97.457 Initiative parlementaire Droit de succession du conjoint survivant. Précision Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 22 janvier 2001

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, En vertu de l'art. 21quater, al. 3 de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC), nous vous soumettons le présent rapport, que nous transmettons également au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'adopter le projet de loi ci-joint.

22 janvier 2001

Au nom de la Commission: Le président, J. Alexander Baumann

2001-0247

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Rapport 1

Situation initiale

1.1

Dépôt de l'initiative parlementaire

Le 18 décembre 1997, M. le conseiller national Marc Suter a déposé l'initiative parlementaire suivante, rédigée sous la forme d'une demande conçue en termes généraux: L'article 473 CC est à préciser de façon à ce que l'on sache dorénavant dans quelle mesure il est possible de laisser au conjoint survivant, outre l'usufruit, une part de l'héritage en propriété, sans que la réserve des descendants ne soit lésée.

1.2

Examen préalable

Réunie le 9 novembre 1998, et conformément à l'art. 21ter de la loi sur les rapports entre les Conseils, la Commission des affaires juridiques (CAJ) a procédé à l'examen préalable de l'initiative, dont elle a entendu l'auteur. C'est à l'unanimité qu'elle a proposé au Conseil national de donner suite à l'initiative, et le 8 mars 1999, celui-ci s'est rallié sans opposition à la proposition de la commission.

1.3

Déroulement des travaux de la commission

Chargée par la suite de préparer un projet de loi pour cette initiative, la CAJ a décidé le 31 janvier 2000 d'instituer une sous-commission composée des députés Joder, Aeppli Wartmann, Aeschbacher, Bosshard, Jutzet, Mariétan et Gendotti.

La sous-commission a examiné l'initiative parlementaire au cours de ses séances du 9 mai et du 26 juin 2000. Lors de sa première séance, elle a procédé à l'audition de deux experts, qui ont fait valoir des points de vue différents: Monsieur Peter Weimar, professeur à l'Université de Zürich, qui a défendu la théorie des «trois huitièmes» (cf. chapitre 2.2), et Monsieur Thomas Geiser, professeur aux universités de Berne et de Saint-Gall, qui a plaidé en faveur de la théorie du «un huitième». Puis, dans une première phase, la sous-commission a discuté différentes solutions envisageables (cf. chapitre 2.3). S'interrogeant tout d'abord sur la nécessité de modifier l'art. 473 CC, elle a ensuite examiné s'il était possible d'atteindre l'objectif de l'initiative par d'autres moyens. Convaincue, à l'issue de ce débat, de la nécessité de prendre des mesures en la matière, la sous-commission a examiné, d'une part, la possibilité de supprimer entièrement l'art. 473, et d'autre part, celle d'accorder, à titre exceptionnel, le statut d'héritier au conjoint survivant qui n'a reçu que l'usufruit du patrimoine. Au terme d'un examen approfondi, elle a rejeté l'ensemble des possibilités précitées.

Lors de sa seconde séance, la sous-commission a voté la solution des «trois huitièmes», qu'elle a soumise au plénum de la commission. Réunie le 22 janvier 2001, cette dernière a approuvé le projet par 17 voix et deux abstentions. Soulignons qu'il s'agit là d'une décision politique (cf. chapitre 2.2), l'interprétation du droit en vigueur permettant de pencher pour la solution du «un huitième» aussi bien que pour

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celle des «trois huitièmes». Par 12 voix contre 8, la commission a opté pour la solution des «trois huitièmes». Elle vise ainsi à accorder au disposant la quotité disponible la plus élevée possible, lui laissant ainsi la liberté de choisir la solution la plus appropriée pour lui. Une minorité (Jutzet, de Dardel, Gross, Hollenstein, Hubmann, Lauper, Seiler, Thanei) propose quant à elle d'opter pour un compromis, soit pour la solution des «deux huitièmes». Pour la pratique, il est avant tout déterminant que cette question soit réglée de façon claire.

2

Grandes lignes du projet

2.1

Développement de l'initiative

Le legs, au conjoint survivant, de l'usufruit de toute la fortune du défunt aux termes de l'art. 473 CC est certainement la disposition pour cause de mort la plus fréquente lorsque des conjoints ont des enfants communs. Cette façon de procéder est usuelle surtout lorsque les parents ont à peu près le même âge; les enfants considèrent en général naturel qu'ils n'héritent qu'après le décès du second de leurs parents.

L'octroi de l'usufruit de la fortune conformément à l'article susmentionné permet de préserver la fortune du couple et de garantir au conjoint survivant la possibilité de garder le niveau de vie habituel pendant ses vieux jours. Ce mode de disposer est avantageux non seulement sur le plan économique, mais également par sa simplicité d'exécution et l'absence de complications fiscales. Si le conjoint survivant se remarie, son usufruit cesse dans la mesure où cela est nécessaire pour que les descendants intéressés puissent obtenir la réserve à laquelle ils auraient eu droit au moment de la succession (art. 473, al. 3, CC); la réglementation juridique de l'usufruit est donc appropriée à la situation et équitable sous cet aspect également.

Cependant, si le conjoint survivant n'obtient que l'usufruit (conformément à l'art. 473 CC), il ne jouit pas du statut conféré aux héritiers. Or en cas de contestation concernant la succession, le conjoint survivant a intérêt à avoir ce statut, sans lequel il ne peut se défendre contre les descendants lors du partage. Afin de lui garantir la qualité d'héritier1, il convient donc de lui attribuer la quotité disponible en propriété. En règle générale, c'est la solution adoptée; souvent, dans les dispositions pour cause de mort, la quotité disponible est léguée au conjoint survivant qui reçoit l'usufruit du reste de la succession en viager. Cette façon de procéder très répandue est interprétée de la façon suivante en droit: L'usufruit du conjoint survivant tient lieu du droit de succession qui lui est attribué par la loi en concours avec ses descendants (art. 473, al. 2, CC). Le droit permet de donner leurs réserves aux descendants et de léguer la quotité disponible au conjoint survivant ­ ou le cas échéant à une autre personne (cf. à ce propos l'arrêt du Tribunal fédéral du 8.7.1919, ATF 45 II 381, qui a fait jurisprudence).

Au départ, la situation est
donc claire. En revanche, l'étendue de la réserve des descendants n'est pas déterminée avec certitude, ni, par contrecoup, celle de la quotité disponible. Il est à noter que le Tribunal fédéral n'a jamais eu à se prononcer sur ces questions si importantes en pratique. Il est d'autant plus nécessaire que le législateur clarifie la situation. On ne peut se permettre de laisser les intéressés dans une telle insécurité juridique. Cette insécurité a eu pour conséquence que beaucoup de gens ont renoncé à la solution si pratique de l'art. 473 du CC. Ce n'est pas tant 1

Cf. chap. 2.3.4

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l'ordre de grandeur de la quotité disponible qu'il est nécessaire de connaître; l'important est de savoir quelles règles il faut appliquer.

2.2

La querelle des «huitièmes»

La révision du droit matrimonial et successoral, qui a eu lieu en 1984 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1988, apporte une nette amélioration de la situation de l'épouse survivante. Du point de vue du droit matrimonial en effet, l'introduction du régime de la participation aux acquêts et l'octroi à l'épouse survivante de la moitié de ces acquêts favorise cette dernière par rapport à l'ancien droit. Du point de vue du droit successoral, l'amélioration réside dans le fait que le conjoint survivant ne reçoit plus, à choix, soit un quart des biens en propriété, soit la moitié en usufruit, mais reçoit en propriété la moitié de la succession (cf. art. 462, ch. 1, CC). Par ailleurs, le droit actuel (art. 473 CC) maintient la possibilité de laisser au conjoint survivant l'usufruit de toute la succession. La réserve du conjoint survivant correspond à la moitié de sa part héréditaire, soit un quart de la totalité de l'héritage (art. 471, ch. 3, CC). La distinction ainsi établie entre «part héréditaire» et «réserve» crée de nouvelles possibilités d'interprétation de l'art. 473, dont l'al. 2 dit que «cet usufruit tient lieu du droit de succession attribué par la loi au conjoint survivant en concours avec ses descendants». En effet, si par «droit de succession», on entend la part légale de l'héritage, l'alinéa fait alors référence à la moitié, soit aux quatre huitièmes de l'héritage. Reste donc l'autre moitié, qui, aux termes de la loi, revient aux descendants, et dont les trois quarts leur sont garantis par la réserve. Par conséquent, la quotité disponible est d'un huitième de l'héritage. Si, par contre, «droit de succession» veut dire en l'occurrence «réserve», seul un quart ­ c'est-à-dire deux huitièmes de l'héritage ­ est couvert par la disposition. Si l'on additionne ces deux huitièmes aux trois huitièmes obligatoirement dévolus aux descendants, on arrive à cinq huitièmes: la quotité disponible est alors de trois huitièmes. Lors de la révision du droit matrimonial et successoral, cette question n'a jamais été soulevée; par la suite, la doctrine a émis différentes opinions, sans pour autant réussir à éclaircir le cas. Ainsi, tandis que la Suisse romande privilégie la théorie des «trois huitièmes», la Suisse alémanique applique plus volontiers celle du «un huitième». Selon un expert, l'autorité fiscale
zurichoise par exemple appliquerait la théorie du «un huitième» même dans les cas où le testament prévoit d'autres dispositions ou que les parties ont elles-mêmes opté pour une autre solution.

Si, depuis la révision de 1984, le Tribunal fédéral n'a jamais eu à trancher sur ce point, la question n'en est pas moins d'une certaine importance pratique. En effet, bien que cette imprécision ne semble pas donner lieu à des litiges devant les tribunaux, les notaires en particulier préféreraient souvent pouvoir donner à leurs clients une information précise concernant le montant de la quotité disponible.

2.2.1

Arguments en faveur de la théorie du «un huitième»

2.2.1.1

De lege lata

Conformément à l'art. 473, al. 2, CC, «cet usufruit tient lieu du droit de succession attribué par la loi au conjoint survivant en concours avec ses descendants». Le droit de succession attribué par la loi, c-à-d. la part de l'héritage revenant au conjoint 1060

survivant de par la loi, équivaut à la moitié de la somme totale. La quotité disponible correspond donc à la part dévolue aux descendants, déduction faite de la réserve; elle n'équivaut par conséquent qu'à un quart de la moitié. La formulation adoptée exclut toute autre possibilité d'interprétation, à moins qu'il puisse être établi sans équivoque que l'interprétation précitée s'écarte de l'intention véritable du législateur. Dans le cas présent, néanmoins, si le législateur avait visé un autre objectif, il aurait formulé la disposition comme suit: «Cet usufruit tient lieu de réserve attribuée par la loi au conjoint survivant en concours avec ses descendants». 2

2.2.1.2

De lege ferenda

Le nouveau droit matrimonial élargit grandement les possibilités de libéralités envers le conjoint survivant. Au chapitre du régime ordinaire de la participation aux acquêts, en particulier, l'art. 216 CC permet aux époux de convenir, par contrat de mariage, de laisser la totalité du bénéfice au conjoint survivant, pour autant que la convention ne porte pas atteinte à la réserve des enfants non communs. Par ailleurs, même en l'absence de contrat de mariage, la conjointe survivante hérite non plus d'un tiers des biens acquis en commun comme le prévoyait l'ancien droit, mais de la moitié.

En Europe, le droit a de tout temps accordé une place privilégiée au soutien du conjoint survivant, particulièrement de l'épouse. Les besoins des descendants n'ont quant à eux pas nécessité une protection particulière, étant donné que, sur la base du principe suivant lequel le bien doit se transmettre selon les liens du sang, les descendants ont toujours été considérés comme les premiers héritiers. A preuve, l'art. 457 CC, qui dispose que «les héritiers les plus proches sont les descendants».

Pour ce qui est de la part héréditaire du conjoint survivant, il faut attendre l'art. 462 CC pour en trouver mention. Si, pour l'heure, le droit successoral ne s'est penché que sur les besoins du conjoint survivant, il conviendrait toutefois aujourd'hui, compte tenu de l'évolution de la société, de considérer la question dans une perspective plus large.

Suite aux transformations sociales, le problème du soutien accordé au conjoint lors de la dévolution successorale a perdu de son importance. Aujourd'hui, en effet, les assurances sociales, notamment l'AVS et la prévoyance professionnelle, remplissent largement ce rôle de prévoyance. En outre, le pilier 3a accorde au conjoint survivant la priorité dans l'ordre des bénéficiaires et n'autorise aucune permutation de rang en ce qui le concerne (cf. art. 2 de l'ordonnance sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance [OPP3]).

De même que le droit en vigueur, le nouveau droit devra s'appliquer tant pour les petites et les moyennes que pour les très grandes fortunes. Ces dernières peuvent ainsi faire l'objet de déplacements de valeurs patrimoniales d'une famille à l'autre lorsque la succession du deuxième conjoint concerne
des descendants non communs. Une telle pratique se heurtant néanmoins à notre conception générale du droit, il convient de limiter ces déplacements à une part minime de la succession.

2

Roland Pfäffli, «Die Meistbegünstigung des Ehegatten nach Güterrecht und Erbrecht», RSJ 92 (1996), n o 1, p. 7.

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2.2.2

Arguments en faveur de la théorie des «trois huitièmes»

2.2.2.1

De lege lata

Lorsque le testateur décide d'attribuer l'usufruit de l'héritage à son conjoint, ce ne sont plus les dispositions du droit de la succession ab intestat (art. 457 ss. CC) qui s'appliquent, mais les dispositions régissant la réserve (art. 470 ss. CC). Le «droit de succession attribué par la loi» (cf. art. 473 CC) ne correspond ainsi à la part héréditaire que dans le cas où le testateur n'a pas attribué la quotité disponible à d'autres héritiers. Si le testateur décide de disposer de la quotité disponible et de l'attribuer à une quelconque personne ­ qu'il s'agisse du conjoint, des enfants, d'un tiers ou d'une organisation ­, le droit de succession légal se réduira, dans le cas extrême, à la réserve. Lorsque le testateur laisse l'usufruit à son conjoint, il peut donc également, dans le même temps, attribuer à qui il l'entend la part de l'héritage qui excède le montant de la réserve, en l'occurrence trois huitièmes.

La loi ne considère pas l'attribution de l'usufruit comme le fait de disposer de la quotité disponible. Le code civil ne précise en effet à aucun endroit que les art. 470 et 471 CC, qui régissent l'étendue du pouvoir de disposition, sont liés à l'art. 473 CC, ou qu'au contraire ces articles s'excluent mutuellement. Ainsi, il est possible d'attribuer l'usufruit même si la quotité disponible a été épuisée par d'autres dispositions pour cause de mort ou entre vifs; cette attribution ne viole pas la réserve, et elle ne peut pas être contestée par le biais d'une action en réduction des dispositions du défunt. Le rôle de l'art. 473 est, en quelque sorte, de légaliser les violations de la réserve de certaines catégories d'héritiers. En effet, les descendants sont privés pendant un certain temps de la jouissance de l'héritage, ce qui apparaît comme une violation des dispositions régissant la réserve. Cependant, si cette solution est adoptée, la part d'héritage qui leur revient est bien plus grande. Cette libéralité envers le conjoint n'empiète donc ni sur la réserve des enfants ni sur la quotité disponible.

En 1984, lors de la révision du droit successoral, le législateur n'a pas voulu modifier l'art. 473, al. 2, qui prévoit que l'usufruit tient lieu du droit de succession objectif et qui exclut toute modification de la quotité disponible. Le fait que l'attribution de l'usufruit puisse, après la
modification de l'art. 462, avoir des conséquences sur la quotité disponible, n'a été évoqué ni dans les commissions chargées de l'examen préalable ni dans les Chambres fédérales. L'unique arrêté du Tribunal fédéral concernant l'art. 473 CC (cf. ATF 45 II 381) peut se résumer comme suit: conformément à l'art. 473, al. 2, CC, l'attribution de l'usufruit au conjoint survivant tient lieu de droit de succession attribué par la loi à celui-ci en concours avec leurs descendants communs; il en découle, notamment concernant le calcul de la quotité disponible, que l'usufruit correspond à la part héréditaire revenant au conjoint survivant; il n'est ainsi pas fait usage de la quotité disponible, de même que dans le cas où le conjoint survivant fait valoir son droit à sa part héréditaire. Sous l'ancien droit, qui permettait au conjoint survivant de choisir entre un quart de l'héritage en propriété ou la moitié en usufruit, ce choix n'avait aucune incidence sur la quotité disponible.

1062

2.2.2.2

De lege ferenda

A l'heure actuelle, contrairement à ce qui était le cas dans le passé, les descendants ont souvent déjà 50 ou 60 ans lorsqu'ils héritent. Or, un soutien financier approprié de la part des parents est bien plus utile au moment de la formation ou de la fondation d'une famille. De plus, de nombreux disposants souhaitent que le conjoint survivant puisse garder le même niveau de vie après leur mort.

2.3

Autres solutions

2.3.1

Le compromis: la solution des «deux huitièmes»

Il serait également possible, à titre de compromis, de fixer la quotité disponible à deux huitièmes, soit à un quart de l'héritage. L'inconvénient de cette solution, c'est qu'elle n'est pas compatible avec le système actuel, alors que tant la solution du «un huitième» que celle que des «trois huitièmes» s'inscrivent logiquement dans ce système. En revanche, la solution des «deux huitièmes» présenterait l'avantage d'être à mi-chemin entre les deux solutions précitées. Elle est en outre élémentaire sur le plan mathématique, ce qui n'est pas négligeable pour la pratique.

2.3.2

Suppression de l'art. 473 CC

Les dispositions générales régissant les libéralités d'usufruit (art. 530 ss. CC) permettent déjà de favoriser largement le conjoint survivant. On peut donc se demander si l'art. 473 CC a encore sa raison d'être et si l'on ne pourrait pas le supprimer.

Si l'on applique les dispositions générales régissant l'usufruit, on arrive au même résultat que si l'on applique l'art. 473 CC, à condition cependant que le conjoint survivant ait déjà un certain âge au moment du décès du testateur. Selon les calculs les plus récents, si la femme a au moins 73 ans au moment du décès de son mari, il n'est pas nécessaire de recourir à l'art. 473 CC pour lui attribuer l'usufruit et trois huitièmes en propriété. Quant aux hommes, dont l'espérance de vie est un peu moins élevée, il faut qu'ils aient au moins 67 ans pour que ce cas de figure se réalise.

L'art. 530 CC permet également d'attribuer au conjoint survivant un huitième en propriété, pour autant que la femme ait au moins 53 ans au moment de son veuvage et l'homme 48 ans.

Essentiellement, deux éléments s'opposent à la suppression de l'art. 473 CC. Premièrement, cet article permet au conjoint survivant de conserver la même situation économique qu'auparavant, dans la mesure où il a l'usufruit ­ et donc également la possession ­ de l'ensemble de l'héritage. Nombre de disposants accordent une grande importance à ce dernier point, désireux notamment ­ puisque les descendants bénéficieront de toute façon de l'ensemble de l'héritage à la mort du conjoint survivant ­ que leur conjoint puisse continuer à vivre jusqu'à la fin de sa vie dans les mêmes conditions économiques. Deuxièmement, même si la quotité disponible n'est pas attribuée, l'art. 473 CC est une disposition légale extrêmement utile, car elle permet de faire «de façon correcte» des descendants les héritiers universels, ce qui peut être souhaitable par exemple pour des raisons fiscales ou eu égard aux tarifs des homes pour personnes âgées, qui sont en règle générale fixés selon la fortune.

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Il est incontesté que seul l'art. 473 CC permet de grever de l'usufruit l'ensemble de l'héritage, quel que soit l'importance de l'héritage et l'âge des survivants. La mise en oeuvre de cette disposition ne pose aucun problème: il est attribué au conjoint une part égale à la quotité disponible, le reste de l'héritage lui étant attribué en usufruit.

En conséquence, eu égard au fait que, d'une part, il est souvent recouru à cet article dans la pratique et que, d'autre part, sa suppression entraînerait une série de nouveaux problèmes, il vaut mieux ne pas le supprimer.

2.3.3

Statu quo

Comme ce point n'a donné lieu à aucun litige à ce jour, il peut être admis que cette disposition a fait ses preuves et qu'il serait donc judicieux de garder le statu quo. Le Conseil national est cependant parvenu à la conclusion inverse, à savoir qu'il est nécessaire de modifier la législation actuelle sur ce point; on peut donc supposer qu'il existe des arguments solides en faveur d'une telle modification. Lors de l'examen du droit du divorce en particulier, les députés ont insisté sur le fait que le législateur devait prendre une décision claire sur ce point3. Il est extrêmement fréquent, lors de successions, que le testateur fasse hériter son conjoint d'une part égale à la quotité disponible et qu'il lui attribue en outre l'usufruit de la part d'héritage qui revient aux descendants. Pour cette raison, il serait souhaitable de déterminer clairement une fois pour toutes le montant de la quotité disponible. Comme il s'agit avant tout d'une question d'ordre politique, c'est au législateur d'y répondre.

2.3.4

Attribution du statut d'héritier au conjoint survivant qui a reçu des biens en usufruit, mais non en propriété

L'attribution au conjoint survivant de la quotité disponible en sus de l'usufruit se justifie en cela qu'elle conférerait à celui-ci le statut d'héritier. Si, par contre, il était possible, par dérogation, d'accorder au conjoint survivant le statut d'héritier, la question de la quotité disponible perdrait tout intérêt. L'examen de cette question aboutit aux conclusions suivantes: Le droit des successions, qui repose sur un nombre déterminé de modes de disposer, ne peut s'exercer que sous deux formes: il confère, d'une part, le statut d'héritier (cf. art. 483 CC), d'autre part, celui de légataire (cf. art. 484 CC). Ces deux statuts ne s'excluent pas l'un l'autre, dans la mesure où la même personne peut être à la fois héritier et légataire (cf. art. 608, al. 3, CC). La loi ne prévoit néanmoins pas de forme mixte de ces deux statuts, ce qui se justifie par le fait que les effets et les conséquences successorales de ces deux statuts sont clairement distincts. Selon l'art. 560 CC, en effet, l'héritier est saisi de l'universalité des biens réels de la succession dès que celle-ci est ouverte; il dispose, en commun avec les autres héritiers, des actifs de la succession, et assume toutes les conséquences qui en découlent, notamment l'obligation d'agir de manière indivise (cf. art. 602 CC). Les héritiers sont tenus solidairement des dettes du défunt (art. 603, al. 1, CC).

3

17 décembre 1997, BO CN 2740 ss.

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Le légataire, par contre, est un successeur à titre particulier, ce qui signifie que ses droits ne découlent pas directement du testateur, mais qu'il a une «action personnelle contre le ou les débiteurs du legs» (cf. art. 562, al. 1, CC). En outre, le légataire n'est pas tenu des dettes du défunt.

Selon la pratique judiciaire peu abondante et la majorité des textes de doctrine en la matière, le conjoint survivant qui, aux termes de l'art. 473 CC, a reçu l'usufruit de la succession, mais sans avoir été institué comme héritier en recevant la quotité disponible, a le statut de légataire, mais pas celui d'héritier4.

La distinction entre héritier et légataire présente un avantage, à savoir qu'elle clarifie la situation juridique de l'héritier dans toutes les autres dispositions du droit de la succession qui traitent des droits et des devoirs de l'héritier (cf. notamment l'art. 553, al. 1, ch. 3, l'art. 557, al. 2, l'art. 580, al. 3, l'art. 604 et l'art. 626 CC). De plus, outre ce qu'elle apporte en termes de sécurité du droit, cette distinction permet d'éviter que ne se posent, dans le domaine du droit de succession, de nouveaux problèmes difficilement prévisibles aujourd'hui. Il pourrait par exemple arriver que l'on se demande si ce sont les dispositions relatives aux héritiers qui prévalent ou au contraire celles concernant les légataires. Il n'est pas exclu en effet que des difficultés se présentent dans d'autres domaines qui ne sont pas soumis à discussion aujourd'hui (cf. par exemple la question de la responsabilité des héritiers, art. 603 CC).

Le Parlement avait déjà procédé de la sorte lors de la révision de l'action en nullité (cf. art. 520a CC), dans la mesure où seules avaient été comblées les lacunes concernant le testament olographe, et non celles concernant le testament public et le pacte successoral.

Il convient ainsi non seulement de maintenir cette distinction claire et systématique entre le statut d'héritier et celui de légataire, mais il faudra également présenter les arguments en faveur d'une telle distinction dans le cadre du débat parlementaire au plénum, afin de prévenir d'éventuelles imprécisions à l'avenir.

Le conjoint qui est bénéficiaire de libéralités selon l'art. 473 CC, mais qui n'a pas le statut d'héritier, a la possibilité de recourir aux voies de droit prévues pour
l'usufruit. S'agissant du droit d'usufruit qui lui revient sur les immeubles, le conjoint concerné peut se prévaloir d'une mesure provisionnelle prévue à l'art. 960, al. 1, CC.

2.4

Considérations de la majorité de la commission

En se prononçant majoritairement en faveur de la solution des «trois huitièmes», la commission n'a nullement l'intention de porter un jugement de valeur sur les deux points de vue défendus par la doctrine, la solution du «un huitième» étant tout aussi compatible avec le système actuel que celle des «trois huitièmes». En précisant clairement l'art. 473 CC, elle vise bien plus à mettre un terme à l'insécurité juridique actuelle concernant le montant de la quotité disponible. Si la commission a opté pour la solution des «trois huitièmes», c'est qu'elle la considère comme plus libérale et moins restrictive. Avec cette solution, la loi laisse au testateur une plus grande latitude pour disposer de ses biens, ce qui permettra dans chaque cas d'opter pour la 4

Pour l'état de la question dans la doctrine et la jurisprudence, cf. D. Staehelin, Basler Kommentar, art. 473 CC; pour un autre point de vue, cf. R. Forni/G. Piatti, Basler Kommentar, art. 626 CC, N. 6.

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solution la plus appropriée. La majorité estime qu'il s'agit là de la solution qui tient le mieux compte de l'évolution sociale.

Par ailleurs, la commission se félicite de ce qu'une telle solution offre au disposant un instrument simple, sur le plan de la procédure, pour assurer plus largement la protection du conjoint survivant et lui permettre de conserver le même niveau de vie. Cette solution reflète ainsi l'esprit de l'art. 473 CC, à savoir la possibilité d'accorder des libéralités maximales au conjoint survivant.

2.5

Considérations de la minorité

Considérant que le débat sur la quotité disponible est l'occasion de régler une dispute juridique par un compromis, une minorité de la commission propose d'adopter la solution des «deux huitièmes», qui se trouve à mi-chemin entre la théorie des «trois huitièmes, qui prévaut en Suisse romande, et celle du «un huitième», qui prédomine en Suisse alémanique (cf. chap. 2.2). Par ailleurs, compte tenu de ce qu'il s'agit sans conteste d'une décision politique, la minorité considère la question de la conformité de la solution adoptée au système actuel comme secondaire. Enfin, la solution des «deux huitièmes» serait la plus adéquate sur le plan pratique: mathématiquement parlant, il est plus élémentaire pour le citoyen de se représenter un quart qu'un huitième ou trois huitièmes.

3

Commentaire du projet

3.1

Proposition de la majorité

Le nouvel art. 473, al. 2, CC prévoit clairement que le testateur qui attribue l'usufruit au conjoint survivant peut disposer librement des trois huitièmes de l'héritage. Le chiffre «trois huitièmes» est mentionné explicitement dans la loi, même s'il découle de l'art. 462 en lien avec l'art. 471 CC que la quotité disponible s'élève à trois huitièmes, lorsque le conjoint survivant est en concours avec les descendants. Toute personne peut ainsi savoir avec précision quelles sont ses possibilités en matière de testament.

3.2

Proposition de la minorité

Le nouvel art. 473, al. 2, CC prévoit clairement que le testateur qui décide d'attribuer l'usufruit au conjoint survivant peut disposer librement d'un quart de l'héritage.

3.3

La question du droit transitoire

La question se pose de savoir s'il est nécessaire que le législateur prévoie, dans le droit transitoire, une disposition réglant le montant de la quotité disponible selon l'art. 473 CC pour les cas où la succession est ouverte, mais où le partage n'a pas encore eu lieu. Une telle disposition est superflue: d'une part, le problème ne se

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présentera que rarement et, d'autre part, on peut supposer que les tribunaux trancheront déjà en adéquation avec le nouveau droit.

4

Conséquences financières et effets sur l'état du personnel

La révision ne devrait avoir pratiquement aucune conséquence sur le plan financier, ni sur l'état du personnel.

5

Constitutionnalité

Le projet se base sur l'art. 122 de la Constitution fédérale, qui prévoit que la législation en matière de droit civil relève de la compétence de la Confédération.

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