ad 06.425 Initiative parlementaire Encouragement de la presse par une participation aux frais de distribution Rapport du 15 février 2007 de la Commission des institutions politiques du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 28 février 2007

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement (LParl; RS 171.10), nous prenons ci-dessous position sur le rapport du 15 février 2007 de la Commission des institutions politiques du Conseil national concernant l'initiative parlementaire «Encouragement de la presse par une participation aux frais de distribution».

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

28 février 2007

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2007-0427

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Avis 1

Contexte

Dans le cadre des mesures d'allégement du budget de la Confédération 2002, le Parlement a suivi la proposition du Conseil fédéral d'abroger à fin 2007 l'art. 15 de la loi sur la poste (LPO) (FF 2002 6482). Contrairement à sa décision initiale et contre la volonté du Conseil fédéral, le Parlement a adopté en mars 2005 la motion de la CIP-E «Encouragement de la presse par une participation aux frais de distribution» (04.3433), annulant sa propre décision de 2002.

Le 21 décembre 2005, après avoir discuté de plusieurs variantes pour mettre en oeuvre la motion de la CIP-E, le Conseil fédéral a décidé de camper sur ses positions en renonçant à élaborer un projet et en proposant au Parlement dans le délai prévu par la loi, conformément à l'art. 122, al. 3, de la loi sur le Parlement, de classer la motion.

Le 23 février 2006, la CIP-N a alors décidé d'élaborer, au moyen d'une initiative de commission (06.425), un projet de loi conformément à la motion 04.3433. Le 6 mars 2006, la CIP-E a approuvé cette décision. L'avant-projet de la CIP-N, élaboré par une sous-commission et concernant un nouvel art. 15 LPO, prévoit un modèle d'aide à deux niveaux. La Poste serait tenue de distribuer les journaux et les périodiques à des prix préférentiels fixés indépendamment de la distance, le modèle tarifaire actuel étant maintenu. La Confédération verserait à la Poste une indemnité annuelle maximale de 60 millions de francs. Par ailleurs, la Poste recevrait une indemnité annuelle de 20 millions de francs pour accorder des rabais supplémentaires à la presse régionale et locale.

Sur mandat de la CIP-N du 20 octobre 2006, le DETEC (PostReg) a mené une procédure de consultation sur le projet, laquelle pris fin le 10 janvier 2007. Le 2 février 2007, la majorité de la CdF-N a rejeté le projet de la CIP-N. Le 15 février 2007, la CIP-N a complété son projet en limitant à sept ans la durée d'octroi de l'aide et en précisant le rapport explicatif en ce qui concerne la prise en compte des têtières. Le même jour, elle a transmis le projet, demeuré sinon inchangé, au Conseil national et, pour avis, au Conseil fédéral.

2

Avis du Conseil fédéral

2.1

Considérations générales

Le Conseil fédéral reconnaît l'importance des médias, et notamment de la presse, pour la formation de la volonté démocratique. Les expériences faites jusqu'à présent avec le système d'aide indirecte à la presse sont toutefois décevantes. En 2001 déjà, une étude de l'entreprise Ecoplan, mandatée par le DETEC, parvenait à la conclusion qu'il s'agissait d'une subvention peu efficace accordée selon le principe de l'arrosoir. Les imperfections du système ont été discutées à maintes reprises au cours des dernières années et sont généralement connues; plusieurs tentatives d'y remédier ont échoué. En 2002, lors de la décision de supprimer la subvention, le Parlement et le Conseil fédéral étaient d'accord: l'objectif, en soi légitime au niveau démocratique, d'encourager la presse locale et régionale à faible tirage ne peut pas 2400

être réalisé par un modèle d'aide indirecte à la presse. Les avis rendus lors de la consultation sur le projet de la CIP-N font craindre que, si le système est reconduit, le cercle des bénéficiaires pourrait même s'élargir encore, ce qui affaiblirait davantage l'efficacité de la subvention actuelle.

Comme le montre l'évolution en Europe, le système d'aide indirecte à la presse semble périmé. Au cours des dernières années, plusieurs pays européens l'ont simplement supprimé ou remplacé par un système d'aide directe. Seules la France et la Belgique connaissent encore un modèle comparable. Mais la part rédactionnelle minimale requise y est beaucoup plus élevée qu'en Suisse. Par ailleurs, aucun pays d'Europe, même parmi ceux qui accordent une aide directe, ne consacre un montant aussi élevé que la Suisse.

Même si l'art. 15 LPO devient définitivement caduc, la distribution des journaux et périodiques en abonnement dans toute la Suisse restera garantie, puisqu'elle fait partie du mandat de service universel de la Poste. Ceci vaut aussi pour le financement du service universel (y compris la distribution des journaux dans tout le pays).

La Poste ne court aucun risque au niveau du financement. Le modèle de financement du service universel adopté par le Conseil fédéral et le Parlement dans le cadre de la Vue d'ensemble du marché postal de 2002 reste valable: la Poste est tenue de financer le service universel au moyen des recettes de ses prestations et de mesures de rationalisation. Si ces instruments devaient un jour ne plus suffire, une redevance pourrait être perçue auprès des concessionnaires postaux privés afin de financer les coûts non couverts du service universel. L'instrument de l'indemnité étatique n'interviendrait qu'en dernier recours. En 2004, la Poste a réalisé un résultat de groupe de 837 millions de francs et, en 2005, de 811 millions; le résultat du service universel s'est élevé respectivement à 777 et à 711 millions de francs (y compris le transport des journaux et périodiques en abonnement). On s'attend à des résultats aussi bons pour l'exercice 2006. Notamment en raison du niveau de protection élevé qu'offre le monopole (90 % des lettres sont couvertes par le monopole), les perspectives à moyen terme restent également bonnes pour le financement du service universel. On peut donc d'ores
et déjà conclure que, même sans la subvention accordée au titre de l'aide à la presse, le financement du service universel repose sur de solides bases.

Cette conception globale du financement du service postal universel est sensée.

Notamment la réunion du traitement des lettres et des journaux crée des synergies considérables. En même temps, l'attribution exacte des coûts à l'un de ces deux secteurs est très difficile. C'est pourquoi il est problématique de scinder une partie de ce système et de la faire bénéficier d'une indemnité de l'Etat, comme on l'a fait jusqu'ici avec le système d'aide indirecte à la presse.

La fin de l'aide indirecte à la presse entraînera-t-elle des hausses tarifaires ou l'introduction de prix liés à la distance? La réponse à cette question dépendra notamment de l'évolution de la concurrence qui serait favorisée par la disparition de la subvention. Bien que, depuis plusieurs années déjà, les opérateurs privés aient pu se lancer aussi en Suisse dans le marché de la distribution ordinaire des journaux, ils se sont abstenus de le faire. Dans leur évaluation du marché postal suisse de 2005, les experts ont expliqué cette réticence par l'effet de la subvention, qui constitue un obstacle à l'accès au marché. Quant à l'introduction de tarifs liés à la distance, elle est peu vraisemblable. De tels tarifs pourraient d'ailleurs d'ores et déjà être pratiqués dans le marché des colis ou le marché des lettres de plus de 100 g. Pour la presse associative à faible tirage, les prix pourraient augmenter puisque ces produits seront 2401

éventuellement soumis aux tarifs des lettres plus élevés. Mais il est tout aussi concevable qu'une stimulation de la concurrence empêche de telles hausses. Un tel scénario paraît d'ailleurs possible étant donné que la presse associative estime dans les réponses qu'elle a fournies lors de la consultation qu'une distribution bihebdomadaire serait suffisante. Si en outre, dans une phase initiale, la concurrence n'était pas assez efficace, la Poste ne pourrait malgré tout pas simplement augmenter ses tarifs.

Comme elle dispose d'une position dominante sur le marché, elle devrait soumettre ses calculs au surveillant des prix en tenant compte du marché des journaux dans sa globalité, et non seulement des journaux et périodiques en abonnement. Si la subvention pour l'aide à la presse est supprimée, des hausses tarifaires ne seront donc certes pas exclues, mais il existe un mécanisme éprouvé permettant d'éviter qu'elles soient injustifiées.

On rappellera également que les produits de presse bénéficient d'un taux réduit de TVA. Plusieurs pays européens considèrent que cette réduction constitue déjà une forme d'aide indirecte à la presse. Il ne faut en outre pas oublier que dorénavant, en vertu des règles générales de tarification, les éditeurs et les organisations d'utilité publique pourraient demander des rabais comme ceux accordés aux gros clients.

2.2

Considérations financières

Dans le cadre des mesures d'allégement budgétaire 2002, le Parlement a supprimé l'aide indirecte à la presse pour fin 2007 étant donné que, déjà à l'époque, les subventions accordées selon le principe de l'arrosoir, peu efficaces, ne cadraient déjà plus avec la politique financière. Malgré des comptes 2006 réjouissants, la situation financière n'a pas fondamentalement changé. Dans les années à venir, des paiements extraordinaires d'au moins 5 milliards de francs sont attendus. Afin de réaliser l'objectif déclaré du frein à l'endettement, à savoir la stabilisation nominale de la dette fédérale, il faudra réaliser des excédents structurels de cet ordre de grandeur dans les années à venir. Il faudra en outre tenir compte de la charge croissante dans le domaine des assurances sociales liée à l'évolution démographique. C'est pourquoi le Conseil fédéral a décidé de procéder à un réexamen des tâches afin de parvenir, d'ici 2015, à stabiliser la quote-part de l'Etat et à créer une marge de manoeuvre pour de futurs besoins. Les premiers allégements seront réalisés dès 2008. Le budget 2008 ainsi que le plan financier des années 2009 et 2010 prévoient donc des économies supplémentaires de respectivement 700, 950 et 1200 millions de francs, qui exigeront, du moins en partie, des réductions budgétaires usuelles.

Cela étant, le Conseil fédéral estime que, sous l'angle de la politique financière, la reconduction de la subvention annuelle de 80 millions de francs pour l'aide à la presse est très aléatoire, ce d'autant que même de nombreux organismes qui se sont exprimés en faveur de cette aide lors de la consultation reconnaissent que l'on réintroduirait une subvention peu efficace accordée selon le principe de l'arrosoir. En raison du frein à l'endettement, il faudrait compenser l'intégralité des dépenses annuelles supplémentaires de 80 millions de francs dans d'autres domaines. On ne saurait prétendre qu'il s'agit simplement du maintien d'une mesure existante; le plan financier 2008­2010 ne prévoit en effet pas de fonds destinés à l'aide à la presse.

Lors de l'abrogation de l'art. 15 PO, le Parlement avait clairement exprimé sa volonté: l'aide indirecte à la presse devrait être supprimée et remplacée, le cas échéant, par un modèle d'aide directe.

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2.3

Proposition de la commission

A première vue, le modèle proposé par la CIP-N paraît séduisant, notamment parce qu'il prétend pouvoir améliorer l'efficacité de l'ancien système d'aide à la presse au moyen de la subvention actuelle de 80 millions de francs par année. Il semble non seulement possible d'appliquer le tarif préférentiel, mais en plus d'encourager de manière ciblée la presse locale et régionale tout en maintenant les tarifs pratiqués jusqu'à présent. Comme le montre la consultation, le projet ne propose qu'une solution apparente. Même si la grande majorité des organismes consultés l'approuvent sur le principe, les réponses fournies font apparaître très clairement que le plus difficile reste à faire. En effet, les divergences qui sont déjà apparues lors des projets précédents au sujet du cercle des bénéficiaires subsistent toujours.

Les avis divergent ainsi sur la question des publications jugées importantes pour la démocratie et méritant donc d'être soutenues. La prise en compte de la presse associative, mais aussi de la presse spécialisée, est par exemple une question très controversée. L'aide accordée aux grands organes de la presse associative est également contestée puisqu'on la juge généralement injustifiée. Des positions diamétralement opposées apparaissent au sujet des critères d'aide, tant en ce qui concerne l'indemnité de base que l'aide supplémentaire. Les critères contestés sont notamment le tirage, la fréquence de parution et la part rédactionnelle. La prise en compte dans l'aide supplémentaire des réseaux de têtières, prévue par la CIP-N, est également controversée.

Neuf organismes consultés rejettent le projet dans son intégralité, et neuf autres l'acceptent seulement partiellement ou avec des réserves. Le Conseil fédéral est également d'avis qu'en raison des difficultés financières des pouvoirs publics, il ne serait pas raisonnable de réintroduire une subvention superflue qui a été supprimée et qui impliquerait en outre des compensations dans d'autres tâches fédérales. Même de nombreux organismes favorables à l'aide ne dissimulent pas leur malaise. Ils sont également nombreux à reconnaître que leur accord n'est dû qu'à l'absence d'alternatives et au manque de temps.

Même l'aide supplémentaire prévue pour la presse locale et régionale à faible tirage avec une distribution au moins une fois par semaine
souffre d'un défaut majeur. En effet, la distribution matinale devient de plus en plus une question de survie pour ces titres. Or, la proposition de la CIP-N exclut du système d'aide précisément cette forme de distribution, de même que le recours à des tiers. Il n'est dès lors guère surprenant que le modèle d'avenir esquissé sans la moindre valeur juridique par la CIP-N, et qui prévoit la réduction des taxes de distribution indépendamment du type de distribution, ait suscité un vif intérêt lors de la consultation. Pour des raisons liées à la démocratie, il faudrait effectivement, en cas de maintien de l'aide indirecte à la presse, chercher des moyens d'intégrer la distribution matinale dans l'aide à la presse et d'encourager la concurrence. Le Conseil fédéral estime fondamentalement qu'il est inutile de prévoir une nouvelle tâche de l'Etat dans ce domaine avec l'appareil administratif qu'elle implique. Il demeure convaincu que la suppression immédiate de l'aide indirecte à la presse n'aura d'incidences négatives majeures ni sur les acteurs actuels ni sur le service universel. La limitation à sept ans de la durée de validité du système, qui a été ajoutée par la CIP-N au terme de la consultation, n'y change rien.

2403

2.4

Proposition du Conseil fédéral

Pour les raisons invoquées ci-dessus, le Conseil fédéral propose de ne pas entrer en matière sur le projet.

2404