01.025 Message concernant l'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» du 4 avril 2001

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Nous vous soumettons le message ainsi que le projet d'arrêté concernant l'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» et vous proposons de la soumettre sans contre-projet au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

4 avril 2001

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Moritz Leuenberger La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2001-0611

3265

Condensé L'initiative «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» vise à introduire, pour un groupe de délinquants, un internement soumis à des conditions de libération restrictives. Une libération ne peut être examinée que si de nouvelles connaissances scientifiques permettent d'établir que le délinquant peut être amendé et qu'il ne présente dès lors plus de danger pour la collectivité. L'initiative prévoit également que les expertises portant sur les délinquants sexuels et violents doivent toujours être rendues par deux experts indépendants l'un de l'autre et que les autorités peuvent être rendues responsables de la récidive de délinquants élargis. Cette initiative se fait certes l'écho de préoccupations justifiées. Toutefois, bien que, pour certaines questions, le nouvel article constitutionnel proposé soit formulé de manière très large et qu'il laisse une grande place à l'interprétation, les nouveautés proposées ne vont que dans une mesure très restreinte au-delà de ce que prévoit le droit actuel.

Le droit actuel permet aujourd'hui déjà l'internement à vie. L'initiative limite cependant les catégories de personnes susceptibles d'en faire l'objet. Elle vise en outre en premier lieu des délinquants souffrant d'un trouble mental, et ne s'applique donc pas à une bonne partie des délinquants dangereux. Cette lacune pourrait toutefois, le cas échéant, être comblée par une interprétation très extensive. De plus, les sécurités prévues par l'initiative pour la libération de délinquants dangereux sont trop compliquées, disproportionnées et ne sont en fin de compte pas plus sévères que celles qui sont déjà observées actuellement dans la pratique. En outre, il ne peut être tenu compte de divers principes de la CEDH et de celui de la proportionnalité que par le biais d'une interprétation qui est certes tout juste encore compatible avec le texte de l'initiative mais qui contredit en partie la volonté de ses auteurs.

L'initiative présente aussi un caractère contradictoire, dans la mesure où, tout en excluant un quelconque élargissement anticipé, elle permet la libération de délinquants qui sont encore extrêmement dangereux. L'exclusion du congé, en principe justifiée pour les délinquants extrêmement dangereux, est plus douteuse dans les cas où l'on
peut exclure un danger de récidive ou de fuite. La responsabilité que l'on veut mettre à la charge des autorités est déjà contenue notamment dans le code pénal et les lois sur la responsabilité.

Le 21 septembre 1998, le Conseil fédéral a soumis au Parlement un projet de révision de la partie générale du code pénal. L'un des points centraux de cette révision est la volonté de protéger la collectivité à l'égard des délinquants dangereux. Le Conseil fédéral a prévu à cet effet une nouvelle forme d'internement de sécurité à vie, applicable à tous les délinquants qui ont commis des infractions graves et qui présentent un risque de récidive. Contrairement à l'internement proposé dans l'initiative, cet internement ne se limite pas aux délinquants sexuels et violents, ni aux délinquants extrêmement dangereux, ni à ceux qui souffrent d'un trouble mental.

L'internement du Conseil fédéral fait également partie intégrante d'un concept global de nouvelles mesures de protection. Sont notamment prévus des établissements de sécurité particuliers pour le traitement des délinquants dangereux atteints d'un trouble mental, des conditions de libération plus restrictives et un étayage plus

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large des pronostics chez tous les délinquants qui ont commis des actes graves. Il n'y a donc pas lieu de proposer un contre-projet à l'initiative.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose de soumettre au peuple et aux cantons l'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables», en recommandant de la rejeter, sans présenter de contre-projet.

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Message 1

Initiative «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables»

1.1

Teneur

L'initiative populaire a la teneur suivante: La constitution fédérale (du 29 mai 1874) est complétée comme suit: Art. 65bis (nouveau) 1

Si un délinquant sexuel ou violent est qualifié d'extrêmement dangereux et non amendable dans les expertises nécessaires au jugement, il est interné à vie en raison du risque élevé de récidive. Toute mise en liberté anticipée et tout congé sont exclus.

2

De nouvelles expertises ne sont effectuées que si de nouvelles connaissances scientifiques permettent d'établir que le délinquant peut être amendé et qu'il ne représente dès lors plus de danger pour la collectivité. L'autorité qui prononce la levée de l'internement au vu de ces expertises est responsable en cas de récidive.

3

Toute expertise concernant le délinquant est établie par au moins deux experts indépendants qui prennent en considération tous les éléments pertinents.

1.2

Historique

L'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» a été déposée le 3 mai 2000 par ses auteurs, pourvue de 194 390 signatures valables. Dans sa décision du 13 juin 2000, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait valablement abouti1.

La Chancellerie fédérale a vérifié les exigences légales, quant à la forme, des listes de signatures ainsi que les traductions de l'initiative avant le début de la collecte des signatures2. La décision prise sur ces points reproduit également la clause de retrait qui autorise sept des auteurs de l'initiative à la retirer sans réserve à la majorité absolue.

1.3

But des auteurs de l'initiative

L'initiative s'inscrit dans le contexte des efforts accrus entrepris depuis le début des années nonante pour protéger la collectivité contre le risque de récidive présenté par certains délinquants lors d'un congé ou d'une libération conditionnelle. Elle vise à introduire un internement sans congé pour un groupe de délinquants très dangereux et à restreindre leurs possibilités de libération. Les auteurs de l'initiative craignent qu'un examen trop fréquent d'une éventuelle mise en liberté de tels délinquants soit 1 2

FF 2000 3124 FF 1998 4357

3268

susceptible de générer un trop grand nombre d'erreurs. Ils sont d'avis qu'à l'heure actuelle les délinquants sont relâchés trop rapidement, et sur la base d'expertises insuffisantes. Ils exigent dès lors une plus grande sévérité, qu'ils entendent obtenir par le biais de critères scientifiques.

1.4

Règles d'interprétation d'une initiative

Pour l'interprétation du texte d'une initiative populaire, il y a en principe lieu de se référer à la lettre et non à la volonté subjective des auteurs de l'initiative. Une éventuelle motivation de la volonté populaire et les opinions exprimées par les auteurs de l'initiative peuvent cependant être prises en considération. Si les circonstances qui ont donné lieu à une initiative peuvent certes également jouer un rôle pour l'interprétation, l'interprétation du texte lui-même se fait selon les règles reconnues en la matière.

1.5

Délais de traitement

L'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» a été déposée le 3 mai 2000. Lorsqu'une initiative populaire exige une révision partielle de la constitution et qu'elle est présentée sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, l'Assemblée fédérale décide, dans un délai de 30 mois à compter du jour où elle a été déposée, si elle approuve ou non l'ensemble des parties valables de l'initiative telles qu'elles sont formulées (art. 27, al. 1, loi fédérale du 23 mars 1962 sur la procédure de l'Assemblée fédérale ainsi que sur la forme, la publication et l'entrée en vigueur des actes législatifs; loi sur les rapports entre les conseils; RS 171.11). Ainsi les Chambres fédérales doivent-elles traiter la présente initiative d'ici au 3 novembre 2002.

1.6

Adaptation à la nouvelle Constitution fédérale

Après l'adoption de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, l'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» ne pourra comporter la même numérotation que jusqu'à présent (art. 65bis); celle-ci devra être adaptée à la nouvelle Constitution fédérale (art. 123a).

Le texte lui-même de l'initiative ne nécessite en revanche pas, dans le cas particulier, d'adaptation rédactionnelle (qui serait en principe possible selon le ch. III des dispositions finales de la nouvelle Constitution fédérale).

2

Validité de l'initiative

2.1

Unité de la forme

Une initiative peut revêtir la forme d'une proposition conçue en termes généraux ou celle d'un projet rédigé de toutes pièces (art. 139, al. 2, et 194, al. 3, Cst.). Selon l'art. 75, al. 3, de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (RS 161.1), les formes mixtes ne sont pas admises.

3269

La présente initiative revêt la forme d'un projet rédigé de toutes pièces. L'unité de la forme est donc respectée.

2.2

Unité de la matière

Une initiative ne doit avoir pour objet qu'une seule matière (art. 139, al. 3, et 194, al. 2, Cst.). L'unité de la matière est respectée lorsqu'il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties de l'initiative (art. 75, al. 2, de la loi fédérale sur les droits politiques).

Le thème central de l'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» est l'internement à vie, soit les conditions requises pour l'ordonner, l'exclusion de tout congé ou de toute libération anticipée, les conditions auxquelles une nouvelle expertise peut être effectuée, l'expertise relative aux délinquants sexuels et violents, ainsi que la responsabilité encourue en cas de récidive par l'autorité ayant ordonné la libération de tels délinquants. Il ne fait aucun doute qu'il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties de l'initiative et que la condition de l'unité de la matière est donc remplie en l'espèce.

2.3

Mise en oeuvre

La mise en oeuvre de l'initiative «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» s'inscrirait dans le cadre de l'exécution des peines et mesures.

On démontrera ci-après que la mise en oeuvre de l'initiative présente de grosses difficultés et qu'elle pourrait entraîner des situations inéquitables (cf. notamment ch. 3.4 et 3.5). Elle n'est cependant pas vraiment irréalisable.

2.4

Compatibilité avec les règles impératives du droit international

Selon les art. 139, al. 3 et 194, al. 2, Cst., une initiative populaire ne saurait violer des règles impératives du droit international (appellées jus cogens).

Les règles impératives du droit international ont valeur absolue, compte tenu de leur importance pour l'ordre juridique international. On entend notamment par là les garanties de la CEDH3 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques4, auxquelles on ne peut déroger, même pas en état de nécessité. L'initiative a certes des points de contact avec ces conventions internationales (cf. ch. 3.9); il n'y a cependant pas de conflits avec les garanties susmentionnées.

3 4

Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; RS 0.101.

Pacte II; RS 0.103.2; cf. Message relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 441 s.

3270

3

Contenu de l'initiative

3.1

Le problème des délinquants dangereux

Les délinquants dangereux, notamment ceux qui ont perpétré des délits sexuels ou violents graves et pour lesquels il y a lieu d'admettre qu'ils commettront de telles infractions également à l'avenir, représentent une petite minorité de l'ensemble des criminels; les actes de violence, viol et contrainte sexuelle inclus5, équivalent à deux pour cent de toutes les condamnations, les infractions contre les moeurs à moins d'un pour cent. Une étude de l'Office fédéral de la statistique démontre que sur 322 délinquants qui ont été condamnés au cours d'une année pour des actes de violence criminels, seuls trois ont été condamnés pour de nouveaux actes de cette nature au cours des sept années consécutives au jugement. Seulement seize parmi les délinquants primaires ont été condamnés à une peine privative de liberté ferme et, partant, incarcérés. Selon cette étude, aucun de ces cas n'a fait l'objet d'une troisième condamnation6.

La problématique relative à ces délinquants ne se situe cependant pas dans leur nombre, mais dans la gravité des infractions commises et dans le tort qu'ils infligent à d'autres personnes, comme l'ont démontré de manière frappante des événements récents. C'est pourquoi la demande visant à améliorer la protection de la collectivité contre ces délinquants se fait de plus en plus pressante.

Toutefois, la manière dont cet objectif peut être atteint est une question très difficile.

En effet, il est établi, d'un part, que le seul fait que quelqu'un commette une infraction grave ne permet pas encore de conclure à un danger de récidive particulier.

Même des délinquants de ce genre peuvent donc être remis en liberté un jour et, dans la plupart des cas, ils s'amenderont. Un certain risque de récidive subsiste toutefois lors de toutes les libérations. Certes, l'on tente, dans le cadre de l'exécution des peines, de réduire encore ce risque à l'aide d'expertises psychiatriques. Cependant, même les experts qui observent toutes les règles de la diligence professionnelle ne peuvent jamais exclure entièrement une récidive. Dans cette optique, il se pose la question de savoir si l'on peut exiger de la collectivité qu'elle tolère ce risque résiduel. A l'inverse, il existe aussi la possibilité que les experts, au moment du jugement, se trompent en défaveur du délinquant, un argument que l'on peut
avancer pour ne pas les maintenir dans un internement à vie qui n'est pas sujet à un examen.

Un autre point délicat concerne la question de savoir qui doit assumer la responsabilité d'interner un délinquant pour une durée indéfinie. Est-ce le tribunal qui devra statuer, au moment du jugement, qu'un criminel est dangereux à un point tel qu'il doive être interné sa vie durant, ou la responsabilité incombera-t-elle aux autorités d'exécution ou aux commissions spécialisées qui les conseillent?

C'est notamment sur l'arrière-plan de l'assassinat du Zollikerberg que les cantons se sont vus contraints de réviser leurs pratiques en matière de congés et de mises en liberté envers les auteurs d'infractions graves et, au besoin, de les rendre plus sévères.

5

6

Infractions contre la vie et l'intégrité corporelle (art. 111 à 136 CP), brigandage (art. 140 CP), extorsion et chantage (art. 156 CP), menaces (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP), séquestration et enlèvement (art. 183 et 184 CP), prise d'otage (art. 185 CP), viol (art. 190 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP).

Office fédéral de la statistique, Une condamnation pénale en entraîne-t-elle d'autres? De l'existence de trajectoires criminelles, vol. 19, Droit et justice, Berne 1995, p. 24.

3271

Ils ont mis sur pied des commissions dites spécialisées dans l'appréciation des délinquants dangereux, lesquelles assistent de leurs conseils les autorités d'exécution lors de leurs prises de décisions quant au lieu d'exécution des peines, à l'octroi de congés ou aux libérations conditionnelles. Au niveau fédéral, différentes interventions parlementaires ont été déposées, qui exigent pour certaines catégories de délinquants l'introduction de peines privatives de liberté et de mesures dites «à perpétuité effective» ou de peines privatives de liberté incompressibles de 30 ans7. Il a également été exigé qu'un délinquant ne puisse être libéré de l'exécution d'une peine ou d'une mesure que si trois expertises concordantes le préconisent8.

3.2

Buts visés par l'initiative

A l'instar des interventions parlementaires précitées, l'initiative tente également d'améliorer la protection de la collectivité contre les délinquants dangereux. Les mesures qu'elle suggère à cet effet ne sont toutefois pas intégrées à un concept global: l'initiative reprend, pour un petit groupe de criminels, une ancienne revendication que le code pénal actuel a déjà réalisée, à savoir l'introduction d'un internement à vie. Elle ne veut admettre une libération de l'internement que s'il est établi scientifiquement que l'auteur peut être guéri de son comportement anormal. L'initiative laisse cependant ouverte la question de savoir ce qu'il y a lieu de faire avec les délinquants susceptibles de traitement après leur mise en liberté. Enfin, elle souhaite améliorer la qualité des expertises établies en rapport avec un internement en ce sens que deux experts soient sollicités9.

7

8

9

Motion Béguin du 6 décembre 1989: Code pénal. Modification touchant les grands criminels (transmise sous la forme d'un postulat; cf. BO 1990 E 167); motion Keller Rudolf du 29 novembre 1993: Condamnation à perpétuité effective (transmise sous la forme d'un postulat; cf. BO 1995/1 N 268); motion Scherrer Jürg du 14 décembre 1993: Internement des maniaques sexuels (transmise sous la forme d'un postulat; cf. BO 1994 N 586).

Le 4 octobre 1996, le Conseiller aux Etats Thierry Béguin a également déposé une question ordinaire relative à une modification du code pénal touchant les délinquants particulièrement dangereux (BO 1996 E 1196).

Dans ses réponses à ces interventions, le Conseil fédéral a signalé que le droit en vigueur prévoit déjà aussi bien des peines privatives de liberté que des mesures de sûreté sous forme d'internement, susceptibles d'être maintenues jusqu'à la fin de la vie du condamné.

A l'opposé des interventions citées, le code pénal actuel n'exige cependant pas des tribunaux qu'ils apprécient de manière définitive au moment du jugement si un délinquant sera dangereux sa vie durant et devra donc être incarcéré à perpétuité, sans vérification de la sanction. En effet, le tribunal n'est pas en mesure de prévoir la manière dont un délinquant évoluera au cours de vingt années ou plus. C'est pourquoi, selon le code pénal actuel, le tribunal peut certes prononcer une sanction à perpétuité, mais il est du ressort de l'autorité d'exécution, sur la base du comportement et de l'évolution du condamné, de statuer sur une éventuelle mise en liberté.

Cf. Message du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs FF 1999 1894 ss.

3272

3.3

Comparaison de l'initiative avec le droit en vigueur

Afin de mieux relever la portée de l'initiative, il convient d'opérer une comparaison avec le droit en vigueur.

3.3.1

Les formes d'internement d'après le droit en vigueur

Le code pénal (RS 311.0) prévoit deux formes d'internement: l'internement de délinquants d'habitude selon l'art. 42 CP et l'internement des délinquants anormaux d'après l'art. 43, ch. 1, al. 2, CP. L'art. 30b du code pénal militaire (RS 321.0) rend également applicables au droit pénal militaire ces formes d'internement.

L'internement des délinquants d'habitude selon l'art. 42 CP est prévu pour les délinquants qui ont déjà subi des sanctions privatives de liberté en raison de nombreux crimes ou délits10. Il est ordonné en lieu et place d'une peine de réclusion ou d'emprisonnement. Cette forme d'internement n'est pas limitée dans le temps; il peut donc durer jusqu'à la fin de la vie du condamné. Il est levé s'il n'est plus nécessaire, au plus tôt après trois ans, exceptionnellement déjà avant ce terme11. Un trouble mental du délinquant n'est pas une condition pour cette forme d'internement.

L'internement de délinquants anormaux d'après l'art. 43, ch. 1, al. 2, CP peut être ordonné à l'encontre de délinquants qui, en raison de leur état mental, compromettent gravement la sécurité publique12. Il est déjà possible à l'égard de délinquants primaires et peut durer jusqu'à la fin de la vie du condamné. La personne internée est libérée de l'internement soit définitivement (lorsque la cause à la base de la mesure a disparu), soit à l'essai (si la cause fondant la mesure n'a pas complètement disparu).

A l'heure actuelle, l'internement de délinquants d'habitude selon l'art. 42 CP est ordonné de plus en plus rarement13; il n'est plus prévu dans le projet du Conseil fédéral pour la révision de la partie générale du code pénal14. Ci-après, l'internement, tel que proposé par l'initiative, sera en premier lieu opposé à l'internement de délinquants anormaux d'après l'art. 43 CP, avec lequel il présente quelques parallèles.

10 11 12 13 14

Cf. les conditions détaillées à l'art. 42, ch. 1, CP Cf. les conditions détaillées à l'art. 42, ch. 4 et 5, CP Cf. les conditions à l'art. 43 CP 1960: 120 cas; 1970: 68 cas; 1980: 30 cas; 1990: 6 cas; 1995: 6 cas; 1996: 6 cas; 1997: 2 cas; 1998: 3 cas.

Cf. Message concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998; FF 1999 1787 ss.

3273

3.3.2

Teneur du droit en vigueur et de l'initiative

L'internement de délinquants anormaux d'après la teneur de l'art. 43, ch. 1, al. 2, CP est prévu pour les délinquants ­

qui ont commis des crimes ou des délits,

­

qui, en raison de leur état mental, compromettent gravement la sécurité publique et

­

pour lesquels cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d'autrui15.

Selon l'initiative, devront être internés à vie les délinquants ­

qui ont commis des délits sexuels ou violents et

­

qui, dans les expertises nécessaires au jugement, sont qualifiés d'extrêmement dangereux et de non amendables.

3.3.3

Les actes fondant l'application de la mesure

3.3.3.1

Le droit en vigueur

L'internement d'après l'art. 43 CP n'est pas limité à des délinquants qui ont commis des actes punissables bien définis, mais peut fondamentalement entrer en considération pour tous les crimes et délits. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, son application est prévue pour tous «les délinquants particulièrement dangereux qui ne sont accessibles à aucun traitement»16, de même que pour ceux pour lesquels, en dépit d'un traitement ou de soins médicaux, il subsiste le risque sérieux d'une commission d'infractions graves et, avant tout, d'actes de violence, que ce soit à l'intérieur de l'établissement ou à l'extérieur17.

3.3.3.2

L'initiative

L'internement exigé par l'initiative ne doit pouvoir être prononcé qu'à l'encontre d'un «délinquant sexuel ou violent». Doit sans doute être réputée «délinquant sexuel» toute personne ayant commis une infraction contre l'intégrité sexuelle conformément aux art. 187 à 200 CP.

En revanche, la notion de «délinquant violent» est assez indéterminée et ne peut guère être délimitée par le biais des infractions prévues dans la loi, car le code pénal ­ contrairement aux infractions de nature sexuelle ­ ne connaît pas d'actes de violence criminels proprement dits. Un examen de la littérature et de la jurisprudence relatif à la notion de la violence révèle qu'il n'existe pas de définition généralement reconnue à cet égard18. Le code pénal contient, certes, une série d'infractions qui

15 16 17 18

ATF 123 IV 4 ATF 121 IV 301; 118 IV 113 ATF 121 IV 301 s.; 123 IV 6; 118 IV 113 Cf. Frank Schürmann, Der Begriff der Gewalt im schweizerischen Strafgesetzbuch, Basler Studien zur Rechtswissenschaft, Reihe C: Strafrecht, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1986.

3274

supposent expressément l'usage de la violence19, mais ils ne représentent qu'une partie des actes de violence au sens de l'initiative. Celle-ci veut clairement inclure aussi des infractions qui, certes n'exigent pas expressément l'usage de la violence, mais où celle-ci est constitutive de leur essence même20, ainsi, par ex., les infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, notamment les homicides (art. 111 ss CP) et les lésions corporelles (art. 122 ss CP) ou la séquestration et la prise d'otage (art. 183 à 185 CP).

L'art. 260ter CP (organisation criminelle) fait usage de la notion d'acte de violence criminel, la violence étant définie dans ce contexte comme étant une intervention directe sur le corps d'une personne21. L'initiative populaire qui postulait l'indemnisation des victimes d'infractions violentes décrit les actes de violence criminels comme étant des infractions intentionnelles contre la vie et l'intégrité corporelle22.

Les deux définitions seraient toutefois trop étroites dans ce contexte. La première ne comprendrait pas des actes tels que le brigandage et l'incendie intentionnel, alors que la seconde exclurait notamment les infractions contre l'intégrité sexuelle23.

En cas de mise en oeuvre de l'initiative au niveau de la loi, il y aurait donc lieu de créer un catalogue des actes punissables réputés être des «actes de violence» et justifiant un internement. Il faudrait tenir compte, à cet égard, de ce que seuls des «délinquants extrêmement dangereux» doivent être internés.

3.3.3.3

Conclusion

Le champ d'application de l'internement doit encore être concrétisé en ce qui concerne les délinquants dits violents. Vu que l'internement, selon l'initiative, ne peut être ordonné qu'à l'encontre de certains délinquants sexuels ou violents, sa sphère d'application est en tous les cas plus étroite que celle de l'internement dans le droit en vigueur.

19

20 21 22 23

Brigandage (art. 140 CP), extorsion et chantage (art. 156 CP), contrainte (art. 181 CP), séquestration et enlèvement (art. 183 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP), viol (art. 190 CP), émeute (art. 260 CP), haute trahison (art. 265 CP), actes exécutés sans droit pour un Etat étranger (art. 271 CP), violences (art. 279 CP), atteinte au droit de vote (art. 280 CP), violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP), violation de la souveraineté territoriale étrangère (art. 299 CP), faire évader des détenus (art. 310 CP) et mutinerie de détenus (art. 311 CP). L'usage de la violence est également mentionné dans d'autres infractions, il ne concerne toutefois pas le genre de commission de l'acte; cf. par ex. art. 135, 197, 259, 260ter et 275bis CP.

Ceux-ci peuvent cependant aussi être commis sans faire usage de violence à proprement parler, par ex. par une omission.

Cf. FF 1993 III 269; Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkommentar, 2e éd., 1997, N. 7 ad art. 260ter CP et N. 4 ad art. 140 CP.

FF 1983 III 904 La loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI; RS 312.5) ne fait plus usage de la notion. Bénéficie d'une aide toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique (art. 2 LAVI).

3275

3.3.4

La dangerosité du délinquant

3.3.4.1

Le droit en vigueur

L'art. 43 CP décrit le délinquant comme une personne qui, en raison de son état mental, compromet gravement la sécurité publique. La commission d'une infraction grave ne fait pas encore de son auteur un délinquant dangereux. La nature dangereuse n'existe qu'à compter du moment où, avec une certaine probabilité, il y a lieu de supposer que le délinquant commettra des infractions graves (ou, avec une certaine intensité, des actes punissables de gravité moyenne24) également à l'avenir.

Ainsi, d'après le droit en vigueur, la possibilité que l'auteur d'un homicide commette de nouveaux homicides suffit déjà pour un internement25.

3.3.4.2

L'initiative

Vu que l'initiative est dirigée non pas contre des délinquants «dangereux», mais contre des délinquants «extrêmement dangereux», aussi bien la probabilité que la gravité des actes escomptés doivent être particulièrement élevées.

Ainsi, il n'est pas possible de qualifier toute infraction sexuelle ou violente de «grave». Des faits, tels que l'exhibitionnisme (art. 194 CP), les désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel (art. 198 CP) ou une lésion corporelle légère, ne justifieront en aucun cas un internement26. De même, le délit impossible de brigandage ne nécessitera pas un internement. Un catalogue ou une description des «actes de délinquance sexuelle et violente extrêmement dangereux» devant mener à un internement devrait tenir compte de cet aspect. Il ne pourrait inclure que des infractions qui, de par la peine prévue dans le code pénal, sont qualifiées non seulement de «graves», mais également d'«extrêmement graves», conformément au texte de l'initiative.

Selon l'initiative, il faut également exiger une probabilité particulièrement élevée en ce qui concerne le danger de récidive. Ceci est expressément souligné dans le texte de l'initiative, en retenant que le délinquant devrait être interné «en raison du risque élevé de récidive».

3.3.4.3

Conclusion

L'internement d'après l'initiative est dirigé uniquement contre des délinquants qui sont «extrêmement dangereux». Ce sont des délinquants qui, par exemple, ont commis un assassinat, un brigandage ou un viol, par lequel une personne a été très gravement lésée, et pour lesquels il existe un danger élevé qu'ils commettront des infractions de cette gravité également à l'avenir.

24 25

26

Cf. Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil II, Berne 1996, § 11 N. 130 ATF 118 IV 108; lorsque des biens juridiques de haute valeur, tels que la vie et l'intégrité corporelle, sont mis en péril, les exigences posées quant à la proximité et à l'étendue du danger doivent être moins élevées.

L'exhibitionnisme pourrait justifier un internement tout au plus s'il est lié à l'usage de la violence. Selon Norbert Nedopil (Forensische Psychiatrie, 1996, p. 168), il est fait un usage occasionnel de violence physique dans 10 % à 30 % des cas d'exhibitionnisme.

3276

3.3.5

L'état psychique du délinquant

3.3.5.1

Le droit en vigueur

Envers un délinquant qui a commis un acte punissable, il est possible, conformément à l'art. 43 CP, d'ordonner l'internement, dans la mesure où il présente un trouble mental qui est en rapport avec l'acte commis (et qui peut également l'être avec de nouveaux actes). L'internement pour les délinquants sans troubles mentaux ne peut être ordonné qu'en cas de récidive; ils peuvent être internés comme délinquants d'habitude selon l'art. 42 CP.

Pendant longtemps, la pratique procédait du principe que l'état dangereux devait être présumé en particulier en présence de personnes présentant un trouble mental et que cet état pouvait être mesuré médicalement. D'un autre côté, différentes études récentes sur le rapport entre maladie psychique et état dangereux parviennent à la conclusion que le danger émanant de personnes psychiquement malades n'est pas notablement plus important que celui que représentent des individus mentalement sains27. Les personnes psychiquement malades ne commettent pas plus fréquemment des infractions graves que les autres membres du groupe de population concerné28.

Ainsi, considérée pour elle-même, la maladie psychique ne doit pas être assimilée à l'état dangereux29.

Le droit en vigueur présente par conséquent une lacune. Les délinquants primaires pour lesquels existe un risque de récidive élevé, mais qui ne manifestent pas de troubles mentaux, ne peuvent pas être internés. Après une peine limitée dans le temps, il doivent être remis en liberté. Cette lacune doit être comblée avec la nouvelle forme de l'internement d'après l'art. 64 P-CP30 (cf. explications sous ch. 4).

3.3.5.2

L'initiative

L'initiative s'inspire dans une très large mesure du droit en vigueur. Elle admet aussi qu'une personne est susceptible d'internement en raison d'un seul acte. Selon la teneur de l'initiative, il doit toutefois s'agir d'un «délinquant (...) non amendable» (dans le texte allemand: «nicht therapierbar», qui pourra être mis en liberté, entre autres, s'il peut être «amendé» (dans le texte allemand: «geheilt»).

27

28

29

30

Heinz Kammeier, Massregelrecht, Kriminalpolitik, Normgenese und systematische Struktur einer schuldunabhängigen Gefahrenabwehr, Berlin 1996, p. 203. Selon Norbert Nedopil, il n'est pas nécessaire que se présentent des troubles du comportement sexuel définis par la psychiatrie lors de délits d'agression sexuelle, tels que contrainte sexuelle, viol, et homicides à motivation sexuelle (Norbert Nedopil, Forensische Psychiatrie, 1996, p. 168).

Cf. Wilfried Rasch, Die Prognose im Massregelvollzug als kalkuliertes Risiko, in: Wolfgang Frisch/Thomas Vogt (éd.), Prognoseentscheidungen in der strafrechtlichen Praxis, Baden-Baden 1994, p. 236 ss.

Même le degré de gravité du trouble psychique qui est constaté n'a pas d'influence sur l'attribution d'un caractère dangereux. Cf. Heinz Kammeier, Massregelrecht, Kriminalpolitik, Normgenese und systematische Struktur einer schuldunabhängigen Gefahrenabwehr, Berlin 1996, p. 203 s., avec renvois à la jurisprudence et à la littérature.

Cf. Message du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 1899 ss.

3277

Interprétée pour elle seule, la définition de la notion de «non amendable» pourrait également englober des délinquants qui ne présentent pas de troubles mentaux, car ceux-ci ne sont pas non plus amendables au sens habituel du terme. Toutefois, la condition selon laquelle le délinquant ne peut être libéré que s'il peut être guéri («amendé») doit nécessairement signifier que l'individu à interner doit être «malade»31, autrement dit, présenter un trouble mental. Cependant, l'on omet ainsi de prendre en considération une partie importante des délinquants que vise l'initiative (cf. ci-dessus ch. 3.3.5.1).

Ces réflexions se fondent sur le texte allemand original, qui utilise le terme «geheilt», dont la signification se rapprocherait plutôt de «guéri».

3.3.5.3

Conclusion

L'art. 65bis Cst. proposé contient la même lacune que le droit en vigueur.

3.3.6

L'absence d'amendabilité

3.3.6.1

Le droit en vigueur

L'internement selon l'art. 43 CP est applicable non seulement à tous les délinquants extrêmement dangereux qui ne répondent à aucun traitement, mais également à ceux pour lesquels, en dépit d'un traitement ou de soins médicaux, il demeure le danger sérieux d'infractions graves et, avant tout, d'actes de violence, que ce soit à l'intérieur des établissements ou, en cas de danger de fuite, à l'extérieur de ceux-ci32.

Pour qu'un délinquant soit considéré comme amendable, il doit présenter un trouble mental en rapport avec l'acte punissable commis. Une thérapie appropriée pour le traitement du trouble mental doit être disponible, le délinquant doit consentir au traitement et il doit exister un établissement où la thérapie peut se dérouler. Si l'une de ces conditions n'est pas réalisée, l'intéressé est réputé non amendable.

Dans la pratique se présentent, entre autres, les constellations suivantes, dans lesquelles l'auteur est qualifié de «non amendable»:

31

32

­

De façon générale, le trouble que manifeste le délinquant ne peut pas être traité, selon l'état de la science psychiatrique et pédagogique, de la psychothérapie et de la sociothérapie. D'après la conception de psychiatres judiciaires, il existe toutefois aujourd'hui pour pratiquement chaque trouble mental un traitement correspondant.

­

Le délinquant n'est pas disposé à subir un traitement approprié, bien qu'en soi celui-ci soit à disposition. L'assentiment de l'intéressé n'est certes pas une condition légale pour un traitement, mais pour que celui-ci ait un sens, il est nécessaire que le délinquant soit prêt à se confronter à ses problèmes.

Egalement d'après l'art. 43 CP, seuls des délinquants présentant un trouble mental peuvent être internés en raison d'un seul acte. Cette réglementation repose notamment sur la supposition (douteuse) qu'un pronostic fiable pour des délinquants primaires n'est possible que s'ils présentent un trouble psychique.

ATF 121 IV 301 s.; 123 IV 6; 118 IV 113.

3278

C'est pourquoi, à l'heure actuelle, le renvoi dans un établissement thérapeutique suppose, en règle générale, le consentement du délinquant.

­

Enfin, un délinquant est qualifié de non amendable si un établissement thérapeutique permettant de le traiter fait défaut.

3.3.6.2

L'initiative

L'expression «non amendable» englobe toutes les constellations décrites au chiffre 3.3.6.1.

3.3.6.3

Conclusion

Avec le critère de l'absence d'amendabilité, l'initiative ne contient pas de véritable nouveauté. Elle va au contraire moins loin que le droit actuel, lequel permet selon la jurisprudence du Tribunal fédéral également l'internement de délinquants amendables lorsqu'ils présentent un danger sérieux en dépit d'un traitement ou de soins médicaux (cf. ch. 3.3.6.1).

3.3.7

La subsidiarité de l'internement

3.3.7.1

Le droit en vigueur

Selon le droit actuel, l'internement n'est ordonné que si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d'autrui par le délinquant. L'internement est donc subsidiaire; en d'autres termes, il ne doit pas être ordonné si le danger peut être écarté mieux ou tout aussi bien par d'autres moyens, par ex. par le biais d'une peine privative de liberté de longue durée (le cas échéant, assortie d'un traitement ambulatoire au cours de l'exécution)33.

3.3.7.2

L'initiative

Selon l'initiative, l'internement doit être ordonné, parce que le délinquant présente un risque élevé de récidive. L'initiative procède donc de l'idée que seul l'internement est à même de parer au danger de récidive d'un délinquant dangereux34.

D'après sa teneur, il serait problématique, car le tribunal devrait, en présence de délinquants à risque de récidive, ordonner l'internement même si une autre sanction était tout aussi bien ou mieux à même de garantir la sécurité publique.

33 34

ATF 103 IV 141; 101 IV 128 Cf. à ce sujet Office fédéral de la statistique, Une condamnation pénale en entraîne-t-elle d'autres? De l'existence de trajectoires criminelles, vol. 19, Droit et justice, Berne 1995, p. 24; cf. également Office fédéral de la statistique, Condamnations pénales et taux de récidive, vol. 19, Droit et justice, Berne 1997 II, p. 18, graphique 6, selon lequel le taux de nouvelles condamnations des «délinquants violents» est certes élevé; cependant, seuls 5,3 % sont condamnés une seconde fois pour des actes de violence.

3279

3.3.7.3

Conclusion

Le texte de l'initiative donne, en égard au principe de la proportionnalité, une impression de rigidité.

3.4

L'exécution de l'internement

3.4.1

Généralités

L'initiative ne contient que peu d'indices quant à l'aménagement de l'exécution de l'internement à vie. Elle relève uniquement que «toute mise en liberté anticipée» et «tout congé» sont exclus.

Des indications sur le lieu de l'exécution (établissements spéciaux ou prisons existantes), de même que sur son aménagement (obligation de travailler, assistance psychologique, planification de l'exécution, etc.), font défaut.

3.4.2

Le congé en particulier

3.4.2.1

Le droit en vigueur

Le code pénal et ses ordonnances ne contiennent aucune prescription relative au congé. Les concordats traitant de l'exécution des peines ont cependant introduit dans la pratique certaines formes de congés pour les détenus35: ­

congé en vue de l'entretien de rapports avec l'extérieur;

­

congé en vue de la préparation à la mise en liberté;

­

congé pour des motifs particuliers, notamment pour régler des affaires personnelles, juridiques ou garantissant l'existence, qui ne souffrent aucun retard et pour lesquelles la présence de l'interné est indispensable à l'extérieur de l'établissement.

Selon les directives des concordats d'exécution des peines du nord-ouest de la Suisse et de Suisse centrale, ainsi que de Suisse orientale, un congé pour des délinquants dangereux pour la communauté n'est pas exclu. Le délinquant doit toutefois éventuellement faire l'objet d'une expertise préalable. En outre, au besoin, le congé peut être accordé uniquement sous forme accompagnée.

35

Cf. les directives relatives à l'octroi de congés dans les établissements de Bostadel, Lenzburg et Thorberg («Richtlinien über die Urlaubsgewährung in den Anstalten Bostadel, Lenzburg und Thorberg») de la Conférence concordataire sur la planification dans l'exécution des peines de la Suisse centrale et du Nord-Ouest («Konkordatskonferenz über die Planung im Strafvollzugswesen der Nordwest- und der Innerschweiz»). Les formes de congés sont réparties en congés destinés à régler des affaires et congés en vue de l'entretien de relations.

3280

3.4.2.2

L'initiative

L'initiative exclut catégoriquement toute forme de congé, même un congé sous surveillance policière. Ceci peut sans doute se justifier s'il se présente le danger que le délinquant commette de nouveaux actes punissables au cours du congé.

3.4.2.3

Conclusion

Il devrait être possible d'accorder un congé si cela est indispensable au règlement d'affaires personnelles, juridiques ou garantissant l'existence, qui ne souffrent aucun retard, dans la mesure où le risque de nouvelles infractions peut être exclu. Selon les circonstances, il peut être paré à ce danger par le biais de mesures de sûreté adéquates (si nécessaire, avec une surveillance policière étroite).

Le régime de l'octroi de congés prévu par l'initiative n'est que difficilement compatible avec le principe de la proportionnalité.

3.5

La fin de l'internement

3.5.1

La durée maximale de l'internement

3.5.1.1

Le droit en vigueur

L'internement des délinquants anormaux est levé, selon le droit en vigueur, lorsque la cause en a disparu (art. 43, ch. 4, al. 1, CP). Partant, il peut être maintenu aussi longtemps que le condamné représente un danger pour la collectivité, au besoin à perpétuité.

3.5.1.2

L'initiative

Selon l'initiative, un délinquant extrêmement dangereux doit être interné, au besoin, à vie. La disposition constitutionnelle proposée par l'initiative ne contient donc aucune nouveauté en ce qui concerne la durée possible de l'internement.

3.5.2

Le mode de mise en liberté

3.5.2.1

Le droit en vigueur

Le droit en vigueur ne connaît pas l'expression «mise en liberté anticipée» dont l'initiative fait usage. Si la cause de la mesure a disparu, celle-ci est levée et le condamné est définitivement mis en liberté (art. 43, ch. 4, al. 1, CP). Si le motif de la mesure n'a pas complètement disparu, l'autorité compétente peut ordonner une «libération à l'essai» de l'établissement (art. 43, ch. 4, al. 2, CP). Cette décision doit procéder d'une pondération de l'intérêt de la collectivité à la sécurité et de celui de l'intéressé à être en liberté. Au besoin, il y aura lieu de solliciter une expertise psy-

3281

chiatrique36. L'autorité compétente peut astreindre le libéré au patronage et lui imposer des règles de conduite pendant le délai d'épreuve (art. 45, ch. 2, CP). Cette réglementation permet d'assister le libéré tant que cela s'avère nécessaire et également, dans une certaine mesure, de le soumettre à une surveillance.

Dans le cadre de l'internement de délinquants d'habitude, il est prévu la libération dite conditionnelle. Elle est ordonnée si l'internement n'est plus nécessaire (art. 42, ch. 4, al. 2, CP).

3.5.2.2

L'initiative

Avec l'exclusion de la «mise en liberté anticipée», l'initiative veut, d'une part, supprimer la «libération à l'essai» du droit en vigueur. D'autre part, elle permet la libération de l'internement de délinquants qui sont encore extrêmement dangereux.

3.5.2.3

Conclusion

L'initiative introduit, dans le domaine de la libération, des éléments contradictoires.

3.5.3

Les conditions pour la libération du délinquant

3.5.3.1

Le droit en vigueur

Les conditions de la levée de l'internement sont, par principe, le reflet des conditions requises pour l'ordonner. D'après le droit en vigueur, le délinquant est mis en liberté lorsque la cause de la mesure a disparu, en d'autres termes, lorsqu'elle n'est plus nécessaire pour prévenir la mise en danger d'autrui.

3.5.3.2

L'initiative

Un internement au sens de l'initiative ne doit pouvoir être levé «que si de nouvelles connaissances scientifiques permettent d'établir que le délinquant peut être amendé et qu'il ne représente dès lors plus de danger pour la collectivité».

Comme l'internement selon l'initiative doit être ordonné si le délinquant est «extrêmement dangereux» et «non amendable», il doit en outre être levé, à l'appui du principe de la proportionnalité, lorsque ces conditions ne sont plus réunies, c'est-àdire si le délinquant n'est plus (extrêmement) dangereux ou qu'il est amendable.

3.5.3.3

Conclusion

Aussi bien conformément au droit en vigueur qu'à l'appui de l'initiative, un délinquant est libéré de l'internement si celui-ci n'est plus nécessaire pour l'empêcher de commettre des actes punissables graves.

36

ATF 121 IV 2.

3282

3.5.4

L'examen de la libération

3.5.4.1

Le droit en vigueur

Conformément à l'art. 45 CP, l'autorité compétente examine d'office si et quand la libération conditionnelle ou à l'essai doit être ordonnée. Elle doit prendre une décision au moins une fois par an, en cas d'internement selon l'art. 42 pour la première fois à l'expiration de la durée minimum légale de la mesure (art. 45, ch. 1, al. 2, CP).

L'intéressé ou son représentant sera toujours entendu préalablement et un rapport de la direction de l'établissement sera requis.

3.5.4.2

L'initiative

Selon l'initiative, il doit d'abord être établi par de «nouvelles connaissances scientifiques» que le délinquant peut être amendé et ne représente dès lors plus de danger pour la collectivité. Ce n'est qu'à ces conditions que le délinquant doit faire l'objet d'une expertise. L'on veut ainsi créer un nouveau garde-fou pour la mise en liberté de délinquants dangereux.

La notion de «nouvelles connaissances scientifiques» est très complexe. La question de savoir ce que signifie «scientifique» et ce que sont des «connaissances» occupe les philosophes depuis l'Antiquité; la théorie de la science et de la connaissance a généré des disciplines philosophiques autonomes. L'expression «nouvelle connaissance scientifique» suggère de nouvelles découvertes et théories innovatrices, des explications d'un type nouveau pour des phénomènes déterminés. Sous ce terme, les auteurs de l'initiative entendent sans doute en premier lieu de nouveaux procédés curatifs pour le traitement de délinquants dangereux.

La science se distingue toutefois aussi par des modes de pensée et des méthodes spécifiques. Une «méthode» désigne un procédé établi permettant d'atteindre un objectif déterminé, à savoir la voie en vue d'acquérir la connaissance37. La science est donc également décrite comme étant une connaissance méthodique, qui est impérative, certaine et assortie d'une validité générale38.

Partant, il y a lieu de qualifier de «nouvelles connaissances scientifiques» toutes celles acquises par le biais de procédés méthodiques, qui concernent la nature dangereuse et (non) amendable du délinquant ayant mené à son internement.

3.5.4.3

Conclusion

L'initiative propose une sorte de procédé à deux niveaux. Dans un premier temps, les autorités d'exécution doivent d'abord tirer au clair, de façon abstraite, l'état de la 37

38

A titre de méthodes «scientifiques», l'on peut citer, par ex., le procédé axiomatique, déductif, inductif ou interprétatif, ainsi que celui de l'observation ou de l'expérimentation.

Karl Jaspers, Philosophie und Wissenschaft, in: Über Bedingungen und Möglichkeiten eines neuen Humanismus. Drei Vorträge, Stuttgart 1951, p. 6 ss. Toutefois, seules les mathématiques parviennent à satisfaire ce modèle idéal (cf. Albert Einstein, Mein Weltbild, Carl Seelig (éd.), Europa Verlag, Zurich, Stuttgart, Vienne 1953, p. 156; Immanuel Kant, Metaphysische Anfangsgründe der Wissenschaft).

3283

science, notamment celui de la psychiatrie judiciaire, et ensuite, le cas échéant, ordonner une expertise. Cette procédure est beaucoup trop compliquée et inappropriée. En outre, elle n'est que difficilement compatible avec le principe de la proportionnalité. Ainsi, pour constater qu'un délinquant ­ par ex. en raison de son invalidité ou de sa sénilité ­ n'est plus dangereux, il faut, en règle générale, non pas de nouvelles connaissances scientifiques au sens étroit (c-à-d pas de nouveaux procédés curatifs), mais uniquement de nouvelles expertises. Il en va de même de l'amendabilité: pour reconnaître qu'un délinquant est devenu amendable parce qu'il consent désormais à une thérapie ou parce qu'il existe un nouvel établissement d'exécution approprié, il ne faut pas de nouvelles connaissances scientifiques (au sens de nouveaux procédés curatifs) si ces facteurs étaient déterminants pour ordonner l'internement.

Dans ces cas, le principe de la proportionnalité ne peut être observé qu'au moyen d'une interprétation large de la notion de caractère scientifique39.

3.6

L'expertise relative au délinquant

3.6.1

Le droit en vigueur

Actuellement, le juge décide de l'internement au vu d'une expertise sur l'état physique et mental du délinquant ainsi que sur la nécessité d'un internement, d'un traitement ou de soins (art. 43, ch. 1, al. 3, CP). Le code pénal ne s'exprime pas sur le nombre d'expertises. En principe, une seule peut suffire. En raison de la gravité de l'intervention, le Tribunal fédéral accorde toutefois une importance particulière à des expertises fondées et complètes40. Le tribunal est libre de solliciter des expertises complémentaires.

Avant que l'autorité compétente statue sur la libération de l'internement, elle doit entendre l'intéressé ou son représentant et requérir un rapport de la direction de l'établissement (art. 45, ch. 1, al 3, CP).

En outre, au cours de ces dernières années, les cantons ont institué des commissions spécialisées pour apprécier les délinquants dangereux41. Celles-ci garantissent une assise plus large des décisions d'exécution (choix de l'établissement, octroi de con-

39

40 41

Comme cela a été décrit ci-dessus, le «caractère scientifique» peut être désigné de procédé méthodique. Ainsi, le constat, selon lequel un délinquant est désormais amendable parce qu'il consent à une thérapie, est obtenu par la méthode de la déduction.

Trechsel, Schweizerisches Strafrecht, Kurzkommentar, 1997, N. 16 ad art. 43; ATF 101 IV 128.

Cf. les directives sur les relations avec les délinquants dangereux pour la collectivité, lorsqu'ils sont incarcérés («Richtlinien über den Umgang mit gemeingefährlichen Straftätern und Straftäterinnen im Freiheitsentzug») de la Conférence concordataire sur la planification dans l'exécution des peines de la Suisse centrale et du Nord-Ouest («Konkordatskonferenz über die Planung im Strafvollzugswesen der Nordwest- und der Innerschweiz»), du 21 avril 1995, ou les Directives de la commission d'exécution des peines de la Suisse orientale sur l'exécution des peines privatives de liberté des délinquants dangereux pour la collectivité («Richtlinien der Ostschweizerischen Strafvollzugskommission über den Vollzug von Freiheitsstrafen an gemeingefährlichen Straftätern und Straftäterinnen»), du 16 avril 1999.

3284

gés, mise en liberté). En partie, les commissions spécialisées examinent le risque de récidive de criminels dangereux déjà selon des critères fondés scientifiquement42.

3.6.2

L'initiative

L'initiative exige que toute expertise concernant des délinquants sexuels ou violents soit «établie par au moins deux experts indépendants qui prennent en considération tous les éléments pertinents». Le texte de l'initiative est imprécis. Vraisemblablement, il doit être retenu que dans tous les cas deux experts indépendants l'un de l'autre (précision ressortant du texte original allemand) doivent établir deux expertises complètes.

3.6.3

Conclusion

Fondamentalement, un étaiement plus large des décisions relatives à l'internement doit certes être salué. Il devrait toutefois être difficile de trouver en Suisse les experts pour ce faire.

3.7

Responsabilité de l'autorité ayant prononcé la levée de l'internement, en cas de récidive

A l'art. 65bis, al. 2, deuxième phrase, les auteurs de l'initiative demandent que l'autorité qui prononce la levée de l'internement au vu des expertises mentionnées dans la première phrase soit «responsable» en cas de récidive.

Le texte de l'initiative ne permet pas de discerner quelle responsabilité est visée par les auteurs de l'initiative. Si l'on considère que pour l'interprétation des initiatives populaires, il y a lieu de se fonder sur la lettre de l'initiative et non sur la motivation ou les opinions exprimées par ses auteurs, mais que celle-ci peut être prise en compte (cf. point 1.4 ci-dessus), on peut imaginer que l'absence de précision correspond à la volonté des auteurs d'englober tous les types de responsabilité auxquels pourrait s'exposer l'autorité prononçant la levée de l'internement. Il y aura donc lieu d'examiner ci-dessous les éventuelles conséquences pénales et civiles d'une telle décision, et, par voie de conséquence, dans quelle mesure le droit actuel répond à ce voeu et s'il y aurait lieu, le cas échéant, de modifier ou compléter les dispositions légales actuelles.

L'autorité visée sera en principe une autorité cantonale. Toutefois, compte tenu des éventuelles possibilités de recours contre des décisions relatives à la levée de l'internement, il pourrait également dans certains cas s'agir d'une autorité fédérale.

42

Cf. les critères visant à estimer le risque de récidive de délinquants particulièrement dangereux, instrument de travail des commissions spécialisées du concordat d'exécution des peines de la Suisse orientale et du Nord-Ouest («Kriterien zur Beurteilung des Rückfallrisikos besonders gefährlicher Straftäter, Arbeitsinstrument der Fachkommissionen des Strafvollzugskonkordats der Nordwest- und der Innerschweiz»), répertoriés par le Prof. V. Dittmann, décembre 1999.

3285

3.7.1

Responsabilité pénale

En l'espèce, les auteurs de l'initiative demandent de manière très générale que l'autorité qui prononce la levée de l'internement soit responsable en cas de récidive.

Or, le droit actuel répond déjà à cette exigence. En effet, les dispositions existantes de la partie spéciale du code pénal, notamment sur l'homicide par négligence, sur les lésions corporelles ou sur la mise en danger de la vie ou de la santé d'autrui permettent d'ores et déjà, si les conditions objectives et subjectives de la punissabilité sont remplies, de réprimer les membres d'une autorité ayant rendu une décision irrégulière. On rappellera à ce propos que plusieurs fonctionnaires accusés d'homicide par négligence dans l'affaire dite du Zollikerberg ont été acquittés, aucune négligence n'ayant pu leur être reprochée. Si tel avait été le cas, les dispositions actuelles auraient permis de les faire condamner.

3.7.2

Responsabilité de l'Etat

On pourrait également déduire du texte de l'initiative une volonté de ses auteurs de faire endosser à l'autorité ayant rendu une décision de libération suivie d'une récidive une responsabilité causale pour les dommages résultant d'actes illicites. Dans le cas visé par l'initiative, la responsabilité causale ou objective signifie, selon les lois en vigueur, une responsabilité de la collectivité publique liée à un acte illicite ­ c'est-à-dire une violation d'un devoir ­ d'un ou plusieurs membres de l'autorité, sans que ceux-ci soient fautifs.

La plupart des cantons ont adopté, dans les lois sur la responsabilité, le régime de la responsabilité exclusive de l'Etat, de type objectif, avec action récursoire contre l'agent gravement fautif. Les cantons répondront des actes des autorités cantonales en vertu de ces lois. Le cas échéant, si l'on admet que l'initiative requiert une responsabilité de type causal, il y aurait lieu de veiller à ce que les cantons qui ne l'ont pas encore fait, introduisent une telle responsabilité.

La Confédération a également adopté ce régime dans la loi sur la responsabilité (loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires; RS 170.32). Celle-ci serait applicable lorsqu'une autorité fédérale statue sur recours interjeté contre une décision de libération.

D'après cette loi, la Confédération est tenue à réparation du dommage si un fonctionnaire fédéral accomplit, dans l'exercice de ses fonctions, un acte de droit public, illicite et dommageable; un rapport de causalité doit en outre exister entre l'acte et le dommage. Alors que les conditions usuelles de la responsabilité doivent être remplies ­ l'illicéité43 étant ici l'un des points le plus susceptibles de prêter à discussion ­, on notera que la loi fédérale ne requiert pas qu'une faute ait été commise. Le droit fédéral contient dès lors les instruments nécessaires pour engager la responsabilité de la Confédération à la suite d'une décision irrégulière.

43

Cf. à ce sujet l'analyse détaillée faite par Viviane Sobotich du cas Zollikerberg dans «Staatliche Verantwortung bei Straftaten im Hafturlaub ? Verfassugs-und staatshaftungsrechtliche Aspekte zum Fall «Zollikerberg» in Strafrecht als Herausforderung, Zurich 1999, p. 563 à 573.

3286

3.8

Conséquences personnelles et financières de l'initiative

L'initiative propose des modifications dans les domaines de la procédure pénale et de l'exécution des peines. Etant donné que les deux domaines sont essentiellement du ressort des cantons, ils en supporteront en premier lieu les éventuelles conséquences financières. La Confédération n'est touchée que s'il s'agit de procédures pour lesquelles sa compétence est fondée en vertu de l'art. 340 CP ou en rapport avec des arrêts (du Tribunal fédéral) sur recours relatifs à des décisions sur la levée de l'internement.

­

La réglementation selon laquelle «Toute expertise concernant le délinquant est établie par au moins deux experts indépendants ...» pourrait avoir des conséquences sur les coûts de la procédure pénale et de l'exécution des peines. D'après le droit actuel, une seule expertise suffit. Il n'est cependant pas inusuel qu'une contre-expertise et ensuite une surexpertise soient requises.

­

Les conditions particulières posées pour la libération pourraient aussi induire des coûts supplémentaires. Cela ne doit pas nécessairement être le cas si l'initiative est interprétée à la lumière des principes constitutionnels existants et du droit international.

­

La responsabilité des autorités requise par l'initiative est certes du droit actuel et ne devrait donc pas entraîner de coûts supplémentaires. La nouvelle disposition constitutionnelle pourrait cependant entraîner une sensibilisation, laquelle pourrait avoir pour conséquence que les autorités soient plus souvent actionnées à raison de leurs décisions.

Des conséquences personnelles et financières ne peuvent être totalement exclues; elles ne se laissent cependant pas évaluer à l'heure actuelle

3.9

Rapports avec le droit international

3.9.1

Art. 5, ch. 4, CEDH44

En vertu de l'art. 5, ch. 4, de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), toute personne privée de sa liberté a le droit de saisir, à intervalles réguliers, un tribunal qui examinera si l'état de fait ayant donné lieu à la détention subsiste. La légalité de la détention doit pouvoir être vérifiée à intervalles raisonnables.

Toutefois, si un tribunal a lui-même ordonné une privation de liberté par le biais d'un jugement pénal, cet arrêt ne doit pas faire l'objet d'un vérification subséquente.

Il existe cependant des exceptions à ce principe: Un droit à un examen judiciaire répété de la détention existe toujours lorsque la privation de liberté dépend aussi de dispositions personnelles (par ex. maladie mentale, alcoolisme ou toxicomanie) ou d'autres circonstances susceptibles de se modifier. Il en va de même si de nouveaux faits sont de nature à mettre ultérieurement en doute la licéité de la privation de liberté ou si de nouvelles questions concernant la légitimité de la privation de liberté surviennent après la prononciation du jugement

44

Convention du 4 novembre 1980 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, RS 0.101.

3287

(cf. arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 16 décembre 1999 dans la cause T. contre Royaume-Uni, $ 118; ATF 121 I 297; avec références citées).

A cet égard, la jurisprudence procède (notamment en cas de mesures stationnaires pour des personnes souffrant de maladies psychiques) du fait que les intervalles d'une année entre les examens sont «raisonnables»45. Ainsi, en vertu de l'art. 45, al. 1, CP, l'autorité compétente doit prendre une décision au moins une fois par an sur la question de savoir dans quelle mesure il peut être ordonné une libération de l'internement. Toutefois, dans des cas particuliers, l'intéressé peut, compte tenu de changements de la situation, faire valoir un intérêt légitime à un examen déjà avant la prochaine vérification périodique.

Le nouvel art. 65bis Cst. que propose l'initiative n'exclut ni un examen périodique, ni un examen à la demande de l'intéressé. Au contraire, à l'appui de cette nouvelle disposition, il y aura lieu de tirer au clair régulièrement si une libération du délinquant peut être prise en considération, eu égard à de nouvelles connaissances scientifiques. L'initiative tient ainsi compte des exigences posées par l'art. 5 CEDH46.

Toutefois la notion de «nouvelle connaissance scientifique» doit être interprétée suffisamment largement pour comprendre une modification de la situation personnelle du délinquant ou d'autres circonstances extérieures (cf. les considérations sous ch. 3.5.4.3). Cette interprétation extensive est certes encore compatible avec le texte de l'initiative mais elle devrait cependant aller au-delà des intentions des auteurs de l'initiative.

3.9.2

Art. 6, ch. 1, CEDH et art. 14, al. 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 16 décembre 196647

Selon le texte de l'initiative, un délinquant sexuel ou violent que les expertises judiciaires jugent d'extrêmement dangereux et de non amendable doit être interné à vie.

Il se pose dès lors la question de savoir si le tribunal, dans le cadre de l'appréciation de la situation personnelle, dispose encore d'une marge de décision lors de la fixation de la sanction ou s'il est lié par l'avis des experts. Dans ce dernier cas, le tribunal ne serait plus indépendant au sens de l'art. 6, ch. 1, CEDH et de l'art. 14, al. 1, Pacte II.

Une telle interprétation de l'initiative ne s'impose pas. Ne serait-ce que parce qu'elle exige que les expertises en vue de l'appréciation des délinquants sexuels ou violents doivent être établies par au moins deux spécialistes indépendants l'un de l'autre, elle donne au tribunal la possibilité de ne pas reprendre, telles quelles, les explications des experts. Avec la formulation selon laquelle les expertises doivent être établies en prenant «en considération tous les éléments pertinents», elle permet en outre au 45 46

47

Par ex. arrêt du 24 septembre 1992 en la cause Herczegfalvy contre Autriche, série A, vol. 244, ch. 75 ss, 77.

L'art. 31, al. 4, Cst. exige également un examen périodique. Dans le message relatif à une nouvelle Constitution fédérale, il est exposé à cet égard: «Suivant les motifs de la privation de liberté il doit exister la possibilité d'exiger en tout temps un nouveau contrôle judiciaire, même si, dans un premier temps, un tribunal a ordonné la détention ou en a déjà vérifié le bien-fondé.. Il en est toujours ainsi lorsque les raisons qui justifiaient originellement la détention peuvent disparaître au fil du temps (FF 1997 I 188).

Pacte II; RS 0.103.2

3288

tribunal de s'écarter des conclusions des experts, notamment lorsque des circonstances importantes et bien établies viennent en ébranler sérieusement la crédibilité48.

Il y a donc place pour une interprétation conforme au droit international de la disposition constitutionnelle proposée.

3.10

Bilan intermédiaire

1. Par rapport au droit en vigueur et à la pratique actuelle, la forme d'internement que propose l'initiative ne contient que peu de nouveautés susceptibles d'entraîner une amélioration de la sécurité publique:

48

­

L'internement à perpétuité n'est pas nouveau. Les deux formes prévues dans le droit actuel peuvent, déjà aujourd'hui, durer à vie.

­

L'internement selon l'initiative est moins étendu que les types d'internement que prévoit le droit en vigueur (il ne s'applique qu'à un petit groupe de délinquants).

­

L'initiative est axée, en premier lieu, sur des délinquants présentant un trouble de nature psychique. Partant, elle omet de toucher une partie non négligeable des délinquants dangereux. Certes, une extension de l'internement aux délinquants primaires qui n'ont pas de troubles mentaux susceptibles d'être diagnostiqués ne résulte pas de la teneur du texte, mais elle serait possible par le biais d'une interprétation extensive.

­

L'exclusion du congé pour les délinquants extrêmement dangereux est, par principe, correcte. Elle soulève cependant des questions si elle touche également les délinquants pour lesquels n'existe aucun danger de récidive ou de fuite (vers la fin de l'internement ou parce qu'ils sont accompagnés).

­

L'exclusion de la «mise en liberté anticipée» (prématurément, soit avant que le délinquant ne présente plus de danger) est correcte. Il serait toutefois improductif d'exclure ainsi également la libération dite «conditionnelle» et donc les mesures d'assistance et de surveillance subséquentes. L'exclusion d'une mise en liberté anticipée n'a que peu de sens pour les délinquants qui ne sont pas véritablement libérés, mais qui doivent suivre un traitement stationnaire (le cas échéant, dans le même établissement).

­

Les conditions pour la libération de l'internement n'entraînent pas nécessairement une sécurité plus grande que le droit en vigueur et la pratique actuelle. Au contraire, l'initiative prévoit que les délinquants extrêmement dangereux peuvent être libérés de l'internement pour suivre un traitement, mais laisse ouverte la question de savoir dans quel cadre ce traitement doit avoir lieu.

­

Compte tenu des commissions spécialisées actuellement instituées dans tous les cantons, il est incertain que les conditions que stipule l'initiative pour les expertises améliorent substantiellement leur qualité.

Cf. entre autres ATF 101 IV 130

3289

­

Enfin, l'exécution de l'internement proprement dite, la relation avec les autres sanctions et le processus ultérieur à sa levée ne sont absolument pas traités.

2. La responsabilité des autorités à raison de libérations de l'internement est actuellement notamment régie par le code pénal et les lois sur la responsabilité. Si l'on admet que l'initiative requiert une responsabilité causale, les cantons qui n'auraient pas encore introduit une telle responsabilité, devraient le faire.

3. On n'a pu déterminer des conséquences personnelles et financières concrètes.

4. Il y a place pour une interprétation de l'initiative conforme au droit international.

4

Propositions du Conseil fédéral en vue de la protection de la collectivité contre les délinquants dangereux

4.1

Révision de la partie générale du code pénal

En date du 21 septembre 1998, le Conseil fédéral a soumis au Parlement un projet ainsi qu'un message concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs49. Le projet a été adopté par le Conseil des Etats le 14 décembre 1999.

Un élément fondamental dudit projet est la protection de la collectivité contre les délinquants dangereux. L'on prévoit notamment, à cette fin, un nouvel internement de sécurité, dont l'aménagement est plus étendu que dans le droit en vigueur. Les délinquants psychiquement malades doivent en outre recevoir, s'ils sont dangereux, un traitement approprié dans des établissements de sécurité particuliers. Les conditions pour la libération des délinquants dangereux de l'exécution des peines et des mesures sont rendues plus strictes. Le projet du Conseil fédéral ne se limite donc pas à l'introduction d'un nouvel internement et de prescriptions afférentes plus sévères, mais prévoit un paquet global de mesures pour tous les auteurs d'infractions graves50. Le Conseil des Etats a partiellement complété et précisé le projet du Conseil fédéral dans ce domaine, mais l'a confirmé dans les grandes lignes51. L'initiative n'introduit pratiquement aucune nouveauté (exception faite des deux expertises en vue d'ordonner l'internement) dont le projet du Conseil fédéral ne tiendrait pas compte.

Ci-après, les propositions du Conseil fédéral ne sont pas motivées dans le détail (il est fait référence, à ce propos, au message concernant la révision du code pénal). Il s'agit en premier lieu de mettre en évidence les différences avec l'initiative.

49 50 51

FF 1999 1787 ss Cf. les art. 59, al. 3, 62 à 62d, 64 à 64b et 86 du projet; FF 1999 2116 ss Cf. Bulletin officiel du Conseil des Etats, session d'hiver 1999, 6e séance; www.pol.admin.ch.

3290

4.2

La nouvelle forme d'internement d'après le projet du Conseil fédéral (P-CP)

La nouvelle forme d'internement est régie par les art. 64 à 64b P-CP 52.

4.2.1

Champ d'application

L'internement selon le projet du Conseil fédéral présente une conception plus étendue que celui que postule l'initiative: ­

Il n'est pas restreint aux délinquants sexuels ou violents, mais englobe toutes les personnes ayant commis des actes par lesquels celles-ci ont causé ou voulu causer à autrui un grave dommage corporel, psychique ou matériel.

­

Il vise non seulement les délinquants «extrêmement dangereux», mais aussi les délinquants dangereux (c'est-à-dire ceux qui ont causé ou voulu causer à autrui un grave dommage corporel, psychique ou matériel).

­

Il concerne expressément aussi bien les délinquants présentant un trouble mental que ceux dont les infractions n'impliquent pas fondamentalement un trouble de cette nature53.

­

Il n'implique pas de «risque élevé de récidive»; le danger d'une récidive suffit (il faut toutefois escompter sérieusement que quelqu'un commette de nouvelles infractions graves).

4.2.2

Exécution

4.2.2.1

Congé

L'initiative exclut le congé uniquement pour les délinquants extrêmement dangereux contre lesquels un internement a été ordonné.

Le projet du Conseil fédéral va plus loin:

52 53

­

Il exclut le congé pour tous les délinquants ­ même pour ceux qui ne sont pas dangereux ­ qui exécutent une peine privative de liberté ou une mesure (un traitement thérapeutique ou un internement) et pour lesquels existe un danger de fuite ou de récidive (art. 84, al. 6, et art. 90, al. 4, P-CP).

­

En outre, aussi bien le danger de récidive que celui de fuite constituent un critère pour l'exclusion du congé.

FF 1999 2122 s.

Cette nouvelle réglementation permet de combler une lacune du droit en vigueur. A l'heure actuelle, les délinquants dangereux qui ne remplissent ni les conditions de l'internement pour délinquants d'habitude, ni celles pour l'internement de délinquants anormaux, ne peuvent être condamnés qu'à des peines privatives de liberté. Même s'il n'est pas possible d'accorder une libération conditionnelle à ces délinquants, ils doivent être mis en liberté au plus tard après avoir subi l'intégralité de leur peine. Le nouvel internement prévu peut désormais directement faire suite à une peine privative de liberté limitée dans le temps.

3291

­

Le Conseil des Etats a prévu, au surplus, une interdiction d'accorder des congés à tous les détenus contre lesquels une mesure d'éloignement du droit des étrangers a été prononcée54.

Cependant, les congés ne sont pas catégoriquement interdits, car il est possible, dans certains cas, de parer au danger de récidive et de fuite par un accompagnement (au besoin, par la police).

4.2.2.2

Autres dispositions d'exécution

Hormis l'exclusion du congé et de la mise en liberté anticipée (cf. propositions du Conseil fédéral sur ces points sous ch. 4.2.3), l'initiative ne contient aucune indication sur l'exécution de l'internement.

Le projet du Conseil fédéral propose au demeurant différentes nouveautés relatives à l'exécution de l'internement et des autres mesures: ­

Selon l'art. 64, al. 2, P-CP, le délinquant contre lequel l'internement est prononcé en sus d'une peine privative de liberté devra d'abord exécuter cette dernière55.

­

Le projet fixe les catégories d'établissements dans lesquels il est possible d'exécuter l'internement. Les cantons compétents pour l'exécution de l'internement doivent, ce faisant, assurer la sécurité publique.

­

Il faut en outre garantir que les personnes internées reçoivent l'assistance et les soins psychiatriques nécessaires. Si le traitement selon l'art. 59 P-CP ne promet pas de réussite, cela ne signifie pas que le trouble mental ne revêt plus d'importance au cours de l'internement.

­

L'art. 90 P-CP fixe en outre des principes pour l'exécution de toutes les mesures. En font partie notamment l'obligation de l'autorité d'exécution d'établir un plan d'exécution incluant, entre autres choses, des indications sur les mesures à prendre en vue d'éviter la mise en danger de tiers.

­

Le Conseil fédéral avait prévu l'audition d'une commission spécialisée avant la prise de décision sur la libération d'auteurs d'infractions graves (art. 62d, al. 2, art. 64b, al. 2, et art. 86, al. 3, P-CP). Dans un nouvel art. 75a P-CP, le Conseil des Etats a élargi les compétences de cette commission à d'autres questions relatives à l'exécution: elle apprécie le danger que représentent des détenus en ce qui concerne le choix du lieu d'exécution, l'octroi de congés et la libération conditionnelle.

4.2.3

Fin de l'internement

Hormis la perpétuité de l'internement (art. 56, al. 4, et art. 64a P-CP), le projet du Conseil fédéral prévoit les nouveautés et garde-fous suivants, qui ne sont pas contenus dans l'initiative: 54 55

Cf. art. 84, al. 6bis, P-CP; BO 1999 E, session d'hiver, 6e séance.

Dans le cas de l'internement selon l'art. 42 CP, l'on prononce à l'heure actuelle l'internement en lieu et place d'une peine privative de liberté; dans le cas de l'internement selon l'art. 43 CP, cette dernière est suspendue en faveur de l'internement.

3292

­

Dorénavant, ne seront possibles ni la «mise en liberté anticipée», ni la libération définitive directe, c'est-à-dire sans délai d'épreuve et sans la possibilité d'une assistance et d'une surveillance ultérieures. Celui qui n'est plus réputé dangereux ne pourra, à l'avenir, être libéré de l'internement que conditionnellement (art. 64a P-CP). Cela signifie qu'il faut impartir dans tous les cas un délai d'épreuve de deux à cinq ans. Il est possible d'ordonner une assistance de probation et d'imposer des règles de conduite. L'on garantit ainsi qu'une assistance ultérieure puisse être ordonnée dans tous les cas.

Cette nouveauté s'applique non seulement à l'internement, mais également à toutes les mesures stationnaires (cf. art. 62 à 62d P-CP).

­

Les personnes libérées conditionnellement de l'internement doivent pouvoir y être renvoyées déjà lorsqu'en raison de leur comportement au cours du délai d'épreuve il y a lieu d'escompter de nouveaux actes punissables (la réintégration ne suppose donc pas d'acte de récidive)56.

­

Les délinquants dangereux pour lesquels il s'avère subséquemment qu'ils sont amendables peuvent être placés dans un établissement thérapeutique doté de mesures de sûreté (art. 62 et art. 59, al. 3, P-CP). Si cette thérapie se révèle dépourvue de succès, le condamné est renvoyé en internement (art. 62c, al. 3, P-CP).

4.2.4

Expertise relative au délinquant

4.2.4.1

Expertise lorsque l'internement est ordonné

Le projet du Conseil fédéral prévoit que le tribunal s'appuie, lors de la prise de décision sur l'internement (ou sur la conversion de l'internement en une mesure thérapeutique), sur le rapport d'un expert. Au cas où cette première expertise ne serait pas convaincante ou qu'elle serait incomplète, le tribunal est libre d'en faire établir d'autres. Dans la pratique, l'on établit, aujourd'hui déjà, plutôt trop d'expertises (expertises de base, contre-expertises, surexpertises, etc.).

4.2.4.2

Expertise lorsque l'internement est levé

Comparé au droit en vigueur et à l'initiative, le projet du Conseil fédéral prévoit un étaiement plus large de la décision relative à la levée de l'internement57: ­

56

57

Avant la prise de décision sur la libération d'une mesure, l'autorité compétente doit solliciter le rapport d'un expert indépendant (art. 62d, al. 2, art. 64b, al. 2 et art. 86, al. 3, P-CP). L'on veut ainsi éviter une décision prise uniquement sur la base du rapport du médecin traitant chez qui existe une certaine proximité avec le délinquant et pour lequel une prévention ne peut être exclue.

La réglementation de l'art. 45, ch. 3, al. 3, CP permet cette mesure déjà aujourd'hui, à des conditions similaires, qui sont toutefois critiquées par la doctrine comme étant trop indéterminées.

Comme cela est déjà prévu dans le droit en vigueur, l'autorité compétente entend le délinquant et sollicite un rapport de la direction de l'établissement d'exécution des mesures ou des peines (art. 62d, art. 64b et art. 86 P-CP).

3293

­

4.3

En outre, au cas où une personne ayant commis des infractions gravissimes doit être libérée conditionnellement de l'exécution d'une peine ou d'une mesure, l'autorité compétente devra, à l'avenir, entendre une commission spécialisée composée de représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d'exécution et des milieux de la psychiatrie (art. 62d, al. 2, art. 64b, al. 2, art. 75a et art. 86, al. 3, P-CP). Déjà à l'heure actuelle, ces commissions spécialisées s'appuient en partie, dans leur travail, sur des catalogues de critères très étendus pour l'appréciation de délinquants dangereux et bénéficient d'un accompagnement scientifique (cf. également ch. 3.6). Cette nouveauté s'applique non seulement à la levée de l'internement, mais également à toutes les levées de mesures stationnaires et aux libérations suite à des peines privatives de liberté lorsque le délinquant a été condamné pour des infractions graves.

Autres nouveautés du projet du Conseil fédéral

Actuellement, en raison du manque de lieux de thérapie dotés de mesures de sûreté, les délinquants sont fréquemment placés dans des prisons qui, généralement, ne sont pas appropriées au traitement de délinquants dangereux.

L'initiative ne contient pas de réglementation de principe sur le traitement thérapeutique de délinquants dangereux. Elle prévoit qu'un délinquant extrêmement dangereux peut déjà être libéré de l'internement lorsqu'il est établi qu'il est amendable et qu'il ne sera donc plus dangereux. Elle laisse ouverte la question du cadre dans lequel cette guérison doit avoir lieu.

Pour le traitement de délinquants dangereux, le projet du Conseil fédéral prévoit les nouveautés suivantes: ­

Les personnes qui ont commis des infractions gravissimes en rapport avec un trouble mental doivent pouvoir être traitées dans des établissements spéciaux fermés, aussi longtemps que cela sera nécessaire pour des raisons de sécurité (art. 59, al. 3, P-CP). Le traitement dure, en règle générale, cinq ans.

Toutefois, à la demande de l'autorité d'exécution, le juge peut le prolonger de cinq ans au plus aussi souvent que cela est nécessaire.

­

Dans ce cas aussi, la libération de la mesure ne doit avoir lieu, à l'avenir, que conditionnellement, c'est-à-dire en impartissant un délai d'épreuve (art.

62 P-CP). Pour les délinquants psychiquement malades, ce délai d'épreuve (combiné à un traitement ambulatoire ou à une assistance probatoire) peut être prolongé aussi longtemps que nécessaire.

­

S'il existe le danger, lors de la levée d'une mesure thérapeutique stationnaire, qu'une personne commette des infractions graves, le tribunal doit pouvoir ordonner l'internement à la demande des autorités d'exécution (art. 62c P-CP).

Le projet du Conseil fédéral prévoit de plus une souplesse accrue dans le cadre des sanctions: ­

3294

Les peines et les mesures doivent, si nécessaire, être modifiées ultérieurement (art. 65 P-CP). Ainsi, il est possible d'ordonner subséquemment une mesure thérapeutique à l'encontre d'une personne qui n'a été condamnée

qu'à une peine privative de liberté. Au cas où cette mesure est dépourvue de succès, il est possible, à certaines conditions, de prononcer l'internement (art. 65 en liaison avec art. 62c P-CP).

­

5

Selon la conception du Conseil fédéral, un délinquant n'est libéré de l'internement que s'il n'est plus dangereux. S'il ne s'avère qu'ultérieurement qu'un délinquant dangereux est amendable, il est ordonné le traitement dans un établissement thérapeutique doté de mesures de sûreté en lieu et place de l'internement. Si au moment de la levée du traitement le danger subsiste que le délinquant commette des infractions graves, il doit être renvoyé en internement.

Conclusion

L'initiative se fait l'écho d'une préoccupation justifiée. Le nouvel art. 65bis Cst.

qu'elle propose comporte, pour certaines questions, une formulation très ouverte et laisse une marge d'interprétation étendue.

Les nouveautés proposées ne dépassent toutefois guère les réglementations prévues dans le droit en vigueur. De plus, la pratique actuelle des cantons est en partie déjà plus sévère que ce qu'exige l'initiative.

Notamment la nouvelle procédure de mise en liberté de délinquants dangereux ­ noyau de l'initiative ­ est trop compliquée, inappropriée et manque son objectif. De plus, sa compatibilité avec la CEDH et le principe de la proportionnalité ne passe que par une interprétation très extensive du texte de l'initiative, une interprétation qui devrait en partie contredire les intentions des auteurs de l'initiative.

Dans l'ensemble, l'initiative s'exprime sur un problème étroitement circonscrit. Elle ne s'inscrit pas dans un concept global et ne contient pas des principes dont on pourrait déduire un concept élargi relatif à la protection de la collectivité contre les délinquants dangereux.

Enfin, l'initiative enfonce, avec sa requête, des portes ouvertes: dans son message du 21 septembre 1998 concernant la révision du code pénal suisse, le Conseil fédéral a déjà présenté un vaste paquet de nouveautés et de garde-fous pour protéger la collectivité contre des délinquants dangereux. Ces propositions du Conseil fédéral incluent (exception faite des deux expertises en vue d'ordonner l'internement) non seulement les nouveautés de l'initiative, mais dépassent même en partie largement les postulats de celle-ci. Cela signifie que la mise en oeuvre de la nouvelle disposition constitutionnelle dans le code pénal aurait moins d'impacts que ce qui a déjà été proposé par le Conseil fédéral et adopté par le Conseil des Etats.

Il ne ressort pas du texte de l'initiative à quel type de responsabilité les auteurs de l'initiative voudraient soumettre les autorités chargées de libérer des personnes internées. Le droit fédéral contient cependant en tout cas les fondements nécessaires du point de vue du droit pénal et du droit de la responsabilité. Si l'on admet que l'initiative requiert une responsabilité causale, les cantons qui ne l'ont pas encore fait, devraient introduire une telle responsabilité.

Nous proposons par conséquent de soumettre l'initiative au peuple et aux cantons, sans contre-projet, et de rejeter celle-ci.

3295