02.038 Message relatif à une ordonnance de l'Assemblée fédérale concernant les taux d'alcoolémie limites admis en matière de circulation routière du 22 mai 2002

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation, par le présent message, le projet d'ordonnance de l'Assemblée fédérale concernant les taux d'alcoolémie limites admis en matière de circulation routière.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

22 mai 2002

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Kaspar Villiger La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2002-0100

3669

Condensé En dépit de la baisse du nombre des accidents de la circulation routière enregistrée au cours des dernières années, la proportion des accidents dus à la consommation de boissons alcoolisées n'a pas diminué. Les conducteurs sous l'influence de l'alcool ne sont plus en mesure de satisfaire aux exigences de la sécurité routière.

Même des taux d'alcoolémie peu élevés exercent une influence défavorable aussi bien sur les capacités physiques que sur l'attitude du conducteur.

Lors de la dernière révision de la loi sur la circulation routière (99.036), les Chambres fédérales ont décidé de transférer à l'Assemblée fédérale la compétence de fixer le taux d'alcoolémie limite, compétence qui appartenait jusqu'alors au Conseil fédéral. La distinction instaurée lors de cette révision entre le taux d'alcoolémie non qualifié et le taux d'alcoolémie qualifié ­ avec les conséquences pénales et administratives qui en découlent ­ requiert la fixation de deux taux limites. Estimant qu'un abaissement du taux d'alcoolémie limite est nécessaire pour répondre aux impératifs de la sécurité routière, le Conseil fédéral propose au Parlement de décider qu'un taux d'alcoolémie compris entre 0,50 et 0,79 gramme pour mille soit réputé non qualifié et qu'un taux d'alcoolémie de 0,8 gramme pour mille et plus soit réputé qualifié.

3670

Message 1

Partie générale

1.1

Situation initiale

Selon la réglementation en vigueur, le Conseil fédéral fixe le taux d'alcoolémie à partir duquel les conducteurs sont réputés pris de boisson et donc incapables de conduire au sens de la loi (art. 55, al. 1, LCR1). Le taux limite de 0,8 a été inscrit dans l'ordonnance sur les règles de la circulation routière2 en 1980 après que le Tribunal fédéral eut décidé de le fixer à ce niveau en 19643. Depuis lors, il n'a plus été modifié. Il implique que quiconque conduit un véhicule automobile en présentant un taux d'alcoolémie de 0,8 ou plus est en tout cas réputé pris de boisson. Le conducteur fautif est sanctionné d'un retrait du permis de conduire d'une durée de deux mois au minimum ainsi que de l'emprisonnement ou de l'amende. A l'occasion de la révision de la loi sur la circulation routière4, les Chambres fédérales ont décidé de transférer à l'Assemblée fédérale la compétence de fixer le taux d'alcoolémie limite. Désormais, c'est elle qui fixera dans une ordonnance parlementaire le taux d'alcoolémie à partir duquel les conducteurs sont réputés être dans l'incapacité de conduire et qui définira le taux d'alcoolémie qualifié (ch. 2.1.3)5.

1.2

Procédure de consultation

Dans le message concernant la révision précitée de la LCR, le Conseil fédéral a annoncé son intention d'abaisser de 0,8 à 0,5 le taux d'alcoolémie limite6. Les résultats de la procédure de consultation, qui ont été publiés le 19 octobre 1998, ont révélé que la majorité des participants approuvaient la proposition du Conseil fédéral. Vingt cantons, cinq partis politiques et 42 autres participants à la consultation se sont déclarés favorables au projet alors que cinq cantons, trois partis politiques et 23 organisations, parmi lesquelles celles représentant la branche des boissons alcoolisées, ont exprimé leur opposition de principe. On a constaté par ailleurs que le taux d'acceptation de la limite de 0,5 serait plus élevé si l'on instaurait un système de sanctions plus légères pour les conducteurs pris en faute avec un taux d'alcoolémie compris entre 0,50 et 0,79 . Treize cantons, un parti gouvernemental (PSS) et la grande majorité des autres milieux consultés ont proposé en outre l'introduction du contrôle de l'air expiré en l'absence d'indices extérieurs d'ébriété, cette méthode permettant d'assurer un contrôle efficace de l'état d'ébriété, spécialement dans la fourchette des faibles concentrations d'alcool (0,5 ).

1 2 3 4 5 6

RS 741.01, RO 1975 1257, 1979 1583 ch.. II, al. 2 RS 741.11, RO 1979 1583 ATF 90 IV 159 FF 1999 4106 FF 2001 6147 FF 1999 4115

3671

1.3

Risques de la conduite en état d'ébriété

Les enquêtes statistiques démontrent que la conduite en état d'ébriété fait partie des infractions routières les plus dangereuses. Bien que dans l'ensemble le nombre des accidents entraînant des dommages corporels ait diminué au cours des dernières années, la proportion des personnes blessées ou tuées dans des accidents dus à l'alcool n'a pas baissé. Depuis 1995, les chiffres indiquent que l'alcool est la cause probable de 20 % environ des accidents mortels. Concrètement, cela signifie que pour l'année 2000, 114 personnes (20 %) sur les 592 qui ont perdu la vie ont été victimes de la conduite sous l'influence de l'alcool. Sur les 75 351 accidents au total recensés par la police, l'alcool était en cause dans 6851 cas, ce qui signifie que 9 % de l'ensemble des accidents et plus de 13 % des accidents ayant causé des blessés sont dus à l'alcool7. Le Bureau suisse de prévention des accidents part de chiffres plus élevés estimant que, dans près de 30 % des cas d'accidents mortels, au moins un des conducteurs impliqués avait des capacités diminuées par l'alcool.

Le risque de provoquer un accident de la circulation s'accroît en fonction de l'élévation du taux d'alcoolémie. L'influence néfaste de l'alcool sur la sécurité de la conduite augmente toutefois non pas de façon linéaire mais exponentielle. Ainsi, en circulant avec un taux d'alcoolémie de 0,8 , la probabilité de causer un accident est presque quatre fois plus élevée que si l'on n'a pas consommé d'alcool.

Les risques inhérents à la conduite en état d'ébriété font l'objet d'études scientifiques depuis de nombreuses années. Dans un rapport d'expert demandé par la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral, les professeurs Läuppi, Kielholz et Bernheim relevaient déjà, en 1964, que de nombreuses fonctions essentielles pour la circulation étaient déjà affectées à des taux d'alcoolémie qualifiés de peu élevés, c'est-à-dire dans certains cas à partir de taux inférieurs à 0,5 . Dans la majorité des cas, estiment les experts, un taux d'alcoolémie de 0,5 à 0,6 représente déjà une valeur critique. Les professeurs Hartmann et Thélin ont abouti au même constat, en 1977, dans le rapport d'expert remis au Département fédéral de justice et police, alors compétent pour l'inscription du taux limite d'alcoolémie dans l'ordonnance sur les règles de la circulation
routière. Les conclusions des travaux de recherche plus récents ne sont pas différentes8.

L'influence de la consommation d'alcool sur la capacité de conduire est particulièrement marquée lorsque, s'agissant des fonctions requises pour circuler en toute sécurité, on établit une distinction entre les fonctions automatiques et les fonctions contrôlées. Les premières, qui consistent par exemple à changer de vitesse, actionner les clignoteurs de direction, s'arrêter au feu rouge ou maintenir sa trajectoire, se déroulent ­ notamment chez les conducteurs chevronnés ­ sans l'intervention d'une fonction cérébrale supérieure permettant de les contrôler. Selon des études récentes, les fonctions automatiques, appelées aussi actes performants automatiques, sont peu sujettes à l'influence de l'alcool. De nombreuses personnes qui se mettent au volant après avoir consommé des boissons alcoolisées estiment que, même en présentant un 7

8

Accidents de la circulation routière en Suisse 2000, OFS 2001; tableau 3.08: Accidents et personnes blessées sous l'influence possible de l'alcool, de drogues ou de médicaments.

P. ex. H.-P.Krüger (éditeur), Das Unfallrisiko unter Alkoholeinfluss ­ Analyse, Konsequenzen, Massnahmen, Stuttgart, Jena, New York, 1995.

3672

léger taux d'alcoolémie, elles sont encore capables de conduire sans restriction, puisque tant qu'aucun incident inattendu ne se produit leurs automatismes fonctionnent normalement.

Lorsque la situation exige du conducteur qu'il fasse preuve d'une attention ou d'une disponibilité à réagir accrues, les fonctions contrôlées sont nécessaires. Tel est le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit d'éviter un obstacle surgissant de manière imprévisible, qu'un autre usager de la route ne se comporte pas correctement ou que l'on circule sur un tronçon de route inconnu et très sinueux. Contrairement aux fonctions automatiques, les fonctions contrôlées sont spécialement sensibles à l'influence de l'alcool. Il est prouvé qu'elles sont compromises déjà à des taux d'alcoolémie peu élevés (à partir de 0,4 à 0,5 ). Il en résulte qu'à l'apparition d'une situation complexe dans la circulation, le conducteur n'est plus à même de puiser dans des réserves de capacités suffisantes et ne peut plus fournir les prestations requises. Ce constat gagne d'autant en importance que les exigences auxquelles les conducteurs sont confrontés en termes de performances deviennent toujours plus élevées, en raison de l'accroissement continu de la densité du trafic. Les situations que l'on parvient à maîtriser uniquement par des fonctions contrôlées sont de plus en plus fréquentes. Cela signifie donc ­ même à des taux d'alcoolémie peu importants ­ que moins 'on parvient à maîtriser des situations difficiles par des fonctions automatiques, plus le risque d'accident dû à l'alcool est élevé.

Ce risque s'accroît encore parce que de faibles concentrations d'alcool ont une influence négative sur l'attitude des conducteurs face à un mode de conduite responsable. La diminution de l'esprit critique, de la capacité d'autocritique et de la faculté à comprendre et à évaluer la situation d'un oeil critique amène le conducteur à surestimer ses performances subjectives lorsque ses capacités objectives sont réduites.

La combinaison de ces facteurs négatifs amène le conducteur à adopter un mode de conduite qui présente un risque accru pour la sécurité routière. C'est la raison pour laquelle le Conseil fédéral estime que, pour répondre aux impératifs de la sécurité routière, il est nécessaire d'abaisser le taux d'alcoolémie limite à 0,5 .

1.4

Expériences faites dans d'autres pays

Les expériences faites dans divers pays ont démontré qu'une réduction du taux d'alcoolémie limite s'accompagnait d'une diminution du nombre d'accidents dus à l'alcool. En Nouvelle-Galles du Sud (Australie), par exemple, l'abaissement du taux d'alcoolémie limite de 0,8 à 0,5 a entraîné une réduction de 13 % du nombre des accidents mortels du samedi. En Autriche, le nombre des tués a diminué de 15 % au cours des neufs premiers mois qui ont suivi l'instauration de la limite de 0,5 . En Allemagne, ce nombre a reculé d'environ 13 %. Quant à la Commission de l'UE, elle estime qu'en Grande-Bretagne la même mesure permettrait d'épargner 50 vies humaines, soit 1,5 % de l'ensemble des décès. Outre son influence favorable sur la sécurité routière, l'abaissement du taux d'alcoolémie limite a un effet préventif général. Les enquêtes effectuées au sein de l'UE permettent de constater que lorsque l'abaissement du taux limite s'accompagne, simultanément, de mesures d'application efficaces, telles que les contrôles de l'air expiré en l'absence d'indices d'ébriété, les conducteurs se mettent plus rarement au volant après avoir consommé de l'alcool. La diminution des taux d'alcoolémie moyens est une autre conséquence 3673

de ces mesures. En Autriche, par exemple, la réduction de 0,8 à 0,5 a eu pour effet que le nombre des condamnations pour conduite en état d'ébriété a diminué de 25 % au total.

2

Partie spéciale Commentaires du projet d'ordonnance

Aux termes de la loi sur la circulation routière9 révisée, le fait de conduire un véhicule automobile sans présenter un taux d'alcoolémie qualifié donne lieu à un avertissement si la personne en cause n'a commis aucune autre infraction aux règles de la circulation routière et que sa réputation en tant que conducteur est sans tache (art. 16a, al. 1, let. b, LCR, en relation avec l'al. 2) et à un retrait du permis de conduire pour une durée d'au moins un mois si, en plus, elle a commis une infraction légère aux règles de la circulation (art. 16b, al. 1, let. b, LCR, en relation avec l'al. 2, let. a). Le fait de conduire un véhicule automobile en présentant un taux d'alcoolémie qualifié entraîne un retrait du permis de conduire pour une durée de trois mois au minimum (art. 16c, al. 1, let. b, LCR, en relation avec l'al. 2, let. a.).

La distinction établie entre le taux d'alcoolémie non qualifié et le taux d'alcoolémie qualifié a également une incidence sur l'appréciation du cas par le juge pénal. Alors que le fait de conduire en présentant un taux d'alcoolémie non qualifié est passible des arrêts ou de l'amende, la peine sera l'emprisonnement ou l'amende lorsque le taux d'alcoolémie est qualifié.

Selon le présent projet, l'incapacité de conduire est en tout cas avérée lorsque le taux d'alcoolémie atteint 0,5 . Ce taux prend en compte les connaissances exposées au ch. 1.3 ainsi que les expériences faites à l'étranger. En raison de la distinction établie entre le taux d'alcoolémie non qualifié et le taux d'alcoolémie qualifié, il s'agit de fixer deux valeurs limites. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de décider qu'un taux d'alcoolémie compris entre 0,50 et 0,79 soit réputé non qualifié et qu'un taux d'alcoolémie de 0,8 et plus soit réputé qualifié.

Dès lors qu'il incombe au Conseil fédéral de fixer la date d'entrée en vigueur de la révision de la loi sur la circulation routière, il conviendrait, pour des raisons d'organisation, de lui déléguer également la compétence de fixer la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance.

3

Conséquences

3.1

Conséquences financières et effets sur l'état du personnel

3.1.1

Pour la Confédération

S'agissant de la Confédération, le projet n'a pas de conséquence financière ni d'effets sur l'état du personnel.

9

FF 2001 6147

3674

3.1.2

Pour les cantons et les communes

A nombre égal de contrôles, il faut s'attendre à déceler davantage de conducteurs en infraction. L'augmentation escomptée des moyens à mettre en oeuvre sera toutefois relativisée parce que l'effet préventif général dissuadera un nombre accru de personnes de conduire en état d'ébriété.

3.2

Conséquences pour l'économie

Le Bureau suisse de prévention des accidents estime le bénéfice économique résultant de la réduction du nombre des personnes tuées ou blessées dans des accidents dus à l'alcool entre 90 et 100 millions de francs. On s'attend à ce que l'abaissement du taux d'alcoolémie limite entraîne une augmentation de la demande de transport par taxis et un usage accru des transports publics. Dans la restauration ainsi que dans les secteurs de la production, de la transformation et du commerce des boissons alcoolisées, il faut certainement s'attendre à une diminution des recettes. Il est toutefois difficile d'évaluer si la baisse de 5,7 % de la consommation de bière constatée en Autriche après l'instauration d'un taux d'alcoolémie limite de 0,5 peut être transposée en Suisse. Selon l'association autrichienne des brasseurs, le recul de la production de bière observé notamment en 1998 ne serait pas dû uniquement à l'instauration du taux d'alcoolémie limite de 0,5 mais également à l'évolution du tourisme autrichien ainsi qu'à la diminution des exportations.

4

Programme de la législature

Le mandat ayant été attribué à la lumière des résultats des débats parlementaires, le projet n'a pas été annoncé dans le programme de législature 1999­2003. Si la révision de la LCR portant sur les sanctions et la capacité de conduire devait entrer en vigueur le 1er janvier 2004, comme prévu, il conviendrait de traiter le projet au cours de la présente législature.

5

Rapport avec le droit européen

Même en l'absence de prescriptions en droit européen, la plupart des États membres de l'UE ont instauré le taux limite de 0,5 ou sont sur le point de le faire. Seuls l'Irlande, le Luxembourg, la Grande-Bretagne et l'Italie appliquent encore le taux limite de 0,8 . Eu égard au nombre d'accidents dus à l'alcool recensés dans l'UE, la Commission a recommandé à tous ses membres, le 17 janvier 200110, d'instaurer un taux limite de 0,5 . Cette recommandation prévoit d'abaisser le taux limite à 0,2 pour les élèves conducteurs, les conducteurs titulaires du permis de conduire depuis moins de deux ans ainsi que pour les conducteurs de voitures automobiles lourdes et ceux qui effectuent des transports de marchandises dangereuses.

10

Recommandation de la Commission, du 17 janvier 2001, concernant le taux maximal d'alcool dans le sang autorisé pour les conducteurs de véhicules à moteur; JO no L 43, du 14 février 2001, p. 31.

3675

6

Bases juridiques Constitutionnalité et légalité

Selon l'art. 163, al. 1, de la Constitution du 18 avril 199911, l'Assemblée fédérale édicte des dispositions fixant des règles de droit sous la forme d'une loi fédérale ou d'une ordonnance. La présente ordonnance parlementaire se fonde sur l'art. 55, al.

6, LCR.

11

RS 101

3676