ad 10.538 Initiative parlementaire «Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce.

Exclure les denrées alimentaires du principe du » Rapport du 20 octobre 2014 de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 21 janvier 2015

Monsieur le Président du Conseil national, Mesdames, Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement, nous nous prononçons ci-après sur le rapport du 20 octobre 2014 de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national concernant l'initiative parlementaire 10.538 «Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce. Exclure les denrées alimentaires du principe du »1.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président du Conseil national, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

21 janvier 2015

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

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FF 2014 9435

2014-3283

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Avis 1

Historique

1.1

Genèse de l'initiative parlementaire

L'initiative parlementaire «Loi fédérale sur les entraves techniques au commerce.

Exclure les denrées alimentaires du principe du » a été déposée le 17 décembre 2010. Le 7 novembre 2011, la Commission de l'économie et des redevances (CER-N) a décidé d'y donner suite. Le 20 janvier 2012, la commission du Conseil des Etats (CER-E) s'est ralliée à cette décision, en précisant qu'il y avait lieu d'examiner également d'autres solutions (qui ne devaient pas forcément entraîner une modification de loi) n'excluant pas entièrement les denrées alimentaires du champ d'application du principe «Cassis de Dijon».

Le 23 avril 2013, la CER-N a chargé l'administration d'élaborer plusieurs variantes de mise en oeuvre de l'initiative parlementaire. Le 25 février 2014, la majorité de la CER-N a décidé d'opter pour la variante qui, comme voulu par l'initiative, exclut totalement les denrées alimentaires du champ d'application du principe «Cassis de Dijon». Une minorité de la CER-N proposait de ne pas entrer en matière, mais de suivre une autre variante de mise en oeuvre, soit de compléter l'ordonnance du 19 mai 2010 sur la mise sur le marché de produits fabriqués selon des prescriptions étrangères (OPPEtr)2 de façon à tenir compte de l'objectif de l'initiative parlementaire, mais sans exclure totalement les denrées alimentaires du principe «Cassis de Dijon». Le même jour, le secrétariat de la CER-N a été chargé de rédiger, conjointement avec l'administration, un projet de loi dans le sens de la variante retenue par la majorité de la CER-N.

Le 20 mai 2014, la CER-N a approuvé le projet de loi révisé par quinze voix contre dix et lancé la consultation3. Lors de celle-ci, la majorité des partis politiques, des associations faîtières de l'économie et d'autres organisations ainsi qu'une minorité des cantons se sont prononcés contre le projet, c'est-à-dire contre l'exclusion des denrées alimentaires du principe «Cassis de Dijon».

Par lettre du 3 novembre 2014, la CER-N a invité le Conseil fédéral à donner son avis sur le projet d'ici au 28 janvier 2015, conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement4.

1.2

Objet du projet

Selon l'initiative parlementaire, il s'agit de modifier la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les entraves techniques au commerce (LETC)5 de façon à ce que les denrées alimentaires soient totalement exclues du champ d'application du principe «Cassis de Dijon».

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RS 946.513.8 www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2014 > Commissions parlementaires RS 171.10 RS 946.51

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Avis du Conseil fédéral

2.1

Stratégie pour «l'élimination des entraves techniques au commerce»

Depuis les années 90, la stratégie du Parlement et du Conseil fédéral en vue d'éliminer les entraves techniques au commerce comporte deux volets: l'harmonisation autonome des prescriptions suisses avec celles de nos partenaires commerciaux d'une part, et la conclusion d'accords internationaux sur la reconnaissance mutuelle de prescriptions et d'évaluations de conformité d'autre part. L'accent est mis avant tout sur l'élimination des entraves techniques au commerce dans la circulation des marchandises avec l'UE, qui est de loin le principal partenaire commercial de la Suisse. Appliqué de façon autonome depuis le 1er juillet 2010 par la Suisse, le principe «Cassis de Dijon» est un mécanisme complémentaire de cette stratégie, dans la mesure où il s'applique à des produits pour lesquels les prescriptions ne sont pas harmonisées au sein de l'UE et pour lesquels il n'existe pas d'accord avec l'UE.

Selon le principe «Cassis de Dijon», les produits mis légalement en circulation dans un Etat membre de l'UE ou de l'EEE peuvent l'être également en Suisse, même s'ils ne répondent pas, ou pas entièrement, aux prescriptions suisses, ce qui permet une offre de produits plus vaste et une intensification de la concurrence en Suisse. Le principe «Cassis de Dijon» sert donc à lutter contre l'îlot de cherté suisse. Il a déclenché un processus d'élimination des entraves techniques au commerce et contribue à éviter des entraves injustifiées au commerce, notamment en rendant plus difficile l'édiction de prescriptions suisses s'écartant inutilement des prescriptions européennes.

2.2

Objectifs de l'initiative

Selon le projet, le principe «Cassis de Dijon» ne s'appliquerait plus aux denrées alimentaires. La raison invoquée est qu'il menace la Stratégie qualité de l'agriculture et de la filière alimentaire suisses (ci-après Stratégie qualité) et induit les consommateurs en erreur, parce que des denrées alimentaires suisses pourraient être produites pour le marché suisse, selon des prescriptions étrangères, sans que cela ne soit déclaré.

Le premier objectif du projet, soit de ne pas menacer la Stratégie qualité, a déjà été pris en compte en 2012. Pour lever les doutes, le Conseil fédéral a en effet introduit le 1er janvier 2012 le nouvel art. 10a dans l'OPPEtr. Cet article prévoit que les producteurs en Suisse ne puissent pas s'appuyer sur une décision de portée générale, ou demander une telle décision, pour fabriquer des produits agricoles répondant à la Stratégie qualité selon des prescriptions étrangères. Le but de la Stratégie qualité de positionner le plus favorablement possible des produits agricoles fabriqués en Suisse en stimulant la concurrence sur le marché intérieur et en appliquant des critères de qualité particuliers sur les marchés extérieurs, n'est donc pas menacé par le principe «Cassis de Dijon». En même temps, le Conseil fédéral rappelle qu'il incombe aux consommateurs de décider quelles qualités de produits ils préfèrent. L'Etat est responsable de la sécurité des produits, laquelle n'est pas menacée par le principe «Cassis de Dijon».

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Le Conseil fédéral partage le second objectif du projet, soit d'éviter d'induire les consommateurs en erreur (cf. ch. 2.3). Sont visés les produits fabriqués en Suisse conformément à des prescriptions étrangères, mais destinés au marché domestique selon l'art. 16b LETC. Cet article permet aux producteurs suisses de fabriquer et distribuer en Suisse des produits fabriqués conformément aux prescriptions de l'UE ou d'un Etat membre de l'UE ou de l'EEE, en se fondant sur une décision de portée générale de l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Cette mesure a été introduite par le Parlement pour éviter une discrimination des producteurs indigènes par rapport aux importations. Comme de tels produits doivent porter la désignation «fabriqué en Suisse» (selon la loi du 9 octobre 1992 sur les denrées alimentaires [LDAl]6), cela peut éventuellement donner l'impression qu'ils répondent aux prescriptions suisses.

2.3

Approbation de la proposition de la minorité de la CER-N: modification de l'OPPEtr

Pour éviter que les consommateurs ne concluent de la fabrication en Suisse d'un produit que les prescriptions suisses sont toujours appliquées, le Conseil fédéral soutient la proposition de la minorité de la CER-N et a l'intention de compléter l'OPPEtr par une disposition correspondante au cas où l'initiative parlementaire serait rejetée. Il est donc prévu que les produits fabriqués en Suisse conformément à des prescriptions étrangères et mis sur le marché domestique ne portent pas seulement l'indication du pays de production (la Suisse), mais aussi celle des prescriptions selon lesquelles ils ont été fabriqués. Une nouvelle disposition de l'OPPEtr pourrait être libellée comme suit: Art. 6a

Etiquetage des denrées alimentaires fabriquées en Suisse conformément à des prescriptions étrangères

Si une denrée alimentaire est fabriquée en Suisse conformément aux art. 16a, al. 1, et 16b LETC, l'indication du pays de production prévue à l'art. 15 OEDAl est complétée par une indication précisant selon quelles prescriptions techniques de l'UE, ou, en cas d'harmonisation incomplète ou manquante des prescriptions techniques dans l'UE, selon quelles prescriptions techniques d'un Etat membre de l'UE ou de l'EEE elle a été fabriquée.

On éviterait ainsi d'induire en erreur les consommateurs concernant les prescriptions de fabrication appliquées.

2.4

Sécurité alimentaire en Suisse

Le principe «Cassis de Dijon» n'entrave pas la sécurité alimentaire. Les denrées alimentaires sont en effet soumises à une réglementation spéciale (chap. 3a, section 2, LETC). Selon cette dernière, les denrées alimentaires mises en circulation en Suisse en vertu du principe «Cassis de Dijon» nécessitent une autorisation de l'OSAV. Ces autorisations sont accordées sous la forme de décisions de portée 6

RS 817.0

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générale (positives), pour autant que les denrées alimentaires circulant légalement dans un Etat membre de l'UE ou de l'EEE ne menacent ni la sécurité ni la santé des personnes, et qu'elles répondent aux exigences suisses en matière d'information sur le produit. Si le niveau de protection suisse n'est pas atteint, l'OSAV rejette la demande ou assortit son autorisation de charges. La protection de la santé n'est donc pas mise en cause. Ce système s'applique aussi aux autorisations portant sur les résidus ou les additifs. L'OSAV effectue chaque fois une analyse complète des risques et n'accorde son autorisation que si aucun intérêt public prépondérant n'est menacé (protection de la santé, protection contre la tromperie, etc.). Le critère décisif est que la composition d'un aliment ne représente pas une menace pour la santé.

Sa composition quantitative, par exemple le pourcentage de graisse lactique que contient une demi-crème (15 % ou 10 %), n'est en revanche pas une question de santé. Dans ce cas, l'élément important est que la déclaration sur le produit soit correcte, ce que l'OSAV vérifie également.

2.5

Avantages du principe «Cassis de Dijon»

Le principe «Cassis de Dijon» contribue à intensifier la concurrence sur le marché intérieur. Son effet de stimulation de la concurrence résulte déjà de ce que la seule possibilité de faciliter les importations parallèles peut exercer un effet d'atténuation des prix sur le marché domestique. La possibilité des importations parallèles (par ex.

en cas de négociation des prix) n'est crédible que s'il ne s'y oppose pas de prescriptions techniques ­ à part les dispositions du droit de la concurrence et du droit des brevets.

Même si, avec le temps, le principe «Cassis de Dijon» ne s'appliquera plus qu'à un nombre réduit de produits du fait de nouvelles adaptations du droit ou de nouveaux accords avec l'UE sur la reconnaissance mutuelle des prescriptions en matière de produits ou d'évaluations de conformité, il conservera son importance en sa qualité de mécanisme complémentaire permettant d'éviter les entraves techniques au commerce et de faciliter les importations parallèles.

Par ailleurs, le principe «Cassis de Dijon» accroît la diversité des produits offerts aux consommateurs suisses. Ceux-ci peuvent toujours acheter des produits traditionnels suisses, mais ont encore le choix d'autres assortiments, ce qui réduit par ailleurs le tourisme d'achat. Les consommateurs ne sont plus obligés de franchir la frontière pour s'approvisionner en produits qui ne pouvaient être commercialisés jusqu'ici en Suisse parce qu'ils ne répondaient pas aux prescriptions usuelles, ou qui n'étaient pas importés en Suisse parce qu'il aurait fallu en adapter l'étiquetage à grand prix. Tant que la déclaration figurant sur le produit est correcte, le Conseil fédéral est d'avis qu'il est injustifié d'intervenir dans le libre choix des consommateurs, d'autant plus que la sécurité alimentaire reste garantie, même sous le régime du principe «Cassis de Dijon». Des réponses à la consultation, il ressort qu'en 2013, les consommateurs suisses ont dépensé à l'étranger quelque 2280 millions de francs en denrées alimentaires (tendance en forte croissance). Ce constat est la preuve que les consommateurs ne sont plus vraiment disposés à accepter les prix élevés pratiqués en Suisse. Le principe «Cassis de Dijon» est un mécanisme important contre le tourisme d'achat et l'îlot de cherté suisse.

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2.6

Conclusions

Le principe «Cassis de Dijon» a été adopté en 2010 après d'amples consultations et des travaux minutieux dans les commissions et les deux Chambres du Parlement, dont le fruit est une révision équilibrée de la loi, qui préserve les particularités essentielles du système suisse. Ainsi la procédure d'autorisation des denrées alimentaires garantit la protection de la santé et l'information sur le produit. En outre, le Conseil fédéral a introduit des exceptions au principe, précisément dans le domaine alimentaire, par exemple en ce qui concerne l'indication du pays de production, les produits issus du génie génétique, la protection des jeunes (alcopops) ou l'étiquetage des oeufs et de la viande de lapin issus de l'élevage en batterie. Reste à ajouter que les prescriptions en vigueur en Suisse sur le travail et la protection des animaux ne sont pas touchées par le principe «Cassis de Dijon». Elles demeurent exclusivement applicables, même après la révision de la LETC de 2010.

La révision de la LETC et les travaux consécutifs ont déclenché un nouveau processus d'élimination des entraves techniques au commerce, sans qu'il ne se soit produit d'effets négatifs sur le niveau de protection. La révision de la LETC adoptée en 2010 par le Parlement contribue à éviter des entraves injustifiées au commerce, en particulier dans la mesure où le principe «Cassis de Dijon» permet les importations parallèles et rend plus difficiles les prescriptions suisses s'écartant inutilement des prescriptions européennes. Même si les enquêtes empiriques ­ notamment sous l'effet de l'évolution des taux de change au cours de la période d'observation ­ n'ont pas révélé d'effet mesurable du principe «Cassis de Dijon» sur les prix, ce principe procure des avantages économiques: il stimule la concurrence et les échanges transfrontaliers de biens sans compromettre la sécurité alimentaire. Aussi représente-t-il un mécanisme important pour lutter contre l'îlot de cherté suisse.

Exclure les denrées alimentaires du principe «Cassis de Dijon» viderait largement ce dernier de sa substance, vu que les prescriptions non harmonisées sur les produits prédominent dans le secteur alimentaire. Cette exclusion serait contraire aux efforts de la Suisse pour éliminer les entraves techniques au commerce dans le domaine alimentaire et compliquerait la
participation à l'espace alimentaire européen que la Suisse recherche à travers la révision de la loi sur les denrées alimentaires. La Suisse étant fortement tributaire des importations, ce dernier argument revêt une importance cruciale pour maintenir un haut niveau de protection des consommateurs suisses.

A cela s'ajoute que les objectifs de l'initiative parlementaire peuvent être pris en considération sans modifier la loi. L'objectif d'éviter la mise en danger de la Stratégie qualité a déjà été pris en compte en 2012 par une modification d'ordonnance (révision de l'OPPEtr). L'objectif d'éviter d'induire les consommateurs en erreur peut être mis en oeuvre par une nouvelle adaptation de l'OPPEtr (étiquetage spécial des produits fabriqués en Suisse conformément à des prescriptions étrangères, cf.

ch. 2.3).

En résumé, force est de constater qu'avec le projet présenté dans le rapport de la CER-N, on renoncerait sans nécessité à un mécanisme qui rend service aussi bien à la place économique suisse qu'aux consommateurs de notre pays. Le principe «Cassis de Dijon» ne menace pas non plus d'intérêt public prépondérant dans le domaine des denrées alimentaires. Le Conseil fédéral salue l'effet positif de ce principe dans la lutte contre l'îlot de cherté suisse, précisément dans le domaine alimentaire. Pour toutes ces raisons, il se prononce contre le projet, à l'instar de la majorité des partis 1278

politiques, des associations faîtières de l'économie et d'autres organisations, ainsi que d'une minorité des cantons.

3

Proposition du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral propose d'approuver la proposition de la minorité de la CER-N et donc de ne pas entrer en matière sur le projet.

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