15.057 Message relatif à l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» du 26 août 2015

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

26 août 2015

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2015-1730

6429

Condensé Le Conseil fédéral rejette l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect, car le droit fondamental à la protection de la sphère privée que l'initiative prétend renforcer est déjà garanti dans la Constitution fédérale. Le Conseil fédéral attache une grande importance au droit à la protection de la sphère privée et estime que ce droit est déjà suffisamment concrétisé dans la législation fédérale par le biais notamment du secret fiscal, de la loi fédérale sur la protection des données et du secret professionnel. L'initiative n'entraînerait pas de changements pour la grande majorité des citoyens mais fixerait cependant un cadre très rigide dans le domaine du droit fiscal. Les restrictions engendrées par l'initiative auraient notamment des conséquences négatives sur la perception correcte des impôts de la Confédération, des cantons et des communes. En conséquence, le Conseil fédéral ne voit pas de motifs qui justifieraient un soutien à cette initiative ou la présentation d'un contre-projet.

Contexte Le droit à la protection de la sphère privée est inscrit à l'art. 13 de la Constitution fédérale et mis en oeuvre dans les lois fédérales et cantonales. De plus, il est ancré dans plusieurs conventions internationales fondamentales auxquelles la Suisse a adhéré, comme la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Ce droit à la protection de la sphère privée englobe également le droit à la protection de la sphère privée financière. L'Etat ne dispose d'instruments pour obtenir des informations de tiers concernant l'état des finances d'un contribuable suisse que dans les cas et dans les limites prévus par la loi, notamment lorsque le citoyen ne remplit pas ses obligations de collaborer avec l'Etat. En outre, quand bien même l'Etat peut obtenir ces informations pour garantir le principe constitutionnel d'équité fiscale ou dans le cadre d'une procédure pénale, ses agents sont liés par le secret de fonction, ainsi que par le secret fiscal, ce qui garantit la confidentialité des données traitées.

Contenu du projet et conséquences L'initiative a pour objectif d'inscrire dans la Constitution fédérale, comme complément au droit fondamental à la protection de la sphère privée, un droit fondamental à la protection de la sphère
privée financière. En outre, l'initiative définit de manière exhaustive les cas dans lesquels, en matière fiscale, il peut être dérogé à ce droit fondamental et prévoit que la loi règle les dérogations au droit à la protection de la sphère privée dans les domaines autres que fiscaux.

Le texte proposé n'aurait, dans les domaines autres que fiscaux, qu'une pure signification déclarative, étant donné que la protection de la sphère privée fait déjà l'objet en Suisse d'une législation fournie. De plus, le contenu de l'initiative ne changerait rien dans les rapports entre les autorités fiscales et le citoyen, ce dernier restant tenu de par la loi de fournir toutes les informations déterminantes nécessaires aux autorités fiscales, y compris les renseignements sur les éléments de

6430

fortune déposés auprès d'établissements bancaires. L'initiative n'aurait de conséquences que pour une minorité de contribuables, étant donné que les cas dans lesquels l'autorité fiscale doit faire appel à des tiers pour obtenir des informations contre la volonté ou sans le consentement du citoyen relèvent de l'exception. Cette possibilité serait mise en péril par l'initiative et l'autorité fiscale perdrait des instruments importants pour établir la situation patrimoniale d'un contribuable dans le but de percevoir les impôts, notamment lorsque celui-ci refuse de collaborer. Ainsi, l'initiative aurait pour conséquence principale une mise en danger de la perception correcte des impôts de la Confédération, des cantons et des communes. De plus, de par sa formulation, l'initiative pourrait rendre la poursuite de certaines formes de soustraction fiscale, en matière de fiscalité directe et indirecte, plus difficile, voire impossible, pour l'autorité compétente. A cela s'ajoute que, selon l'interprétation qui en est faite, l'initiative pourrait aussi avoir des conséquences négatives importantes en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. D'une part, elle pourrait nuire à la conformité du dispositif anti-blanchiment suisse avec les normes du Groupe d'action financière (GAFI) et, d'autre part, elle pourrait mettre le pays dans une situation difficile vis-à-vis de ses partenaires dans le cadre des efforts collectifs de lutte en la matière. Au vu de toutes ces conséquences, l'acceptation d'une telle initiative aurait pour effet d'entraver la perception des impôts et de porter préjudice à la réputation de la place financière suisse, sans que la sphère privée s'en trouve mieux protégée qu'elle ne l'est aujourd'hui.

6431

Table des matières Condensé

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1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Teneur de l'initiative 1.2 Aboutissement et délai de traitement 1.3 Validité

6433 6433 6434 6434

2

Contexte 2.1 Protection de la sphère privée 2.2 Accès aux informations en matière fiscale 2.2.1 Impôts directs 2.2.2 Impôts indirects 2.3 Procédure d'assistance administrative internationale sur demande 2.4 Modifications législatives prévues 2.4.1 Projet de révision du droit pénal fiscal 2.4.2 Projet de révision de la législation sur l'impôt anticipé 2.4.3 Echange spontané et automatique de renseignements en matière fiscale au niveau international 2.5 Droit comparé

6435 6435 6437 6437 6440 6445 6446 6446 6446

3

Buts et contenu 3.1 Buts visés 3.2 Dispositif proposé 3.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

6449 6449 6450 6451

4

Appréciation de l'initiative 4.1 Exigences de l'initiative 4.2 Conséquences en cas d'acceptation 4.2.1 Conséquences juridiques 4.2.2 Blanchiment d'argent et lutte contre le financement du terrorisme 4.2.3 Assistance administrative internationale sur demande 4.2.4 Echange spontané et automatique de renseignements en matière fiscale 4.2.5 Révision du droit pénal fiscal 4.2.6 Révision de la législation sur l'impôt anticipé 4.2.7 Conséquences financières 4.2.8 Conséquences économiques 4.3 Avantages et inconvénients 4.4 Compatibilité avec les obligations internationales

6454 6454 6454 6454

Conclusions

6465

5

Arrêté fédéral relatif à l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» (Projet)

6432

6447 6447

6459 6460 6461 6461 6461 6462 6463 6463 6465

6467

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Teneur de l'initiative

L'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» a la teneur suivante: I La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 13 1

Protection de la sphère privée

Toute personne a droit à la protection de sa sphère privée.

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu'elle établit par la poste et les télécommunications ainsi qu'à la protection de sa sphère privée financière.

2

3 Toute personne a le droit d'être protégée contre l'emploi abusif des données qui la concernent.

Des tiers ne sont autorisés à fournir aux autorités des renseignements en lien avec les impôts directs dont les cantons effectuent la taxation et la perception et concernant une personne domiciliée ou sise en Suisse qui s'y oppose que dans le cadre d'une procédure pénale, et exclusivement s'il existe un soupçon fondé de présumer que:

4

5

a.

dans le but de commettre une soustraction d'impôt, des titres faux, falsifiés ou inexacts quant à leur contenu, tels que des livres comptables, des bilans, des comptes de résultat ou des certificats de salaire et autres attestations de tiers, ont été utilisés dans le dessein de tromper l'autorité fiscale; ou

b.

intentionnellement et de manière continue, un montant important de l'impôt a été soustrait, qu'on a prêté assistance à un tel acte ou incité à le commettre.

Un tribunal décide s'il y a soupçon fondé au sens de l'al. 4.

Les conditions prévues aux al. 4 et 5 concernant les renseignements fournis aux autorités s'appliquent par analogie aux renseignements liés aux impôts indirects.

6

Pour les questions autres que fiscales, la loi règle les conditions auxquelles il est permis de donner des renseignements.

7

1

RS 101

6433

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont complétées comme suit: Art. 197, ch. 112 (nouveau) 11. Disposition transitoire ad art. 13 (Protection de la sphère privée) L'art. 13 entre en vigueur dans sa version modifiée dès son acceptation par le peuple et les cantons.

1

Toutes les autorités sont tenues d'appliquer l'art. 13, al. 2, dans la mesure où il règle la protection de la sphère privée financière, et 4.

2

Le législateur adapte les actes législatifs à l'art. 13, al. 2, dans la mesure où il règle la protection de la sphère privée financière, et 4 à 7, dans un délai de trois ans. Le Conseil fédéral édicte, dans un délai d'une année, les dispositions d'exécution relatives à l'art. 13, al. 4 et 5, qui s'avèrent nécessaires avant l'entrée en vigueur de ces modifications légales.

3

1.2

Aboutissement et délai de traitement

L'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 21 mai 20133 et a été déposée avec le nombre requis de signatures le 25 septembre 2014.

Par décision du 23 octobre 2014, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 117 531 signatures valables et qu'elle avait donc abouti4.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet direct ou indirect. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral a donc jusqu'au 25 septembre 2015 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté accompagné d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 25 mars 2017 pour adopter la recommandation de vote qu'elle présentera au peuple et aux cantons.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.):

2 3 4 5

a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

La numérotation définitive de cette disposition transitoire sera fixée par la Chancellerie fédérale après la votation populaire.

FF 2013 3025 FF 2014 8473 RS 171.10

6434

c.

2

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

Contexte

Le 4 juin 2013, un comité mixte composé de représentants du Parti libéral-radical (PLR), du Parti démocrate-chrétien (PDC), de l'Union démocratique du centre (UDC), de la Ligue des Tessinois (Lega), de l'Union suisse des arts et métiers (USAM) et de l'association alémanique des propriétaires (HEV) a officiellement lancé la campagne de récolte de signatures en faveur de l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée». Le lancement de l'initiative a suivi de quelques semaines la mise en consultation par le Conseil fédéral d'un premier projet de révision du droit pénal fiscal (cf. ch. 2.4) qui proposait notamment de donner davantage de moyens aux administrations fiscales cantonales pour poursuivre la soustraction fiscale. Durant cette période, le Conseil fédéral a en outre décidé de participer à des discussions sur l'introduction d'une norme internationale d'échange automatique de renseignements (EAR) en matière fiscale.

2.1

Protection de la sphère privée

Le droit fondamental à la protection de la sphère privée est inscrit à l'art. 13 Cst.

Cette disposition «confère à toute personne le droit d'organiser sa vie et d'entretenir des rapports avec d'autres personnes, sans que l'Etat ne l'en empêche»6. En outre, le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance est garanti par l'art. 8 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)7. L'art. 17 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II)8 prévoit quant à lui que nul «ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation». La vie familiale, la correspondance et le secret des postes et des télécommunications (al. 1) ainsi que la protection contre l'emploi abusif de données (al. 2) sont garantis. Cette garantie se concrétise dans la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD)9. Les constitutions cantonales les plus récentes contiennent également des dispositions spécifiques concernant la protection de la sphère privée10.

La protection de la sphère privée en général, dont la sphère privée financière fait partie, est inscrite dans le code civil (CC)11. Les art. 27 à 29 CC traitent de la protection de la personnalité contre les engagements excessifs (art. 27 CC), contre des atteintes (art. 28 ss CC) et relativement au nom (art. 29 CC). Ces articles concrétisent donc ce droit fondamental contenu dans la Constitution. Le code pénal (CP)12 6 7 8 9 10 11 12

FF 1997 I 154 RS 0.101 RS 0.103.2 RS 235.1 Cf. art. 12 Cst. FR; art. 21 Cst. GE RS 210 RS 311.0

6435

contient également plusieurs dispositions visant à faire respecter le droit à la protection de la sphère privée. Le titre 3 du code pénal s'intitule «Infractions contre l'honneur et contre le domaine secret ou le domaine privé» et contient les art. 173 à 179novies CP qui prévoient les sanctions en cas de telles infractions. Toujours dans cette optique de protection de la sphère privée, les art. 320 ss CP traitent du secret de fonction (art. 320 CP) et du secret professionnel (art. 321 CP). Ces notions d'obligation de garder le secret, donc de protection de la sphère privée, se retrouvent également en matière financière à l'art. 47 de la loi du 8 novembre 1934 sur les banques (LB)13 qui protège le secret professionnel en matière bancaire. Cette loi protège les informations que les banques possèdent en raison de leur relation contractuelle avec leurs clients. Ces informations rendent la banque dépositaire du secret, raison pour laquelle il lui est interdit ex lege de transmettre ces informations à des tiers. La violation intentionnelle du devoir de garder le secret est considérée comme un délit passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Si l'auteur a agi par négligence, il risque une amende de 250 000 francs au plus. L'art. 47 LB a été récemment complété par les al. 1, let. c, et 1bis à l'occasion de la loi fédérale du 12 décembre 2014 sur l'extension de la punissabilité en matière de violation du secret professionnel14, entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Cette loi prévoit désormais la possibilité de punir plus sévèrement les personnes qui obtiennent un avantage pécuniaire en violant le secret bancaire ou d'autres secrets professionnels liés aux marchés financiers. Elle permet également de punir des personnes qui révèlent à d'autres personnes un secret qui leur a été confié en violation du secret professionnel ou exploitent ce secret à leur profit ou au profit d'un tiers. La loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD)15 et la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID)16 prévoient que les autorités fiscales sont liées au secret fiscal (art. 110 LIFD; art. 39 LHID). En d'autres termes, toute personne chargée de l'exécution de la législation fiscale est tenue de garder
le secret, sous réserve d'une base légale à l'obligation de renseigner prévue par une disposition fédérale ou cantonale. Les exceptions au secret fiscal sont peu nombreuses. A titre d'exemple, on peut citer l'art. 34 CP, qui prévoit que les autorités fiscales sont tenues de donner des renseignements aux autorités pénales pour fixer le montant de la peine.

Toutes ces bases légales garantissent au citoyen que les données le concernant que l'administration pourrait être amenée à collecter sont traitées de façon confidentielle et ne sont pas rendues publiques. Au demeurant, le secret fiscal va au-delà du secret de fonction, dans la mesure où il n'admet une transmission d'informations aux autorités autres que fiscales que dans une mesure limitée. Les informations collectées par les autorités fiscales ne peuvent donc que d'autant plus rarement être utilisées à des fins autres que fiscales. Dès lors, on peut en conclure que les données fournies aux autorités fiscales bénéficient d'une très large protection.

13 14 15 16

RS 952.0 RO 2015 1535 RS 642.11 RS 642.14

6436

2.2

Accès aux informations en matière fiscale

2.2.1

Impôts directs

Les principaux impôts directs de la Confédération et des cantons sont les impôts sur le revenu et le bénéfice, de même que les impôts cantonaux sur la fortune, le capital ou encore les gains immobiliers. Ces derniers sont régis par les mêmes principes concernant l'accès aux informations que les impôts sur le revenu et le bénéfice et ne feront pas ici l'objet d'un examen approfondi. Selon la doctrine récente, les impôts cantonaux sur les successions et les donations font également partie des impôts directs.

Impôts fédéraux et cantonaux sur le revenu et le bénéfice Procédure de taxation ­ pas d'accès aux informations bancaires En procédure de taxation d'impôts directs, toutes les lois fiscales suisses précisent que le contribuable doit faire tout ce qui est nécessaire pour assurer une taxation complète et exacte (art. 126, al. 1, LIFD et 42, al. 1, LHID). En d'autres termes, le contribuable doit déclarer tous les éléments de ses revenus et de sa fortune et fournir les justificatifs correspondants. Cela vaut pour tous les éléments de fortune, y compris ceux détenus auprès de banques. Il s'agit donc du principe de la taxation dite mixte, avec une participation du contribuable et de l'administration. Cela s'oppose au principe de l'auto-taxation valable pour les impôts indirects (cf. ch. 2.2.2.).

Si la déclaration et les annexes présentées ne permettent pas à l'autorité de taxation de déterminer les éléments imposables, le fisc procède alors aux recherches nécessaires, en faisant usage des pouvoirs qui lui sont accordés par la loi, notamment au moyen de l'audition du contribuable et de l'invitation du contribuable ou de tiers à fournir certaines attestations ou à donner des renseignements complémentaires dans des domaines définis. Si les recherches n'aboutissent à aucun résultat satisfaisant, le fisc procède alors à une taxation par appréciation.

Quant à l'implication de tiers dans la procédure de taxation d'impôts directs, les lois fiscales (fédérales et cantonales) prescrivent que certaines catégories de tiers sont tenues de fournir des attestations, des renseignements et des informations lors de la procédure de taxation (cf. art. 127 à 129 LIFD et 43 à 45 LHID).

Ces tiers sont tenus de délivrer au contribuable, à sa demande, une attestation à l'attention des autorités fiscales. Ils ont en principe
la même obligation, subsidiairement, vis-à-vis du fisc: en effet, lorsque l'autorité de taxation ne reçoit pas l'attestation de la part du contribuable malgré sommation, elle peut l'exiger du tiers. Il s'agit notamment de l'attestation de salaire fournie par l'employeur. Certains cantons ont par ailleurs inscrit dans leur législation une obligation pour l'employeur d'adresser spontanément et directement à l'administration fiscale cantonale un double du certificat de salaire remis à l'employé (BE, LU, FR, BS, BL, VD, VS, NE, JU). En outre, les personnes qui ont eu des relations contractuelles avec le contribuable doivent lui délivrer, à sa demande, les attestations relatives à l'ensemble de leurs relations contractuelles et aux prestations et prétentions contractuelles qui en découlent. Il s'agit notamment des créanciers et débiteurs du contribuable qui doivent attester de l'état, du montant et des intérêts des dettes et des créances. Il est à souligner que, si les banques ne peuvent pas se soustraire à cette obligation envers le contribuable par le biais du secret professionnel, elles ne sont en revanche pas tenues d'informer directement les autorités fiscales.

6437

La législation détermine, d'autre part, certaines catégories de tiers qui sont tenus de fournir spontanément aux autorités de taxation les renseignements requis. Il s'agit ici par exemple des administrations publiques et des autorités judiciaires de la Confédération, des cantons et des communes, des sociétés de capitaux, des conjoints (art. 9 LIFD; art. 3, al. 3, LHID) et des héritiers (art. 157 LIFD).

Procédure pénale En ce qui concerne la répression des infractions en matière d'impôts directs, l'accès aux informations concernant le contribuable dépend de la nature de l'infraction, à savoir s'il s'agit d'une contravention fiscale, d'un délit fiscal ou d'une infraction tombant sous le coup d'une mesure spéciale d'enquête de l'Administration fédérale des contributions (AFC).

Contraventions fiscales ­ pas d'accès aux informations bancaires Lorsque le contribuable, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu'une taxation ne soit pas effectuée alors qu'elle devrait l'être, ou qu'une taxation entrée en force soit incomplète, il y a soustraction d'impôt (art. 175, al. 1, LIFD). La soustraction d'impôt est une contravention fiscale, au même titre que la tentative de soustraction ou la dissimulation ou distraction de biens successoraux dans la procédure d'inventaire.

La procédure ensuite de soustraction d'impôts directs est menée par les autorités administratives. Il s'agit toutefois d'une procédure pénale et toutes les garanties du droit pénal en faveur du prévenu, comme l'interdiction de l'auto-incrimination forcée, doivent être respectées. Bien qu'il s'agisse de procédures pénales, elles ne sont pas régies par la procédure pénale ordinaire, mais par les principes de la procédure de taxation. C'est la raison pour laquelle, dans l'enquête, aucun moyen de preuve ne peut être acquis par des mesures de procédure pénale (séquestre). Les obligations du contribuable de déclarer et de collaborer valables dans la procédure de taxation ne sont pas applicables dans la procédure pénale, car elles violent l'interdiction de l'auto-incrimination forcée.

Délits fiscaux ­ accès aux informations bancaires Parallèlement à la soustraction d'impôt, les lois fiscales sanctionnent l'usage de faux. C'est le cas lorsqu'un contribuable parvient à éviter toute imposition ou à diminuer sa taxation en présentant
intentionnellement à l'autorité de taxation un document faux, falsifié ou inexact quant à son contenu, cela afin de justifier les indications erronées figurant sur sa déclaration d'impôt. Il s'agit d'une particularité car ce délit de faux constitue, indépendamment de la soustraction fiscale, un délit en soi; ces deux délits peuvent par conséquent être poursuivis cumulativement.

Il y a donc escroquerie au préjudice du fisc lorsque le contribuable, dans le but de commettre une soustraction d'impôt, fait usage de titres faux, falsifiés ou inexacts quant à leur contenu, comme par exemple des livres de comptes ou des certificats de salaire, dans le dessein de tromper l'autorité fiscale (art. 186 LIFD et 59, al. 1, LHID).

Une autre forme de délit fiscal est le détournement de l'impôt à la source. On considère qu'il est réalisé lorsque la prestation imposable a certes été déduite de l'impôt, mais que les sommes retenues, au lieu d'être versées au fisc, ont été détournées par le débiteur de l'impôt et utilisées à son profit ou à celui d'un tiers (art. 187 LIFD et 59, al. 1, LHID).

6438

Les délits fiscaux sont poursuivis par les autorités pénales cantonales. La procédure est régie par le code de procédure pénale (CPP)17 et l'autorité pénale dispose donc de tous les moyens prévus par ce code (art. 188, al. 2, LIFD et 61 LHID). Quant à l'accès aux données bancaires, la loi sur les banques oblige les personnes qui lui sont soumises à respecter le secret professionnel. La violation du secret bancaire est punissable. Cependant, l'art. 47, al. 5, LB prévoit une réserve en faveur des législations fédérale et cantonale sur l'obligation de renseigner l'autorité et de témoigner en justice. Dès lors, les déclarations faites en vertu de ces obligations ne sont pas punissables. L'art. 171 CPP définit sous quelles conditions il peut être refusé de témoigner en raison d'un secret professionnel. Etant donné que le secret professionnel inscrit dans la loi sur les banques n'est pas mentionné dans cet article, l'autorité pénale a accès aux informations bancaires du prévenu. En pratique, le Ministère public cantonal compétent pour poursuivre les délits fiscaux (notamment l'usage de faux au sens de l'art. 186 LIFD) peut avoir accès aux données bancaires en ordonnant de son propre chef des mesures d'enquête, y compris des mesures coercitives. Il ordonne à l'établissement bancaire concerné la remise des données bancaires par le biais de l'obligation de dépôt au sens de l'art. 265 CPP.

Le Ministère public a donc accès aux données bancaires en ordonnant de son propre chef des mesures d'enquêtes, sans devoir obtenir au préalable l'autorisation d'un juge (Tribunal des mesures de contrainte par exemple).

Mesures spéciales d'enquêtes de l'AFC ­ accès aux informations bancaires En cas de soupçons fondés de graves infractions fiscales, d'assistance ou d'incitation à de tels actes, le chef du Département fédéral des finances (DFF) peut autoriser l'AFC à mener une enquête en collaboration avec les administrations fiscales cantonales (art. 190 LIFD). Ces enquêtes sont réglées d'après les dispositions des art. 19 à 50 de la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (DPA)18, à l'exclusion de la disposition relative à l'arrestation provisoire (art. 19, al. 3, DPA).

Le DPA prévoit des obligations de renseigner et de témoigner qui présentent des similitudes avec certaines obligations prévues par
le CPP. Dès lors, l'AFC peut par exemple entendre des témoins, avoir accès aux renseignements bancaires et ordonner un séquestre de documents. Les personnes concernées par de telles mesures d'enquête peuvent s'y opposer par le biais d'une plainte au Tribunal pénal fédéral contre les actes d'enquêtes (art. 26 ss DPA).

Impôts cantonaux sur les successions et les donations Les impôts sur les successions et sur les donations sont perçus uniquement par les cantons, au moyen de dispositions légales qui leur sont propres.

Font toutefois exception le canton de Schwyz, qui ne possède aucun impôt sur les successions ni sur les donations, et le canton de Lucerne, qui renonce à imposer la plupart des donations.

L'imposition des donations se fonde sur une déclaration d'impôt ad hoc. La plupart du temps, celle-ci est exigée du donataire (bénéficiaire), qui doit la remettre dans un certain délai à l'office compétent. Parfois, le devoir de déclaration incombe également au donateur. Il n'est en revanche pas prévu que l'autorité fiscale puisse obtenir une attestation de tiers.

17 18

RS 312.0 RS 313.0

6439

En matière d'impôts sur les successions, la taxation a généralement lieu sur la base d'un inventaire successoral; celui-ci doit être établi lors du décès. Cet inventaire est en général établi par un office cantonal, parfois en collaboration avec la commune de domicile du défunt, quelquefois uniquement par cette dernière.

Quelques cantons ne prévoient cependant aucun inventaire officiel. La taxation est alors basée sur un inventaire privé établi par les héritiers eux-mêmes ou encore sur d'autres indications (déclaration d'impôt spontanée ou inventaire prévu par la législation sur l'impôt fédéral direct). Afin de dresser un inventaire successoral correct, la collaboration de tiers peut s'avérer nécessaire.

En matière pénale, les dispositions concernant la poursuite sont semblables à celles de l'impôt fédéral selon la gravité de l'infraction.

2.2.2

Impôts indirects

Les divers impôts indirects présentent de nombreuses caractéristiques similaires tant en matière de taxation qu'en matière de poursuite pénale. Bien que le présent message se concentre sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l'impôt anticipé (IA) et les droits de timbre (DT), il existe d'autres impôts fédéraux indirects, par exemple les droits de douane (loi du 18 mars 2005 sur les douanes)19, l'impôt sur le tabac (loi fédérale du 21 mars 1969 sur l'imposition du tabac)20, l'impôt sur la bière (loi fédérale du 6 octobre 2006 sur l'imposition de la bière)21, l'impôt sur les boissons distillées (art. 10, 17 et 20 à 23 de la loi fédérale du 21 juin 1932 sur l'alcool)22, l'impôt sur les huiles minérales (loi du 21 juin 1996 sur l'imposition des huiles minérales)23, l'impôt sur les véhicules automobiles (loi fédérale du 21 juin 1996 sur l'imposition des véhicules automobiles)24 ou la taxe sur le CO2 (loi du 23 décembre 2011 sur le CO2)25. Les lois relatives à ces impôts prévoient toutes l'obligation de garder le secret ainsi que l'application du DPA en matière pénale. En matière de taxation, le principe d'auto-taxation, décrit ci-après, est également appliqué pour les impôts indirects cités précédemment. En revanche, les lois relatives aux impôts indirects qui ne sont pas cités ci-après ne mentionnent pas d'obligation de collaborer de tiers en matière de taxation.

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) La TVA est, par son essence même, un impôt général sur la consommation prélevé indirectement d'après le système multistade net avec déduction de l'impôt préalable (art. 1, al. 1, de la loi du 12 juin 2009 sur la TVA, LTVA26). Elle trouve son essence dans la théorie selon laquelle celui qui consomme est redevable d'une contribution financière à l'Etat. Cependant, il aurait été trop compliqué que chaque citoyen décompte sa propre consommation auprès de l'Etat. C'est la raison pour laquelle l'impôt est prélevé auprès des entreprises (producteurs, fabricants, commerçants, 19 20 21 22 23 24 25 26

RS 631.0 RS 641.31 RS 641.411 RS 680 RS 641.61 RS 641.51 RS 641.71 RS 641.20

6440

artisans, prestataires de services, etc.) qui, elles, sont tenues de transférer la TVA aux consommateurs, en incluant l'impôt dans le prix ou en le mentionnant séparément sur la facture.

Procédure de taxation ­ pas d'accès aux informations bancaires La taxation des impôts indirects suit un autre système que la taxation des impôts directs. En l'occurrence, l'impôt n'est pas perçu par l'autorité fiscale avec la collaboration obligatoire du contribuable, mais le contribuable procède lui-même à la taxation (auto-taxation). Il doit établir la déclaration, procéder à la taxation et s'acquitter de l'impôt. L'autorité ne peut que contrôler ensuite les données. Le contribuable a aussi l'obligation de collaborer à ces contrôles. Cette obligation doit permettre d'assurer le contrôle de l'auto-taxation. Avec les preuves réunies lors du contrôle, l'autorité vérifie si l'auto-taxation est correcte.

Le contribuable est tenu, de par la loi (art. 68 LTVA), de renseigner en conscience l'AFC sur les faits qui peuvent influencer de manière déterminante la constatation de l'assujettissement ou le calcul de l'impôt et de lui remettre les documents nécessaires sous réserve des dispositions légales sur la protection du secret professionnel.

En outre, l'art. 73 LTVA prévoit que certaines catégories de tiers sont tenus de fournir gratuitement à l'AFC les renseignements nécessaires à la détermination de l'assujettissement ou au calcul de la créance fiscale d'un assujetti (al. 1, let. a) et de lui accorder gratuitement l'accès aux livres comptables, aux pièces justificatives, aux papiers d'affaires et autres documents, dans la mesure où les informations nécessaires ne peuvent être obtenues de l'assujetti (al. 1, let. b). L'art. 73, al. 2, LTVA définit les catégories de tiers visés, à savoir: ­

les tiers qui pourraient être des assujettis;

­

les tiers qui sont responsables du paiement de l'impôt solidairement avec l'assujetti ou à la place de ce dernier (art. 15 et 16 LTVA);

­

les tiers qui ont reçu ou effectué des prestations;

­

les tiers qui détiennent une participation déterminante dans une société soumise à l'imposition de groupe.

De plus, lorsque le tiers possède des documents qui lui ont été confiés pour fournir ses prestations ou qu'il a lui-même établi des documents pour fournir ses prestations, il est libéré de l'obligation de fournir des renseignements (art. 130 de l'ordonnance du 27 novembre 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée, OTVA27), à moins que les informations requises ne soient pas disponibles auprès de l'assujetti. Cette condition est remplie si l'assujetti ne transmet pas en temps utile à l'AFC les informations qu'elle a demandées28.

Cependant, la protection du secret professionnel prévue par la loi est réservée (art. 73, al. 3, LTVA). Le secret bancaire prévu à l'art. 47, al. 1, let. a, LB tombe sous le coup de cette réserve. Ainsi, dans le cadre de la procédure de contrôle de la TVA, l'autorité n'a pas accès aux informations bancaires.

27 28

RS 641.201 Message du 25 juin 2008 sur la simplification de la TVA, FF 2008 6277, ici 6388

6441

Impôt à l'importation ­ pas d'accès aux informations bancaires Conformément à l'art. 52, al. 1, LTVA, l'importation de biens, y compris les prestations de services et les droits y afférents, est soumise à l'impôt sur les importations.

La perception de la TVA sur les importations constitue le pendant de l'exonération des exportations. L'impôt sur les importations concrétise le principe du pays de destination, les objets importés étant imposés au même taux là où ils seront consommés que la TVA qui frappe les biens qui ont été livrés et consommés sur le territoire suisse. Ainsi, d'un point de vue fiscal, les biens importés et les biens suisses sont soumis aux mêmes conditions de concurrence.

L'impôt sur les importations est perçu et géré par l'Administration fédérale des douanes (AFD) conjointement aux autres droits de douane. Les prescriptions de la législation douanière s'appliquent de manière analogue à l'impôt sur les importations, pour autant que les dispositions de la LTVA n'y dérogent pas (art. 50 LTVA).

L'impôt sur les importations est perçu selon une procédure mixte: les assujettis doivent déclarer leurs importations et l'impôt est calculé par les autorités.

L'obligation de renseigner prévue dans le cadre de la TVA en Suisse est applicable par analogie (art. 62, al. 2, LTVA) à l'impôt sur les importations. Cependant, il convient d'apporter quelques précisions, notamment concernant l'analogie des diverses catégories définies à l'art. 73, al. 2, LTVA. Il s'agit notamment de définir qui sont les tiers responsables du paiement de l'impôt solidairement avec l'assujetti ou à la place de ce dernier (art. 73, al. 2, let. b, LTVA).

Les limites à l'obligation de renseigner sont les mêmes que pour la TVA ordinaire.

Concernant l'obligation de renseigner des tiers qui ont reçu ou fourni des prestations, l'application par analogie de l'art. 73 LTVA vise, en matière d'impôt à l'importation, l'expéditeur étranger d'une marchandise importée, l'importateur suisse ou étranger d'une marchandise importée (propriétaire, détenteur, acheteur, locataire, preneur de leasing, commissionnaire d'une marchandise importée) ainsi que la personne recevant la marchandise importée.

Concernant l'obligation de renseigner des tiers qui détiennent des participations déterminantes dans une société soumise à l'imposition de
groupe, ces tiers peuvent être les importateurs ou les personnes recevant la marchandise importée.

Comme pour la TVA, le secret professionnel est garanti. Le secret bancaire étant reconnu secret professionnel, l'autorité n'a pas accès aux informations bancaires dans cette procédure.

Procédure pénale ­ accès aux informations bancaires Le DPA décrit la procédure pénale selon laquelle une infraction peut être poursuivie et jugée par l'administration fédérale compétente (droit pénal formel). Les lois administratives spéciales, quant à elles, déterminent les conditions de la responsabilité pénale et les peines encourues pour chaque infraction (droit pénal matériel). A noter toutefois que le DPA contient également des dispositions de droit matériel érigeant en infraction certains comportements, tels que l'escroquerie en matière de prestations et de contributions (art. 14 DPA), le faux dans les titres (art. 15 DPA), la suppression de titres (art. 16 DPA) ou l'entrave à l'action pénale (art. 17 DPA).

L'art. 20, al. 1, DPA donne à l'administration la compétence de procéder à l'enquête. Les auditions, qui sont verbalisées, les inspections locales et les mesures de contrainte ne peuvent être confiées qu'à des «fonctionnaires formés spécialement 6442

à cet effet». L'administration est également compétente pour juger les infractions; toutefois, lorsque le département auquel elle est subordonnée estime qu'une peine ou une mesure privative de liberté doit être envisagée, c'est l'autorité judiciaire qui est compétente (art. 21, al. 1, DPA).

Dans le cadre des enquêtes qu'elle est appelée à instruire, l'administration a la compétence de requérir des renseignements de façon orale ou écrite de tout tiers (art. 40 DPA) ­ notamment des banques ou des fiduciaires ­ et d'auditionner des témoins ou des inculpés (art. 39 et 41 DPA). Elle peut également ordonner des expertises (art. 43 DPA) et procéder à des inspections locales si nécessaire (art. 44 DPA). Lorsqu'il n'est pas possible d'élucider les faits autrement ou lorsqu'il convient de mettre en sûreté des moyens de preuve ou des biens, le DPA donne en outre la possibilité à l'administration de mettre en oeuvre des mesures de contrainte, telles que le séquestre d'objets et de valeurs (art. 46 DPA), la perquisition de logements, de locaux, de personnes et de papiers (art. 48 et 50 DPA), ou encore l'arrestation provisoire (art. 51 DPA).

S'agissant du séquestre, il y a lieu de préciser que les documents comptables tout comme les relevés bancaires peuvent être mis sous séquestre conformément à l'art. 46, al. 1, let. a, DPA, s'ils peuvent servir de pièces à conviction. Il en va de même des objets et autres valeurs qui seront vraisemblablement confisqués, ainsi que des dons et autres avantages qui seront dévolus à l'Etat.

Selon l'art. 26 DPA, les mesures de contrainte (art. 45 ss DPA) et les actes ou omissions qui s'y rapportent peuvent faire l'objet d'une plainte adressée à la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. Dans le cadre d'une plainte, ce dernier examine notamment si le soupçon de l'administration était suffisamment fondé, si la mesure de contrainte est légale et, finalement, si elle respecte le principe de proportionnalité.

En outre, les actes et les omissions du fonctionnaire enquêteur peuvent, si l'art. 26 DPA n'est pas applicable, faire l'objet d'une plainte adressée au directeur ou chef de l'administration (art. 27, al. 1, DPA). La décision de ce dernier peut être déférée à la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, mais seulement pour violation du droit fédéral, y compris l'excès
ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 27, al. 3, DPA).

La poursuite pénale des infractions ­ contraventions, délits et crimes ­ incombe à l'AFC en matière d'impôt grevant les opérations réalisées sur le territoire suisse et d'impôt sur les acquisitions, et à l'AFD en matière d'impôt sur les importations (art. 103, al. 2, LTVA). Ces administrations sont également compétentes pour la répression de ces infractions, pour autant que le DFF n'estime pas qu'une peine privative de liberté doit être envisagée (art. 21, al. 1, DPA).

En sus des infractions au sens des art. 14 à 17 DPA mentionnées ci-avant, l'AFC ou l'AFD traite des cas de soustraction simple (art. 96 LTVA) ou qualifiée (art. 97 LTVA) de l'impôt, de violation d'obligations de procédure (art. 98 LTVA) et de recel (art. 99 LTVA).

Contrairement à ce qui prévaut pour les autres impôts indirects, en matière de TVA, les moyens de preuve acquis lors d'un contrôle ne peuvent être utilisés dans une procédure pénale qu'avec l'accord du prévenu, sans égard au fait qu'ils aient été réunis sous la menace d'une estimation ou non (art. 104, al. 3, LTVA). Cette règle va donc au-delà des garanties offertes par l'art. 6 CEDH et par l'art. 14, par. 3, let. g, Pacte ONU II. L'art. 104, al. 3, LTVA rend la tâche de l'AFC plus difficile et tend à entraîner l'utilisation plus fréquente de mesures de contrainte telles que l'édition de

6443

documents et le séquestre de pièces comptables et bancaires ainsi que la perquisition domiciliaire au sens de l'art. 48 DPA.

Impôt anticipé L'impôt anticipé est un impôt perçu à la source par la Confédération sur divers rendements de capitaux mobiliers (en particulier sur les intérêts et les dividendes), sur des gains de loterie et sur certaines prestations d'assurances. Il vise à garantir la perception des impôts sur le revenu et la fortune auprès des personnes domiciliées en Suisse. L'impôt anticipé est restitué aux personnes ayant leur domicile ou leur siège en Suisse et qui satisfont à leurs obligations de déclaration (en matière d'impôts sur le revenu et la fortune). Pour les personnes domiciliées à l'étranger, l'impôt a pour partie un caractère définitif.

Procédure de taxation ­ pas d'accès aux données bancaires Le débiteur de la prestation imposable est redevable de l'impôt. Il doit payer l'impôt sur la prestation imposable et le répercuter sur le bénéficiaire de celle-ci. Le débiteur de l'impôt doit s'annoncer spontanément à l'AFC, remettre les relevés et pièces justificatives prescrits et, simultanément, s'acquitter de l'impôt (principe de l'autotaxation). Sous certaines conditions, l'obligation fiscale peut être exécutée par la déclaration de la prestation imposable à l'AFC (procédure de déclaration).

Procédure pénale ­ accès aux données bancaires L'AFC est compétente pour la poursuite pénale (art. 67 de la loi fédérale du 13 octobre 1965 sur l'impôt anticipé; LIA29). La procédure est régie par les dispositions du DPA. Celui-ci prévoit, dans le cadre de l'instruction, la demande d'informations, l'audition de témoins et le séquestre (art. 40 s. et 46 DPA). La LIA connaît plusieurs infractions passibles de peines qui se limitent à l'amende pour le contrevenant, par exemple la mise en péril de l'impôt (art. 62 LIA) ou la violation de l'obligation de transfert (art. 63 LIA). A cela s'ajoutent les dispositions du DPA lorsque sont notamment remplies les conditions de l'escroquerie fiscale ou de l'entrave à l'action pénale.

Droits de timbre Les droits de timbre fédéraux sont des impôts prélevés par la Confédération frappant des transactions juridiques déterminées. Leur perception concerne la formation et la circulation de capitaux de même que certaines assurances.

Il existe trois types de droits de timbre:

29

­

le droit d'émission sur la création de droits de participation suisses;

­

le droit de négociation sur les titres suisses et étrangers;

­

le droit de timbre sur les primes de certaines assurances.

RS 642.21

6444

Procédure de perception ­ pas d'accès aux données bancaires Quiconque est redevable en application de la loi fédérale du 27 juin 1973 sur les droits de timbre (LT)30 doit en principe s'annoncer spontanément auprès de l'AFC.

A l'échéance du droit, le contribuable doit remettre spontanément à l'AFC le relevé prescrit accompagné des pièces justificatives et s'acquitter simultanément de l'impôt (auto-taxation). L'AFC contrôle le respect de l'obligation d'annonce et le décompte de l'assujetti. L'art. 36 LT précise les tiers tenus de renseigner l'AFC.

Procédure pénale ­ accès aux données bancaires L'AFC est compétente pour la poursuite pénale (art. 50 LT). La procédure est régie par les dispositions du DPA. Celui-ci prévoit, dans le cadre de l'instruction, la demande d'informations, l'audition de témoins et le séquestre (art. 40 s. et 46 DPA).

La LT prévoit trois types d'infractions, à savoir la soustraction d'impôt (art. 45 LT), la mise en péril de la créance fiscale (art. 46 LT) et l'inobservation des prescriptions d'ordre (art. 47 LT). A cela s'ajoutent les dispositions du DPA lorsque les conditions de l'escroquerie fiscale (art. 14 DPA) sont remplies.

2.3

Procédure d'assistance administrative internationale sur demande

La Suisse a conclu avec des Etats partenaires diverses conventions qui prévoient un échange de renseignements sur demande dans le domaine fiscal. Il s'agit principalement de conventions contre les doubles impositions (CDI) et de conventions concernant les renseignements fiscaux. La loi du 28 septembre 2012 sur l'assistance administrative fiscale (LAAF)31 règle la mise en oeuvre de l'échange de renseignements sur demande dans le droit interne. L'art. 8, al. 1, LAAF dispose que pour obtenir des renseignements, seules sont autorisées les mesures prévues par le droit suisse qui pourraient être prises en vue de la taxation et de la perception des impôts visés par la demande. Puisque la majorité des CDI s'applique aux impôts sur le revenu et la fortune, entrent surtout en ligne de compte les mesures qui sont possibles dans le cadre de la taxation et de la perception de ces impôts (cf. art. 127 à 129 LIFD et 43 à 45 LHID). L'art. 22, al. 6, LAAF précise enfin que la Suisse peut déposer des demandes d'assistance administrative relatives à des renseignements bancaires dans la mesure où le droit suisse permet également d'obtenir les renseignements demandés. Par conséquent, les renseignements bancaires ne peuvent être obtenus par la Suisse que dans les cas de fraude fiscale ou de soustraction d'impôt grave.

30 31

RS 641.10 RS 672.5

6445

2.4

Modifications législatives prévues

2.4.1

Projet de révision du droit pénal fiscal

Le projet de révision du droit pénal fiscal soumis à consultation prévoyait que les administrations fiscales cantonales continueraient de mener les procédures pénales fiscales ensuite de soustraction d'impôts mais qu'elles appliqueraient dorénavant le DPA comme le font déjà les autorités administratives de la Confédération en matière de procédures pénales. De plus, les administrations fiscales cantonales devaient également être habilitées à poursuivre et juger les cas d'escroquerie fiscale. Serait dès lors réputée escroquerie fiscale la soustraction d'impôt commise frauduleusement ou à l'aide de documents falsifiés.

A la suite de la consultation, le Conseil fédéral a décidé qu'avant de rédiger le message, il convenait d'examiner les différences de même que les avantages et inconvénients du DPA par rapport au CPP. Si l'analyse devait montrer que des motifs importants parlent en faveur de l'application du CPP en matière fiscale, le projet de message sera élaboré dans le sens de ce régime procédural. Dans le cas contraire, le DPA resterait applicable à toutes les procédures pénales fiscales.

2.4.2

Projet de révision de la législation sur l'impôt anticipé

Le projet de modification de la loi sur l'impôt anticipé mis en consultation fin 2014 proposait de passer au principe dit de l'agent payeur. Cela permettrait de contrebalancer les désavantages de l'actuel système d'imposition anticipé tels que le fait que les groupes suisses de sociétés peuvent l'éluder en assurant leur financement par l'entremise de sociétés étrangères.

L'Association suisse des banquiers a publié fin mars 2015 une prise de position concernant la révision. Elle ne soutient pas le projet du Conseil fédéral et propose un maintien partiel du système actuel et l'introduction d'une procédure de déclaration automatique pour les contribuables suisses redevables de l'impôt sur les intérêts d'obligations et les produits de dividendes étrangers.

Lors de sa séance du 24 juin 2015, le Conseil fédéral a pris connaissance du rapport d'évaluation de la consultation et, en raison des critiques émises, a décidé de renoncer momentanément à proposer au Parlement une réforme globale de l'impôt anticipé. Il a estimé qu'il s'agirait de reprendre la discussion au sujet du principe de l'agent payeur avant l'expiration des dispositions d'exception prévues pour les emprunts à conversion obligatoire (CoCos), les emprunts avec abandon de créance (write-off bonds) et les obligations de renflouement interne (bail-in bonds) et qu'au vu des résultats de la procédure de consultation, il convenait d'attendre l'issue de la votation sur l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée».

6446

2.4.3

Echange spontané et automatique de renseignements en matière fiscale au niveau international

La Suisse a signé la convention du Conseil de l'Europe et de l'OCDE concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (Convention)32 le 15 octobre 2013 et l'Accord multilatéral entre autorités compétentes en matière d'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (MCAA)33 le 19 novembre 2014. La Convention prévoit entre autres l'introduction de l'échange spontané de renseignements et le MCAA l'introduction d'un EAR relatifs aux comptes financiers.

Le Conseil fédéral a mis en consultation un projet comprenant les bases conventionnelles ainsi qu'une loi fédérale contenant des dispositions de mise en oeuvre et d'exécution ainsi qu'un projet concernant précisément la mise en oeuvre du MCAA.

Ces deux projets sont menés parallèlement.

La procédure de consultation concernant ces projets a pris fin le 21 avril 2015 et le Conseil fédéral a adopté les messages les concernant le 5 juin 2015.

En vue de l'introduction de l'EAR, le Conseil fédéral a signé une déclaration conjointe avec l'Australie le 3 mars 2015 et signé un accord sur l'échange automatique de renseignements avec l'Union européenne le 27 mai 2015. La consultation du projet avec l'Australie a pris fin le 19.8.15 et la consultation de l'accord avec l'UE prendra fin le 17.09.2015.

2.5

Droit comparé

Une recherche a été menée pour dresser une vue d'ensemble de la pratique établie au sein des pays entourant la Suisse en matière de secret bancaire et d'accès aux informations financières, dans le domaine de la fiscalité directe. Ces recherches ont eu pour but d'établir si la notion de secret bancaire était connue et dans quelle mesure l'Etat pouvait obtenir des informations financières en procédure fiscale ou pénale.

Les résultats, présentés ci-dessous, offrent une bonne représentation de la tendance dans les pays qui entourent la Suisse.

France En France, le secret bancaire est un secret professionnel comme un autre (art. L. 511-33 du Code monétaire et financier34 et art. 226-13 et 226-14 du Code pénal35), qui comporte une restriction importante: certaines administrations ont automatiquement accès aux informations qu'elles demandent. Il s'agit de l'administration fiscale, des services des douanes, de la Banque de France, de la Commission bancaire et de l'Autorité des marchés financiers. En outre, la justice peut avoir accès aux informations concernées par le secret bancaire dans le cadre d'une procédure pénale. La France a en outre instauré des lois obligeant les établissements 32 33

34 35

www.ocde.org > Thèmes > Fiscalité > Echange de renseignements > Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale > La Convention www.ocde.org > Thèmes > Fiscalité > Echange de renseignements > L'échange automatique d'informations > Accord multilatéral entre autorités compétentes > accord multilatéral entre autorités compétentes pour l'échange automatique de renseignements Service public de la diffusion du droit, www.legifrance.gouv.fr Service public de la diffusion du droit, www.legifrance.gouv.fr

6447

bancaires à signaler de leur propre initiative toute transaction suspecte. Les déclarations sont transmises à la cellule de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) créée à cet effet.

Allemagne Le droit fiscal (§ 30a du code fiscal allemand du 16 mars 197736 [Abgabenordnung, AO]) respecte dans l'ensemble le secret bancaire. Les autorités fiscales sont tenues de prêter une attention particulière au rapport de confiance entre les établissements de crédit et leurs clients. En vertu du § 30a, al. 5, AO, les demandes de renseignements des administrations fiscales auprès des établissements de crédit sont explicitement autorisées. Dès lors, le § 93 AO s'applique aux demandes de renseignements, pour autant que les investigations auprès du contribuable lui-même n'aient donné aucun résultat ou qu'elles n'aient guère de chances de succès (§ 93, al. 1, 3e phrase, AO). Les administrations fiscales peuvent alors s'adresser aux établissements de crédit pour s'enquérir de soldes bancaires, de paiements reçus et de produits d'intérêts. Depuis 1998, les banques doivent déclarer à l'office fédéral central des contributions (Bundeszentralamt für Steuern) les abattements sur le revenu du capital et les prélèvements y afférant.

Autriche En Autriche, le secret bancaire est réglé au § 38 de la loi sur le système bancaire (Bankwesengesetz, BWG)37. D'après l'al. 5 du § 38, tout l'article est considéré comme une disposition constitutionnelle. Autrement dit, une modification du § 38 n'est autorisée que sous certaines conditions. En vertu de cet article, les banques ne peuvent fournir des renseignements que sur réquisition d'un juge, lorsqu'une procédure pénale est ouverte, ou lorsqu'une procédure pénale fiscale a été ouverte par une autorité fiscale administrative pour un délit financier intentionnel, mais non pour une contravention aux dispositions fiscales.

En juillet 2015, le Parlement autrichien a adopté une révision de la législation fiscale qui prévoit notamment que l'autorité fiscale pourra recevoir des renseignements bancaires au stade de la procédure administrative déjà, sous réserve de l'approbation d'un tribunal. Parmi les mesures d'accompagnement, un registre des comptes centralisé, regroupant les données «externes» du compte, sera mis en place. Par données
«externes», on entend par exemple le nom du détenteur du compte, de l'ayant droit économique, son adresse, le numéro de compte ou de dépôt, ou encore des informations sur l'ouverture ou la fermeture d'un compte. A l'inverse, les données «internes» des comptes, l'état du compte ou les mouvements de capitaux par exemple, ne seront pas répertoriées dans ce registre centralisé. Ainsi les ministères publics, les tribunaux pénaux, les autorités fiscales pénales, le tribunal fédéral compétent en matière fiscale et les autorités fiscales fédérales auront une vue d'ensemble des comptes bancaires et dépôts d'une personne et pourront connaître les personnes qui ont accès à un compte ou un dépôt donné.

Un devoir de communication de mouvements de fonds importants sera ensuite imposé aux établissements de crédit. Ces derniers doivent annoncer au ministère

36 37

Bundesgesetzblatt online, www.bgbl.de Rechtsinformationssystems des Bundeskanzleramtes, www.ris.bka.gv.at, BGBl. Nr. 532/1993

6448

fédéral des finances toute sortie de capitaux excédant 50 000 euros, ayant eu lieu depuis le 1er mars 2015.

Italie En Italie, il n'existe plus de secret bancaire stricto sensu, et surtout pas en matière fiscale. Toutefois, l'accès des autorités fiscales aux informations bancaires doit répondre à certaines conditions38.

Dans le cadre de leur activité de contrôle, les autorités fiscales peuvent mener des inspections en cas de soupçon fondé de soustraction fiscale, sous réserve de l'approbation d'une autorité supérieure.

Par ailleurs, depuis 2011, toutes les banques en Italie sont tenues de communiquer à intervalles réguliers tous les mouvements de fonds à l'administration des finances, ce qui permet par la suite aux autorités fiscales de contrôler les montants suspects.

Liechtenstein Le secret bancaire liechtensteinois est réglé à l'art. 14 de la loi du 21 octobre 1992 sur les banques et les entreprises d'investissement de services d'investissement en liaison avec des instruments financiers (Bankengesetz; BankG)39. Selon la jurisprudence de la Cour suprême, si le secret bancaire n'est réglé qu'au niveau de la loi, il fait néanmoins partie des droits fondamentaux au respect de la sphère secrète et privée au sens de l'art. 32 de la constitution liechtensteinoise et se situe matériellement au niveau d'une disposition constitutionnelle.

Par analogie avec la situation juridique qui prévaut en Suisse, les autorités fiscales ne peuvent, lors de la procédure de taxation, recueillir des informations auprès de banques, même si le contribuable refuse de collaborer (art. 99, al. 2, de la loi du 23 septembre 2010 sur les impôts étatiques et communaux [ou Gesetz über die Landes- und Gemeindesteuern, SteG]40). Elles ne peuvent pas non plus accéder aux informations bancaires dans le cadre des procédures pour soustraction d'impôt (art. 150, al. 4, SteG).

3

Buts et contenu

3.1

Buts visés

Selon le comité d'initiative, le but de l'initiative est d'inscrire dans la Constitution fédérale la notion de secret bancaire en Suisse en matière fiscale. Ainsi, selon le comité d'initiative, les citoyens et citoyennes suisses seraient protégés contre une intrusion disproportionnée et sans motif de l'Etat (Etat fouineur) ainsi que d'éventuelles modifications législatives permettant à l'Etat de collecter des informations aux seules fins de remplir les caisses de l'Etat. Toujours selon le comité d'initiative, les nouvelles dispositions constitutionnelles ne protégeraient ni la soustraction fiscale, ni la fraude fiscale.

38

39 40

Das Bankgeheimnis in Italien ­ eine rechtsvergleichende Perspektive unter Berücksichtigung grundrechtlicher Erwägungen, in: Steuer und Wirtschaft International (SWI), cahier 05/2015, p. 237 ss.

Gesetzesdatenbank LILEX, www.gesetze.li, no 952.0 Gesetzesdatenbank LILEX, www.gesetze.li, no 640.0

6449

Cependant, la définition des buts visés par l'initiative passe par son interprétation et, dans ce cadre, il faut interpréter le texte de l'initiative avant tout selon les principes généraux d'interprétation. Les propos du comité d'initiative ne sont en conséquence déterminants que de manière marginale.

Selon une interprétation objective, il s'avère que l'initiative a pour but, en premier lieu, d'inscrire dans la Constitution fédérale la notion générale de droit à la protection de la sphère privée financière. En d'autres termes, elle veut définir une règle selon laquelle l'autorité en général ne peut obtenir d'informations concernant une personne physique ou morale, domiciliée ou sise en Suisse, que si cette personne donne son accord. En outre, l'initiative veut inscrire, pour les informations en lien avec les impôts suisses, les conditions à remplir pour que des tiers puissent remettre des informations à l'autorité fiscale et ainsi déroger au droit de protection de la sphère privée financière. Pour la transmission à l'autorité de renseignements qui ne sont pas en lien avec les impôts directs ou indirects suisses, l'initiative prévoit que la loi, comme c'est déjà le cas actuellement, règle les détails. L'initiative vise donc à inscrire dans la Constitution un droit engendrant une protection du citoyen dépassant largement celle qui découlerait d'une simple inscription du secret bancaire en matière fiscale en Suisse.

Les buts visés par le texte de l'initiative dépassent donc, dans une large mesure, les buts mentionnés par le comité d'initiative.

3.2

Dispositif proposé

Les dispositions constitutionnelles proposées par l'initiative reprennent le texte de l'art. 13 Cst. en vigueur et y ajoutent des règles supplémentaires concernant le droit fondamental à la protection de la sphère privée financière, notamment en matière fiscale. En d'autres termes, la notion de droit à la protection de la sphère privée financière est ajoutée. Le texte de l'initiative définit en outre les cas dans lesquels, en matière fiscale, il peut être dérogé à ce droit absolu. Ainsi, un tiers ne pourrait transmettre à l'autorité des informations relatives à une personne ayant son domicile ou son siège en Suisse sans accord de ladite personne que dans les cas où les conditions suivantes sont remplies cumulativement: 1.

les informations sont en lien avec les impôts directs dont la taxation et la perception relèvent de la compétence des cantons;

2.

il s'agit d'une procédure pénale;

3.

il existe un soupçon fondé de présumer: ­ que, dans le but de commettre une soustraction d'impôt, des titres faux, falsifiés ou inexacts quant à leur contenu, tels que des livres comptables, des bilans, des comptes de résultat ou des certificats de salaire et autres attestations de tiers, ont été utilisés dans le dessein de tromper l'autorité fiscale, ou ­ qu'intentionnellement et de manière continue, un montant important de l'impôt a été soustrait, qu'on a prêté assistance à un tel acte ou incité à le commettre;

4.

un juge a confirmé que le soupçon est fondé.

6450

Le texte de l'initiative prévoit en outre une application par analogie de ces critères lorsqu'il s'agit d'informations en lien avec les impôts indirects.

Les dispositions transitoires règlent les conditions d'applicabilité en cas d'acceptation de l'initiative ainsi que les délais selon lesquels la législation doit être adaptée. Par ailleurs, l'initiative prévoit que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la législation modifiée, le Conseil fédéral édictera les dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

L'al. 1 de l'initiative octroie à toute personne le droit à la protection de la sphère privée. La disposition reprend par conséquent le titre de l'art. 13 «Protection de la sphère privée».

L'acceptation du nouvel al. 1 ne modifierait en rien la portée de la protection accordée par la norme dans la mesure où les notions de «sphère privée» et de «vie privée» (cf. al. 2 de l'initiative) sont utilisées comme synonymes. «Le respect de la vie privée confère à toute personne le droit d'organiser sa vie et d'entretenir des rapports avec d'autres personnes, sans que l'Etat ne l'en empêche, il inclut le respect de la sphère intime» (cf. message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale41). En raison de la diversité des réalités de la vie, une définition précise et exhaustive des notions de «sphère privée» et de «vie privée» n'est guère possible, de sorte que la portée de la protection accordée par la norme devra être en priorité définie de façon pragmatique dans le cas d'espèce.

La notion de «sphère privée financière» devrait être comprise dans un sens large et, en rapport avec les données financières, elle est incluse dans l'expression déjà usitée de «conditions économiques». Il s'agit notamment d'informations sur le revenu et la fortune, de même que de données sur les clients des banques (par ex. aussi des dettes vis-à-vis d'une banque). Des informations ou données de cette nature sont déjà couvertes par la protection de la sphère privée au sens de l'art. 13 Cst. En vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la doctrine dominante, les informations au sujet de la situation financière ne font toutefois pas partie des données d'une importance telle pour l'identification d'une personne qu'elles touchent au sens étroit du terme sa personnalité. Par conséquent, il ne s'agit pas de données «sensibles» au sens de l'art. 3, let. c, LPD.

Le nouvel al. 2 reprend le contenu de l'actuel art. 13, al. 1, Cst. et y ajoute la notion de droit à la protection de la sphère privée financière.

La mention de la «sphère privée financière» dans la Constitution ne signifierait qu'une concrétisation explicite de la protection de la sphère privée, mais non une extension. On peut se demander s'il se justifie d'accorder une telle importance au domaine financier. La portée de la protection accordée
par l'art. 13 Cst. ne serait en rien modifiée. Plus particulièrement, les données concernées n'en deviendraient pas pour autant des données personnelles sensibles. Mais on ne pourrait non plus exclure que le législateur, en cas d'acceptation de l'initiative populaire, les désigne «données sensibles» au regard de l'art. 13, al. 4, nCst. Le législateur dispose toutefois déjà de cette possibilité dans le cadre du droit constitutionnel en vigueur sans qu'il soit 41

FF 1997 I 1, ici 154

6451

nécessaire d'adapter l'art. 13. Une telle qualification dérogerait néanmoins à la conception précitée selon laquelle les données relatives à la situation financière ne touchent pas profondément la personnalité des personnes concernées. La Convention du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel42, ratifiée par la Suisse, ne considère pas non plus que les informations relatives à la situation financière relèvent des «catégories particulières de données» nécessitant une protection qualifiée (cf. art. 6 de la Convention). Si la Suisse interprétait cette norme de protection de manière divergente, elle pourrait s'exposer à des conséquences pour les exigences du droit de la protection des données en matière de données personnelles transmises à l'étranger (cf. art. 6 LPD). Si l'on devait juger que la protection des données à l'étranger n'était pas compatible avec le droit suisse, les données personnelles ne pourraient plus être transmises à l'étranger que sous certaines conditions (cf. art. 6, al. 2, LPD), ce qui pourrait entraver l'échange transfrontalier de données.

Le nouvel al. 3 reprend tel quel l'actuel art. 13, al. 2, Cst.

Le nouvel al. 4 définit sous quelles conditions, dans le domaine des impôts directs pour lesquels la taxation et la perception incombent aux cantons, il peut être dérogé au droit fondamental à la protection de la sphère privée financière. De nombreuses notions utilisées dans cet aliéna sont vagues et leur interprétation sera d'une importance conséquente et dépendra du législateur chargé de la mise en oeuvre, voire du juge confronté au cas d'espèce. Des interprétations possibles de ces notions sont les suivantes:

42

­

Tiers: Le Conseil fédéral, suivant le principe de la territorialité qui veut que les dispositions constitutionnelles suisses ne s'appliquent pas aux tiers domiciliés ou sis à l'étranger, considère que la notion de tiers englobe les personnes physiques et morales domiciliées et sises en Suisse. Pour le reste, la question de savoir qui tombe sous le coup de la notion de «tiers» devra être traitée par le législateur chargé de mettre en oeuvre l'initiative. Une interprétation possible serait de définir que, dans le cadre d'une procédure, il y a la personne concernée, l'autorité et les tiers. Suivant cette interprétation, la notion de tiers aurait une large portée et, à titre d'exemple, une société-mère tomberait dans la catégorie de tiers dans le cadre des relations entre une de ses filiales et l'autorité. La législation suisse, dans des domaines autres que fiscaux, connaît une interprétation très large de la notion de tiers, à savoir qu'elle englobe les autorités administratives et les institutions de droit public dotées de fonctions impliquant l'exercice de la puissance publique (cf.

art. 170, al. 2, CC ou 101, al. 3, CPP). Une interprétation plus large de la notion de tiers, sans tenir compte du principe de la territorialité, ne saurait être d'emblée exclue. En effet, cette notion pourrait également englober les personnes physiques, morales ainsi que les autorités étrangères.

­

Renseignements: La notion de renseignements nécessitera une définition plus précise de la part du législateur. Il peut s'agir de dépositions orales ou écrites, ou de documents écrits. Cette notion est vaste et peut être interprétée comme toute information sur la personne concernée. Une telle interprétation ne porte par conséquent pas sur le séquestre, étant donné que, dans ce cas,

RS 0.235.1

6452

l'autorité ne requiert pas la collaboration de tiers, mais saisit les informations.

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Autorisés à fournir: Cette notion peut être interprétée de deux manières, à savoir que les tiers seront tenus de fournir des renseignements ou alors qu'ils en auront la possibilité, mais pas l'obligation. La formulation tend à s'orienter vers une autorisation, sans obligation. Selon l'interprétation de cette notion se poserait la question de la relation entre l'art. 13, al. 4, de l'initiative et les notions inscrites dans la loi de «secret professionnel» (art. 321 CP) et de «droit de refuser de témoigner» (art. 171 CPP). Si l'initiative venait à être acceptée, le législateur devrait régler cette relation, à savoir dans quelle mesure un tiers lié par le secret est autorisé à fournir des renseignements. Si le législateur devait s'abstenir de traiter ce thème, il appartiendrait alors au tribunal de statuer au cas par cas.

­

Montant important: Concernant la notion de montant important, ni la pratique concernant l'art. 190 LIFD, ni la doctrine n'ont défini clairement ce qu'est un montant important.

Les let. a et b de l'al. 4 mentionnent les deux catégories d'infractions fiscales que le droit à la protection de la sphère privée ne couvre pas. La let. a reprend l'actuel art. 186, al. 1, LIFD et ne pose pas de problème d'interprétation. La let. b ne reprend que partiellement l'art. 190, al. 2, LIFD. A l'inverse du droit en vigueur qui est formulé de manière ouverte, le texte de la let. b est précis et mentionne qu'un montant important de l'impôt doit avoir été soustrait intentionnellement et de manière continue. Les éléments constitutifs que sont l'intention et la durée sont cumulatifs.

Cette formulation peut être interprétée de sorte que si un montant important de l'impôt a été soustrait intentionnellement, mais à une seule occasion, le droit à la protection de la sphère privée, y compris financière, demeure garanti.

Le nouvel al. 5 rajoute un nouvel élément de procédure dans le cadre de la dérogation au droit à la protection de la sphère privée financière. Il s'agit, lorsque les conditions fixées à l'al. 4 sont réunies, de faire constater par un tribunal qu'il y a effectivement soupçon fondé au sens de l'al. 4. La forme et le rattachement de ce tribunal devront être définis par le législateur. Il pourrait s'agir d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité pénale. Cette disposition est également sujette à interprétation. Il faudra notamment définir à quel moment le tribunal prend sa décision, s'il décide avant ou après la remise d'informations, et s'il délibère dans le secret ou en présence des personnes concernées, en garantie de leurs droits de parties. En outre, si l'on part du principe que la personne soupçonnée participe au jugement, la question se posera de savoir comment empêcher que des moyens de preuves ne soient distraits en raison de cette décision du tribunal.

Le nouvel al. 6 prévoit une analogie afin de couvrir le domaine de la fiscalité indirecte. Les critères d'interprétation mentionnés ci-dessus concernant les al. 4 et 5 sont donc également valables pour les impôts indirects.

Le nouvel al. 7 prévoit que, pour toutes les autres situations, la loi règle les dérogations au droit à la protection de la sphère privée (financière). Cette disposition peut être interprétée comme un mandat d'élaborer une loi ou de modifier au besoin les lois existantes, afin que soient
définis les cas dans lesquels un tiers est autorisé à transmettre des informations concernant une personne physique ou morale domiciliée ou sise en Suisse à une autorité, pour autant que la personne ne s'y oppose pas et que les informations concernent un domaine autre que fiscal.

6453

Les dispositions transitoires prévoient une entrée en vigueur de la nouvelle teneur de l'art. 13 Cst. dès son acceptation par le peuple et les cantons. Elles précisent en outre que l'art. 13, al. 2, dans sa nouvelle teneur, et 4, Cst. sont déterminants pour toute autorité appliquant le droit. Enfin, le Parlement fédéral dispose d'un délai de trois ans pour adapter la législation et le Conseil fédéral d'un délai d'une année pour adopter les dispositions d'exécution nécessaires jusqu'à l'entrée en vigueur des modifications législatives. En matière d'interprétation, seul l'al. 2 de la disposition transitoire est sujet à discussion. En effet, selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, l'applicabilité directe des dispositions constitutionnelles suppose que les faits générateurs et leurs conséquences juridiques soient énoncés de manière suffisamment précise pour que chacun puisse en tenir compte dans son comportement43.

Dès lors, il est difficile de préjuger de l'applicabilité directe de l'art. 13, al. 4, de l'initiative, mais les nombreuses notions nécessitant une interprétation de la part du législateur portent à croire qu'elle n'est pas rédigée de manière suffisamment précise pour être directement applicable.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Exigences de l'initiative

L'initiative vise à renforcer la protection de la sphère privée financière et à limiter l'accès de l'autorité aux informations financières des contribuables. La sphère privée financière est un élément de la sphère privée. Dès lors, la disposition constitutionnelle en vigueur qui garantit le droit à la protection de la sphère privée garantit également le droit à la protection de sa partie financière. Sur ce point, l'initiative demande une confirmation du droit en vigueur. Cependant, la proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens proposés par l'initiative pose de nombreuses questions. Les restrictions en matière de droit fiscal notamment auraient des conséquences dépassant largement la protection de la sphère privée, même financière, et pourraient mettre en péril la perception correcte des impôts. En outre, ces restrictions pourraient avoir un impact négatif en termes d'image et, selon l'interprétation du texte, sur les relations de la Suisse avec l'étranger. On peut donc conclure que les exigences de l'initiative dépassent largement le droit en vigueur.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

4.2.1

Conséquences juridiques

Impôts directs Procédure de taxation La modification de l'art. 13 Cst. exigée par l'initiative aurait pour conséquence que les informations et attestations prévues aux art. 127 à 129 LIFD ne pourraient être demandées à des tiers qu'avec l'assentiment du contribuable, ou en cas de soupçon fondé d'escroquerie fiscale ou de soustraction intentionnelle et continue d'un montant important de l'impôt. Le soupçon doit être confirmé par un tribunal.

43

ATF 125 I 361, consid. 4a; ATF 139 I 16, consid. 4.3.2.

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L'initiative aurait par conséquent des répercussions considérables sur la procédure de taxation. Le droit en vigueur prévoit pour les tiers des obligations en matière d'attestations, de renseignements et d'informations. Les dispositions en question visent d'une part à simplifier les procédures, par exemple grâce à la remise directe du certificat de salaire par l'employeur à l'autorité fiscale. D'autre part, elles permettent de se procurer des informations auprès de tiers lorsque le contribuable ne répond pas ou incomplètement à ses obligations de déclaration. Si les informations nécessaires ne pouvaient plus être recueillies auprès de tiers, la procédure de taxation deviendrait bien plus compliquée, voire impossible, lorsque le contribuable refuse de collaborer. Une taxation complète, exacte et, partant, équitable serait ainsi mise en danger.

En cas de déclaration et d'informations incomplètes de la part du contribuable, il en résulterait une multiplication d'estimations et d'appréciations lors de la taxation (art. 130 LIFD).

Sous l'angle de l'économie de la procédure, ces nouvelles règles poseraient également problème. La procédure de taxation est une procédure dite de masse. On relèvera par exemple qu'aujourd'hui, de nombreux cantons reçoivent directement de l'employeur et d'autres tiers les certificats de salaire et autres attestations qu'ils saisissent dans leur système de taxation, ce qui contribue grandement au traitement rapide des dossiers.

De manière générale, toutes procédures confondues, selon l'interprétation qui sera faite de la notion de tiers, l'initiative pourrait avoir des conséquences sur l'assistance administrative interne. En effet, si les autorités administratives autres que celle compétente devaient être considérées comme tiers, elles ne pourraient plus transmettre d'informations que si la personne concernée donne son accord ou dans les cas prédéfinis par le texte de l'initiative. Ainsi la collaboration entre autorités (art. 111 LIFD, autorités fiscales; art. 112 LIFD, autres autorités) serait donc fortement restreinte et l'autorité compétente pourrait se voir privée d'instruments de travail importants pour l'accomplissement de ses tâches.

En revanche, l'acceptation de l'initiative ne changerait rien en ce qui concerne l'accès aux données bancaires: en raison du secret
bancaire, le droit en vigueur interdit déjà aux administrations fiscales de se procurer auprès des banques des informations concernant les données bancaires des contribuables.

Procédure pénale ­ contraventions fiscales Toutes les procédures ensuite de soustraction fiscale menées par les autorités fiscales cantonales ne reposent pas sur le soupçon qu'un montant important de l'impôt a été soustrait. En ce qui concerne ces cas, à savoir toutes les infractions poursuivies par les autorités fiscales cantonales qui ne tombent pas sous le coup de l'art. 13, al. 4, let. b, de l'initiative, l'acceptation de l'initiative aurait pour conséquence une limitation des moyens d'enquête actuellement à disposition des autorités fiscales cantonales. La procédure ensuite de soustraction fiscale étant régie par les principes de la procédure de taxation, l'autorité cantonale ne pourrait plus obtenir les informations de tiers comme le prévoient les art. 127 ss LIFD. Elle ne disposerait donc que des seules informations remises par le contribuable pour instruire le dossier. Les moyens déjà limités à disposition de l'autorité pour obtenir des informations de tiers seraient ainsi encore réduits.

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Procédure pénale ­ délits fiscaux En matière de délits fiscaux, l'art. 13, al. 4, let. a, de l'initiative ne reprend que les éléments constitutifs de la fraude fiscale (art. 186 LIFD) et ne mentionne pas les éléments constitutifs de détournement de l'impôt à la source (art. 187 LIFD). Ainsi, en cas d'acceptation de l'initiative, l'autorité de poursuite ne pourrait obtenir des informations de tiers que dans les cas de fraude fiscale. En cas de détournement de l'impôt à la source, elle n'aurait pas accès aux informations. Le détournement de l'impôt à la source n'étant pas une forme aggravée de soustraction de l'impôt à la source, il n'est pas à exclure que l'autorité chargée de poursuivre cette infraction soit dans l'impossibilité, de par la teneur de la disposition constitutionnelle de l'initiative, d'obtenir des renseignements de tiers.

Procédure pénale ­ mesures spéciales d'enquête de l'AFC En ce qui concerne les mesures spéciales d'enquête de l'AFC, l'art. 13, al. 4, let. b, de l'initiative ne reprend que partiellement les éléments constitutifs de ces mesures spéciales définies à l'art. 190 LIFD et mentionne de manière précise que l'autorité ne peut accéder aux informations de tiers que dans les cas où «un montant important de l'impôt a été soustrait, intentionnellement et de manière continue». Ainsi, en cas d'acceptation de l'initiative, seuls le montant de l'impôt et la durée de la soustraction, cumulativement, seraient déterminants pour que l'autorité puisse avoir accès aux informations de tiers. Les autres éléments de l'infraction tels que la complexité de l'acte par exemple ne seraient, dans le cadre de l'accès aux informations, pas déterminants. Cela aurait pour conséquence de restreindre considérablement les outils à disposition de l'autorité dans le cadre de la poursuite. A titre d'exemple, l'autorité n'aurait plus accès aux informations de tiers lorsque le contribuable suspecté use d'un mode opératoire complexe, au moyen de sociétés-écrans à l'étranger par exemple, pour soustraire de l'impôt un montant important, mais de manière unique, ou lorsqu'il agit de manière continue, mais pour soustraire des montants d'importance moyenne.

Une acceptation de l'initiative créerait en outre une forme d'incohérence en matière de poursuite des infractions dans le domaine de l'imposition à la
source. Comme mentionné ci-dessus (ch. 4.2.1 « Procédure pénale ­ délits fiscaux »), en cas de détournement de l'impôt à la source (art. 187 LIFD), qui représente un délit fiscal au même titre que la fraude fiscale, l'autorité n'aurait pas accès aux informations de tiers. En revanche, en cas de soustraction fiscale de l'impôt à la source (art. 175, al. 1, LIFD), qui est considérée comme une contravention fiscale, l'autorité pourrait accéder aux informations de tiers en cas de soustraction portant sur un montant important et de manière continue.

De manière générale, une acceptation de l'initiative introduirait un nouvel élément de procédure du fait qu'un tribunal doit confirmer qu'il existe un soupçon fondé de présumer qu'il s'agit d'une infraction au sens de l'art. 13, al. 4, let. a et b, de l'initiative. La mise en oeuvre de cet élément de procédure incombera au législateur.

Il n'est cependant pas à exclure que la durée des procédures se voit allongée et que les frais de procédure augmentent.

Impôts cantonaux sur les successions et les donations Ces impôts sont des impôts directs pour lesquels le prélèvement et la taxation relèvent de la compétence des cantons. Dans le cas de l'impôt sur les donations, l'initiative n'aurait selon toute vraisemblance aucun effet, étant donné que les deux 6456

parties (donateur et donataire) sont tenues d'informer sur la même prestation. En revanche, en matière d'impôt sur les successions, l'initiative pourrait avoir des conséquences importantes. En effet, dans le cadre de la succession, un inventaire successoral est en règle générale prévu et les tiers sont tenus de remettre les informations en leur possession pour établir cet inventaire. Il s'agit donc d'informations en lien avec des impôts directs, dont le prélèvement et la taxation relèvent de la compétence des cantons. Les limites imposées par l'art. 13, al. 4, de l'initiative pourraient donc avoir des répercussions dans ce domaine et mettre en danger une taxation complète et correcte, avec pour conséquence directe une baisse potentielle des rentrées fiscales.

Impôts indirects Les conséquences juridiques sur les impôts indirects définis sous ch. 2.2.2, à l'exception de la TVA, sont d'importance marginale en procédure de taxation. En effet, il s'agit d'impôts régis d'après le principe dit d'auto-taxation et les lois correspondant à ces impôts ne prévoient pas d'obligation de renseigner pour les tiers. En procédure de taxation, l'initiative pourrait donc avoir des conséquences principalement sur la TVA.

En matière pénale, les lois précitées prévoient toutes l'application du DPA, donc des mesures telles que l'audition de témoin, le séquestre ou encore l'édition de documents. Au niveau de l'audition de témoins, un droit constitutionnel complémentaire de refuser de témoigner serait institué même lorsque les conditions de l'art. 13, al. 4, sont remplies, dès lors que ces dispositions autorisent mais ne contraignent pas à communiquer des renseignements. Si les conditions énumérées à l'art. 13, al. 4, ne sont pas remplies, il en résulterait même une obligation de refuser de témoigner de rang constitutionnel.

Procédure de taxation Au vu des circonstances, les conséquences semblent assez difficiles à estimer. Si le tiers visé à l'art. 73 LTVA, astreint à fournir des renseignements, est lui-même un contribuable, les restrictions devraient rester de faible portée. Même si les personnes concernées sont réputées tiers en raison du rapport entre l'entité juridique et l'autorité44, elles seront régulièrement tenues d'informer l'AFC concernant leur activité au profit de l'entité, sur la base de l'art. 68 LTVA
(car leurs propres obligations ou dette fiscales sont touchées, du fait par ex. qu'elles fournissent des prestations imposables). De plus, les personnes non encore assujetties mais susceptibles d'être des contribuables (première catégorie de tiers astreints à fournir des informations) seront exclues du champ d'application de l'initiative pour ce qui est de leurs propres intérêts et resteront soumises à leur obligation de renseigner.

Dans les autres cas toutefois (en particulier en l'absence d'obligation d'informer au sens de l'art. 68 LTVA), l'initiative pourrait occasionner des empêchements considérables à l'AFC et à ses activités. En ce qui concerne la deuxième catégorie (les responsables du paiement de l'impôt solidairement avec l'assujetti ou à la place de ce dernier) et la dernière catégorie de tiers (les personnes qui détiennent une participation déterminante dans une société soumise à l'imposition de groupe) mentionnées 44

Voir l'argumentaire du comité d'initiative, ch. 3.3, let. b, p. 6, disponible sous: www.privatsphaere-schuetzen.ch > Darum geht es > Argumentarium (état au 24 juillet 2015, uniquement disponible en allemand)

6457

à l'art. 73, al. 2, LTVA, on peut imaginer sans peine que, dans bon nombre de constellations, ces participants doivent être qualifiés de «tiers» au sens de l'initiative: par ex. sociétaires d'une société simple, liquidateurs ou héritiers. En fonction des interprétations, les possibilités de l'AFC de se procurer les renseignements nécessaires auprès de fournisseurs de prestations seraient considérablement réduites, voire nulles dans certains cas.

De manière générale, toutes procédures confondues, selon l'interprétation qui sera faite de la notion de tiers, l'initiative pourrait avoir des conséquences sur l'assistance administrative interne. En effet, si les autorités administratives autres que celle compétente devaient être considérées comme tiers, elles ne pourraient transmettre d'informations que si la personne concernée donne son accord ou dans les cas prédéfinis par le texte de l'initiative. En matière de TVA, les mesures d'assistance administrative mentionnées à l'art. 75 LTVA seraient donc fortement restreintes et l'autorité compétente pourrait se voir privée d'instruments de travail importants pour l'accomplissement de ses tâches.

Procédure pénale Toutes les infractions en matière d'impôts indirects ne présupposent pas nécessairement qu'il y a faux dans les titres (art. 13, al. 4, let. a, de l'initiative) ou soustraction continue d'un montant important de l'impôt (art. 13, al. 4, let. b, de l'initiative). On peut mentionner également l'escroquerie en matière de prestations et de contributions (art. 14, al. 1 et 2, DPA), l'obtention frauduleuse d'une constatation fausse (art. 15 DPA), la suppression de titres (art. 16 DPA) et l'entrave à l'action pénale (art. 17 DPA).

Contrairement à l'escroquerie fiscale en matière d'impôts directs (art. 186 LIFD), l'escroquerie en matière de prestations et de contributions ne repose pas sur le modèle du faux dans les titres, mais sur celui de l'astuce. Par conséquent, un comportement frauduleux ne présuppose pas nécessairement un faux dans les titres (cf.

l'art. 13, al. 4, let. a, de l'initiative). Ainsi, les infractions au sens de l'art. 14 DPA pour lesquelles l'astuce ne découle pas de l'utilisation de titres faux échappent au champ d'application de l'art. 13, al. 4 à 6, de l'initiative, de sorte que leur poursuite ne serait plus guère possible.
Du fait que, dans la procédure pénale, le recours aux moyens de preuve obtenus dans le cadre de la procédure administrative est interdit (art. 104, al. 3, LTVA; cf. ch. 2.2.2 supra), l'AFC est obligée de se procurer les preuves au moyen des «outils» de la DPA. La transmission de renseignements financiers (comptabilité, documents bancaires, documents relatifs à des transactions non comptabilisées, etc.)

constitue non seulement une part de ces «outils», mais également la source principale des informations ou des preuves dans la poursuite des infractions en matière de TVA. Si l'initiative était acceptée, la poursuite de certaines infractions en matière de TVA, notamment sur la base de l'art. 104, al. 3, LTVA deviendrait très difficile.

Imposition à l'importation L'obligation de renseigner prévue dans le cadre de la TVA en Suisse étant applicable par analogie (art. 62, al. 2, LTVA), il convient de se référer aux explications ci-dessus.

6458

4.2.2

Blanchiment d'argent et lutte contre le financement du terrorisme

L'initiative prévoit que, pour les questions autres que fiscales, par exemple les questions de blanchiment d'argent, la loi règle les conditions auxquelles il est permis de donner des renseignements (art. 13, al. 7, de l'initiative). On pourrait en déduire, à première vue, que l'obligation de communiquer des soupçons au Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS; cellule de renseignements financiers suisse) au sens de l'art. 9 de la loi du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d'argent (LBA)45 ou le droit de communiquer au sens de l'art. 305ter, al. 2, CP ne sont pas concernés par l'initiative.

La question se pose toutefois de savoir si l'art. 13, al. 7, de l'initiative est également applicable lorsqu'une communication de soupçon porte sur une infraction préalable en matière fiscale, ou a un lien avec des impôts, et qu'elle concerne une personne domiciliée en Suisse. Une interprétation possible est de définir que c'est l'art. 13, al. 4, de l'initiative qui serait applicable dès lors qu'il existe un lien avec des impôts, directs ou indirects. Cette interprétation est prônée par le comité d'initiative dans son argumentaire.

Si l'on suit cette interprétation, l'initiative aurait des effets négatifs importants sur l'application future de la loi fédérale du 12 décembre 2014 sur la mise en oeuvre des recommandations du Groupe d'action financière, révisées en 201246, ainsi que sur le dispositif actuel de lutte contre le blanchiment d'argent, en particulier sur le système de communication de soupçon.

Premièrement, l'initiative aurait pour effet d'interdire aux intermédiaires financiers de communiquer au MROS des soupçons portant sur les futures infractions préalables en matière fiscale introduites par la loi susmentionnée (art. 305bis, ch. 1bis, CP [fiscalité directe] et art. 14, al. 4, DPA modifié [fiscalité indirecte]), lorsque la personne visée par la communication de soupçon est domiciliée en Suisse. L'initiative (art. 13, al. 6) aurait en fait déjà des effets sur le droit actuel, en l'occurrence sur la communication de soupçon de contrebande douanière au sens de l'actuel art. 14, al. 4, DPA, lorsque la personne visée est domiciliée en Suisse.

En aucun cas un intermédiaire financier ne pourrait ainsi communiquer de soupçon d'infractions préalables en matière fiscale au MROS en
relation avec un client ou un ayant droit économique domicilié en Suisse. Le client ou l'ayant droit économique ne peut pas consentir à la communication d'information, étant donné qu'il ne peut pas être informé par l'intermédiaire financier d'une communication de soupçon (art. 10a LBA). En outre, il ne s'agit pas d'une procédure pénale. En d'autres termes, les infractions préalables en matière fiscale ne seraient de facto pas applicables aux personnes domiciliées en Suisse, étant donné qu'elles ne pourraient pas être communiquées au MROS, ce qui n'est pas conforme aux recommandations du Groupe d'action financière (GAFI).

Deuxièmement, selon l'interprétation donnée à l'expression «en lien avec les impôts directs», ou par analogie «en lien avec les impôts indirects», l'initiative pourrait même aller plus loin et interdire à un intermédiaire financier de communiquer au MROS un soupçon portant sur une infraction préalable autre que fiscale s'il y a 45 46

RS 955.0 RO 2015 1389

6459

également un aspect fiscal dans le cas en question. Par exemple, un client domicilié en Suisse veut déposer de l'argent d'origine criminelle (trafic de stupéfiants = infraction préalable) qu'il n'a en outre pas déclaré (soustraction d'impôt qui ne constitue pas une infraction préalable). Or, en pratique, un grand nombre de communications de soupçons ont aussi un lien avéré ou probable avec une infraction fiscale.

Les intermédiaires financiers devraient ainsi approfondir leurs analyses afin d'exclure tout aspect fiscal avant d'effectuer une communication, ce qui augmenterait les coûts de compliance. Au final, le nombre de communications de soupçon risquerait de baisser fortement, ce qui pourrait remettre en question l'efficacité du système suisse de communication de soupçon, déjà critiquée par le GAFI en 2005 et 2009 en raison du nombre jugé insuffisant de communications de soupçon.

Enfin, l'initiative, selon l'interprétation du comité, pourrait pénaliser les échanges du MROS avec ses homologues étrangers. L'échange d'informations entre le MROS et ses homologues étrangers est déjà actuellement un élément central pour les activités de ce dernier. La nouvelle loi sur la mise en oeuvre des recommandations du GAFI, révisées en 2012, modifie le système de communication de soupçon de manière significative. Le nouveau système, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016, ne place plus la confiscation en Suisse au centre, mais tient compte de la composante internationale (art. 9a LBA), en particulier de la coopération avec les autorités étrangères. Il est par conséquent très important que le MROS puisse échanger des informations, notamment financières, avec ses homologues étrangers de manière efficace et complète. Cet élément a aussi une importance dans le cadre de la conformité du système suisse avec les normes du GAFI et constitue un aspect central de la participation du MROS au Groupe Egmont (groupe informel qui réunit, au niveau mondial, les cellules de renseignements financiers). Des restrictions dans ce domaine ne seraient pas crédibles d'un point de vue international et porteraient préjudice à la place financière suisse, mettant à mal sa réputation.

En conclusion, l'initiative, si son interprétation vise également à interdire les communications de soupçons en matière de blanchiment d'argent
lorsqu'elles concernent des personnes domiciliées en Suisse et ont un lien avec des impôts suisses, remettrait en question la conformité de la législation suisse aux normes du GAFI et poserait de nombreuses questions pour la place financière suisse.

4.2.3

Assistance administrative internationale sur demande

Par rapport aux demandes émanant de l'étranger et à leur traitement par la Suisse, l'initiative ne changerait rien à la situation juridique actuelle. En effet, les autorités étrangères requérantes sont concernées par l'application et l'exécution du droit fiscal de leur Etat, et non pas par les impôts directs pour lesquels la taxation et la perception relèvent de la compétence des cantons.

Pour ce qui est des demandes de la Suisse vis-à-vis d'autres Etats, on soulignera que, dans ce cas de figure, les autorités étrangères transmettent les renseignements à la Suisse. Etant donné que du point de vue du Conseil fédéral, la notion de «tiers» couvre exclusivement des personnes physiques et morales domiciliées ou ayant leur siège en Suisse, celui-ci estime que l'initiative n'aurait aucune conséquence. Si le législateur devait toutefois considérer qu'il faut partir d'une autre interprétation de la notion de «tiers», les données ne pourraient probablement pas être utilisées.

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4.2.4

Echange spontané et automatique de renseignements en matière fiscale

Comme pour l'échange de renseignements sur demande, on peut partir du principe que l'initiative n'aura aucune incidence sur les possibilités de la Suisse de transmettre des données à d'autres Etats dans le cadre de l'échange spontané et automatique de renseignements. Ces données ne sont pas utilisées dans le cadre des impôts directs pour lesquels la taxation et la perception incombe aux cantons, mais pour l'application et l'exécution du droit fiscal étranger.

Dans le cadre de l'échange spontané et automatique de renseignements, la Suisse obtiendra aussi des données de l'étranger. Etant donné que du point de vue du Conseil fédéral, la notion de «tiers» couvre exclusivement des personnes physiques et morales domiciliées ou ayant leur siège en Suisse, celui-ci estime que l'initiative n'aurait aucune conséquence. Si le législateur devait toutefois considérer qu'il faut partir d'une autre interprétation de la notion de «tiers», les données ne pourraient probablement pas être utilisées.

4.2.5

Révision du droit pénal fiscal

Les conséquences de l'initiative sur le projet sont difficiles à déterminer étant donné que le projet n'est pas encore disponible. Cependant, il peut être mis en évidence que les buts principaux de la révision sont d'assurer, d'une part, l'application des mêmes dispositions de procédure à toutes les procédures fiscales pénales et, d'autre part, le jugement d'un acte sans égard à l'impôt concerné selon des normes pénales définies d'une manière aussi uniforme que possible et respectant les principes du droit pénal. La soustraction fiscale devrait donc être poursuivie comme les autres infractions aux lois fiscales. Sur ce point, le texte de l'initiative, si celle-ci était acceptée, représenterait un obstacle qui empêcherait cette modification du droit pénal fiscal de manière absolue.

4.2.6

Révision de la législation sur l'impôt anticipé

En raison des avis négatifs issus de la procédure de consultation, le Conseil fédéral a décidé de suspendre le projet et d'attendre le résultat de la votation sur la présente initiative avant de reprendre les réflexions. Au vu des limites que veut fixer l'initiative en matière d'accès aux informations bancaires, limites qui se situent à contre-courant de la transparence toujours plus revendiquée, y compris par les instituts bancaires, il est cependant probable qu'une acceptation de l'initiative puisse limiter les possibilités de révision.

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4.2.7

Conséquences financières

En cas d'acceptation de l'initiative, les effets suivants (pour partie contradictoires) sont envisageables:

47

48

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le modèle économique de base de la soustraction d'impôt lie cette dernière aux probabilités de découverte et au montant de l'amende. Ce dernier n'est pas concerné par l'initiative47. Toutefois, en raison de la limitation des obligations d'informer imposées aux tiers, l'acceptation de l'initiative restreindrait les possibilités de découvrir une soustraction d'impôt en Suisse, ce qui pourrait renforcer les incitations à commettre une telle infraction. Cet effet direct risquerait d'entraîner des pertes de recettes;

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dès lors que le secret bancaire se limite au plan national, les autorités fiscales suisses pourraient utiliser des informations qu'elles reçoivent de l'étranger, ce qui limiterait les tentations des personnes assujetties à l'impôt en Suisse à recourir à des établissements financiers étrangers en vue d'une soustraction d'impôt. Etant donné que, simultanément, les probabilités de découvrir une soustraction d'impôts en Suisse se réduiraient (cf. argument précédent), les personnes assujetties à l'impôt en Suisse seraient incitées à rapatrier leurs placements de capitaux en Suisse;

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le modèle de base de la soustraction d'impôt néglige certains facteurs «mous» qui déterminent également l'honnêteté fiscale. A cet égard, on peut citer en particulier la morale fiscale, définie en tant que disposition à payer des impôts même lorsque les risques d'amende et les probabilités de découverte sont négligeables alors que le modèle de base admet l'hypothèse d'une infraction fiscale. Aussi précise la définition de la morale fiscale soit-elle, les paramètres tentant d'en décrire l'ampleur sont innombrables. En raison de son effet direct, l'initiative pourrait avoir des effets indirects sur la morale fiscale. Le cas pourrait se produire si, en raison de probabilités de découverte plus faibles, les infractions fiscales se multipliaient et si des citoyens de haute probité fiscale devaient avoir le sentiment que d'autres citoyens ne répondent pas à leurs obligations fiscales. De tels effets en cascade sapant la morale fiscale sont envisageables;

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a contrario, on ne peut exclure que l'initiative puisse renforcer la morale fiscale. De nombreuses études montrent en effet que le rapport de confiance envers l'Etat est un paramètre important48. La restriction du champ d'action de l'Etat prévue par l'initiative peut aussi être interprétée comme une marque de confiance vis-à-vis des citoyens qui pourrait avoir un effet réciproque. Et cela pourrait précisément renforcer la morale fiscale.

Becker G (1968). Crime and punishment: An economic approach. Journal of Political Economy 76, pp. 169­217.

Allingham, Michael G. and Agnar Sandmo (1972), «Income tax evasion: A theoretical analysis,» Journal of Public Economics 1, pp. 323­338.

Feld L, Frey B (2002) Trust breeds trust: How taxpayers are treated. Economics of Governance 3, pp. 87­99.

Frey B, Torgler, B. (2007) Tax Morale and Conditional Cooperation. Journal of Comparative Economics 35, pp. 136­159.

OECD (2013) Taxation and Development: What Drives Tax Morale: www.oecd.org > A to Z > Centre for Tax Policy and Administration (CTP) > Global relations in taxation > Tax & Development > What Drives Tax Morale?

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Si l'on restreint fortement les obligations d'information et de collaboration des tiers dans le cadre de la taxation et des procédures pénales, empêchant ainsi les autorités fiscales de garantir une taxation correcte et complète ou leur imposant des difficultés supplémentaires, on ne saurait exclure une recrudescence d'infractions fiscales et des pertes de recettes pour la Confédération, les cantons et les communes. Les conséquences financières de l'initiative ne peuvent être quantifiées, car leur ampleur ne peut être chiffrée en raison d'effets pour partie contradictoires.

4.2.8

Conséquences économiques

L'acceptation de l'initiative aurait des répercussions administratives considérables.

Les charges administratives des autorités croîtraient de manière significative, car il faudrait à l'avenir recourir au jugement d'un tribunal avant de pouvoir solliciter des informations d'un tiers. La charge de travail des autorités fiscales s'alourdirait sensiblement. En outre, la portée de l'initiative dépasse de loin le secret professionnel des banquiers, car elle ne se limiterait pas à l'obligation de collaborer des banques. Par exemple, le certificat de salaire ne pourrait plus être remis directement aux autorités par l'employeur. Enfin, l'initiative pourrait remettre en question des innovations administratives susceptibles de simplifier la procédure de taxation et tributaires de la collaboration de tiers.

On ne peut exclure que, si l'initiative devait être acceptée, sa mise en oeuvre provoquerait une nouvelle insécurité du droit dans les domaines du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme, notamment lorsque le soupçon est lié à des impôts et qu'une personne impliquée est domiciliée en Suisse.

Enfin, l'insécurité du droit peut également s'étendre à l'imposition. L'initiative veut limiter l'obligation d'informer aux personnes domiciliées en Suisse. On ne sait cependant comment seront considérées les personnes domiciliées tant en Suisse qu'à l'étranger.

4.3

Avantages et inconvénients

Pour le citoyen et contribuable suisse, l'initiative confirmerait la protection de la sphère privée, notamment concernant la situation financière, vis-à-vis des autorités administratives. L'autorité fiscale ne pourrait obtenir des informations de tiers concernant le contribuable suisse que lorsque ce dernier y consent lui-même ou dans certains cas prédéfinis dans la Constitution pour ce qui est de la fiscalité et dans la loi pour les autres domaines. Ainsi le sentiment de confiance du citoyen en l'Etat pourrait être renforcé. La responsabilité de chaque citoyen d'assumer son obligation de renseigner prendrait également une plus grande envergure, l'Etat étant dans l'impossibilité d'obtenir des informations sans le consentement de la personne, hormis dans le cadre de procédures pénales.

Cependant, l'autorité ne pourrait plus obtenir de la part de tiers des informations essentielles concernant le citoyen pour établir sa situation patrimoniale. Elle ne pourrait donc pas garantir des principes constitutionnels tels que le principe de l'égalité de traitement ou celui de l'imposition selon la capacité contributive. A cela s'ajoute que ces nouvelles limites ne représenteraient pas à proprement parler un encouragement à l'honnêteté fiscale et pourraient entraîner une baisse des recettes.

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De plus, l'impossibilité d'accéder à des informations nécessaires au traitement fiscal correct du contribuable engendrerait probablement des coûts supplémentaires. En effet, nombreuses sont les situations dans lesquelles les informations de tiers permettent de sauvegarder les intérêts du contribuable, en l'absence de collaboration de ce dernier, et de l'Etat. Sans ces informations, l'administration devrait investir davantage de temps et procéder par évaluation, ce qui entraînerait à n'en pas douter un risque conséquent d'erreurs d'appréciation et donc de pertes fiscales pour l'Etat. A cela s'ajouteraient les procédures nées de contestations de ces taxations par évaluation, ce qui pourrait augmenter les coûts. Dans le même ordre d'idée, le nombre de poursuites pénales engagées pourrait augmenter de manière considérable, la procédure pénale étant une condition pour obtenir des renseignements de tiers.

En outre, la durée des procédures pénales pourrait se voir prolongée du fait de l'intervention d'un tribunal pour faire confirmer le soupçon fondé de fraude fiscale.

Ces prolongements de durée de procédure entraîneraient probablement une augmentation des frais de procédure.

Sur le plan international, l'initiative tendrait à marginaliser la Suisse, du fait que cette initiative va à contre-courant de la tendance mondiale actuelle concernant la transparence. En outre, elle porterait préjudice à l'image du pays et, selon toute vraisemblance, à ses relations avec les autres nations, notamment en raison de la protection de la sphère privée financière garantie constitutionnellement à chaque citoyen. Cette protection renforcée pourrait, selon l'interprétation de l'initiative, poser plusieurs graves problèmes dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et mettre en péril la conformité du dispositif suisse antiblanchiment avec les normes du GAFI.

L'interprétation de l'initiative étant délicate, l'évaluation de ses conséquences doit être faite avec réserve. Cependant, au-delà des éléments mentionnés précédemment, il demeure un risque que les échanges d'informations avec l'étranger soient malmenés, ce qui pourrait conduire à l'exclusion du MROS du Groupe Egmont. Pour rappel, le Parlement fédéral avait évité de justesse une exclusion de ce groupe par l'adoption de la modification
de la LBA du 21 juin 2013 et par là-même démontré l'importance qu'il accorde à la participation de la Suisse au sein de ce groupe. Une exclusion du Groupe Egmont aurait à son tour des conséquences négatives sur la conformité avec les normes du GAFI, puisqu'elles exigent l'adhésion des cellules de renseignements financiers à ce groupe.

En conclusion, l'initiative, dans son ensemble, souffre d'un manque de clarté dans sa formulation, ce qui, du point de vue de la sécurité du droit, peut être problématique.

En outre, il convient de souligner que l'Association suisse des banquiers, sur la base d'une expertise juridique, rejette l'initiative. Elle estime que bien qu'une révision du droit fiscal soit nécessaire dans le contexte de la conformité fiscale en Suisse, la voie choisie par l'initiative n'est pas la bonne. Elle a également critiqué le fait que l'initiative offre un ancrage constitutionnel à la soustraction d'impôt, alors que cela est contraire à l'objectif d'une place financière fiscalement conforme. L'Association suisse des banquiers craint au final qu'un renforcement de la protection de la sphère privée financière tel que proposé par l'initiative ne contraigne l'Etat à confier un mandat de contrôle aux banques et par là-même une forme de rôle d'agents du fisc.

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4.4

Compatibilité avec les obligations internationales

Comme décrit sous ch. 4.3, l'initiative, selon son interprétation, pourrait avoir des conséquences sur les engagements de la Suisse au GAFI ainsi qu'au sein du Groupe Egmont.

5

Conclusions

Le droit à la protection de la sphère privée, dont la sphère privée financière fait intégralement partie, est un droit fondamental. Le Conseil fédéral estime que la réglementation en vigueur, dans les domaines de la fiscalité et de la finance, offre un niveau de garantie élevé de ce droit fondamental et ne voit pas la nécessité de préciser ce droit. Le secret fiscal inscrit dans la législation fiscale offre une garantie de confidentialité spécifique au domaine fiscal et donc financier. De plus, une acceptation de l'initiative aurait peu d'influence sur la relation qu'entretient le citoyen avec l'Etat, dans la mesure où l'obligation de renseigner du citoyen n'est pas touchée directement par le texte de l'initiative.

En revanche, le Conseil fédéral est d'avis qu'une définition trop précise de la protection de la sphère privée, telle celle proposée par l'initiative, n'a pas sa place dans la Constitution. Les nouvelles dispositions contraindraient l'autorité à respecter un cadre fixe et difficilement adaptable, y compris sous l'angle d'une interprétation restrictive. L'initiative aurait pour première conséquence de réduire les possibilités d'agir de l'Etat en matière fiscale, ce qui remettrait en question la taxation correcte et complète des contribuables. Ainsi, la soustraction fiscale pourrait être banalisée, la justice fiscale lésée et la morale fiscale malmenée. En outre, le droit fiscal ainsi réglé par la Constitution ne pourrait plus être modifié que très partiellement, les domaines importants tels que l'accès aux informations en cas d'infraction étant définis dans la Constitution.

Le droit actuel permet certes aux autorités d'obtenir des informations de tiers dans des cas prédéfinis et dans le but de remplir le mandat fixé par la Constitution fédérale, par le biais d'une taxation correcte. Cependant les informations recueillies ne sont pas rendues publiques, étant donné que les autorités qui les possèdent sont liées par le secret de fonction et le secret fiscal. Dès lors, y compris dans ces cas, on peut considérer que la protection de la sphère privée financière est garantie. L'Etat ne vient donc pas à la recherche d'informations par curiosité, mais bien parce que le citoyen n'a pas honoré son obligation de collaborer, que ce soit volontairement ou involontairement. On peut donc assurer que
le terme d'Etat fouineur n'est absolument pas applicable en Suisse.

Bien que le terme ne figure pas dans le texte de l'initiative et que l'argumentaire du comité d'initiative n'en fasse qu'un usage parcimonieux, un des buts principaux de l'initiative est d'inscrire la notion de secret bancaire dans la Constitution. Il est ici important de préciser que le Parlement fédéral a déjà pu se prononcer sur l'inscription du secret bancaire dans la Constitution et l'a refusée49. Ce qui ne signifie pas non plus que le Parlement souhaite abolir ce principe. En effet, une pétition demandant l'abolition du secret bancaire a été déposée en 201350 et les Chambres 49 50

Initiative cantonale du Tessin, 02.312.

Pétition Lörcher, 13.2019.

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n'y ont pas donné suite. A l'inverse, le secret bancaire a récemment été renforcé par le biais de la loi fédérale sur l'extension de la punissabilité en matière de violation du secret professionnel, entrée en vigueur le 1er juillet 2015. Cette loi, issue d'une initiative parlementaire, a reçu le soutien du Conseil fédéral et renforce la défense des droits de la personnalité des clients et la confiance dans la place financière suisse. En outre, force est de constater que le texte de l'initiative aurait des conséquences dépassant largement la simple inscription du secret bancaire dans la Constitution.

Comme le mentionne le comité d'initiative, une majorité de contribuables fait preuve d'honnêteté fiscale et ne serait pas concernée par la modification engendrée par l'initiative. Il serait par conséquent difficile de justifier envers ces contribuables que soit inscrit un principe dans la Constitution qui pourrait dévaloriser cette honnêteté et rendre plus difficile, voire même impossible, la poursuite de la soustraction fiscale simple.

Dans le cadre de ses relations internationales, le Conseil fédéral redoute qu'une acceptation de cette initiative soit perçue par l'extérieur comme un mauvais signal, et ce malgré l'adoption récente par le Parlement de la loi fédérale sur la mise en oeuvre des recommandations révisées du GAFI.

Pour tous ces motifs, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect.

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