Annexe 2

Rapport sur la politique extérieure en matière de droits de l'homme: bilan 2011­2014 et perspectives

2014-2930

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Condensé L'engagement de la Suisse en faveur des droits de l'homme est ancré dans son ordre juridique et sa tradition et sert les intérêts de notre pays. Sur le plan national, la protection des droits de l'homme est indispensable à la concrétisation de la démocratie directe, car ils fondent la liberté et la sécurité de chacun. Sur le plan international, elle contribue à la sécurité internationale, à la prévention des conflits et au développement durable, en particulier des pays fragiles. Pendant la période sous revue, la Suisse a continué de défendre les droits de l'homme avec détermination, visibilité et crédibilité, ce dans un contexte international caractérisés par des développements contradictoires.

En effet, malgré une architecture des droits de l'homme toujours plus complète, les violations demeurent une réalité dans le monde entier, qu'elles soient commises délibérément ou non par les Etats, qu'elles soient explicitement minimisées par l'invocation d'impératifs présentés comme supérieurs aux obligations en la matière ou simplement ignorées. Ces évolutions se déploient dans un contexte caractérisé par les crises économiques, l'importance croissante et la nature transnationale des acteurs non étatiques, le relativisme culturel, l'explosion des médias sociaux et la complexité des conflits. Elles posent un défi permanent à la Suisse et au système de gouvernance mondiale dans son entier fondé avant tout sur une communauté d'Etats souverains.

Les droits de l'homme sont dans un certain sens victimes de leur succès. Aujourd'hui, il n'est guère de situation ou crise politique qui se développe sans que la dimension des droits de l'homme ne soit explicitement mise en avant dans la rhétorique générale qui accompagne cette situation, dans les causes qui la sous-tendent ou les solutions qui sont formulées pour y remédier. La Suisse considère favorablement cette tendance et soutient l'intégration croissante des droits de l'homme dans les processus de gouvernance internationale. Malheureusement, ce développement s'accompagne depuis quelques années par une politisation croissante des débats, une polarisation grandissantes des positions sur certains thèmes, voire une remise en question de l'universalité des droits de l'homme.

Dans ce contexte exigeant, la Suisse s'est efforcée pendant la période sous revue
de faciliter le dialogue et de trouver des solutions créatives pour optimiser le système de gouvernance et de monitorage en matière de droits de l'homme, promouvoir leur prise en compte dans l'action politique dans sa globalité et garantir une architecture normative et institutionnelle qui soit en adéquation avec les exigences actuelles.

La Suisse s'est en outre attachée à faire avancer le débat concernant la responsabilité des acteurs non étatiques par rapport aux droits de l'homme, le rôle essentiel des entreprises dans le cadre de leur respect et la place centrale de la société civile dans le suivi de leur mise en oeuvre, leur promotion et leur développement dynamique.

En vue de la réalisation de ces objectifs, le Conseil fédéral doit opérer des choix parmi les domaines ou pays dans lesquels s'engager prioritairement, essentiellement afin d'utiliser les moyens à disposition de la manière la plus efficace possible

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et d'obtenir des résultats concrets de nature politique et opérationnelle. Se dégagent ainsi six points forts de l'action de la Suisse pendant la période sous revue, dans lesquels notre pays s'est s'engagé de façon substantielle, visible et parfois décisive.

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Premièrement, la Suisse s'est attachée à renforcer la voix de la société civile et à protéger les défenseurs des droits de l'homme. En plus de leur apporter un soutien politique dans de nombreux contextes, notre pays a déposé annuellement devant le Conseil des droits de l'homme une résolution visant à renforcer la protection des droits de l'homme dans le contexte des manifestations pacifiques.

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Deuxièmement, la Suisse a renforcé son engagement en faveur des droits des femmes, que ce soit en intégrant prioritairement ce thème dans ses échanges bilatéraux et dans des projets sur le terrain ou en jouant un rôle de facilitateur dans les discussions multilatérales.

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Troisièmement, notre pays a défendu l'intégration des droits de l'homme dans la coopération au développement, l'aide humanitaire et la promotion de la paix, ce dans le cadre de ses propres actions ou dans l'agenda de développement au-delà des Objectifs du Millénaire (Agenda post-2015).

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L'abolition universelle de la peine de mort a constitué un quatrième point fort de l'engagement de notre pays, à témoin la résolution déposée devant le Conseil des droits de l'homme en juin 2014 ou des initiatives intergouvernementales ad-hoc comme les Appels successifs lancés à l'occasion de la journée mondiale contre la peine de mort du 10 octobre.

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Cinquièmement, la Suisse a continué à jouer un rôle pionnier dans la considération des droits de l'homme dans les activités des entreprises, notamment dans son rôle de Présidente des Principes Volontaires sur la Sécurité et les Droits de l'homme en 2013.

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Enfin, notre pays a fait du renforcement du monitorage de la mise en oeuvre des droits de l'homme l'une de ses priorités, promouvant notamment l'amélioration de l'efficacité des organes conventionnels, le renforcement du suivi de l'Examen Périodique Universel, la ratification du Statut de la Cour pénale internationale ou sa propre approche conceptuelle de traitement du passé et de prévention des atrocités. L'engagement dans ces six domaines d'action a permis d'atteindre des résultats concrets, tout en identifiant d'importants défis pour l'avenir.

Divers instruments sont à disposition du Conseil fédéral pour concrétiser son engagement en matière de droits de l'homme. Parmi la panoplie d'instruments bilatéraux, les dialogues et consultations sur les droits de l'homme constituent un moyen de choix pour permettre des échanges sur les priorités respectives et les bonnes pratiques en la matière ainsi que, dans la mesure du possible, pour soutenir la réalisation d'améliorations de la situation des droits de l'homme dans le pays partenaire. L'engagement au sein de l'ONU ainsi que dans les forums régionaux constitue un autre grand axe de l'activité de la Suisse dans cet axe important de sa politique extérieure. Troisième axe d'instruments, la collaboration avec des acteurs non étatiques permet à notre pays de renforcer la mise en oeuvre des droits de

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l'homme et d'encourager une gouvernance en la matière en phase avec les réalités du terrain. Enfin, le rôle de Genève dans sa fonction de capitale mondiale des droits de l'homme constitue un moyen unique à disposition de la Suisse pour renforcer l'impact et la visibilité de son engagement en la matière.

La mise en oeuvre des droits de l'homme par la Suisse constitue une condition indispensable à la crédibilité de la politique extérieure de notre pays en la matière. Le Conseil fédéral se doit également d'assurer la cohérence générale de la politique extérieure, plus particulièrement celle entre son action en matière des droits de l'homme et d'autres domaines. Sur le plan interne, la coordination entre offices de l'administration permet l'intégration des considérations de droits de l'homme (mainstreaming) dans la définition et la mise en oeuvre de la politique extérieure de la Suisse dans sa globalité. C'est notamment le cas dans des domaines comme la politique extérieure économique, la politique de sécurité ou la politique de migration. La Suisse s'engage en outre pour une prise en compte des droits de l'homme dans la formulation des politiques internationales sur ces thèmes et en général.

Pour atteindre ces différents objectifs, la Suisse s'efforcera de continuer à être une actrice influente de la gouvernance mondiale des droits de l'homme. La tradition de son engagement, son expertise avérée en matière de droits de l'homme, sa position ancrée dans le droit, son ouverture au dialogue ainsi que l'absence d'un agenda politique caché sont autant d'atouts dont notre pays veillera à tirer profit dans ce contexte.

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Table des matières Condensé

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Introduction

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1149

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3

Contexte général 1.1 Tradition et fondements de l'engagement de la Suisse en matière de droits de l'homme 1.2 Les droits de l'homme sur la scène internationale: tendances et défis Points forts de la politique de la Suisse en matière de droits de l'homme 2011­2014 2.1 Remarques liminaires 2.2 Promotion de la société civile et protection des défenseurs des droits de l'homme 2.2.1 Principes et axes prioritaires d'engagement 2.2.2 Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis 2.3 Engagement en faveur des droits des femmes et contre les discriminations 2.3.1 Principes et axes prioritaires d'engagement 2.3.2 Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis 2.4 Droits de l'homme, promotion de la paix, aide humanitaire et coopération au développement 2.4.1 Principes et axes prioritaires d'engagement 2.4.2 Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis 2.5 Abolition de la peine de mort 2.5.1 Principes et axes prioritaires d'engagement 2.5.2 Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis 2.6 Economie et droits de l'homme 2.6.1 Principes et axes prioritaires d'engagement 2.6.2 Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis 2.7 Renforcement du monitorage de la mise en oeuvre des droits de l'homme 2.7.1 Principes et axes prioritaires d'engagement 2.7.2 Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis Instruments de la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l'homme 3.1 Remarques liminaires 3.2 Instruments bilatéraux 3.3 Instruments multilatéraux

1149 1151 1153 1153 1154 1154 1155 1157 1157 1158 1160 1160 1161 1163 1163 1164 1166 1166 1167 1170 1170 1171 1173 1173 1173 1175 1147

3.3.1 Engagement au sein des Nations Unies 3.3.2 Engagement au sein des organisations régionales Collaboration avec des acteurs non étatiques Genève, capitale mondiale des droits de l'homme 3.5.1 Conditions-cadres 3.5.2 Conseil des droits de l'homme: opportunités et défis

1175 1176 1178 1179 1179 1180

Garantie de la cohérence: principes et instruments 4.1 Remarques liminaires 4.2 Cohérence entre politique intérieure et extérieure dans le domaine des droits de l'homme 4.3 Prise en compte des droits de l'homme et cohérence de la politique extérieure: principes et instruments 4.3.1 Cohérence de la politique économique extérieure par rapport à celle des droits de l'homme 4.3.2 Cohérence de la politique de sécurité extérieure par rapport à celle des droits de l'homme 4.3.3 Cohérence de la politique migratoire extérieure par rapport à celle des droits de l'homme

1182 1182

3.4 3.5

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5

Conclusion

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1182 1186 1187 1188 1189 1190

Rapport Introduction Le présent rapport est le troisième1 que le Conseil fédéral soumet au Parlement en réponse au postulat du 14 août 2000 de la Commission de politique extérieure du Conseil national (00.3414 ­ Rapport périodique sur la politique de la Suisse en matière de droits de l'homme), aux termes duquel: «Le Conseil fédéral est chargé de soumettre au Parlement une fois au cours de chaque législature un rapport présentant les mesures qu'il a prises, qu'il a engagées ou qu'il entend prendre pour promouvoir une politique de la Suisse en matière de droits de l'homme qui soit efficace et cohérente. Ce rapport indiquera notamment: ­

quels sont les objectifs fixés et les mesures prises par la Suisse en matière de droits de l'homme, et évaluation de leur efficacité;

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comment il est tenu compte des droits de l'homme dans les différentes politiques (notamment développement, commerce extérieur, migration et promotion de la paix), et les conflits d'intérêts entre droits de l'homme et autres priorités;

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quelles sont les mesures mises en oeuvre pour renforcer l'efficacité et la cohérence des activités de la Suisse en matière de politique extérieure et de commerce extérieur, ou susceptibles de les renforcer;

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comment la société civile, les entreprises et les milieux scientifiques sont, ou peuvent être, associés au développement des droits de l'homme.»

Le rapport contient un chapitre introductif qui évoque les fondements de l'engagement de la Suisse dans le domaine des droits de l'homme et trace les tendances et défis internationaux actuels dans le domaine (ch. 1). Il présente ensuite les objectifs et points forts de l'action de la Suisse en matière de droits de l'homme pendant la période sous revue (ch. 2), ainsi que les instruments à disposition du Conseil fédéral dans ce domaine (ch. 3). Il s'arrête enfin sur la question de la cohérence de la politique extérieure dans la perspective des droits de l'homme (ch. 4) avant de tirer quelques conclusions.

1

Contexte général

1.1

Tradition et fondements de l'engagement de la Suisse en matière de droits de l'homme

Les droits de l'homme et les libertés fondamentales ont une valeur universelle. Leur respect joue un rôle important dans la paix, la sécurité, le bien-être collectif et la prospérité économique, qui favorisent à leur tour les relations amicales et la coopération entre les pays. Comme l'histoire récente l'a régulièrement démontré, un Etat qui ne respecte pas les droits de l'homme et les libertés fondamentales représente une menace en premier lieu pour sa population. En fonction des conséquences qui peu-

1

Pour les deux précédents rapports, voir FF 2006 5799 et 2011 961 1210.

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vent découler d'une telle situation interne, un tel Etat peut également devenir une menace pour les Etats et la région qui l'entourent, voire pour le monde entier.

Les droits de l'homme sont reflétés dans les normes contenues dans les traités internationaux et le droit coutumier, mais aussi dans notre Constitution (Cst.)2. Ils guident à ce titre l'action du Conseil fédéral en matière de politique intérieure et extérieure. L'art. 54 Cst. consacre cette situation par la mention de la promotion du respect des droits de l'homme comme l'un des cinq buts principaux de la politique étrangère de la Suisse. L'engagement de notre pays en faveur des droits de l'homme est non seulement ancré dans son ordre juridique, mais également dans sa tradition.

Il s'inscrit en outre dans la ligne de celui en faveur du droit international humanitaire. Le rayonnement international de la Suisse par la «Genève humanitaire et des droits de l'homme» ainsi que la solide collaboration avec la société civile dans le domaine, en Suisse comme à l'étranger, en sont de solides exemples.

De même, la protection des droits de l'homme sert les intérêts de la Suisse. Sur le plan national, elle est indispensable à la concrétisation de la démocratie directe, car elle fonde la liberté et la sécurité de chacun. Le succès du «modèle suisse» démontre que le respect des droits de l'homme conditionne le bon fonctionnement de son Etat.

Les droits de l'homme responsabilisent l'Etat dans son action et subordonnent d'une façon générale son intérêt à celui de sa population. Sur le plan international, la protection des droits de l'homme contribue à la sécurité internationale, à la prévention des conflits et au développement des pays fragiles, autant de dimensions globales qui sont également dans l'intérêt de notre pays.

Dans ce contexte, la Suisse continue de défendre les droits de l'homme avec détermination et crédibilité. Parmi les valeurs spécifiques qu'elle considère comme fondamentales figurent la coexistence pacifique et le respect mutuel entre des groupes de population aux religions, langues, ethnies et cultures différentes, sa tradition humanitaire, ses bons offices universellement appréciés, l'Etat de droit, la stabilité, la solidarité et la fiabilité. La neutralité, la non-participation à des alliances militaires permanentes et l'absence
d'un agenda politique caché sont d'autres atouts-clés pour la crédibilité de l'engagement de la Suisse dans le domaine des droits de l'homme.

Ce dernier est par ailleurs renforcé par l'expertise disponible auprès des acteurs de la société civile, par exemple académiques, établis en Suisse ainsi qu'au sein de l'administration fédérale. Enfin, la concrétisation de l'engagement de la Suisse en matière de droits de l'homme est rendue possible par un important réseau extérieur.

Comme l'exigent l'existence et l'essence des droits de l'homme considérés dans leur dimension universelle et multisectorielle, la politique de la Suisse en la matière a des incidences sur d'autres domaines, où les droits de l'homme occupent une place notable. La Stratégie de politique extérieure 2012­20153 de la Suisse rappelle l'importance transversale des questions de droits de l'homme dans les affaires du monde et dans l'engagement international de notre pays.

2 3

RS 101 Stratégie de politique étrangère 2012­2015, pp. 5 et 14, www.dfae.admin.ch > Le DFAE > Mise en oeuvre de la politique extérieure de la Suisse

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1.2

Les droits de l'homme sur la scène internationale: tendances et défis

L'engagement de la Suisse en faveur des droits de l'homme se déploie dans un contexte international exigeant et caractérisé par des évolutions à première vue contradictoires. D'une part, la défense et la promotion des droits de l'homme se sont développée de façon très dynamique au cours des dernières décennies dans les enceintes internationales4. Nombre de normes et de mécanismes visant à une meilleure protection et à un plus grand respect des droits de l'homme ont ainsi été mis en place ou consolidés à l'échelle mondiale, régionale et nationale.

D'autre part, la mise en oeuvre par les Etats de leurs obligations et engagements en matière de droits de l'homme constitue encore et toujours le principal défi. Malgré une architecture mondiale toujours plus complète, les violations des droits de l'homme demeurent une réalité dans le monde entier, que ces violations soient commises délibérément ou non par les Etats, qu'elles soient explicitement minimisées par l'invocation d'impératifs présentés comme supérieurs aux obligations en la matière (par exemple la sécurité ou la souveraineté nationale) ou simplement ignorées. Ces évolutions se déploient dans un contexte caractérisé par une nature transnationale des acteurs et une complexité des conflits qui vont croissants. Elles posent un défi permanent à un système de gouvernance mondiale fondé avant tout sur une communauté d'Etats souverains. L'impunité, les inégalités et la migration constituent d'autres phénomènes globaux ayant une influence particulièrement forte et imprévisible sur les questions de droits de l'homme.

Ainsi, plus de vingt ans après la Déclaration et le Programme d'action de Vienne sur les droits de l'homme, les experts s'accordent sur la frustration générale qui domine par rapport au contenu ambitieux énoncé dans ce texte du 23 juin 1993 ainsi que, dans certains cas, sur les retours en arrière constatés depuis lors. Dans un certain sens, les droits de l'homme sont victimes de leur succès. L'augmentation constante du nombre de traités, processus consultatifs, comités, résolutions et autres instruments et celle des Etats parties aux conventions pose la question de la capacité de l'architecture des droits de l'homme à répondre à des exigences en constante mutation et à rester connectée avec la réalité des droits de l'homme et de leurs
violations commises sur le terrain.

Il est incontestable que l'important développement normatif et institutionnel de ces dernières décennies, complété par des facteurs exogènes comme la mondialisation ou les nouvelles technologies, a augmenté l'influence des questions de droits de l'homme dans la façon d'appréhender les défis globaux. Aujourd'hui, il n'est guère de situation ou crise politique qui se développe sans que la dimension des droits de l'homme ne soit explicitement mise en avant dans la rhétorique générale qui accompagne cette situation, dans les causes qui la sous-tendent ou les solutions qui sont formulées pour y remédier. Pendant la période sous revue, la vague de protestations et d'événements du Printemps arabe a bien illustré cette tendance. Cette dernière s'est aussi manifestée par le regain de capacité des institutions de droits de l'homme à influencer le traitement de certains événements et les réponses données par la communauté internationale. Dans le cas du Printemps arabe, le Conseil des droits de l'homme a pu intervenir en amont des décisions prises par l'Assemblée générale ou 4

Rapport sur la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l'homme (2007­2011), annexe 2 du rapport sur la politique extérieure 2010, FF 2011 961 1210.

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le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU), donnant ainsi une dimension droits de l'homme à la perspective sécuritaire, voire humanitaire, adoptée ensuite par ces organes-ci.

La Suisse considère favorablement cette prise en compte toujours plus importante des droits de l'homme comme dimension inhérente des affaires du monde. Elle soutient également leur intégration croissante dans les processus de gouvernance internationale. Malheureusement, ce développement s'accompagne depuis quelques années par une politisation croissante des débats liés aux droits de l'homme. On constate en effet une tendance de la part d'Etats, y compris occidentaux, à l'instrumentalisation des droits de l'homme en faveur d'un agenda politique, géopolitique, économique ou sécuritaire. En plus de contribuer à passionner les débats, de telles approches délégitiment le coeur des droits de l'homme et leur caractère universel.

Elles ouvrent la porte à l'argument des double-standards, souvent utilisé par des pays critiqués pour les violations commises afin de se dédouaner de leur responsabilité et de tenter de décrédibiliser les politiques de promotion des droits de l'homme menées par d'autres Etats ou institutions.

Ces évolutions ont lieu dans un environnement en phase de polarisation. Si la fin du vingtième siècle avait laissé entrevoir l'éclosion d'un monde véritablement multipolaire, celui-ci ne s'est pas concrétisé dans la durée dans le domaine des droits de l'homme. D'une part, la politisation des droits de l'homme mêlée à la prise de leadership de certaines puissances économiques émergentes provoque toujours plus de regroupement par blocs (régionaux ou culturels) dans les discussions ou initiatives dans le domaine. Sur certains thèmes comme l'intégration d'indicateurs sur les droits de l'homme dans l'agenda mondial pour le développement ou le rôle des entreprises par rapport au respect des droits de l'homme, c'est le risque d'une fracture Nord-Sud qui est même perceptible.

D'autre part, on assiste depuis quelques années à un retour de balancier en ce qui concerne le concept d'universalité des droits de l'homme avec la tentative de certains Etats de promouvoir l'idée de «valeurs traditionnelles» qui seraient supérieures au principe de l'application universelle. Cette forme de relativisme culturel est
par exemple invoquée quand il s'agit de maintenir des discriminations à l'encontre des femmes, d'entraver les libertés fondamentales des personnes homosexuelles ou de légitimer certaines méthodes d'application de la peine de mort. Elle contribue au renforcement de la solidarité entre les tenants d'une conception minimaliste des droits de l'homme et, en conséquence, à davantage de polarisation des discussions dans les enceintes multilatérales.

Pour les Etats qui, comme la Suisse, s'engagent pour la promotion et la protection des droits de l'homme, les tendances décrites ici impliquent un objectif général de défense des acquis. Ces défis conduisent également à trouver des solutions créatives pour défendre l'universalité des droits de l'homme, promouvoir leur prise en compte dans l'action politique dans sa globalité, optimiser le système de gouvernance et de monitorage en la matière et garantir une architecture normative et institutionnelle qui soit en adéquation avec les exigences actuelles. En effet, il s'agit d'une part d'assurer une prise en compte des implications sur les droits de l'homme des nouveaux développements politiques (nouvelles constellations et rapports de forces internationaux, revendications populaires, montée des extrémismes), qu'ils représentent a priori des chances pour la promotion des droits de l'homme ou des risques de violations accrues. Il en va de même pour les nouvelles technologies, qui peuvent constituer, en matière de respect des droits de l'homme, autant d'opportunités (utili1152

sation des médias sociaux pour dénoncer des violations ou demander des comptes aux responsables politiques) que de défis (utilisation de robots ou de drones ou stockage des données personnelles sur Internet). D'autre part, il est impératif de prendre en considération le dépassement du rôle traditionnellement réservé aux Etats dans la gouvernance internationale induit par la mondialisation. Il s'agit ainsi de considérer la responsabilité des acteurs non étatiques par rapport aux droits de l'homme, le rôle essentiel des entreprises dans le cadre de leur respect et la place centrale de la société civile dans le suivi de leur mise en oeuvre, leur promotion et leur développement dynamique.

2

Points forts de la politique de la Suisse en matière de droits de l'homme 2011­2014

2.1

Remarques liminaires

La promotion de la protection des droits de l'homme telle que prévue par l'art. 54, al. 2, Cst. a une visée programmatique générale. De même qu'elle ne définit pas a priori des droits ou des thèmes à défendre ou à promouvoir en priorité, elle n'exclut pas non plus des catégories de droits de cet effort général et universel. Le Conseil fédéral a ainsi embrassé la notion de l'indivisibilité, de l'interdépendance et de l'universalité des droits de l'homme.

Pourtant, dans les faits, le Conseil fédéral doit opérer des choix parmi les domaines et les pays dans lesquels s'engager prioritairement, essentiellement afin d'utiliser les moyens à disposition de la manière la plus efficace possible et d'obtenir des résultats concrets de nature politique et opérationnelle. Les principes généraux qui guident cet établissement de priorités sont, d'une part, la valeur ajoutée de l'engagement de la Suisse sur un thème donné et, d'autre part, la cohérence entre l'objectif de protection et de promotion des droits de l'homme et les autres objectifs de la politique extérieure prévus par la Constitution.

Six points forts de l'effort général de protection et de promotion des droits de l'homme de la Suisse se dégagent ainsi pendant la période sous revue: 1)

la promotion de la société civile et la protection des défenseurs des droits de l'homme;

2)

l'engagement en faveur des droits des femmes et la lutte contre les discriminations;

3)

l'intégration des droits de l'homme dans les agendas et activités de coopération au développement, d'aide humanitaire et de promotion de la paix;

4)

l'engagement contre la peine de mort;

5)

la considération des droits de l'homme dans les activités des entreprises;

6)

le renforcement du monitorage de la mise en oeuvre des droits de l'homme.

Ces points forts et les sous-thèmes qui leur sont liés constituent des thématiques où la Suisse a pu et su s'engager de façon substantielle, visible, et parfois décisive pendant la période sous revue ­ des «exemples marquants» sont détaillés pour chaque sous-chapitre ­, même si l'engagement de la Suisse sur ces questions est antérieur à la période couverte par le présent rapport.

1153

A ces six axes d'interventions prioritaires s'ajoutent d'autres actions en lien avec les droits de l'homme décrits dans d'autres documents qui guident l'action de la Suisse dans ce domaine5.

2.2

Promotion de la société civile et protection des défenseurs des droits de l'homme

2.2.1

Principes et axes prioritaires d'engagement

La Suisse reconnaît le rôle essentiel d'une société civile indépendante dans toute démocratie, en Suisse comme à l'étranger. Une société civile active, résolue et dont les membres sont connectés entre eux, est en mesure d'observer en tout temps l'action d'un gouvernement démocratique, de lui demander des comptes et de se montrer critique à son égard. Son rôle consiste à tenir un miroir à l'ensemble de la société, en particulier pour ce qui est du respect des droits de l'homme.

Pourtant, cette attitude critique est de plus en plus souvent perçue comme une menace par certains Etats. Dans de nombreux pays, la société civile voit ainsi sa marge de manoeuvre et sa liberté d'action diminuer. Ses acteurs sont en butte à des formes traditionnelles de répression, comme l'emprisonnement, l'intimidation, la disparition, voire l'exécution sommaire. De surcroît, certains gouvernements entravent le travail des représentants de la société civile par des méthodes plus sournoises comme l'ancrage législatif d'artifices administratifs ou juridiques qui font obstacle à l'enregistrement d'une organisation, l'empêchent d'être financée depuis l'étranger, lui interdisent de communiquer par les canaux publics ou d'exercer des activités de lobbying. Les justifications les plus souvent invoquées sont l'impératif de transparence des activités de la société civile, la sécurité ou souveraineté nationales. Ces pratiques vont pourtant à l'encontre de la liberté d'action dont doit pouvoir bénéficier la société civile en vue de la promotion, du respect et de la mise en oeuvre des droits de l'homme.

La Suisse prône ouvertement la mise en place d'un espace d'action pour l'ensemble des acteurs de la société civile qui garantisse leur liberté d'action et leur sécurité.

Elle se concentre sur certains thèmes pour affermir l'influence de la société civile en matière de droits de l'homme. En premier lieu, la liberté d'expression et le droit à l'information sont essentiels à la mise en oeuvre d'autres droits de l'homme et fondent toute société pluraliste et démocratique. Si certaines restrictions des libertés fondamentales sont admissibles sous certaines conditions et selon des critères bien définis, les restrictions observées dans certains pays vont si loin qu'elles entravent considérablement le travail des acteurs de la société civile,
des défenseurs des droits ou des journalistes et menacent leur sécurité.

La liberté de réunion et la liberté d'association sont également indispensables à l'engagement de la société civile. La possibilité de fonder une association, d'enregistrer une organisation (lorsque le cadre légal l'exige) et d'obtenir des financements de la part de tiers sont des conditions sine qua non à la réalisation d'activités non lucratives. Le respect du droit de réunion pacifique est également central: l'engage5

En particulier, le message du 29 juin 2011 concernant la continuation de mesures de promotion de la paix et de la sécurité humaine 2012­2016. Paix, droits humains, démocratie, politique humanitaire et migration, FF 2011 5875.

1154

ment de la société civile et, en particulier, des défenseurs des droits de l'homme se réalise de plus en plus par le biais de rassemblements et de manifestations. Certains des grands bouleversements politiques de la période sous revue (entre autres ceux connus sous le nom de Printemps arabe) ont confirmé le renforcement de cette tendance. La police et autres forces de l'ordre adoptent des attitudes variables devant ces actions de protestation, et la situation peut parfois les contraindre à recourir à la force pour maîtriser un rassemblement à l'origine pacifique. Dans ce contexte, elles ne respectent pas toujours le principe de proportionnalité, et il arrive que de graves violations des droits de l'homme soient commises par les forces de l'ordre dans de telles situations: exécutions sommaires, détentions arbitraires, disparitions, torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Pour prendre un exemple de grande actualité pendant la période sous revue (d'autres catégories de défenseurs des droits de l'homme seront abordées dans les chapitres suivants), les activistes du mouvement LGBTI (Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender and Intersex) expriment très souvent dans la rue leur opposition à toute forme de discrimination, notamment dans les marches pacifiques de type Gay Pride. Ce genre de manifestation est interdit dans de nombreux pays, tandis que ces personnes sont aussi discriminées dans leur droit de s'exprimer et de se regrouper en association. Le Conseil fédéral accorde une grande importance à l'engagement contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Il s'agit de garantir à ces personnes le plein respect de leurs droits fondamentaux dans les différentes régions du monde où l'on observe de l'intolérance à leur encontre ainsi que la criminalisation de leurs activités et de leur orientation sexuelle.

2.2.2

Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis

La Suisse réaffirme et soutient le rôle de la société civile dans ces divers domaines et entend être pour cette dernière un partenaire dans la protection et la promotion des droits de l'homme et la consolidation de l'Etat de droit. Elle reconnaît la contribution décisive des défenseurs des droits de l'homme à la mise en oeuvre des normes internationalement reconnues en la matière. La Suisse s'engage à protéger ces personnes à l'heure où leurs activités les exposent dans de nombreux pays à des actes d'intimidation et à des poursuites de la part des autorités. Le Conseil fédéral plaide pour une meilleure protection des défenseurs des droits de l'homme et intervient auprès des Etats qui entravent leur travail ou les menacent physiquement.

Concrètement, la Suisse participe au renforcement du cadre institutionnel au sein du Conseil des droits de l'homme et de l'Assemblée générale de l'ONU et aborde les cas particuliers dans ses entretiens bilatéraux ou par le biais de démarches ad-hoc.

Elle soutient aussi des projets concrets de protection des défenseurs des droits de l'homme, généralement réalisés par des organisations non-gouvernementales (ONG) internationales, comme par exemple l'International Service for Human Rights (ISHR) ou Geneva for Human Rights (GDH), deux ONG spécialisées dans la formation de défenseurs des droits de l'homme du monde entier sur le fonctionnement et l'utilisation des enceintes de l'ONU. Dans le cadre de ses activités de coopération au développement, notre pays soutient en outre le développement de la société civile et promeut sa participation au sein des mécanismes décisionnels nationaux afin de renforcer le suivi de la mise en oeuvre des droits de l'homme dans le pays concerné.

1155

En élaborant et publiant ses Lignes directrices concernant la protection des défenseurs des droits de l'homme6, la Suisse a souligné l'importance des acteurs de la société civile dans l'ensemble de sa politique extérieure, en particulier pour ce qui est de la promotion des droits de l'homme. Elle s'est ainsi dotée d'un instrument de mise en oeuvre de cette politique. Il vise à sensibiliser les représentations à l'étranger à cette question et à la vulnérabilité des défenseurs des droits de l'homme, à favoriser l'harmonisation des rapports avec eux et, tout en légitimant leur travail, à dégager des options concrètes de protection de ces personnes. Cette publication constitue également un appel à la société civile, en démontrant que la protection effective des défenseurs des droits de l'homme n'est possible qu'avec le concours de tous les acteurs concernés.

Cette volonté politique d'ouverture et de protection à l'égard des défenseurs des droits de l'homme s'est aussi manifestée par d'autres canaux. La Suisse a ainsi consacré, en juin 2014, la conférence «dimension humaine» de sa présidence de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à la protection des défenseurs des droits de l'homme et à la promotion des instruments de l'OSCE dans ce domaine. La mise en avant de ce thème est intervenue alors que le conceptmême des défenseurs des droits de l'homme est remis en question par certains gouvernements qui ont tendance, notamment au sein de l'espace OSCE, à recourir à des mesures législatives pour entraver les activités de la société civile et des défenseurs des droits de l'homme. Dans ce contexte, la mise en oeuvre des lignes directrices de la Suisse ainsi que la collaboration avec la société civile dans le monde entier représentent d'importants défis pour les années à venir.

La lutte contre les violations des droits de l'homme commises à l'occasion de manifestations pacifiques est une autre priorité de la Suisse. Le Conseil fédéral s'efforce de maintenir l'attention internationale sur le sujet et invite les Etats au dialogue.

Avec la Turquie et le Costa Rica, la Suisse a porté en juin 2011 la question devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Trois résolutions à ce sujet ont été ensuite adoptées au mois de mars 2012, 2013, et 2014.

L'accent mis sur le rôle de la
société civile dans le cadre de la politique des droits de l'homme de la Suisse est empreint d'autres défis concrets, notamment dans les contextes où la société civile court le risque d'être instrumentalisée dans le but de légitimer les politiques de certains Etats. C'est notamment le cas lorsque des organisations se présentent comme des ONG mais sont en réalité financées entièrement par un même gouvernement, voire mise sur pied par ce dernier (on parle alors de Governmental Non-Governemental Organisation ­ GONGO). Enfin, la priorité donnée à l'action de la société civile dans la promotion des droits de l'homme implique également que les individus, et notamment les jeunes, continuent d'être motivés à s'engager personnellement dans ce cadre. Pour la Suisse, il est ainsi crucial d'adopter une approche et de promouvoir un cadre qui favorisent la relève au sein des ONG et parmi les défenseurs des droits de l'homme.

6

Lignes directrices concernant la protection des défenseurs des droits de l'homme, décembre 2013, www.humanrights.ch > Dossiers thématiques > Défenseurs-se-s des droits humains.

1156

2.3

Engagement en faveur des droits des femmes et contre les discriminations

2.3.1

Principes et axes prioritaires d'engagement

Les violations des droits des femmes et des filles sont nombreuses et touchent des personnes de tout âge et partout dans le monde. Elles peuvent prendre la forme, par exemple, de violence domestique, de mariages forcés ou précoces, de mutilations sexuelles ou de crimes à caractère sexuel commis dans les situations de conflits, voire se rencontrer à l'école ou dans le droit des successions. Ces discriminations sont le fait d'acteurs publics ou privés agissant publiquement ou dans l'espace privé et touchent toutes les couches de la société.

Si l'égalité des sexes et les droits des femmes et des filles ont progressé sur le plan juridique au cours des dernières années, cette égalité est loin d'être atteinte dans les faits. La consolidation du statut des femmes et des filles, par le biais de la formation, de l'intégration sur le marché du travail et le droit de consultation dans la vie politique et économique, est pourtant une condition nécessaire à la croissance économique et au développement durable.

Les efforts déployés actuellement visent non seulement à consolider les droits des femmes et des filles, mais aussi à s'opposer à l'action de ceux qui, parmi les groupes conservateurs et religieux, justifient et promeuvent de telles discriminations. Pour viser à un changement des normes sociales, à l'élimination des stéréotypes de genre et à une redistribution des rôles traditionnels au sein de la société, la Suisse doit poursuivre son engagement sur la scène internationale et accomplir un travail sur le plan national. Le Conseil fédéral continuera à s'engager, à tous les niveaux, pour des progrès en matière d'égalité de genre, y compris par une meilleure inclusion des hommes et des garçons dans ces efforts.

La promotion et la protection des droits des femmes et des filles implique un engagement en faveur de la consolidation de leur autonomie et de leur statut économique et politique ainsi que pour la protection de leur santé et de leurs droits sexuels et reproductifs. Il s'agit également de lutter contre toute forme de violence à leur égard.

Dans ces efforts, il convient de tenir compte des besoins et des rôles différents des femmes et des hommes au sein de la société.

La Suisse suit cette même logique dans les actions qu'elle entreprend sous l'égide de la politique de paix. En effet, la paix et la
sécurité ne peuvent être durables que si l'on parvient à intégrer dans une égale mesure les besoins spécifiques à chaque sexe.

L'impact différencié des conflits et des situations post-conflit sur les femmes et les hommes doit également être pris en compte dans l'analyse du contexte, la définition d'une politique de promotion de la paix et sa mise en oeuvre. Il s'agit également de garantir la participation à droits égaux des femmes aux processus politiques, conformément au Plan national d'action pour la mise en oeuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité (Plan national d'action 1325). Ce dernier constitue le document stratégique de référence du Conseil fédéral dans le domaine.

En général, la lutte contre la discrimination sous toutes ses formes et la protection des minorités revêtent une grande importance aux yeux de la Suisse, notamment du fait de son multiculturalisme et plurilinguisme. Le Conseil fédéral s'engage ainsi contre les violations des droits de l'homme des minorités ainsi que contre le racisme et toute discrimination fondée sur la couleur de peau.

1157

2.3.2

Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis

La Suisse est en première ligne dans la lutte contre les discriminations à l'encontre des femmes, Son action dans ce domaine a beaucoup gagné en visibilité et en efficacité ces dernières années. Notre pays est à l'origine d'initiatives comme Women's human rights, une application et un site Internet qui facilitent l'accès aux documents de référence internationaux pertinents. On y trouve notamment un index alphabétique qui permet d'obtenir aisément et rapidement les définitions, les normes juridiques et les formulations standardisées qui touchent à la protection des droits des femmes. Pendant la période sous revue, la Suisse s'est également engagée pour l'établissement d'un objectif séparé sur l'égalité de genre dans l'agenda de développement au-delà des Objectifs du Millénaire (Agenda post-2015). Elle soutient en outre financièrement l'Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes (UN Women). Elle a également rejoint l'initiative Equal Futures Partnership, lancée par les Etats-Unis et visant à promouvoir l'émancipation économique et politique des femmes.

En parallèle à ces initiatives, la Suisse fait figure de chef de file dans la promotion des droits des femmes et des filles sur la scène multilatérale. Suite à son entrée à la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (Commission on the Status of Women ­ CSW), elle a joué en mars 2013 un rôle central dans les négociations de la 57e session de la commission, et elle a été désignée pour représenter le groupe des Etats occidentaux au sein du bureau de la CSW. Lors de la 58e session qui s'est tenue au printemps 2014, la Suisse a joué un rôle de facilitateur qui a mené à l'adoption du document final (Conclusions concertées). Dans un contexte polarisé, notre pays est parvenu, grâce à une approche transparente et inclusive, à ce que la négociation se déroule dans une atmosphère constructive et aboutisse à un résultat substantiel. Les Conclusions concertées soulignent notamment que la promotion des droits des femmes est une condition indispensable au développement durable.

L'action de la Suisse en faveur des droits des femmes et des filles se manifeste aussi dans le cadre de sa politique extérieure bilatérale. Notre pays aborde fréquemment ces questions dans les consultations politiques et les dialogues
sur les droits de l'homme, des efforts qui ont par exemple facilité l'adoption d'une loi contre la violence domestique au Tadjikistan en 2013. La Suisse soutient par ailleurs dans plusieurs pays des projets de promotion des droits des femmes dans le cadre de ses activités de coopération au développement. De plus, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et d'autres services fédéraux se sont engagés, en vertu du Plan national d'action 1325, à intégrer la dimension genre dans l'ensemble de leurs programmes.

La politique de paix de la Suisse s'inscrit dans un même esprit, comme en témoigne l'engagement contre la violence sexuelle déployé dans les enceintes multilatérales et sur le terrain, entre autres par le biais d'un dialogue avec les acteurs armés non étatiques. Sur le plan multilatéral, la Suisse affirme sans relâche sa conviction selon laquelle la consolidation des droits des femmes et des filles est une composante essentielle de la prévention de la violence fondée sur le genre. Elle a notamment porté ce message à l'occasion de la conférence internationale des donateurs de la Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en situation de conflit organisée à Genève en novembre 2014. Cet événement a permis de sensibiliser la 1158

communauté internationale quant à l'importance de consacrer davantage d'attention et de ressources à la lutte contre la violence sexuelle qui survient lors de conflits armés.

En outre, la Suisse s'engage de manière spécifique contre les mariages précoces ou forcés. Ces pratiques subsistent dans de nombreux pays et donnent lieu de graves violations des droits des femmes et des filles, comme les droits à l'autodétermination, à l'éducation, à la santé sexuelle et reproductive et à la liberté de mouvement.

Pour diminuer le risque de mariage précoce ou forcé, il s'agit de renforcer le statut des filles dans la société en promouvant leur accès à l'éducation et en s'attaquant aux normes sociales qui fondent ces pratiques préjudiciables. La Suisse s'engage ainsi contre les mariages précoces et forcés par le biais de projets concrets comme au Bangladesh, où elle soutient l'offre de formation en anglais et dans le domaine des technologies de l'information à l'intention des jeunes filles afin d'encourager leur indépendance économique. Sur le plan multilatéral, la Suisse a joué un rôle décisif dans l'adoption par consensus d'une résolution sur ce thème par le Conseil des droits de l'homme au mois de septembre 2013, résolution qui a ensuite permis la tenue d'un débat de haut-niveau à ce sujet en juin 2014.

Au-delà des filles, les enfants en général constituent un groupe particulièrement vulnérable au sein de la société. La protection de leurs droits et la défense de leurs intérêts doivent être par conséquent prises en compte dans toute question ayant trait aux droits de l'homme. Plus spécifiquement, le DFAE a développé un plan d'action pour la protection des enfants associés à des forces ou groupes armés7 afin de protéger les enfants-soldats impliqués dans les conflits. Ce plan de mise en oeuvre se fonde sur la Stratégie pour la protection des civils dans les conflits armés8 adopté par le Conseil fédéral en 2013. Dans le prolongement des efforts qu'elle déploie au Conseil des droits de l'homme pour consolider les normes internationales relatives à la protection des enfants, la Suisse a pris l'initiative d'organiser un congrès mondial sur la justice juvénile, qui se tiendra en janvier 2015 à Genève.

La lutte contre les discriminations imprègne l'entier de la politique du Conseil fédéral en matière des droits
de l'homme, tant au niveau international que sur le plan interne. Si cet engagement se manifeste plus ou moins directement dans tous les thèmes de droits de l'homme sur lesquels la Suisse est active, notre pays thématise également de façon spécifique les discriminations et s'engage à promouvoir les droits des minorités. Pendant la période sous revue, la Suisse a, par exemple, activement participé aux négociations des résolutions de l'ONU sur ce thème dans le but de renforcer la protection des droits des personnes ou groupes de personnes victimes de discriminations. Elle s'est en particulier associée à la mise en oeuvre de la Déclaration et Programme d'action de la Conférence mondiale de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée de 2001, dans laquelle elle joue un rôle de facilitateur.

7 8

Plan d'action du DFAE pour la protection des enfants associés aux forces ou groupes armés dans les conflits armés 2014­2016, septembre 2014.

Stratégie pour la protection des civils dans les conflits armés, octobre 2013.

1159

2.4

Droits de l'homme, promotion de la paix, aide humanitaire et coopération au développement

2.4.1

Principes et axes prioritaires d'engagement

Le respect, la protection et la promotion des droits de l'homme sont à la fois une condition et un objectif de la paix et du développement durable. Pour la Suisse, l'intégration des droits de l'homme dans les activités de promotion de la paix, d'action et de coopération au développement est un prérequis essentiel à tout objectif à moyen ou long terme de son engagement dans ces domaines. Dans ce contexte, la promotion et le respect du droit international humanitaire et des droits de l'homme sont deux aspects d'un seul et même engagement en faveur de la paix et du développement durable. Le Conseil fédéral soutient ainsi les efforts déployés à l'échelle internationale visant à un meilleur ancrage de la politique des droits de l'homme dans la coopération au développement, la promotion de la paix et l'action humanitaire, à l'instar de l'initiative «Rights Up Front» (Les droits de l'homme d'abord) lancée par l'ONU.

Un autre témoin de l'approche holistique de la Suisse est la Stratégie pour la protection des civils dans les conflits armés adoptée en 2013 et portant sur les années 2014 à 2017. Cette stratégie intègre les droits de l'homme, le droit international humanitaire et les normes relatives à la protection des réfugiés. Elle vise à contribuer à un meilleur respect du cadre normatif et des engagements politiques dans ces trois dimensions, et à renforcer leur intégration commune dans les missions de paix ainsi que dans les engagements opérationnels d'aide humanitaire et de coopération au développement destinés à protéger les populations civiles en situation de conflits armés.

Tout conflit possède, dans ses causes, ses manifestations et son développement, une dimension touchant aux droits de l'homme, comme les discriminations, les violations des libertés fondamentales ou l'impunité. A contrario, le respect des droits de l'homme constitue la base d'une société politiquement stable, socialement égalitaire et économiquement prospère. Afin de s'engager efficacement dans la prévention et la résolution des conflits, la politique de paix, la coopération au développement et l'action humanitaire de la Suisse se doivent d'intégrer cette perspective générale, tout en tenant compte du contexte propre aux situations où elles se déploient.

De manière générale, la Suisse fonde son engagement en matière d'aide à
la transition post-conflit, de réduction de la pauvreté et d'action humanitaire sur une approche de droits de l'homme. Tous les programmes qui se déploient dans ce cadre doivent ainsi promouvoir la réalisation des droits de l'homme et se référer aux principes suivants: ­

égalité de traitement et non-discrimination

­

participation et inclusion

­

reddition de compte et primauté du droit

­

indivisibilité et universalité des droits de l'homme.

Des mesures spécifiques à l'intention des individus et groupes les plus vulnérables sont également mises en oeuvre. Il s'agit d'une approche qui ne considère pas les personnes comme des «bénéficiaires» d'aide passifs mais comme des êtres humains qui ont des droits dont ils doivent pouvoir exiger le respect («titulaires de droits»), ce face à des institutions étatiques dont le devoir est de respecter, de protéger et de 1160

réaliser ces droits ainsi que vis-à-vis d'acteurs non étatiques qui ont également des devoirs en ce qui concerne les normes de droits de l'homme («détenteurs de devoirs»). L'approche adoptée par la Suisse doit permettre aux individus «titulaires de droits» de les faire valoir, tout en renforçant parallèlement, dans les pays partenaires, les capacités des «détenteurs de devoirs» à s'acquitter de leurs obligations relatives au respect et à la promotion des droits de l'homme. Pour ce faire, il importe de créer des espaces et des processus à même de permettre aux gouvernements et aux populations de réaliser concrètement les droits de l'homme dans leur société.

Cette approche se reflète également dans la politique extérieure de la Suisse en matière de promotion et de concrétisation des droits économiques, sociaux et culturels, comme par exemple dans les domaines de la sécurité alimentaire, de l'eau, de la santé et de l'éducation. L'impact social de la globalisation et les conséquences des crises économiques et financières rendent la promotion et le respect de ces droits d'autant plus nécessaires. La Suisse s'y emploie activement, tant dans ses relations bilatérales que dans les instances multilatérales compétentes, telles que l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).

Dans sa politique étrangère générale et plus particulièrement dans sa politique de développement, la Suisse s'engage pour la reconnaissance universelle du droit à l'eau et à l'assainissement, selon la définition donnée par le Comité pour les droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU. A cette fin, la Suisse a joué un rôle fondamental dans la création du mandat du Rapporteur spécial sur le droit à l'eau et à l'assainissement en juin 2006 et dans son renouvellement en 2013. Elle soutient financièrement et politiquement ce mandat depuis sa création.

2.4.2

Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis

La politique de développement menée par la Suisse ces dernières années a montré que la promotion et la protection des droits civils et politiques contribuent de manière décisive à la lutte contre la pauvreté, à la prévention ou à la résolution d'un conflit et à la consolidation de la paix. En renforçant par exemple la liberté d'opinion et d'expression, l'accès à la justice, les réformes de sécurité des forces policières et militaires ainsi qu'en accroissant le sentiment de sécurité de la population au quotidien, on crée les bases nécessaires pour assurer la bonne gouvernance qui est essentielle pour garantir un développement durable. Selon cette approche, la Suisse a fortement consolidé son engagement dans ces domaines au cours des dernières années et, par exemple au Honduras, a déjà pu obtenir des résultats tangibles à même d'être utilisés comme meilleures pratiques dans les discussions multilatérales.

L'expérience de la Suisse montre également que l'intégration d'une approche basée sur les droits de l'homme notamment en vertu du principe de non-discrimination et de mesures spécifiques à l'intention des individus et groupes les plus vulnérables, est une condition fondamentale pour le succès de tout effort de développement. Le Conseil fédéral estime dès lors que l'inclusion des droits de l'homme, des principes de l'Etat de droit et de la bonne gouvernance dans l'Agenda post-2015 est impérative. Contrairement aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui réfèrent leurs indicateurs sur des moyennes nationales, les objectifs de l'Agenda 1161

post-2015 doivent permettre de rendre compte des disparités au sein d'un même pays, par exemple en ce qui concerne l'accès à l'éducation ou à la santé. Ainsi la discrimination, la marginalisation ou l'exclusion de groupes entiers de la population par rapport à l'un ou l'autre des progrès mesurés ne pourront plus, le cas échéant, être dissimulés par la bonne performance d'un pays sur l'un ou l'autre indicateur comme cela pouvait être le cas avec les OMD.

Dans les négociations en cours, la Suisse défend la définition de nouveaux objectifs de développement qui tiennent compte tout autant des droits civiques et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels. Il existe un consensus général sur la nécessité d'inclure une perspective des droits de l'homme dans des domaines comme la sécurité alimentaire, la santé ou l'éducation. Toutefois, certains Etats invoquent des arguments tels que la souveraineté nationale ou la spécificité culturelle pour s'opposer à la réaffirmation, dans ce contexte, de l'importance de la liberté d'expression et d'association ou de l'accès à la justice. D'autres soutiennent que l'utilisation d'arguments en faveur des droits de l'homme est uniquement un instrument pour imposer des conditionnalités à l'octroi de l'aide au développement.

Cette remise en question des liens entre droits de l'homme et développement durable constitue un défi considérable et pourrait réduire la portée de ce futur agenda pour le développement.

Un autre défi a trait à la multiplication de situations de conflit ou de violences qui peuvent entraver très rapidement voire réduire à néant des progrès atteints dans la lutte contre la pauvreté et d'autres dimensions essentielles du développement humain. Les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire perpétrées aggravent les tensions sociales et politiques, contribuant ainsi souvent à une instabilité encore plus grande, voire à la perpétuation du conflit. Dans de telles situations de fragilité, les Etats ne peuvent ou ne veulent pas toujours garantir leurs obligations fondamentales, parmi lesquelles le respect des droits de l'homme et du droit humanitaire ainsi que la protection de leur population contre toute violation de ces droits.

La Suisse reconnaît le défi représenté par ce lien intrinsèque entre situations de
fragilité des institutions étatiques, développement durable et droits de l'homme. Elle s'engage activement dans le contexte d'Etats fragiles afin de remédier aux causes des conflits et de contribuer à la consolidation des structures et des institutions étatiques. La Suisse s'engage par exemple en Afghanistan, pour renforcer les capacités nationales pour le respect, la protection, et la réalisation des droits de l'homme par un soutien au Ministère de la justice, à la Commission Nationale des droits de l'homme et à la société civile.

De même, la Suisse adapte son action au contexte propre à un pays ou une région en mettant un accent thématique sur les droits de l'homme concernés en premier lieu dans les causes qui sous-tendent de telles situations d'instabilité: elle met ainsi l'accent sur les droits des femmes en Tunisie, l'accès à la justice au Mali ou au Soudan ou le respect des droits de l'homme par le secteur privé en Colombie, pour ne citer que quelques exemples d'activités récentes ou actuelles de promotion de la paix menées par la Suisse.

Lorsqu'elle intervient pour assister les populations touchées par un conflit armé, la Suisse s'efforce de permettre à la population civile de bénéficier, de manière rapide et sans entraves, d'une action humanitaire neutre, impartiale et indépendante qui réponde aux besoins concrets des personnes concernées. Ce faisant, elle veille au 1162

respect du principe de non-discrimination et à l'acheminement d'une aide ciblée aux groupes les plus vulnérables. D'une manière générale, la protection de la population civile dans les conflits armés inclut le respect et la préservation des droits de l'homme.

Dans le prolongement de cette approche intégrée, la Suisse a entrepris des efforts au cours des dernières années pour favoriser une meilleure compréhension et une discussion constructive au sujet des droits économiques, sociaux et culturels sur le plan interne. Cet engagement tient compte des évolutions observées sur ce sujet dans les jurisprudences cantonales et sur le plan international, y compris suite à l'entrée en vigueur en mai 2013 du protocole facultatif relatif au Pacte du 16 décembre 1966 sur les droits sociaux, économiques et culturels9. Dans cette optique, la discussion sur la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels se poursuit au sein des instances concernées.

2.5

Abolition de la peine de mort

2.5.1

Principes et axes prioritaires d'engagement

La Suisse est opposée à la peine de mort en toute circonstance, car ce châtiment est incompatible avec le respect des droits de l'homme et de la dignité humaine. Le droit à la vie est l'un des droits fondamentaux de l'être humain. En outre, la question de la peine de mort doit être appréhendée en lien avec les autres obligations de droits de l'homme, en particulier celui de l'interdiction absolue de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (notamment concernant l'attente dans les couloirs de la mort ou les méthodes d'exécution). De plus, l'application de la peine capitale peut être assimilée à une exécution extrajudiciaire, arbitraire et sommaire dans certaines circonstances, entre autres lorsque cette sentence est prononcée suite à un procès inéquitable. De surcroît, de nombreuses études montrent que les discriminations (couleur de peau, appartenance ethnique ou religieuse, orientation politique ou sexuelle) ont souvent leur part dans la décision de condamner une personne à la peine capitale ou de procéder à l'exécution de la sentence. De plus, la Suisse fonde son engagement contre la peine de mort sur des arguments comme l'irréversibilité des sentences ou l'impossibilité d'une révision du verdict après l'exécution. Elle insiste également sur le fait que la peine capitale n'a pas d'effet dissuasif supérieur à d'autres sanctions lourdes ou qu'elle n'apporte ni justice et ni réparation aux familles des victimes d'un crime.

La Suisse s'engage activement pour rallier le maximum d'Etats à ses positions. En premier lieu, il s'agit d'encourager les Etats non-abolitionnistes à établir un moratoire sur les exécutions en vue d'une abolition complète de la peine capitale. Il convient également que ces Etats rétentionnistes réduisent au maximum le nombre d'infractions passibles de la peine capitale ou, de manière générale, le nombre de sentences de mort et qu'ils respectent les normes minimales de droit international (pas d'obligation de prononcer cette sentence, condamnation seulement pour les crimes les plus graves, interdiction de prononcer la peine de mort à l'encontre de mineurs ou de l'appliquer à des femmes enceintes ou à des personnes souffrant d'un handicap mental, interdiction des procédures arbitraires et inéquitables, transpa9

RS 0.103.1

1163

rence). Enfin, l'engagement de la Suisse vise à renforcer le cadre normatif existant et à encourager les Etats à ratifier les instruments internationaux applicables en la matière.

Dans les discussions sur le sujet, notre pays s'efforce de considérer la peine de mort non seulement sous l'angle du droit à la vie, mais aussi par rapport à d'autres droits de l'homme comme l'interdiction de la torture ou les questions relatives aux garanties de procédures judiciaires ou aux conditions de détention. La Suisse ne se borne pas à faire valoir les droits de l'homme des condamnés à mort, mais aussi ceux des autres personnes directement concernées, comme les proches, les parents, les enfants et le conjoints ou partenaire de la personne condamnée. De plus, elle développe des initiatives intergouvernementales ad hoc pour promouvoir l'abolition. La Suisse recherche activement le dialogue avec tous les Etats engagés dans des processus d'abolition, pour les soutenir et les encourager à aller de l'avant. Des interventions bilatérales sont par ailleurs régulièrement entreprises, soit pour prendre position contre certains développements politiques ou judiciaires négatifs ou pour protester contre certains cas d'application de la peine de mort jugés les plus graves ou significatifs, soit pour soutenir des développements positifs.

2.5.2

Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis

La nouvelle stratégie du DFAE relative à l'abolition de la peine de mort10 permet de réaffirmer, de systématiser et de porter plus loin encore l'engagement de la Suisse contre la peine capitale. Elle fixe l'objectif général d'une l'abolition de la peine de mort dans le monde d'ici à 2025. L'élaboration de ce document a reflété les nombreuses initiatives sur ce thème prises ou soutenues par la Suisse au cours de la période sous revue.

Sur le plan multilatéral, la Suisse s'est activement engagée dans le processus de négociation de la résolution bisannuelle de l'Assemblée générale de l'ONU appelant à l'introduction d'un moratoire mondial sur les exécutions. En 2012, la résolution a été adoptée par 111 voix pour, 34 contre et 41 abstentions, confirmant les progrès de la cause abolitionniste dans le monde constatés depuis plusieurs décennies. La Suisse a également fait de la nouvelle négociation de cette résolution à l'automne 2014 l'une des priorités annuelles de son engagement multilatéral dans le domaine des droits de l'homme. La résolution a cette fois été adoptée par un nombre record de vote favorable (117, pour 38 votes négatifs et 34 abstentions).

Dans un esprit complémentaire aux travaux de l'Assemblée générale, la Suisse s'est engagée de façon proactive sur ce thème au sein du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Après s'être porté co-auteur de deux résolutions en 2013, notre pays a été à l'origine d'une nouvelle résolution sur la question de la peine de mort déposée avec succès en juin 2014 auprès du conseil. Le texte demande aux instances compétentes de l'ONU la publication d'un rapport sur les violations des droits de l'homme de la personne condamnée et de ses proches qui surviennent aux différentes étapes de l'application de la peine de mort et prévoit la tenue de discussions régulières sur

10

Stratégie du DFAE pour l'abolition de la peine de mort dans le monde 2013­2016, octobre 2013.

1164

cette question. Le processus ainsi initié doit permettre de délégitimer encore davantage le recours à la peine capitale.

En outre, la Suisse a continué de saisir les opportunités de thématiser la question de l'abolition de la peine de mort au sein des instances multilatérales régionales, comme le Conseil de l'Europe ou l'OSCE, en soutenant la tenue de discussions sur ce thème que ce soit en plénière ou par l'organisation d'événements parallèles.

En-dehors des instances multilatérales, la Suisse a été à l'origine d'un appel mondial contre la peine de mort lancé par plusieurs ministres des affaires étrangères à l'occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort (10 octobre). Cette initiative destinée à renforcer la mobilisation politique en faveur de l'abolition a été lancée pour la première fois en 2012 sous la forme d'un appel cosigné par la Suisse et ses pays voisins. Le 10 octobre 2013, ce sont les ministres des affaires étrangères de 42 pays membres du Conseil de l'Europe qui se sont ralliés à une seconde initiative élargie à l'Europe. En 2014, un nouvel appel, cette fois-ci transrégional et davantage inclusif, a été co-signé par le président de la Confédération et onze ministres des affaires étrangères. Il a réuni pour la première fois des pays engagés dans des processus d'abolition et d'autres ayant déjà entièrement aboli la peine de mort.

Dans la foulée du quatrième Congrès mondial contre la peine de mort organisé en 2010 à Genève, la Suisse a développé son soutien aux actions de la société civile et aux acteurs non étatiques engagés en faveur de l'abolition. Elle a contribué à donner corps à une idée née du Congrès de Genève en soutenant la création de la Commission internationale contre la peine de mort (CIPM). Cette institution, dont le membre suisse est l'ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss, regroupe des personnalités reconnues qui interviennent auprès des chefs d'Etats et des ministres de pays nonabolitionnistes dans des activités de plaidoyer en faveur de l'abolition. La Suisse soutient financièrement la CIPM depuis ses débuts. Notre pays participe également au pilotage stratégique de cette organisation, de même qu'à celui des Congrès mondiaux contre la peine de mort organisé par l'ONG «Ensemble contre la peine de mort». Le cinquième congrès mondial a eu lieu en juin
2013 à Madrid avec un soutien financier et une participation au plus haut niveau politique de la Suisse.

Pendant la période sous revue, la Suisse a également soutenu financièrement le travail d'ONG reconnues et actives sur le thème de la peine de mort dans le cadre de leurs activités de terrain. Ces dernières promeuvent par exemple la tenue d'un débat informé au sein de la population sur la peine de mort et sur la perspective de son abolition et visent à renforcer la mobilisation politique dans ce but. Les représentations suisses ont également soutenu des projets à plus petite échelle menés par des ONG locales dans des pays rétentionnistes et/ou sur la voie de l'abolition.

L'engagement accru de la Suisse et de ses partenaires contre la peine de mort coïncide avec une phase charnière de l'avancée progressive vers l'abolition de la peine de mort au niveau mondial. D'une part, aujourd'hui, quelque 160 Etats ou territoires ont soit aboli entièrement la peine de mort, soit ne l'appliquent plus.

D'autre part, le progrès reste inégal et variable: il existe un risque de ralentissement de la tendance abolitionniste au niveau mondial et un risque de retour en arrière, comme en témoigne l'exemple de plusieurs Etats qui ont repris les exécutions aux cours des dernières années après avoir connu une période de moratoire de fait.

La Suisse a l'intention de redoubler d'efforts pour maintenir et développer la mobilisation politique internationale contre la peine de mort. En outre, elle souhaite soute1165

nir les initiatives permettant de faire avancer le débat et d'apporter un nouvel éclairage sur cette thématique, comme c'est le cas avec les résolutions du Conseil des droits de l'homme ou les interventions au niveau des processus judiciaire (révisions et commutations de condamnations à mort). Enfin, la Suisse entend renforcer son soutien aux décideurs politiques ainsi qu'aux autres acteurs qui s'engagent, dans des contextes internes parfois difficiles, en faveur de l'abolition. La stratégie du DFAE pour l'abolition de la peine de mort offre une large palette d'instruments à même de concrétiser ces axes d'engagement.

2.6

Economie et droits de l'homme

2.6.1

Principes et axes prioritaires d'engagement

Comme le reconnaissent les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (Principes directeurs), adoptés par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU en juin 2011, les Etats ont l'obligation de veiller à la protection des droits de l'homme, y compris dans le cadre des activités du secteur privé, et les entreprises ont la responsabilité de les respecter. En outre, l'accès à des voies de recours efficaces pour les individus et les communautés doit être assuré par des mesures judiciaires et non judiciaires relevant de l'Etat et des entreprises.

Si les entreprises, respectent les droits de l'homme, elles peuvent contribuer à la stabilité des sociétés humaines où elles opèrent par le biais d'une gestion responsable qui contribue au développement et au bien-être des populations. Cela passe par l'analyse et la prise en compte des risques de violations des droits de l'homme, y compris ceux liés à l'impact social, humain et environnemental de leurs activités.

Les entreprises à caractère transnational qui déploient leurs activités dans des pays où l'état de droit est fragile ou soumis à des risques liés aux conflits sont particulièrement exposées. Elles doivent d'autant plus assumer leur responsabilité de mise en oeuvre de standards internationaux en matière de respect de droits de l'homme. Les Etats, les citoyens, les consommateurs et les investisseurs attendent toujours plus des entreprises qu'elles respectent les droits de leurs employés et des consommateurs ainsi que les droits de l'homme des individus et des communautés au sein desquelles elles exercent leurs activités.

La Suisse encourage un dialogue permanent entre le secteur privé, la société civile, les institutions académiques et les gouvernements, afin de mettre en oeuvre des solutions durables pour renforcer la contribution des acteurs économiques au respect des droits de l'homme, à la paix et à la stabilité, tout en maintenant un cadre favorable aux investissements et au développement durable. En tant que siège de quelques-unes des plus grandes sociétés multinationales de la planète, par exemple dans les domaines agro-alimentaire, pharmaceutique, financier, de l'industrie extractive et du négoce, la Suisse assume ainsi sa responsabilité de contribuer à la recherche de solutions permettant de veiller
au respect des droits de l'homme et de conseiller les entreprises dans ce but.

La Suisse s'engage dans les efforts entrepris au niveau international pour éviter que l'activité économique des entreprises qui opèrent dans des contextes fragiles ne contribue à générer ou à entretenir des conflits ou des violations des droits de l'homme. La Suisse promeut aussi l'intégration du respect des droits de l'homme dans les activités nationales et internationales du secteur privé. De manière générale, 1166

le Conseil fédéral promeut une approche qui se base sur la responsabilité sociale des entreprises et s'engage pour la consolidation de principes au niveau international qui pourraient servir de référence, le moment venu et en cas de nécessité, à l'adoption de mesures législatives dans ce domaine.

Il est tout aussi important d'associer le secteur privé aux efforts visant à renforcer la prise en compte des droits de l'homme et à les faire respecter dans la société mondiale de l'information et dans le domaine de la gouvernance de l'Internet. En effet, il n'est pas rare que le cadre dans lequel évolue l'internaute soit défini par les entreprises (multinationales) et non pas par les Etats (nationaux). La protection et la promotion des droits de l'homme sur Internet exige donc que les gouvernements, les acteurs économiques, la société civile et les individus engagent un dialogue multipartite ouvert, dans l'optique de trouver un consensus sur la définition de leur rôle dans ce domaine. A cet effet, la Suisse plaide activement, au niveau européen et mondial, pour que les organisations interétatiques s'ouvrent davantage aux acteurs économiques et à la société civile. Parallèlement, elle encourage cette dernière à prendre conscience de ses responsabilités et à les assumer.

2.6.2

Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis

Le Conseil fédéral s'est engagé ces dernières années dans plusieurs initiatives multipartites volontaires visant à promouvoir le respect des droits de l'homme dans le cadre des activités du secteur privé. Ces initiatives regroupent les gouvernements, le secteur privé et la société civile qui élaborent, ensemble, des instruments pratiques afin de prévenir les violations des droits de l'homme et répondre aux risques liés aux conflits. La Suisse s'est engagée pour renforcer la diffusion et la mise en oeuvre de ces initiatives et des standards qu'elles promeuvent et, dans certain cas, afin d'y intégrer des mécanismes de contrôle et de suivi indépendants.

Sur la base du Document de Montreux sur les entreprises militaires et de sécurité privées de 2008, la Suisse, en coordination avec le gouvernement britannique et celui des Etats-Unis, des représentants de l'industrie et de la société civile, a élaboré le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées (ICoC). Ce dernier a été lancé en novembre 2010 et signé alors par 58 entreprises de sécurité privées, nombre qui n'a depuis lors cessé d'augmenter pour dépasser aujourd'hui 700, réparties dans le monde entier. Les entreprises signataires s'engagent à respecter les droits de l'homme et à se soumettre au mécanisme de contrôle indépendant prévu par l'ICoC. Le code de conduite est désormais le document international de référence dans le domaine de la sécurité privée et est utilisé par un grand nombre d'organisations et de gouvernements dans la mise en place de standards nationaux et internationaux. Les entités qui recourent aux services d'entreprises de sécurité exigent souvent de celles-ci qu'elles adhèrent au code de conduite et qu'elles le respectent.

Après le lancement de l'ICoC, un comité temporaire de pilotage, constitué de représentants de gouvernements, de l'industrie et de la société civile, a poursuivi le processus en élaborant une charte pour la mise en place d'un mécanisme durable de gouvernance et de contrôle sous la forme d'une association de droit suisse.

L'Association du Code de conduite international des entreprises de sécurité privées (ICoCA) a été fondée le 20 septembre 2013 à Genève. Le secrétariat de l'ICoCA est 1167

hébergé au Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées (DCAF). Le comité directeur de l'ICoCA ­ dans lequel sont représentés les gouvernements, l'industrie et la société civile ­ a élaboré les critères d'adhésion à l'association et travaille à la mise en place de fonctions de certification, monitorage, reddition de compte et traitement des plaintes. En août 2014, six Etats (Australie, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Norvège, Suède et Suisse), treize ONG et plus de 170 entreprises de sécurité privées avaient rejoint l'association.

En 2011, la Suisse a adhéré en tant que participant aux Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme (Principes volontaires), une initiative lancée en 2001 par les Etats-Unis et qui s'adresse aux entreprises actives dans le secteur de l'extraction minière, gazière et pétrolière. Les Principes volontaires encouragent ces dernières à évaluer les risques et à prendre les mesures qui s'imposent pour que les entreprises privées de sécurité, les forces militaires et les forces de police responsables de la sécurité de leurs opérations respectent les droits de l'homme et les libertés fondamentales des populations locales. La Suisse a élaboré un plan d'action par lequel elle s'est engagée à diffuser les Principes volontaires et à contribuer à leur mise en oeuvre, notamment en sensibilisant les entreprises basées en Suisse qui exploitent des ressources naturelles dans différents pays. La Suisse a assumé la présidence des Principes volontaires entre mars 2013 et mars 2014 et a accueilli la réunion plénière de cette initiative les 26 et 27 mars 2014.

Au cours de sa présidence, la Suisse a conduit l'élaboration et l'adoption d'une stratégie pour l'initiative sur trois ans ayant pour but de renforcer la mise en oeuvre, la transparence et la reddition de compte. L'alignement des Principes volontaires sur les Principes directeurs, approuvés par une résolution du Conseil des droits de l'homme de juin 2011, constitue un autre objectif de la stratégie adoptée sous présidence suisse. Notre pays a également intensifié les efforts de diffusion de l'initiative en obtenant l'adhésion d'un premier pays africain, le Ghana et en contribuant à la demande d'adhésion de la principale entreprise extractive basée en Suisse. La Suisse a également soutenu, en collaboration avec
le CICR et avec le DCAF la création d'un outil pour la mise en oeuvre des Principes volontaires dans les environnements complexes.

Depuis 2011, la Suisse a en outre participé activement et soutenu financièrement l'élaboration du Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d'approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. Ce document a été élaboré et ses progrès valorisés par un processus participatif incluant tous les acteurs de la chaîne d'approvisionnement en métaux, actifs notamment dans la région des Grands Lacs africains: entreprises extractives, d'affinage et consommatrices, ONG, gouvernements régionaux et gouvernements des pays membres de l'OCDE. Ce processus a permis de renforcer la responsabilisation de la chaîne d'approvisionnement en minerais provenant de zones de conflit. Avec des visées similaires ­ bien que non limitées aux conflits ­, la Suisse a, en 2013, mis sur pied la Better Gold Initiative, qui vise à encourager une production aurifère responsable en soutenant les producteurs et en créant un marché international pour l'or issu de petites entreprises certifiées responsables par rapport aux normes internationales environnementales, sociales et des droits de l'homme. Cette initiative est mise en oeuvre au Pérou en coopération avec la Swiss Better Gold Association qui regroupe les entreprises suisses consommatrices d'or.

Dans l'ensemble des sujets en lien avec le rôle des entreprises dans le domaine des droits de l'homme, la Suisse s'engage pour que les discussions aient lieu dans une 1168

atmosphère aussi constructive que possible, bien que les acteurs poursuivent parfois des objectifs divergents comme l'a illustré la résolution adoptée sur ce thème par le Conseil des droits de l'homme en juin 2014. Présenté par l'Equateur et l'Afrique du Sud et rejeté par les pays-membres occidentaux du Conseil, le texte prévoit la mise en place d'un groupe de travail intergouvernemental à composition illimitée avec le mandat d'élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et les autres entreprises dans le domaine des droits de l'homme. La Suisse donne la priorité à la mise oeuvre des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, raison pour laquelle, lors des négociations informelles sur cette résolution, elle a rejeté à ce stade l'idée de l'élaboration d'un instrument international juridiquement contraignant dans ce domaine. Elle craint notamment que le lancement d'un tel processus à ce stade mène à un blocage de la discussion et ralentisse la mise en oeuvre des Principes directeurs.

Les efforts de la Suisse sur le plan international ont été complétés par des activités en Suisse. Le Conseil fédéral prépare actuellement une stratégie de mise en oeuvre des Principes directeurs en réponse à un postulat sur ce sujet11 et en application de la recommandation no 10 du Rapport de base: matières premières de mars 2013. Ces travaux se fondent sur un inventaire des activités actuellement consacrées par la Suisse à la mise en oeuvre des Principes directeurs de l'ONU, ainsi que sur une consultation menée auprès des représentants des intérêts des entreprises, des ONG et des établissements universitaires quant aux attentes de ces acteurs vis-à-vis de la stratégie. Un autre processus national important en cours dans ce domaine concerne la mise en oeuvre des recommandations du Rapport de base, qui a été attribuée aux départements fédéraux concernés (DFAE, DFF, DEFR et DFJP). Une plateforme interdépartementale a été créée afin de suivre la mise en oeuvre des recommandations. Le premier rapport d'état d'avancement a été soumis au Conseil fédéral en mars 2014. Le DEFR et le DFAE sont, en coopération avec d'autres départements, en charge des recommandations qui traitent de la responsabilité des entreprises et des Etats, de la politique de
développement et du risque de réputation. A ce titre, l'administration fédérale a lancé les premières consultations relatives à l'établissement d'un standard de responsabilité sociale des entreprises pour le négoce des matières premières, en collaboration avec le secteur privé et la société civile.

Enfin, le Conseil fédéral a adopté en mai 2014 un rapport concernant le respect des droits de l'homme et de l'environnement dans les activités des entreprises suisses à l'étranger, en exécution d'un postulat de la Commission de politique extérieure du Conseil national12 et d'une recommandation formulée dans le rapport de base sur les matières premières ; il y esquisse certaines mesures législatives possibles concernant la publication d'informations autres que financières ou l'introduction d'un devoir de diligence obligatoire pour les entreprises actives à l'étrangersur la base d'une étude de l'Institut suisse de droit comparé sur les législations en matière de responsabilité sociale des entreprises en vigueur dans d'autres places économiques importantes.

Depuis le Sommet mondial sur la société de l'information à Genève en 2003 et à Tunis en 2005, la Suisse participe à de nombreux processus internationaux et s'efforce activement d'associer les acteurs du monde entier dans un dialogue visant 11 12

Po. 12.3503 Von Graffenried «Une stratégie Ruggie pour la Suisse».

Po. 12.3980 CPE-N «Rapport de droit comparé. Mécanismes de diligence en matière de droits humains et d'environnement en rapport avec les activités d'entreprises suisses à l'étranger».

1169

à favoriser la compréhension mutuelle des rôles et des responsabilités en matière de gouvernance de l'Internet et de protection des droits de l'homme dans la société de l'information. Pour ce faire, la Suisse siège au sein des entités de l'ONU responsables et s'implique dans des processus multipartites, tels que le Forum sur la gouvernance de l'Internet (FGI), le Dialogue européen sur la gouvernance de l'Internet (EuroDIG) et l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN).

Elle a également participé activement au processus NETmundial lancé par le Brésil, dans le cadre duquel. C'est ainsi dans ce cadre qu'elle est parvenue, en avril 2014, à obtenir un large consensus a été obtenu pour la première en avril 2014 fois un large consensus entre les gouvernements, les acteurs économiques et la société civile sur au sujet ldes principes fondamentaux découlant des droits de l'homme et l'internet.

Lancée au printemps 2014 par le DFAE, en collaboration avec le DETEC, la Geneva Internet Platform (GIP) a également pour but d'améliorer la compréhension entre les différents acteurs.

2.7

Renforcement du monitorage de la mise en oeuvre des droits de l'homme

2.7.1

Principes et axes prioritaires d'engagement

Jusqu'au milieu du XXe siècle, le droit international était caractérisé par un ordre juridique fortement décentralisé, sans organes supranationaux ayant un pouvoir législatif et exécutif. L'idée d'institutions supra-étatiques veillant à la mise en oeuvre des droits de l'homme a émergé après la Seconde Guerre mondiale, parallèlement à la codification des normes relatives aux droits de l'homme. Dans le sillage de la Convention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales13, on a assisté à la mise en place, au niveau régional, d'une procédure contraignante avec la mise sur pied de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Sur le plan international, il a longtemps été impossible d'instituer des tribunaux habilités à prononcer des jugements ayant une force contraignante.

En l'absence d'une cour internationale en la matière, la protection et le monitorage des droits de l'homme se fonde sur un système à trois niveaux. Premièrement, la plupart des traités relatifs aux droits de l'homme prévoient des organes conventionnels dont la tâche consiste à surveiller le respect et l'application des garanties en question au niveau national, à l'aide par exemple de rapports périodiques des Etats ou de l'examen de procédures individuelles de recours. Deuxièmement, il existe d'autres instruments d'application à caractère essentiellement politique, à l'instar du Conseil des droits de l'homme (voir ch. 4.5.2.) ou le Conseil de sécurité de l'ONU, qui a joué récemment un rôle important sur l'imposition des droits de l'homme au travers de mesures de contrainte sur la base du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Troisièmement, ces instruments d'application ont été complétés au cours des dernières décennies par diverses cours pénales internationales compétentes pour poursuivre des individus pour des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et le crime de génocide. Il incombe toutefois principalement aux Etats de veiller à une mise en oeuvre réelle et efficace des obligations résultant des traités relatifs aux droits de l'homme auxquels ils sont parties.

13

RS 0.101

1170

Pour garantir la capacité d'action et la crédibilité du système de protection des droits de l'homme sous l'égide de l'ONU, il faut impérativement que tous les acteurs (organes conventionnels, Etats parties, Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'homme [HCDH], société civile) coopèrent de manière concertée. Un exemple probant est le mécanisme d'Examen Périodique Universel (EPU), établi en 2006 dans le cadre du Conseil des droits de l'homme. Il prévoit une évaluation quadriennale de chaque Etat par ses pairs de la situation en matière des droits de l'homme de chaque pays par l'Etat concerné, par le HCDH et par la société civile.

De manière générale, le Conseil fédéral constate depuis quelques années avec préoccupation que l'examen de l'application de divers traités des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme par les organes conventionnels compétents se heurte à une série de problèmes. Le nombre d'Etats qui ratifient les traités dans le domaine des droits de l'homme est en augmentation constante (c'est notamment l'un des effets concrets des recommandations présentées dans le cadre de l'EPU) et le retard dans le traitement des rapports périodiques des Etats est de plus en plus important car nombre d'Etats ne soumettent pas leurs rapports à temps. Alors qu'il y a quelques années la priorité portait sur des changements institutionnels du système de protection des droits de l'homme, les réflexions actuelles en matière de réforme se concentrent davantage sur des mesures pragmatiques et techniques portant sur la soumission de rapports aux organes conventionnels, sur l'harmonisation des méthodes de travail de ceux-ci et sur leur interaction avec d'autres mécanismes de monitorage (en particulier le Conseil des droits de l'homme). La question des coûts et du financement des solutions concrètes à apporter dans ces dimensions occupe également une place centrale dans les discussions. La Suisse s'engage dans cette approche d'optimisation du système en étant convaincue qu'elle peut permettre de relever certains de ses principaux défis et, ainsi, renforcer le monitorage des droits de l'homme, tout en reconnaissant que certaines questions doivent encore trouver des réponses satisfaisantes (par ex. les détails de la procédure d'établissement de rapports périodiques des Etats aux organes conventionnels ou la possibilité d'une meilleure prévention des violations desdits traités).

2.7.2

Exemples marquants de l'engagement de la Suisse (2011­2014) et défis

Afin d'améliorer l'efficacité des organes conventionnels, la Suisse a appuyé dès le début la procédure de consultation à large échelle lancée en 2009 par la HautCommissaire. Elle a mis l'accent sur l'indépendance des experts des organes conventionnels et soutenu l'objectif d'une meilleure application des recommandations formulées par les organes de surveillance. Elle a également soutenu la proposition d'une procédure simplifiée de présentation des rapports aux organes conventionnels.

Cette volonté de renforcement des organes conventionnels a été confirmée par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU en avril 2014. Pour la Suisse, le système doit avoir pour objectif de garantir la meilleure protection possible à tous les détenteurs de droits et de veiller à ce que le dispositif conventionnel relatif aux droits de l'homme soit plus efficace, surtout au niveau national. La Suisse continuera ainsi à encourager les synergies possibles entre les parties prenantes, notamment entre les organes conventionnels eux-mêmes.

1171

Pendant la période sous revue, la Suisse s'est également engagée pour renforcer les instruments à même de rendre les droits de l'homme, le droit international humanitaire et le droit international pénal mieux justiciables. Il s'agit de garantir une architecture institutionnelle qui puisse procéder effectivement à l'examen des violations et, dans les cas les plus graves, à poursuivre leurs responsables en justice. La Suisse soutient plus particulièrement l'action de la Cour pénale internationale (CPI), qui est compétente pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le crime de génocide. Entre fin 2011 et fin 2014, la Suisse a assuré la vice-présidence de l'Assemblée des Etats parties au Statut de Rome de la CPI, dans le cadre de laquelle elle a promu une collaboration étroite entre les Etats parties et la cour. Elle a en outre soutenu une initiative visant à améliorer l'efficacité et la qualité des procédures engagées devant la CPI.

La Suisse insiste systématiquement, dans les cadres bilatéral et multilatéral, sur la nécessité de lutter contre l'impunité et poursuit notamment l'objectif de voir accroître le nombre d'Etats parties au Statut de Rome (actuellement 122). Dans le cadre de l'ONU, la Suisse s'engage en outre pour que les aspects touchant à la reddition de compte soient intégrés tant dans les résolutions pays que les résolutions thématiques. En 2013, la Suisse a en outre été à l'origine d'une lettre dans laquelle ­ avec le soutien de 57 Etats ­ elle a enjoint le Conseil de sécurité à déférer la situation en Syrie à la CPI. Sur le plan national, le Conseil fédéral a soumis à l'Assemblée fédérale en février 2014 les modifications du Statut de Rome concernant le crime d'agression et les crimes de guerre en vue de leur ratification. Ces efforts pour renforcer la reddition de compte se reflètent également dans des activités de promotion de la paix menées sur le terrain. Au Népal, dans les territoires palestiniens occupés ou en Tunisie, la Suisse soutient ainsi le travail du HCDH dans ses efforts afin que les violations des droits de l'homme soient systématiquement répertoriées et traitées.

Pour compléter son engagement en matière de reddition de compte et de justice internationale, la Suisse a développé sa propre approche conceptuelle de traitement du passé et de prévention des
atrocités. Ainsi, en sus d'efforts de poursuite pénale des graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, la Suisse promeut activement des initiatives d'établissement des faits, de réparation et de réformes institutionnelles. Elle soutient de plus les efforts visant à promouvoir les droits des victimes et la capacité des Etats à assumer leurs devoirs. Dans ce cadre, la Suisse a, en 2012, été le moteur de la résolution au Conseil des droits de l'homme établissant un Rapporteur spécial pour la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et de la garantie de non répétition. Par ailleurs, la Suisse coopère avec de nombreux partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux, engagés dans des initiatives de traitement du passé ou de prévention des atrocités (notamment l'Argentine, la Tunisie, la Colombie, les Philippines ou le Kosovo). A titre d'exemple, la Suisse a accepté en mai 2014 d'assurer la présidence de la Commission pour la Justice Transitionnelle et la Réconciliation, en réponse à la demande du gouvernement des Philippines et du Front Islamique de Libération du Moro, les deux parties à l'accord de Paix pour la région de Bangsamoro. Au Kosovo, une conseillère suisse accompagne depuis juin 2014 le «groupe interministériel sur le traitement du passé», dont la création a été recommandée par la Suisse au médiateur Martti Ahtisaari. La Suisse a aussi facilité le dialogue et le rapprochement entre les communautés d'acteurs engagés dans la prévention du génocide et ceux qui centrent leurs efforts sur le développement de la «responsabilité de protéger». Ces efforts ont 1172

abouti à la création de l'initiative Global Action Against Mass Atrocities Crimes (GAAMAC). La première rencontre internationale de GAAMAC, co-organisée par la Suisse, l'Argentine, l'Australie, le Costa Rica, le Danemark et la Tanzanie en mars 2014 au Costa Rica, a réuni 52 gouvernements. La déclaration finale appelle les gouvernements à développer une politique et une architecture nationale, comme pilier central de la prévention des atrocités.

3

Instruments de la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l'homme

3.1

Remarques liminaires

La large panoplie à disposition du Conseil fédéral dans la mise en oeuvre de son engagement en matière de droits de l'homme englobe des instruments diplomatiques, comme les dialogues bilatéraux sur les droits de l'homme, les interventions et démarches politiques au niveau bilatéral et multilatéral, la participation à des initiatives diplomatiques internationales et des mesures protocolaires ou diplomatiques à valeur symbolique. Viennent s'y ajouter des actions plus directes: programmes de soutien, projets, envoi ou détachement d'experts ou mesures organisationnelles internes à l'administration comme par exemple déploiement sur le terrain de conseillers en sécurité humaine. En outre, le Conseil fédéral dispose d'instruments juridiques, comme la participation active aux processus de codification et de développement des droits de l'homme, l'adhésion à des conventions et l'application des procédures de plainte interétatiques et individuelles prévues dans les conventions.

Parmi ces moyens d'action, le précédent chapitre a fourni de nombreux exemples thématiques de l'action de la politique extérieure de la Suisse sur les plans bilatéraux et multilatéraux et par le biais de la collaboration avec des acteurs non étatiques. Le présent chapitre est donc structuré selon ces trois axes, tout en mettant en avant un quatrième moyen d'action: la plateforme que constitue Genève dans son rôle de capitale mondiale des droits de l'homme. Si celle-ci se recoupe avec les autres instruments énoncés ci-dessus, le rôle de Genève dans la politique internationale des droits de l'homme, notamment en ce qui concerne les points forts présentés dans le précédent chapitre, revêt pour la Suisse une importance stratégique particulière et contient des enjeux spécifiques qu'il convient de considérer de façon approfondie.

3.2

Instruments bilatéraux

Parmi les instruments bilatéraux, les dialogues ou consultations bilatérales sur les droits de l'homme constituent un moyen de choix à disposition du Conseil fédéral dans la mise en oeuvre de la politique de la Suisse en la matière. Cet instrument prévoit la tenue de rencontres bilatérales périodiques et structurées qui servent de cadre à un échange approfondi sur la situation des droits de l'homme au sein d'un pays donné ainsi que sur le positionnement de ce pays sur les questions ou initiatives internationales actuelles dans le domaine des droits de l'homme. Suivant le pays concerné, le dialogue varie en termes de format, durée des échanges, choix des thématiques abordées et objectifs spécifiques poursuivis.

1173

Le but général de ces consultations est de renforcer les relations bilatérales, de créer un climat de confiance et de compréhension mutuelle permettant des échanges sur les priorités en matière de droits de l'homme au niveau national et international et sur les bonnes pratiques. Les consultations ont également pour but, dans la mesure du possible, de soutenir la réalisation de réformes et d'améliorations de la situation des droits de l'homme dans le pays partenaire. Ces objectifs ainsi que la nature souvent sensible des thèmes abordés impliquent dans la plupart des cas un strict respect de la confidentialité de ces échanges bilatéraux.

Dans sa politique de dialogue, la Suisse prend en compte les conditions locales et les besoins du pays partenaire. Elle ne s'engage dans le cadre d'un dialogue bilatéral sur les droits de l'homme que dans des pays dont le gouvernement a manifesté une disponibilité claire à mener un dialogue sérieux, critique et constructif en la matière et où il existe un intérêt de coopération au sens large et touchant à d'autres domaines que les droits de l'homme. L'inclusion de la société civile dans certaines des activités menées sous l'égide du dialogue constitue également pour la Suisse une condition essentielle au déploiement de cet instrument. Dans le cadre des ressources disponibles, ces critères s'appliquent pour évaluer l'opportunité d'ouvrir un nouveau dialogue ainsi qu'en ce qui concerne la continuation des dialogues déjà engagés.

A titre de mesures d'accompagnement de ces dialogues structurés, la Suisse finance des échanges d'experts et des projets sur le terrain dont le but est d'encourager des améliorations concrètes dans le domaine des droits de l'homme dans le pays partenaire. Ces projets sont liés aux principaux thèmes abordés lors des entretiens officiels, recourent dans la mesure du possible à l'expertise et l'expérience suisse et tiennent compte, le cas échéant, des activités que la Suisse déploie déjà dans le pays concerné. Cette approche aboutit à une structure à trois niveaux, caractéristique de cet instrument: 1) entretiens officiels avec les autorités sur des questions de droits de l'homme; 2) échanges techniques entre experts; 3) soutien à des projets, incluant une coopération avec des ONG et la société civile locale.

A l'heure actuelle, la Suisse mène
des dialogues ou consultations bilatérales sur les droits de l'homme avec la Chine, le Nigéria, la Russie, le Sénégal, le Tadjikistan et le Vietnam. Le dialogue avec Cuba a été limité à un chapitre des consultations politiques annuelles dès 2013 puisqu'il ne correspondait plus aux critères d'engagement de la Suisse énoncés ci-dessus. Celui avec l'Iran est suspendu depuis 2011.

Les consultations ou dialogues sur les droits de l'homme contribuent à la crédibilité et à l'importance de la Suisse comme acteur dans le domaine des droits de l'homme sur la scène internationale. Le fait que peu de pays mènent de telles consultations octroie à notre pays une valeur ajoutée en la matière et renforce sa position. De plus, de par sa discrétion, son absence d'agenda caché et sa non-appartenance à une alliance militaire ou politique permanente lui permet de poursuivre des dialogues que certains de ses alliés traditionnels dans le domaine des droits de l'homme, comme par exemple l'Union européenne et les Etats-Unis, ne peuvent entretenir ­ comme, à l'heure actuelle, avec la Chine et la Russie.

En plus de ces dialogues structurés, le DFAE a décidé depuis mai 2011 d'intégrer systématiquement un chapitre sur les droits de l'homme dans toutes les consultations politiques bilatérales qu'il mène sur une base régulière avec de nombreux pays.

Enfin, la Suisse n'hésite pas, lorsque cela s'avère opportun, à entreprendre des démarches bilatérales dans le cas de violations des droits de l'homme particulièrement graves ou significatives, souvent de concert avec des pays partageant ses vues.

1174

Ces efforts s'inscrivent dans un esprit de complémentarité entre l'ensemble des instruments de la politique extérieure dans le domaine des droits de l'homme, tant sur le plan bilatéral, en particulier les dialogues, que multilatéral. Les messages transmis par ces différents biais se renforcent mutuellement au profit de la force et de la cohérence des positions de la Suisse dans le domaine des droits de l'homme.

3.3

Instruments multilatéraux

La scène multilatérale constitue un instrument essentiel de la politique extérieure d'un petit pays comme la Suisse, notamment dans le domaine des droits de l'homme. Les instances multilatérales permettent par définition de réunir des coalitions d'acteurs, et ainsi d'amplifier la portée, le levier et l'efficacité des interventions de la Suisse. Cette dernière n'hésite pas, pour sa part, à se joindre à des initiatives d'autres Etats lorsque celles-ci lui permettent d'atteindre ses propres objectifs et de défendre ses intérêts.

Les instances multilatérales continuent à jouer un rôle primordial dans la protection et la promotion internationale des droits de l'homme. Les nombreux acquis qui y ont été obtenus en termes normatifs comme en termes d'actions concrètes (par ex., les procédures spéciales ou les commissions d'enquêtes) nécessitent une défense active dans le contexte international actuel. La Suisse ne peut, à elle seule, influencer les processus décisionnels au sein du système multilatéral. Toutefois, grâce à des alliances au sein du groupe de pays occidentaux et transrégionales, la Suisse est parvenue ces dernières années à infléchir plusieurs discussions multilatérales dans la direction correspondant à ces objectifs et a ainsi pu influencer les processus de décision. Les forums multilatéraux continueront donc à l'avenir à constituer des instruments-clés à disposition du Conseil fédéral pour défendre au mieux les intérêts de la Suisse et promouvoir ses positions en matière de droits de l'homme.

3.3.1

Engagement au sein des Nations Unies

L'ONU est l'organisation globale de référence en ce qui concerne les droits de l'homme. La Suisse s'y engage principalement au Conseil des droits de l'homme et à la Troisième Commission de l'Assemblée générale, tout en suivant de près les travaux du Conseil de sécurité à cet égard. Dans ces enceintes, la Suisse participe activement aux débats sur les droits de l'homme et s'engage pour le renforcement de leur prise en compte dans le développement normatif ainsi que pour une promotion et une protection internationale accrue de ces droits. Elle s'engage en outre pour renforcer les instruments de monitorage de la mise en oeuvre des droits de l'homme.

Enfin, notre pays s'emploie pour que les questions de droits de l'homme soient intégrées dans les travaux d'autres instances onusiennes, comme le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC).

Les droits de l'homme, qui constituent l'un des trois piliers des Nations Unies avec la paix et la sécurité ainsi qu'avec le développement, ne cessent de gagner en importance dans l'action onusienne. Cette tendance, que la Suisse considère positivement, est appelée à s'accentuer à l'avenir, notamment sous l'égide de la mise en oeuvre du rapport du Secrétaire général des Nations Unies «Rights Up front». Cette initiative vise à ancrer l'engagement en matière de droits de l'homme dans l'ensemble du 1175

système onusien et à le diffuser dans l'ensemble de l'institution (mainstreaming). La Suisse soutient activement cette initiative dans le même esprit que celui qui guide son engagement en faveur d'un ancrage d'une approche basée sur les droits de l'homme dans l'Agenda post-2015.

Ces processus et les opportunités qu'ils ouvrent nécessitent des ressources suffisantes pour leur mise en oeuvre. Toutefois, le pilier des droits de l'homme de l'ONU ne reçoit qu'à peine 3 % du budget ordinaire de l'organisation, la plupart des actions en la matière étant financés sur une base volontaire. La Suisse, en partenariat avec d'autres Etats, s'engage en faveur de l'augmentation du financement du pilier droits de l'homme par le budget ordinaire de l'ONU. Dans ce contexte, elle a lancé un dialogue multipartite sur la question et appelé en juillet 2014 le Secrétaire général des Nations Unies, dans une lettre soutenue par 55 Etats, à ce que le financement du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'homme (HCDH) provenant du budget ordinaire de l'ONU soit renforcé.

Au sein de l'ONU, la Suisse soutient en outre différents programmes, fonds et projets qui correspondent aux axes principaux de notre politique extérieure en la matière. L'appui peut assumer la forme d'un soutien financier ou celle de la mise à disposition d'experts. La Suisse appuie de surcroît les travaux des procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme par la mise à disposition d'experts rattachés directement aux titulaires de certains mandats couvrant des thèmes prioritaires de la politique des droits de l'homme de notre pays. Il s'agit par exemple du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique ou d'association, du Rapporteur spécial sur les personnes déplacées dans leur propre pays ou du Rapporteur spécial sur le droit à l'eau et l'assainissement.

3.3.2

Engagement au sein des organisations régionales

Un engagement actif en faveur de la promotion et la protection des droits de l'homme au sein des enceintes régionales contribue à renforcer et compléter l'action de la Suisse au sein de l'ONU. Les organisations régionales servent également de relai aux efforts déployés par le biais d'instruments bilatéraux de la Suisse. Pendant la période sous revue, la présidence de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) que la Suisse a exercée en 2014 a permis à notre pays de promouvoir activement sa politique étrangère en matière de droits de l'homme auprès des 56 Etats participants de l'OSCE, parmi lesquels quatre membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU.

A travers sa présidence, la Suisse a pu bénéficier de l'importante plateforme de dialogue politique et d'action sur le terrain offerte par l'organisation. L'OSCE a une conception globale de la sécurité qui considère le respect des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la démocratie comme l'une des trois dimensions de la sécurité aux côtés de la sécurité politico-militaire et de la sécurité économique et environnementale. La Suisse s'est engagée depuis la création de l'organisation pour la promotion de la sécurité humaine au sein de l'OSCE. En 2011 et 2012, la présidence par la Suisse du Comité de la dimension humaine de l'OSCE a permis de renforcer le profil de notre pays en matière de droits de l'homme au sein de l'organisation.

Pendant la période sous revue, la Suisse a également soutenu l'action de l'OSCE

1176

dans le domaine des droits de l'homme par le biais de soutiens financiers ciblés à certains projets ou la mise à disposition d'experts.

La Suisse a renforcé son engagement dans le domaine des droits de l'homme au sein de l'OSCE à l'occasion de son année de présidence en travaillant en priorité, dans un souci de cohérence et d'efficacité, sur des thèmes qui constituaient déjà des points forts de son engagement au sein de l'OSCE ou par le biais d'autres instruments de sa politique en la matière: la prévention de la torture, la protection des défenseurs des droits de l'homme et la promotion de l'égalité entre les sexes. La présidence de l'OSCE a également permis d'offrir une plateforme de choix à certains partenaires de la Suisses (ONG, organisations internationales, experts indépendants, représentants du monde académique) pour renforcer la visibilité de leur travail au sein de la plus grande organisation de sécurité régionale au monde et, de ce fait, développer de nouvelles synergies et renforcer les partenariats existants.

Le Conseil de l'Europe (CdE), autre organisation régionale où la Suisse fait figure de membre actif, constitue un important instrument multilatéral de la politique de la Suisse visant au renforcement des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat de droit. Notre pays y a démontré un fort engagement dans la réforme de la Cour européenne des droits de l'homme initiée durant la présidence suisse et à l'occasion de la Conférence d'Interlaken en 2010. Cette réforme produit maintenant des résultats positifs, avec notamment, pendant la période sous revue, une diminution notoire des requêtes en suspens devant la cour, qui gagne ainsi en efficacité. En outre, la Suisse soutient des projets stratégiques du CdE en finançant, entre autres, le Fonds fiduciaire pour les droits de l'homme et des initiatives visant à renforcer les institutions démocratiques au sein de l'espace du CdE ou au-delà, par exemple en Géorgie ou au Kosovo. La Suisse contribue également au renforcement des capacités l'organisation par la mise à disposition d'experts.

Le Conseil de l'Europe constitue également un acteur et un forum uniques du développement normatif dans le domaine des droits de l'homme. La convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique
est ainsi entrée en vigueur en 201414. D'autres traités ont récemment été ouverts à l'adhésion des pays membres, comme par exemple la convention sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (2011)15 et le protocole no 15 à la convention européenne des droits de l'homme (2013)16 prévoyant le principe de subsidiarité. La Suisse a activement participé à l'élaboration de ces traités.

Enfin, en tant que pays observateur au sein de l'Organisation des Etats Américains (OEA), la Suisse participe au renforcement du système interaméricain des droits de l'Homme. Son engagement à travers cette organisation ­ par exemple en faveur de la liberté d'expression ­ permet à notre politique extérieure d'avoir un effet multiplicateur sur les 35 pays membres de l'OEA.

14 15 16

Elle a été signée par la Suisse le 11 septembre 2013 mais pas encore ratifiée.

Pas encore en vigueur. Elle a été signée par la Suisse le 28 octobre 2011.

Pas encore en vigueur. La procédure de signature par la Suisse est en cours.

1177

3.4

Collaboration avec des acteurs non étatiques

La participation croissante d'acteurs non étatiques aux évolutions politiques, économiques et sociales internationales constatées pendant la période sous revue s'accompagne de la reconnaissance accrue du rôle d'autres acteurs que les Etats en matière de droits de l'homme. Le Conseil fédéral, tant dans ses efforts de contribution au développement des normes que dans celui de l'application de ces dernières, s'appuie sur un vaste réseau d'acteurs non étatiques, en particulier les ONG, les instituts universitaires, les groupes de réflexion et le secteur privé. Ainsi, une société civile active constitue non seulement un objectif thématique de la politique de la Suisse dans le domaine des droits de l'homme, mais également un moyen essentiel de la mise en oeuvre de cette politique.

La collaboration avec les ONG dans le domaine des droits de l'homme revêt de multiples facettes, de la mise en oeuvre de projets sur le terrain à la collaboration dans le cadre de négociations au sein des instances multilatérales, en passant par l'échange d'informations sur des sujets donnés ou des cas particuliers. En principe, la Suisse défend l'inclusion des ONG dans son traitement bilatéral des thèmes de droits de l'homme ainsi que dans les forums multilatéraux. Elle appuie par exemple les demandes de statut consultatif déposées au Comité des ONG de l'ONU sis à New York par des ONG suisses ou sises en Suisse. La Suisse s'appuie elle-même de façon proactive sur l'expertise reconnue d'ONG dans certains cas. Enfin, en plus des soutiens financiers accordés à des projets ciblés, la Confédération accorde des contributions financières générales (core-contribution) au budget d'ONG qui bénéficient d'une compétence particulière et d'une place stratégique sur des thèmes prioritaires de l'engagement de la Suisse dans le domaine des droits de l'homme, comme l'Association pour la prévention de la torture (APT) ou l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT).

Un volet supplémentaire de cette coopération étendue avec des acteurs non étatiques est le soutien accordé par le Conseil fédéral, en juillet 2009, au Centre de compétence sur les droits humains (CSDH) qui a débuté son activité en mai 2011. Il s'agit d'un projet-pilote composé d'un réseau d'institutions universitaires et d'ONG chargé d'oeuvrer au renforcement des capacités de
mise en oeuvre en Suisse, notamment en fournissant de la documentation et des analyses sur la situation des droits de l'homme dans le pays ainsi qu'en effectuant des études et des évaluations sur la portée et la mise en oeuvre concrète des normes internationale en la matière. Le Conseil fédéral sera appelé à décider de l'avenir du projet en 2015, à l'issue de l'évaluation externe du CSDH qui sera menée à la fin de la présente phase-pilote. Il se prononcera alors sur l'opportunité de l'établissement d'une institution nationale des droits de l'homme.

De plus, la Suisse a établi des partenariats stratégiques avec différents instituts universitaires et groupes de réflexion établis en Suisse, comme l'Académie du droit international humanitaire et droits de l'homme à Genève (ADH) et le Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF). Les compétences et les idées nouvelles issues de ces centres de recherches permettent à la Suisse d'accroître l'efficacité et le rayonnement international de son action dans la promotion des droits de l'homme. Enfin, notre pays travaille depuis de nombreuses années avec les entreprises afin de promouvoir l'intégration de la prise en compte des droits de l'homme dans leurs activités (voir ch. 2.6.).

1178

3.5

Genève, capitale mondiale des droits de l'homme

3.5.1

Conditions-cadres

La Genève internationale représente un atout considérable tant pour la politique étrangère de la Suisse, de par l'influence qu'elle donne à notre pays, que pour sa politique interne, en fournissant des contacts privilégiés aux offices fédéraux et des informations essentielles au développement de politiques spécifiques. C'est particulièrement vrai dans le domaine des droits de l'homme, puisque l'importance stratégique de Genève lui vaut dans les faits le rang de capitale mondiale dans ce domaine. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme y a son siège, les organes des traités y tiennent la plupart de leurs sessions régulières, et, avec la création du Conseil des droits de l'homme en 2006, c'est la première fois que la Suisse accueille de façon permanente au Palais des Nations un organe onusien majeur. Le dynamisme de la société civile, du monde académique et de la centaine d'ONG actives dans le domaine des droits de l'homme établies à Genève, contribue également à faire de Genève un centre de réflexion incontournable en matière de droits de l'homme.

Il s'agit de poursuivre le renforcement du cluster droits de l'homme à Genève. Cet engagement se déploie en conformité avec la stratégie pour le renforcement du rôle de la Suisse comme Etat-hôte, élaborée conjointement au premier semestre 2013 par la Confédération, le canton et la Ville de Genève et dont le Conseil fédéral a pris acte en juin 2013, intitulée «La Genève internationale et son avenir, Rapport du Groupe permanent conjoint Confédération-Canton sur les priorités de la Genève internationale du 25 juin 2013». Le message qui précise et chiffre les mesures décrites dans la stratégie a été adopté par le Conseil fédéral le 19 novembre 201417 et sera transmis au Parlement en 2015. Par ailleurs, le Conseil fédéral saisit régulièrement les opportunités de mettre à profit le vivier d'acteurs présents à Genève pour y organiser ou soutenir des événements et des discussions sur des thèmes importants de son engagement dans le domaine des droits de l'homme, comme le forum qui s'est tenu à l'automne 2011 pour les cinq ans de l'entrée en vigueur du protocole facultatif à la convention des Nations Unies contre la torture (OPCAT).

Dans le domaine des infrastructures, la rénovation nécessaire du Palais des Nations est un des principaux projets
onusiens actuellement en discussion. Le Conseil fédéral a fait un don de 50 millions de francs pour la rénovation des façades, et s'est engagé en juin 2013 à octroyer des prêts préférentiels, pour la moitié du coût estimé à l'époque, avec une limite de 380 millions de francs. Le canton et la Ville de Genève participeront au prêt suisse pour un maximum de 30 %. A noter que le Conseil fédéral a également modifié sa politique en matière de rénovation des immeubles dont les organisations internationales sont propriétaires. Des prêts pourront désormais être octroyés pour les rénover, par l'intermédiaire de la Fondation des immeubles pour les organisations internationales (FIPOI).

Afin d'attirer les Etats qui ne sont pas encore représentés à Genève, pour la plupart des petits pays sans grandes ressources financières, la Suisse leur a transmis une offre générale comprenant la mise à disposition de locaux équipés, le soutien administratif et logistique du Centre d'Accueil de la Genève internationale, ainsi que des 17

Message du 19 novembre 2014 concernant les mesures à mettre en oeuvre pour renforcer le rôle de la Suisse comme Etat hôte; FF 2014 9029.

1179

solutions pour assurer la caution du loyer des locaux officiels de la mission permanente. Par ailleurs, le canton et la Ville de Genève contribuent au loyer des missions permanentes des pays les moins avancés présents à Genève. La Suisse met également à disposition des bureaux équipés pour les délégués de pays non représentés à Genève participant aux travaux du Conseil des droits de l'homme, et offre la gratuité de l'utilisation du Centre international de Conférence à Genève pour les missions permanentes, les organisations internationales et certaines ONG.

Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, en tant qu'institution intergouvernementale principale pour la promotion et la protection des droits de l'homme, est un partenaire stratégique d'importance cruciale pour la Suisse, non seulement parce que son siège est à Genève, mais aussi parce que son action défend les droits de l'homme de manière universelle. De plus, la contribution générale annuelle au HautCommissariat, la Suisse finance plusieurs fonds volontaires administrés par ce dernier, en particulier dans le domaine de la coopération technique et de la lutte contre la torture. Elle soutient également certains bureaux régionaux de l'ONU actifs dans les droits de l'homme, notamment dans les Territoires occupés palestiniens et au Honduras.

Le Conseil fédéral s'engage en outre pour que le mainstreaming des questions de droits de l'homme dans les multiples domaines d'action de l'ONU tel que prévu par l'initiative du Secrétaire général de l'ONU «Rights Up Front» ne se fasse pas au détriment du rôle capital de Genève en matière des droits de l'homme, mais puisse au contraire le renforcer. Enfin, l'engagement de la Suisse en faveur du renforcement des organes de traité et de l'amélioration de la coordination entre leurs travaux respectifs s'inscrit également dans ce double objectif d'optimisation du travail des institutions-clés de la gouvernance dans le domaine des droits de l'homme et de renforcement du rayonnement de la place genevoise à cet égard.

3.5.2

Conseil des droits de l'homme: opportunités et défis

L'importance de Genève dans le domaine des droits de l'homme découle pour une bonne part de la pertinence, de la crédibilité et de l'efficacité de l'action du Conseil des droits de l'homme. Cela est d'autant plus vrai au vu de l'ampleur croissante de son activité pendant la période sous revue. Depuis 2011 et les événements du «Printemps arabe», le Conseil des droits de l'homme a été fortement sollicité et s'est montré particulièrement réactif aux exigences et à l'urgence de certaines situations.

Le Conseil des droits de l'homme a également été saisi à de nombreuses reprises pour traiter de crises humanitaires et de situations dans lesquelles de violations du droit international humanitaire sont commises, comme par exemple en Syrie ou dans les territoires palestiniens occupés. Le dynamisme du conseil est perceptible tant dans le traitement de situations des droits de l'homme dans des pays spécifiques (création de nouvelles procédures spéciales ou de mécanismes d'enquête) que sur les questions thématiques (nombre croissant de nouveaux sujets abordés et création de nouvelles procédures spéciales thématiques). Depuis 2011, le conseil a adopté chaque année une centaine de résolutions.

Une relativement bonne coopération entre Etats et blocs régionaux a pu être constatée entre 2011 et 2013, notamment grâce à une augmentation des initiatives transrégionales. Depuis, les travaux du Conseil des droits de l'homme continuent à progresser sur le fond, mais des changements significatifs sont perceptibles sur la 1180

forme. En effet, l'atmosphère s'est progressivement polarisée et politisée, en partie en raison de la nouvelle constellation des Etats-membres du conseil et de la volonté, explicite d'un groupe de 18 Etats de mieux faire entendre leur voix critique vis-à-vis des droits de l'homme au travers du groupe transrégional Like-Minded Group18. Ce dernier défend des positions de blocage et contribue à des clivages Est-Ouest/NordSud sur des questions liées aux «valeurs traditionnelles» (femmes, personnes homosexuelles), à la souveraineté des Etats, à la participation de la société civile, à la démocratie ou à la lutte contre l'impunité. L'action de ce groupe alourdit le climat des discussions et rend l'avancement des travaux du conseil plus difficile.

Parallèlement à cette polarisation, le conseil continue à être confronté à plusieurs défis de taille depuis 2011. Le nombre de résolutions adoptées durant chaque session demeure élevé, de même que celui des mandats, des déclarations conjointes et des événements parallèles qui augmentent de manière constante. Si l'accroissement des activités du conseil est positif car il reflète l'importance que donnent les Etats à cet organe, il entraîne aussi des inconvénients. En étant moins focalisées, ses actions perdent en visibilité. De même, la participation des petites et moyennes délégations est de plus en plus difficile et l'engagement des délégations devient ainsi toujours plus inégal, ce qui met à mal l'universalité de l'institution.

L'un des axes essentiels du programme de travail du Conseil des droits de l'homme est constitué par l'Examen périodique universel (EPU), mécanisme d'examen par les pairs créé en même temps que le conseil en 2006 et auquel chaque Etat membre de l'ONU doit se soumettre tous les quatre ans et demi. La Suisse y a été soumise en 2008 et 2012 (voir ch. 5.2). Le mécanisme demeure un succès, notamment par la préservation de son caractère universel et impartial. L'EPU est bien accepté et a permis certaines avancées en encourageant les Etats à reconnaître et à combler leurs lacunes dans la protection des droits de l'homme, et à renforcer leur dialogue avec la société civile. Toutefois, ici aussi, le nombre croissant de recommandations reçues par les Etats ­une centaine en moyenne ­ constitue un défi considérable pour leur mise en oeuvre au
niveau national.

La Suisse a siégé au conseil de juin 2010 à décembre 2013 et en a exercé la viceprésidence en 2013, après un premier mandat de 2006 à 2009. Elle est depuis le 1er janvier 2014 Etat observateur et se représentera comme membre du conseil pour la période 2016­2018. Le statut d'observateur n'a en rien modifié l'engagement de la Suisse, mis à part qu'elle ne peut plus participer au vote final des résolutions. Elle se prononce fréquemment en plénière sur des sujets ou des situations particulières et continue à prendre activement part aux négociations informelles de nombreuses résolutions.

La Suisse est généralement active dans les discussions sur des situations spécifiques à des pays. Entre 2012 et 2014, elle a mené à plusieurs reprises le traitement de la situation des droits de l'homme au Bahreïn et s'est fortement engagée dans les négociations des résolutions sur la Syrie. La Suisse s'est associée en mars 2014 à la première déclaration commune sur la situation des droits de l'homme en Egypte. Sur les questions thématiques, la Suisse a renforcé son action dans le domaine de la reddition de compte en créant avec l'Argentine en septembre 2011 un Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle et en mettant sur pied en 2012 un Groupe des 18

Afrique du Sud, Algérie, Arabie Saoudite, Bangladesh, Bélarus, Chine, Cuba, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie, Inde, Iran, Pakistan, Russie, Singapour, Sri Lanka, Venezuela et Vietnam.

1181

Etats amis de la Cour pénale internationale. Au moment du «Printemps arabe», la Suisse a lancé un nouveau thème au sein du conseil: la préservation des droits de l'homme dans le cadre de manifestations pacifiques. En partenariat avec d'autres Etats, la Suisse a permis d'ancrer avec succès l'abolition de la peine de mort dans le programme de travail à long terme du conseil en y faisant adopter une résolution sur ce thème en juin 2013. Au-delà de ses propres initiatives, la Suisse est associée à d'autres Etats sur des thèmes émergents comme le droit à la vie privée à l'ère digitale et d'autres thèmes fondamentaux comme les droits des femmes et les droits des enfants.

Au vu du dynamisme et du potentiel de la Genève des droits de l'homme, il est impératif que la Suisse s'engage activement pour défendre cet avantage stratégique et promouvoir cette plate-forme unique ainsi que les riches discussions et les développements positifs qu'elle permet dans le domaine des droits de l'homme. Ces efforts sont d'autant plus pertinents que plusieurs Etats, y compris européens, sont désireux d'attirer sur leur territoire des activités en lien avec les droits de l'homme du fait de l'attractivité politique et du potentiel de développement de ce domaine d'activité.

4

Garantie de la cohérence: principes et instruments

4.1

Remarques liminaires

La politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l'homme ne se limite pas aux points forts ou aux instruments évoqués dans les précédents chapitres. Le cadre dans lequel s'inscrit la promotion des droits de l'homme prévue par le mandat constitutionnel de la Suisse est en effet plus large. Les questions relatives aux droits de l'homme doivent être prises en compte dans la planification et la mise en oeuvre de la politique extérieure de la Suisse dans son intégralité, même dans les domaines où la promotion de ces droits n'est pas l'objectif premier.

Cet objectif général de promotion des droits de l'homme a également des incidences sur la dimension intérieure de la politique de la Suisse en la matière. Si l'impératif du respect des droits de l'homme par la Suisse répond aux obligations internationales de notre pays, le devoir de cohérence renforce encore l'importance du déploiement de l'ensemble des moyens à disposition du Conseil fédéral pour assurer sa mise en oeuvre par la Suisse et en Suisse. Sous l'angle des droits de l'homme, la question de la cohérence doit ainsi être appréhendée dans une double dimension: d'une part comme critère d'articulation entre les multiples axes sectoriels qui constituent la politique extérieure, d'autre part comme lien intrinsèque entre politique intérieure et extérieure.

4.2

Cohérence entre politique intérieure et extérieure dans le domaine des droits de l'homme

La question de la cohérence entre politique intérieure et extérieure dans le domaine des droits de l'homme est étroitement liée à la ratification des conventions internationales sur la protection des droits de l'homme et leur application dans le cadre de l'ordre juridique suisse.

1182

La mise en oeuvre et l'application effective de ces droits, c'est-à-dire leur respect, leur protection et leur garantie au plan international et national, constituent l'un des enjeux majeurs en la matière. A la conclusion d'un traité de droit international, l'Etat a la possibilité de formuler une réserve, c'est-à-dire d'exclure ou de modifier l'application d'une disposition contenue dans ledit traité. Si les réserves contribuent à ce qu'un grand nombre d'Etats deviennent parties contractantes, elles empêchent toutefois l'application uniforme du traité. Pour les conventions relatives aux droits de l'homme en particulier, il importe de veiller à ce que les réserves émises par les Etats ne vident pas de sa substance le caractère du traité et son objectif général de protection.

C'est dans ce sens que la Suisse a renforcé sa pratique de formulation d'objection contre des réserves inadmissibles émises par d'autres Etats lorsqu'ils rejoignent des traités de droit international multilatéraux, en particulier en ce qui concerne les conventions relatives aux droits de l'homme. La Suisse vise à adopter une pratique constante qui consiste, indépendamment de toute considération politique, à formuler une objection formelle contre les réserves susceptibles d'être inadmissibles au sens des directives de l'art. 19 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités19 qui porte sur les critères d'admissibilité des réserves. Cette pratique s'inscrit dans l'objectif général de notre politique extérieure visant à la promotion du droit international et de l'état de droit. Avant de ratifier un traité international relatif aux droits de l'homme, la Suisse s'emploie de son côté à s'assurer de sa compatibilité avec la législation suisse, de manière à garantir qu'il soit applicable et ne reste pas un voeu pieu. Dans ce contexte, les autorités et les tribunaux jouent un rôle important puisqu'ils doivent prendre en considération les droits fondamentaux et les droits de l'homme dans le cadre de leur activité.

Pendant la période sous revue, la Suisse a notamment adhéré à la Convention de l'ONU du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées20 le 15 avril 2014. De plus, le Conseil fédéral a adopté le 29 novembre 2013 le message portant approbation et mise en oeuvre de la Convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées21. Les travaux quant à une éventuelle ratification par la Suisse du Protocole facultatif du 19 décembre 2011 se rapportant à la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications, demandée par une motion22, sont en cours. Enfin, dans son rapport du 2 juillet 2014 sur la Charte sociale Européenne révisée23, le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion que la Suisse remplissait d'un point de vue juridique les conditions minimales requises pour une ratification du texte.

Au-delà de la ratification d'instruments internationaux dans le domaine des droits de l'homme, le Conseil fédéral accorde une importance particulière à la mise en oeuvre des obligations qui en découlent et ainsi que des mécanismes de monitorage prévus par les conventions, les chartes ou les protocoles ratifiés. La plupart des traités prévoient la possibilité d'une procédure individuelle de recours qui permet à un particulier, en cas de violation avérée d'un droit garanti par le traité concerné et 19 20 21 22 23

RS 0.111 RS 0.109 FF 2014 437 Mo. 12.3623 Amherd «Troisième protocole facultatif à la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. Ratification».

FF 2014 5549

1183

après épuisement des voies de recours nationales, de faire recours contre l'Etat contractant en saisissant un organe de contrôle international. La Suisse est concernée en premier lieu par les requêtes devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Cette dernière a pour particularité de rendre des arrêts contraignants pour les Etats parties, dont l'exécution est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. En Suisse, un moyen important pour la mise en oeuvre des arrêts de la Cour au niveau national est constitué par la possibilité offerte aux individus de demander une réouverture de la procédure nationale en question par le biais d'une demande de révision24. De manière générale, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme constitue une source importante pour le développement normatif suisse lors de la mise en oeuvre de la Convention européenne des droits de l'homme.

En plus des requêtes auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, la Suisse reconnaît la compétence à examiner des communications individuelles du Comité de l'ONU contre la torture25, du Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination raciale26 et du Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination contre les femmes27. Entre 2011 et la fin du premier semestre 2014, le Comité contre la torture a ainsi traité 46 communications individuelles contre la Suisse qui toutes concernaient l'obligation de non-refoulement lorsqu'un risque de torture ou de mauvais traitement existe et constaté une violation de cette obligation dans cinq d'entre elles. Dans de tels cas, la Suisse dispose d'un délai de 90 jours pour fournir un rapport au comité qui détaille les mesures qu'elle a prises pour mettre en oeuvre les constatations du comité. Pendant la même période, le Comité comité pour l'élimination de la discrimination raciale a traité une communication contre la Suisse, finalement rejetée, tandis que le Comité pour l'élimination de la discrimination contre les femmes n'a été saisi d'aucune communication à l'encontre de la Suisse.

Tous les traités des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme prévoient par ailleurs une procédure de remises de rapports obligatoire pour les Etats parties.

L'examen des rapports remis par les Etats aboutit à une série de recommandations de l'organe conventionnel
compétent, pour la mise en application desquelles la Suisse doit rendre compte à l'organe concerné. Le Conseil fédéral veille à intégrer les cantons et les services fédéraux concernés dans la préparation des rapports nationaux et à fournir des rapports aussi exhaustifs et concluants que nécessaire. Il accorde également une grande importance aux recommandations émises par les organes conventionnels et qui sont ensuite reprises dans la législation et la pratique de la Suisse. Pendant la période sous revue, la Suisse a soumis trois rapports nationaux28 aux organes conventionnels compétents. Après le traitement d'un de ces

24 25 26 27 28

Art. 122, de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110).

Art. 22 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT; RS 0.105).

Art. 14 de la Convention internationale du 21 décembre 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD; RS 0.104).

Protocole facultatif du 6 octobre 1999 se rapportant à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (PF-CEDAW; RS 0.108.1).

7e rapport de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants (2014); 2e, 3e et 4e rapports de la Convention relative aux droits de l'enfant (2012); 7e, 8e et 9e rapports de la Convention pour l'élimination de la discrimination raciale (2012).

1184

rapports par l'organe compétent, la Suisse s'est vue remettre 20 recommandations29, tandis que le traitement des deux autres rapports par les organes conventionnels compétents est encore en cours L'Examen périodique universel (EPU) constitue un dernier exemple du soin particulier que le Conseil fédéral souhaite apporter à la mise en oeuvre des mécanismes internationaux dans le domaine des droits de l'homme qui incombent à la Suisse.

Les passages de la Suisse lors des deux premiers cycles de l'EPU au Conseil des droits de l'homme, respectivement en mai 2008 et en octobre 2012, ont chacun donné lieu à une préparation et à un suivi impliquant une consultation large de tous les services des autorités fédérales et cantonales concernés, des ONG et des institutions académiques suisses actives dans le domaine des droits de l'homme. Les recommandations ont été rejetées ou acceptées également dans le cadre d'une large consultation. Le recoupement par thématiques, l'attribution des compétences ainsi que la priorisation de ces recommandations en vue de leur mise en oeuvre ont été effectués dans le cadre du Groupe interdépartemental politique internationale des droits de l'homme afin d'optimiser l'adéquation entre les recommandations acceptées et les priorités propres à la Suisse en la matière. L'établissement du rapport national en vue du troisième cycle (prochain passage de la Suisse à l'EPU prévu en avril 2017) se fera en consultation avec ces mêmes acteurs et dans le cadre des échanges réguliers sur ce thème entre l'administration fédérales et les parties intéressées.

Compte tenu du nombre croissant de rapports qui doivent être livrés à intervalles réguliers mais selon des périodicités variables, la Suisse est impliquée aujourd'hui de façon continue dans l'une ou l'autres des procédures d'établissement de rapports, tout en devant également traiter des recommandations émises par des organes internationaux (Comités de l'ONU ou Conseil des droits de l'homme en ce qui concerne l'EPU). Selon le domaine de compétence, l'obligation de mise en oeuvre qui en découle incombe à la Confédération ou aux cantons. A l'heure actuelle et suite à la demande explicite des cantons, l'administration fédérale examine l'opportunité de soumettre au Conseil fédéral la création d'une nouvelle instance de coordination dont la tâche
serait d'assurer la coordination de ces différentes procédures, tant du point de vue des délais que de l'organisation et du contenu. Cette instance serait appelée à soutenir les services fédéraux et cantonaux responsables dans leur travail et à développer des synergies entre les diverses procédures, ainsi qu'à harmoniser, le cas échéant, les processus au niveau organisationnel.

En dernier lieu, la cohérence entre politique intérieure et extérieure en matière de droits de l'homme implique une dernière dimension, celle des intérêts spécifiques à la Suisse en la matière ­ au-delà de la promotion générale des droits de l'homme.

Ceci se manifeste, par exemple, dans l'engagement de la Suisse sur les discussions en vue d'une déclaration de l'ONU sur les droits des paysans et d'autres personnes vivant en milieu rural. Du fait de la tradition agricole et de l'importance de ce secteur pour l'économie de notre pays, le Conseil fédéral est d'avis qu'un tel processus est à même de renforcer efficacement les droits de ces personnes, en Suisse comme ailleurs.

29

Committee on the Elimination of Racial Discrimination, Concluding observations on the combined seventh to ninth periodic reports of Switzerland, CERD/C/CHE/CO/7-9.

1185

4.3

Prise en compte des droits de l'homme et cohérence de la politique extérieure: principes et instruments

Le Conseil fédéral se doit d'assurer la cohérence générale de la politique extérieure de la Suisse, plus particulièrement celle entre son action en matière des droits de l'homme et d'autres domaines. Par sa fonction de coordination, le DFAE s'emploie à renforcer la cohérence de la politique extérieure avec les offices concernés, tant au niveau interne que dans les forums multilatéraux, ainsi que sur le plan bilatéral. Il convient avant tout de veiller à ce que l'action extérieure de la Suisse s'inscrive dans le cadre des impératifs du droit international, y compris les normes de droits de l'homme qui lui sont opposables. Cependant, certaines dispositions du droit international peuvent imposer à la Suisse des obligations opposées, voire contradictoires, suivant les situations. Dans de tels cas, il incombe aux services compétents de l'administration fédérale, voire au Conseil fédéral, d'évaluer les priorités et, le cas échéant, de communiquer clairement la position de la Suisse sur ces dispositions tant à l'externe qu'en interne.

Des situations de conflits d'intérêts peuvent également survenir entre les différents objectifs de la politique extérieure de la Suisse ou entre les droits de l'homme et d'autres intérêts de notre pays, comme c'est parfois le cas dans le domaine de l'exportation de matériel de guerre. D'un côté, il s'agit de fixer un degré élevé de respect des droits de l'homme au sein du pays destinataire, puisqu'un usage abusif des armes peut contribuer à perpétrer des violations graves et systématiques des droits de l'homme dans ce pays. D'un autre côté, les intérêts économiques de la Suisse et la préservation des capacités industrielles liées à la défense du pays doivent également être pris en compte dans la pesée d'intérêt. Pour garantir que les exportations de matériel de guerre soient cohérentes avec la politique étrangère de la Suisse dans son ensemble, y compris dans le domaine des droits de l'homme, un examen minutieux et au cas par cas de chaque demande est alors nécessaire.

Sur le plan interne, le Conseil fédéral entend veiller à ce que la dimension des droits de l'homme soit systématiquement intégrée dans tous les processus décisionnels de la politique extérieure et à la transparence de ces processus. Dans ce but, il existe un certain nombre de mécanismes internes d'information,
de consultation et de décision, comme le Groupe interdépartemental politique internationale des droits de l'homme, qui regroupe tous les départements intéressés. Des efforts sont également dévolus à la qualité de la formation et de la sensibilisation du personnel de l'administration fédérale. A ce sujet, l'art. 35, al. 2, Cst.) précise que quiconque assume une tâche de l'Etat est tenu de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation. De plus, la coordination et la consultation entre offices de l'administration permettent d'optimiser l'intégration des considérations de droits de l'homme (mainstreaming) dans la définition et la mise en oeuvre de la politique extérieure de la Suisse dans sa globalité. C'est notamment le cas dans des domaines comme la politique extérieure en matière économique, la politique de sécurité ou la politique de migration. Dans ces trois domaines, la Suisse s'engage également pour une prise en compte des droits de l'homme dans la formulation des politiques y relatives sur le plan international.

1186

4.3.1

Cohérence de la politique économique extérieure par rapport à celle des droits de l'homme

Le Conseil fédéral veille à ce qu'une approche cohérente de ses politiques économique, sociale, environnementale, commerciale et des droits de l'homme, éléments interdépendants d'une politique de développement durable, soit assurée sur les différents niveaux d'action.

Sur le plan économique, le Conseil fédéral considère que la libéralisation des échanges qui résulte de la conclusion d'accords commerciaux, tant sur le plan multilatéral dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) que sur le plan bilatéral (accords de libre-échange, accords bilatéraux de promotion et de protection des investissements) contribue à la croissance économique et donc à la prospérité de la Suisse et de ses partenaires. Des effets positifs sont à escompter sur l'amélioration des conditions de travail, de création d'emplois et du niveau de vie, tant dans les pays partenaires qu'en Suisse. De plus, grâce au renforcement des engagements bilatéraux et multilatéraux, ces accords favorisent l'Etat de droit et contribuent au développement économique et à la prospérité, notamment en soutenant le secteur privé et la libre entreprise. Enfin, ils intègrent de manière accrue les partenaires dans le système juridique international et dans la coopération économique internationale.

Les accords de libre-échange (ALE), à l'instar des autres instruments de la politique économique extérieure, reposent avant tout sur des critères économiques, tout en prenant en considération le respect des normes sociales et environnementales et, d'une manière générale, les droits de l'homme. Depuis 2010, la Suisse ainsi que ses partenaires de l'Association européenne de libre-échange (AELE) proposent systématiquement à leurs partenaires de négociations l'inclusion de dispositions à cet effet, notamment l'inclusion d'un chapitre «Commerce et développement durable».

Le chapitre prévoit des dispositions spécifiques en matière de standards de travail et de protection de l'environnement, notamment la mise en oeuvre effective et le respect des conventions fondamentales de l'Organisation international du travail (OIT) ainsi que des accords environnementaux multilatéraux ratifiés par les parties. En outre, la Suisse propose des références aux principaux instruments internationaux régissant les droits de l'homme ainsi qu'aux principes de responsabilité
sociale des entreprises. Le Conseil fédéral veille encore, par une clause spécifique, à ce que les ALE conclus par la Suisse ne portent pas préjudice aux obligations internationales existantes ou ne contiennent pas de dispositions qui les remettent en question les, y compris en matière sociale, environnementale et de droits de l'homme. Enfin, les ALE permettent explicitement aux parties de prendre des mesures dérogatoires pour des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes, des animaux et des végétaux, ainsi que de conservation des ressources naturelles non renouvelables. Les intérêts et les circonstances spécifiques aux pays partenaires dans le domaine social et environnemental sont de la sorte dûment pris en compte lors de la négociation et de la mise en oeuvre de ces accords.

La Suisse développe de manière continue ses accords bilatéraux de promotion et de protection des investissements (APPI). Ainsi, le SECO a élaboré en 2012, en collaboration avec d'autres offices fédéraux intéressés, de nouvelles dispositions en vue de prendre en compte les aspects relatifs à la durabilité de manière plus approfondie.

Ces dernières visent à souligner la nécessité d'interpréter et d'appliquer de manière cohérente ces accords, en conformité avec les autres engagements internationaux de 1187

la Suisse et de ses partenaires relatifs à la défense d'intérêts publics (droits de l'homme, environnement, normes internationales du travail, etc.). Depuis 2012, la Suisse intègre ces nouvelles dispositions aux négociations d'APPI et continuera à le faire.

Dans le cadre de la Déclaration ministérielle de Singapour de 1996, les Etats membres de l'OMC se sont engagés à se conformer aux normes de travail internationalement reconnues. Il n'y a toutefois pas pour l'heure de dispositions plus concrètes relatives aux questions sociales et de droits de l'homme à l'OMC. La Suisse s'est engagée lors du lancement du Cycle de Doha en faveur de l'inclusion de ces aspects à l'agenda des négociations, ce qui a été refusé par plusieurs Etats, principalement en raison de craintes d'utilisation de ces dispositions à des fins de protectionnisme. Tant par ce biais que par celui des autres instruments à sa disposition, le Conseil fédéral continuera à s'employer pour la cohérence entre les domaines économique, social, environnemental et des droits de l'homme.

4.3.2

Cohérence de la politique de sécurité extérieure par rapport à celle des droits de l'homme

L'objectif suprême de la politique de sécurité de la Suisse est de garantir la capacité d'action et l'autodétermination du pays ainsi que l'intégrité du territoire suisse et de sa population et de protéger ses bases existentielles contre toute menace directe et indirecte. Qu'il s'agisse d'actions étatiques, terroristes ou criminelles, un Etat libre a le droit et le devoir de lutter contre les menaces qui pèsent sur lui et les atteintes perpétrées contre lui et ses citoyens en prenant les mesures nécessaires à cette fin.

Ce faisant, il convient toutefois de préserver le principe de l'Etat de droit: les interventions de l'Etat doivent reposer sur une base légale, répondre à un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité. L'Etat est tenu de respecter les droits fondamentaux, notamment le droit à la vie, la protection contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants, la liberté individuelle, la liberté d'opinion et d'information, ainsi que la liberté de réunion et d'association. Si les acquis d'une société libre sont trop rapidement sacrifiés sur l'autel de la lutte contre les menaces et les risques, cela met en péril tant la sécurité que l'existence d'une société libre et pluraliste. Dans le même temps, la sécurité est une condition de l'application effective des droits de l'homme et vice-versa. Par conséquent, le Conseil fédéral est conscient que la lutte contre l'extrémisme, le terrorisme et contre d'autres menaces existentielles représente un enjeu particulier pour la sauvegarde des droits de l'homme.

L'engagement international de la Suisse dans le domaine de la sécurité se déploie selon ces mêmes principes: il est essentiel pour notre pays que la lutte contre le terrorisme, entre autres menaces, s'inspire d'une approche équilibrée entre prévention et répression qui s'effectue dans le respect du droit international en général et des droits de l'homme en particulier. La Suisse défend cette position de manière cohérente au sein de l'ONU, du Conseil de l'Europe, de l'OSCE et d'autres organes internationaux, à l'instar du Forum mondial contre le terrorisme. S'appuyant sur la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies, la Suisse s'engage en faveur d'une approche globale et équilibrée qui tienne compte en tout temps de l'Etat de droit et des droits de l'homme.

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Dans ce contexte, la Suisse joue un rôle essentiel en ce qui concerne l'amélioration des garanties procédurales du régime de sanctions du Conseil de sécurité, notamment celles visant Al-Qaïda. Pendant la période sous revue, notre pays a également soutenu diverses résolutions de l'Assemblée générale et du Conseil des droits de l'homme de l'ONU et organisé des événements internationaux de haut niveau portant sur la protection des droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, comme la Conférence d'Interlaken d'avril 2014 sous l'égide de la Présidence suisse de l'OSCE.

Sur le plan international, la Suisse oeuvre par ailleurs à la protection des données et la protection de la sphère privée telles que garanties par les normes des droits de l'homme pertinentes. Ce thème est particulièrement d'actualité à une époque où les Etats sont en mesure d'entrer en possession de toujours plus de données informatiques concernant chaque individu. Sur ce point, la Suisse est d'avis que tous les Etats parties aux traités internationaux applicables en la matière sont fondamentalement tenus d'en respecter les dispositions, y compris pour les actions en lien avec leur souveraineté et leur sécurité nationale menées à l'étranger. La Suisse s'est notamment engagée dans le cadre de la première résolution de l'ONU sur ce thème adoptée en décembre 2013 à l'Assemblée générale, qui a consacré explicitement le droit de tout individu à la protection de sa sphère privée à l'ère digitale. Le Conseil fédéral salue le rapport du Haut-Commissaire pour les droits de l'homme sur ce thème, ainsi que la discussion consécutive qui a lieu dans le cadre du Conseil des droits de l'homme en septembre 2014. La Suisse continuera à s'engager prioritairement sur ce sujet au sein de l'Assemblée générale et du Conseil des droits de l'homme.

4.3.3

Cohérence de la politique migratoire extérieure par rapport à celle des droits de l'homme

La Suisse s'engage pour une politique migratoire extérieure qui soit cohérente avec son engagement dans le domaine des droits de l'homme et qui prenne en compte les droits des personnes migrantes dans son élaboration et son opérationnalisation.

La cohérence en matière de politique migratoire extérieure de la Suisse est assurée grâce à une approche gouvernementale intégrée qui repose sur une structure de coopération interdépartementale connue sous le nom d'IMZ (Internationale Migrationszusammenarbeit) réunissant les différents acteurs de l'administration fédérale concernés par la migration: le DFJP (avec l'Office fédéral des migrations, ODM, et l'Office fédéral de la police, fedpol), le DFAE (avec la Direction politique, DP et la Direction du développement et de la coopération, DDC) et le DEFR (avec le Secrétariat d'Etat à l'économie, SECO). La coopération interdépartementale ainsi instituée permet de mettre en oeuvre de manière effective la politique migratoire extérieure de la Suisse, de garantir la cohérence de cette politique par rapport, entre autres, à la politique des droits de l'homme et d'assurer un équilibre entre les intérêts provenant des différents mandats, priorités et objectifs des offices concernés. Cette structure offre également une plateforme utile pour relayer les différents intérêts de la Suisse en matière de migration, au nombre desquels figurent la gouvernance internationale de la migration, l'identification de liens possibles entre la migration et le développement, la protection des réfugiés et des migrants vulnérables, le retour et la réintégration, ainsi que la prévention de l'abus du statut de réfugié. Elle rend 1189

possible la concrétisation de projets, de mesures et de dialogues politiques grâce à des échanges réguliers et à l'étroite concertation entre les différentes instances fédérales. Ceux-ci ont notamment lieu dans le cadre de groupes de travail thématiques et géographiques. Dans ce contexte, la Suisse soutient de nombreux projets pour la protection des droits des migrants par le biais des différents instruments de politique migratoire extérieure, tels que les programmes de protection dans la région, les partenariats migratoires, les programmes migration et développement ou encore des stratégies spécifiques, comme le Programme suisse pour l'Afrique du Nord.

Sur la scène internationale, la Suisse promeut une même approche intégrée et cohérente de la migration, notamment dans le cadre du Dialogue de haut niveau des Nations Unies sur les migrations internationales et le développement de l'Assemblée générale des Nations Unies. En septembre 2013, la Suisse a activement contribué au succès de la deuxième édition de ce dialogue qui a vu l'adoption à l'unanimité d'une déclaration qui reconnait, entre autres, l'importance de mieux protéger les droits de l'homme des migrants. Elle s'engage également pour une meilleure protection des droits des migrants dans différents processus et forums internationaux, tels que la préparation de l'Agenda post-2015, le Forum Mondial sur la Migration et le Développement et le Conseil des droits de l'homme.

Dans le même esprit, notre pays a également été à l'origine des efforts visant à améliorer la protection des personnes forcées à quitter leur pays d'origine suite à des catastrophes naturelles grâce au lancement en 2012 de l'Initiative Nansen. Par le biais de consultations régionales, l'initiative entend dégager un consensus sur un agenda de protection au niveau international. Enfin, la Suisse s'engage dans le domaine de la prévention de la traite des êtres humains et en faveur de l'amélioration des normes visant à la protection des victimes de ce phénomène en suivant une approche fondée sur les droits de l'homme. En partenariat avec l'UNODC, elle s'est portée co-auteure d'une initiative diplomatique visant à clarifier les notions-clés de la définition de la traite des personnes dans le protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité organisée
visant à prévenir et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (protocole de Palerme) afin de rendre son application plus harmonisée dans les différents systèmes juridiques nationaux. Sur le plan bilatéral, la Suisse s'investit en outre en faveur d'un meilleur échange d'informations, d'expériences et des stratégies de lutte contre la traite avec les acteurs des pays de transit ou de provenance des victimes.

5

Conclusion

L'engagement de la Suisse en matière des droits de l'homme se fonde sur la conviction que le respect des droits fondamentaux de chaque individu partout dans le monde correspond aux valeurs et intérêts de notre pays. En vue de cet objectif général, le Conseil fédéral s'est efforcé pendant la période sous revue de concentrer son action autour de certains axes d'intervention. Le choix de ces points forts s'est fondé d'une part sur l'expertise reconnue de notre pays et la valeur ajoutée de son engagement. D'autre part, ce choix s'est fondé sur l'adéquation de ces axes d'engagement avec les autres intérêts de la Suisse, les exigences de certains développements internationaux et une utilisation rationnelle des ressources internes à disposition.

Combinant des instruments bilatéraux et multilatéraux à sa disposition, la Suisse a su ainsi, pendant la période sous revue, apporter une contribution significative ainsi 1190

qu'une perspective novatrice sur certains thèmes spécifiques tant au niveau global que dans des pays et régions déterminés. Elle entend poursuivre son action dans le domaine des droits de l'homme selon cette orientation et déployer son engagement en la matière en fonction des mêmes critères d'expertise, de visibilité et de valeurajoutée.

En soutien à cet objectif général et à ces efforts thématiques, la Suisse s'efforcera de continuer à être une actrice influente de la gouvernance mondiale des droits de l'homme. Pour ce faire, elle continuera à s'engager de façon proactive dans les discussions et processus visant à améliorer le développement, l'efficacité et la pertinence des institutions internationales des droits de l'homme. Elle soutiendra les efforts visant à améliorer la prise en compte des droits de l'homme dans les instances de gouvernance internationale (mainstreaming) et à renforcer la cohérence de leur action. La Suisse s'engagera également pour développer des synergies entre organisations internationales, Etats et acteurs non étatiques jouant un rôle de plus en plus important dans la promotion et la protection des droits de l'homme. Le Conseil fédéral souhaite ici développer les échanges et les coopérations avec la société civile, le monde académique et le secteur privé sur les thèmes de droits de l'homme.

La préservation des intérêts de Genève en tant que capitale mondiale des droits de l'homme sera prise en compte dans l'ensemble de ces efforts.

La Suisse est au bénéfice d'atouts majeurs en vue de la réalisation de ces objectifs.

La tradition de son engagement et l'expertise avérée en matière de droits de l'homme renforcent l'impact de son action. L'absence d'un agenda politique caché et l'impartialité sont des caractéristiques reconnues de l'approche suisse qui lui assurent une voix écoutée et respectée. La position ancrée dans le droit, mais ouverte au dialogue, qui caractérise l'engagement de la Suisse dans le domaine contribue à renforcer son rôle traditionnel de facilitateur entre positions divergentes ou interlocuteurs opposés. La valeur ajoutée d'un engagement de la Suisse fondé sur ces principes est même amenée à augmenter au vu de certains défis actuels en matière de promotion et protection des droits de l'homme, comme par exemple la polarisation croissante qui caractérise
les discussions.

Pour la Suisse, la préservation de son avantage comparatif en termes de crédibilité dépend de son engagement effectif dans le domaine des droits de l'homme, lequel repose également sur la capacité de notre pays à assurer la cohérence de sa politique en la matière. Le Conseil fédéral continuera ainsi à prêter une attention prioritaire aux défis qui demeurent quant à la mise en oeuvre des obligations de la Suisse dans le domaine des droits de l'homme dans notre pays et dans le monde. De plus, il s'efforcera toujours de garantir la prise en compte des droits de l'homme dans la formulation de la politique extérieure dans sa globalité et de renforcer la cohérence des messages donnés dans les enceintes multilatérales et dans le cadre des relations bilatérales. Enfin, il veillera au bon fonctionnement des mécanismes internes soutenant la recherche permanente d'un équilibre entre la promotion et la protection des droits de l'homme et les autres objectifs de la politique extérieure de la Suisse.

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