15.021 Message concernant l'initiative populaire «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» du 18 février 2015

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre sans contre-projet au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

18 février 2015

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2014-3285

2295

Condensé Le Conseil fédéral propose au Parlement de recommander au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative populaire «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires». S'il partage les objectifs de l'initiative, qui sont d'améliorer l'approvisionnement en denrées alimentaires de la population des pays en développement et de lutter contre la pauvreté, il estime néanmoins que l'approche choisie par les auteurs n'est pas judicieuse, doute de l'efficacité des mesures proposées et craint des conséquences néfastes pour l'économie suisse.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» a été déposée par la Jeunesse socialiste suisse (JS) le 24 mars 2014 avec 115 942 signatures valables. Elle demande, d'une part, que certaines opérations spéculatives avec des instruments financiers portant sur des produits agricoles soient interdites et, d'autre part, que la Confédération s'engage au niveau international à lutter contre celles-ci.

Les auteurs de l'initiative entendent ainsi limiter les opérations spéculatives sur les marchés financiers en lien avec les marchés agricoles physiques (aussi appelés marchés à terme des marchandises). Ils souhaitent que les prix pratiqués sur les marchés agricoles internationaux soient moins sujets à variation, ceci afin que la situation alimentaire s'améliore dans les pays en développement.

Avantages et inconvénients de l'initiative Le Conseil fédéral partage l'avis des auteurs de l'initiative: le prix des denrées alimentaires de base peut avoir de lourdes conséquences sur la population des pays en développement, a fortiori dans les pays qui sont fortement dépendants de l'importation de ces produits. Il juge toutefois les propositions de l'initiative inadéquates pour répondre efficacement à ce défi, et ce pour différentes raisons.

Premièrement, il est peu vraisemblable, au vu des informations disponibles, que des opérations spéculatives menées sur les marchés à terme des marchandises aient contribué de manière déterminante aux importantes flambées des prix des années 2007­2008 et 2010­2011. Ces fortes hausses résultent plutôt de la conjonction entre des stocks historiquement bas et des conditions météorologiques défavorables (sécheresse, gel, etc.) dans d'importantes zones de culture, qu'ont accentuées les restrictions
d'exportation des pays exportateurs et les tentatives d'achat des pays importateurs. Il est donc peu probable qu'une limitation des opérations spéculatives sur les marchés à terme des marchandises puisse freiner des prix en forte progression. Compte tenu du fait que la spéculation sur ces marchés remplit différentes fonctions utiles et nécessaires, il est par contre à craindre que les marchés agricoles fonctionneraient moins bien si ces restrictions venaient à être appliquées.

Deuxièmement, les mesures prises à l'échelle nationale n'ont quasiment aucune incidence sur l'évolution des marchés à terme internationaux des marchandises.

Cela tient, d'une part, au fait que les marchés visés par l'initiative se situent en

2296

grande majorité à l'étranger. D'autre part, les entreprises peuvent contourner l'interdiction en partant à l'étranger ou en y délocalisant les opérations frappées d'interdiction. La réglementation proposée par les auteurs de l'initiative serait par conséquent inadaptée pour lutter efficacement contre les opérations spéculatives sur les marchés à terme des marchandises.

Une interdiction aurait toutefois, en Suisse, des conséquences sur différents groupes d'entreprises, au premier rang desquelles les banques, les sociétés de négoce de produits agricoles et les transformateurs industriels de tels produits. Elle occasionnerait des coûts pour ces entreprises et leur imposerait, selon les cas, des contraintes relativement élevées dans leurs activités opérationnelles. Etant donné que cela se traduirait par une perte de compétitivité par rapport aux concurrents étrangers, il y a lieu de craindre que ces entreprises réagiraient à une telle réglementation par des délocalisations ou l'arrêt en Suisse des activités concernées. En cas d'adoption de l'initiative, il faudrait s'attendre à des pertes d'emplois, de valeur ajoutée et de recettes fiscales. De surcroît, une adoption de l'initiative augmenterait globalement l'incertitude quant à l'évolution des conditions-cadre régissant l'économie en Suisse, ce qui constituerait un signal négatif à l'égard de toute la place économique suisse.

Le Conseil fédéral est d'avis que d'autres approches sont mieux à même de rendre les pays en développement plus résistants aux fortes variations de prix et d'y améliorer de manière générale la sécurité alimentaire. Il oeuvre déjà à la réalisation de ces objectifs au sein de différentes enceintes internationales, par exemple l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). La Confédération s'emploie en outre, dans le cadre de la coopération suisse au développement, à promouvoir l'agriculture durable, gage d'une amélioration générale à long terme de la sécurité alimentaire dans ces pays. Dans les cas de famine passagère ou les situations de guerre, la Suisse s'engage principalement par le biais de l'aide humanitaire d'urgence.

Proposition du Conseil fédéral Fort de ces considérations, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales, par le présent message, de recommander, sans contre-projet, au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative populaire.

2297

Table des matières Condensé

2296

Liste des abréviations utilisées

2299

1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte 1.2 Aboutissement et délais de traitement 1.3 Validité

2300 2300 2301 2301

2

Contexte 2.1 L'évolution du prix des denrées alimentaires et la «financiarisation» des marchés à terme de marchandises 2.1.1 L'évolution du prix des denrées alimentaires 2.1.2 La financiarisation des marchés à terme des marchandises 2.2 Conséquences des envolées de prix sur les pays en développement 2.3 Réactions politiques 2.3.1 Politique agricole internationale 2.3.2 Réglementation des marchés à terme des marchandises 2.3.3 Situation juridique et projets actuels de réglementation en Suisse 2.3.4 Contribution de la coopération suisse au développement dans la sécurité alimentaire mondiale

2302 2302 2302 2304 2307 2310 2310 2311 2314 2315

3

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative 3.3 Contenu de la réglementation proposée

2316 2316 2317 2320

4

Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation des demandes de l'initiative 4.2 Appréciation des thèses centrales de l'initiative 4.2.1 Fonctions des marchés à terme des marchandises et rôle de la spéculation 4.2.2 Effets de la spéculation sur les prix des produits agricoles 4.3 Applicabilité de l'initiative 4.4 Effets de l'initiative en cas d'acceptation 4.4.1 Conséquences pour les acteurs concernés 4.4.2 Effets macroéconomiques 4.4.3 Efficacité de l'initiative 4.5 Compatibilité avec les obligations internationales

2320 2320 2321 2321 2323 2326 2327 2327 2332 2332 2333

Conclusions

2334

5

Arrêté fédéral concernant l'initiative populaire «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» (Projet)

2298

2337

Liste des abréviations utilisées AMIS BNS CFTC CNUCED DDC FAO FINMA FMI G20 LIMF OCDE OICV OMC ONU SECO UE

Agricultural Market Information System Banque nationale suisse U.S. Commodity Futures Trading Commission Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement Direction du développement et de la coopération Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers Fonds monétaire international Groupe des vingt principaux pays industrialisés ou émergents Loi sur l'infrastructure des marchés financiers (projet FF 2014 7399) Organisation de coopération et de développement économiques Organisation internationale des commissions de valeurs Organisation mondiale du commerce Organisation des Nations Unies Secrétariat d'Etat à l'économie Union européenne

2299

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte

L'initiative populaire fédérale «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» a la teneur suivante: I La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 98a (nouveau)

Lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires

La Confédération légifère sur la lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires. Ce faisant, elle respecte les principes suivants:

1

a.

les banques, les négociants en valeurs mobilières, les assurances privées, les fonds de placements collectifs de capitaux et les personnes en leur sein chargées de la direction des affaires et de la gestion de fortune, les institutions d'assurances sociales, les autres investisseurs institutionnels et les gestionnaires de fortune indépendants ayant leur siège ou une succursale en Suisse ne peuvent investir ni pour eux-mêmes ni pour leur clientèle et ni directement ou indirectement dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires. Il en va de même pour la vente de produits structurés correspondants.

b.

Les contrats conclus avec des producteurs et des commerçants de matières premières agricoles et de denrées alimentaires qui portent sur la garantie des délais ou des prix fixés pour livrer des quantités déterminées sont autorisés.

La Confédération veille à une exécution efficace des prescriptions visées à l'al. 1.

Ce faisant, elle respecte les principes suivants:

2

a.

la surveillance, la poursuite pénale et le jugement relèvent de la compétence de la Confédération2;

b.

les entreprises fautives peuvent, indépendamment d'un éventuel manque d'organisation, être sanctionnées directement.

La Confédération s'engage au niveau international en faveur d'une lutte efficace à l'échelle mondiale contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires.

3

1 2

RS 101 Cette note signale deux rectifications orthographiques dans la version allemande, qui n'ont pas d'incidence sur le contenu de l'initiative.

2300

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont modifiées comme suit: Art. 197 ch. 103 (nouveau) 10. Disposition transitoire ad art. 98a (Lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires) Si les dispositions légales correspondantes n'entrent pas en vigueur dans les trois ans suivant l'acceptation de l'art. 98a par le peuple et les cantons, le Conseil fédéral édicte, en attendant leur entrée en vigueur, les dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» a fait l'objet d'un examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 11 septembre 20124, et elle a été déposée le 24 mars 2014 avec le nombre requis de signatures.

Par décision du 17 avril 2014, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 115 942 signatures valables et qu'elle avait donc abouti5.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)6, le Conseil fédéral a jusqu'au 24 mars 2015 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 24 septembre 2016 pour adopter la recommandation de vote qu'elle présentera au peuple et aux cantons.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 2 et 3, de la Constitution:

3 4 5 6

a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

c.

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

La numérotation définitive des chiffres de cet article sera fixée par la Chancellerie fédérale après la votation populaire.

FF 2012 7473 FF 2014 3185 RS 171.10

2301

2

Contexte

2.1

L'évolution du prix des denrées alimentaires et la «financiarisation» des marchés à terme de marchandises

L'initiative a vu le jour du fait de l'évolution des prix des denrées alimentaires ces dernières années et des changements structurels sur les marchés à terme des matières premières (agricoles), aussi appelés «financiarisation». Dans le contexte national, l'initiative peut aussi être mise en relation avec l'importance de la Suisse en tant que place financière et centre pour le commerce physique de matières premières (agricoles) (cf. ch. 4.4.1).

2.1.1

L'évolution du prix des denrées alimentaires

Ces dernières années, le prix de nombreuses matières premières agricoles et denrées alimentaires a été marqué par de fortes fluctuations, comme le montre l'évolution du cours du blé, du maïs, du riz et du soja sur le marché international (fig. 1). Le blé, le maïs et le riz sont particulièrement importants pour l'alimentation dans les pays en développement (cf. ch. 2.2), et le soja compte parmi les matières premières agricoles les plus échangées au niveau international.

Les prix mondiaux reflètent principalement le jeu de l'offre et la demande pour la part de la production mondiale négociée à l'échelle internationale. Cette part diverge fortement selon le produit. En 2012­2013, elle représentait 7,5 % pour le riz, et 11 % pour le maïs, ce qui est relativement faible. Sur la même période, elle était légèrement plus élevée pour le blé (21 %) et atteignait son plus haut niveau pour le soja (37 %)7. Une part faible signifie que le besoin d'un pays en un bien est surtout couvert par la production nationale. Le cours mondial d'une denrée alimentaire donnée est surtout important pour les pays qui importent ce bien en grandes quantités. L'intensité du rapport entre les prix mondiaux et les prix nationaux ou locaux dépend également d'autres facteurs. Dans les pays en développement, par exemple, de nombreux marchés locaux ne sont pas intégrés au marché mondial en raison de mauvaises infrastructures de transport (cf. ch. 2.2).

7

Source: AMIS, cf. www.amis-outlook.org.

2302

Figure 1 Evolution des prix des principales denrées alimentaires de

base8

Comme le montre le graphique, le cours de toutes les denrées considérées a fortement augmenté après l'été 2006, avant de connaître un recul tout aussi marqué jusqu'à l'été 2010. Cependant, l'augmentation n'a pas commencé au même moment pour tous les biens. Alors que le cours du soja et du maïs a commencé à monter dès 2006, la hausse du cours du blé (mai 2007) et du riz (octobre 2007) est intervenue plus tard, mais a été très rapide, notamment pour le riz. A partir de l'été 2010, le cours du soja, du blé et du maïs a à nouveau connu une forte augmentation, suivie d'un recul, avant de grimper de nouveau au début de 2012 (soja) et à l'été 2012 (maïs, blé). Depuis, le prix de ces trois denrées a fortement baissé. Par contre, l'évolution du cours du riz est restée relativement constante après la hausse de 2007 et le fort recul qui s'en est suivi. Le prix a aussi légèrement baissé depuis l'été 2012.

8

Source: FMI, cf. www.imf.org > research > commodity prices.

2303

Figure 2 Prix des denrées alimentaires (corrigés de l'inflation) en comparaison pluriannuelle9

Toutefois, si l'on se place dans la perspective à long terme (qui doit également tenir compte de l'évolution générale des prix), on voit que les sommets atteints en 2008 et en 2011­2012 par les prix des denrées alimentaires ne sont aucunement des valeurs historiques maximales, et que, depuis la flambée du prix des denrées alimentaires dans les années 70, la tendance s'est inscrite à la baisse jusqu'au milieu des années 2000 (figure 2)10. Par ailleurs, on constate que les variations du prix mondial d'une ou plusieurs denrées alimentaires n'ont rien de nouveau. Dans ce contexte, il faut souligner que le prix des aliments est par nature très fluctuant: d'une part leur production est influencée par des facteurs extérieurs imprévisibles (p. ex. sécheresses, inondations) et, d'autre part, l'offre et la demande sont relativement rigides à court terme, notamment quand les stocks sont bas. De petits changements touchant l'offre ou la demande suffisent dès lors à provoquer de fortes variations de prix.

2.1.2

La financiarisation des marchés à terme des marchandises

Les marchés à terme des marchandises sont des marchés sur lesquels les matières premières sont négociées «à terme», c'est-à-dire pour une date ultérieure11. Il s'agit d'un commerce de contrats, autrement dit d'obligations ou de droits contractuels futurs. Dans un contrat de ce type, un producteur peut, par exemple, s'engager à vendre à un négociant de marchandises une quantité déterminée de café à un prix 9 10

11

Source pour le cours des matières premières: FMI (cf. note 8), et pour l'indice des prix à la consommation américain: www.bls.gov/cpi/ Dans ce graphique, les prix sont corrigés du renchérissement selon l'indice des prix à la consommation américain, adoptant la perspective d'un consommateur américain. La perspective à long terme des consommateurs d'autres pays (notamment des pays en développement) devrait par conséquent prendre en considération des taux d'inflation différents et l'évolution du cours de change de la monnaie en question face au dollar américain.

Les marchés sur lesquels l'échange des biens entre le vendeur et l'acheteur a lieu plus ou moins immédiatement sont des marchés au comptant.

2304

défini, à une date donnée. Les marchés à terme de marchandises sont donc étroitement liés aux marchés physiques au comptant. Ils permettent principalement de se couvrir contre les fluctuations de prix et des récoltes et de fixer les prix (cf. ch. 4.2).

Les marchés à terme peuvent encore être subdivisés selon la façon dont s'y déroulent les négociations: soit sur les plateformes de négociation (bourses ou systèmes multilatéraux de négociation) soit hors bourse, c'est-à-dire en dehors de ces plateformes. Alors que les négociations en bourse sont relativement standardisées, les opérations à terme hors bourse peuvent revêtir des formes différentes, allant du commerce bilatéral via les systèmes organisés de négociations aux contrats bilatéraux conclus directement entre les parties, prenant en considération leurs besoins spécifiques. Une caractéristique importante du commerce hors bourse est que chaque partie supporte le risque de défaillance de l'autre partie.

Les instruments financiers négociés sur les marchés à terme font partie des produits dérivés12. Ils se divisent en futures et en options, qui sont essentiellement négociés en bourse, et en forwards et en swaps, qui sont négociés hors bourse. Les futures et les options sont des contrats à terme standardisés comprenant l'obligation (futures) ou le droit (options) d'échanger ultérieurement un certain bien à un prix déterminé.

Cependant, les instruments financiers négociés en bourse restent presqu'exclusivement financiers et ne donnent pas lieu à un échange physique de marchandises.

En d'autres termes, ils sont compensés par une opération inverse. Un forward désigne la plupart du temps une opération à terme bilatérale non standardisée, par exemple lorsqu'un agriculteur vend ses céréales à un meunier avant même la récolte à un prix défini par avance. Enfin, un swap (échange en anglais) est un contrat portant sur l'échange de flux de paiement futurs, qui fluctuent en fonction de variables sous-jacentes. Contrairement aux autres instruments financiers utilisés dans le domaine des matières premières, les swaps ne peuvent pas être physiquement remplis.

On parle de financiarisation pour désigner le fait que ces marchés, qui étaient plutôt cloisonnés, ont commencé à s'ouvrir au début des années 2000 à la suite de changements réglementaires et techniques
(p. ex. introduction du commerce électronique) et ont été de plus en plus utilisés par de nouveaux acteurs, qui auparavant n'y était pas actifs, ou l'étaient dans une moindre mesure. Il s'agit principalement d'acteurs financiers comme les banques d'investissement, fonds de couverture (hedge funds) et les investisseurs indiciels. Le nombre et le volume des produits dérivés négociés dans le domaine des matières premières et des biens agricoles ont fortement augmenté depuis 2000 en raison de l'arrivée de ces nouveaux acteurs, des évolutions technologiques mentionnées et du développement croissant du commerce physique de ces biens.

Le débat autour des effets de la spéculation sur les marchés à terme vise principalement les investisseurs indiciels. Ces derniers investissent dans des produits dérivés de matières premières sur la base d'une certaine corbeille de matières premières (indice). Les produits faisant partie de l'indice, pour la plupart des fonds ou des produits structurés, sont principalement distribués par des banques et revendus sous forme de parts à des investisseurs privés ou institutionnels. La caractéristique princi12

Un produit dérivé est un instrument financier dont la valeur est tirée de l'évolution future d'une ou plusieurs variables sous-jacentes (actifs sous-jacents). Des actions, des obligations ou le taux de change peuvent être des actifs sous-jacents. Si l'actif sous-jacent est un bien agricole, on parle d'un produit dérivé agricole.

2305

pale de ces acteurs est que, mis à part les opérations visant à respecter les prescriptions de l'indice, leurs activités sur le marché se limitent à acheter des dérivés de matières premières. Cependant, comme ils ne souhaitent pas recevoir les biens qui donnent lieu à ces produits dérivés, ils revendent ces produits avant l'échéance du contrat et en achètent de nouveaux ayant une échéance plus lointaine. Cette stratégie d'investissement «passive» se fondait sur les réflexions suivantes: la présomption, prévalant dans les années 2000, que les prix des matières premières allaient augmenter, et l'idée que l'acheteur pouvait prétendre à un rendement en raison des risques de prix encourus. Par ailleurs, les matières premières (surtout les matières énergétiques et les métaux) sont positivement corrélées avec l'inflation, ce qui offre aux investisseurs une certaine protection contre l'inflation. Comme les prix des matières premières (notamment agricoles) dépendent, contrairement aux actions ou à l'immobilier, fortement de facteurs indépendants du cycle conjoncturel (surtout la météo), investir dans ce secteur permet de diversifier les risques au sein du portefeuille. Les rendements de nombreux produits indiciels classiques ayant diminué depuis la baisse des prix de 2012, des produits indiciels qui obéissent à des contingences plus flexibles et plus nombreuses ont été développés récemment.

Les investisseurs indiciels ont été les plus actifs entre 2004 et 2006. Durant cette période, leurs achats ont été multipliés par quatre (blé, maïs) ou par trois (soja) sur les marchés considérés. Après le fort recul des positions (surtout le maïs) dans tous les contrats au deuxième semestre 2008, une nouvelle hausse marquée a eu lieu entre mars-mai 2009 et mai-juin 2010. Au cours de cette période, les positions ouvertes des investisseurs indiciels ont doublé du côté des acheteurs pour le maïs et augmenté de 60 % pour le blé et de 70 % pour le soja13.

L'activité des investisseurs indiciels et des autres acteurs financiers se concentre presque exclusivement sur les contrats les plus négociés sur les marchés à terme.

Dans le domaine agricole, il s'agit principalement des transactions à terme concernant le maïs, le blé, le soja, le sucre, le café, le coton, le cacao et le bétail négociées sur les bourses américaines. Les
liquidités disponibles sur ces bourses sont primordiales pour ces négociants car le risque de ne pas trouver de nouvelle partie avant l'expiration du contrat et de devoir procéder à la livraison physique est ainsi relativement faible. Le règlement centralisé et presque continu des transactions en bourses diminue le risque de défaillance de l'autre partie, et les acteurs peuvent, contrairement à l'achat direct des biens, commencer avec un investissement modeste. Les contrats standardisés de ces plateformes permettent en outre d'éviter de négocier individuellement les détails du contrat (qualité et quantité du bien, date de livraison) pour chaque transaction.

Les denrées alimentaires décrites au paragraphe précédent sont concernées à des degrés différents par la «financiarisation». Les contrats sur le blé, le maïs et le soja font l'objet de négociations relativement nombreuses, et sont donc intégrés dans les principaux indices de matières premières, ce qui n'est pas le cas pour le riz. Il existe certes un contrat de futures pour le riz à la bourse de Chicago, mais le volume négocié et les liquidités associées à ce contrat sont très faibles, raison pour laquelle le riz ne fait pas partie des indices de matières premières mentionnés.

13

Sanders, D.R., Irwin, S.H. (2011): New Evidence on the Impact of Index Funds in U.S. Grain Futures Markets. Revue canadienne d'économie rurale 59, p. 519 à 532 et les données actuelles de la CFTC: www.cftc.gov > Market Reports > Commitments of Traders > Historical Compressed.

2306

Les auteurs de l'initiative pensent que l'évolution du cours des denrées alimentaires et la financiarisation ont des liens de cause à effet. Ils sont d'avis que la financiarisation des marchés à terme des marchandises a entraîné une spéculation excessive sur ces marchés, laquelle a conduit à ce que les prix des denrées alimentaires ne correspondent plus à leur valeur réelle; en d'autres termes la spéculation aurait entraîné une distorsion des prix. Ils estiment que la spéculation sur les marchés à terme des marchandises est directement responsable d'une bulle entre 2007 et 2009 et de la hausse des prix de plusieurs de ces produits en 2010­2011. Ces deux phénomènes ont selon eux posé des problèmes de ravitaillement dans de nombreux pays en développement.

2.2

Conséquences des envolées de prix sur les pays en développement

Dans les pays en développement, les principales denrées alimentaires de base qui sont négociées au niveau international sont le blé, le maïs et le riz. Ceux-ci représentent plus de 90 % des apports énergétiques en céréales dans ces pays14. Le tableau suivant indique dans quels pays en développement ces céréales sont principalement consommées ainsi que le bilan commercial de ces pays.

Lieu

Commerce international

Blé

Asie centrale (y c. le Caucase), Afrique du Nord et Proche-Orient (y c. Pakistan, Afghanistan et nord de l'Inde), Asie du Sud, Afrique orientale et australe

La majorité des pays d'Afrique et d'Asie de l'Ouest et du Sud-Est sont des importateurs nets de blé.

A l'inverse, la Chine et l'Inde sont autosuffisantes.

Riz

Toute l'Asie, une grande partie de l'Afrique (Madagascar, Sénégal, GuinéeBissau, Côte d'Ivoire, le Sierra Leone, etc.)

Alors que de nombreux pays asiatiques sont autosuffisants, voire exportateurs nets de riz (les Philippines, le Bangladesh ou le Laos constituant d'importantes exceptions), une grande partie du riz consommé en Afrique doit être importée. Le commerce international du riz est relativement limité.

Maïs

Afrique orientale et australe, Amérique centrale et région des Andes

Les régions latino-américaines (surtout le Mexique) et l'Afrique du Nord sont des importateurs nets, alors que la région formée des pays d'Afrique orientale et australe est plus ou moins autosuffisante.

Attendu que, pour les habitants des pays en développement (et des autres pays), ce sont les prix sur les marchés nationaux ou locaux qui importent, le facteur déterminant est l'impact, sur les marchés locaux et régionaux, des fluctuations du cours des denrées alimentaires sur les marchés internationaux décrites précédemment.

14

Shiferaw, B. et al. (2013): Crops that feed the world 10. Past successes and future challenges to the role played by wheat in global food security. Food Security 5, p. 295.

2307

La rapidité et l'ampleur de la répercussion sur les prix (transmission des prix) varie selon le pays. Elles dépendent d'une série de facteurs politiques et structurels: politique commerciale (taxe à l'importation et à l'exportation, abaissement temporaire des droits de douane ou interdictions d'exportations), achats ou ventes de denrées alimentaires par l'Etat, stocks nationaux et gestion nationale des stocks, coûts de transports, structure du marché et intensité de la concurrence dans la chaîne d'approvisionnement, ainsi que préférence des consommateurs pour certaines denrées ou certains types de denrées (p. ex. maïs blanc par rapport au maïs jaune). Comme la plupart des denrées négociées à l'international sont cotées en dollar, l'évolution du cours de la monnaie nationale face au dollar américain est également importante.

Ainsi, si ce dernier faiblit face à la monnaie nationale, les importations deviennent moins chères et les prix ont tendance à baisser.

Par ailleurs, il convient de distinguer entre la répercussion des variations de prix à court terme (variabilité des prix) et la répercussion des évolutions à plus long terme.

A long terme, l'évolution des prix nationaux des denrées alimentaires négociées à l'international suit les prix des marchés internationaux. Cette tendance est plus marquée pour le blé et le maïs que pour le riz, car ce dernier est échangé dans une moindre mesure au niveau international. Toutefois, des différences entre le niveau du prix national et international peuvent aussi persister à long terme. Elles dépendent, par exemple, de la politique commerciale d'un pays (p. ex. montant des droits de douane) et des coûts de transport.

La variabilité à court terme des prix du maïs, du riz et du blé sur les marchés nationaux est généralement marquée par les facteurs mentionnés ci-dessus, qui diffèrent selon le pays. Dans de nombreux pays en développement, les marchés présentent des variations de prix plus fortes que celles des marchés internationaux. C'est notamment le cas dans les pays qui ne disposent pas des institutions capables d'atténuer les variations de prix (p. ex. parce qu'elles ne sont pas en mesure de gérer des stocks efficacement ni de commercialiser ou de distribuer les réserves). Dans ce contexte, le commerce international peut jouer un rôle important: sur les
marchés ouverts, il peut compenser les fluctuations nationales de l'offre et de la demande et ainsi amoindrir la variabilité des prix sur les marchés nationaux.

Comme on pouvait s'y attendre, les conséquences des envolées des prix mondiaux de 2007­2008 et de 2010­2011 sont différentes selon les pays en développement.

On distingue trois groupes de pays: 1.

Un premier groupe de pays (p. ex. Chine, Inde) a été relativement peu touché par la hausse des prix internationaux. Ces pays ont mis en place des mesures pour stabiliser le marché national, par exemple en limitant les exportations ou en vendant des stocks nationaux. Grâce à ces interventions politiques et aux programmes d'aide publics, la situation alimentaire est restée stable ou s'est même améliorée. Inconvénients des restrictions à l'exportation: elles ont accentué l'augmentation des prix sur les marchés internationaux et réduit la disponibilité de ces denrées alimentaires dans les autres pays dépendants des importations (cf. ch. 4.2).

2.

Un deuxième groupe est formé par les pays qui, en termes nets, importent plus de denrées alimentaires de base qu'ils n'en exportent. Ce sont typiquement des pays africains (p. ex. l'Ethiopie, le Kenya, le Mozambique, la Zambie, l'Ouganda, mais aussi l'Egypte); nombre d'entre eux ne disposent ni des devises, ni des réserves suffisantes, de sorte que les prix des denrées

2308

alimentaires ont aussi pris l'ascenseur sur les marchés nationaux. Comme la plupart des ménages pauvres consacrent une grande partie de leurs revenus à la nourriture, une augmentation de prix, même modérée, peut vite être synonyme de malnutrition, de sous-alimentation, voire de faim.

3.

Un troisième groupe rassemble les pays qui ont eu tendance à profiter des prix plus élevés, car, en termes nets, ils exportent plus de denrées alimentaires de base qu'ils n'en importent, et que, parallèlement, une grande partie des groupes pauvres de la population vend des denrées alimentaires. La Thaïlande et le Vietnam, où la situation alimentaire s'est globalement améliorée, font, par exemple, partie de ce groupe.

Les pays rangés dans le deuxième groupe présentent souvent les caractéristiques suivantes: mauvaises infrastructures de base (notamment réseau routier), manque de flexibilité de l'offre en denrées alimentaires, dysfonctionnements des marchés, faible capacité en terme d'importation de denrées alimentaires, instabilité politique et situation sécuritaire fragile, forte dépendance envers un seul aliment de base et vulnérabilité face aux variations et aux changements climatiques. Dans nombre de ces pays, les hausses des prix ont suscité des troubles sociaux et provoqué des «émeutes de la faim» (Burkina Faso, Cameroun, Egypte, Haïti, Mauritanie, Mozambique, Yémen).

Au sein des pays particulièrement touchés, certains groupes de la population sont plus fortement exposés à la hausse de prix. Il s'agit notamment de la population pauvre des villes et des ménages ruraux qui n'ont pas assez d'argent pour acheter des aliments de base et qui ne parviennent pas à les produire eux-mêmes en quantités suffisantes.

Les enfants en bas âge sont particulièrement menacés, car souffrir de malnutrition dans les 1000 premiers jours de la vie engendre des séquelles à long terme qui réduisent les chances de rester en bonne santé tout au long de la vie. Comme beaucoup de ménages pauvres vivent déjà avec le minimum vital et n'ont pas d'économies, même les hausses de prix passagères peuvent pousser ces ménages à s'endetter encore plus et leur faire perdre leur équilibre économique. Dans le milieu rural, cela signifie que les moyens de production (le bétail ou la terre) doivent alors être vendus, ou que les intérêts des dettes ne peuvent pas être payés. La vente de bétail ou de terre constitue une menace de pauvreté, car les bases de la production pour l'année suivante ne sont plus disponibles. Par ailleurs, les moyens supplémentaires consacrés à la nourriture ne peuvent plus couvrir d'autres dépenses comme la santé et la formation, ce qui a de nouveau des conséquences négatives pour les perspectives de développement à long terme des personnes et des ménages concernés, notamment les filles, qui sont souvent les premières à être retirées du système scolaire. Enfin, les fluctuations à court terme peuvent aussi décourager les agriculteurs d'investir dans les moyens de production, car la sécurité en matière de planification est
moindre. La FAO estime que le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté de 8 % au total sur le continent africain entre 2007 et 200815.

En revanche, dans une perspective à long terme, la tendance à la hausse des prix, associée à un cadre politique solide, peut contribuer à accroître les incitations à 15

FAO (2011): L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde. Comment la volatilité des cours internationaux porte-t-elle atteinte à l'économie et à la sécurité alimentaire des pays? p.10

2309

investir dans le secteur agricole et, par là-même, à augmenter la production de denrées alimentaires, notamment dans les pays en développement. La capacité de résistance d'un pays ou d'une région face aux variations de prix des aliments de base peut ainsi être renforcée, à condition que les perspectives en matière de prix soient relativement stables et que les moyens de productions nécessaires, comme la terre, les semences et l'engrais soient disponibles. Une augmentation de la production de denrées alimentaires va de pair avec une hausse de la demande en main-d'oeuvre, ce qui entraîne un accroissement des possibilités de gagner de l'argent dans les régions rurales ou une hausse des salaires pour les travailleurs agricoles. Cependant, ce processus prend généralement plusieurs années et ne peut pas compenser la hausse des dépenses alimentaires des ménages à court terme.

L'augmentation des investissements, et donc de la productivité, dans le secteur agricole peut avoir des effets globalement positifs sur le développement rural. En effet, de plus hauts revenus dans le secteur agricole peuvent conduire à une plus forte demande en biens non-agricoles et en services, créant une dynamique économique locale qui offre des possibilités de revenus dans d'autres secteurs.

2.3

Réactions politiques

Les fortes variations de prix observées depuis 2007 et leurs conséquences pour les couches pauvres de la population des pays en développement ont déclenché des discussions politiques et donné lieu à des propositions de réformes dans différents domaines16. Les sections qui suivent présentent les réactions en lien avec la politique agricole internationale et la réglementation des marchés à terme des marchandises aux niveaux national et international. L'accent est mis sur la réglementation des marchés à terme (des marchandises), qui est également au coeur de l'initiative. La contribution de la coopération suisse au développement dans la sécurité alimentaire mondiale est également relevée.

2.3.1

Politique agricole internationale

L'un des points clés des discussions politiques a été l'amélioration du fonctionnement des marchés agricoles physiques, notamment par le biais de l'augmentation de la transparence des marchés (p. ex. meilleure information sur la production, le commerce international et le volume des stocks), de la constitution de stocks d'urgence, qui peuvent servir de volant de sécurité, de la politique commerciale internationale (p. ex. suppression des restrictions à l'exportation des denrées alimentaires) et d'une meilleure coordination des interventions politiques en cas de crise.

Le développement du Système d'information sur les marchés agricoles (AMIS), créé lors de la réunion du G20 de juin 2011 pour accroître la transparence des marchés agricoles, constitue l'une des principales décisions politiques internationales dans ce domaine. Les organisations internationales qui font autorité en matière de développement et de sécurité alimentaire (p. ex. Banque mondiale, CNUCED, FAO, OCDE, et OMC) ont institué un secrétariat commun qui fournit, dans un premier temps pour 16

Pour une vue d'ensemble, cf. le rapport Price Volatility in Agricultural Markets: Policy Responses, publié en juin 2011 par 10 organisations internationales.

2310

le blé, le maïs, le riz et le soja, des données objectives et actuelles ainsi que des informations sur la production, le commerce, l'utilisation et le volume des stocks.

Les membres de l'AMIS sont les pays du G20, l'Espagne, ainsi que les principaux producteurs, importateurs et exportateurs de ces matières premières (Egypte, Kazakhstan, Nigéria, Philippines, Thaïlande, Ukraine et Vietnam). L'objectif est de consolider d'abord l'AMIS dans sa forme actuelle, avant d'y ajouter d'autres matières premières et d'autres membres.

Par le biais de différentes organisations internationales (en particulier la FAO et l'OMC), la Suisse soutient les efforts visant à améliorer le fonctionnement des marchés agricoles internationaux. Afin de renforcer la sécurité alimentaire, elle s'attache actuellement, dans le cadre du Cycle de Doha, à préciser, en collaboration avec d'autres pays, les règles concernant les restrictions à l'exportation dans les négociations agricoles. Le droit actuel de l'OMC règle avant tout la concurrence du côté de l'offre sur les marchés intérieurs (levée des barrières douanières, suppression des subventions à la production) et sur les marchés d'exportation (suppression des subventions à l'exportation). Les règles sont moins développées en ce qui concerne la demande. A titre d'exemple, les restrictions à l'exportation, qui ont fortement contribué à la volatilité des prix observée depuis 2007, sont aujourd'hui admises sous certaines conditions par le droit de l'OMC ou ne sont que partiellement réglementées.

De plus, des négociations sont en cours afin de trouver une solution permanente pour réglementer, notamment à la demande de l'Inde, la constitution de stocks alimentaires. La Suisse soutiendra des solutions qui accordent aux pays en développement une marge de manoeuvre politique suffisante pour améliorer la sécurité alimentaire sur leur territoire national, sans que cela ne cause une forte distorsion de la concurrence internationale dans le commerce des produits agricoles. Pour autant que l'issue des négociations soit positive, le développement des principaux thèmes de l'OMC relatifs au commerce des produits agricoles (accès aux marchés, soutien interne, concurrence à l'exportation) contribuera à renforcer le rôle des marchés agricoles internationaux dans la stabilisation de l'approvisionnement alimentaire.

2.3.2

Réglementation des marchés à terme des marchandises

Au chapitre de la réglementation des marchés à terme des marchandises, il convient de mentionner la discussion menée au sein du G20 (qui ne porte pas uniquement sur les produits dérivés agricoles, mais sur tous les dérivés de matières premières). Les pays du G20 avaient convenu en 2009 déjà de s'attaquer à la forte volatilité des prix des matières premières. Ils avaient notamment pour objectif d'améliorer le fonctionnement et la transparence des marchés physiques (cf. plus haut) et des marchés financiers, et de lutter contre les abus et les manipulations du marché. Toutefois, aujourd'hui, la réglementation des marchés à terme des marchandises ne figure plus parmi les priorités du G2017.

17

Ce thème n'est plus mentionné dans le dernier «G20 Leaders Communiqué» (15 et 16.11.14). De plus, les comités internationaux pertinents (OICV, CSF) n'ont plus reçu de mandat à ce sujet.

2311

Les travaux du G20 ont débouché sur les principes relatifs à la réglementation et à la surveillance des marchés de dérivés de matières premières18, développés en 2011 par l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV)19 sous l'égide du G20 et du Conseil de stabilité financière (CSF). L'interdiction, prévue par l'initiative, d'investir dans certaines catégories de dérivés n'a, pour l'instant, pas été proposée dans le cadre des discussions de réforme. Selon les connaissances actuelles, une telle interdiction n'est à l'ordre du jour dans aucun pays, à l'exception de la France20.

L'OICV a défini 22 principes, qui sont divisés en cinq groupes21. Ces principes concernent tous les produits dérivés de matières premières et constituent la référence internationale en matière de réglementation et de surveillance des marchés de dérivés de matières premières. Ils ont pour but, d'une part, de veiller à ce que les marchés de dérivés de matières premières puissent jouer leur rôle dans la formation des prix et la fourniture de couverture et, d'autre part, d'empêcher d'éventuelles manipulations des marchés. Il importe de distinguer l'abus de marché de la spéculation.

Dans le premier cas, un acteur puissant tente de manipuler à court terme les prix dans un sous-segment du marché. Dans le second, un acteur réalise des opérations sur dérivés dans l'espoir que les prix augmentent ou diminuent. Les principes de l'OICV ne sont pas directement dirigés contre la spéculation. Dans un rapport publié en octobre 201222 et dans la version actualisée de septembre 201423, l'OICV parvient à la conclusion que la plupart des pays concernés, dont la Suisse, respectent déjà largement ces principes.

Selon les principes de l'OICV, la surveillance des marchés24 devrait disposer des instruments adéquats pour intervenir dès que les marchés ne fonctionnent plus correctement. Elles devraient notamment avoir la possibilité d'introduire des limites de position. Celles-ci restreignent le nombre de dérivés de certaines catégories qu'un acteur du marché peut détenir durant une période déterminée. Elles sont fixées par une autorité ou une place de négociation et permettent de limiter l'influence d'un acteur sur les prix et l'évolution du marché. Leur objectif est d'empêcher une manipulation du marché par la constitution de
positions importantes.

L'UE et les Etats-Unis, deux juridictions ayant d'importants marchés à terme des marchandises, sont en train de revoir leur réglementation et envisagent d'introduire (UE) ou d'étendre (Etats-Unis) des limites de position pour les opérations spécula18 19 20

21

22 23 24

OICV (2011): Principles for the Regulation and Supervision of Commodity Derivatives Markets ­ Final Report.

La FINMA est membre de l'OICV.

En France, une loi de régulation et de séparation des activités bancaires est en vigueur depuis juin 2013, qui interdit aux banques de spéculer pour leur compte propre sur les dérivés de matières premières agricoles. Cette interdiction ne concerne pas le négoce pour le compte de tiers.

Conception des contrats; surveillance des marchés de dérivés de matières premières; lutte contre les dysfonctionnements des marchés de dérivés de matières premières; application et échange d'informations; renforcement de la transparence des prix sur les marchés de dérivés de matières premières.

OICV (2012): Survey on Implementation of the Principles for the Regulation and Supervision of Commodity Derivatives Markets ­ Final Report.

OICV (2014): Update to Survey on the Principles for the Regulation and Supervision of Commodity Derivatives Markets ­ Final Report.

Selon la définition de l'OICV, le terme «surveillance des marchés» englobe, d'une part, les autorités de surveillance des marchés financiers et, d'autre part, les marchés réglementés et leurs organes de surveillance.

2312

tives sur ces marchés. Une exemption est prévue pour les positions détenues à des fins de couverture. Cette concentration sur la spéculation a pour objectif de restreindre aussi peu que possible les opérations des acteurs commerciaux qui souhaitent se prémunir contre des risques liés aux prix. L'ampleur de la réduction des opérations spéculatives dépendra de la mise en oeuvre des limites de position et de la réaction des acteurs. Il n'est pas exclu que ces opérations soient simplement transférées vers d'autres marchés ou d'autres matières premières, ou que leur volume reste inchangé en raison de la division des positions entre les petits acteurs. Toutefois, les limites de position rendront plus difficile la manipulation du marché par des acteurs dominants.

Aux Etats-Unis, la mise en oeuvre a été retardée en raison d'une procédure judiciaire.

Pour l'heure, seule la nouvelle proposition de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) est disponible, il n'existe aucune disposition d'exécution définitive.

L'UE a publié en juin 2014 la directive concernant les marchés d'instruments financiers (MIF II), qui prévoit, entre autres, l'utilisation de limites de position pour les opérations spéculatives (cf. art. 57 de la directive MIF II). L'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) doit soumettre à la Commission européenne, d'ici au 3 juillet 2015, des projets de normes techniques de réglementation. Les pays membres ont jusqu'au 3 juillet 2016 pour édicter les dispositions nécessaires à la transposition de la directive dans leur législation nationale. Ces dispositions doivent entrer en vigueur le 3 juillet 2017.

En plus d'être concerné par les exigences spécifiques relatives à la réglementation des marchés à terme des marchandises, le négoce de produits dérivés a attiré l'attention de la communauté internationale à la suite de la crise financière. Force a été non seulement de constater que les marchés de dérivés négociés de gré à gré (over the counter, OTC) ne sont pas suffisamment transparents et n'offrent pas assez de garanties, mais encore qu'ils pouvaient mettre en danger la stabilité de l'ensemble du système financier en raison de leur forte imbrication internationale, des risques de défaillance et du volume important des échanges. Depuis, des efforts ont été entrepris pour améliorer la
transparence et la stabilité des marchés de dérivés de gré à gré.

Les pays du G20 se sont notamment engagés à veiller à ce que les contrats dérivés de gré à gré standardisés soient compensés par l'intermédiaire d'une contrepartie centrale, à ce que toutes les opérations sur dérivés de gré à gré soient déclarées à des référentiels centraux et à ce que les opérations sur dérivés de gré à gré standardisées soient négociées par l'intermédiaire de bourses ou d'autres plateformes électroniques si cela s'avère judicieux. Les pays du G20 ont chargé le CSF d'édicter des recommandations en vue de la mise en oeuvre des engagements précités et de surveiller leur application. A l'échelle mondiale, les dérivés de gré à gré de matières premières ne constituent qu'une infime partie des dérivés OTC, puisqu'ils ne représentent qu'environ 0,4 % de la valeur de tous les contrats en cours25.

25

Moyenne de la valeur des contrats en cours entre juin 2009 et juin 2014 selon les chiffres de la Banque des règlements internationaux (BRI), cf. www.bis.org > Statistics > Derivatives.

2313

2.3.3

Situation juridique et projets actuels de réglementation en Suisse

La réglementation du marché financier suisse ne connaît pas de dispositions spécifiques sur le négoce de produits dérivés de matières premières ni sur d'autres instruments financiers en rapport avec les matières premières. Néanmoins, les dispositions générales de la loi sur les bourses sont applicables au commerce des valeurs mobilières.

Il convient en outre de préciser qu'il n'existe pas de bourse de matières premières physiques ni de bourse de dérivés notable en Suisse. Des produits dérivés agricoles ne sont échangés que sur Eurex Zurich26. Leur volume est toutefois faible, et les contrats sont réglés uniquement en espèces, sans livraison «physique» des matières premières achetées. Par ailleurs, Eurex a annoncé que les produits dérivés agricoles qui sont encore échangés à Zurich seront transférés à Leipzig en mai 201527. A partir de cette date, il n'y aura donc plus de plateforme de négociation en Suisse pour réaliser des opérations sur des produits dérivés agricoles. Des produits structurés et des fonds qui contiennent des produits dérivés agricoles sont échangés sur SIX Structured Products Exchange et SIX Swiss Exchange.

En Suisse, la réglementation des bourses est fondée sur l'autorégulation, qui implique que les places de négociation définissent elles-mêmes les règles applicables au négoce et aux participants au négoce. Ces règles doivent toutefois être avalisées par la FINMA. Les trois plateformes susmentionnées ont ainsi déjà la possibilité d'intervenir lorsque le marché ne fonctionne pas correctement. Dans le cadre de la régulation du marché, les plateformes SIX peuvent prendre toute mesure qui leur semble nécessaire afin de maintenir un négoce juste et ordonné. Pour garantir un négoce dans les règles, Eurex peut, par exemple, fixer des limites de position ou encore interrompre ou suspendre le négoce. La Suisse respecte ainsi également les principes de l'OICV qui portent sur les limites de position.

En accord avec les efforts internationaux consentis pour réformer les marchés de dérivés OTC, le Conseil fédéral a approuvé, le 3 septembre 2014, le message relatif à la loi sur l'infrastructure des marchés financiers (LIMF)28 et l'a soumis au Parlement. Le projet vise à réglementer de façon homogène, tout en tenant compte de l'évolution du marché et des directives internationales, les
infrastructures des marchés financiers et les obligations des participants à ces marchés lors de la négociation de titres et de dérivés (règles de comportement sur le marché). Outre les dispositions prudentielles applicables aux infrastructures des marchés financiers, la LIMF contient des règles portant sur le négoce de dérivés. Etant donné que la majeure partie de ce dernier s'effectue par-delà les frontières et prioritairement avec l'UE, la réglementation proposée s'inspire principalement du droit de l'UE. Par conséquent, les trois obligations centrales du négoce de dérivés devront également s'appliquer en Suisse: l'obligation de compenser par l'intermédiaire d'une contrepartie centrale, l'obligation de déclarer à un référentiel central et l'obligation de réduire les risques.

Contrairement à la réglementation européenne, des exceptions ont été définies pour 26

27 28

Les actifs sous-jacents des produits dérivés agricoles qui s'échangent actuellement sur Eurex sont le beurre, les pommes de terre, le lactosérum, la poudre de lait écrémé, le porc à l'engrais et le porcelet.

Cf. communiqué de presse du 10 juin 2014, publié sur www.eurexchange.com > About us > News.

FF 2014 7235

2314

les plus petits cocontractants du secteur financier. Ces exceptions ont été introduites pour des raisons de proportionnalité et par analogie avec les dispositions américaines correspondantes. Le projet de loi contient les bases légales de l'obligation de réaliser les opérations sur dérivés par l'intermédiaire d'une bourse ou d'un autre système de négociation, mais elles n'entreront en vigueur que lorsque cette obligation aura également été instaurée dans les Etats partenaires.

Les règles de la LIMF s'appliquent également aux produits dérivés de matières premières, raison pour laquelle le projet de loi devrait également accroître la transparence dans ce segment du marché. S'agissant de la négociation à haute fréquence, également souvent critiquée dans le cadre du négoce de matières premières, la LIMF prévoit une disposition qui impose aux places de négociation de garantir une négociation ordonnée. Conformément à cette disposition, une place de négociation pourrait et devrait intervenir si une activité de négoce dans un segment donné mettait en danger la négociation ordonnée. Le projet de LIMF joint au message du Conseil fédéral ne comporte aucune disposition instaurant des limites de position, c'est-àdire des restrictions du nombre de contrats ouverts que peut détenir un même opérateur. Pour que la réglementation de la Suisse soit équivalente à celle de l'UE dans ce domaine, le Conseil fédéral a décidé de proposer d'ajouter à la loi une disposition allant dans ce sens dans le cadre du débat parlementaire concernant la LIMF. Durant sa séance du 13 janvier 2015, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) s'est toutefois prononcée contre cette proposition.

2.3.4

Contribution de la coopération suisse au développement dans la sécurité alimentaire mondiale

Le Conseil fédéral oeuvre à relever le défi de la sécurité alimentaire mondiale dans le cadre, principalement, de la coopération suisse au développement. La lutte contre la faim et en faveur d'une meilleure sécurité alimentaire dans les pays en développement revêt ici une grande priorité, à laquelle la Suisse répond par différentes approches. Elle s'engage, d'une part, dans des projets à long terme au titre de la coopération au développement et participe, d'autre part, aux opérations internationales d'aide humanitaire d'urgence lors des crises alimentaires. Ces dernières opérations sont déployées essentiellement dans le cadre de différentes organisations et au titre de différents programmes des Nations Unies. Les principaux sont le Programme alimentaire mondial, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, l'UNICEF et la FAO. Ces programmes soutiennent chaque année quelque 90 millions de personnes dans le monde lors de situations de crise aiguë, en leur fournissant une aide alimentaire et des compléments alimentaires. Actuellement, par exemple, le Programme alimentaire mondial apporte une aide alimentaire d'urgence en République centrafricaine, en Irak, en Syrie, au Soudan du Sud et dans les pays touchés par Ebola. A cet égard, les variations de prix sur les marchés internationaux font partie des défis majeurs, car elles influencent fortement la quantité et la qualité des denrées alimentaires disponibles et ont par conséquent un impact direct sur l'aide fournie. Pour la période 2013 à 2016, la Suisse participe à des projets d'aide humanitaire pour plus de 1,8 milliard de francs29.

29

FF 2012 2337

2315

En matière de coopération suisse au développement, l'agriculture et la sécurité alimentaire constituent l'un des neuf thèmes pour le crédit-cadre «Coopération technique et aide financière en faveur des pays en développement 2013­2016», et sont abordées de manière spécifique par le programme global Sécurité alimentaire.

Environ 15 % des dépenses totales de la coopération suisse au développement (quelque 250 millions de francs) sont investies dans le domaine de l'agriculture et de la sécurité alimentaire, dont 33 % en Asie, 26 % en Afrique, un peu moins de 10 % en Amérique latine et dans le bassin méditerranéen, et environ 32 % dans des programmes globaux.

Concrètement, la politique suisse de coopération au développement de la DDC et du SECO promeut la mise en place de systèmes de droit foncier équitables et l'exploitation durable des ressources (sols, pâturages, eau). Elle encourage par ailleurs les améliorations durables sur les plans économique, écologique et social de la productivité des petites exploitations paysannes ainsi que l'établissement de chaînes de valeur ajoutée axées sur le marché. Enfin, elle soutient la recherche appliquée en agriculture, les services de conseil et de formation à destination des populations rurales, ainsi que l'entraide et la représentation des intérêts des petits paysans et de leurs associations. Les stratégies et les mesures visent entre autres à renforcer la sécurité alimentaire des groupes de population les plus faibles dans les pays en développement. Sur le plan intérieur, les services chargés de la coopération internationale s'attachent à assurer la cohérence des objectifs, des activités et des instruments de la Confédération dans le cadre pertinent de la politique économique extérieure.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

L'initiative populaire a pour objectif de lutter contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires. Selon l'argumentaire de l'initiative30, la formation des prix sur les marchés à terme des produits agricoles et le fonctionnement des marchés agricoles pourraient ainsi être améliorés, et la sécurité alimentaire dans les pays en développement pourrait être renforcée.

Les auteurs de l'initiative sont d'avis que la «financiarisation» des marchés à terme des marchandises a engendré une activité spéculative excessive sur ces marchés.

Celle-ci aurait provoqué la formation d'une bulle des prix entre 2007 et 2009 et le renchérissement largement injustifié d'une multitude de produits agricoles entre 2010 et 2011 (cf. ch. 2.1). La spéculation aurait donc largement contribué aux crises alimentaires qui ont éclaté dans nombre de pays en développement.

30

Cf. www.juso.ch > Campagne > Stop spéculation > Argumentaire en détail.

2316

3.2

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Afin de mieux saisir le contenu de l'initiative, la présente section présente et explique certaines notions et expressions issues du texte de l'initiative.

Art. 98a (nouveau), al. 1, phrase introductive et let. a «les matières premières agricoles et les denrées alimentaires» Les matières premières agricoles désignent les matières premières d'origine végétale ou animale. Il s'agit, entre autres, des céréales (riz, blé, maïs), des plantes sarclées (pomme de terre, canne à sucre, betterave sucrière), des oléagineux et des fruits à coque (cacao, grain de café, colza, cacahuète), des fruits, ainsi que d'autres matières végétales comme le coton ou le caoutchouc. Selon l'argumentaire, la notion inclut également les différentes catégories de matières premières issues de la production agricole qui ne sont pas destinées à la consommation humaine, comme le bioéthanol ou les aliments pour animaux.

La notion de denrée alimentaire désigne les matières premières agricoles transformées ou non transformées qui sont destinées à la consommation humaine31. Dans le présent message, denrées alimentaires et matières premières agricoles sont regroupées sous le terme «produits agricoles».

La définition fournie par les auteurs de l'initiative n'inclut pas les matières premières énergétiques (pétrole et gaz naturel, p. ex.) ni les matières premières minérales (or, argent, cuivre, fer, p. ex.).

Art. 98a (nouveau), al. 1, let. a «les autres investisseurs institutionnels» Dans le droit suisse des marchés financiers, la notion d'investisseur institutionnel englobe toutes les entreprises «dont la trésorerie est gérée à titre professionnel» (art. 1, let. a, de l'ordonnance du 22 novembre 2006 sur les placements collectifs32).

Cette définition implique que les entreprises concernées ont confié durablement l'administration de leurs investissements financiers à au moins un gestionnaire financier professionnel et qualifié. Dans ce sens, si elles remplissent cette condition, les entreprises actives dans le négoce des matières premières et l'industrie alimentaire sont visées par l'initiative au même titre que les entreprises financières (p. ex.

banques, négociants en valeurs mobilières, caisses de pension) qui y sont mentionnées.

«ni directement ou indirectement» Selon l'argumentaire, la formulation «ni directement ou indirectement»
vise à interdire aux entreprises mentionnées ayant leur siège ou une succursale en Suisse «non seulement la spéculation pratiquée directement, mais aussi celle déléguée à des filiales à l'étranger ou à d'autres tierces entreprises». Il reste toutefois à déterminer

31

32

Crise alimentaire et pénurie de matières premières et de ressources, rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Stadler du 29 mai 2008, p. 19, cf. www.ofag.admin.ch > Documentation > Publications > Rapports.

RS 951.311

2317

les entreprises ou sociétés qui sont concrètement concernées et la manière dont cette disposition peut et doit être interprétée en regard du principe de territorialité33.

Dans le présent message, cette formulation est interprétée de manière restrictive, c'est-à-dire que l'interdiction à l'étranger vaut uniquement pour les entreprises qui ont leur siège en Suisse. Pour ces entreprises, l'interdiction a donc une portée internationale, tandis que, pour les entreprises étrangères, elle ne frappe que les opérations qu'elles réalisent par le biais de leurs succursales ou filiales suisses. Par conséquent, une entreprise ayant son siège à l'étranger et une succursale en Suisse mais qui n'effectue pas d'opérations portant sur les instruments financiers visés par l'initiative depuis cette succursale ne serait pas concernée par l'initiative. Pour que l'interdiction puisse avoir la portée extraterritoriale voulue par cette interprétation, il serait nécessaire de prévoir des sanctions qui garantiraient son respect universel par les entreprises qui ont leur siège en Suisse.

«instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles et à des denrées alimentaires» Comme exposé au ch. 2.1, les marchés à terme des marchandises et les produits dérivés agricoles qui y sont négociés sont au coeur du débat concernant les conséquences de la spéculation sur les prix des denrées alimentaires. Cette formulation désigne donc les produits dérivés dont le sous-jacent est un produit agricole et les produits financiers (fonds ou produits structurés) qui contiennent de tels dérivés.

La restriction aux opérations à terme a pour conséquence que les opérations spéculatives qui se déroulent sur les marchés au comptant, par exemple lorsque des personnes constituent un stock des matières premières concernées afin de pousser les prix vers le haut, ne sont pas visées par l'initiative.

Art. 98a (nouveau) , al. 1, let. b «Les contrats conclus avec des producteurs et des commerçants de matières premières agricoles et de denrées alimentaires qui portent sur la garantie des délais ou des prix fixés pour livrer des quantités déterminées sont autorisés.» Cette disposition restreint encore l'interdiction générale, fixée à la let. a, d'investir dans des produits dérivés agricoles. Si, dans le cadre d'une opération sur dérivés,
l'une des parties a des intérêts spéculatifs tandis que l'autre souhaite obtenir une «garantie [...] pour livrer des quantités déterminées» (hedging), le spéculateur a tout de même le droit de conclure le contrat. L'idée sous-jacente à cette disposition est que les spéculateurs qui, en servant de contrepartie, facilitent la fourniture de garanties aux acteurs commerciaux34 sont utiles et nécessaires au marché (cf. ch. 4.2).

L'interdiction ne vise donc pas la spéculation en général, mais uniquement les opérations où aucune des deux parties ne souhaite se prémunir contre des risques.

33

34

Le principe de territorialité est utilisé en droit public et veut que le droit public suisse s'applique uniquement aux faits qui se déroulent en Suisse. Concernant l'extension d'une norme juridique aux faits ayant eu lieu à l'étranger, cf. ATF 133 II 331 consid. 6.1.

Sont considérées comme des acteurs commerciaux les entreprises qui sont également actives dans le négoce de biens agricoles physiques, c.-à-d. les producteurs, les transformateurs et les commerçants.

2318

Art. 98a (nouveau) , al. 2, let. b «les entreprises fautives peuvent, indépendamment d'un éventuel manque d'organisation, être sanctionnées directement» Cette formulation suggère que seules les entreprises doivent être sanctionnées, «indépendamment d'un éventuel manque d'organisation». Cela correspond à une sorte de responsabilité causale relevant du droit pénal (inspirée du modèle américain de strict corporate liability), qui serait engagée indépendamment de la punissabilité d'une personne physique et indépendamment d'un reproche (faute organisationnelle) qui pourrait être formulé à l'encontre de l'entreprise. Ce faisant, l'initiative s'écarte fortement du droit pénal des entreprises inscrit dans le code pénal (CP)35 et le code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)36. Selon ce droit, un crime ou un délit qui est commis au sein d'une entreprise dans l'exercice d'activités commerciales conformes à ses buts est imputé à l'entreprise s'il ne peut être imputé à aucune personne physique déterminée en raison du manque d'organisation de l'entreprise (art. 102, al. 1, CP et 59a, al. 1, CPM). L'entreprise peut également être sanctionnée si elle n'a pas suffisamment satisfait à son obligation d'empêcher une infraction prévue par le droit (blanchiment d'argent, corruption, etc.) (art. 102, al. 2, CP et 59a, al. 2, CPM).

Dans leur argumentaire (ch. 5), les auteurs de l'initiative mentionnent uniquement la responsabilité de l'entreprise en raison du manque d'organisation de celle-ci conformément à l'art. 102, al. 1, CP. Par contre, l'argumentaire ne traite pas de l'obligation de l'entreprise d'empêcher une infraction conformément à l'art. 102, al. 2, CP, qui revêt pourtant une plus grande importance en pratique, ni du fait que la punissabilité au sens des art. 102 CP et 59a CPM découle d'une infraction qui doit avoir été commise par une personne physique.

L'introduction, préconisée par l'initiative, d'une responsabilité causale des entreprises qui relève du droit pénal présente des problèmes fondamentaux. De par sa nature, la responsabilité causale relève du droit civil ou du droit administratif, mais pas du droit pénal. Le droit pénal suisse se fonde sur le principe de culpabilité, qui, en droit pénal des entreprises, concerne la culpabilité sociale et non morale37.

L'introduction d'une responsabilité
causale des entreprises qui relève du droit pénal comporte ainsi le risque de remettre en question le système de responsabilité en dehors du cadre de la législation pénale, étant donné qu'une infraction ne serait plus imputable en premier lieu à la personne qui l'a commise. Selon le droit civil, les entreprises ont l'exercice des droits civils dès qu'elles possèdent les organes nécessaires et, dans le cas d'une inscription constitutive au registre du commerce, dès leurs inscription au registre du commerce. Les organes se composent de personnes physiques, qui sont personnellement responsables de leurs fautes (concernant les personnes morales, cf. art. 54 s. du code civil38). L'introduction d'une responsabilité causale pénale engendrerait une contradiction d'appréciation au sein de l'ordre juridique suisse.

35 36 37

38

RS 311.0 RS 321.0 Pour plus de détails, cf. message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (FF 1999 1787 1946 s. 1949 s.).

RS 210

2319

Toutefois, il convient de ne pas assouplir ni supprimer sans raison des principes fondamentaux en introduisant une responsabilité causale pénale sur le modèle américain, sans prendre en considération qu'il s'agit d'un ordre juridique très différent.

Il serait absurde et injuste de pouvoir sanctionner «directement» (responsabilité causale) des entreprises pour des opérations de spéculation interdites sur les denrées alimentaires, sans exiger qu'une faute «personnelle» ait été commise sous la forme d'une infraction ou d'une faute organisationnelle. Cette proposition risquerait d'entraîner une instrumentalisation politique du code pénal, étant donné que c'est l'entreprise qui serait «directement» sanctionnée, et non ceux qui sont «indirectement» visés (les gestionnaires de l'entreprise).

Il convient de se demander si l'initiative nécessite réellement l'introduction d'une responsabilité causale pénale de l'entreprise qui viole l'interdiction d'investir. Quoi qu'il en soit, l'initiative ne doit pas forcément être interprétée en ce sens qu'elle exclut la punissabilité des personnes physiques qui violent cette interdiction. En plus de sanctionner directement les entreprises, il serait ainsi envisageable de rendre punissable la violation, par des personnes physiques, de l'interdiction d'investir. En cas d'acceptation de l'initiative, il reviendra au législateur de clarifier les détails de la mise en oeuvre du texte.

3.3

Contenu de la réglementation proposée

Au coeur de l'initiative se trouve donc l'interdiction des opérations portant sur des produits dérivés agricoles lorsqu'aucune des deux parties ne cherche à obtenir une garantie. Cette interdiction doit avoir une portée internationale pour les entreprises ayant leur siège en Suisse; pour les entreprises étrangères ayant une filiale ou une succursale en Suisse, elle doit s'appliquer uniquement aux opérations réalisées par cette filiale ou succursale. Cette mesure a pour objectif de mettre un terme aux opérations spéculatives qui ne servent pas à faciliter la fourniture de garanties aux acteurs commerciaux. L'initiative fixe en outre que la Confédération doit s'engager au niveau international en faveur d'une lutte efficace contre la spéculation sur les matières premières agricoles et les denrées alimentaires (al. 3).

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des demandes de l'initiative

Le Conseil fédéral est conscient que le négoce des aliments de base est une question particulièrement sensible dans le contexte des droits de l'homme, notamment du droit à l'alimentation. Le droit de chaque être humain à une alimentation suffisante est reconnu dans plusieurs instruments de droit international. Le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte I de l'ONU)39 traite de ce droit avec plus d'acuité qu'aucun autre instrument juridique.

En vertu de l'art. 11, al. 1, de ce pacte, les Etats parties reconnaissent «le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence» et, en vertu de l'art. 11, al. 2, que des 39

RS 0.103.1

2320

mesures appropriées peuvent être nécessaires pour garantir «le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim». Le droit à une nourriture suffisante est indissociable de la dignité de la personne humaine et est indispensable à la réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la Charte internationale des droits de l'homme.

En ce sens, le Conseil fédéral soutient les objectifs des auteurs de l'initiative d'améliorer la sécurité alimentaire et de lutter contre la pauvreté des pays en développement. Indépendamment du fait si oui ou non la spéculation entraîne des distorsions au niveau du prix des denrées alimentaires, un prix élevé pour les aliments de base peut avoir de lourdes conséquences pour la population des pays en développement.

Le Conseil fédéral aborde le problème des fortes fluctuations de prix et de leurs conséquences sur la sécurité alimentaire des pays en développement au travers de plusieurs approches. Dans le cadre de la politique agricole internationale, ses efforts portent sur le bon fonctionnement des marchés agricoles (cf. ch. 2.3.1). Une réglementation appropriée des marchés à terme des marchandises est également essentielle. Dans ce dossier, la Suisse oeuvre, tant au niveau national qu'international (p. ex. dans le cadre de l'OICV), au bon fonctionnement et à la transparence desdits marchés, pour qu'ils puissent remplir leurs importantes missions économiques (cf. ch. 2.3.2). Finalement, la Confédération s'engage, dans le cadre de la coopération suisse au développement, pour un renforcement durable de l'agriculture dans les pays en développement ainsi que dans l'aide humanitaire d'urgence (cf. ch. 2.3.4).

4.2

Appréciation des thèses centrales de l'initiative

L'initiative postule que, ces dernières années, la spéculation sur les marchés à terme des marchandises a fortement éloigné le prix des denrées alimentaires du niveau justifié par les facteurs fondamentaux, c'est-à-dire qu'elle a entraîné des distorsions substantielles des prix. La spéculation aurait de ce fait contribué de manière déterminante, entre 2007 et 2009, à la formation d'une bulle et, en 2010 et 2011, à une forte hausse du prix de nombreux biens agricoles et matières premières.

4.2.1

Fonctions des marchés à terme des marchandises et rôle de la spéculation

La fonction principale des marchés à terme des marchandises est de permettre aux acteurs commerciaux du marché de se prémunir contre les risques liés au prix ou aux volumes. C'est particulièrement important pour le prix des biens agricoles qui connaissent souvent de très fortes variations. Par exemple, si un producteur a l'assurance de pouvoir écouler sa prochaine récolte à un prix garanti, cela lui permet de mieux planifier et de gérer son activité. De même, si un transformateur (un torréfacteur, p. ex.) sait qu'il pourra vendre dans trois mois des grains de café à un prix déterminé, il bénéficie alors lui aussi d'une sécurité en matière de planification et peut gérer ses stocks plus efficacement. D'une manière générale, ce mécanisme permet de limiter les risques commerciaux résultant d'éventuelles fluctuations de prix ou des récoltes. Ce mode d'utilisation des marchés à terme est appelé, comme mentionné plus haut, couverture (hedging), et les acteurs correspondants, des opérateurs en couverture (hedgers).

2321

Ce mécanisme met également en lumière une première fonction importante de la spéculation sur ces marchés. Si, par exemple, plus de producteurs que de transformateurs veulent couvrir leurs risques, ou que les besoins en couverture de ces différents groupes ne coïncident pas en termes de volumes ou de dates de livraison, les spéculateurs peuvent combler cette lacune en servant de contrepartie. Ils offrent alors une alternative aux acteurs commerciaux qui, autrement, n'en auraient pas. Etant donné que les besoins des opérateurs en couverture (hedgers) ne coïncident normalement pas, les spéculateurs facilitent en premier lieu la couverture. Comme indiqué au ch. 3.2, cette fonction de la spéculation est également jugée positive par les auteurs de l'initiative.

La deuxième fonction importante des marchés à terme qui publient les prix de transaction est de faciliter la fixation du prix des biens agricoles et de donner ainsi un prix de référence à l'échelle mondiale. Lorsque les marchés à terme fonctionnent bien, les prix communiqués donnent une idée du futur prix spot (prix sur le marché au comptant) sur la base des informations disponibles sur le moment. Ainsi, si de mauvaises conditions météorologiques affectant les champs de caféiers au Brésil sont annoncées, le prix du café brésilien sur les marchés à terme va vraisemblablement prendre l'ascenseur. De cette façon, les prix des marchés à terme correspondent à une agrégation des informations et des anticipations des agents sur le marché partout dans le monde. Ils constituent alors un prix de référence pouvant aider les acteurs à prendre des décisions opérationnelles dans le monde entier. Un paysan peut alors décider de planter moins ou davantage en fonction de l'évolution du prix du marché à terme. Ou, si un détaillant lui fait une offre pour sa récolte, il possède des éléments d'appréciation lui permettant de déterminer si cette offre est intéressante.

Dans cette fonction également, la spéculation joue un rôle déterminant car elle est le mécanisme par le biais duquel le prix reflète les informations les plus actuelles. Il peut s'agir d'informations sur la météo, la conjoncture dans les pays émergents, la propagation d'organismes nuisibles, l'utilisation de nouveaux superpétroliers qui réduisent les frais de transport, ou de nouveaux modes de
culture. Idéalement, plus les acteurs spéculent sur l'évolution des facteurs fondamentaux d'un bien donné en s'appuyant sur des informations à disposition et adaptent leurs anticipations en conséquence, plus le prix du marché à terme reflète fidèlement le prix spot auquel il faut s'attendre à l'avenir. La spéculation a donc un effet positif sur la précision de l'information contenue dans le prix. Les acteurs commerciaux du marché en profitent également, car ils peuvent plus facilement arrêter des décisions d'achat ou de vente. Il est ainsi possible de mieux évaluer les futures pénuries ou les futurs excédents, ce qui améliore globalement l'efficacité du marché.

Une autre fonction utile de la spéculation provient du «market making», dont certains acteurs ont résolument fait leur spécialité. En achetant et en vendant des dérivés avec de faibles marges, ces acteurs amènent les demandeurs et les offreurs à se rencontrer, ce qui aide au bon fonctionnement des marchés à terme. Un autre aspect concerne les liquidités injectées par les spéculateurs supplémentaires. Ces derniers offrent davantage de contreparties potentielles pour les acteurs commerciaux, et indirectement des coûts tendanciellement plus bas pour la couverture.

La spéculation assume donc différentes fonctions nécessaires et utiles sur les marchés à terme des marchandises. Ce point est d'ailleurs souligné dans l'argumentaire des auteurs de l'initiative. Par conséquent, l'initiative ne vise pas la spéculation de manière générale, mais uniquement les activités pour lesquelles aucune des deux parties ne recherche une couverture des biens physiques (cf. ch. 3.2). Comme les 2322

passages précédents l'ont montré, cette définition ne tient néanmoins compte que d'une fonction positive de la spéculation sur ces marchés. Les autres fonctions positives de la spéculation, au-delà de faciliter la couverture (i.e. la spéculation orientée sur les facteurs fondamentaux, le «market making», les liquidités supplémentaires), seraient prétéritées par la proposition des auteurs de l'initiative.

4.2.2

Effets de la spéculation sur les prix des produits agricoles

La question dans quelle mesure la spéculation sur les marchés à terme de matières premières et produits agricoles a faussé les prix des denrées alimentaires ces dernières années et a contribué à provoquer une bulle entre 2007 et 2009 et une forte hausse des prix en 2010­2011, a suscité un grand nombre d'articles dans la littérature scientifique et de la part d'organisations internationales, mais sans réponse univoque. Dans le secteur des produits agricoles, la formation des prix résulte en effet d'une interaction complexe entre divers facteurs affectant l'offre et la demande, raison pour laquelle il est difficile d'isoler la part de la spéculation dans la fluctuation des prix. En outre, il ne suffit pas de montrer que des opérations spéculatives influencent les prix, il faudrait encore démontrer que cette influence est de nature biaisée, autrement dit qu'elle a éloigné les prix des valeurs justifiées par l'offre et la demande. D'autres problèmes se posent en matière de définition et de mesure des opérations spéculatives ainsi que des données disponibles. Il n'est donc pas étonnant que la littérature empirique n'ait pas trouvé jusqu'ici de réponse univoque à la question posée.

Quant aux estimations des organisations internationales, elles divergent aussi. D'un côté, l'OCDE publiait en 2010 un article concluant que ce n'était pas la spéculation (sous forme d'investissements indiciels) qui avait entraîné des prix élevés de 2007­2008, mais bien les fondamentaux économiques. Dans ses Perspectives économiques mondiales de 2008, le FMI constatait lui aussi qu'il n'y avait pas de preuve manifeste selon laquelle des comportements spéculatifs auraient faussé les prix sur les marchés à terme ou renforcé leurs fluctuations, estimation reconfirmée dans les Perspectives économiques mondiales de 2011. L'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) parvient à la même conclusion dans son rapport de mars 2009. Un rapport de juin 2011, auquel contribuent dix organisations internationales (dont la FAO, l'OCDE, le FMI et la Banque mondiale), conclut également qu'il n'existe pas de telle preuve actuellement. D'un autre côté, une étude de la Banque mondiale de juillet 2010 conclut que les spéculations financières pourraient avoir influencé les fluctuations des prix en 2007­2008. En 2009 et 2011, la CNUCED parvient également à la conclusion que la «financiarisation» a faussé les prix sur les marchés des matières premières40.

40

Irwin, S. H., Sanders D. R. (2010), «The Impact of Index and Swap Funds on Commodity Futures Markets: Preliminary Results», OECD Food, Agriculture and Fisheries Working Papers, no 27. FMI (2008, 2011), Perspectives économiques mondiales. OICV (2009), Task Force on Commodity Futures Markets, Final Report. FAO/FMI/OCDE/Banque mondiale/CNUCED etc. (2011), Price Volatility in Food and Agricultural Markets: Policy Responses. Baffes, J. et T. Haniotis (2010), «Placing the 2006/08 Commodity Price Boom into Perspective», World Bank Policy Research Working Paper 5371. CNUCED (2009), Trade and Development Report. CNUCED (2011), Price Formation in financialized commodity markets.

2323

Si la spéculation était en mesure de fausser les prix sur les marchés à terme, sa première influence serait alors celle exercée par le biais du stockage sur les prix spot. Si une hausse des prix avait été provoquée de cette façon sur les marchés à terme, cela aurait créé une incitation pour les transformateurs ou d'autres acteurs commerciaux à constituer des stocks, puisque cette marchandise devrait être probablement achetée à prix fort à l'avenir ou pourrait être revendue à meilleur prix. Aux périodes de forte hausse des prix (2007­2008 et 2010­2011), cependant, les données disponibles montrent des stocks stables ou en diminution pour toutes les denrées alimentaires sauf le riz41. Ce fait suggère donc que les fortes hausses reflétaient une véritable raréfaction et que les stocks s'épuisaient en conséquence.

Comme nous l'avons vu au ch. 2.1, la hausse principale des engagements des investisseurs indiciels sur les marchés à terme des produits agricoles date de la période 2004­2006. En conséquence, on se serait attendu à un effet très marqué sur les prix lors de cette période si les investissements indiciels dopaient substantiellement les prix. Or le ch. 2.1 précise justement que les prix de nombreux produits agricoles y sont restés encore relativement stables et que les fortes hausses n'ont commencé que plus tard (cf. fig. 1). Les analyses économétriques montrent en outre qu'en règle générale, les changements de positions des investisseurs indiciels et d'autres acteurs financiers suivent ceux des agents commerciaux, et non l'inverse42, ce qui suggère que l'arrivée d'acteurs financiers, dans le sillage de la «financiarisation», était alimentée principalement par les besoins de couverture de la part des agents commerciaux.

Au ch. 2.1, nous avons montré que même les marchés des denrées alimentaires qui n'étaient pas «financiarisés», comme celui du riz, avaient subi de fortes hausses de prix. Dans le cas du riz, celles-ci étaient même encore plus fortes que celles des autres denrées alimentaires (cf. ch. 2.1.1, fig. 1). D'autres matières premières et denrées alimentaires non négociées activement sur les marchés à terme ont également subi de fortes hausses de prix43. Or si celles-ci avaient été provoquées essentiellement par l'engagement d'acteurs financiers, on aurait dû s'attendre à l'effet inverse
et constater des différences significatives dans l'évolution des prix des matières premières selon que l'engagement fût fort ou faible. D'ailleurs, on rappellera encore que les marchés agricoles étaient déjà caractérisés par de fortes fluctuations des prix avant le début de la «financiarisation» au seuil des années 2000 (cf.

ch. 2.1).

Il faut ajouter enfin que, pour expliquer les prix des denrées alimentaires ces dernières années, il existe d'importants facteurs fondamentaux qui font douter d'une contribution substantielle de la spéculation. Les principaux sont résumés ci-après:

41 42

43

Source: AMIS. Comme on l'a déjà mentionné, la spéculation financière sur le riz n'est d'ailleurs possible que de façon très limitée.

Gilbert, C.L., Pfuderer S. (2014), «The financialization of food commodity markets» in Jha, R. et al (sous la dir. de), Handbook on Food. Demand Supply, Sustainability and Security, p. 127.

Nahrungsmittelkrise, Rohstoff- und Ressourcenknappheit. Bericht des Bundesrates in Erfüllung des Postulats Stadler vom 29. Mai 2008 (non traduit), p. 143, cf.

www.blw.admin.ch > Dokumentation > Publikationen > Berichte.

2324

En amont des fortes hausses de 2007­2008 Depuis le milieu des années 1990, la croissance démographique, la hausse du revenu par habitant, l'augmentation de la consommation de viande (surtout dans les pays émergents) et la dépréciation du dollar américain par rapport à plusieurs monnaies ont entraîné une forte recrudescence de la demande en produits agricoles.

Au cours de la même période, la production agricole a également crû fortement, mais moins que la demande. Cela s'explique entre autres par le fait que, dans plusieurs pays, les investissements dans le secteur agricole (notamment dans la recherche et le développement) reculaient depuis les années 1980. En outre, le commerce mondial des produits agricoles, en hausse depuis les années 1980, réduisait dans plusieurs pays la nécessité d'entretenir des stocks. En conséquence, les stocks de produits agricoles importants comme le blé, le riz, le maïs et le soja avaient atteint un plancher historique avant les hausses de prix.

En outre, les prix du pétrole avaient augmenté depuis 2001, ce qui renchérissait tant la production agricole (par le biais des carburants et des engrais, souvent tirés du pétrole) que le transport des matières premières. Parallèlement à la hausse des prix du pétrole, divers programmes étatiques ont encouragé ont induit une forte augmentation de la production de biocarburants (éthanol et diesel bio). Il s'ensuivit un lien renforcé avec les prix du pétrole, ce qui déclencha une demande accrue pour les surfaces destinées à la production de denrées alimentaires.

Flambée à partir de 2007 et tassement en 2008 En 2007, des intempéries dans d'importantes zones de production ­ sécheresse en Russie et en Ukraine, sécheresse historique en Australie, problèmes de récolte en Argentine suite au gel et à la sécheresse ­ provoquèrent des hausses de prix, particulièrement fortes du fait de la faiblesse des stocks.

En réaction, divers pays prirent des mesures qui aggravèrent la situation et influencèrent fortement les anticipations, donc la formation des prix sur les marchés agricoles. Plusieurs pays (Chine, Argentine, Russie et Vietnam) réduisirent leurs exportations; de leur côté, alors que des pays importateurs nets (Philippines ou Inde, entre autres) tentèrent d'acheter des denrées alimentaires supplémentaires et de remplir leurs silos.
La hausse des prix cessa en 2008 grâce à deux évènements: premièrement une récolte mondiale record de nombreuses denrées alimentaires, laquelle avait aussi été stimulée par les anticipations sur des prix élevés; deuxièmement, l'éclatement de la crise économique et financière, qui fit baisser généralement la demande globale et, par contrecoup, les prix. Avec la chute des prix, les stocks de plusieurs pays se remplirent de nouveau.

Hausses des prix en 2011­2012 Les hausses des prix de 2011 furent déclenchées par des intempéries dans d'importantes zones de production (sécheresse et grands incendies de forêt en Russie, début de sécheresse aux Etats-Unis, graves pluies en Australie, dégâts dus au gel en Inde, surtout pour le blé). Il s'ensuivit des hausses de prix et une fonte des stocks, ce qui déclencha les mêmes mesures politiques qu'en 2008 (interdiction des exportations de blé en Russie, achats de blé par la Chine, l'Egypte, l'Indonésie et d'autres états), mesures qui aggravèrent encore la pénurie de denrées alimentaires et dopèrent les prix.

2325

Baisses de prix depuis 2012 La raison principale de la baisse, depuis 2012, des prix des produits agricoles sur les marchés mondiaux provient d'une offre qui a correspondu ces dernières années à la demande pour plusieurs denrées, voire qui lui était nettement supérieur en 2013­2014. De la sorte, les stocks épuisés ont pu être reconstitués. Un autre facteur responsable est qu'après 2012, aucune perte significative pour cause d'intempéries dans les zones de production importantes pour le marché mondial n'a été signalée.

La baisse du prix du pétrole a également joué un rôle. En matière d'évolution des prix, la viande représente cependant une exception importante. Là, les prix des marchés mondiaux affichent toujours une tendance à la hausse.

Le volume des stocks joue un rôle décisif pour comprendre l'ensemble des fluctuations de prix, en créant un tampon sur les marchés agricoles. En effet des variations identiques de l'offre et de la demande peuvent avoir des conséquences très différentes selon l'importance des stocks. Si ceux-ci sont bien remplis, ils peuvent amortir des fluctuations même fortes de la production. S'ils sont en revanche dégarnis, de petits changements de la demande ou de l'offre peuvent déclencher des forts mouvements des prix. Or, mi-2007, les stocks de nombreux produits agricoles étaient tombés à un niveau si bas qu'ils ne pouvaient plus jouer leur rôle stabilisateur. A cela s'ajoute que l'offre et la demande de produits agricoles sont relativement rigides, à court terme, ce qui fait que les moindres variations de l'une ou de l'autre peuvent entraîner de forts mouvements des prix (cf. ch. 2.1).

Tous ces arguments laissent penser qu'il est peu plausible que la spéculation sur les marchés à terme ait faussé substantiellement les prix des produits agricoles ces dernières années.

4.3

Applicabilité de l'initiative

Pour mettre en oeuvre le texte de l'initiative, il faudrait examiner, pour toute transaction utilisant des dérivés agricoles et impliquant un acteur domicilié en Suisse, si le contrat d'au moins une des parties porte ou non effectivement «sur la garantie des délais ou des prix fixés pour livrer des quantités déterminées». Cela nécessite premièrement l'identification des deux parties en présence dans la transaction, deuxièmement un examen pour vérifier si au moins une des parties recherche par-là une couverture.

Dans le régime juridique actuel, il est difficile d'identifier la partie adverse, vu que la plupart des dérivés agricoles sont négociés sur des places d'échange (bourses ou systèmes de commerce multilatéraux) qui travaillent sur base anonymisée. Les acheteurs et vendeurs de produits dérivés ne voient que les offres et demandes de leurs partenaires potentiels, mais sans pouvoir identifier la personne ou l'entreprise qui est derrière. C'est pourquoi, en cas de conclusion de l'affaire, ils ne peuvent savoir si la partie adverse est un spéculateur ou un hedgeur.

Pour mettre l'initiative en oeuvre, il faudrait donc s'efforcer d'obtenir des adaptations substantielles de la part des places de négoce et de leurs exploitants. Or les places de négoce qui entrent en ligne de compte pour les dérivés agricoles ne se trouvent pas en Suisse et il n'y a aucun moyen d'imposer de telles adaptations à des places de négoce sises à l'étranger. En cas d'acceptation de l'initiative, il paraît peu probable que ces dernières procéderaient volontairement aux adaptations requises 2326

pour leur clientèle suisse, car cela entraînerait des coûts et des limitations non seulement pour leurs clients, mais aussi pour les places de négoce elles-mêmes. C'est pourquoi, en cas d'acceptation de l'initiative, les acteurs du marché seraient en fait presque dans l'impossibilité de conclure des transactions spéculatives sur les dérivés agricoles à partir de la Suisse. La mise en oeuvre de l'initiative revient donc de facto à une interdiction générale des transactions sur les dérivés agricoles pour les entreprises ayant leur siège ou une succursale en Suisse, pour autant que ces transactions n'aient pas pour but de garantir des délais ou des prix fixés. L'idée des auteurs de l'initiative d'exempter de cette interdiction les transactions «mixtes» sur les dérivés agricoles conclues entre spéculateurs et hedgeurs s'avère donc inapplicable dans la pratique.

Le contrôle et la mise en oeuvre de l'interdiction pourraient être effectués par une institution à définir (par exemple dans le cadre de la révision ordinaire des comptes).

En ce qui concerne la définition concrète du moment à partir duquel les transactions sur produits dérivés d'une entreprise servent à «garantir des délais ou des prix fixés pour livrer des quantités déterminées», on pourrait se référer à la définition du hedging en cours d'élaboration dans le cadre de la nouvelle loi sur l'infrastructure des marchés financiers (LIMF, art. 97, al. 3, et 99, al. 4 du projet).

4.4

Effets de l'initiative en cas d'acceptation

Les effets de l'initiative en cas d'acceptation seront dépeints ici selon le scénario décrit dans le chapitre précédent pour sa mise en oeuvre concrète. Celui-ci comprend de facto une interdiction générale des transactions sur les dérivés agricoles n'ayant pas de fonction de couverture, de même qu'une interdiction d'investir dans des fonds et produits structurés contenant des dérivés agricoles. Comme remarqué, le respect de l'interdiction pourrait être vérifié par exemple dans le cadre de la révision ordinaire des comptes des entreprises.

Les deux alinéas ci-dessous présentent les effets de ces mesures sur les acteurs concernés et sur l'ensemble de l'économie. La question de son efficacité sera traitée ensuite.

4.4.1

Conséquences pour les acteurs concernés

Toutes les entreprises actives dans le négoce de dérivés agricoles ou de produits correspondants sont directement concernées par l'initiative. Sont essentiellement touchées, parmi les sociétés financières, les banques, les assurances, les caisses de pensions et les plateformes commerciales et, parmi les acteurs commerciaux, les entreprises du secteur agricole, l'industrie agroalimentaire et l'industrie des aliments pour animaux. L'Etat est aussi concerné de manière indirecte.

Banques Les banques peuvent être impliquées à plusieurs titres dans le commerce des dérivés agricoles. Elles peuvent, premièrement, négocier ces dérivés pour leur propre compte. Elles peuvent, deuxièmement, fournir des fonds ou des produits structurés qui contiennent des dérivés agricoles adressés à des investisseurs privés ou institutionnels (p. ex. produits indiciels). Enfin, troisièmement, elles peuvent faire du 2327

négoce pour le compte de clients commerciaux, par exemple en tant que courtiers (brokers) lorsque des entreprises n'ont pas d'accès direct à des marchés à terme, ou poursuivre des activités dans le domaine de la couverture pour le compte d'acteurs commerciaux.

Il est difficile de chiffrer le volume de telles activités. Selon la publication annuelle de la BNS «Les banques suisses», les banques suisses détenaient fin 2013 pour un peu plus de 50 milliards de francs d'«autres dérivés» provenant d'activités en propre ou pour leur clientèle44, dans lesquels se trouvent également des dérivés sur les matières premières. Toutefois, seules les activités au niveau des établissements et non du groupe sont recensées, de sorte que les rubriques des filiales étrangères ne sont pas prises en compte. Cela peut avoir une incidence pour les grandes banques actives sur le plan international possédant des filiales à l'étranger et ayant leur siège principal en Suisse45.

Selon les évaluations des intéressés, la distribution et la vente pour le compte de clients institutionnels et privés de produits financiers basés sur des dérivés agricoles constituent le secteur le plus important pour les banques. C'est dans ces domaines que les données sont les plus complètes. Selon les données de la Swiss Funds Association, en septembre 2014, un peu plus de 20 milliards de francs étaient investis46 dans les matières premières par le biais de fonds distribués en Suisse, sachant que la plupart de ces fonds sont émis par des banques. Cela équivaut à un peu plus de 2,5 % des avoirs investis dans des fonds. Des évaluations basées des échantillons de fonds de matières premières ont montré qu'environ un tiers des placements portaient sur les matières premières agricoles47. Cela voudrait dire qu'entre 6 et 7 milliards sont investis, via ces fonds, dans les matières premières agricoles. Ce chiffre rejoint globalement les résultats d'une étude mandatée par Alliance Sud, qui évalue à 6 milliards de francs les investissements réalisés dans les matières premières agricoles par les principaux fournisseurs de fonds sur le marché financier suisse48. Selon une statistique de la BNS, quelque 198 milliards de francs étaient investis en Suisse en septembre 2014 dans les produits structurés49. La part respective des matières premières et des matières
premières agricoles n'est pas connue. On ne dispose d'aucune information sur le volume de négoce en propre des banques relatif aux dérivés agricoles ni au négoce pour le compte des clients commerciaux.

En cas d'acceptation et de mise en oeuvre de l'initiative, les banques ayant leur siège ou une filiale en Suisse ne pourraient plus effectuer d'opérations pour compte propre relatives aux dérivés agricoles, ne pourraient plus proposer à la clientèle privée et institutionnelle de produits correspondants touchant aux dérivés agricoles. Elles devraient justifier de la fonction de couverture des activités liées aux dérivés agri-

44 45

46 47 48 49

BNS (2013): Les banques suisses 2013, A116.

Comme indiqué au ch. 3.2, l'interdiction pour les entreprises ayant leur siège principal en Suisse doit être valable pour le monde entier. Dans son rapport annuel 2013, Credit Suisse indique, par exemple, au niveau du groupe, un montant du sous-jacent des autres dérivés (surtout des matières premières) de 179,8 milliards de francs (p. 314), ce qui dépasse de très loin les 50 milliards de francs de la statistique de la BNS susmentionnés.

Cf. www.swissfunddata.ch > Français > Données du marché > Statistiques du marché.

Pain pour le Prochain, Action de Carême, Alliance Sud (2013): Investissements des banques suisses en matières premières agricoles.

Mugglin, Markus (2014): La spéculation sur les denrées alimentaires ­ (pas de) problème?, étude réalisée sur mandat d'Alliance Sud, p. 15.

BNS (2014): Bulletin mensuel de statistiques économiques novembre 2014, p. 51.

2328

coles destinées à des tiers commerciaux. Pour les banques ayant leur siège principal en Suisse, ces restrictions s'appliqueraient même dans le monde entier.

Comparativement au volume des actifs gérés en Suisse, l'importance des matières premières agricoles paraît modeste. Cette appréciation est toutefois fortement tributaire de l'impact qu'une telle réglementation aurait sur l'ensemble des activités des banques actives dans les produits financiers touchant aux matières premières.

Compte tenu du fait que l'avantage lié à la diversification des produits indiciels repose en grande partie sur les dérivés agricoles (cf. ch. 2.1), les produits correspondants perdent de leur attrait dès lors que des dérivés de ce type ne peuvent plus y être inclus. Cela pourrait entraîner une perte de compétitivité pour les prestataires de produits financiers axés sur les matières premières qui sont actifs en Suisse. Une incidence négative supplémentaire est possible du fait de la connexité avec le commerce physique de matières premières agricoles, qui sont financés par de nombreuses banques. Si le commerce physique vient à se tasser ou que ces entreprises commerciales quittent la Suisse (cf. les explications ci-dessous), cela se répercutera aussi négativement sur les banques qui financent ce commerce.

A l'image des banques, d'autres entreprises financières (hors du secteur des banques) qui proposent des activités de placement seraient touchées. C'est notamment le cas des fonds de couverture (hedge funds) spécialisés dans les placements dans le secteur des matières premières. De plus, les produits correspondants sont aussi proposés par des négociants en valeurs mobilières et par des gérants de fortune indépendants.

Assureurs En tant qu'acheteuses de produits indiciels ou d'autres produits contenant des dérivés agricoles, les compagnies d'assurance sont impliquées dans le négoce de ces dérivés. D'après les renseignements fournis par la FINMA, la part des placements des assureurs dans les matières premières ne représente cependant que 0,1 % de tous leurs placements en capitaux. Avec un total de capitaux placés de 510 milliards de francs à fin 201350, le montant placé dans des dérivés agricoles par les assureurs ne serait donc que de 510 millions de francs. La part des matières premières agricoles dans les fonds de
placement pourrait être évaluée approximativement à un tiers.

L'acceptation de l'initiative aurait pour effet que les assureurs ne pourraient plus effectuer de tels placements. Ils perdraient ainsi les gains de diversification déjà mentionnés (cf. ch. 2.1).

Caisses de pension Les caisses de pension sont elles aussi impliquées dans le négoce des dérivés agricoles en tant qu'acheteuses de produits indiciels ou d'autres produits similaires.

D'après leurs statistiques, 19 milliards de francs étaient investis à fin 2013 dans la catégorie «autres placements alternatifs», qui comprend entre autres les investissements en matières premières. Cela équivaut à 2,65 % du patrimoine de prévoyance51. La part exacte des matières premières agricoles dans ce montant n'est pas connue, mais il devrait s'agir d'une fraction relativement faible. Si l'on en croit les résultats d'une enquête du journal Der Sonntag (art. du 24 février 2013), qui a interrogé douze caisses de pension publiques sur leurs placements en matières pre50 51

FINMA (2014): Rapport 2013 sur le marché de l'assurance, p. 5.

Cf. www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/13/02/02/dos/00.html.

2329

mières agricoles, celles-ci y investiraient en moyenne 0,45 % de leur patrimoine.

L'acceptation de l'initiative aurait pour conséquence que les caisses de pension ne pourraient plus non plus effectuer de tels placements.

Plateformes de négoce Comme cela a déjà été mentionné au ch. 2.3, trois plates-formes de négoce offrent des dérivés agricoles en Suisse, à savoir Eurex Zurich, SIX Structured Products Exchange AG et SIX Swiss Exchange. Alors que chez Eurex les produits dérivés sont négociés directement entre des acteurs professionnels du marché, les autres plates-formes sont des marchés secondaires, sur lesquels sont négociés les produits émis par les banques ou d'autres établissements. Les plates-formes SIX sont utilisées essentiellement par des investisseurs privés et institutionnels établis en Suisse.

Chez Eurex Zurich, on propose actuellement six dérivés agricoles différents, mais les volumes négociés sont très faibles. SIX Structured Products AG liste un total de 35 000 produits structurés, dont seules quelques centaines ont un rapport avec les matières premières agricoles. D'après ses estimations, la plupart consiste en des produits indiciels liés aux matières premières. SIX Swiss Exchange affiche quelque 120 fonds (sur 1300) cotés en matières premières52. D'après ses renseignements, là aussi les volumes négociés sont modestes.

Comme les émetteurs de produits financiers dérivés basés sur des produits agricoles ne pourraient plus les vendre en Suisse en cas d'acceptation de l'initiative, les plates-formes SIX subiraient un recul équivalent des produits listés et des volumes négociés. Comme pour les banques, la question se pose dans quelle mesure l'initiative affectera généralement la vente de produits financiers liés aux matières premières. Si ce commerce devait s'arrêter généralement en Suisse, les plates-formes SIX seraient sans doute les plus touchées. Eurex ne le serait que dans la mesure où les acteurs suisses ne pourraient plus y effectuer d'opérations spéculatives.

Sociétés de négoce du secteur agricole La Suisse joue un rôle important dans le commerce international des produits agricoles. D'après les estimations de 2010 des associations du secteur, quelque 35 % du commerce mondial des céréales, 50 % de celui du sucre et 60 % de celui du café s'effectuent en Suisse53. Plusieurs
sociétés internationales de négoce du secteur agricole ont leur siège ou une filiale en Suisse. La plupart se trouvent sur l'Arc lémanique, à Zoug, à Lugano et dans la région de Zurich.

Il y a différents canaux par lesquels les sociétés de négoce du secteur agricole peuvent être impliquées dans le commerce des dérivés agricoles. D'une part, elles assurent ainsi la couverture de leurs achats et ventes physiques (hedging). Elles peuvent cependant aussi conclure des transactions spéculatives sur les produits dérivés, qui n'ont pas le moindre lien avec une transaction physique. Quelques grandes compagnies offrent également aux investisseurs privés ou institutionnels des services de gestion d'actifs (asset management) comparables à ceux des banques.

Ces services sont souvent gérés par des sociétés distinctes juridiquement.

52 53

Association suisse des banquiers (2013), La Suisse, place de négoce de matières premières, p. 18.

Rapport de base: matières premières (2013), rapport de la plateforme interdépartementale Matières premières à l'attention du Conseil fédéral, p. 11 s.

2330

On ne dispose pas d'indications fiables quant à l'ampleur de ces activités, en particulier de celles à caractère spéculatif, détachées de toute transaction physique.

Comme les opérations principales de ces sociétés concernent le commerce physique des produits agricoles et que les activités spéculatives comportent des risques supplémentaires, on peut admettre qu'elles recourent essentiellement aux marchés des dérivés pour des opérations de couverture.

En cas d'acceptation de l'initiative, les sociétés de négoce du secteur agricole actives en Suisse ne pourraient de facto plus effectuer que des opérations de couverture, qu'elles seraient tenues de justifier, par exemple dans le cadre de la révision des comptes. Les limitations d'activité induites par la nouvelle réglementation et les coûts administratifs nécessaires pour justifier les opérations de couverture varient d'une entreprise à l'autre. Ils dépendent fortement de la mesure dans laquelle l'entreprise effectue aujourd'hui des transactions sur les produits dérivés qui ne soient pas des opérations de couverture (spéculation hors transaction physique normale, services de gestion d'actifs, etc.) et de la complexité des stratégies de couverture poursuivies. Les sociétés de négoce pratiquant des opérations de pure couverture pourraient d'ailleurs avoir des difficultés à les justifier, car il n'est pas aujourd'hui nécessaire d'imputer toutes les opérations sur dérivés à une transaction physique déterminée. La question cruciale est ici la définition exacte de ce qu'on entend par «opération de couverture». Selon que cette définition soit plus ou moins restrictive, les sociétés de négoce du secteur agricole pourraient généralement être touchées relativement fortement. Définir adéquatement une «opération de couverture» est une tâche ardue, qui doit également être réalisée dans le contexte de la mise en oeuvre des réformes actuelles concernant les marchés des dérivés hors bourse ­ comme aux Etats-Unis et dans l'UE. En Suisse aussi, les opérations de couverture devront également être clairement définies dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle loi sur l'infrastructure des marchés financiers.

A part les coûts et limitations imposés par l'initiative, les incertitudes quant à sa mise en oeuvre concrète et à son impact sur l'activité des sociétés
de négoce constituent un autre problème non négligeable. En cas d'acceptation de l'initiative, le risque augmenterait ­ en particulier pour les entreprises étrangères ayant plusieurs succursales dans le monde ­ qu'elles délocalisent à l'étranger leurs divisions de hedging, voire toutes leurs activités en Suisse. Cela induirait des pertes d'emplois.

Entreprises de transformation des produits agricoles Les entreprises de transformation des produits agricoles comprennent essentiellement l'industrie agroalimentaire et celle des fourrages. On ignore combien d'entreprises de ce secteur recourent aux dérivés agricoles. Celles qui entrent en ligne de compte sont plutôt des entreprises d'une certaine taille dépendant largement de produits agricoles importés (cacao, café, céréales, maïs, etc.). On ignore si certaines d'entre elles pratiquent aussi d'autres opérations sur dérivés.

En cas d'acceptation et de mise en oeuvre de l'initiative, les entreprises de transformation seraient tenues, à l'instar des sociétés de négoce du secteur agricole, de prouver que leurs opérations sur dérivés ont un but de pure couverture. Et comme pour ces dernières, il en résulterait des coûts administratifs et d'éventuelles restrictions de leur activité. L'insécurité juridique induite par une acceptation de l'initiative aurait ici aussi des effets négatifs.

2331

Etat L'acceptation de l'initiative affecterait surtout les pouvoirs publics en réduisant les recettes fiscales, du fait de pertes d'emplois et de valeur ajoutée dans les entreprises touchées. Ces pertes ne peuvent cependant être chiffrées.

BNS Les placements de la Banque nationale suisse se limitent aux titres porteurs d'intérêts et aux titres de participation. La BNS n'investit donc ni dans les dérivés agricoles, ni non plus dans les matières premières, l'or mis à part. Elle ne serait donc pas touchée par l'initiative.

4.4.2

Effets macroéconomiques

Les premières entités touchées directement par l'initiative seraient les banques actives dans le domaine des matières premières, les sociétés de négoce du secteur agricole, ainsi que les grandes entreprises de l'industrie agroalimentaire et des fourrages, qui dépendent fortement des importations de produits agricoles. Les effets sur l'emploi et la valeur ajoutée dans ces entités ne peuvent être chiffrés avec précision, pas plus que les recettes fiscales perdues en cas d'acceptation de l'initiative, étant donné les questions en suspens dans la mise en oeuvre et le manque d'informations sur l'ampleur des opérations sur les dérivés agricoles menées par les entreprises. Cependant il est évident que les coûts administratifs pour apporter la preuve du respect de l'interdiction, les restrictions d'activité concomitantes et l'insécurité juridique quant à la mise en oeuvre de l'initiative auraient des conséquences négatives sur les volumes mentionnés plus haut.

Les effets macroéconomiques ne s'arrêteraient cependant pas aux seules entités citées. L'interdiction exigée par l'initiative constitue en effet une atteinte relativement grave à la liberté économique garantie par la Constitution. Son acceptation aggraverait donc généralement l'incertitude quant à l'évolution future des conditions-cadres de l'économie et affaiblirait la confiance en la place économique suisse.

De ce fait, elle donnerait aussi un signal négatif à toutes les autres entreprises actives sur le marché des matières premières, et bien au-delà. Ce constat s'applique en particulier aux entreprises qui pourraient s'installer en Suisse à l'avenir et à celles qui pourraient y être fondées. Une autre conséquence négative serait que la portée universelle de l'interdiction faite aux entreprises dont le siège principal est en Suisse représenterait une inégalité de traitement par rapport aux entreprises pour lesquelles l'interdiction ne s'applique qu'aux activités exercées en Suisse.

4.4.3

Efficacité de l'initiative

Comme vu au ch. 3.1, les mesures proposées par l'initiative sont censées limiter la spéculation sur les marchés à terme des produits agricoles et améliorer ainsi la formation des prix et le fonctionnement général de ces marchés. Pour évaluer l'efficacité de l'initiative, la première question qui se pose est donc de savoir dans quelle mesure la spéculation sur les marchés à terme des produits agricoles serait limitée et si cela auraient généralement une influence sur la formation des prix.

2332

Pour répondre à cette question, il faut établir d'une part quel volume du négoce international des dérivés agricoles ­ en particulier le négoce à fins spéculatives ­ passe par la Suisse, et d'autre part à quel point il serait facile aux acteurs concernés de se soustraire à l'interdiction des opérations spéculatives. Sur ce point, il est particulièrement important de savoir si une entreprise a son siège principal en Suisse, puisque l'interdiction faite à ces entreprises est censée s'appliquer dans le monde entier (cf. ch. 3.2). Pour contourner l'interdiction, les entreprises de ce type n'auraient donc qu'une possibilité: délocaliser leur siège principal à l'étranger. Les entreprises étrangères elles peuvent délocaliser facilement leurs activités touchées par l'interdiction.

Etant donné qu'une partie importante du négoce international physique des produits agricoles s'effectue en Suisse, il faut admettre que la Suisse a également une certaine importance dans le négoce international des dérivés agricoles. Les sociétés de négoce du secteur agricole étant toutefois principalement actives dans les transactions physiques, la plupart de leurs opérations sur dérivés devraient avoir un rôle de couverture. On ne dispose pas d'indications fiables sur leurs opérations à caractère spéculatif. Comme la plupart des grandes sociétés de négoce du secteur agricole actives en Suisse sont des compagnies étrangères54, il est fort probable qu'elles délocaliseraient ces activités ailleurs, pour autant qu'elles en exercent actuellement à partir de la Suisse.

Pour les acteurs financiers, cible particulière de l'initiative, l'importance des opérations sur les dérivés agricoles menées à partir de la Suisse devrait être plutôt faible.

Parmi les douze institutions principales qui négocient les dérivés sur les matières premières ne figure qu'une seule grande banque suisse55. Par ailleurs, les volumes investis dans les matières premières agricoles par les caisses de pension et les assureurs suisses sont relativement modestes. Il n'est pas connu si des banques étrangères mènent leurs opérations sur les dérivés de matières premières avant tout à partir de la Suisse. Si tel était le cas, il est fort probable, là encore, qu'elles les délocaliseraient hors de Suisse.

On peut donc admettre que, dans l'ensemble, l'interdiction proposée n'aurait pratiquement aucune influence sur la spéculation sur les marchés à terme des produits agricoles et sur les prix correspondants.

4.5

Compatibilité avec les obligations internationales

L'initiative a pour objectif d'interdire les opérations portant sur des produits dérivés agricoles lorsqu'aucune des deux parties ne cherche à obtenir une garantie. Si les mesures proposées entraient dans le champ d'application de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'OMC et des accords de libre-échange conclus par la Suisse, elles seraient compatibles avec ces accords. En effet elles ne violent pas les obligations internationales de la Suisse qui découlent de ces accords, étant donné qu'elles n'accordent pas aux entreprises suisses des conditions plus favo-

54 55

A l'exception de Glencore, entreprise active surtout dans le domaine des matières premières énergétiques et minérales, et moins dans les matières premières agricoles.

Valiante, D., Egenhofer, C. (2013), Price Formation in Commodities Markets: Financialisation and Beyond, p. 27.

2333

rables qu'aux entreprises étrangères et qu'elles n'imposent pas de restrictions quantitatives aux entreprises concernées.

5

Conclusions

En résumé, le Conseil fédéral partage l'avis des auteurs de l'initiative selon lequel les prix élevés des denrées alimentaires de base peuvent avoir des conséquences lourdes pour la population des pays en développement, en particulier des pays qui sont fortement dépendants de l'importation de ces produits. Toutefois, pour diverses raisons, le Conseil fédéral estime que l'initiative ne permet pas de lutter efficacement contre ce problème.

D'une part, sur la base des informations disponibles, il est peu probable que la spéculation ait contribué considérablement aux envolées des prix de nombreuses matières premières observées ces dernières années. Par conséquent, il n'y a pas lieu de prendre des mesures politiques pour limiter la spéculation sur les marchés à terme des marchandises.

D'autre part, les mesures proposées n'influenceraient pas, ou peu, les pratiques sur les marchés à terme des marchandises internationaux, car les entreprises concernées pourraient contourner la réglementation par le biais d'une délocalisation ou d'un transfert des opérations interdites, ou leurs parts de marché seraient reprises par leurs concurrents étrangers. Les mesures ne permettraient donc pas de limiter efficacement la spéculation sur les marchés à terme des marchandises.

Enfin, l'initiative occasionnerait des coûts aux entreprises concernées et engendrerait une restriction relativement forte de leurs activités. Qui plus est, elle ne toucherait pas uniquement les entreprises «spéculatrices», mais obligerait également les autres entreprises à prouver qu'elles ne spéculent pas. Par conséquent, l'acceptation de l'initiative devrait entraîner des pertes d'emplois, de valeur ajoutée et de recettes fiscales. L'initiative accroîtrait en outre l'insécurité concernant l'évolution des conditions-cadre économiques en Suisse et enverrait un signal négatif pour l'ensemble de la place économique de notre pays.

Le Conseil fédéral n'est pas non plus favorable à un contre-projet, direct ou indirect, et ce pour des raisons analogues. D'une part, il n'est pas nécessaire d'intervenir et, d'autre part, il n'existe pas de mesures alternatives que la Suisse pourrait prendre pour réglementer le négoce des produits dérivés. Il n'existe pas de place de négoces significative en Suisse pour les produits dérivés agricoles, sur laquelle la
réglementation pourrait être appliquée. De plus, l'unique plateforme où s'échangent des produits dérivés en Suisse dispose déjà des instruments adéquats, dans le cadre de l'autorégulation, pour garantir le bon fonctionnement du négoce de ces produits et une formation des prix correspondant aux lois du marché. Les dispositions de la loi sur les bourses, par exemple celles relatives à la manipulation du marché et aux opérations d'initiés, créent des conditions-cadre propices au bon déroulement des opérations à terme sur les marchandises en Suisse. La LIMF permettra d'optimiser ces conditions et de les adapter à l'évolution de la réglementation des marchés de dérivés au niveau international. A titre d'exemple, l'obligation prévue de déclarer les opérations sur dérivés contribuera à accroître la transparence sur les marchés à terme des marchandises.

2334

Après que l'UE a décidé, dans le cadre de la réglementation de ses marchés à terme des marchandises, l'introduction de limites de position pour les opérations spéculatives, le Conseil fédéral a recommandé au Parlement, lors des délibérations sur la LIMF, d'introduire également en Suisse une base légale pour des limites de position analogues. Cependant, cette recommandation provient principalement de considérations liées à l'équivalence avec le droit européen et à la réputation de la place financière et ne constitue dès lors pas un contre-projet indirect à l'initiative. Néanmoins, cette règle peut contribuer à garantir une formation des prix ordonnée et la convergence entre les prix sur le marché des dérivés ainsi que sur le marché de base des marchandises correspondantes.

En plus de ces mesures, le Conseil fédéral veut améliorer le mode de fonctionnement des marchés agricoles physiques. Le volume des stocks, sur lesquels on ne dispose souvent que de peu d'informations, ou les mesures de politique économique extérieure, qui doivent être mieux coordonnées, constituent par exemple des points importants. Le Conseil fédéral oeuvre en ce sens au sein de différentes organisations internationales, comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Par ailleurs, la Confédération s'engage, dans le cadre de la coopération suisse au développement, en faveur d'un renforcement durable du secteur agricole des pays en développement ainsi que dans l'aide humanitaire d'urgence.

Eu égard à ces considérations, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire fédérale «Pas de spéculation sur les denrées alimentaires» au vote du peuple et des cantons, sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect, en leurs recommandant de la rejeter.

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