01.028 Message concernant les initiatives populaires fédérales «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)» et «Les animaux ne sont pas des choses!» du 25 avril 2001

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons les initiatives populaires «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)» et «Les animaux ne sont pas des choses!». Nous vous proposons de les soumettre au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de les rejeter. Les projets d'arrêtés fédéraux pertinents figurent en annexe.

Dans la mesure où, à l'issue des délibérations sur l'initiative parlementaire 99.467 «Les animaux dans l'ordre juridique suisse» (Marty Dick), vous décideriez d'opposer aux deux initiatives populaires un contre-projet indirect de rang législatif qui réponde aux objectifs essentiels desdites initiatives, nous pourrions nous rallier à cette décision.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

25 avril 2001

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Moritz Leuenberger La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2390

2001-0618

Condensé A la fin de 1999, le Conseil national a décidé de ne pas entrer en matière sur une révision qui visait à modifier la législation fédérale de telle sorte que les animaux ne soient plus désormais considérés comme des choses au sens juridique du terme. La révision législative proposée se fondait sur deux initiatives parlementaires: 92.437, «L'animal, être vivant» (Loeb) et 93.459, «Animaux vertébrés. Dispositions particulières» (Sandoz). Par la suite, deux initiatives populaires ont abouti. Elles visent toutes deux à inscrire dans la constitution des normes poursuivant le même objectif que la révision législative rejetée par le Conseil national. La première, intitulée «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)», a été déposée le 17 août 2000 et la seconde («Les animaux ne sont pas des choses!»), le 16 novembre 2000. Un autre texte vise le même objectif: l'initiative parlementaire 99.467 «Les animaux dans l'ordre juridique suisse» (Marty Dick), à laquelle le Conseil des Etats a décidé de donner suite et qui est actuellement examinée par la Commission des affaires juridiques de ce conseil.

Les deux initiatives populaires susmentionnées visent à ancrer dans la Constitution le principe selon lequel les animaux ne sont pas des choses au sens juridique du terme ainsi qu'à charger le législateur de procéder aux modifications du droit qu'impliquerait l'application de ce principe. Au surplus, l'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses» entend charger le législateur de pourvoir à ce que les animaux puissent être représentés d'office par des défenseurs adéquats. Ces deux initiatives poursuivent donc, pour l'essentiel, les deux objectifs suivants: ­

mieux tenir compte des spécificités des êtres vivants que sont les animaux en modifiant les dispositions législatives qui leur confèrent le statut de choses au sens du droit civil;

­

en cas d'action tendant à faire appliquer des dispositions protégeant les animaux, leur conférer une position plus favorable sur le plan de la procédure.

Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander au peuple et aux cantons le rejet des deux initiatives. Il a déjà clairement déclaré qu'il était favorable à une modification du statut des animaux tendant à ce qu'ils ne soient plus considérés comme des choses du point de vue juridique et à ce que l'on tienne mieux compte de leurs spécificités d'êtres vivants, en particulier en droit civil et en droit pénal. En ce sens, le Conseil fédéral souscrit aux objectifs fondamentaux des deux initiatives. Toutefois, il est également d'avis que ces objectifs ne sauraient être réalisés par le biais d'une disposition constitutionnelle, mais qu'ils ne peuvent l'être que moyennant l'adoption d'une réglementation de rang législatif. Cela vaut tout particulièrement pour la réglementation qu'il y aura éventuellement lieu d'adopter en matière de droit procédural.

Dans la mesure où, à l'issue des délibérations sur l'initiative parlementaire Marty, les Chambres fédérales décideraient d'opposer aux deux initiatives populaires un contre-projet indirect de rang législatif qui réponde aux objectifs essentiels desdites initiatives, le Conseil fédéral souscrirait à ce mode de procéder.

2391

Message 1

Le point de la situation

1.1

Initiatives parlementaires Loeb et Sandoz

Le 24 août 1992, le conseiller national Loeb a déposé une initiative parlementaire conçue en termes généraux intitulée «L'animal, être vivant» (92.437; ci-après «initiative parlementaire Loeb») qui demandait que les animaux ne soient plus considérés comme des choses dans la législation fédérale. Le 16 décembre 1993, Mme Suzette Sandoz, alors conseillère nationale, a déposé, à son tour, une initiative «Animaux vertébrés. Dispositions particulières» (93.459; ci-après «initiative parlementaire Sandoz»), également conçue en termes généraux. Elle demandait que le code civil1 (CC) consacre la qualité particulière des vertébrés en tant qu'êtres vivants. Le 17 décembre 1993 (Initiative Loeb) et le 16 décembre 1994 (Initiative Sandoz), le Conseil national a décidé de donner suite à ces deux initiatives parlementaires. Suite à cette décision, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a élaboré un projet de révision du CC, du code des obligations2 (CO), du code pénal3 (CO) et de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite4 (LP). Cette révision visait à consacrer en droit suisse le principe selon lequel les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Toutefois, elle prévoyait aussi qu'en l'absence de réglementation spéciale, les dispositions correspondantes des droits réels étaient applicables aux animaux (rapport de la commission du 18 mai 1999)5. Lors de la consultation menée en 1998, la réglementation proposée a rencontré un écho largement favorable. Dans un avis daté du 20 septembre 19996, le Conseil fédéral a également souscrit, sur le principe, à la réglementation préconisée; il a cependant proposé quelques corrections de détail dans le domaine du droit de propriété et en matière de dommages-intérêts. Le 13 décembre 1999, le Conseil national, a décidé, contre l'avis de sa Commission des affaires juridiques, de ne pas entrer en matière sur les réformes proposées, décision qui fut confirmée le 16 décembre 1999, lors d'un vote sur une proposition de revenir sur ces réformes7.

1.2

Conséquences de la décision de ne pas entrer en matière sur les initiatives parlementaires Loeb et Sandoz

La décision du Conseil national a suscité des réactions à différents niveaux. Tout d'abord, le 22 décembre 1999, le conseiller aux Etats Dick Marty a déposé sur le même sujet une initiative parlementaire rédigée de toutes pièces intitulée «Les animaux et l'ordre juridique suisse» (ci-après «initiative parlementaire Marty»); le 16 novembre 2000, le Conseil des Etats, suivant en cela la proposition de sa Com1 2 3 4 5 6 7

RS 210 RS 220 RS 311.0 RS 281.1 FF 1999 8118 FF 1999 8880 BO 1999 N 2492 et 2540

2392

mission des affaires juridiques, a décidé de donner suite à l'initiative8; le projet de loi correspondant est en cours d'examen au sein de ladite commission.

Par ailleurs, durant l'année 2000, les deux initiatives populaires qui font l'objet du présent message ont été déposées. Selon l'art. 28, al. 1, de la loi sur les rapports entre les conseils9 (LREC), si plusieurs initiatives concernant la même question constitutionnelle sont déposées auprès de la Chancellerie fédérale, l'initiative déposée la première est traitée en premier lieu, puis soumise à la votation populaire. Toutefois, par souci de cohérence et de rationalité, le Conseil fédéral a décidé de traiter des deux initiatives populaires dans le même message, tout en soumettant au Parlement, deux projets d'arrêté fédéral distincts, conformément à l'art. 28, al. 1, LREC.

2

Initiative populaire «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)»

2.1

Forme de l'initiative

2.1.1

Teneur

Présentée sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, l'initiative populaire «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)» a été déposée le 17 août 2000 à la Chancellerie fédérale, munie de 140 708 signatures valables. L'initiative a la teneur suivante: La Constitution fédérale du 18 avril 1999 est complétée comme suit: Art. 79a (nouveau) Statut juridique des animaux 1

Les animaux ne sont pas des choses, mais des êtres vivants doués de sensibilité.

2

La Confédération définit leur statut juridique, en particulier dans le droit civil, pénal et administratif.

2.1.2

Aboutissement

Par décision du 25 septembre 2000, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative populaire «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)» avait formellement abouti10.

2.1.3

Délai de traitement

Conformément à l'art. 29, al. 1, LREC, le Conseil fédéral a jusqu'au 18 août 2001 pour soumettre à l'Assemblée fédérale son message concernant l'initiative populaire.

8 9 10

BO 2000 E 532 RS 171.11 FF 2000 4634

2393

2.2

Validité

2.2.1

Unité de la forme

Selon les art. 139, al. 2 et 3, et 194, al. 3, Cst., une initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale ne peut revêtir que la forme d'une proposition conçue en termes généraux ou celle d'un projet rédigé. Les formes hybrides ne sont pas autorisées. L'initiative «pour les animaux» revêt, dans sa totalité, la forme d'un projet rédigé. Elle respecte donc le principe de l'unité de la forme.

2.2.2

Unité de la matière

Le principe de l'unité de la matière au sens des art. 139, al. 3, et 194, al. 2, Cst. vise à garantir que le texte de l'initiative sur lequel le souverain sera appelé à voter ne porte pas sur plusieurs points n'ayant aucune relation objective les uns avec les autres. Il s'agit, en fait, de garantir que le processus de libre formation de l'opinion des électeurs ne soit pas faussé.

L'«initiative pour les animaux» a pour seul thème le statut des animaux en droit suisse. Elle vise à ce que celui-ci soit adapté de telle sorte que les animaux ne soient plus considérés comme des «choses» au sens juridique du terme. L'initiative respecte donc le principe de l'unité de la matière.

2.2.3

Compatibilité avec le droit international

L'art. 139, al. 3, et l'art. 194, al. 2, Cst. disposent que les initiatives populaires tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale doivent respecter les règles impératives du droit international. En voulant conférer aux animaux un statut juridique spécial, l'initiative vise à réformer un aspect particulier des droits réels et à adapter en conséquence les autres domaines du droit. Elle ne viole donc en rien les normes impératives du droit international.

2.2.4

Faisabilité

Quand bien même la Constitution fédérale ne le prévoit pas expressément, il y a lieu, selon une pratique qui remonte à de nombreuses années, d'examiner si les initiatives populaires sont concrètement réalisables11. A cet égard, le texte de l'«initiative pour les animaux» ne suscite aucune réserve, car les révisions législatives qu'il requiert peuvent être mises en oeuvre sans difficultés.

11

Cf. notamment FF 1998 210 et les références qui y figurent.

2394

3

Initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!»

3.1

Forme de l'initiative

3.1.1

Teneur

Présentée sous la forme d'un projet rédigé, l'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!» a été déposée le 16 novembre 2000 à la Chancellerie fédérale, munie de 108 526 signatures valables. L'initiative a la teneur suivante: La Constitution fédérale du 18 avril 1999 est complétée comme suit: Art. 79a (nouveau) 1 Les animaux sont des êtres vivants dont la dignité, les perceptions et la sensibilité à la douleur doivent être prises en considération par l'être humain.

2

Le législateur fédéral définit les droits particuliers qui reviennent aux animaux et institue des défenseurs adéquats chargés de les représenter.

3.1.2

Aboutissement

Par décision du 21 décembre 2000, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!» avait formellement abouti12.

3.1.3

Délai de traitement

Conformément à l'art. 29, al. 1, LREC, le Conseil fédéral a jusqu'au 17 novembre 2001 pour soumettre à l'Assemblée fédérale son message concernant l'initiative populaire.

3.2

Validité

3.2.1

Unité de la forme

L'initiative «Les animaux ne sont pas des choses!» revêt, dans sa totalité, la forme d'un projet rédigé. Elle respecte donc le principe de l'unité de la forme.

3.2.2

Unité de la matière

L'initiative «Les animaux ne sont pas des choses!» a pour seul thème le statut des animaux en droit suisse. Elle vise à ce que celui-ci soit adapté de telle sorte que les animaux ne soient plus considérés comme des «choses» au sens juridique du terme.

L'initiative respecte donc le principe de l'unité de la matière.

12

FF 2001 2

2395

3.2.3

Compatibilité avec le droit international

En voulant conférer aux animaux un statut juridique particulier, l'initiative vise à réformer un aspect particulier des droits réels et à adapter en conséquence les autres domaines du droit. Elle ne viole donc en rien les normes impératives du droit international.

3.2.4

Faisabilité

A cet égard, le texte de l'initiative «Les animaux ne sont pas des choses!» ne suscite aucune réserve, car les révisions législatives qu'il requiert peuvent être mises en oeuvre sans difficultés.

4

Situation juridique dans les domaines touchés par les deux initiatives

4.1

Sous l'angle constitutionnel

L'actuel art. 122, al. 1, Cst. confère à la Confédération la compétence générale de légiférer en matière de droit civil. Cette compétence s'étend également au domaine des droits réels qui, d'une part, définit la notion de «chose» et, d'autre part, règle les relations juridiques des sujets de droit avec les choses. Les droits réels n'ont pas seulement des implications dans le domaine du droit civil proprement dit et du droit public complémentaire, à savoir les normes indispensables en matière d'organisation et d'exécution13. Ils ont également des incidences directes en droit pénal (p. ex. en cas d'infraction contre le patrimoine), en droit de procédure ainsi que dans les domaines du droit administratif qui se réfèrent aux notions et effets juridiques des droits réels. Les droits réels présentent un lien avec la garantie de la propriété ancrée à l'art. 26 Cst. en ce sens que cette disposition érige la propriété au rang d'institution et en protège la valeur en prévoyant une indemnité en cas de restriction14. Toutefois, en vertu notamment de l'art. 122, al. 1, Cst., c'est au législateur qu'il appartient de définir la manière dont cette institution doit être aménagée concrètement et de circonscrire ce qui relève de la propriété15.

4.2

Sous l'angle législatif

4.2.1

Assujettissement aux droits réels

Selon le droit civil en vigueur, les animaux sont considérés comme des choses et non comme des sujets de droit. Ils peuvent donc être acquis à titre de propriété et sont considérés, le cas échéant, comme valeur patrimoniale. Compte tenu de ce statut, toutes les dispositions de l'ordre juridique qui font référence ou se fondent sur la 13 14 15

Cf. Blaise Knapp, in Commentaire de la Constitution fédérale, art. 64, no 36 ss.

FF 1997 I 175 Cf. Jörg Paul Müller, Grundrechte in der Schweiz, 3e éd., Berne 1999, p. 596 ss et références citées.

2396

notion de propriété au sens des droits réels valent aussi pour les animaux. Ainsi, les animaux acquis à titre de propriété sont considérés, du point de vue fiscal, comme des éléments de fortune; par ailleurs, le vol des animaux et les dommages qui leur sont causés tombent sous le coup du droit pénal; enfin, leurs propriétaires peuvent être appelés à répondre des dégâts provoqués par les animaux eux-mêmes, etc.

4.2.2

Normes de protection en droit public

Les nombreuses normes de protection existant en droit public, qui restreignent la liberté de disposer du propriétaire, témoignent à suffisance de ce que le régime juridique actuel ne considère pas les animaux comme de simples objets inanimés. Le texte majeur à cet égard est la loi fédérale du 9 mars 197816 (LPA) sur la protection des animaux, qui vise à assurer la protection et le bien-être des animaux vertébrés et se réfère à l'animal en tant qu'être vivant (cf. art. 1 et 2 LPA). La révision en cours de la LPA vise à apporter toute une série d'innovations aux normes de protection des animaux couverts par la loi. Toutefois, elle n'a aucune incidence sur la réforme du statut des animaux en droit civil. Les animaux sauvages sont, quant à eux, protégés par des normes figurant dans la loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage17 (LPN), dans la loi fédérale du 20 juin 1986 sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages18 ainsi que dans la loi fédérale du 21 juin 1991 sur la pêche19. Ces normes règlent divers aspects de la protection des espèces ainsi que les problèmes relatifs à l'acquisition d'animaux sauvages. On trouve encore d'autres normes dans la loi fédérale du 1er juillet 1966 sur les épizooties20, qui vise au premier chef à protéger l'animal en tant que bien économique.

L'ensemble de ces réglementations montre que le statut de l'animal au regard du droit civil et du droit de la propriété n'influe certes pas de manière décisive sur l'étendue et l'applicabilité des normes de protection, mais reflète bel et bien la place que le droit suisse réserve aux animaux.

4.3

Droit comparé

4.3.1

Relation avec le droit européen

Le droit européen (nous entendons par là également celui de l'Union européenne) ne contient aucune disposition sur la protection des animaux dans les rapports de droit privé. Il assure plutôt la protection des animaux de façon directe (cf. p. ex. la Convention européenne du 13 novembre 198721 pour la protection des animaux de compagnie, notamment les art. 6 et 8, la Convention européenne du 13 décembre 196822 sur la protection des animaux en transport international, la Convention européenne du 10 mars 197623 sur la protection des animaux dans les élevages, la Convention 16 17 18 19 20 21 22 23

RS 455 RS 451 RS 922.0 RS 923.0 RS 916.40 RS 0.456 RS 0.452 RS 0.454

2397

européenne du 18 mars 198624 sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques, ainsi que la Convention européenne du 10 mai 197925 sur la protection des animaux d'abattage).

4.3.2

Etat de la législation dans quelques Etats européens

La Suisse est apparemment le seul Etat d'Europe occidentale à avoir inscrit l'objectif de la protection des animaux dans sa constitution. On notera cependant que 9 länder allemands en ont fait de même dans leur loi fondamentale26. Hormis ces exceptions, on ne trouve, dans les constitutions des Etats d'Europe occidentale, aucune norme ayant trait au statut des animaux en droit privé27.

Au niveau législatif, le droit privé des Etats européens considère, en règle générale, les animaux comme des biens meubles28. L'Allemagne et l'Autriche font toutefois exception.

Ainsi, le code civil de la République fédérale d'Allemagne (BGB) dispose que les animaux ne sont pas des choses29. Toutefois, comme les prescriptions applicables aux choses continuent de valoir également pour les animaux, cette disposition n'a eu jusqu'ici aucune incidence sur la jurisprudence30. En revanche, les modifications du droit en matière de dommages-intérêts et d'exécution forcée31 dont s'est accompagnée la naissance de l'art. 90a BGB et qui ont trait au statut juridique des animaux dans les domaines considérés, ont eu davantage d'impact sur la jurisprudence.

Quant au code civil autrichien (ABGB), il contient une réglementation similaire à celle du code civil allemand32. Mais, dans ce pays également, il semble que cette réglementation n'ait encore eu aucune incidence directe sur la jurisprudence33.

Le droit français confère lui aussi aux animaux un statut contrasté: alors que la législation relative à la protection des animaux définit ceux-ci comme étant des «êtres sensibles», l'art. 528 du code civil les considère comme des «biens meubles»34.

24 25 26 27 28 29

30 31 32

33 34

RS 0.457 RS 0.458 Avis de l'Institut suisse de droit comparé (ISDC) du 12 février 2001, ch. 1.1., 2.2., 3.1., 4.1.5, 6, 7.1., 8.1. (avis 00-142; non publié).

Avis ISDC (note 26).

Avis ISDC (note 26).

Le § 90a BGB a la teneur suivante: «Les animaux ne sont pas des choses; ils sont protégés par des lois particulières. Les dispositions concernant les choses leur sont applicables, sauf réglementation contraire» (traduction).

Avis ISDC (note 26), ch. 1.2, et les références citées.

Avis ISDC (note 23), p. 4.

Le § 285a ABGB a la teneur suivante: «Les animaux ne sont pas des choses; ils sont protégés par des lois particulières. Les dispositions concernant les choses ne s'appliquent aux animaux que dans la mesure où il n'existe pas de réglementation contraire» (traduction).

Avis ISDC (note 26), ch. 2.3 et les références citées.

Avis ISDC (note 26), ch. 3 et les références citées.

2398

5

Appréciation des deux initiatives quant à leur teneur

5.1

Interprétation du texte

Pour interpréter le texte d'une initiative populaire, il importe de partir de son libellé et non de la volonté subjective manifestée par les auteurs. Rien n'empêche, toutefois, de prendre en compte les arguments développés à l'appui de l'initiative et les avis exprimés par les auteurs. De même, les circonstances qui ont présidé au lancement de l'initiative peuvent-elles jouer un rôle dans l'interprétation du texte de l'initiative. Quant à l'interprétation de ce texte, elle doit au surplus se faire en recourant aux méthodes usuelles d'interprétation.

5.2

Objectifs des deux initiatives populaires

5.2.1

Objectifs communs

Les deux initiatives visent à charger le législateur de modifier le statut que le droit civil confère actuellement aux animaux. Leurs auteurs estiment, en effet, que le fait que les animaux soient considérés comme des choses au sens juridique du terme ne correspond ni à leur réalité d'êtres vivants sensibles à la douleur ni à la doctrine juridique actuelle. Ils soulignent que les animaux étant à la fois des êtres vivants doués de sensibilité et des éléments de la création ainsi que de l'environnement naturel et culturel de l'homme d'aujourd'hui, ils devraient avoir, sur le plan juridique, un autre statut que celui des autres objets soumis aux droits réel. A cet égard, l'objectif que poursuivent les deux initiatives se recoupe avec les arguments développés dans le rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant les initiatives parlementaires Loeb et Sandoz35 et dans l'avis correspondant du Conseil fédéral36 ainsi qu'avec la jurisprudence du Tribunal fédéral37. Aucune des deux initiatives ne définit précisément la notion d'animal. Cela ne semble d'ailleurs pas nécessaire puisque cette notion fait partie de la langue courante et est suffisamment définie par la zoologie; au besoin, le législateur peut délimiter la notion, par exemple par rapport aux micro-organismes. Quand bien même les nouvelles normes constitutionnelles visées définiront en principe le statut en droit civil de l'ensemble des animaux et plus particulièrement des animaux sauvages, elles ne devraient avoir de portée en pratique que pour les animaux sur lesquels un droit de propriété peut être invoqué en vertu des dispositions des droits réels actuellement en vigueur. Il s'agit des animaux qui sont directement soumis à la liberté de disposer de leur maître, soit principalement des animaux domestiques et des animaux de rente. Eu égard à l'objectif que poursuivent les deux initiatives, point ne devrait être besoin de mentionner expressément que les normes constitutionnelles ne sont censées s'appliquer en principe qu'aux animaux vivants, les animaux morts et leurs différentes parties continuant d'être considérés comme des choses au sens juridique du terme. Ici également, le législateur peut procéder aux délimitations éventuellement requises.

35 36 37

FF 1999 8118 FF 1999 8880 ATF 115 IV 254

2399

5.2.2

Particularités de l'initiative «pour les animaux»

A l'instar d'une norme définitoire, l'al. 1 établit que les animaux ne sont pas «des choses», mais «des êtres vivants doués de sensibilité». Il introduit ainsi dans la constitution la notion de «chose» en tant que notion juridique à contenu indéterminé.

Eu égard notamment à la genèse de l'initiative parlementaire Loeb, on peut toutefois partir de l'idée que cette notion correspond pour l'essentiel à celle qui vaut actuellement en droit civil et en droit pénal, le texte de l'initiative excluant catégoriquement que cette notion puisse s'appliquer aux animaux.

L'al. 2 est une norme attributive de compétence qui donne mandat à la Confédération de légiférer. Son libellé tient compte de la situation juridique exposée notamment au ch. 4.1 et caractérisée par le fait que la notion de chose au sens du droit civil sert aujourd'hui de fondement à différentes réglementations de droit pénal et de droit administratif. Le texte charge le législateur de définir le statut des animaux dans les différents domaines du droit, compte tenu de la nouvelle définition introduite à l'al. 1. Celle-ci étant la seule contrainte à respecter quant au fond, le législateur dispose d'une latitude considérable dans l'exécution de son mandat.

5.2.3

Particularités de l'initiative «Les animaux ne sont pas des choses!»

L'al. 1 du texte de l'initiative remplit une double fonction. A l'instar de l'initiative «pour les animaux», il définit d'abord ceux-ci comme des «êtres vivants» ayant une «dignité, des perceptions et une sensibilité à la douleur». Il oblige ensuite «l'être humain» à prendre en considération les éléments constitutifs de cette définition.

Cette obligation s'adresse tant à l'individu qu'à la collectivité, mais elle n'est pas conçue comme une norme directement applicable aux particuliers; il s'agit bien plutôt d'une disposition à caractère programmatique tel qu'il est usuel d'en trouver à l'échelon constitutionnel (cf. p. ex. art. 41 Cst. relatif aux buts sociaux). Contrairement au titre de l'initiative, le texte lui-même ne contient pas de référence directe à la notion de chose au sens du droit civil.

L'al. 2 s'adresse au législateur. Il lui impartit non seulement le mandat général de définir «les droits particuliers qui reviennent aux animaux», mais lui impose l'obligation relativement concrète d'instituer «des défenseurs adéquats» chargés de représenter les animaux. Cet alinéa instaurerait au niveau constitutionnel une autre contrainte matérielle puisque la future loi devrait prévoir que, lors de l'application des principales normes de protection des animaux, les intérêts de ceux-ci seraient représentés d'office par des défenseurs ad hoc.

2400

5.3

Compatibilité des deux initiatives avec le principe de la hiérarchie des normes juridiques

5.3.1

Faut-il inscrire les objectifs de base dans une norme constitutionnelle?

Jusqu'à aujourd'hui, la concrétisation du droit civil, y compris des droits réels, s'est faite essentiellement au niveau législatif. L'art. 122, al. 1, Cst. confère à la Confédération une large compétence législative en matière de droit civil. Quelques conditions matérielles supplémentaires sont en outre ancrées dans la Constitution sous la forme de droits fondamentaux: principe de l'égalité (art. 8 Cst.), protection des enfants et des jeunes (art. 11 Cst.), protection de la sphère privée (art. 13 Cst.), liberté d'association (art. 23 Cst.), etc. S'agissant des droits réels, les dispositions constitutionnelles qui jouent un rôle majeur sont tout particulièrement la garantie de la propriété (art. 29 Cst.), la liberté économique (art. 27 Cst.) et les garanties de procédure (art. 29 et 30 Cst.). Il est certes concevable qu'en sus des droits fondamentaux qui viennent d'être mentionnés, l'on règle dans la Constitution, de façon ponctuelle, d'autres aspects matériels relevant des droits réels. Toutefois, une telle manière de procéder serait en contradiction avec le principe qui sous-tend la systématique du droit, principe qui veut que les objectifs inscrits dans la constitution soient ­ du moins dans chacune des matières réglées ­ de rang autant que possible équivalent.

En sus des aspects concernant les droits fondamentaux et le droit procédural, qui viennent d'être évoqués, il convient de relever que, depuis toujours, la Constitution fédérale est dénuée de normes matérielles relevant du droit civil. Or, en inscrivant dans la constitution le principe selon lequel les animaux ne sont pas des choses au sens juridique du terme, on donnerait à un aspect des droits réels une importance disproportionnée par rapport au reste de cette matière juridique. La constitution en vigueur permet, d'ores et déjà, au législateur de mettre en oeuvre à l'échelon de la loi les réformes souhaitées par les auteurs des initiatives. Du reste, le Conseil fédéral avait souscrit au projet de loi élaboré à la suite du dépôt des initiatives parlementaires Loeb et Sandoz et il maintiendra sa position dans l'avis qu'il sera amené à rendre à propos de l'initiative parlementaire Marty. Le fait qu'au cours des délibérations sur les initiatives parlementaires Loeb et Sandoz le Conseil national ait refusé d'entrer en matière sur le projet
de loi en question n'est pas un motif suffisant pour justifier que les préoccupations ­ somme toute légitimes ­ des auteurs de l'initiative soient exprimées au travers de normes constitutionnelles. Cela d'autant moins qu'à la suite de l'acceptation de l'initiative parlementaire Marty, le Conseil des Etats est en train d'élaborer un nouveau projet de loi qui répondra, quant au fond, aux objectifs des deux initiatives. De ce point de vue, la conception générale qui sous-tend celles-ci manque de cohérence dès lors qu'elle est contraire au principe de la hiérarchie des normes juridiques.

2401

5.3.2

Faut-il instituer les défenseurs des animaux par une norme constitutionnelle?

L'opportunité d'instituer des «défenseurs d'animaux» fait l'objet des discussions depuis un certain temps. A la différence du «préposé aux problèmes des animaux» (Tierbeauftragte) que connaît, par exemple, le droit allemand38, le «défenseur d'animaux» est censé représenter les intérêts de ceux-ci en vertu de la qualité de partie que lui confère la loi. Le § 17 de la loi zurichoise du 2 juin 199139 sur la protection des animaux, par exemple, charge le Conseil d'Etat de désigner, sur proposition des organisations de protection des animaux, un avocat ayant pour mandat de défendre les droits des lésés dans le cadre de procédures pénales ouvertes pour violation de la législation sur la protection des animaux. Le libellé de l'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses» laisse ­ à juste titre ­ au législateur le soin de déterminer si les défenseurs en question interviendront uniquement dans le cadre de procédures pénales ­ à l'instar de ce que prévoit la législation zurichoise ­ ou bien s'ils seront habilités à représenter les intérêts des animaux également en droit civil et administratif. En revanche, le principe selon lequel les animaux ont droit à de tels défenseurs doit être établi au niveau de la constitution.

Il existe, en droit, différentes possibilités de renforcer, par des normes procédurales, la position de la partie supposée la plus faible ou incapable d'agir en justice. Parmi celles-ci citons, outre l'institution d'un défenseur d'office, le droit de recours des associations, qui obéit à des modalités différentes selon les domaines du droit40. Il s'agit toutefois de normes de procédure qui, pour la plupart, se trouvent dans une loi.

En matière de droit procédural, la constitution se borne actuellement à fixer des principes généraux et à régler des questions de compétences. Dans le cadre des principes généraux du droit41 et du catalogue des droits fondamentaux42 qu'elle définit, la Constitution fédérale consacre toute une série de garanties de procédure43. Les art.

189 et 190 Cst. fixent les compétences du Tribunal fédéral et chargent le législateur de les définir dans les détails. Ces dispositions montrent que le concept qui est à la base de la constitution actuelle respecte le principe selon lequel les normes doivent être établies au degré qui convient. Ce principe serait
violé si l'on inscrivait dans la Constitution des dispositions réglant des questions de procédure les plus diverses.

En ce sens, le libellé de l'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!» ne cadre pas avec le principe susmentionné.

38 39 40

41 42 43

Cf. § 8b de la loi allemande sur la protection des animaux (Tierschutzgesetz; Bundesgesetzblatt 1998 I p. 1105 ss).

LS 554.1 (OS 51 728/54 517).

Par exemple, dans le domaine de la protection de la nature et du paysage (art. 12 LPN), dans celui de la protection de l'environnement (art. 55 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement; RS 814.01) ainsi qu'en matière de protection des consommateurs (art. 21 de la loi fédérale concernant la surveillance des prix; RS 942.20).

Art. 5, al. 2 et 3, Cst. (principe de la proportionnalité et action conforme aux règles de la bonne foi).

Art. 7 s. Cst.

Par ex. aux art. 29 Cst. (garanties générales de procédure), 30 Cst. (garanties de procédure judiciaire), 31 Cst. (privation de liberté) enfin 32 Cst. (procédure pénale).

2402

5.4

Incidences d'une éventuelle acceptation des initiatives populaires

5.4.1

Généralités

Le texte des deux initiatives qui ont été déposées ne modifie en rien la compétence qu'a la Confédération de régler les matières juridiques en question. Ainsi qu'en témoignent les projets d'actes législatifs élaborés à la suite du dépôt des différentes initiatives parlementaires, le droit constitutionnel existant permettrait déjà à la Confédération d'aménager le statut des animaux dans le sens voulu par les auteurs de l'initiative. Les dispositions constitutionnelles proposées innovent toutefois en ce sens qu'elles entendent introduire dans la Constitution quelques exigences de détail dont le législateur devra tenir compte lorsqu'il modifiera le droit civil. De ce point de vue, elles acquerraient sans doute une portée spécifique, mais ne seraient guère compatibles avec les exigences tirées du principe de la hiérarchie des normes juridiques dans le domaine du droit civil44.

Le fait de créer en faveur des animaux une catégorie spéciale d'objets de droit, distincte de celle des choses, est de nature à entraîner des hiatus par rapport à la doctrine juridique traditionnelle puisque, par voie de conséquence, il serait par exemple possible d'acquérir la propriété de «non choses». Du point de vue de la technique législative, il est toutefois possible de résoudre ce problème en prévoyant que les dispositions des droits réels et en particulier les normes relatives au droit de la propriété ne sont applicables aux animaux que dans la mesure où il n'existe pas de réglementation contraire. Telle est la solution qui a été adoptée par l'Allemagne et l'Autriche et qui n'a, apparemment, pas donné lieu à des difficultés particulières45.

5.4.2

«Initiative pour les animaux»

5.4.2.1

Incidences matérielles et du point de vue juridique

Sur le plan matériel, l'acceptation de l'initiative aurait, pour les particuliers et les autorités, des conséquences similaires à celles qui sont exposées dans le rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 18 mai 1999 concernant les initiatives parlementaires Loeb et Sandoz46: nécessité d'adapter le droit successoral et matrimonial aux besoins particuliers qui découlent du statut d'êtres vivants reconnu aux animaux; adaptation indispensable des dispositions relatives à la responsabilité civile et à l'exécution forcée.

En cas d'acceptation de l'initiative pour les animaux, le législateur serait tenu de modifier les dispositions législatives qui partent du postulat que l'animal constitue une chose au sens du droit civil. L'ampleur de la révision pourrait demeurer dans les limites des modifications qu'auraient exigées les initiatives parlementaires Loeb et Sandoz, ainsi que de celles qui sont prévues par l'initiative parlementaire Marty, le législateur bénéficiant en l'occurrence d'une latitude certaine.

En cas d'acceptation de l'initiative, un point pourrait poser certains problèmes: dans quelle mesure la norme selon laquelle «les animaux ne sont pas des choses mais des 44 45 46

Cf. ch. 5.3 supra Cf. ch. 4.3.2 FF 1999 8124 ss

2403

êtres vivants doués de sensibilité» produirait-elle des effets juridiques directs à l'égard des particuliers? Cette question pourrait revêtir une certaine importance, en particulier avant la révision législative qu'appelle la nouvelle norme constitutionnelle. Du point de vue formel, cependant, la révision de la Constitution fédérale ne modifierait en rien les lois fédérales en vigueur. Celles-ci continueraient de lier tant les autorités d'exécution que le Tribunal fédéral47. D'ailleurs, le texte de l'initiative ne prévoit nullement que certaines dispositions législatives deviennent caduques à la date de son entrée en vigueur. Il charge, en revanche, le législateur de procéder aux modifications législatives qui s'imposeraient. Si l'on devait cependant inférer de la nouvelle disposition constitutionnelle qu'elle engendre des droits et des obligations directement applicables aux particuliers, les collisions qui pourraient en résulter entre la nouvelle norme constitutionnelle et les dispositions législatives en vigueur devraient, jusqu'à l'adaptation formelle de ces dernières, être résolues en recourant à la méthode dite de l'interprétation des lois conforme à la Constitution.

5.4.2.2

Conséquences financières et économiques

Une acceptation de l'initiative n'aurait pour la Confédération que des conséquences financières négligeables. De même, ne devrait-elle avoir aucune incidence notable sur l'effectif du personnel. En revanche, selon l'importance des modifications législatives, leur exécution pourrait bien entraîner certaines charges pour les cantons (p. ex. création d'un service auquel s'adresser lorsqu'un animal a été trouvé). Toutefois, celles-ci ne devraient avoir qu'une importance marginale.

En cas d'acceptation de l'initiative, les conséquences économiques seraient probablement négligeables.

5.4.3

Initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!»

5.4.3.1

Incidences matérielles et du point de vue juridique

En tant que l'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!» vise à modifier le statut juridique des animaux, ses incidences matérielles et du point de vue juridique sont identiques à celles de l'initiative «pour les animaux» qui ont été exposées plus haut48.

Les incidences de l'institution, par le législateur, de défenseurs chargés de représenter les intérêts des animaux dépendraient de la forme qui serait donnée à cette institution. Dans l'hypothèse où la loi impartirait à ces défenseurs le mandat de représenter les intérêts des animaux dans le cadre de procédures pénales fondées sur le droit relatif à la protection des animaux, il pourrait effectivement en résulter une amélioration de l'exécution des dispositions matérielles de ce droit. C'est, du reste, ce que confirme le bilan que le canton de Zurich a tiré du fonctionnement d'une institution comparable qui, selon les informations dont nous disposons, donne toute

47 48

Art. 191 Cst.; sur les problèmes qui pourraient résulter d'une collision de normes constitutionnelles et législatives, cf. notamment JAAC 58.2 et les références citées.

Cf. ch. 5.4.2.1

2404

satisfaction49. Si, en revanche, le mandat des défenseurs à instituer était étendu à des litiges relevant du droit privé (p. ex. représentation des intérêts des animaux lors de transferts de propriété en matière de droit successoral ou matrimonial), le législateur aurait à résoudre de notables problèmes de droit matériel, de politique législative et de légistique (délimitation des domaines d'intervention des défenseurs, économie de procédure, honoraires d'avocat et frais de procédure supplémentaires, etc.).

Si l'on devait en arriver à une situation telle que la Constitution fédérale impose à l'ensemble de la Suisse l'institution d'un «avocat des animaux» selon le modèle zurichois, cela entraînerait, dans le domaine de la protection des animaux, un empiétement notable du droit fédéral sur les compétences des cantons en matière de procédure, d'exécution et d'organisation. Le Conseil fédéral estime, pour sa part, qu'en l'occurrence le droit fédéral ne devrait prescrire des modalités que dans la mesure où cela répond à une impérieuse nécessité et qu'il faut laisser aux cantons le soin de déterminer s'il y a lieu d'instituer un «avocat des animaux» et, dans l'affirmative, sous quelle forme.

5.4.3.2

Conséquences financières et économiques

Pour ce qui est des conséquences financières qu'aurait l'acceptation de l'initiative en raison du changement de statut juridique des animaux, nous renvoyons aux considérations émises à propos de l'initiative «pour les animaux»50.

L'institution obligatoire d'avocats chargés de défendre les intérêts des animaux se traduirait, pour sa part, par certaines charges financières supplémentaires qui, selon la forme donnée à cette institution, grèveraient principalement les cantons, mais également les détenteurs d'animaux. Selon les informations fournies par le canton de Zurich, l'indemnisation des avocats assurant, à titre accessoire, la représentation des animaux s'est élevée en moyenne à 35 500 francs par an durant la période 1995­ 2000 et à 40 000 francs par an durant la période 1998­2000. En partant de l'hypothèse selon laquelle l'ampleur des coûts est en relation plus ou moins directe avec le nombre d'habitants d'un canton (nombre qui permet également d'évaluer indirectement celui des animaux domestiques) et le nombre d'animaux de rente qui y est recensé, il est possible de supputer les coûts maximaux qu'une institution similaire à celle que connaît le canton de Zurich engendrerait pour les autres cantons. Si l'on ajoute au chiffre de la population du canton de Zurich (1999: 1 198 600) l'effectif des animaux de rente qui y ont été recensés et que l'on met en relation le total obtenu avec le montant annuel des frais (40 000 francs), on obtient un quotient de 0.0294402. Si l'on applique ce quotient à l'ensemble des cantons (chiffre de la population en 1999: 7 164 400; effectif des animaux de rente en 1999: 3 485 506), on aboutit à un montant total d'environ 315 000 francs. Si l'on applique le même quotient au seul canton de Fribourg, par exemple, (chiffre de la population en 1999: 234 300; effectif des animaux de rente en 1999: 228 986), l'institution d'un «avocat des animaux» à titre accessoire, selon le modèle zurichois, coûterait à ce canton 14 000 francs par an en moyenne. Notons encore que ce calcul revient simplement à convertir proportionnellement les coûts moyens réels d'un canton donné par rapport aux données de base déterminantes pour la Suisse ou les autres 49

50

Avis de l'Office vétérinaire du canton de Zurich du 10 janvier 2001; voir aussi Antoine Goetschel, Der Zürcher Rechtsanwalt in Tierschutzstrafsachen, in: Revue pénale suisse, 112 (1994), p. 64 ss.

Cf. ch. 5.2.2.2

2405

déterminantes pour la Suisse ou les autres cantons. Ce mode de calcul permet néanmoins d'estimer de manière quelque peu réaliste l'ordre de grandeur dans lequel devraient se situer les charges supplémentaires occasionnées aux cantons. Les chiffres susmentionnés ne tiennent cependant pas compte de l'éventuel surcroît de travail administratif. Toutefois, si l'on part de l'idée que les cantons ont jusqu'ici exécuté correctement la loi sur la protection des animaux, on peut supposer que la nouvelle institution n'entraînerait pas un tel surcroît et qu'elle pourrait même se traduire, bien au contraire, par un allégement des tâches de l'administration.

Les conséquences économiques en cas d'acceptation de l'initiative seraient probablement négligeables.

5.4.4

Incidences sur les intérêts et les engagements internationaux de la Suisse

5.4.4.1

Relations avec l'Union européenne

Le droit de l'Union européenne ne comporte pas de norme régissant la protection des animaux en droit privé. Aussi longtemps que les animaux, notamment ceux de rente, peuvent être librement commercialisés, le statut que leur confèrent les droits nationaux importe peu aux yeux de l'Union européenne, ainsi qu'en atteste d'ailleurs l'absence ­ à notre connaissance ­ de tout conflit entre le droit de l'Union européenne et les réglementations adoptées en Allemagne et en Autriche51.

5.4.4.2

Autres engagements de droit international

Les différentes conventions européennes relatives à la protection des animaux52 ne concernent pas le statut juridique des animaux en droit privé. A notre connaissance, aucun autre engagement international conclu par la Suisse n'est susceptible d'être touché par les deux initiatives.

5.5

Solutions de rechange

5.5.1

Un contre-projet direct aux deux initiatives populaires?

Le Conseil fédéral a examiné l'opportunité d'opposer un contre-projet direct aux deux initiatives populaires. Pour les raisons exposées ci-après, il renonce à proposer un tel contre-projet.

Le Conseil fédéral peut se rallier à l'idée qui est à la base des deux initiatives, à savoir adapter le statut de l'animal aux conceptions modernes dans le domaine des droits réels et statuer expressis verbis que l'animal n'est pas une chose au sens juridique du terme. S'il est concevable que cette idée puisse en soi se traduire dans une disposition constitutionnelle, il n'en demeure pas moins que la Constitution actuellement en vigueur permet d'ores et déjà de la concrétiser, puisqu'il suffit pour 51 52

Cf. ch. 4.3.2 Cf. ch. 4.3.1

2406

cela d'aménager ce nouveau statut, ainsi que les éventuelles modifications d'ordre procédural et autres, en procédant à des révisions législatives. S'il est vrai qu'une disposition de rang constitutionnel pourrait être élaborée à titre de contre-projet direct, une telle démarche ne s'impose toutefois nullement53.

Un autre élément plaide contre l'élaboration d'un contre-projet direct: compte tenu de la matière à régler, celui-ci ne pourrait guère offrir, quant au fond, une véritable alternative par rapport au texte des deux initiatives. Il devrait donc peu ou prou se limiter à des aspects rédactionnels. Si les deux initiatives sont différentes, leur teneur est cependant tout à fait compréhensible. Le Conseil fédéral estime donc que, de ce point de vue également, il n'y a aucune raison d'opposer un contre-projet direct aux deux initiatives.

5.5.2

Un contre-projet indirect aux deux initiatives populaires?

L'initiative «pour les animaux» et l'initiative «Les animaux ne sont pas des choses!» ne visent en rien à modifier le régime des compétences législatives instauré par le droit fédéral; elle fixent, en revanche, des objectifs matériels que le législateur devra concrétiser dans les limites de ses attributions54. Il s'agira, en substance, d'aménager la législation fédérale de telle sorte que les animaux ne soient plus considérés comme des choses au sens de la conception qui prévaut actuellement dans le domaine des droits réels. Pour atteindre pleinement cet objectif, il suffirait de modifier les lois pertinentes. Certes, un projet de révision législative allant dans ce sens, qui faisait suite aux initiatives parlementaires Loeb et Sandoz55, a récemment échoué devant le Conseil national, mais le Conseil des Etats a, pour sa part, décidé de donner suite à l'initiative parlementaire Marty56 et sa Commission des affaires juridiques délibère actuellement de la manière de concrétiser les objectifs de ladite initiative au niveau législatif. Dans ces conditions, le Conseil fédéral n'a, pour l'instant, aucune raison de proposer, par le biais d'un contre-projet indirect, une autre variante de texte normatif de rang législatif; il aura l'occasion d'exprimer son point de vue lorsqu'il sera consulté sur le rapport que ladite commission est en train d'élaborer à propos de l'initiative parlementaire Marty. Dans l'hypothèse où le projet de loi présenté par la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats répondrait aux objectifs essentiels des deux initiatives populaires et où il serait adopté dans les délais tant par le Conseil National que par le Conseil des Etats, ce projet de loi pourrait être opposé aux deux initiatives populaires à titre de contre-projet indirect.

53 54 55 56

Cf. ch. 5.4 Cf. ch. 5.2 Cf. ch. 1.1 Cf. ch. 1.2

2407

6

Résumé de l'appréciation des deux initiatives populaires et de l'initiative parlementaire «Les animaux dans l'ordre juridique suisse» (Marty)

Les deux initiatives populaires et l'initiative parlementaire Marty visent ­ sous des formes différentes et à des degrés normatifs différents ­ le même objectif: réformer le droit de telle sorte que les animaux ne soient plus considérés comme des choses selon la conception qui prévaut traditionnellement dans le domaine des droits réels, mais aient en principe un statut qui tienne compte du fait qu'ils sont des êtres vivants doués de perceptions et d'une sensibilité à la douleur. Lors de l'examen des initiatives parlementaires Loeb et Sandoz, le Conseil fédéral a déjà déclaré qu'il souscrivait à cet objectif et il n'a aujourd'hui aucune raison de modifier sa position.

Les deux initiatives populaires visent à inscrire cet objectif dans une norme constitutionnelle que le législateur serait chargé de concrétiser. Le Conseil fédéral estime que ce mode de procéder n'est que partiellement conforme au principe de la hiérarchie des normes juridiques; pour sa part, il continue de donner la préférence à une réglementation de rang législatif. Celle-ci pourrait être obtenue à la faveur d'une révision législative allant dans le sens de l'initiative parlementaire Marty.

L'initiative populaire «Les animaux ne sont pas des choses!» exige non seulement l'inscription dans la constitution du principe susmentionné, mais prévoit également qu'une norme constitutionnelle garantisse une représentation des animaux par des défenseurs adéquats. Or une telle norme n'est pas conforme au principe de hiérarchie des normes juridiques, qui veut que des questions de procédure soient réglées au niveau de la loi. Au surplus, la réglementation visée empiéterait, dans une mesure qui n'est pas absolument justifiée, sur l'autonomie dont jouissent, en droit administratif, les cantons en matière d'exécution et d'organisation.

Compte tenu de ces considérations, le Conseil fédéral vous propose de soumettre les initiatives populaires «pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)» et «Les animaux ne sont pas des choses!» au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de les rejeter.

S'il advenait toutefois que Chambres fédérales adoptent, dans le délai de traitement des deux initiatives populaires, un projet de révision législative faisant suite à l'initiative parlementaire Marty, qui réponde aux
objectifs essentiels des deux initiatives populaires, le Conseil fédéral pourrait souscrire à ce que cette révision législative soit opposée aux deux initiatives populaires à titre de contre-projet indirect.

2408