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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant

la modification de l'article 2, alinéa 1er, de la loi fédérale du 25 juin 1903 sur la naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse.

(Du 28 juin 1919.)

Messieurs, La revision de la loi fédérale du 25 juin 1903 sur la naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse est nécessaire pour de multiples raisons. Le nombre toujours croissant des étrangers en Suisse démontre d'ailleurs toute l'importance de cette question. D'après le recensement de 1910, les colonies étrangères dans notre pays accusaient un total de 552,011 personnes, soit le 14,7 % de la population totale.

Nous n'avons pas manqué, dans la mesure où les événements de la politique internationale nous ont permis de le faire, de poursuivre les travaux préliminaires de cette revision législative et une commission consultative sera incessamment convoquée pour examiner quelles sont les mesures à prendre pour remanier d'une façon fondamentale notre législation sur la nationalité. Il s'agira avant tout d'introduire dans notre législation le principe de l'incorporation des allogènes au profit de certaines catégories d'enfants étrangers ayant vu le jour sur territoire suisse. Une revision totale de la loi fédérale sur la naturalisation ne pourra pas, selon toute vraisemblance, aboutir avant plusieurs années, eu égard à la complexité des problèmes qu'elle soulève. Dans ces circonstances, nous sommes persuadés qu'il est nécessaire de procéder d'abord à une revision partielle portant sur les seules conditions de domicile à exiger des candidats à la naturalisation ordinaire, car cette revision partielle revêt actuellement un caractère urgent.

I.

Les étrangers qui désirent obtenir la nationalité suisse doivent demander au Conseil fédéral l'autorisation de se faire recevoir citoyens d'un canton et d'une commune et, aux

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termes de l'art. 2 de la loi fédérale du 25 juin 1903 sur la^ naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse, cette autorisation ne peut leur être accordée «que si l'étranger a eu son domicile ordinaire en Suisse pendant les deux ans qui précèdent immédiatement sa demande ».

-, Ce stage de deux ans présente l'inconvénient d'être beaucoup trop strict et beaucoup trop court; trop strict, car au cours de la guerre européenne, les cas se sont présentés par centaines d'étrangers élevés en Suisse, mais qui s'en sont absentés pendant les deux dernières années précédant immédiatement leurs requêtes et qui ont dû attendre deux années encore avant de pouvoir se faire recevoir citoyens suisses; trop court, car il n'est pas de nature à assurer l'agrégation des seuls étrangers qui ont suffisamment subi l'influence du milieu suisse, ni à éviter les naturalisations de candidats par trop opportunistes qui désirent simplement changer de nationalité et quitter notre pays, sans se soucier de vivrò de notre vie nationale.

Les principes directeurs de la politique de naturalisation.

à suivre en Suisse pour assurer l'assimilation des 552.000 étrangers établis sur notre sol et pour écarter le danger d'un envahissement continu du pays par des immigrés, doivent viser à faciliter l'acquisition de notre droit de cité à tous ceux qui sont nés en Suisse, ainsi qu'à ceux qm", par un longséjour en Suisse, ont été gagnés par nos idées politiques et ont contribué par leur travail à notre vie économique. Mais il convient d'autre part de mettre des obstacles à l'établissement et à la naturalisation de tous les étrangers venus en Suisse pendant la guerre, car, pour ceux-ci, ce sont souvent des considérations économiques et financières qui les ont poussés à venir sur notre territoire; le séjour de deux ans seulement prévu par la loi ne permet pas en tout cas de présumer chez eux une sincère attirance pour la vie suisse, ni une véritable assimilation au moment où ils demandent leur naturalisation.

II.

Pendant la crise internationale, le nombre des naturalisations, comparé à celui des années précédentes, a plus que doublé. Si on ajoute aux naturalisés les anciennes Suissesses réintégrées dans le droit de cité suisse qu'elles possédaient avant leur mariage avec des étrangers, les statistique» des quatre années de 1915 à 1918 accusent un total de 13,303 cas de naturalisation comprenant avec les familles des requérants

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;37,102 personnes, soit une moyenne de 3.326 cas et 9.275 personnes par année, ou 168 par dix mille étrangers; les statistiques les plus élevées avant la guerre, soit celles de 1911 à 1913 étaient loin d'atteindre ces chiffres, puisqu'elles ne présentent qu'une moyenne annuelle de 1655 naturalisations et réintégrations, comprenant 4804 personnes, soit 87 par dix mille (il n'est pas possible de faire état des statistiques de 1914 qui sont incomplètes). Le tableau suivant fournira les indications suffisantes à cet égard: Naturalisation des étrangers de 1901-1918 1901--1910 (10 ans) recensement de 1910 1911--1913 (S ans) recensement de 19 10 1914 . . .

1915--1918 (4 ans) recensement de 1910

Total des cas

Moyenne annuelle des

cas

personnes

Moyenne annuelle par personnes 10 ODO étrangers

i

11 543 34580 ! 1154

3458

62

4965 14414 1655 1 705 ?

1705

4804 ?

87 ?

115 308 37102 3326

9275

168

i

Si l'on considère qu'avant la guerre déjà les colonies étrangères augmentaient, soit par naissance, soit par immigration, de 16.859 personnes par année, il faut reconnaître que le chiffre de 9275 naturalisés par an n'a rien d'excessif, ni au point de vue absolu, ni au point de vue relatif, puisqu'il prouve que notre politique de naturalisation n'est pas ·encore suffisante pour parer à une augmentation continue des colonies étrangères.

Mais il ne faut pas omettre de considérer que les événements internationaux ont donné lieu dans notre pays à des mouvements migratoires qui nous sont défavorables. Ensuite des prélèvements opérés dans la population masculine par le lourd impôt du aang dans les grands Etats qui nous entourent, de forts contingents d'étrangers nés en Suisse et assimilés ont quitté notre pays pour remplir leurs obligations militaires envers leur patrie; ils ont été remplacés par une population étrangère flottante, le plus souvent sans attaches véritables avec la Suisse.

C'est pour éviter la concession de l'indigénat suisse aux étrangers qui cherchaient avant tout à se soustraire à leurs devoirs envers leur pays d'origine ou qui espéraient tourner par une naturalisation les entraves apportées au commerce

238 international par la guerre mondiale, que nous avons refusé par principe l'autorisation de naturalisation aux déserteurs, aux réfraotaires qui n'avaient jamais habité la Suisse avant les déclarations de guerre, aux accapareurs, aux personnes compromises de près ou de loin dans des affaires d'espionnage, et que nous avons jugé avec une recrudescence de sévérité tout ce qui concernait la moralité des candidats. Par décision du 30 novembre 1917, nous avons renforcé les conditions du stage et décidé d'exiger un domicile de quatre années, immédiatement avant leur requête de tous les requérants qui n'avaient pas leur domicile ordinaire en Suisse au 31 juillet 1914, en considération du fait que ces candidats ont souvent été poussés à s'établir en Suisse par les événements de la guerre; alors même que rien ne peut être relevé contre eux au sujet de leur moralité, il y a de fortes prohabilités pour qu'ils quittent la Suisse dès que la situation internationale se sera de nouveau orientée vers un état plus stable. Il va de soi que la Suisse n'a aucun intérêt à concéder son droit de cité à des étrangers qui la quitteront en grand nombre dès qu'ils auront la possibilité d'obtenir des papiers suisses.

La brièveté même du stage imposé aux candidats à l'indigénat suisse, nous a induit à rompre avec la notion du domicile en droit civil et à faire du domicile, en matière de naturalisation, une notion spéciale de droit public, impliquant la présence effective du candidat sur la base d'une autorisation officielle délivrée par les autorités compétentes. L'article 2 de la loi fédérale de 1903 pose la condition d'un ^domicile ordinaire» et la même terminologie avait été consacrée par la loi fédérale du 3 juillet 1876 sur la naturalisation. Mais déjà sous l'empire de cette dernière loi, le Conseil fédéral s'était rallié à la notion d'un domicile rigoureusement effectif et ininterrompu à exiger des candidats à l'indigénat suisse; il n'avait pas laissé d'exposer ce point de vue dans une circulaire aux gouvernements cantonaux du 10 mars 1884 (Feuille fédérale 1884, vol I, p. 512, al. 4 et 5). En 1904 cependant et plus récemment en 1912, le Conseil fédéral a admis, dans deux cas, que le domicile civil suffisait pour obtenir l'autorisation fédérale de naturalisation. Il n'a cependant jamais adopté toutes les conséquences
des règles du droit civil sur le domicile lorsqu'il s'agissait de naturalisations; ainsi il n'a jamais admis la notion du domicile légal et estima toujours qu'un requérant mineur était domicilié au lieu de sa demeure effective et non pas là où résidaient ses parents, non plus que là où siégeaient les autorités tutélaires.

239Les règles sur le domicile du droit civil .ne peuvent pas être appliquées d'une manière absolument conséquente en< matière de naturalisation, et il nous paraît d'autant plus indiqué de nous en tenir à la notion d'un domicile de droit public, qu'au cours de la guerre mondiale nous avons dans notre jurisprudence derechef accentué la condition de l'effectivité du domicile afin d'éviter des constitutions frauduleuses de domicile, par simple dépôt de papiers, sans séjour effectif en Suisse. Cette juriprudence répond d'ailleurs à la ratio legis du domicile exigé des candidats, car la naturalisation ne se justifie que par une influence exercée sur l'étranger par le milieu où il vit.

Pour ces diverses raisons nous vous proposons d'abandonner la terminologie qui a prévalu jusqu'à présent dans nos lois sur la naturalisation et 'd'exiger des candidats un « domicile effectif » en Suisse plutôt qu'un domicile simplement ordinaire qui, dans la pratique, peut prêter à contestation. Ce que cette exigence peut avoir de trop rigide, eu égard aux grands besoins de libre déplacement de notre époque, peut être mitigé, dans l'application pratique de la loi, en tenant compte des circonstances spéciales d'un casdonné et en ne considérant pas comme un abandon du domicile en Suisse une courte et passagère absence.

III.

Le séjour de quatre ans que nous avons exigé de tous les candidats venus en Suisse depuis la guerre n'est plus suffisant pour éviter des naturalisations ayant un pur caractère d'opportunité.

Depuis l'armistice du 11 novembre 1918, un grand nombre de requêtes sont présentées par des personnes qui espèrent sauver par un changement d'indigénat leur patrimoine compromis à l'étranger; ce qui les incite à se faire naturaliser, c'est la crainte de voir leurs fortunes confisquées ou frappées d'impôts exorbitants; il est certain qu'il n'y a pas trace d'une affection véritable pour la Suisse chez ces candidats..

D'autres demandes proviennent de négociants qui craignent le boycottage des produits de leur patrie après la conclusion de la paix; le désir d'y échapper au moyen d'une naturalisation inspirée de motifs purement économiques (et qui risque de porter atteinte au bon renom de notre commerce et de notre industrie à l'étranger) a poussé un certain nombre d'entre eux à immigrer en Suisse; ils attendent avec impatience le moment où la durée de leur séjour leur permettra de solliciter notre indigénat.

.240 Une prolongation des conditions de domicile s'impose donc; elle aura pour effet de mettre obstacle à la naturalisation de ceux qui ne pensent qu'à trafiquer à l'abri de notre indigénat; elle évitera également de nouvelles immigrations, car les étrangers hésiteront à venir en Suisse lorsqu'ils se rendront compte de l'impossibilité où ils SQ trouveront de se faire naturaliser à bref délai, comme ils l'espèrent.

IV.

Le stage de deux ans exigé des candidats à notre indigénat par l'art. 2 de la loi fédérale du 25 juin 1903 sur la naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse est un des plus courts que Fon rencontre dans les législations positives. Les seuls Etats qui se contentent de conditions moins sévères que celles de notre loi sont le Portugal où tout étranger peut se faire naturaliser après un an de domicile, et l'Allemagne et l'Autriche où la naturalisation n'est conditionnée par aucun stage et où il suffit que le récipiendaire soit établi ou en séjour dans un de ces deux Etats pour pouvoir solliciter son agrégation; le droit autrichien se borne à prévoir que la naturalisation ne peut pas être refusée à l'étranger qui y a résidé pendant dix ans à partir de sa majorité; mais il ne contient aucune disposition sur la durée minimum du domicile effectif à exiger des candidats qui ne possèdent pas ce droit à la naturalisation.

Dans les autres Etats européens, un domicile stable et d'une durée qui varie entre trois et dix ans est considéré comme la condition sine qua non que doit remplir tout candidat à l'indigénat.

En France, l'étranger doit justifier d'ordinaire d'un séjour de dix années, qui peut être réduit à trois années lorsqu'il a demandé et obtenu préalablement son « admission à domicile », ce qui a pour effet de l'assimiler au Français au point de vue de la jouissance des droits civils; si le candidat a épousé une Française ou s'il a rendu des services signalés à la nation, un domicile d'une année seulement est considéré comme suffisant.

La Bulgarie a adopté une réglementation analogue: l'impétrant doit ou bien avoir résidé dans le royaume pendant dix ans sans interruption, ou établir y avoir vécu pendant trois années après avoir bénéficié d'une « admission à domicile » semblable à celle prévue par la législation française ;

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le stage peut être réduit à un an pour ceux qui ont rendu d'importants services à l'Etat.

En Espagne, il faut aussi d'ordinaire que la naturalisation soit précédée d'un domicile de dix années; cependant, un stage de cinq années est considéré comme suffisant pour ceux qui ont épousé des Espagnoles ou qui ont rendu des services éminents à l'Etat.

La Roumanie veut également que le candidat ait habité sur son territoire pendant dix ans à partir du moment où il demande la naturalisation, ce stage pouvant être supprimé pour certaines catégories de personnes, soit celles qui sont nées et ont été élevées en Roumanie, celles qui ont rendu de grands services au pays ou qui ont servi sous les drapeaux roumains pendant une guerre.

En Italie, on exige dans la règle un domicile de cinq années, qui peut être réduit à trois ans pour les étrangers qui ont rendu des services éminents à l'Etat ou qui ont épousé des Italiennes et à une année seulement lorsqu'il s'agit de candidats qui auraient pu devenir Italiens par bienfait de la loi s'ils n'avaient pas omis de revendiquer cette qualité dans les délais légaux; le bénéfice d'un stage aussi court n'est accordé qu'à l'étranger né en Italie, ou né à l'étranger de parents domiciliés depuis au moins dix ans au moment de sa naissance, ou à celui dont le père, la mère ou. le grandpère paternel étaient Italiens par descendance et qui, étant personnellement domicilié en Italie depuis moins de dix ans à l'âge de 21 ans révolus, n'a pas expressément opté pour l'indigénat italien au cours de sa 22e année; certains candidats sont même dispensés de toute condition de stage en Italie; ce sont ceux qui ont été au service de l'Italie pendant au moins trois ans à l'étranger, ainsi que ceux qui ont rendu à l'Etat des " services exceptionnels et qui sont reçus citoyens par une loi du parlement.

En Hongrie, il faut pour pouvoir être naturalisé que l'impétrant prouve avoir été domicile d'une manière ininter^ rompue dans le pays pendant cinq ans. Ce même stage de cinq ans est exigé par les législations anglaise, belge, danoise, luxembourgeoise, hollandaise, ottomane; d'après la législation belge, ce délai de cinq ans n'est de règle que pour la naturalisation dite ordinaire qui n'assure pas à l'étranger l'exercice de tous les droits politiques; pour en bénéficier, celui-ci doit obtenir la « grande naturalisation » qui n'est conférée qu'après dix ans de séjour au moins s'il s'agit de reFeuille fédérale suisse. 71" année. Vol. IV.

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quérants mariés, ou après quinze ans de stage s'il s'agit de célibataires ou de veufs sans enfants.

Dans les droits slaves, le stage requis pour la naturalisation varie entre sept ans en Serbie et cinq ans dans la Russie impériale.

Aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord, nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie d'un séjour de cinq ans dans la République, séjour qui peut être réduit à trois ans lorsqu'il s'agit d'un marin étranger ayant servi à bord d'un navire de commerce battant pavillon des Etats-Unis, et même à une année lorsqu'il s'agit d'engagés volontaires dans les armées fédérales.

En Grèce, en Suède, en Norvège et en Finlande, il faut un domicile de trois ans et dans la plupart des Républiques sud-américaines, le stage imposé aux candidats à l'indigénat varie entre deux et trois ans.

Si nous faisons donc abstraction des réductions de stage accordées à titre exceptionnel à certaines catégories de candidats, il résulte de cet exposé de législation comparée qu'un domicile de dix ans est la règle dans quatre Etats, un domicile de sept ans dans un Etat, un domicile de cinq ans dans dix Etats, un stage de trois ans dans quatre Etats (non compris les Républiques sud-américaines); un seul Etat se contente d'un stage d'une année, deux Etats n'ayant en outre pas jugé opportun de fixer la durée du domicile à exiger des candidats à leur indigénat.

Il faut encore relever le caractère particulièrement souple des règles du droit anglais qui admettent à la naturalisation les étrangers justifiant d'un domicile de cinq ans dont un an immédiatement avant leur requête en Grande-Bretagne et les quatre autres années pendant les huit années qui la précèdent dans les possessions britaniques; de même peuvent se faire recevoir ressortissants britanniques les étrangers qui, bien que domiciliés hors- des possessions anglaises, ont été au service de la Couronne .pendant cinq ans au moins au cours des huit années qui précèdent leur requête.

V.

Eu égard à la situation géographique de la Suisse qui se trouve au carrefour des routes menant du sud au nord et de l'est à l'ouest de l'Europe, nous pensons que nous pouvons utilement nous inspirer de la solution admise en Angleterre, tout en l'adaptant à notre situation particulière. Nous pro-

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posons donc de demander .aux candidats à notre indigénat un séjour total de six ans dont un an immédiatement avant leur requête, les cinq autres années devant être réparties sur les [douze ans !qui la précèdent.

La prolongation du stage requis pour la naturalisation apparaît comme une impérieuse nécessité en présence des mouvements migratoires qui se dessinent déjà et qui n'iront qu'en s'accentuant; par sa situation au centre de l'Europe, la Suisse se trouve tout naturellement sur la voie que doivent suivre toutes les foules en mal d'émigration; une partie d'entre elles s'attarderont sur notre territoire et un séjour de courte durée ne doit pas permettre une naturalisation. Il n'y a donc rien d'excessif à exiger des futurs candidats à notre droit de cité qu'ils justifient d'un séjour de six années eu Suisse; cela ne sera pas de nature à décourager les requérants qui ont de sérieuses attaches avec la Suisse, car il ressort d'une statistique élaborée par le département politique en 1917 que le 34 % des naturalisés sont nés en Suisse, le 39,1 % y résident depuis plus de dix ans, le 22,6 °/o y sont depuis cinq à dix ans, le plus souvent 7 à 8 ans (voir rapport de gestion de la division des affaires intérieures du département politique suisse pour 1917, Feuille fédérale 1918, vol. II, p. 22). Par cette mesure seront écartés les seuls étrangers qui ne font qu'un séjour de courte durée en Suisse dans le but de s'y faire naturaliser et se proposent ensuite de quitter le pays, ou qui désirent rapidement changer d'indigénat pour des motifs d'ordre commercial.

La garantie étant ainsi fournie que les candidats à notre indigénat n'obéiront pas à des motifs de simple opportunité, nous estimons équitable d'agencer le domicile à exiger, d'eux de telle manière qu'il ne soit pas complètement interrompu par un bref séjour qu'ils auraient été amenés à faire hors de Suisse pendant la période critique du stage qui leur sera imposé. Il n'est pas de l'intérêt de la Suisse d'imposer un nouveau stage de six années à un candidat qui, peu dei temps avant l'accomplissement des conditions légales de domicile, s'est vu obligé par les circonstances d'interrompre pour quelques mois son séjour en Suisse. Nous nous proposons donc de ne pas exiger que ce domicile de six ans ait lieu d'une manière ininterrompue immédiatement avant'
la requête de l'impétrant,- mais de le répartir sur une période de douze années et de nous borner à demander au candidat un séjour ininterrompu en Suisse pendant la seule année qui précède

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immédiatement la requête; de cette manière il pourra équitablement être tenu compte d'un long séjour en Suisse malgré quelques absences ayant un caractère purement accidentel.

Une présence totale de six années sur notre territoire au cours de douze ans avant la demande du candidat, celui-ci devant justifier de son séjour ininterrompu en Suisse _pour la dernière année de cette dernière période, est de nature à assurer la sincérité d'une naturalisation. Les conditions de domicile que nous proposons permettront donc, sans compromettre en rien notre politique de naturalisation, d'appliquer la loi avec plus de souplesse que ce ne fut. le cas auparavant et de la mieux adapter à la diversité des cas particuliers.

VI.

Les règles fondamentales du domicile à exiger des étrangers pour la naturalisation ordinaire en Suisse étant posées, il faut examiner la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu d'y apporter certains tempéraments en faveur de catégories de candidats particulièrement désignés par leur origine ou leur activité pour faire partie intégrante du peuple suisse.

[Des facilités spéciales sont fréquemment accordées dans les législations étrangères aux candidats ayant épousé des ressortissantes de l'Etat où ils veulent se faire naturaliser, à ceux qui ont rendu de grands services à cet Etat, y onb introduit des industries ou inventions utiles, y ont apporté des talents distingués, y ont créé des établissements industriels ou ag-ricoles, ou ont exercé soit dans le pays, soit à l'étranger des fonctions à eux conférées par le gouvernement du pays dont ils briguent l'indigénat. Des règles de ce genre, consacrées fa>ut d'abord par le législateur français ont été, au cours du dernier siècle, admises par un grand nombre de, législations néo-latines et, d'une manière générale, par toutes les lois qui se sont inspirées du droit français.

Etant donné le court stage de deux ans prévu par la loi fédérale du 25 juin 1903, il est évident que le législateur fédéral n'avait pas à aborder l'examen de cette question et qu'il devait soumettre tous les candidats sans distinction à une règle commune ne comportant ni exceptions, ni restrictions. Mais dès l'instant où les conditions de domicile sont considérablement prolongées, il convient d'examiner s'il n'est pas indiqué de prévoir une réduction du stage légal pour des étrangers manifestement assimilés, et s'il est de

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l'intérêt du pays d'apporter le moins d'entraves possibles à leur transformation en citoyens suisses.

La détermination des personnes pouvant ainsi bénéficier de conditions de domicile moins rigoureuses est assez délicate.

Nous ne pensons pas que le fait d'être issu d'une mère d'origine suisse ou d'avoir épousé une Suissesse soit suffisant pour dispenser le candidat d'une partie du stage de six années qui doit, selon nos propositions, être désormais exigé de lui; cela ne fournit pas encore la certitude, ni même la probabilité d'une assimilation, car ce qu'il serait intéressant de savoir et ce qu'il est le plus souvent impossible de déterminer in casu, c'est laquelle des deux influences, celle du père étranger ou de la mère suisse a été déterminante pour la formation du néophyte, laquelle des deux mentalités a pris le pas sur l'autre, celle du mari étranger sur la femme d'origine suisse ou celle de cette dernière sur son époux étranger.

La seule circonstance qui puisse être retenue, eu égard à l'origine des candidats, c'est la naissance sur sol suisse suivie d'une éducation prolongée dans des milieux suisses.

Les étrangers nés en Suisse gui y ont vécu pendant dix années au moins au cours des vingt premières années de leur vie nous paraissent suffisamment assimilés pour qu'il soit possible de les dispenser d'un séjour de six ans dans les douze ans précédant leur requête; le plus souvent, ils rempliront d'ailleurs ces exigences; mais pour les allogènes de cette catégorie qui auraient émigré et seraient ensuite revenus en Suisse -- ainsi que ce fut le cas d'un grand nombre d'entre eux au cours de la guerre mondiale -- nous proposons de n'exiger qu'un domicile de trois ans pendant les cinq ans avant leur requête dont une année immédiatement avant cette dernière.

Quant aux facilités à accorder aux candidats qui, en raison de leur activité, ont particulièrement bien mérité de notre indigénat, nous proposons de ne les admettre gué pour les seuls cas de naturalisation d'honneur. La loi fédérale du 25 juin 1903 se borne à prévoir en son article premier, alinéa 2, que «lorsqu'il s'agit d'accorder à un étranger la naturalisation de faveur, le gouvernement cantonal doit également demander l'autorisation du Conseil fédéral». En interprétant ce texte légal, le Conseil fédéral a admis (rapport de gestion du
département politique fédéral de 1897, Feuille jédémlc 1898, vol. I, p. 870) qu'en cas de concession de la bourgeoisie d'honneur, le récipiendaire devait, comme les autres candidats, remplir lés conditions d'un domicile ininterrompu

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de deux années. Il nous paraît équitable d'apporter ici aussi un adoucissement aux nouvelles règles sur le domicile que nous proposons et d'admettre que l'autorisation fédérale pourra être accordée à un étranger devant bénéficier de la naturalisation d'honneur si la preuve est fournie, comme dans l'éventualité précédente, qu'il a résidé en Suisse pendant trois ans dans les cinq années avant la requête dont une année au moins immédiatement avant cette dernière.

vu.

Pour que la prolongation des conditions de domicile à exiger des naturalisés sorte tous ses effets utiles, il est nécessaire de déclarer que les modifications législatives proposées sont applicables à toutes les demandes de naturalisation introduites avant la promulgation de la nouvelle loi, mais dont l'instruction n'a pas encore été terminée par les autorités fédérales. Il faut, en effet, prévoir qu'une recrudescence de demandes sera provoquée par l'augmentation du stage exigé des candidats à notre indigénat et qu'un grand nombre d'entre eux tenteront encore de se glisser au dernier moment danb notre indigénat afin de bénéficier des conditions plus larges prévues par la législation actuelle.

Sur la base des considérations qui précèdent, nous vous recommandons d'adopter le projet de loi qui vous est soumis.

Berne, le 28 juin 1919.

Au nom du Conseil fédéral suisse : Le ·président de la Confédération, ADOR.

Le chancelier de la Confédération, STEIGER.

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(Projet.)

Loi fédérale modifiant er

l'article 2, alinéa 1 , de la loi fédérale du 25 juin 1903 sur la naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

C O N F É D É R A T I O N SUISSE, En exécution de l'article 44 de la constitution fédérale; Vu le message du Conseil fédéral du 28 juin 1919, décrète: Article premier. L'article 2, alinéa 1er, de la loi fédérale sur xl a naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse du 25 juin 1903 a la teneur suivante: L'autorisation ne pourra être accordée que si. l'étranger a eu son domicile effectif en Suisse pendant au moins six années au cours des douze années qui précèdent sa requête dont une année immédiatement avant cette dernière. Les étrangers qui sont nés en Suisse et y ont résidé au moins dix années au cours des vingt premières années de leur vie, ainsi que ceux auxquels il s'agit d'accorder la naturalisation de faveur (art. 1er, al. 2, de la loi) peuvent obtenir l'autorisation après un domicile effectif en Suisse de trois années au cours des cinq années qui précèdent la demande dont une année immédiatement avant cette dernière.

Art. 2. Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution de la présente loi; il fixera la date de son entrée en vigueur.

Les prescriptions ci-dessus ne seront pas seulement applicables aux demandes de naturalisation introduites après la promulgation de la présente loi, mais aussi à celles déjà pendantes au moment de son entrée en vigueur.

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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la modification de l'article 2, alinéa 1er, de la loi fédérale du 25 juin 1903 sur la naturalisation des étrangers et la renonciation à la nationalité suisse. (Du 28 juin 1919.)

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