. Dès qu'une disposition aurait été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal fédéral, elle n'aurait plus force de loi; en cas de recours interjeté directement contre une loi ou un arrêté, le tribunal annulerait formellement la disposition. Or chaque disposition légale forme l'anneau d'une chaîne ; elle a sa place particulière dans le tout que constitue la loi, et il en est de même de chaque loi à l'égard de l'ordre juridique.

Si une disposition disparaissait parce que le Tribunal fédéral l'aurait déclarée inconstitutionnelle, une lacune serait créée,
que le tribunal ne pourrait pas combler. Il subsisterait une loi ou un arrêté incomplet. Il se pourrait que la disparition d'une seule disposition enlève toute valeur à la loi ou l'arrêté qui la contient. Il pourrait arriver aussi qu'une disposition ne soit considérée comme contraire à la constitution que pour partie, dans certaines de ses conséquences seulement. Dans ce cas, le tribunal ne l'annulerait que dans la mesure où elle serait inconstitutionnelle, et sa portée serait ainsi restreinte. Cette restriction pourrait enlever toute valeur à la disposition en cause et même à la loi. Or le tribunal ne pourrait tenir compte du fait que, par suite de cette restriction, la loi n'aurait plus de sens et que son but ne pourrait plus être atteint. La portée d'une loi pourrait, d'autre part, être étendue si une exception qu'elle prévoit venait à être déclarée inconsti-

28

tutionnelle. Dans tous ces cas, le contrôle judiciaire pourrait conduire à des résultats fort arbitraires. Enfin, le tribunal ne ferait porter son examen que sur les dispositions qui sont critiquées dans le recours dont il aurait été saisi ; les autres dispositions de la loi ou l'arrêté ne seraient, en revanche, pas touchées par l'arrêt condamnant telles d'entre elles; partant, elles resteraient en force, quand bien même elles seraient en relation étroite avec les dispositions annulées.

Qu'arriverait-il si le Tribunal fédéral rejettait un recours dirigé contre une loi ou un arrêté ? A l'occasion d'un nouveau cas d'application de cette loi ou de cet arrêté, la question de sa constitutionnalité pourrait être de nouveau posée. Pour ce qui est des points traités dans le premier arrêt, on peut admettre que la cour ne s'écarterait que difficilement de sa sentence précédente; c'est donc tout à fait exceptionnellement qu'elle trancherait dans un sens différent à l'occasion d'un recours formé contre un nouveau cas d'application. Mais il pourrait arriver que la nouvelle affaire soulève, quant à la constitutionnalité de cette loi ou de cet arrêté, des questions qui n'auraient pas été soulevées dans le premier arrêt. Ainsi, à l'occasion d'un cas d'application qui soulèverait peut-être des questions nouvelles, il pourrait se faire que d'autres arguments soient invoqués ou que d'autres dispositions de la loi ou de l'arrêté soient critiquées. Dès lors, dans ce nouveau cas, le tribunal reprendrait l'examen de la question sans être lié par son premier arrêt.

C'est tout particulièrement en matière d'arrêtés urgents que ces retards inhérents au système du contrôle judiciaire susciteraient des difficultés.

L'auteur du recours pourrait-il obtenir, par voie de mesures provisionnelles, qu'il soit sursis à l'application de l'arrêté attaqué ? C'est là une question qui serait vraisemblablement réglée dans la loi d'exécution. Celle-ci pourrait subordonner ce sursis à des garanties ou même l'exclure complètement. Mais même dans ce dernier cas, l'exécution de l'arrêté dont la constitutionnalité aurait été mise en discussion par une procédure judiciaire en cours se heurterait à des difficultés pratiques.

Les partisans du système du contrôle judiciaire déclarent que, selon le droit en vigueur, le Tribunal fédéral peut déjà
examiner la constitutionnalité des lois cantonales lorsqu'un recours de droit public est formé pour violation de la constitution cantonale; ils estiment dès lors qu'on peut tout aussi bien introduire un contrôle de la législation fédérale. La question est toutefois essentiellement différente lorsqu'il s'agit de la législation fédérale. Le recours de droit public au Tribunal fédéral contre des dispositions de droit cantonal découle de la nature de l'Etat fédératif et s'explique par la nécessité de limiter jusqu'à un certain point la souveraineté cantonale dans l'intérêt d'une vie commune harmonieuse. L'article 5 de la constitution institue la garantie fédérale des constitutions cantonales et des droits constitutionnels des citoyens (par quoi il faut entendre également les droits

29

que confèrent les constitutions cantonales). C'est en vertu de cette garantie que la Confédération protège les constitutions cantonales contre des violations par des lois cantonales. Si ce système de recours a donné des résultats pratiques satisfaisants, cela tient au fait que le Tribunal fédéral s'est imposé une grande réserve dans l'interprétation du droit constitutionnel cantonal.

Dans les cas où les dispositions constitutionnelles cantonales sont susceptibles d'interprétations diverses, il a toujours opté pour l'interprétation que l'autorité supérieure cantonale elle-même en avait donnée; ce n'est que lorsqu'elle était manifestement insoutenable que le Tribunal fédéral n'a pas admis l'interprétation du législateur cantonal. Notons aussi que les questions éminemment politiques jouent un rôle beaucoup plus important en matière de législation fédérale qu'en droit cantonal. Ainsi les prescriptions extraordinaires occupent une place beaucoup plus étendue dans la première. En outre, parmi les lois et arrêtés fédéraux qui seraient soumis au contrôle judiciaire, il y en aurait dont l'exécution est de la plus grande importance pour le maintien de la sécurité, de l'indépendance et de la neutralité de la Suisse. Une dernière différence réside dans le fait, déjà signalé (cb. III), que l'introduction subite du contrôle judiciaire de la législation fédérale permettrait de remettre tout d'un coup en discussion l'ensemble de la législation actuelle.

Le comité d'initiative considère, il est vrai, que la modification constitutionnelle proposée aurait « plutôt un effet préventif ». La simple existence du contrôle judiciaire, estime-t-il, conduirait le législateur à examiner avec beaucoup plus de sérieux que ce n'est le cas actuellement la constitutionnalité des mesures qu'il prend et le retiendrait de violer la constitution.

Le vote de lois ou arrêtés inconstitutionnels serait empêché, de sorte que le droit de contrôle judiciaire ne s'exercerait en fait jamais ou du moins que rarement; les inconvénients qu'il comporte ne se feraient donc pas sentir. Le but de l'initiative est de soumettre le législateur à une pression et de l'obliger à prévoir de nouveau le referendum pour ses arrêtés. Il faut répondre à cela que les autorités fédérales veulent elles-mêmes la disparition des mesures extraordinaires et qu'elles
désirent très vivement le retour à un ordre normal. Point n'est besoin pour cela d'étendre la juridiction constitutionnelle. Remarquons d'ailleurs qu'on n'est pas en présence de violations manifestes de la constitution, mais de cas au sujet desquels les appréciations varient. C'est précisément aux époques de crise que les autorités ont le devoir d'agir, et si elles ne se laissent pas détourner de l'accomplissement de ce devoir, le contrôle judiciaire ne peut pas avoir l'effet préventif que les auteurs de l'initiative en attendent.

L'initiative a son origine dans une méfiance manifeste à l'égard du législateur fédéral. A tout prendre, on doit cependant reconnaître que, dans le domaine de la législation ordinaire, le peuple et les autorités continuent à collaborer de la même manière que par le passé et de façon normale.

Ce sont les mesures extraordinaires qui ont provoqué les critiques et ont

30

donné naissance à l'initiative. Mais les interventions passagères du droit de nécessité constituent de simples mesures extraordinaires, dont la validité est limitée à la durée de la crise. Et surtout, le danger d'une dictature du parlement, d'une restriction permanente des droits du peuple, n'existe pas. Le peuple suisse et les autorités fédérales ont une conception du droit public qui exclut complètement un tel danger. Rappelons encore les garanties politiques que constituent le referendum facultatif, le système des deux chambres, le serment que prêtent les autorités de respecter la constitution, la responsabilité même des autorités fédérales, les courtes législatures et enfin l'opinion publique. La constitution doit, comme auparavant, laisser le champ libre à l'activité du législateur conscient de ses responsabilités.

Pour accomplir sa tâche constructive, le législateur doit garder le sentiment de sa responsabilité; aussi bien ne doit-on pas refuser de lui faire confiance.

Nous rappelons encore que nous avons déjà pris des dispositions pour hâter autant que possible l'abrogation des prescriptions extraordinaires.

Nous renvoyons notamment à notre message relatif au programme financier pour 1938 et aux travaux préparatoires concernant la revision partielle des dispositions constitutionnelles qui régissent l'ordre économique.

C. QUESTIONS DIVERSES VI.

Le chiffre 4, seconde phrase, du texte proposé est ainsi conçu : « Le recours peut aussi être dirigé contre des ordonnances («Verfügungen») fédérales, sous réserve de la juridiction administrative du Tribunal fédéral. » 1. Les auteurs de l'initiative entendent par «ordonnances» («Verfügungen») des actes d'application de la loi (décisions particulières prises dans des cas déterminés) par opposition aux actes législatifs («Erlasse»). Cela est confirmé par la réserve de la juridiction administrative, le recours de droit administratif étant ouvert contre des décisions particulières, mais non contre des actes législatifs de portée générale. Cependant, on ne voit pas si le mot « Verfügung » a ici le même sens qu'à l'article 178 de la loi sur l'organisation judiciaire (« décision ») ou si l'on a entendu désigner par là seulement les actes administratifs à l'exclusion des prononcés judiciaires; au nombre de ces derniers figurent également les prononcés de certaines commissions qui ont la situation juridique de tribunaux administratifs spéciaux, telle la commission de recours du département militaire. Selon les explications de M. Giacometti, les prononcés judiciaires ne seraient pas compris; la raison qui en est donnée est que l'institution d'un recours de droit public contre des prononcés judiciaires fédéraux n'est point nécessaire, ces prononcés présentant en eux-mêmes des garanties suffisantes de leur constitutionnalité. Notons toutefois que l'acte législatif

31 que le tribunal applique, et qui le lie, pourrait être inconstitutionnel et que c'est par la seule voie du recours de droit public que l'on pourrait faire constater cette inconstitutionnalité. Ainsi on ne voit pas si le recours de droit public ne serait pas tout au moins recevable lorsque l'auteur du recours allègue que la disposition appliquée est inconstitutionnelle. Dans tous les cas, il ne ressort pas du texte proposé que le chiffre 4, seconde phrase, ne s'applique pas aux prononcés judiciaires.

2. La réserve de la juridiction administrative du Tribunal fédéral manque également de clarté. Selon les explications de M. Giacometti, on pourrait supposer que le recours de droit public ne devrait pas être ouvert contre les actes administratifs fédéraux qui peuvent être attaqués par la voie du recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Une violation de la constitution est aussi une « violation du droit fédéral », de sorte que le cas peut être porté devant la cour administrative, mais en tant seulement que la cour sera compétente pour connaître de cette violation de la constitution; le texte proposé ne s'applique dès lors pas au cas où l'acte législatif appliqué est lui-même inconstitutionnel et lie néanmoins la cour administrative en vertu de l'article 114 bis, 3e alinéa, de la constitution.

Il n'y aurait alors que le recours de droit public qui puisse être utile. Dans son exposé, M. Giacometti considère qu'il n'y aurait aucune lacune parce que le recours de droit public serait ouvert contre la loi et contre tout acte d'exécution de la loi. Mais le recours contre l'acte d'exécution n'est possible que lorsque cet acte constitue une « Verfügung » -- « ordonnance fédérale » ou « acte administratif cantonal » -- au sens du chiffre 4 de l'initiative ; or c'est précisément là qu'est la question. Si l'on admet que le recours de droit public n'est jamais ouvert contre une décision qui peut être l'objet d'un recours de droit administratif, cette décision constitue un acte d'exécution de la loi qui ne peut être attaqué par la voie du recours de droit public.

La réserve du recours de droit administratif laisse encore place à une autre interprétation, selon laquelle un prononcé susceptible d'être attaqué par un recours de droit administratif, pourrait simultanément être l'objet d'un recours de
droit public, mais dans le cas seulement où l'on soutiendrait qu'il repose sur une disposition inconstitutionnelle qui lie la cour administrative. C'est cette dernière interprétation qui semble correspondre le mieux à l'esprit de l'initiative, mais elle conduit à une solution qui n'est pas simple.

Il reste à savoir laquelle de ces deux interprétations est juste.

3. L'exposé de M. Giacometti cite au nombre des décisions (« ordonnances ») fédérales les actes administratifs des autorités fédérales, notamment du Conseil fédéral, de ses départements et des services qui leur sont subordonnés. Mais les actes administratifs de l'Assemblée fédérale paraissent également constituer des « ordonnances fédérales » ; les arrêtés fédéraux simples sont, en règle générale, des actes d'administration. Parmi les décisions du Conseil fédéral rentrent, entre autres, celles qu'il prend en

32

vertu de l'article 102, chiffres 8 à 10, de la constitution. Ici encore, l'initiative paraît vouloir ouvrir un recours au Tribunal fédéral, recours qui pourrait notamment se fonder sur l'article 4 de la constitution.

On ne voit pas très clairement si les décisions rendues sur recours par le Conseil fédéral sont des « ordonnances » au sens du chiffre 4 de l'initiative, ni comment est réglée la relation avec le recours administratif au Conseil fédéral. L'initiative ne dit pas expressément que le recours de droit public au Tribunal fédéral suppléerait le recours administratif au Conseil fédéral.

Selon l'exposé de M. Giacometti, les prononcés des départements ou d'autres services fédéraux susceptibles d'être attaqués par un recours au Conseil fédéral pourraient être simultanément l'objet d'un recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation des droits constitutionnels ; dans de tels cas, ce moyen n'aurait cependant pas une grande portée pratique.

Lorsque la violation d'un droit constitutionnel consiste dans la violation d'une règle du droit administratif fédéral et se confond avec elle, le recours de droit public au Tribunal fédéral devrait -- selon M. Giacometti -- céder le pas devant le recours administratif au Conseil fédéral. Ainsi le recours de droit public ne serait ouvert, à côté du recours administratif, que contre une violation des droits constitutionnels qui ne se confondrait pas avec la violation d'une règle du droit administratif fédéral. La relation entré ces deux voies de droit serait ainsi la même que celle qui existe actuellement entre les recours contre des décisions cantonales prises en vertu de lois fédérales administratives ou de police. Ces décisions peuvent être l'objet d'un recours au Conseil fédéral pour violation des dites lois et aussi d'un recours au Tribunal fédéral pour violation « indépendante » (c'est-à-dire ne se confondant pas avec une violation de la loi) des droits constitutionnels ; lorsque la violation de la constitution se confond avec celle de la loi, l'affaire est, en revanche, tranchée par le Conseil fédéral en vertu d'une attraction de compétence. Si l'on appliquait ce système aux décisions des services fédéraux subordonnés aux départements, on devrait cependant réserver à la loi d'exécution le som de déterminer les degrés de juridiction; cette
loi devrait déterminer si le recours au Tribunal fédéral serait ouvert également contre des décisions des autorités fédérales inférieures ou si, au contraire, l'affaire devrait d'abord être déférée aux diverses autorités administratives. Quelle que puisse être la réglementation adoptée à ce propos, il resterait toujours à savoir si l'on devrait admettre le pourvoi au Tribunal fédéral contre les décisions sur recours rendues par le Conseil fédéral.

Il pourrait arriver que la violation constitutionnelle alléguée par l'auteur du recours n'ait été commise que. par le Conseil fédéral dans sa décision sur recours. Force serait alors d'admettre la possibilité du recours au Tribunal fédéral; il serait cependant difficile de restreindre ce moyen à ce seul cas, et l'on devrait, au contraire, admettre d'une façon générale que la décision rendue sur recours par le Conseil fédéral est une « ordonnance » au sens du chiffre 4. Ce serait cependant créer un nouveau recours, qui

33

viendrait s'ajouter à ceux qui existent déjà dans l'ordre administratif; en d'autres termes, un recours de droit public -- pratiquement il s'agirait essentiellement du recours pour arbitraire (art. 4 Cst.) -- serait encore recevable contre les décisions rendues sur recours par le Conseil fédéral.

Le fait que ce système serait contraire à l'article 103 de la constitution n'y changerait rien; il y a précisément lieu de se demander si cette disposition ne serait pas modifiée par le nouvel article 113.

Autoriser le recours au Tribunal fédéral contre les décisions rendues sur recours par le Conseil fédéral, c'est obliger de transformer l'organisation de la juridiction administrative. Qu'on se représente, par exemple, que toutes les décisions administratives concernant la police des étrangers ou la naturalisation pourraient encore être portées en dernier lieu devant le Tribunal fédéral sous prétexte de violation de l'article 4 de la constitution! De même, de nombreuses décisions, en dehors de celles qui sont rendues sur recours, ne se prêtent pas du tout à un contrôle judiciaire.

Il y a quelques années seulement, lorsque fut établi le texte de la loi sur la juridiction administrative et disciplinaire, on opéra une division des matières et laissa intentionnellement dans la compétence du Conseil fédéral celles qui ne se prêtaient pas à une procédure judiciaire. Rien n'engage aujourd'hui à modifier cet état de choses; au contraire, il est préférable d'expérimenter encore le système actuel de la juridiction administrative.

VII.

Dans sa teneur actuelle, l'article 113, 2e alinéa, de la constitution excepte les « contestations administratives à déterminer par la législation fédérale » de la règle selon laquelle le Tribunal fédéral connaît des réclamations pour violation des droits constitutionnels ou des traités internationaux.

Depuis que la loi sur l'organisation judiciaire a été revisée en 1911, cette réserve n'a plus de portée pratique que pour les cas énumérés à l'article 189, 1er et 4e alinéas, de ladite loi. L'initiative entend supprimer cette réserve, et cela non en raison d'expériences qui auraient révélé l'avantage pratique d'une modification de cette organisation, mais par crainte de voir le législateur fédéral étendre le cercle de ces contestations administratives. Telle est la raison pour laquelle M. Giacometti croit que le maintien de l'article 113, 2e alinéa, pourrait exposer au danger de voir le législateur restreindre des attributions du Tribunal fédéral comme cour de droit public.

La suppression de cet alinéa aurait pour conséquence que les recours exercés en vertu de l'article 189, 1er et 4e alinéas, de la loi sur l'organisation judiciaire ne seraient plus portés devant le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale, mais devant le Tribunal fédéral.

L'article 189, 1er alinéa, de la loi sur l'organisation judiciaire vise des recours contre des décisions cantonales pour violation des articles 18, 3e alinéa (gratuité de l'équipement du soldat), 27, 2e et 3e alinéas (écoles), Feuille fédérale. 89e année. Vol. HI.

3

34

51 (jésuites) et 53, 2e alinéa (lieux de sépulture), de la constitution. Ce sont là des dispositions constitutionnelles qui doivent être appliquées d'office et qui ne donnent que rarement lieu à un recours. C'est ainsi qu'il n'y a jamais de recours fondés sur l'article 18, 3e alinéa. Dans tous ces cas, le Conseil fédéral est compétent et doit intervenir d'office. On n'y changerait rien en confiant au Tribunal fédéral le soin de connaître de recours interjetés en cette matière; le seul résultat serait que les décisions du Conseil fédéral pourraient être l'objet d'un recours au Tribunal fédéral.

L'article 189, 4e alinéa, de la loi sur l'organisation judiciaire prévoit que le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale connaissent « des contestations relatives aux dispositions des traités avec l'étranger concernant les relations commerciales et douanières, les patentes, la libre circulation, l'établissement et l'exemption de la taxe militaire ». En pratique il s'agit notamment des recours pour violation des traités d'établissement, qui ne se prêtent cependant guère à une procédure judiciaire devant le Tribunal fédéral.

Nous ne pouvons dès lors considérer que la suppression de l'article 113, 2e alinéa, de la constitution améliorerait le système actuel.

D. CONCLUSIONS Vu les raisons exposées ci-dessus, nous estimons que la présente initiative doit être rejetée. Pour des raisons de principe, nous sommes adversaires de l'extension que l'on propose de donner à la juridiction constitutionnelle; nous estimons que l'introduction d'un contrôle judiciaire de la législation serait une erreur. C'est pourquoi nous ne présentons pas de contre-projet.

Le comité d'initiative nous a fait savoir qu'il était autorisé par les signataires à retirer la demande en faveur d'un contre-projet éventuel.

Il a déclaré en outre qu'il admettrait que l'acceptation de l'initiative entraîne l'adjonction à la constitution d'une disposition sur le droit de nécessité. Etant opposés à une revision de l'article 113 de la constitution, nous ne pouvons cependant pas proposer une disposition sur le droit de nécessité à titre de contre-projet. Cela viserait un autre domaine que celui de l'initiative. A cela s'ajoute la considération suivante : Si un contreprojet ne concernait que l'introduction d'un article sur le droit de nécessité à
l'exclusion de l'extension de la juridiction constitutionnelle, les citoyens qui accepteraient à la fois cette extension et l'article sur le droit de nécessité seraient forcés de choisir entre l'un et l'autre; ils ne pourraient voter oui pour les deux projets. Il suffit de penser à cette conséquence pour voir qu'un article sur le droit de nécessité ne peut entrer ici en considération comme contre-projet, mais doit être l'objet d'un projet distinct. Quant à savoir si une telle disposition doit être introduite dans la constitution, c'est une question qui demande à être examinée à fond et pour soi.

35

Nous vous proposons de soumettre au peuple et aux Etats l'initiative en faveur de l'extension de la juridiction constitutionnelle en leur recommandant de la rejeter.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 17 septembre 1937.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, MOTTA.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

(Projet.)

Arrêté fédéral sur

la demande d'initiative pour l'extension de la juridiction constitutionnelle (revision de l'article 113 de la constitution).

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu la demande d'initiative pour la revision de la juridiction constitutionnelle (revision de l'article 113 de la constitution) et le rapport du Conseil fédéral du 17 septembre 1937; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution, arrête : Article premier.

La demande d'initiative pour l'extension de la juridiction constitutionnelle (revision de l'article 113 de la constitution) sera soumise à la votation du peuple et des cantons. Cette demande d'initiative a la teneur suivante : Attendu qu'au cours de ces dernières années les droits constitutionnels des citoyens ont été manifestement violés et cela de plus en plus souvent,

36

par des arrêtés de l'Assemblée fédérale déclarés urgents, ainsi que par des arrêtés et des ordonnances du Conseil fédéral, les citoyens suisses soussignés fondés sur l'article 121 de la constitution fédérale et conformément à la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, demandent que l'article 113 de la constitution fédérale soit revisé comme suit: Art. 113 de la constitution fédérale.

Le Tribunal fédéral connaît, en outre: 1° des conflits de compétence entre les autorités fédérales, d'une part, et les autorités cantonales, d'autre part; 2° des différends entre cantons, lorsque ces différends sont du domaine du droit public; 3° des réclamations des particuliers pour violation de concordats ou de traités par des actes législatifs ou administratifs cantonaux; 4° des réclamations pour violation de droits constitutionnels des citoyens par des lois et arrêtés fédéraux, ainsi que par des actes législatifs ou administratifs cantonaux. Le recours peut aussi être dirigé contre des ordonnances fédérales, sous réserve de la juridiction administrative du Tribunal fédéral.

Dans tous ces cas, le Tribunal fédéral appliquera les traités ratifiés par l'Assemblée fédérale de même que les lois et arrêtés fédéraux acceptés en votation populaire.

Dans sa juridiction civile et pénale, le Tribunal fédéral appliquera en outre les autres dispositions de la législation fédérale.

Art. 2.

L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons le rejet de la demande d'initiative.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

499

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour l'extension de la juridiction constitutionnelle (revision de l'article 113 de la constitution). (Du 17 septembre 1937.)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1937

Année Anno Band

3

Volume Volume Heft

38

Cahier Numero Geschäftsnummer

3613

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

22.09.1937

Date Data Seite

5-36

Page Pagina Ref. No

10 088 314

Das Dokument wurde durch das Schweizerische Bundesarchiv digitalisiert.

Le document a été digitalisé par les. Archives Fédérales Suisses.

Il documento è stato digitalizzato dell'Archivio federale svizzero.