ad 13.407 Initiative parlementaire Lutter contre les discriminations basées sur l'orientation sexuelle Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 3 mai 2018 Avis du Conseil fédéral du 15 août 2018

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement, nous nous prononçons comme suit sur le rapport du 3 mai 2018 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant l'initiative parlementaire 13.407 «Lutter contre les discriminations basées sur l'orientation sexuelle»1.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 août 2018

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

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2018-1696

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Avis 1

Contexte

1.1

Genèse

L'initiative parlementaire 13.407 «Lutter contre les discriminations basées sur l'orientation sexuelle», déposée le 7 mars 2013 par le conseiller national Mathias Reynard, propose de compléter l'art. 261bis du code pénal (CP)2 qui réprime la discrimination raciale, afin de l'étendre à la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Lors de sa séance du 3 février 2017, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a décidé d'aller au-delà de ce que réclame l'initiative et de compléter l'art. 261bis CP non seulement avec le critère de l'orientation sexuelle, mais également avec celui de l'identité de genre. Le 11 mai 2017, elle a adopté un avant-projet dans ce sens. Suite à la consultation qui s'est déroulée du 16 juin au 9 octobre 2017, elle a décidé, le 3 mai 2018, de transmettre à son conseil un projet correspondant à l'avant-projet. Seules des modifications d'ordre terminologique ont été apportées au rapport explicatif.

Par courrier du 16 mai 2018, le Président de la CAJ-N a invité le Conseil fédéral à se prononcer sur le projet jusqu'au 17 août 2018 en application de l'art. 112, al. 3, de la loi du 13 décembre 2002 sur le parlement (LParl)3.

1.2

Proposition de la commission

La CAJ-N propose de compléter l'art. 261bis CP, ainsi que son pendant l'art. 171c du code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)4, avec deux critères: l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Elle entend ainsi étendre le champ d'application de ces dispositions à tous les actes de haine et de discrimination fondés sur l'hétérosexualité, l'homosexualité, la bisexualité, la transidentité ou l'intersexuation de leurs victimes. Elle est d'avis que toutes ces personnes sont souvent confrontées aux mêmes actes haineux et discriminatoires. Elle constate en outre que la plupart des ordres juridiques étrangers punissent la discrimination en raison tant de l'orientation sexuelle que de l'identité de genre. Elle relève enfin que toute une série de recommandations internationales enjoignent la Suisse de compléter l'art. 261bis CP avec ces deux critères.

Une minorité de la CAJ-N propose de ne pas entrer en matière sur le projet qu'elle juge excessif et impropre à résoudre les problèmes liés à la discrimination. Elle y voit un danger pour la liberté d'expression. Elle soulève enfin les problèmes d'interprétation liés aux deux nouveaux critères.

2 3 4

RS 311.0 RS 171.10 RS 321.0

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1.3

Résultats de la consultation

Une nette majorité des participants à la consultation s'est exprimée en faveur de l'avant-projet, dont quatre partis politiques (PBD, PES, PS et PVL) et l'ensemble des cantons qui ont pris position sauf un. De nombreux participants ont même réclamé l'ajout de critères supplémentaires. Quelques-uns ont cependant fait valoir les difficultés d'interprétation liées aux deux nouveaux critères ou relativisé l'effet préventif de la nouvelle norme.

Parmi les opposants figurent deux partis politiques (PLR et UDC) et un canton (SZ).

Les arguments principaux résident dans l'inutilité de la nouvelle norme et ses difficultés de mise en oeuvre, la défense de la liberté d'opinion et d'information, ainsi que de la liberté de conscience et de croyance, ou encore l'inadéquation des nouveaux critères en tant que motifs de discrimination.

Les résultats de la consultation sont présentés dans un rapport5.

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Avis du Conseil fédéral

Nécessité de légiférer Les art. 261bis CP et 171c CPM sont entrés en vigueur le 1er janvier 1995. Ils ont été adoptés suite à l'adhésion de la Suisse à la Convention internationale du 21 décembre 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale 6. On a alors renoncé à dessein à prendre en compte d'autres critères, tels que «le sexe, les tendances sexuelles ou les convictions idéologiques», car cela aurait débordé le cadre de la révision et la disposition visait en premier lieu à mettre en oeuvre la convention dans le droit national7. Lors des travaux parlementaires, le projet du Conseil fédéral a cependant été complété avec l'interdiction de la négation, de la minimisation grossière et de la justification d'un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité (art. 261bis, 4e par. in fine, CP et 171c, al. 1, 4e par. in fine, CPM).

Depuis lors, la Suisse n'a souscrit aucun nouvel engagement international qui la contraindrait à légiférer dans le sens du projet. Comme le relève le rapport de la CAJ-N, elle y est seulement invitée par des recommandations certes nombreuses mais toutefois non contraignantes. Les plus récentes ont été émises le 9 novembre 2017 à l'occasion du 3e examen périodique universel par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU8.

5 6 7

8

www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2017 > CP RS 0.104 Message du 2 mars 1992 concernant l'adhésion de la Suisse à la Convention internationale de 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la révision y relative du droit pénal; FF 1992 III 265 306.

Pour plus d'explications et les liens vers la documentation pertinente, voir www.eda.admin.ch > Politique extérieure > Organisations internationales > Nations Unies > L'ONU et les droits de l'homme > Examen périodique universel.

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Le droit pénal a pour but d'assurer aux citoyens une cohabitation dans la liberté et dans la paix, tout en garantissant le respect de tous les droits fondamentaux ancrés dans la Constitution. Conformément au principe de la proportionnalité, le législateur ne devrait cependant, dans la mesure du possible, recourir au droit pénal que comme ultima ratio. En d'autres termes, l'atteinte à des biens juridiques ne devrait être réprimée par une peine que si les sanctions proposées par le droit civil et administratif ne sont plus à même de garantir une protection suffisante à ces biens juridiques.

Le droit pénal n'a pas à sanctionner chaque comportement moralement répréhensible, mais doit seulement punir des agissements déterminés que le législateur a jugés particulièrement dangereux pour la société.

En l'espèce, les art. 28 ss du code civil (CC)9 protègent contre les atteintes à la personnalité. Si une personne subit une atteinte à sa personnalité du fait de son orientation sexuelle ou de son identité de genre, elle peut requérir du juge qu'il l'interdise, la fasse cesser ou en constate le caractère illicite, si le trouble qu'elle crée subsiste10. Elle peut également demander le droit de répondre si l'atteinte a été causée par des médias11. A cela s'ajoutent plusieurs dispositions du droit pénal en vigueur qui sont susceptibles de s'appliquer aux discours et actes de haine commis à l'encontre de personnes homosexuelles, bisexuelles, transidentitaires ou intersexuées, sans que les comportements réprimés soient en lien avec l'orientation sexuelle ou l'identité de genre. Il s'agit notamment de l'art. 177 CP qui punit quiconque attaque autrui dans son honneur par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait (par exemple au moyen de termes injurieux en lien avec l'orientation sexuelle). Peuvent aussi être appliqués dans ce contexte l'art. 173 CP sur la diffamation, l'art. 174 CP sur la calomnie, l'art. 180 CP sur les menaces, l'art. 198 CP sur les désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel ou encore les art. 122 ss CP sur les lésions corporelles. On constate ainsi que le droit en vigueur permet déjà de réprimer nombre d'actes visés par le projet de la CAJ-N, étant précisé que le juge pénal devra prendre le mobile haineux de l'auteur en considération pour prononcer
à son encontre une peine adéquate (art. 47 CP). La nécessité de légiférer dans le sens du projet n'est dès lors en tout cas pas manifeste.

Il est vrai cependant que les art. 173 ss CP relatifs aux délits contre l'honneur protègent l'honneur personnel de particuliers ou d'un groupe de particuliers précis. Les propos doivent donc viser des personnes concrètes. Des propos blessants dirigés contre une communauté sans personnalité juridique ne peuvent porter atteinte à l'honneur de certains de ses membres concrets que si le groupe visé est suffisamment petit pour que l'on puisse considérer que les propos les visaient personnellement. Les dispositions sur les délits contre l'honneur ne peuvent ainsi être appliquées en cas de propos dénigrants ou discriminants visant une communauté entière12. Sur ce point-là, le projet de la CAJ-N va dès lors plus loin que le droit en vigueur, dans la mesure où il englobe les propos tenus à l'encontre d'un groupe en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre.

9 10 11 12

RS 210 Art. 28a CC Art. 28g CC Pour un exemple concernant les homosexuels en général, voir l'arrêt du TF 6B_361/2010 du 1er novembre 2010.

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Mise en oeuvre Le projet de la CAJ-N consiste à compléter les art. 261bis CP et 171c CPM avec deux nouveaux critères. Il ne modifie pas les comportements punissables dont les éléments constitutifs continueront dès lors à être définis comme dans le droit en vigueur et tels que précisés par la jurisprudence.

Les nouveaux critères pourraient impliquer des difficultés supplémentaires d'interprétation, dans la mesure où il s'agit de concepts relativement indéterminés qui n'existent pas en droit suisse.

Toutefois, comme le relève le rapport de la CAJ-N, de nombreuses recommandations internationales invitent la Suisse à réprimer pénalement les discriminations à raison des deux critères retenus dans le projet. Ceux-ci ou des critères similaires ont de plus été intégrés dans les ordres juridiques de plusieurs Etats étrangers. Il existe donc des définitions qui font l'objet d'un consensus qui sont exposées dans le rapport explicatif et auxquelles le juge pénal pourra se référer 13.

L'orientation sexuelle, comprise comme l'attirance ressentie par une personne pour d'autres personnes en référence au sexe biologique, désigne l'hétérosexualité, l'homosexualité et la bisexualité. Cette notion peut de la sorte être circonscrite de manière suffisante. La notion d'identité de genre est en revanche beaucoup plus floue, puisqu'elle correspond à un sentiment individuel et profondément intime qui est indépendant du sexe biologique, de l'état civil et de l'orientation sexuelle. On ne distingue aucune limite claire à son étendue, ce qui pourrait conduire à une interprétation extensive et s'avérer problématique du point de vue de la prévisibilité du droit pénal.

A cela s'ajoute que l'application des nouveaux critères se heurtera à des problèmes de preuve. De telles difficultés existent cependant déjà dans le droit en vigueur et sont propres à de nombreuses infractions, en particulier celles qui protègent l'honneur et la liberté, lorsqu'il s'agit d'établir le motif fondant la discrimination.

Appréciation finale Au vu de ce qui précède, le Conseil fédéral parvient à la conclusion que le droit en vigueur offre une protection étendue contre les discours et actes de haine et de discrimination dirigés contre des personnes déterminées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Une extension de
l'arsenal législatif ne s'impose dès lors pas. Il convient en tout cas de renoncer à compléter les art. 261bis CP et 171c CPM avec un critère vague dont la portée n'est pas suffisamment prévisible. Si le projet se limitait à l'ajout du critère de l'orientation sexuelle, tel que proposé par l'initiative, il tiendrait mieux compte de l'exigence de précision de la loi pénale et présenterait moins de difficultés de mise en oeuvre.

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V. ch. 2.2 du rapport du 3 mai 2018 de la CAJ-N.

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Propositions du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral a pris acte du projet présenté par la CAJ-N. A la lumière des explications exposées sous ch. 2 ci-dessus, il propose de limiter le projet à l'ajout du critère de l'orientation sexuelle, tel que proposé par l'initiative, et de renoncer au critère de l'identité de genre:

1. Code pénal Art. 261bis Discrimination et incitation à la haine

Quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre; quiconque, publiquement, propage une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique cette personne ou ce groupe de personnes; quiconque, dans le même dessein, organise ou encourage des actions de propagande ou y aura pris part; quiconque publiquement, par la parole, l'écriture, l'image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaisse ou discrimine d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ou qui, pour la même raison, nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité; quiconque refuse à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, une prestation destinée à l'usage public; est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

2. Code pénal militaire Art. 171c, al. 1 Discrimination et incitation à la haine

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Quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre;

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quiconque, publiquement, propage une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique cette personne ou ce groupe de personnes; quiconque, dans le même dessein, organise ou encourage des actions de propagande ou y aura pris part; quiconque publiquement, par la parole, l'écriture, l'image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaisse ou discrimine d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ou qui, pour la même raison, nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité; quiconque refuse à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, une prestation destinée à l'usage public; est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

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