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XXXVme année. Volume I V N ° N « 59. Mercredi 28 novembre 18 Abonnement par année, (franco dans tonte la Suisse) 4 francs.

Prix d'insertion s 15 cent la ligne. Les insertions doivent être transmises franco a l'expédition. -- Imprimerie et expédition de C. J. Wyss a Berne.

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Rapport du

conseil fédéral à l'assemblée fédérale sur la double question de la libération des commis voyageurs suisses des taxes de patente et de l'adoption de principes généraux concernant l'examen des. lois cantonales sur le colportage et celui des recours qu'elles entraînent.

(Du 9 novembre 1883.)

Monsieur le président et messieurs, A l'occasion de la décision que vous avez prise au sujet tant d'un recours du conseil d'état de Fribourg contre nos deux arrêtés des 4 et 14 janvier 1881 en la cause Blum frères, à Neuchâtel, et F. Pointet, à Porrentruy, que d'une pétition du 27 décembre 1881, qui vous avait été adressée par M. le Dr Eyf, avocat à Zurich, au nom de 53 maisons de commerce et industriels de divers cantons, vous nous avez invités, par arrêté fédéral du 23 juin 1882, à vous présenter, après examen, un rapport sur la question de savoir s'il y aurait lieu de, formuler et de soumettre à votre approbation les principes gui, en conformité de l'article 31, dernier alinéa, de la constitution fédérale, doivent présider à l'examen des lois cantonales sur les taxes de colportage et à celui des recours concernant les taxes trop élevées.

Feuille fédérale suisse. Année XXXV. Vol. IV.

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Le conseil d'état de Fribourg, dans son recours, et M. leDr Ryf, dans la pétition de ses commettants, avaient conclu en vous demandant, le premier, non seulement d'annuler nos deux arrêtés précités, mais en outre d'édicter des dispositions formelles et applicables à tous les cantons sur le taux admissible des contributions en matière de colportage, et le second, de déterminer au moyen d'une loi fédérale élaborée sur la base de l'article 31 de la constitution fédérale les limites dans lesquelles les taxes de colportage peuvent être perçues.

Contrairement à notre proposition du 14 février de l'année dernière (F. féd., 1882, I. 362), vous êtes entrés en matière sur la demande connexe du conseil d'état de Fribourg et des pétitionnaires représentés par M. le Dr Eyf, en nous chargeant toutefois simplement, en opposition à une première décision du conseil des états du 9 juin 1882, qui contenait une invitation formelle de formuler des principes régulateurs en matière de colportage, de vous présenter un rapport sur la question de savoir s'il y aurait lieu de?

formuler et de soumettre à votre approbation des principes de cette nature. Vous n'avez cependant pas moins de la sorte donné à entendre que vous ne vous trouviez pus engagés par les explicationsde notre rapport du 14 février 1882 à écarter la demande dont il Nous croyons dès lors devoir émt-ttre un nouveau préavis à cesujet et discuter simultanément une question qui a fait l'objet d'une motion (Cornaz) que le conseil des états a prise en considération le 12 juin 1882 en la transformant en un postulat par lequel nous avons été invités à vous présenter' un rapport et des propositions sur la question de savoir si les -voyageurs de commerce suisses ne devraient pas être, en Suisse, affranchis des taxes auxquelles ne sont pas soumis les voyageurs de commerce étrangers.

Lors de sa résolution prise le 24 avril dernier à l'égard du recours de Moïse Ditisheim, le conseil des états a exprimé le désir que nous donnions suite à ce postulat avec toute la diligence possible.

Ces deux questions sont étroitement liées l'une à l'autre. On ne saxirait révoquer en doute le fait que c'est l'imposition de la recherche de commandes par les commis voyageurs qui a principalement provoqué de la part du commerce les réclamations des 53 pétitionnaires représentés par M. le
Dr Ryf. Le côté du sujet qui nous occupe, mis précisément en relief par la motion Cornaz, exige que l'on jette un rapide coup d'oeil rétrospectif sur le développement historique de toute cette question de droit public. Nous verrons ainsi se dessiner les divers principes qui ont en leur temps

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fait règle en cette matière et, en les examinant, nous pourrons sinon trouver immédiatement une solution pratique à tous égards du moins la préparer selon les besoins de notre époque.

Nous vous remettons en même temps une pétition (sans date) de la « société des commis voyageurs suisses ». Cette pétition nous a été adressée pour vous être remise ; nous l'avons reçue le 14 octobre dernier. Elle conclut en vous demandant de nous charger d'aviser à ce que les gouvernements cantonaux mettent dans le plus bref délai possible leurs règlements sur l'imposition de l'exercice des industries en harmonie avec les prescriptions de la constitution fédérale et en suspendent en attendant les effets, lesdits règlements devant être considérés, depuis l'entrée en vigueur des récents traités de commerce, comme contraires à l'article 31 de cette constitution.

Notre manière de voir développée ci-après s'étend également à cette pétition, qui elle aussi est essentiellement dirigée contre l'inégalité de traitement consacrée par les traités de commerce à l'égard des commis voyageurs étrangers et suisses.

I. Développement de la jurisprudence sous l'empire de la constitution fédérale de 1848.

La constitution fédérale de 1848 ne garantissait dans son article 29 correspondant au § 11 du pacte fédéral de 1815 que le libre trafic de canton à canton. Son influence protectrice ne s'étendait pas à la liberté de commerce et d'industrie à l'intérieur des cantons. Et c'est seulement aux Suisses établis qu'elle assurait par son article 41 la liberté d'industrie, conformément aux lois et ordonnances des cantons, lesquelles devaient traiter à tous égards le Suisse domicilié à l'égal du citoyen du canton. Le principe de la liberté d'industrie n'était ainsi nullement consacré. Un cas bien connu, illustrant à merveille la jurisprudence d'alors, est celui d'un peintre en bâtiments, citoyen et habitant du canton de Soleure, qui avait été condamné en 1860 par le tribunal du district d'Arlesheim, parce que, en contravention à la loi de Baie-campagne sur les professions et vocations, il avait enduit de vernis un cabinet de verdure dans le canton de Baie-campagne, sans être ni au bénéfice d'un permis d'établissement valable pour ce canton, ni inscrit au registre-contrôle des artisans ayant la qualité de patrons. Ce citoyen recourut au conseil fédéral, mais en vain. Sa réclamation a été écartée, attendu que, à teneur de la constitution de 1848, chaque canton était considéré avoir le droit d'interdire à quiconque n'était pas établi l'exercice d'une profession indépendante. Et cependant les autorités fédérales avaient interprété, ainsi qu'on!'a gêné-

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ralement admis, d'une manière aussi large que possible l'article 29 susvisé de la constitution (voir Blumer-Morel I, 461 ; Dubs II, 186, etc.).

La justesse de cette dernière affirmation saute de prime abord aux yeux si l'on considère la jurisprudence des autorités fédérales en matière de taxes pour les patentes des voyageurs de commerce.

Déjà le 20 janvier 1854 les chambres fédérales avaient invité le conseil fédéral à examiner au point de vue de leur concordance avec les articles 29 et 48 (traitement des citoyens suisses à l'égal de ceux du canton) les prescriptions cantonales sur la perception des taxes pour les patentes des voyageurs de commerce. Contrairement à la manière de voir du conseil fédéral, qui estimait dans ses préavis émis à ce sujet en 1857 et 1859, qu'il n'existait eonstitutionnellement aucun point de droit sur lequel il eut été possible de s'appuyer pour interdire aux cantons le système des patentes, qu'il soit considéré avoir essentiellement le caractère d'une mesure fiscale ou de police, l'assemblée fédérale rendit le 29 juillet 1859 l'arrotò que l'on sait, en vertu duquel les cantons ont été requis de ne plus percevoir de taxes de patente ou autres droits des voyageurs de commerce suisses, pour autant gué ceux-ci ne font que prendre des commissions avec ou sans exhibition d'échantillons et n'ont point de marchandises avec eux. Cet arrêté fédéral a été pris en conformité de l'exposé des motifs du rapport de la majorité de la commission du conseil national (F. féd., 1859, II. 420), laquelle estimait que l'article 29 de la constitution de 1848 ne garantissait, sous réserve toutefois de dispositions de police tant seulement, c'est-à-dire à l'exclusion de n'importe quel genre d'imposition, le libre achat et la libre vente que d'un canton à l'autre et non à l'intérieur des cantons, et que c'était précisément par l'entremise des voyageurs de commerce que s'effectuait le trafic intereantonal, alors qu'il en était tout autrement des colporteurs qui colportent leurs marchandises.

Blumer (Bundesstaatsrecht I. 463) n'est pas tout à fait d'accord avec cet arrêté, qui n'exonérait des taxes cantonales que les voyageurs de commerce et soumettait par contre les colporteurs entièrement à la législation des cantons, attendu que, selon lui, le trafic intercantonal s'effectue par l'entremise
tant des uns que des autres de ces industriels, qu'ils voyagent le pays avec des marchandises ou seulement avec des échantillons, et que les taxes pour les patentes des colporteurs peuvent revêtir un caractère fiscal aussi bien que celles pour les patentes des voyageurs de commerce. Néanmoins,, l'arrêté fédéral de 1859 fit loi à partir d'alors. Lorsqu'on 1860 le gouvernement de Thurgovie, auquel s'associa celui de Zoug, protesta contre l'assimilation de la prise de commissions de maison en maison au libre trafic des voyageurs, le conseil fédéral et l'assem-

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blée fédérale déclarèrent (arrêté fédéral du 12 décembre 1860) très catégoriquement que l'arrêté fédéral du 29 juillet 1859 avait posé pour règle que le fait d'avoir des marchandises avec soi était le seul qui caractérisât le colportage, partant, que tous ceux qui prenaient des commandes de maison en maison, sans cependant avoir des marchandises avec eux, devaient être assimilés aux voyageurs de commerce et dès lors exonérés de toutes taxes. La justification de cette manière de voir donnée alors par le rapporteur de la majorité de la commission du conseil des états (F. féd., 1861, I. 43) a pour nous un intérêt tout particulier, attendu qu'elle est due à la plume de M. le Dr Dubs, l'auteur emèrite d'écrits sur le droit publie de la Confédération suisse. Dans ce rapport, Dubs dit ce qui suit des arguments qu'on faisait valoir « au point de vue de ce qu'on appelait le gouvernement paternel», arguments qui tendaient à assimiler le colporteur qui a ses marchandises avec lui au voyageur muni de sa boîte d'échantillons et à représenter le voyageur comme encore plus dangereux pour le public que le colporteur : « Ces arguments sont en contradiction avec le principe fondamental de la liberté du trafic en général. Il est plus que vrai que ce principe présente aussi ses revers, qui consistent pour l'industriel dans le grand nombre de concurrents dans la même branche, et pour le public dans d'autres inconvénients. Toutefois, la constitution fédérale, nonobstant ces revers et ne les ignorant nullement, a néanmoins consacré le principe de la liberté du trafic à l'intérieur de la Suisse, vu qu'il présente de grands avantages. Mais ce principe consiste dans deux choses, d'abord dans le droit de vendre librement, et ensuite dans le droit d'acquérir librement. Or, du moment qu'une législation d'un canton consacre le principe que le voyageur de commerce ne peut vendre qu'à des industriels, mais non pas au public en général, elle porte bien moins de préjudice au voyageur qu'au public ; elle astreint co dernier à acheter de seconde main, tandis qu'il pourrait acheter de première main, et à payer à l'intermédiaire des provisions (faux frais).» Quant à l'objection consistant à dire que le négociant établi se trouve vis-à-vis du voyageur de commerce étranger dans des conditions moins avantageuses, en ce qu'il paie l'impôt
à l'état, ce dont l'étranger est dispensé, Diils fait observer ce qui suit : « La maison de commerce pour laquelle voyagent des commis, acquitte son impôt au lieu de son domicile, et ce aussi à raison de la fortune qu'elle acquiert hors du canton du lieu de son origine. Ce système compense les pertes qu'on prétend subir Un système contraire porterait atteinte à l'égalité des citoyens suisses et empêcherait en général de conclure des conventions avec un état quelconque au sujet de la liberté réciproque du trafic, vu que l'étranger doit pouvoir trafiquer chez nous sans être soumis à

432 un impôt, tandis que le ressortissant qui est établi doit contribuer aux prestations publiques. » Si nous avons reproduit ici textuellement ces passages du rapport de la majorité de la commission du conseil des états du 10 décembre 1860, c'est parce qu'ils reflètent mieux que tout autre exposé l'esprit- qui animait et guidait alors la majorité de l'assemblée fédérale dans le jugement de ces questions de principe. Alors toutefois que le principe du libre trafic se frayait un passage comme nous venons de le voir en vue spécialement d'affranchir les voyageurs de commerce de toutes contributions et taxes, les restrictions apportées au trafic et à la liberté de travail, de commerce et d'industrie continuaient à subsister sans entraves. Le colportage et les industries ambulantes en particulier demeurèrent soumis à l'action des cantons. Le but poursuivi en cela était essentiellement de favoriser les habitants du canton visà-vis des autres citoyens suisses.

Le conseil fédéral tenta de lever ces obstacles, en 1865 déjà, lors de la révision partielle de la constitution fédérale. Dans son message aux conseils législatifs de la Confédération concernant la revision de la constitution föderale, du 1er janvier 1865, il admit et discuta entre autres points de revision « le droit de libre industrie dans toute l'étendue de la Confédération.» Toutefois, les conseils n'entrèrent pas en matière sur ce point. On trouve énoncée d'un commun accord dans les rapports de leurs commissions l'idée que si l'exercice d'une industrie était rendu libre en dehors des limites cantonales, on accorderait, contrairement à toute équité, un privilège au citoyen non établi sur le Suisse établi, attendu que ce dernier aurait tous les impôts à supporter, tandis que le premier ne paierait rien.

Il advint ainsi que le conseil fédéral put de nouveau parler, dans son message du 17 juin 1870 touchant encore la revision de la constitution fédérale, de semblables inégalités et anomalies, qui pèsent comme une ironie sur l'idée de l'état fédératif et qui constituaient entre autres un obstacle sinon insurmontable du moins fort gênant apporté à l'exercice de la profession des artisans, guides et cochers étrangers au canton, une interdiction à tous les citoyens non établis d'acquérir des immeubles, etc. Le conseil fédéral avait en vue d'obvier
à ces inconvénients en garantissant comme un droit primordial à tout citoyen suisse sur tout le territoire de la Confédération la liberté du commerce et le droit d'exercer librement n'importe quelle industrie. Voici la manière en laquelle il s'exprimait alors en ce qui concernait tout spécialement l'objection que les commissions des conseils avaient soulevée à ce sujet en 1865 et dont nous parlions tout à l'heure : « Le conseil fédéral ne peut se ranger à cette opinion (question des taxes). La question des taxes

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à imposer aux industriels est une question secondaire, que chaque ·canton peut résoudre comme il le juge convenable, mais il n'est certainement pas admissible qu'on prive le citoyen suisse de son droit le plus naturel uniquement parce que le fisc d'un canton a quelque difficulté à faire entrer dans les rangs des contribuables tous ceux qui exercent une profession. Du reste, afin de lever tous les doutes à cet égard et de lien faire constater qu'il ne s'agit point de limiter les attributions cantonales en matière d'impôt, le conseil fédéral propose d'introduire une réserve expresse à ce sujet dans le ·texte même de la disposition constitutionnelle. Dans la plupart des cas, les cantons peuvent aisément parer à cette difficulté en délivrant des patentes pour les professions ayant un caractère temporaire, comme cela se fait déjà actuellement. Dans les autres cas, rien n'empêche d'appliquer l'impôt sous sa forme ordinaire Les réserves apportées à l'application du principe en dehors de la compétence cantonale en matière d'impôts restent à peu près les mêmes En revanche, le conseil fédéral désire qu'il soit stipulé formellement que les dispositions cantonales touchant l'exercice du commerce et de l'industrie et les impôts qui s'y rattachent ne peuvent rien renfermer de contraire à la liberté du commerce et de l'industrie, afin de ne pas laisser subsister l'opinion erronée suivant laquelle les cantons pourraient prendre à cet égard toutes les mesures qu'ils jugent convenables et rétablir par une voie détournée les barrières qu'on roulait détruire en posant le principe de cette liberté. » Cette argumentation du conseil fédéral n'a pas été combattue lors des délibérations des chambres fédérales de 1871/72 et 1873/74 sur la revision de la constitution fédérale, mais au contraire approuvée dans son ensemble. Elle peut dès lors en quelque sorte ·être considérée tout à la fois comme le programme des principes posés par l'article 31 de la constitution fédérale actuelle et le guide servant à leur interprétation correcte.

II. Jurisprudence depuis 1871.

Dès le lendemain de l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution fédérale, soit le 30 mai 1874, le conseil fédéral invitait tous les gouvernements cantonaux à lui soumettre leurs lois sur l'exercice des professions commerciales et industrielles et les impôts qui s'y rattachent.

On constata en examinant ces lois que le colportage était en principe interdit dans les cantons de Berne, Lucerne, Zoug, Fri·bourg, Bàie-campagne, Schaffbouse, Vaud et Valais, autorisé dans

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tous les autres cantons, à la condition de se munir d'une patente^ et tout à fait libre dans le canton d'Appenzell-Bhodes intérieures.

Tous les recours dont le conseil fédéral a été saisi en matière d'interdiction du colportage ou de refus de patentes*) ont été déclarés fondés et les cantons rendus attentifs, par une circulaire du 11 décembre 1874, notamment au fait que l'article 31 de la nouvelle constitution fédérale comporte à l'égard du précédent article 29 une modification non seulement de rédaction, mais de principe, en vertu de laquelle l'interdiction du colportage étant en contradiction avec le principe de la liberté >de commerce et d'industrie, elle ne saurait être valablement maintenue, bien que l'on ne doive pas méconnaître que le colportage exige à divers points de vue une surveillance spéciale de la part de l'état.

Les cantons énumérés ci-dessus se virent dès lors dans le cas de devoir reviser leurs lois sur la matière, afin de les mettre en harmonie avec les prescriptions de la constitution fédérale. Comme on se trouvait en présence de manières de voir interprétant différemment quant à la promulgation d'ordonnances à ce sujet la position des cantons vis-à-vis de la Confédération, le conseil fédéral fit savoir à ces derniers, par circulaire du 20 janvier 1875, qu'il n'avait rien à objecter à ce que l'es cantons promulguent de leur chef et mettent à exécution les dispositions réservées sous lettre c de l'article 31 touchant l'exercice des professions commerciales et industrielles, les impôts qui s'y rattachent et la police des routes,, mais que, soit à l'occasion de réclamations adressées par des citoyens, soit par suite de l'examen des lois et ordonnances cantonales, il se réservait en tout temps comme allant de soi d'interdire l'application ultérieure de dispositions qu'il estimerait incompatibles avec le principe de la liberté du commerce et de l'iudustrie consacré à l'article 31 de la constitution fédérale.

Nonobstant ces représentations réitérées, le conseil fédéral dut encore en 1875 déclarer fondé le recours d'un citoyen auquel un gouvernement cantonal refusait de délivrer une patente de colportage par le seul motif qu'il ne remplissait pas la condition de la loi dudit canton sur l'établissement et le séjour, i|ui exigeait d'une personne qu'elle fût établie pour pouvoir exercer
une profession ou *) Nous rappelons que c'est le « département des chemins de fer et du commerce » qui s'occupait de ces recours avant le 81 décembre 1878, attendu qu'aux termes de la loi fédérale du 28 juillet 1873, le maintien de la liberté du commerce à l'intérieur de la Suisse était de son ressort.

Ensuite de l'arrêté fédéral du 21 août 1878 sur l'organisation et le mode de procéder du conseil fédéral, l'examen des recours concernant la liberté de commerce et d'industrie incombe depuis le 1°' janvier 1879 au département de justice et police.

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une industrie. Le conseil fédéral fit surtout ressortir dans son arrêté à ce sujet qu'astreindre le colporteur à s'établir dans tous les cantons où il se rend, voire môme, ce qui serait également possible, dans toutes les communes sur le territoire desquelles il veut exercer sa profession, équivaudrait à l'abolition du colportage. Au point de vue suisse, le colporteur remplit ses devoirs civiques d'une manière suffisante, puisqu'il les remplit dans le canton où il est établi. La question de savoir si l'exercice des professions ambulantes peut être soumis à l'impôt dans les cantons où il a lieu n'a pas été résolue négativement par le conseil fédéral, qui s'est par contre élevé, dans le cas spécial, contre le taux de la taxe réclamée, pour autant qu'il paraissait en résulter une violation du principe de la liberté de commerce et d'industrie.

En 1877, le gouvernement de Lucerne soumettait au conseil fédéral la nouvelle loi de ce canton sur les foires et marchés et le colportage, loi qui statuait entre autres qu'il était dû un droit de patente de 5 à 200 francs par an pour la prise de commandes chez les particuliers (non-industriels), avec échantillons vendables ou non.

Le conseil fédéral trouva que cette disposition n'était pas en harmonie avec les arrêtés fédéraux des 29 juillet 1859 et 12 décembre 1860 dont nous avons reproduit plus haut la teneur. Il fit observer qu'il ne fallait pas non plus perdre de vue qu'elle pourrait conduire à des difficultés avec les états étrangers qui ont conclu des traités de commerce avec la Suisse.

La relation des objections faites à ce sujet par le conseil fédéral vis-à-vis du gouvernement de Lucerne dans son rapport de gestion pour 1877 (F. féd., 1878. II, 295) engagea la commission du conseil national chargée d'examiner la gestion à s'occuper en détail de cet objet. La commission fit notamment remarquer qu'il se pratiquait souvent une véritable vente de marchandises sous le faux titre de « prise de commandes sur échantillons », ce qui est le cas par exemple lorsqu'un commis voyageur entrepose ses marchandises en un point central quelconque d'où il les expédie ensuite immédiatement partout où il a pris des commandes sur échantillons, commis voyageur qui est alors bien réellement un marchand exonéré de toutes taxes. Cette considération amena la commission à exprimer
par un postulat le voeu que le conseil fédéral veuille bien soumettre toutes ces circonstances à un nouvel examen approfondi, c'est-à-dire revenir siir la décision prise par lui sur cet objet.

En même temps, la commission du conseil national chargée d'examiner la gestion du conseil fédéral, prenant en considération

436 une remarque contenue dans le rapport du département de justice et police, attira l'attention de l'assemblée fédérale sur les prescriptions aux termes desquelles l'empire allemand n'assimile pas les étrangers aux nationaux, en ce qui concerne le colportage qui dépend, au contraire, pour les étrangers, de l'acquisition d'une ca'rte de légitimation et des besoins du district où il est exercé, sans parler des dispositions de police générale auxquelles il est soumis. En se plaçant au point de vue de la réciprocité et des traités, nos voisins n'ont pas lieu de se plaindre, bien que les cantons suisses apportent également de notables restrictions au colportage. Mais le colportage comprend aussi évidemment lu prise de commandes de maison en maison (chez les non-industriels), autrement il serait impossible de contrôler si les voyageurs de commerce n'éludent pas les impôts dont la constitution autorise de frapper le colportage.

L'Allemagne aussi fait, en ce qui concerne les voyageurs de commerce, une réserve pour les dispositions que les législations de ses différents états renferment au sujet des impôts sur les industries ; la libération de « taxes » prévue par le traité de commerce avec l'Allemagne ne signifie d'ailleurs pas libération des impôts ordinaires mis sur les industries et sur le colportage.

L'assemblée fédérale adopta le 28 juin 1878 le postulat sus·visé de la commission du conseil national, avec une légère modification de rédaction (ßec. des postulats, nouv. série, n° 159).

Les cantons de Berne et de Bàie-campagne avaient promulgué en 1877 de nouvelles lois sur les foires et marchés et le colportage, lois d'après lesquelles, comme d'après celle de Lucerne, la recherche Je commandes chez des personnes autres que celles qui font le commerce des mûmes articles ou s'en servent dans leur industrie rentre dans la catégorie du colportage et est sujette à une taxe de patente de 1 à 200 francs par mois, pour le canton de Berne, et de 12 à 150 francs par an, pour celui de Baie-campagne. Le conseil fédéral ayant été nanti en 1878 de plusieurs recours contre ces dispositions, les deux gouvernements cantonaux alléguèrent que les arrêtés fédéraux de 1859 et 1860 n'avaient plus force de loi sous la nouvelle constitution fédérale, que la liberté de commerce ne pouvait plus être assimilée au droit de
libre trafic de canton à canton, mais devait au contraire être considérée comme le droit d'exercer individuellement une profession à l'intérieur de chaque canton, que l'imposition de l'exercice des industries dans les cantons était une charge expressément admise par l'article 31 de la constitution fédérale, charge qui atteint uniformément tant les habitants du canton que les ressortissants d'autres cantons, et que dès lors l'exigence de se pourvoir d'une patente était parfaitement admissible, non seulement dans l'intérêt de la police, mais aussi du fisc,

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·et avait déjà été reconnue comme telle par le conseil fédéral dans son message du 17 juin 1870 concernant la revision de la constitution fédérale.

En considération du postulat du 28 juin 1878 dont nous venons de parler, le conseil fédéral se rangea à cette manière de voir «t rendit le 8 octobre 1878 un arrêté déclarant non fondés en principe les recours contre ces lois de Berne et de Baie-campagne, attendu que l'article 31 de la constitution fédérale n'interdit ni l'assimilation de la prise de commandes chez les particuliers au colportage, ni l'imposition de l'exercice de ce genre de commerce par la perception de taxes de patente, mais réserve au contraire d'une façon non-équivoque, en ce qui concerne la liberté de commerce et d'industrie, des dispositions touchant les impôts, dispositions qui, il est vrai, ne peuvent rien renfermer de contraire au principe de cette liberté. A ce point de vue, le conseil fédéral a trouvé qu'il n'y avait absolument rien à objecter contre la loi de Baie-campagne, tandis que, vis-à-vis de celle de Berne, dont les dispositions quant aux taxes pourraient dans certaines circonstances rendre impossible l'exercice de l'industrie en question, il y avait lieu de réserver expressément à l'égard de son application l'examen «de chaque cas concret.

Les recours dont il s'agit n'ayant pas été portés devant l'assemblée fédérale, la loi lucernoise a ainsi aussi été sanctionnée. Le conseil fédéral déclara considérer le postulat du 28 juin 1878 «omrne étant de la sorte liquidé (voir le rapport de gestion pour 1878, F. féd., 1879, II. 257) et cette question n'a plus été soulavée depuis dans les chambres fédérales. Les arrêtés fédéraux des 29 juillet 1859 et 12 décembre 1860 ont ainsi été abrogés sinon formellement, du moins de fait, et les voyageurs de commerce qui, sans avoir de marchandises avec eux, recherchent des commandes ·chez les non-industriels, assimilés aux colporteurs proprement dits, qui offrent leurs marchandises colportées ou transportées de rue en rue on de maison en maison ou en déballage et liquidation, hors établis à ce sujet et tenus à jour jusqu'à la fin de mars 1882 par le département fédéral de justice et police donnent une excellente idée de cette rivalité législative. Les membres de l'assemblée fédérale, auxquels ces tableaux ont été distribués, sont ainsi à môme de s'orienter très exactement quant au contenu de ces lois cantonales. Ces lois, qui constituent une véritable carte d'échantillons de dispositions concernant les taxes et de rubriques d'imposition,

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se distinguent tout particulièrement, pour la plupart, en ce qu'elles consacrent le paiement d'impôts en faveur non seulement de la caisse de l'état, mais aussi de celle des communes, dans une proportion plus ou moins forte. La jurisprudence à laquelle les autorités fédérales se sont tenues depuis 1874, soit depuis 1878, en matière de recours concernant le colportage, peut se résumer de la manière suivante : L'imposition de l'exercice des professions rentrant dans la catégorie du colportage (y compris la prise de commandes chez les non-industriels) est admissible de par la constitution, pourvu qu'elle ne soit pas contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie. Il y a violation de ce principe lorsque les cantons entendent établir et appliquer des taxes fixes ne permettant pas une appréciation équitable dans chaque cas spécial de l'importance des affaires que chaque commerçant ambulant peut faire d'après la nature de son négoce et le temps pendant lequel il l'exerce.

Mais si .les lois et ordonnances cantonales établissent des taxes de patente minimales et maximales rendant possible une appréciation équitable de chaque industrie, elles ne sauraient, en principe, être soumises au point de vue du droit fédéral à aucune critique ultérieure, à moins qu'il ne s'agisse d'un cas spécial où la taxe appliquée à une industrie déterminée serait évidemment injuste et hors de toute proportion par suite de son taux trop élevé.

Il nous reste à mentionner les rapports de droit existant à l'égard des voyageurs de commerce de ceux des pays avec lesquels la Suisse a conclu des traités d'établissement ou de commerce.

Lors des négociations avec la France au sujet du traité de commerce de 1864, la prise de commandes par les commis voyageurs suisses ou étrangers n'était soumise en Suisse à aucune espèce de taxes. Les arrêtés fédéraux de 1859 et 1860 avaient détruit sans réserves cette barrière apportée au libre exercice des professions industrielles et commerciales.

Aussi, lorsque la France proposa dans le cours de ces négociations d'établir un droit de patente uniforme de vingt francs pour les voyageurs de commerce de chacun des deux pays, le conseil fédéral ne put guère entrer en matière sur cette proposition. Il jugea alors préférable d'agir en vue de l'abolition de taxes semblables, dans le sens des
deux arrêtés fédéraux précités. La France, qui s'était déjà arrangée de cette façon avec la Prusse, consentit volontiers à cette combinaison et c'est ainsi que le principe de l'exemption absolue des voyageurs de commerce de toutes taxes fut introduit dans le traité de commerce franco-suisse de 1864. On avait de la sorte assimilé en Suisse les étrangers aux

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nationaux et obtenu pour les commis voyageurs suisses le bénéfice de l'exemption des taxes en France.

On introduisit ensuite cette même disposition en 1868 dans les traités de commerce avec l'Italie et VAutriche et en 1869 dans celui avec V Union douanière et commerciale allemande, de sorte que l'exemption des commis voyageurs de n'importe quelles taxes était stipulée avec nos quatre grands états voisins, tandis que les traités d'établissement et de commerce conclus depuis 1869 à 1878 avec l'Espagne, la Russie, le Danemark, les Pays-Bas et la Perse, ainsi que ceux antérieurs avec les Etats- Unis de l'Amérique du Nord (1850) et avec la Grande-Bretagne et l'Irlande (1855), qui sont aujourd'hui encore en vigueur, se bornent à la stipulation relative au traitement de la nation la plus favorisée, en ce qui concerne le commerce et l'industrie et par conséquent aussi les taxes des commis voyageurs.

Les traités avec le Portugal (1873) et avec la Roumanie (1878) ne garantissent par contre que le droit réciproque de prendre des commandes. Le traité de commerce provisoire conclu en 1880 avec la Serbie est muet sous ce rapport.

Telle était la situation lorsqu'on 1878 le conseil fédéral, par arrêté du 8 octobre, et l'assemblée fédérale, par son adhésion tacite à cet arrêté, approuvèrent la mise à contribution par divers cantons de la perception des taxes de patente des commis voyageurs qui recherchent des commandes chez les »ow-industriels et abrogèrent ainsi de fait sous ce rapport l'arrêté fédéral de 1859.

Cette restriction interne apportée à l'exemption des taxes visà-vis des commis voyageurs donna à entendre au conseil fédéral qu'il devait dorénavant tenir compte lors de la conclusion de traités de commerce de cette nouvelle manière de voir en cherchant à la faire admettre partout où cela serait possible.

C'est ce qu'il fit à la première occasion, c'est-à-dire lors des négociations au sujet d'un nouveau traité avec l1'Allemagne. La proposition suisse devait rencontrer un accueil d'autant plus favorable en Allemagne qu'on s'efforçait précisément alors de soumettre dans ce pays les industries ambulantes à une surveillance plus sévère. Le gouvernement allemand se déclara disposé à admettre dans le procès-verbal d'échange des ratifications du traité de commerce, du 29 juin 1881, la réserve expresse que la
disposition de l'ancien traité réintroduite dans le nouveau au sujet de l'exemption des commis voyageurs quant au paiement de taxes devait être interprétée comme elle l'avait toujours été et par conséquent n'être considérée applicable qu'à la recherche de commandes chez les industriels.

440

En revanche, lors des négociations entamées tôt après avec la France en vue d'un nouveau traité de commerce, les tentatives faites dans le même but par les négociateurs suisses se heurtèrent à une manière de voir opposée, contre laquelle il y avait d'autant moins à redire qu'en regard de l'exemption de tout droit de patente proposée 18 ans auparavant par la Sîiisse elle-même la nouvelle proposition suisse devait paraître rétrograde dans toute l'étendue du "terme. La France, qui ne soumet les commis voyageurs nationaux à aucune patente, n'était nullement disposée, vu les notables intérêts des négociants en vins et autres industriels de cette catégorie, qui placent leurs produits directement chez les consommateurs,, à s'engager par une déclaration aux termes de laquelle les voyageur» de commerce n'auraient été autorisés à rechercher dans les cantons suisses des commandes chez les non-industriels que contre paiement d'une taxe de patente. Les commissaires français reculèrent devant cette éventualité d'autant plus qu'il ne s'agissait pas d'une taxe uniforme, payée une fois pour toutes, comme cela se rencontre dans d'autres états, mais bien de taxes qui, -- non sans importance en elles-mêmes, -- se renouvellent d'un canton à l'autre et représentent dans leur ensemble une somme hors de toute proportion dans beaucoup de cas avec les gains pouvant résulter des commandes.

Du côté suisse ou ne pouvait pas réfuter ces considérations. En outre, les égards que l'on devait aux nombreux négociants suisses, qui voyagent la France et pour lesquels l'exemption de tout droit de patente accordée par ce pays n'est pas de minime importance, décida à faire une concession sur ce point. On réintroduisit dès lors sans aucune modification dans le nouveau traité avec la France l'ancienne exemption absolue de n'importe quelles taxes, laquelle faisait d'ailleurs et fait encore règle pour les transactions commerciales avec l'Autriche^ à teneur du traité de commerce de 1868.

Cette concession faite par ces motifs à la France ne pouvait et n'a pas été refusée à l'Espagne dans le plus récent traité de commerce de 1883 et à l'Italie dans celui du 22 mars dernier donnant actuellement lieu à des négociations complémentaires.

III. Exposé critique de la jurisprudence fédérale actuelle et conclusions.

Sous avons démontré dans l'aperçu historique de quelle manière les autorités fédérales en étaient arrivées sur le terrain constitutionnel à suivre la pratique indiquée en ce qui concerne le colportage. Cette pratique est sujette à de nombreuses critiques souvent acerbes. Nous devons toutefois insister sur le fait que

441 conseil fédéral a toujours procédé en se conformant scrupuleusement aux directions qu'il recevait de l'assemblée fédérale. Nous n'avons pas de peine à comprendre que personne ne soit satisfait de la jurisprudence actuelle. Il y a absence de principes clairs et précis pour établir une pratique sûre et juste à tous égards. L'arrêté fédéral du 23 juin 1882 en conformité duquel nous référons ici prouve que les conseils législatifs de la Confédération sont également pénétrés de ce même sentiment de mécontentement. On ne saurait révoquer en doute ce que le conseil d'état du canton de Fribourg dit dans son mémorial de recours à l'assemblée fédérale du 8 avril 1881, à savoir que, grâce à la grande diversité de leurs tarifs, les cantons sont inégalement atteints par la jurisprudence fédérale, qu'une règle générale sur l'application de la contribution en matière de colportage fait défaut, et qu'il est peu digne pour les autorités cantonales et fédérales d'examiner dans chaque cas spécial l'application du tarif quant à son admissibilité au point de vue du droit fédéral et de faire ainsi chaque fois de l'exécution du tarif une question fédérale d'appréciation individuelle.

Il peut en effet résulter d'une telle pratique un marchandage peu digne entre une autorité cantonale, d'une paît, et un recourant et les plus hautes autorités de la Confédération, d'autre part.

Nous avons également reconnu ouvertement clans notre rapport du 14 février 1882 sur le recours de Fribourg et la pétition Ryf le bien-fondé de toute une série d'observations critiques faites par M. le Dr Ryf. Il est de fait qu'il n'existe aucun motif d'ordre intérieur militant en faveur de la grande diversité et bigarrure des tarifs cantonaux.

Si malgré cela nous avons jusqu'ici et même encore dans notre rapport à ce sujet du 14 février 1882 refusé d'admettre la réglementation par la Confédération des questions rentrant dans ce domaine, c'est parce que la compétence de la Confédération pour édicter des prescriptions générales de ce genre nous paraissait douteuse et même tout simplement inadmissible.

Les considérations que nous alléguions n'ont toutefois pas empêché les chambres de nous inviter derechef, bien que sous une forme atténuée, à examiner de nouveau la question dont il s'agit.

Mais nous devons avouer que la découverte des voies et
moyens en vue de remédier à la situation présente à nos yeux des difficultés beaucoup plus grandes que la constatation des imperfections résultant de l'état des choses actuel. 11 est vrai que nous sommes au clair sur un point : la jurisprudence actuelle en ce qui concerne le prélèvement de taxes de patente sur les voyageurs de commerce suisses ne saurait continuer à subsister en regard des rapports conventionnels avec les états étrangers.

442 Nous en sommes arrivés sous ce rapport au moment critique.

De même que l'on avait ressenti dans tout le pays immédiatement après la conclusion du traité de commerce et d'établissement francosuisse de 1864 tout ce qu'il y avait d'intolérable dans le fait que les israélites français en Suisse devaient, être placés sur un meilleur pied que les citoyens suisses d'origine et de confession mosaïques, on éprouve aujourd'hui généralement le sentiment que les commis voyageurs suisses, qui prennent des commandes chez les non-industriels, ne sauraient être soumis plus longtemps à des taxes de patente dont les voyageurs français, espagnols, russes, autrichiens et autres sont exempts. Il est d'autant plus facile au conseil fédéral d'en revenir sur ce point à la pratique inaugurée en 1859 qu'il n'a jamais pour ce qui le concerne recommandé ou approuvé qu'on y renonçât. La réserve du droit des cantons d'établir des impôts proposée par le conseil fédéral dans son message du 17 juin 1870 concernant la revision de la constitution fédérale et introduite ensuite dans cette constitution (article 31) a été de la plus grande influence sur le jugement de la question actuelle. On a arboré ce pavillon pour rentrer sans coup férir dans le port de l'ancien « gouvernement paternel ». Dubs, qui avait démontré d'une manière frappante, dans son rapport précité au conseil des états du 10 décembre 1860 (F. féd., 1861, volume I, page 43), tous les errements du système de l'imposition des voyageurs de commerce, nous fournit une preuve convaincante du degré auquel les esprits s'étaient laissé entraîner par le courant du jour quand, en 1878 (« le droit public de la Confédération suisse » volume II, pages 186 et 187), il appelle l'arrêté fédéral du 29 juillet 1859 une «interprétation hardie » et trouve légitime l'opposition envers l'exonération de la prise de commandes de tout impôt « en ce sens qu'autrement les commerçants non établis seraient privilégiés comparativement aux commerçants établis. » Mais la réserve d'établir des impôts ne saurait à notre avis être interprétée et élargie de façon à ce qu'un droit individuel pour la Suisse tout entière soit placé plus désavantageusement que ne l'était un droit intercantonal avant 1874.

La protection de l'établissement cantonal et communal à l^j quelle on tend devient tout à fait
inadmissible et incompréhensible dès qu'il s'agit de l'exercer envers les voyageurs du propre état fédératif, qui habitent un autre canton, y sont établis et y paient les impôts ordinaires, a^ors que les voyageurs étrangers sont déclarés de par les traités exempts de tout impôt et qu'on ne peut pas non plus empêcher les maisons étrangères d'inonder le pays d'offres de vente faites par lettres ou par l'envoi de catalogues et d'échantillons, et de rendre ainsi toute concurrence indigène de

443

plus en plus impossible. En théorie, l'exercice d'un commerce consistant en la recherche de commandes chez les non-industriels n'est pas, il est vrai, interdit aux maisons du pays, mais en1 pratique, il leur est rendu impossible, au profit de l'étranger; en d'autres termes, le principe constitutionnel de la liberté de commerce et d'industrie reste dans le sens indiqué lettre close pour ces maisons. Sous ce rapport, le droit des cantons d'établir des impôts ne saurait plus être reconnu, attendu que, vu les circonstances actuelles, il porte réellement une grave atteinte au principe de la liberté de commerce et d'industrie, l'annihile même tout simplement et est dès lors contraire à l'article 31, dernier alinéa, de la constitution fédérale.

Par tous ces motifs, nous estimons que la manière de résoudre la question s'impose, aussi n'hésitons-nous pas à vous proposer l'exonération des voyageurs de commerce suisses de toutes taxes de patente.

En revanche, l'imposition du colportage proprement dit n'est à nos yeux contraire ni à la liberté de commerce et d'industrie garantie par la constitution, ni aux principes réguliers de l'imposition des industries elle-même. Si par exemple le propriétaire d'un fonds de marchandises ambulant, qui n'a le plus souvent absolument pas de domicile d'affaires fixe, est dans chaque endroit où il exerce son négoce considéré comme établi (temporairement) et imposé pour son industrie, ce fait n'a en soi rien d'extraordinaire ni d'injuste. Toutefois, dès l'instant où nous ne voulons savoir le droit d'imposition exercé que vis-à-vis du colportage dans la véritable acception du terme, qui se caractérise par le fait d'avoir des marchandises avec soi, une question très épineuse que nous ne faisons ici qu'effleurer surgit, celle de savoir si des dispositions exceptionnelles sont applicables à ce genre de commerce et le cas échéant dans quelle mesure, c'est-à-dire si et jusqu'à quel point la réserve constitutionnelle du droit des cantons d'établir des impôts autorise à traiter différemment au point de vue de la loi l'industriel établi et l'industriel ambulant.

Cette question touche sur plus d'un point aux affaires cantonales. Nous ne croyons pas qu'il soit facile à la Confédération de formuler les principes généraux conformément auxquels les lois cantonales sur le colportage doivent
être élaborées, à moins que l'on ne veuille se borner à consacrer définitivement les règles appliquées maintenant déjà par nous lors de nos décisions sur les recours, règles qui toutefois ont provoqué précisément à cause de leur manque de précision le mécontentement général à l'égard de la jurisprudence actuelle en cette matière.

Feuille fédérale suisse. Année XXXV.

Vol. IV.

32

444

Tout bien considéré, ce point ne nous paraît nullement susceptible d'être présentement tranché. Nous croyons au contraire devoir le réserver moyennant la coopération des autorités cantonales à un examen ultérieur.

Nous avons par contre l'honneur de vous proposer de rendre l'arrêté ci-après concernant les taxes de patente des voyageurs de commerce, lequel liquiderait tant le postulat n° 276 (motion Cornaz) que la pétition de la «société des commis voyageurs suisses », dans ce qu'elle a d'essentiel.

Veuillez agréer, monsieur le président ' et messieurs, les nouvelles assurances de notre haute considération.

Berne, le 9 novembre 1883.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération : L. KUCHONNET.

Le chancelier de la Confédération-: EINGIER.

445 Projet.

Arrêté fédéral concernant

les taxes de patente des voyageurs de commerce.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE

de la CONFÉDÉRATION

SUISSE,

vu le rapport et la proposition du conseil fédéral, en date du 9 novembre 1883, arrête : 1. Les voyageurs de commerce, voyageant en Suisse pour le compte d'une maison suisse, pourront, sur la simple justification de leur identité, prendre, sans être soumis à aucun droit de patente, des commandes avec ou sans échantillons, pourvu qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux.

2. Le conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier le présent arrêté et de fixer l'époque où il entrera en vigueur.

3. Le conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

Rapport du conseil fédéral à l'assemblée fédérale sur la double question de la libération des commis voyageurs suisses des taxes de patente et de l'adoption de principes généraux concernant l'examen des lois cantonales sur le colportage et celui des ...

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1883

Année Anno Band

4

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59

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---

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28.11.1883

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427-445

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