Enquête sur des événements particuliers survenus au sein du Tribunal fédéral Rapport des commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des Etats du 6 octobre 2003

2004-0446

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Condensé Le 11 février 2003, dans l'entrée du Tribunal fédéral à Lausanne, le juge fédéral Martin Schubarth aurait craché en direction d'un journaliste. Dans les jours qui ont suivi, il a également été question d'irrégularités de procédure et, partant, de manipulations de jugements qui auraient eu lieu à la Cour de cassation pénale ­ une section du Tribunal fédéral ­ sous la présidence de Martin Schubarth.

Le 19 février 2003, le Tribunal fédéral confirmait l'«incident du crachat» et condamnait fermement le geste du juge fédéral Martin Schubarth dans un communiqué de presse. Le Tribunal fédéral décidait en outre de priver définitivement le juge Schubarth du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles avec effet immédiat et l'invitait à démissionner. Le juge fédéral Martin Schubarth n'a cependant pas tenu compte de cet appel. Selon lui, cet événement serait lié non seulement à son état de santé du moment et aux effets d'un médicament qui lui était prescrit, mais également aux intrigues qui ont été menées à son encontre avant sa réélection en décembre 2002.

Le 5 mars 2003, les commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des Etats décidaient de faire la lumière sur l'incident du crachat ainsi que sur les prétendues irrégularités et le climat de travail à la Cour de cassation pénale. Elles ont constitué un groupe de travail commun (groupe de travail «Tribunal fédéral») qu'elles ont chargé de mener cette enquête à bien.

Le samedi 4 octobre 2003, en possession du projet du présent rapport et deux jours avant qu'il soit adopté par les commissions de gestion, le juge fédéral Martin Schubarth a présenté sa démission avec effet au 30 juin 2004.

Les résultats des investigations du groupe de travail ont conduit les commissions de gestion aux constatations et conclusions suivantes: ­

L'examen de l'incident du crachat a permis d'établir que, le matin du 11 février 2003, le juge fédéral Martin Schubarth a perdu la maîtrise de soi dans l'entrée du Tribunal fédéral, qu'il a craché en direction d'un journaliste qu'il détestait, atteignant un greffier par mégarde, avant de s'éloigner sans mot dire. Les critiques de la presse et les incidents qui ont précédé sa réélection ont profondément touché le juge fédéral Martin Schubarth. Cela étant, ils ne sauraient en aucun cas justifier un tel acte. Le matin de l'incident, le juge fédéral Martin Schubarth souffrait de problèmes de santé qui peuvent avoir contribué à la réaction disproportionnée qu'il a eue; il n'y a toutefois pas lieu d'admettre à sa décharge que sa capacité de discernement ait pu s'en trouver réduite.

Les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, avec l'incident du crachat, Martin Schubart s'est rendu coupable d'une grave transgression des convenances, incompatible avec le statut de juge fédéral. Ce faisant, il a durablement troublé la confiance des justiciables. Et cela demeure vrai, même en faisant preuve d'une certaine compréhension pour la situation de crise personnelle dans laquelle le juge Schubarth pouvait se trouver au

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moment des faits. Le fait de permettre au juge Schubarth de reprendre ses tâches jurisprudentielles exposerait le Tribunal fédéral à une forte pression car la crédibilité de l'institution s'en trouverait réduite et la paix des relations juridiques en souffrirait. L'Etat de droit ne saurait courir un tel risque.

Les commissions de gestion estiment par conséquent que le juge fédéral Martin Schubarth n'avait d'autre choix que de démissionner.

Dans les circonstances présentes, les commissions de gestion estiment qu'il est intolérable que le juge fédéral Martin Schubarth n'entende démissionner qu'avec effet au 30 juin 2004. Elles sont définitivement d'avis que, dans l'intérêt de la Justice, le juge fédéral Martin Schubarth devrait démissionner sans délai et ainsi tirer, enfin, les conséquences de l'incident du crachat du 11 février 2003.

Pour le cas où le juge fédéral Martin Schubarth n'aurait toujours pas donné sa démission à la fin de l'année 2003, les commissions de gestion suggèrent à la Commission judiciaire des Chambres fédérales d'examiner dans quelle mesure il serait juridiquement possible que l'entrée en fonction du successeur du juge Schubarth, élu durant la session de décembre, ait lieu avant que ce dernier n'ait quitté son poste. En dernier recours, il serait envisageable d'imaginer la révocation de Martin Schubarth par voie d'arrêté fédéral soumis au référendum.

­

Lors de l'examen des prétendues irrégularités à la Cour de cassation pénale, les commissions de gestion ont constaté que dans une affaire, le juge fédéral Martin Schubarth a, en tant que président de la Cour de cassation pénale, de toute évidence ignoré l'avis de l'un de ses collègues et a, sur le formulaire d'accompagnement du dossier, déclaré le jugement rendu à l'unanimité alors qu'il n'a été rendu qu'à la majorité, transgressant ainsi les dispositions relatives à la procédure par voie de circulation et à l'audience en délibération. Un déroulement correct de la procédure n'aurait toutefois pas modifié le résultat. Les commissions de gestion sont d'avis que le juge fédéral Martin Schubarth a ainsi violé ses devoirs de fonction. En tant que magistrat, ce dernier n'est toutefois soumis à aucune autorité disciplinaire.

Dans cette mesure, les constatations des commissions de gestion demeurent sans effet pour le juge fédéral Schubarth. Le Ministère public de la Confédération a la compétence de décider si la violation aux devoirs de fonction constatée par les commissions de gestion relève ou non du droit pénal.

Dans deux des affaires examinées plus en détail, les commissions de gestion ont constaté que le président Schubarth avait fait preuve d'un comportement autoritaire lors de la rédaction finale des motifs du jugement. Il n'a en effet plus fait circuler la version définitive du jugement entre les juges concernés alors même que des divergences importantes avaient encore fait l'objet de discussions lors de la séance de rédaction précédente et que la majorité de la cour était d'un avis différent de celui du président. Les motifs du jugement correspondaient certes aux décisions prises lors des séances de rédaction, mais le juge fédéral Schubarth a étendu sa marge de manoeuvre présidentielle et n'a pas observé le principe de la collégialité.

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Dans d'autres cas, les commissions de gestion ont constaté que, lorsqu'il était président de section, le juge fédéral Schubarth a parfois agi de manière autoritaire et sans respecter le principe de la collégialité. Il a très largement utilisé la marge de manoeuvre dont il disposait en tant que président de cour, allant parfois jusqu'à outrepasser les limites imposées par la procédure, notamment dans le but de faire prévaloir son opinion. Ces traits du caractère de Martin Schubarth ont provoqué de grandes tensions au sein du collège des juges de la Cour de cassation pénale. Ils ne donnent cependant pas lieu de croire que certains jugements du Tribunal fédéral auraient pu être discutables, voire indéfendables.

Les commissions de gestion n'ont toutefois constaté aucune manipulation de jugement dans le sens qu'aucune décision (dispositif) différente de celle qui avait été prise par le collège de juges n'a été communiquée aux parties.

Après avoir effectué l'analyse des processus de la Cour de cassation pénale, les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, dans la pratique, il n'est guère possible de manipuler un jugement, c'est-à-dire de fausser son dispositif. Le président de la cour mis à part, les juges n'ont aucune possibilité de procéder à une telle manipulation. Quant au président, il peut certes exercer une plus grande influence sur la procédure. En décidant de manipuler un jugement, il prendrait cependant un risque considérable d'être découvert.

De plus, à l'occasion de l'examen approfondi de l'une des affaires, il n'a pas été démontré que, lors du choix de la composition de la cour, le juge fédéral Marin Schubarth aurait intentionnellement abusé de son importante marge de manoeuvre présidentielle pour provoquer une décision allant dans son sens.

Les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, d'une manière générale, il n'y a pas lieu de remettre en cause ni la qualité de la jurisprudence, ni la crédibilité ou la conformité des jugements de la Cour de cassation pénale durant la présidence du juge fédéral Martin Schubarth.

­

L'examen a montré que, sous la présidence du juge fédéral Martin Schubarth, le climat de travail a, d'une part, souffert de sa gestion autoritaire et, d'autre part, été imprégné de sa personnalité. Martin Schubarth a été décrit comme une personne intelligente, très cultivée, mais présentant des traits de caractère autoritaires, élitaires et égocentriques. Le climat de travail de la Cour de cassation pénale a en outre tout particulièrement souffert du désaccord entre le juge fédéral Martin Schubarth et l'un de ses collègues de la Cour de cassation pénale.

Les problèmes qui ont eu la Cour de cassation pénale pour cadre étaient complexes et ont influencé le climat de travail de longues années durant.

Avec le temps, la situation est devenue inextricable, au point que les juges de la Cour de cassation pénale ne sont plus parvenus à en venir à bout euxmêmes. Avec le recul, il faut constater que le président du Tribunal fédéral est intervenu très tard. Il faut cependant également relever que les parties

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n'ont pas non plus fait appel à lui. Lorsque la discussion a enfin pu avoir lieu sous sa férule, la marge de manoeuvre était très limitée. La solution finalement adoptée n'a calmé la situation qu'en apparence. Elle n'a aucunement permis de résoudre le conflit qui opposait le juge fédéral Schubarth à l'un de ses collègues, et qui fut encore aggravé par le fait que ce dernier contacta un parlementaire socialiste avant la réélection des juges de décembre 2002.

La résolution des conflits à la Cour de cassation pénale s'est avérée très problématique. Cette situation est en partie due au caractère difficile du juge fédéral Martin Schubarth. De plus, les structures institutionnelles du Tribunal fédéral, qui est constitué de 30 juges jouissant en principe des mêmes droits, peuvent également contribuer à de tels conflits entre juges. Il convient donc d'examiner s'il ne serait pas opportun de renforcer les structures hiérarchiques, d'instituer certains mécanismes de surveillance et de mettre en place des mécanismes destinés à la résolution interne des conflits.

Au cours de son enquête, le groupe de travail «Tribunal fédéral» a également fait un certain nombre de constatations relatives à la procédure par voie de circulation, à la procédure d'audience en délibération, ainsi qu'à l'attribution des rapporteurs et à la composition des cours. Ces constatations ont amené les commissions de gestion à adresser des recommandations à l'attention du Tribunal fédéral.

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Table des matières Condensé

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Abréviations

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1 Introduction 5314 1.1 Situation initiale 5314 1.2 Mandat et buts de l'inspection 5315 1.3 Délimitations 5316 1.3.1 Garantie de l'indépendance judiciaire 5316 1.3.2 Autres délimitations 5317 1.4 Méthode et organisation du travail 5317 1.4.1 Séances et personnes entendues 5317 1.4.2 Demandes de documents et d'informations relatives à certaines procédures 5317 1.4.3 Anonymat 5318 1.5 Collaboration avec le Tribunal fédéral 5318 1.6 Avis du Tribunal fédéral et du juge fédéral Martin Schubarth au sujet du présent rapport 5318 1.7 Démission du juge fédéral Martin Schubarth avec effet au 30 juin 2004 5318 2 Précisions relatives à la procédure 2.1 Lettre d'information du groupe de travail du 17 mars 2003 2.2 Lettre du Tribunal fédéral du 17 mars 2003 2.3 Réponse du groupe de travail du 21 mars 2003 2.4 Réponse du Tribunal fédéral du 24 mars 2003

5319 5319 5320 5322 5324

3 Incident du crachat du 11 février 2003 3.1 Déroulement des événements 3.2 Conséquences pour le Tribunal fédéral 3.3 Décision du Tribunal fédéral du 19 février 2003 et indication des motifs du 13 mai 2003 3.4 Rapports du juge fédéral Martin Schubarth avec le journaliste Markus Felber et avec les médias 3.5 Réactions du juge fédéral Martin Schubarth après l'incident 3.5.1 Déclarations du juge fédéral Martin Schubarth au sujet de l'incident du crachat 3.5.2 Etat de santé du juge fédéral Marin Schubarth 3.5.3 Déclarations relatives à une éventuelle démission 3.5.4 Attaques dirigées par le juge fédéral Martin Schubarth à l'encontre de ses collègues et du Tribunal fédéral 3.6 Appréciation par les commissions de gestion 3.6.1 Incident du crachat 3.6.2 Conséquences pour le Tribunal fédéral 3.6.3 Conséquences pour le juge fédéral Martin Schubarth 3.6.4 Décision du Tribunal fédéral du 19 février 2003 3.6.5 Au sujet de la politique d'information du Tribunal fédéral

5324 5325 5328

5310

5328 5330 5333 5333 5334 5336 5337 5338 5338 5341 5341 5342 5344

3.7 Conclusions et recommandations 3.7.1 Suite de la procédure concernant Martin Schubarth 3.7.2 Réglementation de lege ferenda 4 Irrégularités prétendues à la Cour de cassation pénale 4.1 Rumeurs au sein du Tribunal fédéral et comment le public en a eu connaissance 4.2 Approche du groupe de travail 4.3 Résultats des investigations 4.3.1 Reproche portant sur la manipulation de jugements 4.3.1.1 Explication de la notion 4.3.1.2 Cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» 4.3.1.2.1 Constatations du groupe de travail 4.3.1.2.1.1 Anonymat 4.3.1.2.1.2 Version de la rumeur telle qu'elle a circulé 4.3.1.2.1.3 Déroulement 4.3.1.2.1.4 Discussion interne 4.3.1.2.1.5 Autres anomalies concernant le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» 4.3.1.2.1.6 Effets pour le recourant et décision ultérieure du Tribunal fédéral statuant sur le fond 4.3.1.2.2 Appréciation du cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» par les commissions de gestion 4.3.1.3 Arrêts du Tribunal fédéral: manipulations possibles 4.3.1.4 Procédure par voie de circulation et audience en délibération 4.3.1.4.1 Pratique du Tribunal fédéral 4.3.1.4.2 Procédure par voie de circulation et audience en délibération: problèmes constatés 4.3.2 Reproches relatifs à des manipulations lors de la constitution de la cour appelée à statuer et de la publication des jugements 4.3.2.1 Bases légales et pratique 4.3.2.1.1 Constitution de la cour appelée à statuer 4.3.2.1.2 Pratique du Tribunal fédéral en matière de publication 4.3.2.2 Rumeur concernant une affaire enterrée 4.3.2.3 Deux cas de fraude dans la saisie 4.3.2.3.1 Constatations du groupe de travail 4.3.2.3.2 Appréciation des deux cas de fraude dans la saisie par les commissions de gestion 4.3.2.4 Influence lors de la constitution de la cour appelée à statuer 4.3.3 Reproche portant sur le comportement autoritaire et dénué d'esprit de collégialité du président Martin Schubarth 4.3.3.1 Déclarations de portée générale des juges de la Cour de cassation pénale

5345 5345 5347 5347 5347 5348 5349 5349 5349 5350 5350 5350 5350 5350 5352 5355 5356 5356 5360 5361 5361 5362 5364 5364 5364 5365 5366 5367 5368 5369 5370 5372 5372

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4.3.3.2 Exemples de comportement autoritaire et dénué d'esprit de collégialité du président Martin Schubarth 4.3.3.3 Appréciation par les commissions de gestion 4.4 Conclusions 4.4.1 Conclusions relatives aux irrégularités prétendues 4.4.2 Autres conclusions 4.5 Recommandations à l'attention du Tribunal fédéral

5374 5377 5379 5379 5381 5383

5 Climat de travail à la Cour de cassation pénale 5.1 Situation initiale 5.2 Résultats des investigations 5.2.1 Climat de travail à la Cour de cassation pénale sous la présidence du juge fédéral Martin Schubarth 5.2.2 Mésentente entre deux juges 5.2.3 Contacts entre membres du Parlement et juges fédéraux avant l'élection des juges de décembre 2002 5.2.3.1 Contact entre le juge fédéral Hans Wiprächtiger et un député socialiste 5.2.3.2 Investigations du Groupe de travail interpartis auprès des juges fédéraux 5.2.3.3 Question de la Commission de gestion du Conseil des Etats aux membres de la Cour de cassation pénale 5.2.3.4 Remise à des membres du Parlement d'un manuscrit rédigé par le juge fédéral Martin Schubarth et destiné à être publié 5.2.4 Tentatives de conciliation interne 5.3 Appréciation par les commissions de gestion 5.4 Conclusions et recommandations

5390 5391 5392 5393

6 Vue d'ensemble des conclusions et des recommandations 6.1 Incident du crachat du 11 février 2003 6.2 Irrégularités prétendues à la Cour de cassation pénale 6.3 Climat de travail à la Cour de cassation pénale

5394 5394 5395 5397

7 Suite de la procédure

5397

Annexe 1:

Personnes entendues

5398

Annexe 2:

Arrêté fédéral soumis au référendum concernant la révocation du juge fédéral Marin Schubarth

5399

5312

5384 5384 5384 5384 5385 5387 5387 5389 5389

Abréviations AP ATF ats BRADOC CdG CDH CEDH CEP ch.

CJ CP Cst.

FF GTEJ KGB LAVI LeGes LParl LREC NZZ OJ OPCA OPersTF P-LTF RCE RCN RO RS RSJB TF TFA

Associated Press Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse Agence télégraphique suisse Base de données de jurisprudence du Tribunal fédéral Commission de gestion Cour européenne des droits de l'homme Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (RS 0.101) Commission d'enquête parlementaire chiffre Commission judiciaire des Chambres fédérales Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS 311.0) Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101) Feuille fédérale Groupe de travail interparti pour la préparation de l'élection des juges Anciens services de renseignement soviétiques Loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions (RS 312.5) Gesetzgebung heute ­ Législation aujourd'hui ­ Legislazione d'oggi Loi sur le Parlement Loi sur les rapports entre les conseils du 23 mars 1962 (RS 171.11) Neue Zürcher Zeitung Loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (Organisation judiciaire, RS 173.110) Organe parlementaire de contrôle de l'administration Ordonnance sur le personnel du Tribunal fédéral du 27 août 2001 (RS 172.220.114) Projet de loi fédérale sur le Tribunal fédéral (FF 2001 4281) Règlement du Conseil des Etats du 24 septembre 1986 (RS 171.14) Règlement du Conseil national du 22 juin 1990 (RS 171.13) Recueil officiel du droit fédéral Recueil systématique du droit fédéral Revue de la société des juristes bernois Tribunal fédéral Tribunal fédéral des assurances

5313

Rapport 1

Introduction

1.1

Situation initiale

Le 11 février 2003, le Tribunal fédéral de Lausanne était le théâtre d'un incident qui a fait sensation au cours des jours suivants. Selon les comptes-rendus des médias, le juge fédéral Martin Schubarth a craché en direction de Markus Felber, un correspondant de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) et a atteint un greffier qui discutait avec celui-ci dans le hall d'entrée du Tribunal de Mon-Repos.

Au cours des jours suivants, les médias n'ont pas limité leurs vives critiques au seul geste du juge Schubarth. Ils ont également relayé d'autres accusations. Ils ont notamment fait état d'irrégularités de procédure et, partant, de manipulations de jugements qui auraient eu lieu à la Cour de cassation pénale ­ une section du Tribunal fédéral ­ sous la présidence de Martin Schubarth. Ils ont également relevé que l'entêtement du juge fédéral Schubarth avait été à l'origine de tensions au sein de la Cour de cassation pénale. Pour sa part, Martin Schubarth a accusé Markus Felber d'avoir, avec d'autres journalistes, orchestré une campagne de dénigrement au cours du mois de décembre 2002 dans le but de faire échec à sa réélection. Martin Schubarth a également reproché à certains collègues juges d'avoir guidé Felber dans ce sens et d'avoir remis un manuscrit non publié à des parlementaires membres du parti socialiste en soulignant que lui, Schubarth, y défendait des positions contraires à l'idéologie du parti, raison pour laquelle il ne devait plus être réélu.1 En ce qui concerne l'incident du crachat en tant que tel, le juge Schubarth a déclaré aux médias que de la salive avait été projetée lors d'une quinte de toux non réprimée. Sous l'influence du conflit personnel qui l'opposait au correspondant de la NZZ, il s'était tourné vers lui à ce moment-là, ce qu'il reconnaissait avoir été une maladresse.2 Le 18 février 2003, les deux présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux des Commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des Etats, le conseiller national Hubert Lauper et le député au Conseil des Etats Hans Hess, entendaient le président du Tribunal fédéral, Heinz Aemisegger et le juge fédéral Martin Schubarth. Le but de ces auditions était de déterminer l'opportunité pour les commissions de gestion (CdG) d'ouvrir une enquête.

Le 19 février 2003, le Tribunal fédéral décidait avec effet immédiat de priver
le juge fédéral Martin Schubarth du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles et déclarait dans son communiqué de presse qu'il l'invitait à démissionner.

Le 20 février 2003, les présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux décidaient de proposer aux commissions de gestion de clarifier les reproches d'irrégularités dans la gestion de la Cour de cassation pénale dont il a été question dans le cadre de l'incident du crachat. Ils ont en outre estimé que, pour préserver l'image de la Cour suprême et rétablir une confiance totale dans ses institutions, il était indispensable de mener une enquête approfondie au Tribunal fédéral.

1 2

Tages-Anzeiger du 14 février 2003, p. 6, «Ich streue Asche auf mein Haupt».

Dépêche de l'Agence télégraphique suisse (ats) du 12 février 2003.

5314

Le 5 mars 2003, lors d'une séance commune, les commissions de gestion des deux Chambres ont à l'unanimité décidé une inspection auprès du Tribunal fédéral afin de faire toute la lumière sur l'incident du crachat et sur les dysfonctionnements reprochés à la Cour de cassation pénale. Elles ont chargé un groupe de travail constitué de membres des deux sous-commissions DFJP/tribunaux de procéder à cette inspection et ont fixé les domaines d'investigation ainsi que les buts de cette inspection (voir ch. 1.2).

Le groupe de travail «Tribunal fédéral»3 a présenté un projet de rapport aux commissions de gestion des deux chambres. Le 6 octobre 2003, au terme d'une vaste discussion, celles-ci l'ont adopté et en ont autorisé la publication.

1.2

Mandat et buts de l'inspection

Le mandat d'examen que les commissions de gestion ont confié au groupe de travail «Tribunal fédéral» (désigné ci-après par groupe de travail) porte sur les domaines suivants:

3

1.

Examen de l'incident du crachat du 11 février 2003: Tant que le juge fédéral Martin Schubarth n'aura pas démissionné, le Parlement et le public auront un intérêt à ce que cet incident soit examiné plus à fond, notamment parce que Martin Schubarth lui-même défend en public la thèse de l'expectoration involontaire alors que le Tribunal fédéral est d'avis qu'il s'agit d'un crachat intentionnel. C'est donc la parole de Martin Schubarth contre celle du Tribunal fédéral. Il ne saurait appartenir aux commissions de gestion de rendre une décision arbitrale. En revanche, elles peuvent procéder à une appréciation des faits en fonction du principe de la plausibilité, évaluer les effets de cet incident sur le Tribunal fédéral et, au besoin, émettre des recommandations. Le groupe de travail a donc été chargé de présenter aux commissions de gestion des propositions allant dans ce sens.

2.

Examen d'irrégularités prétendument commises au sein de la Cour de cassation pénale: Indépendamment d'une éventuelle démission du juge fédéral Schubarth, le groupe de travail a été chargé de faire la lumière sur les affaires au sujet desquelles les médias ont reproché au juge fédéral d'avoir manqué aux devoirs liés à sa fonction de président de la Cour de cassation pénale. Les commissions de gestion estiment que ces reproches sont de nature à ébranler la confiance dans le fonctionnement sans entrave et conforme au droit du Tribunal fédéral et plus particulièrement de la Cour de cassation pénale. Les investigations des commissions de gestion ont pour but de faire toute la lumière dans ce domaine et de rétablir la confiance.

3.

Climat de travail au sein de la Cour de cassation pénale et reproches du juge fédéral Schubarth à l'encontre de ses collègues de la Cour de cassation pénale: Dans les médias, le juge Schubarth reproche à certains collègues d'avoir violé le secret de fonction en adressant un manuscrit non publié à des tiers. Il les accuse également d'avoir mené des intrigues à son encontre dans

Composition du groupe de travail «Tribunal fédéral»: les conseillers nationaux Hubert Lauper (président, PDC, FR), Brigitta M. Gadient (UDC, GR), Jean Jacques Schwaab (PS, VD) et Kurt Wasserfallen (PRD, BE) ainsi que les députés au Conseil des Etats Hannes Germann (UDC, SH), Jean Studer (PS, NE) et Franz Wicki (PDC, LU).

5315

le but de faire échec à sa réélection en décembre 2002. Le groupe de travail a été chargé d'examiner en détail le climat de travail à la Cour de cassation pénale sous la présidence de Martin Schubarth ainsi que les griefs de ce dernier à l'encontre de ses collègues juges, le cas échéant d'en tirer des conclusions au sujet des mécanismes d'autorégulation et de règlement des conflits ainsi que de proposer des recommandations dans ce dernier domaine.

1.3

Délimitations

1.3.1

Garantie de l'indépendance judiciaire

Dans le cadre du mandat au groupe de travail, les commissions de gestion ont insisté sur le fait que l'enquête doit respecter des règles particulières afin de préserver l'indépendance judiciaire. Le groupe de travail a été invité à tenir compte du rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats du 28 juin 2002 intitulé «Haute surveillance parlementaire sur les tribunaux fédéraux»4 en cas de question relative à la délimitation de l'objet d'examen. Il a ainsi été appelé à respecter les principes suivants: Lors de son enquête, le groupe de travail devait se limiter à examiner d'éventuels manquements aux devoirs de fonction des juges et, à la rigueur, les cas de violation de principes fondamentaux de procédure. En outre, les procédures examinées devaient être définitivement closes (pas de procédure en cours). Il était en tout état de cause exclu que les commissions de gestion modifient ou cassent un jugement.

L'examen ne devait pas non plus permettre de porter des appréciations ou d'émettre des constatations juridiques au sujet des jugements rendus. Les cas de manquement aux devoirs de fonction pouvaient en revanche être examinés étant donné qu'ils concernent la gestion des affaires et non pas la jurisprudence en tant que telle. Pour procéder à de tels examens, l'art. 47quater de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC) donne aux commissions de gestion le droit de demander des renseignements et d'exiger la remise de documents (voir aussi le ch. 2).

Le groupe de travail a effectué son examen en tenant compte des exigences mentionnées ci-dessus. Il n'a pas rencontré de problèmes dignes d'être mentionnés. A la lumière de l'examen de ce cas, il est apparu qu'il était tout à fait possible de distinguer clairement, d'une part le contrôle de la gestion des affaires y compris celui du déroulement des procédures internes et, d'autre part, l'appréciation de questions dans le cadre de l'activité judiciaire. A cet égard, les commissions de gestion estiment que les craintes selon lesquelles une telle inspection pourrait empiéter sur l'indépendance judiciaire ne sont pas justifiées.

4

FF 2002 7077. Voir également le rapport de l'Organe parlementaire de contrôle de l'administration (OPCA) du 11 mars 2002 intitulé «La portée de la haute surveillance parlementaire sur les tribunaux ­ les avis de la doctrine juridique», FF 2002 7141.

5316

1.3.2

Autres délimitations

Après l'incident du crachat du 11 février 2003, 21 requêtes à l'autorité de surveillance ont été déposées par des citoyens auprès des commissions de gestion et du groupe de travail «Tribunal fédéral». Ces requêtes se rapportent directement à l'incident et demandaient toutes le réexamen de décisions de la Cour de cassation pénale auxquelles le juge fédéral Martin Schubarth a participé. Conformément à la pratique des commissions de gestion en matière de requêtes à l'autorité de surveillance et en respect du principe de la séparation des pouvoirs, le groupe de travail n'a, dans le cadre de son enquête, examiné aucun jugement du point de vue matériel.

Cela étant, aucune requête ne contenait des indications qui auraient pu être importantes du point de vue des problématiques abordées lors de l'inspection.

Pour le reste, le contrôle des prétendues irrégularités a été limité à la Cour de cassation pénale, à l'exclusion de toutes les autres sections du Tribunal fédéral. Etant donné que, dès le début, les reproches ne concernaient que des cas isolés, il n'y avait pas lieu de procéder à un examen de toutes les décisions, ni de les contrôler systématiquement.

1.4

Méthode et organisation du travail

1.4.1

Séances et personnes entendues

Le groupe de travail a siégé à douze reprises, dont onze à Berne et une à Lausanne, au siège du Tribunal fédéral. Elle a entendu 22 personnes, dont certaines plusieurs fois (les noms des personnes entendues figurent à l'annexe 1). Il a également consulté le procès-verbal des auditions du président du Tribunal fédéral Heinz Aemisegger et du juge fédéral Martin Schubarth effectuées le 18 février 2003 par les présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux des deux commissions de gestion.

1.4.2

Demandes de documents et d'informations relatives à certaines procédures

A la recherche de deux affaires particulières, le groupe de travail a demandé que le Tribunal fédéral lui remette une liste de toutes les affaires répondant à des critères définis ainsi que certaines pièces relatives à ces affaires. Pour six affaires, le groupe de travail a demandé la remise d'une copie de l'ensemble ou de certaines parties du dossier (voir ch. 4.2). Sur demande du groupe de travail, le Tribunal fédéral a également produit le procès-verbal de sa séance plénière du 19 février 2003. Le groupe de travail a aussi demandé les notes du juge Schubarth sur la répartition, du temps de sa présidence, des affaires entre les juges de la Cour de cassation pénale (voir ch.

4.3.2.2).

Le groupe de travail a encore demandé des informations relatives à certaines procédures à toutes les cours du Tribunal fédéral.

5317

1.4.3

Anonymat

Les noms de juges et des collaborateurs du Tribunal fédéral ne sont mentionnés que lorsque cela semble nécessaire pour des raisons de transparence, lorsque l'identité de ces personnes a déjà été rendue publique ou qu'elles peuvent être clairement identifiées par les fonctions qu'elles exercent. De plus, lorsque l'anonymat est respecté, le rapport utilise la forme masculine générique pour désigner les fonctions des juges et des collaborateurs des deux sexes.

1.5

Collaboration avec le Tribunal fédéral

Le groupe de travail a constaté qu'un processus d'apprentissage réciproque a eu lieu au cours de son inspection. C'est la première fois qu'une enquête de ce genre était effectuée auprès du Tribunal fédéral. Au début de l'inspection, il a fallu préciser et expliquer la procédure suivie (voir ch. 2). Lorsqu'il s'est mis à rechercher les affaires à l'origine des rumeurs et des reproches en matière d'irrégularités, le groupe de travail s'est tout d'abord heurté à une attitude très réservée. Il n'est parvenu à obtenir des renseignements utiles qu'après avoir réussi à instaurer un climat de confiance.

Le groupe de travail estime que la méfiance initiale était en partie due à la crainte de voir l'indépendance judiciaire limitée par l'enquête. Après quelques hésitations initiales, la coopération avec le Tribunal fédéral a été bonne et le groupe de travail a pu compter sur un soutien sans restriction.

1.6

Avis du Tribunal fédéral et du juge fédéral Martin Schubarth au sujet du présent rapport

Le projet du présent rapport a été remis au Tribunal fédéral ainsi qu'au juge fédéral Martin Schubarth. Ils ont ainsi eu la possibilité de donner leur avis sur d'éventuelles erreurs formelles ou matérielles du rapport et d'indiquer s'ils faisaient valoir des objections contre la publication de certaines informations qu'il contient.

Dans la mesure où le groupe de travail l'a estimé nécessaire, il a tenu compte dans son rapport des avis du Tribunal fédéral du 29 septembre 2003 et du juge fédéral Martin Schubarth des 27 et 30 septembre 2003. Le juge fédéral Martin Schubarth a insisté sur le fait qu'il n'était pas d'accord avec la procédure suivie par le groupe de travail. Il convient cependant de souligner ici que ce dernier s'est tenu aux principes de procédure en vigueur pour les commissions de gestion (voir ch. 2).

1.7

Démission du juge fédéral Martin Schubarth avec effet au 30 juin 2004

Le samedi 4 octobre 2003, le juge fédéral Martin Schubarth a présenté sa démission avec effet au 30 juin 2004. Les commissions de gestion en ont pris connaissance lors de la séance au cours de laquelle elles ont adopté ce rapport.

5318

2

Précisions relatives à la procédure

Les commissions de gestion n'ayant à ce jour encore jamais procédé à une inspection de cette nature auprès du Tribunal fédéral, un certain nombre de questions de procédure devaient être préalablement éclaircies. Elles l'ont été au moyen d'un échange de correspondance avec le Tribunal fédéral.

2.1

Lettre d'information du groupe de travail du 17 mars 2003

Par lettre du 17 mars 2003, le groupe de travail a informé le Tribunal fédéral du but et de l'objet de l'inspection, de sa démarche et de celle des commissions de gestion jusqu'à la publication du rapport correspondant, de la procédure adoptée pour les auditions de personnes au Tribunal fédéral et pour la remise de documents ainsi que de la confidentialité de ses travaux. En substance, cette lettre contient les informations suivantes: Le but et l'objet de l'inspection y sont présentés conformément à ce qui a déjà été décrit ci-dessus au ch. 1.2.

Au sujet de la démarche, le groupe de travail y annonce son intention d'entendre des collaborateurs du Tribunal fédéral ainsi que des tiers et, dans la mesure où cela devait s'avérer nécessaire, de demander la remise de documents. Il indique également qu'il se réserve le droit de faire appel à des experts externes pour faire toute la lumière sur les prétendues irrégularités. En outre, le groupe de travail donne au Tribunal fédéral des informations au sujet de la rédaction et de la publication de rapports d'enquête par les commissions de gestion. Il précise encore les règles de confidentialité appliquées aux informations obtenues et aux documents consultés au cours des investigations.

En ce qui concerne l'audition de personnes et la remise de documents, le groupe de travail se réfère dans sa lettre aux pratiques des commissions de gestion lors d'inspections effectuées dans le domaine d'activité du Conseil fédéral. Conformément à ces pratiques, le groupe de travail y précise les points suivants. Une copie des convocations adressées aux personnes à entendre sera transmise au président du Tribunal fédéral. Les juges et les collaborateurs du Tribunal fédéral seront entendus en tant que personnes appelées à fournir des renseignements et les principaux résultats de ces auditions seront enregistrés dans un procès-verbal remis uniquement aux membres du groupe de travail. Les personnes entendues recevront l'extrait du procès-verbal portant sur leurs déclarations et pourront, le cas échéant, apporter, à la main, des rectifications et des compléments. Le groupe de travail indique en outre qu'il est d'avis que les juges et les collaborateurs du Tribunal fédéral ne sont soumis à aucun secret de fonction envers l'autorité de haute surveillance.

Dans cette lettre
d'information, le groupe de travail insiste également sur le caractère confidentiel de ses travaux (art. 24 RCN et art. 16 RCE). Il en déduit que les juges et collaborateurs du Tribunal fédéral entendus par le groupe de travail sont, d'une manière générale, tenus de garder le secret sur leur audition, en particulier envers leurs collègues et leurs supérieurs hiérarchiques. Cela signifie également que les supérieurs hiérarchiques n'ont pas le droit de demander des renseignements sur les auditions à leurs collaborateurs, ni de consulter l'extrait des procès-verbaux d'auditions correspondants. Cette manière de faire a pour but de garantir aux colla5319

borateurs concernés qu'ils pourront déposer librement devant la commission et que leurs déclarations véridiques ne pourront entraîner aucune conséquence fâcheuse pour eux-mêmes (art. 47quater, al. 3, LREC en relation avec l'art. 47bis, al. 5, LREC).

Le groupe de travail précise encore que le secret sera également observé pour les documents dont il exigera la production lors de l'audition de juges ou de collaborateurs du Tribunal fédéral et que ces documents pourront lui être remis directement.

Dans cette lettre, le groupe de travail propose encore au Tribunal fédéral de prendre des mesures adéquates pour informer les collaborateurs sur leurs droits et leurs devoirs en vertu des points ci-dessus, en particulier sur le droit et l'obligation de faire des dépositions complètes et conformes à la vérité et de remettre les documents officiels.

2.2

Lettre du Tribunal fédéral du 17 mars 2003

Le 17 mars 2003, en connaissance de la teneur de la lettre du groupe de travail datée du même jour, le Tribunal fédéral a adressé une lettre aux présidents des deux conseils, aux présidents des commissions de gestion et au groupe de travail. Cette lettre comporte des remarques de principe ainsi que diverses propositions concernant l'inspection annoncée.

Dans cette lettre, le Tribunal fédéral exprime tout d'abord sa préoccupation majeure liée à l'incident du 11 février 2003 qui a provoqué, dans la presse et parmi les justiciables, de nombreux remous et interrogations. Il relève que la décision parlementaire de procéder à une inspection du Tribunal fédéral peut donner l'impression que les dysfonctionnements sont multiples, voire généralisés. Le Tribunal fédéral demande que tout soit mis en oeuvre pour dissiper très rapidement cette impression qui ne repose sur aucun élément concret, mais qui entame néanmoins le crédit de la Cour suprême.

Le Tribunal fédéral y fait également état de certaines de ses préoccupations concernant le respect de l'indépendance judiciaire. A son avis, le Tribunal fédéral et le Parlement doivent, dans des circonstances aussi particulières, définir ensemble et avec soin la manière d'exercer la haute surveillance parlementaire sur le Tribunal fédéral.

Dans sa lettre, le Tribunal fédéral expose aussi son interprétation de la situation juridique relative à l'exercice de la haute surveillance sur le Tribunal fédéral. Selon lui, si sla Constitution fédérale (Cst.) ne traite a priori pas différemment cette haute surveillance de celle exercée sur le Conseil fédéral et l'administration fédérale (art. 169, al. 1, Cst.), le législateur aurait en revanche bien marqué la différence de nature entre ces deux types de contrôle parlementaire. Selon le Tribunal fédéral, les dispositions ordinaires valables pour la haute surveillance sur l'administration fédérale (art. 47quater, al. 1 à 5, LREC notamment) devraient céder le pas, pour ce qui concerne la haute surveillance sur les tribunaux, aux «dispositions particulières des lois d'organisation des tribunaux fédéraux» (art. 47quater, al. 6, LREC). Le Tribunal fédéral précise que le renvoi à l'art. 21 OJ ne règle pas tous les problèmes, en raison du libellé peu détaillé de cette disposition. Elle doit donc être interprétée en fonction de chaque
situation nécessitant une intervention parlementaire. Toujours selon le Tribunal fédéral, ce renvoi signifie néanmoins que les règles légales relatives à l'exercice de la haute surveillance sur l'administration fédérale ne s'appliquent pas 5320

et, en d'autres termes, que le législateur fédéral a voulu un régime spécial qui tienne compte de la nature des relations entre le pouvoir politique et la Cour suprême.

Dans ces conditions, le Tribunal fédéral estime dans sa lettre qu'il serait souhaitable que les modalités de l'inspection puissent être définies ensemble. En substance, le Tribunal fédéral y présente les propositions suivantes: ­

Au sujet de la lumière sur les éventuelles irrégularités. Le Tribunal fédéral tient à ce que les soupçons d'irrégularités qui pèsent sur la Cour de cassation pénale soient éclaircis en priorité et le plus rapidement possible et que les résultats de ces investigations soient publiés avant fin avril 2003 afin d'éviter l'effritement de la confiance que les citoyens placent dans la plus haute institution judiciaire. Le Tribunal fédéral et la Cour de cassation pénale assurent le groupe de travail qu'il pourra disposer pour cela de toute l'aide nécessaire.

­

Au sujet du champ de l'inspection. Selon le Tribunal fédéral, le champ de l'inspection proprement dite doit se limiter avant tout aux soupçons d'irrégularités. Il est d'avis que les questions ayant trait à l'organisation de l'ensemble du Tribunal fédéral (procédures internes de médiation ou de résolution des conflits personnels) doivent être traitées de manière distincte, dans le cadre de la haute surveillance parlementaire ordinaire exercée sur le Tribunal fédéral. Il estime en effet que la réputation de l'ensemble du Tribunal fédéral risque d'être mise en cause si ce contrôle est exercé sous la forme d'une inspection exceptionnelle, présentée comme la conséquence de dysfonctionnements. Le Tribunal fédéral dit douter de l'opportunité de faire porter l'inspection sur l'institution en tant que telle, alors que les soupçons évoqués ne visent que la gestion de l'une de ses sections.

­

Au sujet du déroulement des auditions. Le Tribunal fédéral estime qu'il y a lieu d'appliquer par analogie les normes spécifiques de la loi fédérale sur le Parlement (LParl) qui sera vraisemblablement mise en vigueur au début de la prochaine législature et qui permettra au président du Tribunal fédéral d'être présent à l'audition des personnes appelées à fournir des renseignements et de consulter certains documents ou procès-verbaux (voir art. 167, al. 1, LParl, par renvoi de l'art. 162, al. 1, let. d, LParl).

­

Au sujet du secret de fonction: Le Tribunal fédéral estime que, malgré le principe fondamental exprimé à l'art. 169, al. 2, Cst. selon lequel le secret de fonction ne constitue pas un motif qui peut être opposé aux commissions de gestion, les greffiers et autres collaborateurs du Tribunal fédéral n'en sont pas déliés ipso iure, c'est-à-dire automatiquement, du seul fait de la mise en oeuvre d'une inspection. En effet, en vertu de l'art. 47quater, al. 6, LREC, l'art. 47quater, al. 1, LREC n'est pas applicable. Pour ne pas entraver l'inspection, le Tribunal se déclare néanmoins disposé à délier rapidement les personnes concernées du secret de fonction en application de la procédure des art. 84 et 85 de l'ordonnance sur le personnel du Tribunal fédéral (OPersTF), aussitôt que la liste des collaborateurs que le groupe de travail désire entendre lui sera remise.

Les présidents du Conseil national et du Conseil des Etats ne sont pas entrés en matière sur la lettre du Tribunal fédéral étant donné que, selon l'art. 47ter LREC, la haute surveillance du Tribunal fédéral incombe aux commissions de gestion et que, par principe, les présidents des conseils n'interviennent pas dans les travaux des 5321

commissions (lettre du 20 mars 2003). Les présidents des commissions de gestion ont pour leur part constaté que leurs commissions avaient chargé le groupe de travail «Tribunal fédéral» d'effectuer l'inspection en question et, partant, qu'il revenait à ce dernier de se pencher sur les réflexions du Tribunal fédéral et, au besoin, d'en tenir compte lors de ses investigations.

2.3

Réponse du groupe de travail du 21 mars 2003

A l'occasion de sa séance du 21 mars 2003, le groupe de travail a examiné de manière approfondie le contenu de la lettre du Tribunal fédéral du 17 mars 2003 et y a répondu. Il a arrêté les modalités de l'inspection de manière définitive, se déclarant toutefois disposé à entrer en matière, au cours de l'enquête proprement dite, sur des requêtes et souhaits du Tribunal fédéral. Le groupe de travail a répondu à la lettre du Tribunal fédéral du 17 mars 2003 de la manière suivante (extraits): «1. Généralités Le groupe de travail partage les préoccupations du Tribunal fédéral au sujet des soupçons pesant sur la Cour de cassation pénale et du possible effritement de la confiance que les citoyens placent dans la plus haute institution judiciaire. Le groupe de travail a également pour objectif de faire rapidement la lumière sur ces irrégularités supposées. Cela étant, seule une enquête sérieuse et crédible peut permettre de rétablir la confiance. Une procédure d'urgence ne permettrait en effet pas d'atteindre cet objectif.

Pour être crédible, une enquête doit être menée selon une procédure elle aussi crédible. Pour garantir cette indispensable crédibilité, le groupe de travail a exposé les principes à la base des activités de surveillance des commissions de gestion dans sa lettre du 17 mars 2003. Ces principes ont fait leurs preuves lors des inspections dans les domaines d'activités du Conseil fédéral et d'autres acteurs assumant des tâches publiques. La procédure présentée par le groupe de travail ne remet pas en cause l'indépendance judiciaire du Tribunal fédéral et il n'y a aucune raison pour que la haute surveillance sur la gestion du Tribunal fédéral soit exercée selon d'autres normes.

L'autorité de surveillance est seule compétente pour décider de la procédure de surveillance. Le groupe de travail est néanmoins disposé à tenir compte des propositions du Tribunal fédéral dans le cadre de leurs réflexions.

2. Objet et durée de l'inspection Le Tribunal fédéral désire que le groupe de travail réduise le champ de son inspection avant tout aux prétendues irrégularités à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral et publie les résultats de ses investigations le plus rapidement possible, soit d'ici à la fin du mois d'avril 2003, les questions relatives à l'organisation du tribunal devant être examinées
dans le cadre de la haute surveillance ordinaire.

L'orientation générale de l'examen a été arrêtée par les commissions de gestion dans le mandat qui charge le groupe de travail d'effectuer l'examen en question. Le groupe de travail estime d'emblée qu'il n'est pas judicieux de séparer les deux sujets [...].

5322

En raison des impératifs horaires (auditions, rédaction et traduction du rapport, délibérations du groupe de travail, recours ­ le cas échéant ­ à des experts, prise de position du Tribunal fédéral, délibérations des commissions de gestion), il est exclu d'envisager d'achever l'enquête sur les éventuelles irrégularités d'ici à fin avril 2003. Un examen accéléré à ce point ne serait en outre pas crédible et nuirait à l'image du Tribunal fédéral. De plus, la crédibilité des commissions de gestion s'en trouverait également affectée.

Toutefois, si les investigations au sujet de ces irrégularités devaient rapidement montrer que les soupçons s'avèrent non fondés, le groupe de travail n'exclut pas d'informer le public de ce constat avant la publication du rapport final proprement dit.

3. Procédure a) Bases légales de la haute surveillance sur le Tribunal fédéral Contrairement à l'avis du Tribunal fédéral, l'art. 47quater, al. 1 à 5, LREC est applicable par analogie au Tribunal fédéral. Cet article règle le droit de demander des renseignements et de consulter des documents, les droits des personnes appelées à fournir des renseignements, le secret de fonction auquel les commissions de gestion sont tenues ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, si important pour le Tribunal fédéral (al. 4). Quant à l'al. 6 de cet article, il précise que la haute surveillance de la justice s'exerce conformément aux dispositions particulières des lois d'organisation des tribunaux fédéraux. Cette disposition n'a pas été concrétisée à l'échelon de la loi, l'art. 21, al. 1, OJ répétant uniquement que, conformément à l'art. 169, al. 1, Cst., la compétence en matière de haute surveillance sur le Tribunal fédéral incombe à l'Assemblée fédérale. Cette disposition n'a d'ailleurs pas non plus été suivie d'effets pratiques. Cela étant, si l'art. 47quater, al. 1 à 5, LREC n'était pas applicable au Tribunal fédéral, les commissions de gestion ne pourraient pas assumer leurs obligations en matière de haute surveillance sur le Tribunal fédéral, ce qui serait contraire à l'esprit de la loi. Par conséquent, l'al. 6 de l'art. 47quater ne constitue pas un choix alternatif aux al. 1 à 5; il leur est complémentaire. En outre, en suivant une interprétation historique contemporaine, il ne fait aucun doute que l'ensemble de l'art. 47quater
s'applique au Tribunal fédéral, tant il est vrai que, dans son projet de loi sur le Parlement ­ qui entrera probablement en vigueur en décembre 2003 ­ le législateur a, sans innover et en partant de l'acception actuelle, déclaré cette disposition applicable par analogie aux tribunaux fédéraux (art. 162, al. 1, let. c, en corrélation avec l'art. 153, LParl).

b) Déroulement des auditions [...] Le Tribunal fédéral souhaite que son président soit présent lors des auditions des personnes appelées à fournir des renseignements et puisse consulter les documents produits ainsi que les procès-verbaux. Pour sa demande, le Tribunal fédéral se base sur une application par analogie de l'art. 167, al. 1, LParl. Cette disposition particulière ne concerne toutefois que les commissions d'enquête parlementaires (CEP) et ne s'applique pas aux activités des commissions de gestion. Le groupe de travail ne peut pas accéder à cette demande. Dans l'intérêt de la recherche de la vérité, il est indispensable de garantir aux personnes appelées à fournir des renseignements 5323

que leurs déclarations seront traitées de manière confidentielle. Pour le groupe de travail, il est tout aussi évident qu'il donnera au président du Tribunal fédéral et aux juges fédéraux concernés suffisamment de temps pour apporter des rectifications ou pour exercer leur droit de réponse à des déclarations ou des avis exprimés au sujet de documents examinés. Selon l'évolution de l'enquête, il pourrait s'avérer judicieux de procéder à des auditions communes ou à des confrontations. Le Tribunal fédéral pourra présenter des propositions dans ce sens cas par cas.

c) Secret de fonction Le groupe de travail constate qu'il n'est pas nécessaire de délier les collaborateurs du Tribunal fédéral de leur secret de fonction. l'al. 3 de l'art. 58 OPersTF précise que les employés appelés à déposer «à titre de partie, de témoin ou d'expert» sur des faits soumis au secret professionnel et de fonction doivent disposer d'une autorisation écrite de leur employeur. Les personnes entendues par le groupe de travail le sont en tant que personnes tenues de renseigner l'autorité de surveillance, autorité à laquelle il n'est pas possible d'opposer le secret de fonction. En tant que telles, elles ne tombent pas sous le coup de la disposition de cet al. 3. Selon l'al. 4, l'art. 47bis LREC demeure réservé. L'art. 47bis, al. 3, prévoit la levée du secret de fonction par le Conseil fédéral lors d'auditions par les commissions législatives.

L'art. 47quater LREC, déterminant pour les commissions de gestion, y est expressément réservé. L'art. 47quater LREC qui, comme cela vient d'être précisé, s'applique aussi au Tribunal fédéral, ne comporte aucune disposition relative à la levée du secret de fonction.

Le groupe de travail attache de l'importance à ce que le Tribunal fédéral informe ses collaborateurs avant les auditions et leur précise qu'ils peuvent et doivent donner tout renseignement opportun, et ce de manière véridique.

Le groupe de travail vérifiera ce point au début de chaque audition et n'entendra pas les personnes concernées avant que cette condition soit remplie. [...]» [Traduction]

2.4

Réponse du Tribunal fédéral du 24 mars 2003

Dans une courte lettre datée du 24 mars 2003, le Tribunal fédéral regrette ne pouvoir partager entièrement le point de vue du groupe de travail, mais qu'il n'entend pas poursuivre une discussion de procédure. Il y souligne que le groupe de travail peut compter sur son appui pour établir la vérité dans le respect des droits de chacun. Il y précise encore qu'il a informé le personnel concerné en lui remettant une copie de la lettre du groupe de travail datée du 21 mars 2003.

3

Incident du crachat du 11 février 2003

L'examen de l'incident du crachat par les commissions de gestion ne constitue ni une procédure pénale, ni une procédure disciplinaire à l'encontre du juge fédéral Martin Schubarth. Les commissions de gestion n'ont aucune légitimité pour conduire de telles procédures. Les investigations à la base de cette partie du rapport avaient pour but d'une part de faire la lumière sur cet incident, tant envers le Parle5324

ment qui exerce la haute surveillance sur le Tribunal fédéral qu'envers la population, et, d'autre part, de chercher des solutions possibles. Les commissions de gestion ont cependant décidé d'utiliser leur marge de manoeuvre pour évaluer l'incident et formuler des recommandations.

Dans le cas d'espèce, le juge fédéral Martin Schubarth a publiquement contesté la décision du Tribunal fédéral de le priver du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles. Il n'a pas non plus suivi la recommandation du Tribunal fédéral qui l'invitait à démissionner. Au lieu de cela, il a tenté ­ à nouveau publiquement ­ de se disculper, ou, plus précisément, de justifier son acte. Pour cette raison, les commissions de gestion estiment qu'il est indiqué de présenter les résultats de leurs investigations de manière détaillée.

3.1

Déroulement des événements

Le mardi 11 février 2003, le matin à 8 h 15, au bas de l'escalier menant à l'entrée du bâtiment du Tribunal fédéral à Lausanne, un greffier de la Cour de cassation pénale rencontre Markus Felber, journaliste accrédité de la NZZ. Ensemble, ils passent la porte d'entrée du tribunal. Dans le hall d'entrée, ils s'arrêtent au pied de l'escalier intérieur pour s'entretenir quelques instants. Les personnes qui pénètrent dans le bâtiment après eux doivent passer derrière Markus Felber. Le greffier est tourné de telle manière qu'il lui est possible de voir qui passe la porte d'entrée. Felber, quant à lui, tourne le dos à l'entrée et aux personnes qui la passent. Du coin de l'oeil, le greffier voit entrer le juge fédéral Martin Schubarth et passer derrière le journaliste, dans le dos duquel il marque un bref arrêt. Le greffier pense que le juge Schubarth veut le saluer et regarde dans sa direction. A ce moment, le juge poursuit son chemin en direction de l'escalier et, tout en marchant, tourne son visage en direction de Markus Felber et du greffier et crache dans leur direction. Il atteint le greffier au visage. Le juge fédéral Schubarth poursuit son chemin sans un mot. Lorsqu'il atteint la première marche de l'escalier, le greffier lui crie: «Eh, mais tu m'as atteint!» [Traduction]5 Le juge Schubarth presse le pas et, arrivé en haut de l'escalier, emprunte le couloir de droite et disparaît.

S'exprimant au sujet de l'incident, le greffier a indiqué avoir entendu un fort bruit de crachat et que, à ce moment-là, le visage du juge Schubarth exprimait la haine. Selon sa description, le juge Schubarth a accumulé de la salive dans sa bouche et craché de manière ciblée. Il a également précisé qu'il n'avait entendu aucun bruit de toux, ni avant, ni après le crachat. Au moment du crachat, Markus Felber tournait le dos au juge Schubarth et n'avait donc pas pu voir le geste de ce dernier. Le journaliste a indiqué qu'il était possible que son manteau ait été touché, mais qu'il n'aurait sans doute pas pu être atteint au visage. Markus Felber a déclaré s'être rendu compte, au vu de la réaction de son interlocuteur, que quelqu'un passait derrière lui. Le greffier avait eu un léger hochement de tête pour saluer une personne qui se trouvait dans son dos. Quelques brefs instants plus tard, il a entendu le greffier, surpris,
s'écrier «Eh, mais tu m'as atteint!». Il a déclaré s'être retourné à ce moment-là et avoir vu le juge fédéral Schubarth s'en aller rapidement. Au moment de son audition, Markus Felber a précisé qu'il ne se souvenait plus s'il avait ou non entendu un bruit de crachat, mais qu'il pouvait confirmer qu'il n'avait pas entendu de toux.

5

«He, du hast mich ja getroffen!»

5325

Le greffier s'est immédiatement rendu chez son supérieur hiérarchique direct et lui a relaté l'incident. Ce juge fédéral l'a invité à se rendre chez l'actuel président de la Cour de cassation pénale, le juge fédéral Roland Schneider. Le greffier s'est rendu chez celui-ci sur le champ et lui a décrit l'incident. A la question de savoir si le juge fédéral Schubarth s'était excusé, le greffier a répondu qu'il ne s'était pas excusé et avait continué son chemin. Le président de la Cour de cassation pénale a assuré le greffier qu'il demanderait des explications au juge Schubarth si ce dernier ne venait pas s'excuser dans la demi-heure. Au cours de la discussion avec le juge fédéral Schneider, le greffier a précisé qu'il renonçait à déposer une plainte pénale ou à entreprendre d'autres démarches contre le juge Schubarth.

Après cet entretien avec le président de la Cour de cassation pénale, le greffier s'est rendu dans son bureau afin de se préparer pour une audience. Vers 9 h 30, le président de la Cour de cassation pénale rappelait le greffier pour savoir si le juge fédéral Schubarth était venu le trouver. Suite à la réponse négative du greffier, le juge fédéral Schneider s'est rendu au bureau du juge Schubarth et lui a demandé s'il s'était rendu compte qu'il venait de blesser très profondément le greffier concerné et qu'il ne s'était même pas excusé. Le président de la Cour de cassation pénale a déclaré que le juge Schubarth a eu un sourire cynique et qu'il lui a en substance répondu qu'il y avait deux porcs dans la maison, que Felber était l'un des deux et que celui qui en côtoyait un risquait également d'être touché.6 Un peu plus tard, à 10 heures, deux audiences de la Cour de cassation pénale ont eu lieu sous la présidence du juge fédéral Roland Schneider. Le juge fédéral Schubarth et le greffier concerné ont assisté à la première audience. Le juge Schubarth et le greffier étaient les premiers à se trouver dans la salle d'audience. Le greffier a déclaré à ce sujet que, en lui serrant la main, le juge Schubarth lui avait dit d'oublier l'incident du matin et que toute personne qui côtoyait ce sale chien, ce salopard de Felber et sa racaille de vassaux devait s'attendre à être atteint.7 Personne ne se trouvait encore dans la salle d'audience au moment de cette déclaration. L'audience s'est déroulée
sans problème et a duré environ vingt minutes. Le greffier a ajouté que, à l'issue de la séance, le juge Schubarth s'étant une fois encore adressé à lui pour lui dire d'oublier l'incident du matin, il lui a répondu que son comportement l'avait offensé. Selon le greffier, le juge Schubarth s'est montré étonné et lui a répondu: «Oui, mais ce n'est pas toi que je voulais atteindre, mais ce sale chien de Felber.» [Traduction]8 A 11 h 20, le président du Tribunal fédéral, Heinz Aemisegger, qui participait à un séminaire à Dorigny, a été informé de l'incident par téléphone. Il est retourné au Tribunal fédéral et a fixé diverses séances pour l'après-midi. Il a entendu les parties directement concernées par l'incident et a convoqué la Conférence des présidents pour le jour même. Lorsqu'il a entendu le juge fédéral Schubarth dans le courant de l'après-midi, le président du Tribunal fédéral s'est trouvé en présence d'un homme malade, souffrant de problèmes respiratoires et d'une toux productive. Cette consta6

7

8

«Es gibt zwei Schweine in diesem Haus. Das eine ist Felber, das andere ist [nom connu du groupe de travail]. Wenn man sich mit diesen unterhält, riskiert man, dass man etwas abbekommt.» «Vergiss den Vorfall von heute Morgen. Dieser Sauhund, dieser Saukerl, das Saupack von einem Felber und seine Vasallen [noms connus du groupe de travail]; wer bei diesen steht, muss damit rechnen, dass er etwas abbekommt.» «Ja, aber ich wollte ja gar nicht Dich treffen, sondern diesen Sauhund von einem Felber.»

5326

tation l'a amené à lui demander si l'incident était lié d'une quelconque manière à son état de santé. Le juge Schubarth lui a répondu que cela n'était pas le cas sur le fond, mais qu'il était possible que la maladie ait joué un rôle. Il a ajouté qu'il avait subi de telles agressions au cours de la campagne de réélection de décembre 2002 qu'il s'en est trouvé psychiquement et physiquement affaibli. Le président du Tribunal fédéral a cependant précisé que, au cours de cet entretien, le juge Schubarth n'avait aucunement insisté sur le fait que le crachat n'était pas intentionnel.

Un autre journaliste qui se trouvait au Tribunal fédéral ce jour-là avait été informé de l'incident le matin même par Markus Felber qu'il avait rencontré dans la salle des journalistes. Il a demandé au Tribunal de le renseigner au plus vite sur cet événement. Au cours de l'après-midi, une séance réunissant le président et le secrétaire général du Tribunal fédéral ainsi que Markus Felber et le journaliste déjà au courant de l'incident a eu lieu dans le bureau du premier nommé. Les représentants du tribunal ont indiqué aux deux journalistes que l'incident, selon une déclaration du juge Schubarth, était lié à son état de santé et pouvait avoir été provoqué par une quinte de toux. Les journalistes ont émis un doute quant à cette explication tant il est vrai qu'ils étaient déjà au courant de la déclaration que le juge Schubarth avait faite au greffier et qui permettait de conclure à un crachat intentionnel. Les représentants du tribunal ont précisé que le Tribunal fédéral devait procéder à des investigations plus approfondies avant de pouvoir prendre officiellement position sur cet incident.

Ils ont promis de plus amples informations pour le lendemain à midi. Les journalistes se sont déclarés d'accord de retenir l'information jusque-là.

Plus tard, après s'être entretenus avec leurs rédactions respectives, les journalistes se sont déclarés d'accord de renoncer, dans l'intérêt du Tribunal fédéral en tant qu'institution, à publier tout compte-rendu sur l'incident en question si le juge fédéral Schubarth présentait sa démission pour raison de santé avant midi du jour suivant, ce qu'il n'a pas fait (voir le ch. 3.5.1 consacré plus particulièrement à la prise de position du juge Schubarth).

La Conférence des présidents du Tribunal
fédéral ­ qui est constituée des présidents de toutes les cours ­ a siégé vers la fin de l'après-midi et rédigé un message adressé au juge fédéral Schubarth, au greffier concerné, à Markus Felber, aux représentants de la presse accrédités et à tous les membres du tribunal. Ce message leur est parvenu le jour suivant, c'est-à-dire le 12 février 2003 et avait en substance la teneur suivante: «La Conférence des présidents du Tribunal fédéral a eu connaissance d'un incident qui a eu lieu dans le bâtiment du tribunal le 11 février 2003 entre de juge fédéral Martin Schubarth, M. Markus Felber, correspondant de la NZZ et un greffier du Tribunal fédéral. Il lui a été rapporté que le juge fédéral Martin Schubarth aurait à cette occasion enfreint les convenances. Le cas échéant, le Tribunal fédéral regrette cet incident. Il attache de l'importance à ce que chacun respecte les convenances et fasse preuve de civilité. La violation de ces règles ne saurait être tolérée.» [Traduction]

5327

3.2

Conséquences pour le Tribunal fédéral

Au cours des jours qui ont suivi, l'incident du crachat a fait les grands titres de la presse. Ainsi, le journal Blick a titré «Vorsicht! Dieser Richter spuckt» et «Untragbar»9. Quant au commentaire de la Basler Zeitung, il a souligné qu'aucun juge, et encore moins un juge dans cette position, ne pouvait se laisser aller de la sorte; ce geste lui a non seulement fait perdre toute crédibilité et l'a rendu indésirable, il a également nui très fortement à la crédibilité du Tribunal fédéral. Le commentaire du Tages-Anzeiger était certes un peu plus modéré, mais, dans l'intérêt de l'image et de la crédibilité de l'institution, demandait quand même à Martin Schubarth de remettre en question son appartenance au Tribunal fédéral et de se demander si son maintien en fonction servait encore la Justice. Parallèlement, les médias ont également repris les reproches dont certains journaux s'étaient déjà fait l'écho avant et après la réélection des juges du Tribunal fédéral du 11 décembre 2002. Dans quelques articles, il avait en effet été question du manque de compétences sociales du juge fédéral Schubarth qui aurait agi de manière autoritaire et se serait rendu coupable de gestion incorrecte des affaires alors qu'il présidait la Cour de cassation pénale. De plus, de nouveaux reproches de manipulation de jugements ont également été formulés à l'encontre du juge Schubarth à l'occasion de l'incident du crachat (voir ch. 4).

En tant qu'institution, le Tribunal fédéral et ses 30 juges sont un sujet rarement abordé par les médias. En règle générale, ceux-ci ne mentionnent le Tribunal fédéral qu'à l'occasion d'arrêts principaux de grande portée pour la collectivité. Suite à cet incident, la plus haute instance judiciaire a été dénigrée des jours durant. En l'espace de quelques jours, le Tribunal fédéral a reçu environ 50 lettres de la part de citoyens indignés. Des justiciables ont également déposé des requêtes demandant la révision de leurs procès car ils refusaient des décisions prises par des juges qui se comportent de la sorte. Des avocats ont clairement fait savoir que, à l'avenir, ils allaient refuser avec insistance que leurs clients soient jugés par Martin Schubarth. Le tribunal s'est rendu compte que, de toute évidence, la confiance de nombreux justiciables et citoyens avait été ébranlée.

3.3

Décision du Tribunal fédéral du 19 février 2003 et indication des motifs du 13 mai 2003

Le 19 février 2003, le Tribunal fédéral s'est réuni en Cour plénière. A l'exception de deux d'entre eux, tous les juges étaient présents à cette réunion, Martin Schubarth compris. Après environ deux heures de discussion, le Tribunal fédéral a publié sa décision dans un communiqué de presse (en allemand uniquement) dont la teneur était en substance la suivante: «Le Tribunal fédéral condamne fermement l'incident du crachat, dont le juge fédéral Martin Schubarth s'est rendu l'auteur le 11 février 2003 dans le hall d'entrée du Tribunal fédéral et qui a été abondamment commenté par la presse. Aujourd'hui, au vu de cet événement et après une discussion approfondie et ouverte en présence du juge fédéral Marin Schubarth, la Cour plénière a, à l'unanimité moins deux abstentions, pris la décision suivante: 9

«Attention! Ce juge crache» et «Intolérable».

5328

En vertu des ses compétences organisationnelles, le Tribunal fédéral a pris la décision de décharger avec effet immédiat le juge fédéral Martin Schubarth de ses tâches jurisprudentielles et l'a invité à démissionner.» [Traduction] En même temps, sur demande du juge fédéral Martin Schubarth, le secrétaire général du Tribunal fédéral déclarait à la presse que celui-ci réservait sa décision, qu'il n'entendait pas se déterminer en pleine situation de crise, cela d'autant plus qu'il souffrait de problèmes de santé.

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral n'a pas donné plus de détails pour justifier sa décision. Le jour qui a suivi la décision, Heinz Aemisegger, président du Tribunal fédéral, l'a toutefois commentée devant les médias. Selon le quotidien Der Bund10, Heinz Aemisegger a précisé que les lois en vigueur n'étaient en l'occurrence d'aucun secours étant donné que le législateur n'avait pas réglé explicitement le cas d'espèce. Les juges se sont donc basés sur les compétences organisationnelles du Tribunal fédéral. L'interprétation de celles-ci leur a permis de conclure qu'il était possible de priver le juge Schubarth du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles. Toujours selon Der Bund, Heinz Aemisegger a précisé que les juges s'attendaient à ce que cette conclusion fasse l'objet de critiques, mais qu'ils avaient décidé d'agir.

Dans le courant du mois d'avril, le juge fédéral Martin Schubarth a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de démissionner et qu'il était de nouveau en mesure de travailler. Il a également mis en doute la légitimité de la décision du tribunal (voir ch.

3.5.4). Là-dessus, le Tribunal fédéral a encore une fois confirmé sa décision du 19 février 2003 et, le 13 mai 2003, a publié un développement détaillé de ses motifs dans un communiqué de presse: «1. Incident du crachat du 11 février 2003 Le point de départ de cette affaire est le crachat du juge fédéral Schubarth le 11 février 2003. En passant à proximité d'un journaliste avec lequel il entretenait des relations tendues, M. Schubarth a craché dans sa direction et il a atteint involontairement un greffier qui se trouvait là. Il s'est éloigné sans un mot puis, plus tard, il a dit en substance au greffier que celui qui côtoyait cette personne prenait le risque d'être lui-même touché. Dans les jours qui ont suivi,
il n'a pas présenté d'excuses.

2. Séance plénière du Tribunal fédéral du 19 février 2003 Après des entretiens approfondis avec M. Schubarth, le Tribunal fédéral, réuni en Cour plénière le 19 février 2003, a pris la décision de le décharger avec effet immédiat de ses tâches jurisprudentielles, en l'invitant en outre à démissionner. M. Schubarth a participé en personne à l'entier de la séance plénière. Il a pu, à cette occasion, s'exprimer de façon très circonstanciée sur son affaire et entendre les avis exprimés par tous ses collègues.

3. Conditions pour décharger un juge de ses tâches jurisprudentielles Les juges fédéraux sont élus pour une période fixe de six ans, renouvelable.

La loi ne prévoit pas expressément de destitution. Le législateur est sans nul doute parti de l'idée que si l'on devait se trouver dans la situation où un juge 10

Der Bund du 21 février 2003, p. 7, «Uns ging es um das Ansehen der Justiz».

5329

suprême se verrait reprocher un comportement fautif tel que celui qu'on vient d'évoquer, il aurait la dignité d'en assumer les conséquences et de démissionner. Dès lors, dans des circonstances extrêmes, lorsque sont en jeu sa crédibilité et sa capacité de fonctionner, le Tribunal fédéral peut se voir contraint de priver un juge du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles. Il faut cependant que la situation soit grave à un point tel qu'une mesure moins incisive ­ comme l'attribution à une autre section ou cour ­ ne soit pas suffisante.

4. Appréciation de l'incident du crachat du 11 février 2003 Cracher au visage de quelqu'un est une manière particulièrement basse de lui signifier du mépris ou de la haine. Pareil comportement n'est pas admissible même de la part d'un enfant. Lorsqu'un adulte agit de la sorte, on peut en déduire qu'il n'est même pas disposé à accorder à l'autre une considération minimale. Celui qui crache contre autrui montre qu'il a perdu toute maîtrise de soi. Tout employé qui se conduit ainsi risque de perdre son emploi. Un tel comportement n'est pas compatible avec des relations sociales correctes. A plus forte raison en va-t-il ainsi quand la personne en cause est un magistrat. Par son acte, M. Schubarth s'est non seulement disqualifié luimême mais il a ridiculisé l'institution à laquelle il appartient. Celui qui perd à un point tel le contrôle de lui-même et viole si grossièrement les convenances, n'est plus susceptible d'être accepté comme juge par les justiciables.

Dans cette situation, on ne voit pas de solution alternative à ce qui a été décidé; c'est pourquoi le Tribunal fédéral a estimé que la mesure consistant à décharger définitivement l'intéressé de ses tâches jurisprudentielles était proportionnée. [...]» Les juges entendus par le groupe de travail ont été unanimes à déclarer que ni les tensions au sein de la Cour de cassation pénale, ni le prétendu comportement très autoritaire du juge Schubarth ou les irrégularités présumées durant sa présidence n'ont été pris en compte lors de la décision qui a privé le juge Schubarth de ses compétences jurisprudentielles. Ils ont précisé que c'est l'incident du crachat et uniquement cet incident qui a motivé cette décision sans précédent, tant il est vrai qu'un tel comportement, de la part d'un juge fédéral qui plus est, nuit fortement à l'image de la Justice et à la crédibilité du tribunal et n'est pas compatible avec la position d'un magistrat.

3.4

Rapports du juge fédéral Martin Schubarth avec le journaliste Markus Felber et avec les médias

Markus Felber est journaliste accrédité auprès du Tribunal depuis 1981. Martin Schubarth a été élu juge fédéral en 1982. Leurs rapports ont été normaux durant de nombreuses années. Au cours des années 1999 à 2000, alors que Martin Schubarth assumait simultanément les fonctions de président du Tribunal fédéral et de président de la Cour de cassation pénale, ils ont eu un différend au sujet de la pratique du Tribunal fédéral en matière d'anonymat des jugements. Pour des motifs ayant trait à la protection de la personnalité, la pratique du Tribunal fédéral en la matière était plutôt étendue. Estimant qu'il s'agissait d'un obstacle à leur activité, les journalistes accrédités ont critiqué cette pratique. Avec le temps, ce différend s'est mué en 5330

querelle personnelle: Dans la NZZ du 17 juin 2000, Markus Felber a reproché au juge Schubarth d'avoir fait caviarder les noms des protagonistes d'un jugement relatif à l'affaire zurichoise des patentes d'auberge, affaire liée au cas de corruption Raphael Huber, alors même que ces personnes avaient été, à juste titre, condamnées pour corruption active. Il a également critiqué le fait que l'opération avait été compliquée en attribuant deux initiales fictives différentes ­ X et A ­ à l'accusé principal. Dans ce même article, Markus Felber avait aussi écrit que le fait d'induire la presse en erreur en attribuant une mauvaise quotité de peine à un condamné dont le nom avait été tu, était particulièrement «perfide» de la part de la plus haute instance judiciaire.11 Le juge Schubarth, à l'époque président de la Cour de cassation pénale et président du Tribunal fédéral, avait pris cet article pour une attaque dirigée à la fois contre sa personne et contre l'institution du Tribunal fédéral. Il aurait attendu du journaliste avec lequel il avait entretenu de bonnes relations jusque-là qu'il lui fasse part de ses critiques avant de publier son article afin de régler le problème. En procédant ainsi, il serait, selon le juge Schubarth, rapidement apparu qu'il y avait eu un malentendu lors du caviardage qui, soit dit en passant, avait été effectué par des greffiers et le personnel de chancellerie et non par des juges fédéraux. Cette manière de faire avait courroucé le juge Martin Schubarth qui s'en était plaint par lettre au rédacteur en chef de la NZZ, sans effet selon lui. Le juge Schubarth a mentionné que, à plusieurs reprises, Markus Felber avait contesté l'une ou l'autre chose. Bien qu'ayant à chaque fois discuté avec lui et indiqué que le tribunal avait vu le problème, le journaliste avait tout de même écrit ses articles comme si le tribunal n'avait pas réagi à sa critique, raison pour laquelle le juge Schubarth s'est senti trahi.

Avec le temps, tout le Tribunal fédéral était au courant des tensions entre le juge et le journaliste. Ils ne communiquaient d'ailleurs plus entre eux autrement que par écrit. D'après les collègues du juge Schubarth, chaque fois que le journaliste publiait une critique, le conflit s'enflammait de nouveau. Le juge Schubarth s'énervait fortement et ses collègues tentaient de le calmer.
Ces tensions ont atteint un point culminant avec la publication dans la NZZ des articles de Markus Felber avant et après la réélection des juges fédéraux pour la période de fonction 2003 à 2008. Cette élection a eu lieu le 11 décembre 2002. Le jour suivant, Markus Felber écrivait dans la NZZ12 que le résultat de la réélection du juge fédéral Schubarth avait été attendu avec un certain suspense étant donné que son caractère et sa gestion des affaires avaient fait l'objet de discussions au cours de l'été précédent et qu'un certain nombre d'articles avaient été publiés à ce sujet au cours des jours qui ont précédés l'élection. Il s'agissait d'allusions plus ou moins voilées à son caractère autoritaire et peu amène ainsi qu'à l'influence peu favorable aux médias qu'il exerçait sur la jurisprudence, mais ces articles ne sont de toute évidence pas parvenus à empêcher sa réélection. Dans ce même article, Markus Felber ajoutait en substance que certains des reproches formulés derrière le dos du juge Schubarth ­ pour l'essentiel ceux qui avaient trait à l'autoritarisme dont il avait fait preuve et à ses manquements aux devoirs de fonction lorsqu'il présidait la Cour de cassation pénale ­ auraient en revanche pu s'avérer dangereux. Cela étant, d'après le journaliste, l'affaire n'aurait jamais été tirée au clair étant donné que le tribunal aurait refusé de mettre les faits sur la table. «Cette retenue distinguée peut 11 12

NZZ du 17 juin 2000, p. 47, «Bestätigte Schuldsprüche wegen Bestechung».

NZZ du 12 décembre 2002, p. 19, «Alle 29 Bundesrichter wiedergewählt ­ Auch Martin Schubarth klar über dem absoluten Mehr» (Les 29 juges fédéraux réélus ­ Martin Schubarth a lui aussi nettement dépassé la majorité absolue).

5331

paraître justifiée eu égard à la réputation de la Justice, mais elle est tout de même étonnante tant l'espoir secrètement nourri de voir le tourmenteur manquer la majorité absolue était évident. La tentative a cependant échoué par crainte des éclaboussures.» [Traduction]13 La lecture de cet article a particulièrement touché le juge Schubarth car il a estimé que Markus Felber devait tenir ces informations de juges et de collaborateurs du Tribunal fédéral, peut-être même en violation du secret de fonction. C'est pour cette raison que, du point de vue du juge Schubarth, Markus Felber était l'un des rouages d'une conspiration que certains de ses collègues juges avaient dirigée contre lui.

Il faut relever ici que plusieurs juges fédéraux avaient fait part à Markus Felber de leur indignation au sujet de l'attaque personnelle dirigée contre le juge Schubarth dans l'article du 17 juin 2000. Il convient d'ailleurs de relativiser les accusations de la presse selon lesquelles le juge fédéral Schubarth serait responsable de plusieurs jugements «dirigés contre les médias»14 prononcés au cours de ces dernières années.

Tous les jugements en cause ont été prononcés à la majorité des juges siégeant à la Cour de cassation pénale. La contribution individuelle du juge Schubarth à chacun de ces jugements n'apparaît pas. Ayant examiné la méthode de travail de la Cour de cassation pénale, le groupe de travail ne peut confirmer l'opinion prévalant parmi les journalistes selon laquelle le juge Schubarth aurait joué un rôle déterminant dans ces jugements. D'une manière générale, le juge Schubarth a la réputation d'avoir une attitude hostile envers la presse. Cela tient d'une part au fait qu'il a parfois eu des mots vifs à l'égard de la presse, d'autre part au fait que la Cour de cassation pénale, que Martin Schubarth a présidé au cours des quatre dernières années, a été amenée à plusieurs reprises à rendre des jugements impliquant une pesée des intérêts entre liberté de la presse et protection de la personnalité. Ces jugements ont naturellement été analysés de manière critique par les journalistes.

13

14

«Gefährlich hätten ihm dagegen einige der hinter vorgehaltener Hand erhobenen Vorwürfe werden können, bei denen es im Wesentlichen um die eigenmächtige und angeblich unkorrekte Amtsführung Schubarths als Präsident des Kassationshofes in Strafsachen geht. Zu einer Klärung der Sache kam es indes nicht, weil das Gericht es ablehnte, die Fakten auf den Tisch zu legen. Die vornehme Zurückhaltung mag mit Rücksicht auf das Ansehen der Justiz gerechtfertigt sein, erstaunte aber doch, weil gleichzeitig die heimlich gehegte Hoffnung unverkennbar war, der Störefried könnte das absolute Mehr auch so verfehlen. Doch der Versuch ist gescheitert, dem ungeliebten den Pelz zu waschen, ohne das eigene Fell nass zu machen.» Notamment: Le «cas Jagmetti», ATF 126 IV 236/6S.425/2000, affaire dans laquelle le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation d'un journaliste de la Sonntags-Zeitung pour publication de débats officiels secrets (art. 293 CP) étant donné qu'il avait publié des extraits d'un document stratégique de Carlo Jagmetti, l'ambassadeur de Suisse aux EtatsUnis. L'ATF 127 IV 122/6S.49/2000, affaire dans laquelle le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation d'un journaliste du Blick pour instigation à la violation du secret de fonction parce qu'il avait demandé à une employée du Ministère public zurichois de lui indiquer les antécédents judiciaires des personnes arrêtées dans le cadre de l'enquête sur le hold-up du Fraumünster. L'ATF 127 IV 166/6P.152/2000, affaire dans laquelle le Tribunal fédéral a jugé que la condamnation à une amende d'un journaliste italien pour franchissement illégal de la frontière ne contrevenait pas à la liberté de la presse. Le journaliste en question avait accompagné des réfugiés pour franchir la frontière illégalement avec des passeurs dans le but d'obtenir des renseignements de première main.

5332

3.5

Réactions du juge fédéral Martin Schubarth après l'incident

3.5.1

Déclarations du juge fédéral Martin Schubarth au sujet de l'incident du crachat

L'après-midi du 11 février 2003, alors que le Tribunal fédéral n'avait pas encore achevé l'examen de l'incident, le président du tribunal transmettait aux deux journalistes présents une déclaration du juge fédéral Martin Schubarth. Dans cette déclaration, Martin Schubarth explique que, souffrant d'un fort refroidissement, il a été pris d'une forte émotion en apercevant le correspondant de la NZZ. A ce moment, quelque chose est remonté et, pris d'une quinte de toux, il s'est malheureusement tourné vers le journaliste et le greffier en pleine discussion. Une expectoration a atteint le greffier au visage.

Une dépêche de l'Agence télégraphique suisse (ats) du 12 février 2003 indiquait que, selon la présentation des faits par le juge Schubarth, de la salive avait été projetée lors d'une quinte de toux réprimée. Sous l'influence du conflit personnel qui l'opposait au correspondant de la NZZ, il s'était tourné vers lui à ce moment-là, ce qui, il le reconnaissait volontiers, avait été une idiotie. Le juge Schubarth a également déclaré à l'agence de presse Associated press (AP): «Je ne cherche pas à enjoliver les faits.» Il regrettait l'incident, mais excluait une démission. Il a précisé qu'il était possible que la vue du journaliste, qui l'avait attaqué dans plusieurs articles, ai pu provoqué l'accès de toux. «Quelque chose est remonté et je me suis à ce moment-là tourné malencontreusement vers lui.» [Traduction]15 Le 18 février 2003, le juge fédéral Schubarth a été entendu au sujet de l'incident par les deux présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux des commissions de gestion. A cette occasion, le juge Schubarth a déclaré qu'il regrettait beaucoup l'incident qui avait eu lieu une semaine auparavant et qu'il ne voulait pas minimiser les faits. Ce jour-là, il était arrivé au Tribunal fédéral sans mauvaises intentions. Il avait cru apercevoir Markus Felber qui discutait avec quelqu'un, ce à quoi il n'avait pas accordé d'attention particulière. Il est ensuite passé près de lui et, à ce momentlà, il a été saisi d'une quinte de toux. Il a essayé de la réprimer, mais sans succès. Il a senti que quelque chose remontait et ­ ce qu'il ne parvenait plus à s'expliquer au moment de l'audition ­ s'est retourné à cet instant en direction de Markus Felber. A la question de savoir s'il avait intentionnellement craché
en direction de ce dernier, le juge Schubarth a répondu qu'il ne se souvenait plus de ce qui lui était passé par la tête. «Il s'est passé quelque chose et je me suis retourné.» [Traduction]16 Le 27 mars 2003, entendu par le groupe de travail, le juge Schubarth n'a plus déclaré explicitement qu'il s'était à ce moment-là tourné en direction de Markus Felber, mais qu'il s'était retourné «et qu'une expectoration a été projetée en direction des deux interlocuteurs.» [Traduction]17 A la question de savoir si l'incident avait quelque chose à voir avec Markus Felber, il a répondu que, ce jour-là, il n'avait pas l'intention d'entreprendre quoi que ce soit contre lui, raison pour laquelle il ne 15 16 17

«Da ist etwas hochgekommen, und ich habe mich in diesem Moment unglücklicherweise zu ihm umgedreht.» «Ich kann nicht mehr sagen, was in meinem Kopf vorging. Es ging etwas vor und ich drehte mich um.» «[...] und ein Auswurf ging in Richtung der beiden Gesprächspartner.»

5333

voyait pas de lien entre l'incident et la présence du journaliste.18 En réponse à la demande de précisions à ce sujet, il a reconnu que la quinte de toux avait peut-être été une réaction inconsciente à la présence de Markus Felber, mais qu'elle avait également pu être provoquée par le courant d'air qui circulait dans le hall d'entrée. Il a également ajouté qu'il soupçonnait que la présence de Markus Felber avait déclenché quelque chose en lui, mais que cela restait une énigme, raison pour laquelle il ne pouvait donner de réponse précise. Il a expliqué que, sur le moment, qu'il ne s'était pas rendu compte de ce qui s'était passé et qu'il est allé dans son bureau.

Interrogé par le groupe de travail sur ce qu'il avait dit au greffier (soit que toute personne qui côtoyait Markus Felber devait s'attendre à être atteinte), le juge Schubarth a eu les mots suivants: «Si j'ai vraiment dit cela, je le regrette beaucoup. Je ne me rappelle pas avoir fait une telle déclaration.» [Traduction]19 Plus tard, interrogé par la Weltwoche au sujet de sa deuxième déclaration au greffier ­ à savoir que ce n'était pas lui qu'il avait voulu atteindre, mais Markus Felber ­ le juge Schubarth a exprimé son étonnement. Il a ajouté qu'il ne pouvait pas confirmer cette déclaration, mais qu'il ne voulait pas non plus accuser quiconque de faux témoignage. Il a précisé qu'il ne savait pas ce qui lui était passé par la tête à ce moment-là.20 Au sujet de ses excuses à Markus Felber, le juge Schubarth a déclaré au groupe de travail qu'il s'était entretenu avec lui, le jour même de l'incident, en présence du président du Tribunal fédéral et qu'il s'était excusé à cette occasion. Il ressort d'une note du Tribunal fédéral portant sur les entretiens qui ont eu lieu sur l'incident, que, en présence du journaliste concerné, le juge Schubarth a dit que si Markus Felber avait compris l'incident comme une expression de mépris à son égard, il le regrettait.

Dans une lettre du 15 février 2003, Markus Felber signifiait au juge Schubarth que, pour sa part, l'incident était clos. Dans une lettre d'excuses personnelle datée du 15 février 2003, que le greffier concerné a reçue le 18 février 2003, le juge Schubarth priait celui-ci d'accepter ses excuses: «Mardi dernier, je t'ai profondément blessé. Sache que cela me désole et je te prie de bien vouloir accepter mes excuses [...]. Pour ma part, je souffre beaucoup de t'avoir mis dans une telle situation. [...]» [Traduction]21

3.5.2

Etat de santé du juge fédéral Marin Schubarth

Le jour même de l'incident, le juge fédéral Martin Schubarth avait déjà invoqué son état de santé défaillant (voir ch. 3.1). Le 18 février 2003, soit une semaine après l'incident, Martin Schubarth déclarait lors de son audition par les présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux des commissions de gestion qu'il souffrait de problèmes de santé. Au moment des faits, il était, selon lui, affaibli par une bronchite suivie de crises d'asthme accompagnées de complications. Il a souligné qu'il 18 19 20 21

«Ich kann mir nicht erklären, warum ich an diesem Tag etwas gegen ihn hätte unternehmen wollen. Deshalb sehe ich keinen Zusammenhang mit seiner Präsenz.» «Wenn ich das wirklich gesagt haben sollte, würde ich es ausserordentlich bedauern. Ich kann mich nicht erinnern, eine solche Äusserung gemacht zu haben.» Weltwoche n° 22.03 du 29 mai 2003, p. 46, «Der Richter und seine Henker».

«Ich habe Dich am Dienstag schwer getroffen; Du sollst wissen, wie sehr mir das leid tut, und ich bitte Dich, [...] meine Entschuldigung entgegenzunehmen. Ich leide selbst sehr darunter, dass Du [...] in eine solche Situation gebracht wurdest. [...]»

5334

avait à plusieurs reprises souffert de crises d'asphyxie nocturnes et que son état de perception était modifié par la maladie et la prise de médicaments.

Le 27 mars 2003, entendu par le groupe de travail, le juge Schubarth établissait un lien de cause à effet clair entre sa maladie et l'incident du crachat. Il a expliqué qu'il était tombé malade mi-janvier. Pensant qu'il s'agissait d'une bronchite normale, il avait rapidement repris le travail. Avec le recul, il s'est toutefois aperçu que la situation était plus grave que ce qu'il imaginait. Il s'est rendu compte qu'il souffrait en fait d'asthme bronchique à mettre sur le compte d'un surmenage psychologique dû aux événements qui ont eu le Tribunal fédéral pour cadre au cours de l'année précédente. Le juge Schubarth a indiqué que les médecins avaient diagnostiqué une dépression larvée qui pouvait avoir été renforcée par les événements des mois précédents. De plus, au cours des jours qui ont précédé l'incident, il a eu quatre crises d'asphyxie nocturnes qui l'ont mis dans un état d'angoisse. Durant la période de l'incident, il prenait en outre un médicament qui a probablement plus influencé son comportement que ce dont il s'était rendu compte. A la question de savoir comment il s'expliquait la réaction qu'il avait eue le 11 février 2003, le juge Schubarth a déclaré: «Je n'avais pas réalisé que je souffrais d'une dépression depuis un certain temps déjà. Avec le recul, je me rends compte que mes réactions n'ont pas toujours été aussi saines qu'auparavant, probablement en raison de ma dépression.» [Traduction]22 Interrogé plus tard par la Weltwoche, le juge Schubarth a déclaré qu'un psychiatre lui avait expliqué que, en cas de dépression, il arrive fréquemment que le sujet perçoive les événements avec retard. Il a expliqué qu'il pensait maintenant que c'était peut-être la raison pour laquelle il ne lui est apparu que plus tard qu'il s'était passé quelque chose de grave ce jour-là dans le halle d'entrée du tribunal. Lorsque, par la suite, il avait appris qu'il avait craché en direction de Markus Felber, il a admis qu'il devait en avoir été ainsi.23 Dans un certificat médical du 25 mars 2003, le médecin traitant du juge Schubarth atteste que son patient souffre d'une dépression en partie larvée qui s'est développée progressivement au cours des mois qui
ont précédé l'incident. Le certificat indique également que, au moment de l'incident, le juge Schubarth souffrait d'une trachéobronchite subaiguë (inflammation des voies respiratoires) depuis janvier 2003 et que celle-ci provoquait une hyper-réactivité bronchique à l'origine de quintes de toux explosives en partie impossible à réprimer et de crises d'asphyxie nocturnes répétées. Malgré un traitement médicamenteux, le juge Schubarth avait dû faire appel au médecin d'urgence à deux reprises. Cette situation a provoqué une surcharge psychologique et, partant, une aggravation aiguë de la dépression latente dont souffrait le patient. En outre, le certificat souligne que la thérapie avait été renforcée à partir du 7 février 2003 et qu'un médicament supplémentaire avait été prescrit pour lutter contre la production excédentaire d'acide gastrique (Nexium 40). Entre autres effets secondaires, ce médicament peut provoquer des troubles de comportement passagers (selon le Compendium suisse des médicaments). Le médecin traitant ajoute que, «d'un point de vue médical, l'incident du 11 février 2003 doit être apprécié dans la perspective du tableau clinique exceptionnel et grave tel qu'il a été mentionné, cela 22

23

«Ich habe nicht realisiert, dass ich schon seit längerer Zeit unter einer Depression leide.

Im Nachhinein ist mir auch deutlich geworden, dass ich des öftern nicht die gleichen gesunden Reaktionen hatte, wie früher, wahrscheinlich bedingt durch meine Depression.» Weltwoche n° 22.03 du 29 mai 2003, p. 47, «Der Richter und seine Henker».

5335

d'autant plus que, connaissant M. Schubarth depuis de longues années, ce comportement ne saurait être considéré comme représentatif de sa personne.» [Traduction]24

3.5.3

Déclarations relatives à une éventuelle démission

Au cours des jours qui ont suivi l'incident du crachat, un certain nombre de médias et de politiciens ont exigé la démission de Schubarth. Dans une première déclaration faite à l'ats, Schubarth a indiqué qu'il refusait de démissionner.25 Peu après, il déclarait au Tages-Anzeiger: «Si une instance crédible et neutre faisait une recommandation quant à la suite à donner à cette affaire, je serais disposé à la prendre en considération.»26 Le 18 février 2003, lors de son audition par les présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux des commissions de gestion, le juge fédéral Martin Schubarth s'est demandé si, outre la question de savoir si d'autres sanctions n'étaient pas envisageables, la question de sa démissionne devait pas être envisagée en dehors de la forte pression que la presse exerçait à ce moment-là, ne serait-ce que pour éviter que l'on puisse penser que le président du Tribunal fédéral avait cédé à des exigences de toute évidence extrêmes. Le communiqué de presse rédigé par la Conférence des présidents le 12 février 2003 lui adressait en tout cas nettement un blâme. Le juge Schubarth a reconnu qu'un blâme était justifié et qu'il l'accepterait sans discussion.

Immédiatement après la décision du Tribunal fédéral du 19 février 2003 qui le privait du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles et qui l'invitait à démissionner, le juge Schubarth a déclaré publiquement qu'il réservait sa décision, qu'il n'entendait pas se déterminer en pleine situation de crise, cela d'autant plus qu'il souffrait de problèmes de santé.

Fin mars 2003, le juge Schubarth déclarait au groupe de travail que toutes les personnes neutres qu'il avait contactées estimaient qu'un départ après 20 années de loyaux services au sein du Tribunal fédéral constituait une réaction totalement disproportionnée. Il a ajouté qu'il n'envisageait pas de démissionner et que ses médecins l'avaient assuré qu'il serait rapidement rétabli.

Au début du mois de juillet, le juge Schubarth a déclaré qu'il remerciait l'Assemblée fédérale de l'avoir réélu en décembre 2002. Il a ajouté qu'il était prêt à assumer les charges qui lui incombaient de ce fait et qu'il regrettait d'en être empêché alors que ses problèmes respiratoires étaient résolus et qu'il avait retrouvé la santé. Concernant les tensions qui régnaient au sein de Tribunal fédéral au sujet de sa personne, le juge Schubarth a expliqué qu'elles ne constituaient pas un problème et qu'il était disposé à discuter avec tout le monde.

24

25 26

«Der Vorfall vom 11. Februar 2003 muss aus medizinischer Sicht im Rahmen des erwähnten aussergewöhnlichen und schwerwiegenden Krankheitsbildes gewürdigt werden, umsomehr als das Ereignis aufgrund meiner langjährigen Kenntnis der Person von Herrn Schubarth als nicht persönlichkeitsadäquat angesehen werden kann.» Dépêche de l'ats du 12 février 2003.

«Wenn eine überzeugende neutrale Instanz eine Empfehlung darüber abgeben würde, was nun zu geschehen habe ­ ich wäre bereit, es in Betracht zu ziehen.», citation tirée du Tages-Anzeiger du 14 février 2003, p. 6, «Ich streue Asche auf mein Haupt».

5336

3.5.4

Attaques dirigées par le juge fédéral Martin Schubarth à l'encontre de ses collègues et du Tribunal fédéral

Au cours des jours qui ont suivi l'incident du crachat, le juge fédéral Martin Schubarth a justifié sa rancoeur à l'encontre de Markus Felber, journaliste de la NZZ, en expliquant aux médias que, en prélude à la réélection des juges du Tribunal fédéral en décembre 2002, ce dernier avait orchestré une «véritable campagne de dénigrement» [traduction]27 à son encontre. Il a également formulé de graves reproches à l'encontre de collègues. Selon lui, ceux-ci ont violé leur devoir de réserve et quasiment conduit la plume de Markus Felber. De plus, ces mêmes collègues ont, dans des circonstances contestables, dérobé l'un de ses manuscrits non publié pour le faire parvenir à des parlementaires du groupe socialiste des Chambres fédérales en soulignant qu'il y défendait des thèses contraires à l'idéologie du parti, raison pour laquelle il ne fallait plus le réélire.28 «En violation flagrante des principes d'éthique qu'il doit respecter, un juge fédéral m'a descendu à Berne auprès d'un parlementaire. D'aucuns ont tenté d'empêcher ma réélection durant des mois, en employant des méthodes dignes du KGB.» [Traduction]29 (A ce sujet, voir également le ch. 5) Fin avril 2003, Martin Schubarth a déclaré à la Sonntags-Zeitung que, à son avis, la décision du Tribunal fédéral de le priver de ses compétences jurisprudentielles avait été prise sans base légale et que cette mesure était disproportionnée. De plus, la Sonntags-Zeitung a également publié les objections du juge Schubarth en rapport avec son état de santé au moment de l'incident du crachat ainsi que la prise du Nexium 40, médicament qui pouvait avoir entraîné des troubles de comportement passagers.30 Le juge Schubarth a également demandé de manière informelle que le Tribunal fédéral revienne sur ses conclusions. Il a précisé qu'il ne voulait pas présenter de demande formelle de réexamen, car ce faisant, il aurait reconnu la légitimité de la décision du 19 février 2003.

Après ces tentatives du juge Schubarth pour reprendre ses fonctions jurisprudentielles, le Tribunal fédéral a publié le développement détaillé des motifs de sa décision du 19 février 2003 dans un communiqué de presse (voir ch. 3.3). Le même jour, au moyen d'un communiqué de presse également, le juge fédéral Schubarth réagissait de la manière suivante au communiqué du Tribunal fédéral: «Pour
sortir de l'impasse actuelle, le juge fédéral Martin Schubarth propose que - faute de bases légales - le cas soit examiné par un collège de médiation composé d'anciens juges fédéraux.

Le juge Schubarth a déjà exprimé oralement devant le président du Tribunal fédéral son souhait de voir celui-ci revenir sur ses conclusions du 19 février 2003. Le juge fédéral ne peut présenter de demande formelle au Tribunal fédéral, les conclusions de ce dernier ne reposant sur aucune base légale et s'écartant manifestement du principe fondamental de la proportionnalité.

27 28 29 30

«eine wahre Hetzkampagne».

Tages-Anzeiger du 14 février 2003, p. 6, «Ich streue Asche auf mein Haupt».

Sonntags-Zeitung du 16 février 2003, p. 5, «Intrigen am Bundesgericht».

Sonntags-Zeitung du 27 avril 2003, p. 7, «Comeback von Martin Schubarth».

5337

Par ailleurs, le juge fédéral Schubarth rappelle qu'il s'est clairement excusé auprès des intéressés et qu'il a réitéré ses regrets publiquement par la suite.

Après l'incident, plusieurs médecins ont établi que les faits reprochés étaient directement liés à la santé défaillante du juge et aux effets d'un médicament qui lui était prescrit. C'est un élément nouveau dont le Tribunal fédéral ne parle pas.

De l'avis de plusieurs éminents spécialistes, le Tribunal fédéral s'est arrogé le 19 février 2003 une compétence qu'il n'a pas. Le juge Schubarth ne peut accepter des conclusions qui discréditent l'institution censée dire le droit. Il rappelle qu'il est à disposition du Tribunal fédéral et prêt à y travailler.» [Texte original en français] Au cours des jours qui ont suivi, le juge Schubarth a publiquement critiqué le fait que le Tribunal fédéral n'était pas disposé à dialoguer.31 Le journaliste Hanspeter Born32 a également publié un article dans la Weltwoche qui se posait quasiment en défenseur du juge Schubarth.33 Etant donné que le tribunal a délibérément renoncé à répondre aux questions de Hanspeter Born, il faut partir du principe que celui-ci s'est uniquement basé sur les déclarations du juge Schubarth lorsqu'il a écrit: «[...]

le droit d'être entendu, l'interdiction de l'arbitraire, le caractère contradictoire et objectif d'une procédure disciplinaire. Ces principes n'ont pas été observés dans le cas Schubarth. Il n'a jamais été entendu de manière approfondie sur l'incident ni confronté aux reproches qui lui sont faits. [...] Etant donné que les conséquences sont si lourdes, il aurait été indispensable de donner à Schubarth la possibilité de s'expliquer en présence de la partie adverse.» [Traduction]34

3.6

Appréciation par les commissions de gestion

3.6.1

Incident du crachat

Force est de partir du principe que l'incident qui s'est déroulé dans le hall d'entrée du Tribunal fédéral le 11 février 2003 constitue un acte délibéré du juge Martin Schubart dirigé contre Markus Felber, correspondant de la NZZ, tant il est vrai que, peu de temps après l'incident, le juge Schubarth a déclaré au greffier et au juge fédéral Roland Schneider que toute personne qui se trouve aux côtés de Felber doit s'attendre à être touchée. Le juge Schubart ayant également dit au greffier concerné qu'il ne devait pas se sentir visé car il cherchait à atteindre Markus Felber confirme encore le caractère intentionnel de cet acte. Le fait que Martin Schubarth en veuille beaucoup à Markus Felber est un fait établi que le juge n'a jamais contesté. Le fait que le juge Schubarth n'ait jamais clairement nié avoir intentionnellement craché ou 31 32

33 34

Berner-Zeitung du 15 mai 2003, p. 3, «Wir müssen doch miteinander reden».

Hanspeter Born est connu pour son livre «Mord in Kehrsatz» (1993) dans lequel il exposait les raisons militant en faveur de l'innocence de Bruno Zwahlen qui avait été condamné pour meurtre. Lors de la révision du procès, la Cour d'assises Bern-Mittelland a acquitté Zwahlen.

Weltwoche n° 22.03 du 29 mai 2003, p. 44 et ss, «Der Richter und seine Henker».

«[...] das Recht auf Gehör, das Verbot der Willkür, den kontradiktorischen und objektiven Charakter eines solchen Verfahrens [gemeint ist Disziplinarverfahren]. Diese Prinzipien sind im Falle Schubarth missachtet worden. Er ist nie gründlich zum Vorfall befragt und mit den gegen ihn erhobenen Vorwürfen konfrontiert worden. [...] In einem Fall mit derart gravierenden Folgen hätte man Schubarth im Beisein der andern Partei Gelegenheit geben müssen, sich zu erklären.»

5338

dirigé une expectoration contre le journaliste de la NZZ est également un élément d'importance. Ses déclarations concernant l'incident sont ambiguës et permettent de conclure aussi bien à un crachat intentionnel qu'à une malencontreuse expectoration: «Je ne me souviens plus de ce qui m'est passé par la tête. Il s'est passé quelque chose et je me suis retourné», «Quelque chose est remonté et je me suis malencontreusement tourné vers lui à ce moment-là» ou encore: «Je ne parviens pas à m'expliquer ce qui s'est passé; c'est pour cette raison que je ne peux pas donner de réponse précise.» [Traduction]35 De plus, il ne confirme ni ne dément les déclarations faites au greffier et au juge fédéral Schneider: «Je ne me rappelle pas avoir dit cela» ou «Ai-je vraiment dit cela? C'est nouveau.» [Traduction]36 Si le crachat avait véritablement été le résultat d'une expectoration due à une quinte de toux et que le greffier avait été atteint involontairement, sans que le juge Schubarth ne s'en aperçoive sur le moment, ce dernier aurait clairement démenti toute intention, et cela au plus tard lors de la discussion avec le juge fédéral Schneider. A cet égard, ni les excuses écrites adressées au greffier, ni les regrets exprimés à l'attention de Markus Felber ne permettent de décharger le juge Schubarth.

L'imprécision des déclarations du juge Schubarth pourrait avoir deux explications.

Son état de santé et le médicament qu'il prenait pourraient, premier cas de figure, avoir perturbé son comportement au point qu'il s'était mis à cracher sans le vouloir ou, second cas de figure, modifié sa perception au point qu'il n'avait pas conscience de cracher ou qu'il ne se souvenait ni de l'incident, ni de ses déclarations au greffier et au juge fédéral Schneider.

Ces deux explications ne sont cependant pas crédibles, et cela pour les raisons suivantes: En se référant au médicament qu'il prenait durant la période en question et en produisant un certificat médical, le juge Schubarth a tenté d'expliquer son geste en invoquant un «comportement passagèrement perturbé» par la prise de Nexium 40.

Le groupe de travail a demandé une expertise au docteur Clive Wilder-Smith37. Ce spécialiste parvient à la conclusion qu'il est extrêmement improbable et pratiquement exclu que la prise de Nexium 40 puisse provoquer une perturbation du
comportement et de l'état de conscience telle que celle dont il est question ici. A ce jour, aucun cas de dysmnésie ou de comportement compulsif lié à l'usage de ce médicament n'a été rapporté. Un lien direct entre l'effet du médicament et l'incident en question est hautement improbable.

Le juge Schubarth a invoqué une dépression larvée (ou dépression masquée), diagnostiquée après l'incident. De plus, cette dépression aurait été fortement aggravée par des crises d'asphyxie nocturnes qui ont précédé les événements. Pour ces raisons, il indique avoir été très perturbé et n'avoir réalisé certaines choses qu'après 35

36 37

«Ich kann nicht mehr sagen, was in meinem Kopf vorging. Es ging etwas vor, und ich drehte mich um.» «Da ist etwas hochgekommen, und ich habe mich in diesem Moment unglücklicherweise zu ihm umgedreht.» «Das Ganze ist mir rätselhaft; deshalb kann ich keine präzise Antwort geben.» «Ich kann mich nicht erinnern, eine solche Äusserung gemacht zu haben.» «Habe ich das wirklich gesagt? Das ist mir völlig neu.» L'expert est spécialiste des maladies gastro-intestinales à Berne. Il est également spécialiste en substances actives dans la région du tractus gastro-intestinal. Il dirige le groupe de recherche international Brain-Gut qui a été étroitement associé au développement du Nexium 40. Le principe actif du Nexium 40 est l'Esomeprazol qui est administré en cas d'hyperacidité gastrique, de pyrosis et de renvois acides.

5339

coup. La dépression larvée est une dépression qui n'est pas caractérisée par les symptômes typiques de la dépression et qui s'exprime surtout au travers de symptômes somatiques. Il ne fait certes aucun doute que le juge Schubarth n'allait pas bien le jour de l'incident. Il souffrait d'une bronchite accompagnée de quintes de toux et se faisait beaucoup de souci en raison de ses crises d'asphyxie nocturnes dont l'origine était encore inconnue à ce moment. Cet état de santé altéré ne parvient cependant pas à expliquer des troubles de comportement ou de mémoire aussi importants que ceux invoqués par le juge Schubarth; malgré son état de santé, il n'aurait pas pu commettre une telle agression inconsciemment ou involontairement, ni ne plus se souvenir de ses propres déclarations à ce sujet. Ce jour-là, il a en effet été capable de se rendre au tribunal et de participer à deux audiences. Les juges fédéraux qui ont également participé à ces audiences n'ont d'ailleurs pas constaté d'indices leur permettant de penser que la capacité de discernement du juge Schubarth était réduite et son comportement ne leur a pas non plus paru étrange.

En ce qui concerne le déroulement de l'incident, il est possible d'admettre que le juge Schubarth a eu une forte réaction émotionnelle lorsqu'il a aperçu Markus Felber dans l'entrée du tribunal. Lorsqu'il est passé derrière le journaliste, il a sans doute perdu la maîtrise de soi et, sous l'emprise d'une grande émotion, il a décidé de cracher en direction de Markus Felber, atteignant le greffier par mégarde. Il est évident qu'il n'aurait pas pu toucher le correspondant de la NZZ au visage étant donné que, au moment de cracher, il se trouvait derrière lui ou trois-quarts derrière son dos. Il faut admettre qu'il a craché spontanément et sans réfléchir contre Markus Felber. Ce faisant, il se soulageait sans doute de la profonde aversion que le journaliste lui inspirait pour avoir, à son avis, tenté de compromettre sa réélection.

Au-delà, il a peut-être encore vu en Markus Felber un coresponsable de son état de santé défaillant du moment. Pour Martin Schubarth, il importait sans doute peu que le journaliste remarque son geste. En ce qui concerne le greffier qui lui faisait face, soit le juge n'a pas remarqué ­ en raison de son énervement ­ que celui-ci le voyait, soit il a estimé
qu'il ne rapporterait pas son geste. Tant qu'il ne les exposera pas, il ne sera toutefois pas possible de faire l'entière lumière sur les motifs et les pensées du juge Schubarth.

Etant donné son état de santé, il est possible que le juge Schubarth ait été saisi d'une quinte de toux qu'il a essayé de réprimer. Dans ce cas de figure, il faut admettre qu'il a projeté une expectoration en direction de Markus Felber.

En tout état de cause la question de savoir si la quinte de toux est ou non à l'origine de l'incident ne change rien au fait: le juge fédéral Martin Schubarth a perdu la maîtrise de soi, il a craché en direction d'un journaliste qu'il détestait, atteignant un greffier par mégarde puis il s'est éloigné sans dire un mot. Il est possible de comprendre que la vue du correspondant de la NZZ ait provoqué de fortes émotions en Martin Schubarth. Il avait été profondément blessé par les critiques de la presse et les incidents qui ont précédé sa réélection. Ceux-ci ne sauraient cependant justifier le fait de cracher en direction de Markus Felber. Il est vrai que les problèmes de santé dont le juge Schubarth souffrait au moment des faits peuvent avoir contribué à renforcer sa réaction à une émotion déclenchée par le journaliste en qui il voyait un ennemi. Il n'y a toutefois pas lieu d'admettre à sa décharge que sa capacité de discernement ait pu s'en trouver réduite.

Le fait de cracher en direction d'une personne constitue un comportement contraire aux convenances, diffamatoire et relevant de la justice pénale. Ce comportement peut être punissable s'il constitue une injure au sens de l'art. 177 du code pénal. Une 5340

telle infraction contre l'honneur n'est toutefois poursuivie que sur plainte. Dans le cas présent, les personnes concernées ont renoncé à porter plainte.

3.6.2

Conséquences pour le Tribunal fédéral

La reconnaissance de l'intégrité et de la crédibilité du Tribunal fédéral qui tranche en dernière instance dépendent tout particulièrement de la confiance dont il jouit auprès de la population. C'est la raison pour laquelle les exigences envers les juges sont élevées. La conduite qui doit être reprochée au juge Schubarth est indigne d'un juge fédéral et nuit à l'image de la Justice. Il est inconcevable qu'un justiciable puisse accepter une sentence prononcée par un collège dont l'un des juges a pu perdre la maîtrise de soi au point de cracher contre quelqu'un. Le fait que ­ ses collègues et les collaborateurs du Tribunal fédéral interrogés ont été unanimes à ce sujet ­ le juge fédéral Martin Schubarth ne se soit jusque-là jamais rendu coupable d'un comportement aussi indigne n'y change rien. Que le juge fédéral Martin Schubarth ait exercé sa fonction pendant 20 ans et qu'il jouisse d'une réputation de fin juriste et d'éminent pénaliste ayant contribué, au sein du Tribunal fédéral, à d'importants développements du droit pénal ne permet pas non plus de compenser la perte de confiance.

La question qui se pose ensuite est celle de savoir si, après avoir été ébranlée par un dérapage unique, la confiance en un juge peut se rétablir avec le temps. Il ne s'agit en l'occurrence pas de savoir si, après un tel incident, il est raisonnable d'exiger des collègues et des collaborateurs du Tribunal fédéral qu'ils continuent de travailler avec Martin Schubarth. En effet, il semble normal de pouvoir exiger d'eux qu'ils ne tiennent pas compte d'un tel faux-pas. Dans l'esprit d'une collaboration bien vécue, il est de coutume qu'une seconde chance soit donnée à toute personne aillant failli.

Si un collaborateur occupant une fonction subalterne s'était rendu coupable d'un tel crachat, il aurait certainement été envisageable de lui infliger une sanction appropriée. Un juge fédéral occupe cependant une fonction particulière. Il participe à des décisions souvent lourdes de conséquences pour le justiciable (cela est tout particulièrement vrai pour la Cour de cassation pénale) ou dont la portée politique est considérable (comme les récentes décisions de la première Cour de droit civil en matière de refus de naturalisation). Lorsqu'ils n'ont pas eu gain de cause, les justiciables sont souvent insatisfaits. Ils auront encore
plus de peine à accepter un jugement si celui-ci est prononcé par un collège de juges dont l'un des membres a ­ ne serait-ce qu'une seule fois ­ enfreint les convenances. Il n'est donc plus possible de rétablir la confiance en un juge qui a craché en direction de quelqu'un. Si le juge fédéral Schubarth devait être rétabli dans ses fonctions jurisprudentielles, il resterait dans toutes les mémoires comme le juge cracheur. Pour cette raison, il est impensable qu'il puisse encore être accepté en tant que juge fédéral.

3.6.3

Conséquences pour le juge fédéral Martin Schubarth

Après un tel faux-pas, n'importe quel collaborateur du Tribunal fédéral devrait s'attendre à perdre son travail. Toutefois, en tant que magistrat, un juge fédéral bénéficie d'un statut spécial. Dans la situation juridique actuelle il n'est pas possible de le destituer et il n'est soumis à aucune autorité disciplinaire. Lorsque sa conduite 5341

n'est plus compatible avec sa fonction et son rang, un magistrat se doit de démissionner spontanément. Les membres du Conseil fédéral sont également des magistrats et, en tant que tels, ils ne peuvent être ni destitués, ni poursuivis disciplinairement. Alors qu'un conseiller fédéral est élu et qu'il doit répondre politiquement de ses actes envers le Parlement, celui-ci doit respecter l'indépendance judiciaire et ne peut exercer aucune pression à caractère politique sur un juge fédéral. Le Parlement doit donc faire preuve de la plus grande retenue lorsqu'il exige la démission d'un juge fédéral. Il est donc d'autant plus important qu'un juge fédéral sache tirer luimême les conséquences d'une éventuelle erreur portant atteinte à la crédibilité du Tribunal fédéral. Celui qui bénéficie du prestige de l'image et de l'avantage de la protection liés au statut de magistrat doit également assumer les contraintes d'une fonction aussi dépendante de la confiance qui est mise en celui qui l'exerce.

Au lieu d'assumer les conséquences de son acte, Martin Schubarth s'est érigé en avocat de sa propre défense et tente d'échapper à ses responsabilités en prétextant une quinte de toux, en invoquant des problèmes de santé et en reprochant à certains de ses collègues d'avoir intrigué pour faire échec à sa réélection. Au lieu de tirer les conclusions qui s'imposent avec toute la magnanimité d'un magistrat soucieux du bien public et de se retirer de la haute institution à laquelle il appartient, le juge Schubarth est intervenu publiquement par médias interposés et a porté des contreattaques à l'endroit du Tribunal fédéral, écornant encore plus l'image de la Justice.

3.6.4

Décision du Tribunal fédéral du 19 février 2003

La décision du Tribunal fédéral de priver définitivement Martin Schubarth du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles a suscité des discussions parmi les juristes.

Certains d'entre eux sont d'avis que le Tribunal fédéral n'est pas compétent pour une telle décision ou que celle-ci a été prise sans base légale et que la mesure est disproportionnée.

Les commissions de gestion estiment qu'il ne leur appartient pas de juger si le Tribunal fédéral était ou non légitimé à prendre une telle décision et si cette décision est légale ou non. Elles ont pris acte du fait que le Tribunal fédéral s'est basé sur sa compétence organisationnelle. De l'avis des juges fédéraux entendus, cette décision ne constitue pas une mesure disciplinaire étant donné que le Tribunal fédéral n'aurait pas été habilité à prendre une telle décision. Le tribunal se trouvait cependant dans une situation extraordinaire et il était indispensable qu'il prenne rapidement une décision très claire afin de garantir son bon fonctionnement. La compétence permettant au Tribunal fédéral de prendre une telle décision afin d'éviter que l'image de la Justice soit entachée découle de la Constitution fédérale.

Pour les commissions de gestion, il est évident que le Tribunal fédéral se trouvait dans l'obligation d'agir rapidement. Elles estiment en outre qu'en une semaine, le Tribunal fédéral a eu suffisamment de temps pour examiner l'incident et se forger une opinion. Quant à Martin Schubarth, il a eu l'occasion de s'exprimer lors de plusieurs discussions internes. De plus, lors de la séance plénière du 19 février 2003, il a eu l'occasion de s'expliquer de manière circonstanciée durant trois quarts d'heure. La marge de manoeuvre du Tribunal fédéral était très étroite. Le fait de muter le juge Schubarth dans une autre section n'aurait pas résolu le problème étant donné que cette mesure aurait réduit la confiance des justiciables dans les domaines du droit public ou civil. Le Tribunal fédéral a également écarté la possibilité de 5342

suspendre le juge Schubarth «jusqu'à nouvel ordre» car il était d'avis que, avec l'incident du crachat, Martin Schubarth s'était discrédité irrémédiablement.

Les commissions de gestion parviennent à la même conclusion que le Tribunal fédéral: Martin Schubarth n'est plus en mesure d'assumer sa fonction de juge fédéral. Avec le recul, il convient cependant de se poser deux questions: 1. Le Tribunal fédéral n'aurait-il pas pu prévoir que, en raison de l'absence de bases légales explicites ­ et le tribunal était parfaitement conscient de cette situation38 ­, une décision aussi dure et définitive allait faire l'objet de controverses et provoquer une réaction de colère de la part du juge fédéral Schubarth? Une «suspension jusqu'à nouvel ordre» aurait aussi permis de rassurer immédiatement les justiciables concernés et l'opinion publique. Le Tribunal fédéral aurait ensuite pu s'adresser à une autorité extérieure, comme le Parlement en tant qu'autorité de haute surveillance ou un collège formé d'anciens juges fédéraux. Cet organe aurait ensuite pu faire examiner les faits constatés par le Tribunal fédéral. Il n'y aurait eu aucun problème à prendre la décision définitive plus tard, sur la base des résultats de l'examen effectué par l'organe en question ou, le cas échéant, à la suite d'une requête du juge Schubarth demandant la levée de la mesure provisoire. Cette manière de procéder aurait permis de tenir compte de manière plus appropriée de l'aspect délicat de la situation juridique tout en évitant d'exercer une trop forte pression sur le juge Schubarth.

Force est toutefois de reconnaître que cela n'aurait en rien modifié la situation finale, à savoir qu'il est impensable que Martin Schubarth puisse de nouveau exercer la fonction de juge.

2. Du point de vue de la haute surveillance, la seconde question qui se pose est de savoir pourquoi le Tribunal fédéral s'est limité à priver le juge de ses compétences jurisprudentielles. Pourquoi n'a-t-il pas également décidé de procéder, en parallèle, à un examen interne des prétendues irrégularités et manipulations de jugements afin d'en informer la population? Comme l'incident du crachat, les rumeurs selon lesquelles certains jugements auraient été entachés d'irrégularités ont elles aussi contribué à saper la confiance en la Haute cour. En vertu de sa compétence
organisationnelle et en vue d'assurer son bon fonctionnement, le Tribunal fédéral aurait pu procéder à un examen dans ce domaine. Selon les indications du Tribunal fédéral, son président a procédé à une première audition des membres et des greffiers de la Cour de cassation pénale le 18 février 2003, soit immédiatement après l'entretien avec les deux présidents des sous-commissions DFJP/tribunaux des commissions de gestion. Après la décision du Tribunal fédéral du 19 février 2003, la Conférence des présidents a examiné l'opportunité d'une enquête interne formelle. Elle a renoncé à une telle enquête par égard pour le Parlement qui, à son avis, avait déjà entamé son enquête en procédant à des auditions le 18 février 2003. Les commissions de gestion sont elles aussi d'avis qu'une autorité ne doit, en principe, pas ordonner d'enquête une fois que la haute surveillance a entamé sa propre enquête. De ce point de vue, il n'y a rien à objecter à la décision de la Conférence des présidents.

38

Der Bund du 21 février 2003, «Uns ging es um das Ansehen der Justiz».

5343

3.6.5

Au sujet de la politique d'information du Tribunal fédéral

L'incident du 11 février 2003 a provoqué au sein du Tribunal fédéral une situation de crise qui a duré plusieurs semaines. Les capacités du Tribunal fédéral en matière de gestion de crise et de politique d'information ont été mises à rude épreuve en raison de cette situation exceptionnelle.

Toute la lumière n'ayant pas encore été faite sur l'incident, la première prise de position du Tribunal fédéral du 12 février 2003 était extrêmement prudente. Elle informait en substance les correspondants de presse auprès du Tribunal fédéral que, sous réserve de confirmation des faits, Martin Schubarth avait enfreint les convenances et exprimait les regrets du tribunal quant à l'incident (voir ch. 3.1). Sachant que les médias allaient rendre compte de l'incident le jour-même, il s'est senti contraint de prendre position d'une manière ou d'une autre, tout en cherchant à éviter de préjuger de l'affaire. Cet objectif n'a été que partiellement atteint. Le communiqué ne mentionnait d'une part pas la nature de l'incident (crachat) et laissait encore ouverte la question de savoir si les convenances avaient été enfreintes.

D'autre part, il soulignait en termes généraux qu'il désapprouvait toute transgression des convenances, laissant ainsi malgré tout supposer qu'il était probable que les convenances avaient été enfreintes lors de cette affaire. A ce stade, il aurait sans doute été suffisant de dire que le Tribunal fédéral était en train d'examiner l'incident et qu'il se prononcerait plus tard.

Le jour de l'incident, les représentants des médias qui étaient au courant se sont déclarés d'accord de ne rien publier au sujet de l'incident si le juge fédéral Schubarth annonçait sa démission pour raison de santé. Avec le recul, force est de penser que l'affaire n'aurait sans doute pas pu être étouffée. En effet, le groupe de travail dispose d'informations selon lesquelles le quotidien «Blick» était déjà en possession de l'information au soir du 11 février 2003. Il est indéniable que, le jour de l'incident, le Tribunal fédéral subissait une certaine pression de la part des médias.

C'est d'ailleurs l'une des raisons qui a poussé le juge fédéral Schubarth à ne pas démissionner car il était d'avis qu'il ne fallait pas céder à cette pression. L'origine de celle-ci n'est toutefois pas imputable aux médias. Elle découle de
l'incident du crachat. Les médias se sont sentis obligés d'informer le public de l'incident au nom de leur mission d'information. Toutefois, si le juge Schubarth avait démissionné, l'intérêt que le public pouvait porter à cet incident serait tombé, et les médias auraient pu renoncer à en rendre compte.

La décision de priver le juge fédéral Martin Schubarth du droit d'exercer ses fonctions jurisprudentielles et de l'inviter à démissionner prise par le Tribunal fédéral le 19 février 2003 était lourde de conséquences. Elle a été communiquée de manière laconique. Le Tribunal fédéral a indiqué au groupe de travail qu'il voulait ainsi à la fois laisser le plus de temps possible au juge fédéral Schubarth pour prendre sa décision de démissionner et éviter que l'affaire ne prenne plus d'ampleur. Le président du Tribunal fédéral a cependant expliqué les raisons de cette décision le lendemain, lors d'une conférence de presse au cours de laquelle il a répondu aux questions des médias. Le juge Schubarth ayant, contre toute attente, refusé de démissionner et contre-attaqué en présentant sa version des faits aux médias, ce n'est que le 13 mai 2003 que le Tribunal fédéral a justifié sa décision par écrit. Après une telle décision sans précédent, le public avait besoin d'explications, ce dont le com5344

muniqué laconique du Tribunal fédéral ne tenait guère compte. Ces circonstances peuvent avoir contribué au fait que la décision n'avait, dans un premier temps, non seulement pas été comprise partout, mais encore critiquée par certains.

3.7

Conclusions et recommandations

3.7.1

Suite de la procédure concernant Martin Schubarth

Les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, avec l'incident du crachat, Martin Schubart s'est rendu coupable d'une grave transgression des convenances, incompatible avec le statut de juge fédéral. Ce faisant, il a durablement troublé la confiance des justiciables. Et cela demeure vrai, même en faisant preuve d'une certaine compréhension pour la situation de crise personnelle dans laquelle le juge Schubarth pouvait se trouver au moment des faits. Le fait de permettre au juge Schubarth de reprendre ses tâches jurisprudentielles aurait exposé la crédibilité du Tribunal fédéral à une forte pression, ce dont la paix des relations juridiques aurait souffert. Un Etat de droit n'aurait su courir un tel risque. Les commissions de gestion estiment par conséquent qu'il n'existait pas d'alternative à la démission du juge fédéral Martin Schubarth.

Deux jours avant l'adoption du présent rapport par les commissions de gestion, soit le samedi 4 octobre 2003, le juge fédéral Martin Schubarth, en possession du projet de rapport, a donné sa démission au 30 juin 2004. Il a rendu certaines parties de ce projet de rapport confidentiel publiques et a accusé le groupe de travail «Tribunal fédéral» de ne pas l'avoir entendu comme il se doit, de l'avoir mis sous pression et d'avoir usé d'une procédure indigne d'un Etat de droit.

En tant que juge fédéral, Martin Schubarth est soumis à la haute surveillance du Parlement. Les autorités et personnes soumises à la haute surveillance sont tenues au secret de fonction s'agissant des investigations des commissions de gestion. Par sa manière de faire sans pareille, le juge fédéral Martin Schubarth a non seulement violé le secret de fonction, mais il a également transgressé la compétence du Parlement en tant qu'autorité suprême de la Confédération ainsi qu'en tant qu'autorité de haute surveillance. Dans ce contexte également, il s'est avéré indigne du statut de magistrat.

Dans les circonstances présentes, les commissions de gestion estiment qu'il est intolérable que le juge fédéral Martin Schubarth n'entende démissionner qu'avec effet au 30 juin 2004. Elles sont définitivement d'avis que, dans l'intérêt de la Justice, le juge fédéral Martin Schubarth devrait démissionner sans délai et ainsi tirer, enfin, les conséquences de l'incident du crachat du 11 février 2003.
Les commissions de gestion sont d'avis que la Cour de cassation pénale doit compléter son effectif de juges fédéraux le plus rapidement possible. Actuellement, avec seulement quatre juges en activité, cette cour ne peut prendre aucune décision de principe à cinq juges sans trouver des solutions de rechange faisant appel à des juges suppléants. Cette situation non conforme à l'esprit du législateur, perdure depuis le mois de février de cette année déjà. Pour le cas où le juge fédéral Martin Schubarth n'aurait toujours pas donné sa démission à la fin de l'année 2003, les commissions de gestion suggèrent à la Commission judiciaire des Chambres fédérales d'examiner dans quelle mesure il serait juridiquement possible que l'entrée en fonction du successeur du juge Schubarth, élu durant la session de décembre, ait lieu avant que 5345

ce dernier n'ait quitté son poste. En vertu de l'organisation judiciaire en vigueur, le Tribunal fédéral se compose de 30 juges (art. 1, al. 1, OJ). Cette disposition doit être comprise dans le sens que le Tribunal fédéral se compose de 30 «juges exerçant leurs fonctions».

En dernier recours, il serait envisageable d'imaginer la révocation de Martin Schubarth par voie d'arrêté fédéral soumis au référendum. Si l'avis de droit39 que le groupe de travail a demandé à l'Office fédéral de la justice n'exclut pas d'emblée cette solution, il souligne cependant un certain nombre de particularités et de problèmes dont il faudrait tenir compte (voir annexe 2 contenant un extrait de cet avis de droit).

Bien qu'ayant été privé de ses compétences jurisprudentielles en février 2003, le juge fédéral Martin Schubarth a continué de toucher l'intégralité de son salaire, Actuellement, son traitement annuel est de 327 000 francs. Le montant de sa pension atteindra 163 500 francs par an. La Délégation des finances des Chambres fédérales sera invitée à examiner dans quelle mesure les circonstances justifieraient une réduction du salaire du juge fédéral Martin Schubarth.

Conclusion 1 Les commissions de gestion parviennent à la conclusion que le juge fédéral Martin Schubarth doit enfin tirer les conclusions de l'incident du crachat du 11 février 2003 et qu'il doit, dans l'intérêt de la Justice, déposer sa démission sans délai.

Recommandation 1

Examen de la possibilité de faire entrer en fonction le successeur de Schubarth avant que ce dernier n'ait quitté son poste

Pour le cas où le juge fédéral Martin Schubarth n'aurait toujours pas donné sa démission à la fin de l'année 2003, les commissions de gestion suggèrent à la Commission judiciaire des Chambres fédérales d'examiner dans quelle mesure il serait juridiquement possible que l'entrée en fonction du successeur du juge Schubarth, élu durant la session de décembre, ait lieu avant que ce dernier n'ait quitté son poste.

39

Disziplinarmassnahmen gegen Bundesrichter und Massnahmen zur Konfliktregelung am Bundesgericht, avis de droit du 14 août 2003 établi par l'Office fédéral de la justice à l'attention du groupe de travail «Tribunal fédéral» des commissions de gestion.

5346

Recommandation 2

Examen de la révocation du juge fédéral Martin Schubarth

Au cas où la recommandation 1 poserait des problèmes juridiques, les commissions de gestion recommandent à la Commission judiciaire des Chambres fédérales d'examiner la possibilité d'une révocation par la voie d'un arrêté fédéral soumis au référendum, voté durant la session d'hiver 2003.

Recommandation 3

Examen d'une éventuelle réduction du salaire du juge fédéral Schubarth

Les commissions de gestion invitent la Délégation des finances des Chambres fédérales à examiner dans quelle mesure les circonstances justifieraient une réduction du salaire du juge fédéral Martin Schubarth.

3.7.2

Réglementation de lege ferenda

L'affaire Schubarth pose la question de savoir si, d'une manière générale, il serait nécessaire de prévoir l'introduction d'une procédure de révocation pour les juges fédéraux. L'avis de droit que l'Office fédéral de la justice a rédigé à l'attention du groupe de travail montre que la révocation d'un juge ne peut être considérée que dans un cadre global et en tenant notamment compte des effets d'une telle décision sur l'indépendance judiciaire.40 Un tel problème se pose au Tribunal fédéral pour la première fois en 129 ans d'existence. Les commissions de gestion estiment qu'il s'agit d'un cas singulier qui ne se reproduira fort probablement plus. Un cas particulier et unique ne justifie pas un changement de système.

4

Irrégularités prétendues à la Cour de cassation pénale

4.1

Rumeurs au sein du Tribunal fédéral et comment le public en a eu connaissance

Au cours des dernières années, des bruits ont de temps à autre circulé au Tribunal fédéral selon lesquels des irrégularités auraient eu lieu à la Cour de cassation pénale sous la présidence de Martin Schubarth. Les reproches allaient de l'attitude autoritaire du président à la manipulation de jugements en passant par l'emprise exercée lors de la constitution des cours appelées à statuer et la modification des considérants de certains jugements. Ces bruits circulaient principalement auprès des greffiers et des juges de la Cour de cassation pénale, mais parvenaient également aux oreilles des juges et collaborateurs d'autres cours. Une vague de rumeurs plus importantes a cependant eu lieu il y a environ deux ans. Au cours de l'été et de 40

Avis de droit, (note de bas de page n° 40) p. 12 ss.

5347

l'automne 2002, soit avant la réélection intégrale des juges du Tribunal fédéral de décembre 2002, les mêmes bruits ont refait surface.

Les journalistes accrédités auprès du Tribunal fédéral ont également eu vent de ces rumeurs. Ils ont été confrontés à la question de savoir s'ils voulaient publier un article à ce sujet, cela d'autant plus que les sources ­ des greffiers et des juges ­ leur paraissaient crédibles. Craignant que leurs informateurs se distancent de leurs déclarations en cas de publication, ils ont renoncé à publier de tels articles. De plus, ils craignaient que leurs informateurs puissent ensuite être poursuivis pour violation du secret de fonction. Ce n'est qu'au lendemain de la réélection des juges du 11 décembre 2002, que Markus Felber a, dans un article publié dans la NZZ, laissé entendre que des reproches circulaient à mots couverts au sujet de la conduite des affaires autoritaire et soi-disant incorrecte dont le juge Schubarth se serait rendu coupable.41 Suite à l'incident du crachat du 11 février 2003, plusieurs journaux ont abordé la question de ces irrégularités et ont demandé que la lumière soit faite à ce sujet.

4.2

Approche du groupe de travail

Dans une première étape, le groupe de travail a répertorié les rumeurs qui circulaient au Tribunal fédéral et a trié celles qui lui ont été rapportées de manière concordante par plusieurs sources, qui étaient suffisamment étoffées et précises et qui semblaient provenir de sources crédibles.

Au cours d'une deuxième étape, le groupe de travail a tenté de remonter jusqu'à la source de ces rumeurs. Il a été surpris par la résistance rencontrée. La plupart des greffiers interrogés ont systématiquement évité de mentionner les noms des personnes directement concernées ou des personnes dont ils tenaient leurs informations alors même qu'ils avaient été informés qu'ils n'avaient aucune obligation de réserve envers le group de travail et que les identités des informateurs seraient traitées confidentiellement. Quant aux journalistes entendus, ils ont, pour des raisons compréhensibles, invoqué la protection des sources et n'ont pas non plus mentionné les noms de leurs informateurs. En ce qui concerne les juges de la Cour de cassation pénale, ils ont également fait preuve de la plus grande retenue au sujet de ces rumeurs. Cette retenue a été particulièrement marquée en ce qui concerne un cas concret dénommé ci-après «procédure par voie de circulation à trois juges» qui, sur la base de la rumeur qui circulait, devait être considéré comme grave. Avec le recul, les déclarations des personnes entendues ne s'avèrent certes pas fausses, mais force est de constater qu'elles n'ont pas été d'un grand secours pour le groupe de travail.

Le groupe de travail a reçu des réponses assez évasives comme «je n'ai jamais été présent dans un tel cas» ou «je n'ai pas connaissance d'un tel cas». Il faut cependant relever qu'il s'est avéré par la suite que la version de la rumeur concernant le cas dont le groupe de travail a eu connaissance était imprécise sur certains points.

Etant donné que les auditions n'ont pas permis d'atteindre l'objectif qu'il visait, le groupe de travail a, dans une troisième étape, demandé la liste des cas répondant à certains critères ainsi que certains documents relatifs à ces cas. En procédant ainsi, le groupe de travail a cherché à identifier deux cas qui lui paraissaient graves sur la 41

NZZ du 12 décembre 2002, p. 19, «Alle 29 Bundesrichter wiedergewählt ­ Auch Martin Schubarth klar über dem absoluten Mehr».

5348

base des informations dont il disposait. Le groupe de travail avait prévu de consulter les pièces sur place après avoir procédé à un examen préalable au moyen des documents ainsi obtenus.

En plus des documents demandés (documents tirés de 212 dossiers), la Cour de cassation pénale a fait parvenir au groupe de travail des pièces concernant un cas particulier désigné comme étant probablement le cas que celui-ci cherchait à identifier. La Cour de cassation pénale a expliqué qu'elle avait identifié ce dossier en procédant à ses propres investigations. Là-dessus, le groupe de travail a procédé à une audition approfondie des juges et du greffier concernés par ce cas (cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges», voir ch. 4.3.1.2).

4.3

Résultats des investigations

4.3.1

Reproche portant sur la manipulation de jugements

4.3.1.1

Explication de la notion

Avant d'aborder la suite des investigations effectuées par le groupe de travail, il convient de préciser ce qu'il faut comprendre par «manipulation de jugement». Dans la suite du présent rapport, le terme de manipulation de jugement s'applique aux cas dans lesquels le dispositif communiqué aux parties est différent de celui qui a été décidé par les juges appelés à statuer. Le dispositif comprend les ordonnances juridiquement contraignantes émanant du tribunal. Le point principal du dispositif est la décision concernant la voie de droit invoquée. Dans le cas de la Cour de cassation pénale, il s'agit du pourvoi en nullité, du recours de droit administratif ou du recours de droit public. Cette décision peut, par exemple, être «Le pourvoi en nullité est irrecevable», «Le pourvoi en nullité est rejeté», «Dans la mesure où il est recevable, le recours de droit public est admis et le jugement du tribunal A du canton de B est annulé» ou «Le recours de droit administratif est admis, le jugement du tribunal X du canton de Y est annulé, la cause étant renvoyée à l'autorité Z pour nouvelle décision». De plus, le dispositif comporte également des décisions relatives à certaines requêtes comme l'assistance judiciaire gratuite, des décisions relatives aux frais, aux dépens et aux émoluments judiciaires ainsi que l'indication des personnes et instances auxquelles le jugement doit être notifié. Ainsi, le dispositif constitue le jugement au sens restreint et doit être distingué du document final ­ l'arrêt ­ qui est envoyé aux parties à l'issue de la procédure et qui comprend également les motifs.

Lorsque les juges appelés à statuer ont décidé des points du dispositif, le jugement est rendu, même si des différends relatifs aux considérants du jugement doivent encore être réglés ultérieurement.

5349

4.3.1.2

Cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges»

4.3.1.2.1

Constatations du groupe de travail

4.3.1.2.1.1

Anonymat

Le cas ci-après est présenté de manière anonyme. Le président de la Cour de cassation pénale mis à part, le cas traité ne doit pas permettre d'identifier les juges concernés pour des raisons ayant trait à la protection de la personnalité et de l'indépendance judiciaire. Il n'est pas nécessaire d'avoir connaissance du problème juridique ni de l'avis des juges concernés pour comprendre les investigations auxquelles le groupe de travail a procédé et pour constater s'il y a eu manipulation du jugement ou non.

4.3.1.2.1.2

Version de la rumeur telle qu'elle a circulé

Le reproche de manipulation de jugements fait au juge fédéral Schubarth découle d'une rumeur qui circulait au Tribunal fédéral. Celle-ci concerne une décision prise à trois juges, soit le juge fédéral Martin Schubarth, président, le juge A, rapporteur, et un troisième juge, le juge B. Le rapporteur aurait présenté un projet auquel le juge B se serait rallié. Le juge Schubarth aurait été d'un autre avis. Le dispositif qui aurait finalement été communiqué aux parties serait allé dans le sens voulu par le juge Schubarth.

4.3.1.2.1.3

Déroulement

Après avoir consulté les pièces du dossier et entendu tous les participants, le groupe de travail a établi que le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» se présente comme suit: Le cas concerne une mesure provisionnelle dans le cadre d'une procédure de droit administratif. Le recourant attaquait une décision incidente d'un tribunal administratif cantonal au moyen d'un recours de droit administratif déposé auprès du Tribunal fédéral. Outre la demande principale selon laquelle cette décision incidente devait être levée, son recours comportait également une requête portant sur une mesure provisionnelle qui concernait elle-même la procédure devant le Tribunal fédéral. La particularité de cette affaire est que cette requête demandait exactement la même mesure provisionnelle préjudicielle que celle qui faisait l'objet de la décision incidente de la procédure devant l'instance précédente sur laquelle le Tribunal fédéral était appelé à se prononcer. En règle générale, les requêtes en matière de mesures provisionnelles doivent être traitées rapidement. Pour cette raison, un greffier du secrétariat présidentiel a soumis au président un projet de décision présidentielle concluant au rejet de la requête. Le président a approuvé le projet et a signé la décision présidentielle. Le même jour, le président a chargé l'un des greffiers de la Cour de cassation pénale de rédiger un projet de rapport en vue de la décision sur le fond du recours. D'un point de vue formel, il s'est, ce faisant, attribué l'affaire en tant que rapporteur.

5350

Environ deux semaines plus tard ­ un vendredi ­ le greffier en question a remis son projet de rapport au président. Ce projet concluait à l'admission du recours. Le même jour, le président a également reçu une requête du recourant qui priait le tribunal de bien vouloir reconsidérer la décision présidentielle prononcée deux semaines auparavant (requête en reconsidération). Cette requête en reconsidération était basée sur le même argument que le projet de rapport entre-temps rédigé par le greffier et concluait à l'admission du recours.

Le président s'est donc trouvé confronté à un problème. Il comprenait tout à fait l'argument en faveur de l'admission de la requête en reconsidération puisqu'il était conforme à la pratique de la Cour de cassation pénale. Devait-il donc donner une suite favorable à la requête en reconsidération et admettre la requête? Un élément avait été négligé lors de la décision présidentielle. Cet élément allait plutôt dans le sens de l'admission de la requête ou aurait à tout le moins dû être pris en compte.

C'est d'ailleurs sur la base de cet élément que, dans son projet de rapport, le greffier a été amené à proposer l'admission du recours et le renvoi de l'affaire à l'instance précédente pour nouveau jugement car celle-ci avait justement omis de tenir compte de l'élément en question. L'instance précédente se voyait précisément reprocher l'erreur que le président de la Cour de cassation pénale venait lui-même de commettre.

En raison de sa décision présidentielle, l'admission du recours aurait mis le président dans une situation délicate. Cela étant, une éventuelle admission du recours aurait été à l'origine d'un problème supplémentaire: pour garantir le respect du droit d'être entendu, il aurait fallu demander l'avis de l'instance précédente avant d'admettre le recours. Cela n'avait pas été fait puisque la décision présidentielle permettait de partir du principe que le recours serait rejeté par le Tribunal fédéral ou retiré par le recourant. A ce moment de la procédure, le président a vraisemblablement dû penser qu'il n'y avait pas d'autre issue que d'admettre ce recours puisqu'il a inscrit, daté et visé l'instruction suivante: «Demander l'avis de l'instance précédente concernant la requête et le fond du recours, ainsi que le dossier. Délai: [10 jours].» [Traduction] Il a
ensuite tracé cette instruction, probablement parce qu'il était revenu sur sa décision et qu'il ne pensait plus admettre le recours.

Comme il l'a expliqué lui-même au groupe de travail, le président a eu une idée soudaine: la situation comportait encore un autre élément qui n'avait pas non plus été pris en compte jusque-là. Cet élément permettait de rejeter le recours pour d'autres motifs. De cette manière, le président est parvenu à garder la face. Dans ce cas toutefois, il convenait de décider ce qu'il fallait faire avec la requête en reconsidération. Au vu de la situation, le président ne pouvait pas la traiter sans préjuger de la décision sur le fond. Il fallait donc décider simultanément. La décision est de ce fait devenue urgente. Pour cette raison, le président s'est rendu à son bureau le jour suivant, un samedi, afin de rédiger une contre-proposition concluant au rejet du recours pour des motifs différents.

Le président a apposé le qualificatif «urgent» sur le dossier et, le jour même, l'a mis en circulation à l'attention des juges A et B, en y joignant le projet de rapport du greffier ainsi que sa contre-proposition manuscrite concluant au rejet. Le formulaire d'accompagnement du dossier ­ une feuille de format A3, agrafée sur la couverture du dossier et sur laquelle les juges concernés enregistrent, datent et visent leurs propositions, contre-propositions et remarques ­ faisait état du projet du greffier qui concluait à l'admission du recours. A côté de cette inscription, le président avait noté: «Voir remarques ci-jointes et proposition de rejet.» [Traduction] Le lundi 5351

suivant, le juge A a noté l'inscription suivante sur le formulaire d'accompagnement: «Proposition d'admission» [traduction] et a ajouté une remarque dans laquelle il renvoyait à la pratique de la Cour de cassation pénale. Pour sa part, le juge B a ajouté l'inscription suivante sur le formulaire d'accompagnement: «Proposition d'admission, motifs selon projet et juge A.» [Traduction] Le lendemain, le président a convoqué les deux juges dans son bureau pour une discussion interne. Le greffier traitant l'affaire n'était pas présent lors de cette discussion. Le groupe de travail n'est pas parvenu à constater si cette absence était due au fait que le greffier n'était pas disponible ce jour-là ou si le président ne l'avait pas convoqué. Quoi qu'il en soit, le greffier n'avait noté aucune absence dans son agenda pour ce jour-là. Après la discussion, le président a rédigé une note qu'il a intitulée «Discussion interne avec le juge B et le juge A». [Traduction] Cette note précise: «Résultat: rejet du recours, pas de frais, pas de dépens.» [Traduction] Elle contient également des indications relatives aux motifs rédigées à l'intention du greffier. Le même jour, le président a inscrit la remarque suivante sur le formulaire d'accompagnement: «Discussion interne: rejet dans le sens des considérants, pas de frais, pas de dépens.» Il a encore ajouté la date du jugement et a visé le formulaire d'accompagnement avant de le transmettre au greffier pour établissement de l'expédition du jugement. Deux semaines plus tard, le dispositif a été envoyé. Deux jours après l'envoi, conformément aux instructions du président, le greffier lui a remis le projet d'expédition du jugement.

Quelques semaines plus tard, le projet de jugement est parvenu aux juges concernés par voie de circulation. Ceux-ci n'ont pas apporté de corrections dignes d'être mentionnées. L'expédition du jugement a été envoyée à l'issue de cette circulation.

4.3.1.2.1.4

Discussion interne

Le cas présenté donne l'impression que, dans le cadre de la procédure par voie de circulation, les juges A et B étaient d'abord favorables à l'admission du recours et allaient dans le sens du projet du greffier et qu'ils se sont ensuite ralliés à l'avis du président lors de la discussion interne. En vertu des dispositions légales, le Tribunal fédéral ne peut statuer par voie de circulation qu'en cas d'unanimité et lorsque aucun juge ne demande une audience en délibération (art. 36b OJ). Si les juges concernés ne parviennent pas à trouver une décision unanime à l'issue de la procédure par voie de circulation, le président doit fixer une audience en délibération. Les affaires sont discutées lors de ces audiences et, à l'issue de la discussion, elles font l'objet d'un vote. Dans ce cas, la majorité des voix est suffisante pour que la décision soit valable. En ce qui concerne l'affaire en question, il aurait été nécessaire de fixer officiellement une audience publique42 qui aurait dû se dérouler en présence du greffier.

Cela n'a en l'occurrence pas été le cas. Ni le formulaire d'accompagnement du dossier, ni le dossier ne comportent d'indication signée par les juges A et B qui confirmerait que, après avoir dans un premier temps été favorables à l'admission du recours, ils s'étaient finalement ralliés à l'opinion du président qui concluait à son

42

Conformément à l'art. 17, al. 1, OJ, les audiences de la Cour de cassation pénale ne sont pas publiques à l'exception des recours de droit administratif déposés contre des mesures administratives prises dans le domaine de la circulation routière en matière de retrait du permis de conduire (ATF 117 Ib 94) et des recours de droit public dans la mesure où les délibérations correspondantes peuvent avoir lieu sans se référer aux pourvois en nullité connexes (ATF 117 Ia 508).

5352

rejet. Il est par conséquent déterminant de savoir ce qui a été discuté et décidé lors de la discussion interne que les trois juges ont eue dans le bureau du président.

Point de vue du juge A: Le juge A a déclaré au groupe de travail que, comme le juge B, il était d'accord avec le projet du greffier qui avait circulé et qui concluait à l'admission du recours. Dans cette situation, le président aurait dû fixer une audience publique, ce qui prend un certain temps. C'est pour cette raison que le président a, à court terme, prié les deux juges de se rendre dans son bureau. Le cas a été discuté lors de cette séance. Le juge A était d'avis que la proposition présentée par le greffier était la seule solution correcte. Le juge A a en substance déclaré: «Je n'étais pas d'accord de 'sauver' la décision de l'instance inférieure car je la tenais pour erronée. Le président a pensé qu'il serait éventuellement possible de rejeter le recours de droit administratif pour d'autres motifs. Il voulait demander au greffier de rédiger une nouvelle proposition, rapidement car le temps pressait. Il a précisé que nous [les juges A et B] pourrions ensuite consulter le nouveau projet.» [Traduction] Après cela, le juge A n'a plus rien entendu durant un certain temps. A l'occasion d'une rencontre avec le greffier, il lui a demandé ce qu'il était advenu du dossier. Le greffier lui a répondu que l'affaire avait été jugée il y a longtemps.

Là-dessus, le juge A a contacté le président et le juge B. Il a eu une dispute relativement vive avec le président Schubarth au sujet de cet incident. A cette occasion, il lui a dit qu'il n'avait pas changé d'avis au moment de la séance interne et qu'il aurait voulu voir le nouveau projet pour décider s'il pouvait accepter la nouvelle argumentation. Il a ensuite précisé qu'il n'avait en tous les cas pas consenti à la décision telle qu'elle avait été prise finalement. Le président lui a répondu qu'il y avait sans doute eu un malentendu. Le juge A a ensuite joint le juge B par téléphone.

Celui-ci lui a déclaré qu'il ne se rappelait plus des détails de la discussion. Le juge A n'a donc rien entrepris car son avis n'était pas partagé. Il ne s'est pas non plus adressé au président du Tribunal fédéral car c'était sa parole contre celle du président Schubarth. Il a donc laissé cette affaire de
côté. Cela étant, il a déclaré ne pas vouloir accuser Martin Schubarth de manipulation étant donné qu'il n'était pas en mesure de prouver une telle assertion, mais qu'il estimait qu'en agissant ainsi, le président avait commis un abus de confiance.

Lorsque l'expédition finale du jugement avait circulé, le juge A s'était limité à examiner si les motifs étaient corrects puisque la décision avait déjà été rendue et que, entre-temps, le dispositif avait été envoyé aux parties. Selon lui, le juge qui a succombé doit pouvoir s'adapter lors de la phase de rédaction du jugement. Les motifs se tenaient du point de vue de l'autre argumentation. Il ne s'est finalement opposé avec véhémence qu'à sa saisie dans la documentation interne du Tribunal fédéral en notant «non!» à ce sujet.

En ce qui concerne l'approche du président qui a décidé de procéder à une discussion interne, le juge A a expliqué que l'OJ ne prévoit pas de telles discussions. Il a cependant reconnu qu'elles sont parfois bien utiles pour régler de petits différends comme les questions relatives aux dépens, mais jamais pour décider de la question principale. En règle générale, le greffier concerné participe à de telles discussions étant donné qu'il dispose d'une voix consultative et qu'il est ainsi possible de lui donner des instructions directement. En ce qui concerne l'affaire en question, le président aurait dû faire circuler le dossier une seconde fois avec le projet modifié.

Si cette seconde circulation n'avait pas abouti à l'unanimité, il aurait alors dû fixer une audition en délibération.

5353

Point de vue du juge B: Le juge B a déclaré au groupe de travail que le cas ne l'avait pas suffisamment marqué pour qu'il s'en souvienne. Bien que cette discussion interne avait de toute évidence eu lieu, il ne parvenait pas à s'en souvenir. Il a également dit qu'il partait du principe qu'il avait suivi la contre-proposition du président et que, en fin de compte, il s'agissait uniquement d'une question d'appréciation qui pouvait être tranchée d'une façon comme de l'autre. Il s'agissait d'une pure pesée d'intérêts. Comme le juge A, il avait dans un premier temps été favorable à l'admission du recours selon la proposition du greffier. Les réflexions du président étaient cependant tout à fait défendables. C'est la raison pour laquelle il a déclaré au groupe de travail qu'il était convaincu avoir suivi le président pour que le cas puisse être traité le plus rapidement possible.

En ce qui concerne l'approche du président qui a décidé de procéder à une discussion interne, le juge B a expliqué que toutes les sections du Tribunal fédéral ont recours à de telles discussions internes pour résoudre des problèmes mineurs tant il est vrai que les audiences officielles nécessitent beaucoup de temps. Sans séance officielle, il aurait dû y avoir une seconde procédure de circulation. C'est l'erreur qui avait été commise dans le cas en question. En outre, le fait que le président ait noté le résultat de la séance sur le formulaire d'accompagnement du dossier sort également de l'ordinaire. Dans la mesure où il pouvait s'en rendre compte, cela n'est arrivé que cette fois-là.

Point de vue du président Schubarth: A la question de savoir ce qui s'est précisément passé lors de la discussion interne, le président Schubarth a répondu qu'elle avait eu lieu et qu'il en avait dressé le procès-verbal: «Si j'ai écrit ici que le résultat était celui-là, c'est qu'il était celui-là.» [Traduction]43 La décision a été unanime. Il a relevé qu'il entendait pour la première fois que le juge A était d'un avis différent.

Cela étant, ce juge avait accepté le projet de jugement en procédure par voie de circulation. Il aurait dû au plus tard intervenir à ce moment-là, ce qu'il n'a pas fait. Il a ajouté que des malentendus pouvaient toujours surgir et qu'il ne pouvait exclure que, sous l'influence des médicaments très forts qu'il devait
prendre à cette époque, le juge A n'ait pas bien compris la situation.

A la question de savoir pourquoi il n'avait pas fixé de séance publique, Martin Schubarth a répondu qu'une audience publique prend du temps et que la décision en question était urgente. De plus, le lendemain, il partait en voyage pour quelques jours. Le fait de trouver une solution lors d'une discussion interne allait clairement dans l'intérêt du recourant étant donné qu'il a été possible de trouver une solution avant son départ en voyage. Le fait que l'objet du litige ne soit pas très important constituait également une raison permettant de régler la question au moyen d'une discussion interne. Il a en outre ajouté que le fait de régler les affaires au moyen de discussions internes faisait partie des pratiques de la maison pour éviter les délibérations publiques. Si les deux autres juges avaient souhaité suivre la proposition du greffier et admettre le recours, il se serait alors plié à leur décision. Il aurait été possible d'effectuer une seconde procédure de circulation, mais cela aurait empêché de liquider l'affaire le même jour.

Point de vue du greffier: Le greffier en charge du dossier a déclaré qu'il n'avait encore jamais eu connaissance d'une séance à laquelle le greffier concerné n'aurait pas participé. Le fait qu'il n'ait pas participé à cette discussion interne sort donc de 43

«Schreibe ich hier, das sei das Ergebnis, dann war es das Ergebnis.»

5354

l'ordinaire. Il s'agissait toutefois d'un cas urgent qui n'était pas particulièrement important. A l'issue de la discussion interne, le dossier lui a été transmis par le service des huissiers. Les inscriptions et les notes du président ne lui donnaient aucune raison de douter que les juges n'étaient pas unanimes. En ce qui concerne le rejet du recours sur la base des motifs substitués, le greffier a estimé que la décision était défendable même s'il n'était guère convaincu par ces motifs.

4.3.1.2.1.5

Autres anomalies concernant le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges»

Il y a eu une série d'autres anomalies dans le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges». Celles-ci découlent en partie de l'enchaînement de circonstances malheureuses, mais en partie aussi de la manière dont le dossier a été géré par le président. Bien que ces erreurs n'avaient aucun rapport avec une quelconque manipulation de jugement, il convient tout de même de les aborder.

Habituellement, un recours déposé auprès de la Cour de cassation pénale n'est attribué à un juge pour traitement qu'à partir du moment où le recourant a versé l'avance de frais. La loi prévoit en l'occurrence que le tribunal n'entre pas en matière sur un recours si l'avance de frais n'est pas versée dans un délai déterminé (art. 150 OJ). Le président a chargé un greffier de traiter l'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges» immédiatement après la décision présidentielle, bien qu'il savait que l'avance de frais serait exigée le jour même seulement. Il a donc accepté de prendre le risque que l'affaire soit traitée inutilement si l'avance de frais n'était pas versée dans les délais. Interrogé à ce sujet, le juge Schubarth a déclaré qu'il s'agissait d'un cas urgent et qu'il n'est pas toujours possible d'attendre le versement de l'avance de frais. Si besoin est, les frais peuvent, le cas échéant, être encaissés après la décision.

Un jour après que le président ait noté la date du jugement sur le formulaire d'accompagnement du dossier, le recourant a déposé une demande de prorogation de délai concernant l'avance de frais. Le président était en voyage. Le secrétariat présidentiel a hésité quant au stade auquel la procédure se trouvait. Le greffier chargé de traiter l'affaire avait reçu du président le dossier muni du sceau portant la date du jugement. Etant donné qu'aucun cas n'est traité, et partant tranché, sans avance de frais, le secrétariat présidentiel et le greffier sont partis du principe que la date du jugement apparaissant sur le sceau n'était sans doute pas définitive. Le secrétariat a donc accordé la prorogation de délai et le greffier a par conséquent attendu avant d'envoyer le dispositif44 au recourant. S'exprimant à ce sujet, le juge Schubarth a estimé qu'une erreur a été commise par inadvertance. Selon lui, le dispositif aurait dû être envoyé immédiatement étant donné que
la décision était rendue sans frais et qu'il n'y avait donc pas lieu d'attendre le versement d'une avance.

En outre, après la décision présidentielle négative, la probabilité était grande que le recourant retire le recours étant donné que ce premier rejet constituait un préjudice important. Le greffier qui avait préparé la décision présidentielle a attiré l'attention du président sur ce fait. Au lieu de retirer son recours, le recourant a déposé une requête en reconsidération (voir ch. 4.3.1.2.1.3). A peine trois semaines plus tard, 44

Pour une explication du terme ,,dispositif", voir ch. 4.3.1.1.

5355

semaines au cours desquelles il n'avait eu aucune nouvelle du Tribunal fédéral, le recourant retirait son recours en indiquant qu'il avait finalement dû se plier à la mesure provisionnelle contre laquelle son recours était dirigé. Il ne savait pas que le jugement avait été rendu entre-temps. Après réception du retrait, le président a ordonné d'envoyer le dispositif immédiatement. Le jugement ayant été rendu, il n'était plus possible de rayer l'affaire du rôle ou de revenir sur la décision.

4.3.1.2.1.6

Effets pour le recourant et décision ultérieure du Tribunal fédéral statuant sur le fond

Le rejet du recours n'a occasionné qu'un inconvénient de peu d'importance pour le recourant. En effet, le Tribunal fédéral avait tout de même laissé transparaître de ses motifs que, si le recours encore en suspens devant l'instance précédente devait être rejeté, le recourant garderait toutes ses chances de le voir aboutir au Tribunal fédéral. Ses perspectives pour la suite de la procédure demeuraient donc intactes.

L'instance précédente n'a toutefois tenu aucun compte des indications du Tribunal fédéral et a rejeté le recours sur le fond. Six mois après la première décision, le Tribunal fédéral a donc été amené à statuer sur le fond de l'affaire également. La Cour de cassation pénale a traité ce recours de droit administratif en composition à trois juges, qui l'ont admis à l'unanimité. A cette occasion, le président Schubarth était rapporteur. Dans son bref rapport écrit, il proposait d'admettre le recours, mais proposait que le concept, sur lequel la décision précédente était également basée, soit présenté dans les motifs du jugement à l'intention des instances cantonales et du recourant «de manière à ce que même les ânes puissent les comprendre»45. Il a ensuite répété les motifs ayant permis de conclure au rejet dans le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges». L'exposé du président a été intégré de manière détaillée dans le jugement. Le groupe de travail n'a pas effectué d'examen pour savoir si les autorités cantonales l'ont repris dans leur pratique. Le juge B a également participé à cette décision. Il a soutenu l'admission du recours et l'exposé du président.

4.3.1.2.2

Appréciation du cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» par les commissions de gestion

L'accusation de manipulation de jugements est lourde de conséquence. C'est pour cette raison que le groupe de travail s'est tout particulièrement employé à examiner le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» à l'origine de la propagation d'une rumeur correspondante (voir ch. 4.3.1.2.1.2).

1. Au sujet d'une possible manipulation de jugement L'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges» aurait été un cas de manipulation de jugement si les juges A et B avaient été jusqu'au bout favorables à l'admission du recours et que, connaissant leur avis, le président avait indiqué son rejet sur le formulaire d'accompagnement et dans ses notes.

45

«eselsdeutlich»

5356

Le juge B ne parvient plus à se souvenir de la discussion interne, mais il part du principe qu'il s'était rallié à l'avis du président. Le fait qu'il ait proposé, lors de la circulation du jugement qui a eu lieu après l'envoi du dispositif, de reprendre l'argumentation avec les motifs présentés par le président Schubarth dans la documentation interne va dans ce sens. De plus, lors de la décision ultérieure du Tribunal fédéral statuant sur le fond, il a de nouveau soutenu l'argumentation du président au moment de la rédaction du jugement.

Si le projet de décision finalement envoyé en tant que jugement définitif avait circulé une seconde fois et que le juge A n'avait pas été d'accord, il aurait été nécessaire de fixer une audience publique. Le juge B a déclaré que, si cela avait été le cas, il ne serait pas revenu sur sa décision et aurait continué à soutenir la proposition du président Schubarth. Par conséquent, le recours aurait été rejeté en tout état de cause.

Les commissions de gestion excluent donc qu'il y ait eu manipulation de jugement dans le sens précisé plus haut. Il ne peut toutefois pas être exclu, mais ne peut pas être prouvé non plus, que le juge B a cédé à la pression exercée par le président dans le but de liquider le cas par un rejet.

2. Au sujet du fait que l'avis d'un juge aurait pu avoir été ignoré Cela ne serait cependant pas non plus à prendre à la légère s'il se révélait exact que le président Schubarth n'a volontairement pas tenu compte de l'avis d'un juge et a, en violation des dispositions régissant la procédure par voie de circulation et les audiences en délibération, faussement indiqué sur le formulaire d'accompagnement du dossier que le jugement avait été rendu à l'unanimité.

Les déclarations du juge A sont claires. Il n'était pas d'accord avec le rejet du recours et pensait que la proposition du greffier qui concluait à l'admission du recours était la seule bonne décision. Il avait également indiqué son avis lors de la procédure par voie de circulation en le notant clairement et avec soin sur le formulaire d'accompagnement du dossier. Le juge A a en outre donné l'impression d'être une personne qui a l'habitude de s'exprimer clairement. Il semble donc peu probable que, lors de la discussion interne, le président Schubarth ait pu croire que le juge A s'était rallié
à son avis. De plus, le juge A a vivement protesté auprès du président lorsqu'il a appris que le dispositif avait déjà été envoyé. Il n'y a aucune raison de douter de cette déclaration.

Il n'est en revanche pas crédible que le président Schubarth n'ait rien su de l'intervention du juge A. Avant même que le groupe de travail ne lui ait dit quoi que ce soit à ce sujet, le juge Schubarth a déclaré, lors de son audition, qu'il entendait pour la première fois que le juge A ne partageait pas son opinion. Le groupe de travail lui avait cependant seulement demandé s'il était parvenu à convaincre le juge A ­ celui qui avait clairement exprimé une opinion différente sur le formulaire d'accompagnement ­ lors de la discussion interne. Cela étant, la tentative de Martin Schubarth de jeter le doute sur la crédibilité de la déclaration du juge A en indiquant qu'il était sous médicaments lors de la discussion interne est pour le moins indigne.

De plus, son argument selon lequel le juge A était d'accord avec le projet de jugement qui a circulé n'est rien d'autre qu'une tentative de diversion. Le juge Schubarth ne peut pas ignorer que, ayant lieu après sa prononciation, la rédaction d'un jugement s'évalue sous un autre angle. Par conséquent, il ne pouvait pas inférer de l'accord du juge A au sujet du rédigé du jugement que celui-ci était d'accord avec la décision en tant que telle.

5357

Il est en outre important de se rappeler que le président Schubarth avait des raisons de vouloir à tout prix rejeter le recours. Il n'est pas possible de savoir s'il voulait éviter que sa décision présidentielle soit désavouée ou si c'est surtout sa nouvelle idée, soit les motifs qui ont permis de conclure au rejet du recours, à l'origine d'une nouvelle jurisprudence qui lui tenait à coeur. Le fait est qu'il avait suffisamment de raisons pour vouloir que le recours soit rejeté.

L'argument de l'urgence doit également être relativisé. Il convient tout d'abord de souligner que c'est le président Schubarth lui-même qui a créé la situation d'urgence avec sa décision présidentielle préjudicielle. Ensuite, après réception de la requête en reconsidération et pour empêcher que le recourant en subisse les conséquences, des mesures superprovisoires auraient pu permettre d'éviter l'exécution des mesures provisionnelles par l'instance précédente jusqu'à la décision du Tribunal fédéral.

Parallèlement, comme le président Schubarth l'avait d'ailleurs envisagé dans un premier temps, il aurait été possible de demander l'avis de l'instance précédente.

Cette manière de faire aurait été conforme à la pratique habituelle de la Cour de cassation pénale et aurait laissé ses collègues libres d'accepter ou de rejeter le recours.

Il est par ailleurs établi que la discussion interne ne saurait constituer une audience ordinaire au sens de l'art. 17, al. 1, OJ, au cours de laquelle il aurait été licite de prononcer une décision par deux voix contre une. Une telle discussion interne aurait tout au plus permis d'accélérer la procédure par voie de circulation, à condition toutefois que, conformément à l'art. 36b OJ, le principe de l'unanimité de la décision soit respecté. Par conséquent, la procédure de décision par voie de circulation aurait dû être menée à terme en faisant circuler le projet modifié une seconde fois. Si le juge A n'avait pas été d'accord avec ce second projet, le président aurait alors dû fixer une audience publique.

En tout état de cause, même en partant du principe que le président Schubarth n'avait effectivement pas compris que le juge A ne partageait pas son opinion, il n'aurait pas eu le droit de déclarer le jugement rendu sans la signature des deux autres juges.

Compte tenu de toutes les circonstances,
les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, dans le cas présent, le juge fédéral Schubarth a de toute évidence ignoré l'avis de l'un de ses collègues et a, sur le formulaire d'accompagnement du dossier, déclaré le jugement rendu à l'unanimité alors qu'il n'a été rendu qu'à la majorité, transgressant ainsi les dispositions relatives à la procédure par voie de circulation et aux délibérations publiques. Les commissions de gestion sont d'avis que le juge fédéral Martin Schubarth a ainsi violé ses devoirs de fonction.

3. Au sujet des autres anomalies concernant le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» L'actuel président de la Cour de cassation pénale a déclaré au groupe de travail qu'à sa connaissance aucun dossier ne contenait autant d'erreurs que celui de l'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges» et qu'une telle situation ne se produit dans le pire des cas qu'une fois en dix ans. Selon les constatations du groupe de travail, l'accumulation d'erreurs et de malentendus découle d'une part de la mauvaise gestion du dossier par le président Martin Schubarth et, d'autre part, du fait que, une fois commise, une erreur a des répercussions jusqu'à la clôture du dossier. Le président Schubarth aurait dû se rendre compte du fait que la décision 5358

présidentielle statuant sur la requête portant sur la mesure provisionnelle allait avoir un effet préjudiciel tel qu'elle n'aurait jamais dû être prononcée sans préjuger la décision sur le fond. En outre, le dossier permettait également de constater que la décision présidentielle n'était pas urgente à ce point. En effet, la requête aurait pu être tranchée en même temps que l'affaire elle-même. En tout état de cause, des mesures superprovisoires auraient pu permettre d'empêcher l'exécution des mesures provisionnelles jusqu'à la décision de la Cour de cassation pénale. Le fait que le cas ait été transmis pour traitement alors même que l'avance de frais n'avait pas encore été versée était inhabituel et a contribué à la confusion. Le greffier a attendu avant l'envoi du dispositif étant donné que, à l'instar du secrétariat présidentiel, il avait conclu que la date du jugement indiquée sur le formulaire d'accompagnement n'était pas encore définitive. Ce doute était tout à fait justifié, non seulement parce que l'avance de frais n'avait pas encore été versée, mais aussi parce que le formulaire d'accompagnement ne comportait pas les signatures des deux autres juges, signatures qui auraient attesté que ces derniers étaient d'accord de rejeter le recours. En outre, le fait que le président Schubarth appose sur le formulaire d'accompagnement une note au sujet de la discussion interne ­ à laquelle le greffier n'avait pas participé ­ était tout à fait inhabituel. Le greffier n'ayant pas tout de suite envoyé le dispositif, le retrait du recours est intervenu alors même que la décision avait déjà été rendue.

Lorsque le retrait du recours est parvenu à la Cour de cassation pénale, le président Schubarth a ordonné la notification immédiate du dispositif.

Les commissions de gestion parviennent à la conclusion que les erreurs et les malentendus constatés dans le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» découlent en partie d'une mauvaise gestion du dossier par le président Martin Schubarth. Ces anomalies doivent cependant être appréciées dans la perspective de la charge de travail importante qui pèse sur la Cour de cassation pénale.

Il faut en outre également tenir compte du fait qu'elles concernent un objet relativement peu important. Dans de telles conditions, il n'est jamais possible d'éviter
ce genre d'erreur complètement. Elles ne remettent néanmoins pas la qualité de la jurisprudence de la Cour de cassation pénale en cause 4. Au sujet de la propagation de la rumeur concernant le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» Il faut partir du principe que, à un moment ou à un autre, le juge A a exprimé, à l'un ou l'autre collaborateur du tribunal, son mécontentement au sujet de la manière dont le président avait traité l'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges» et que l'histoire a commencé à se répandre à partir de là. Il s'est avéré que le mécontentement du juge A était fondé. Le juge A ne peut pas être suspecté d'avoir voulu nuire au juge fédéral Schubarth dans la perspective des élections de renouvellement intégral des juges fédéraux du mois de décembre 2002, ne serait-ce que du fait que la rumeur a commencé à circuler longtemps avant ces élections.

Les rumeurs insistantes circulant au Tribunal fédéral prouvent bien qu'une irrégularité ne peut pas être étouffée sans laisser de trace. La présente enquête a montré que les juges et les greffiers ont une conscience aiguisée de la qualité et un sens très développé de ce qui est réglementaire et autorisé et de ce qui ne l'est pas. Le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» a préoccupé les collaborateurs du tribunal à juste titre. Toutefois, la manière dont ces rumeurs ont ensuite fait tache d'huile hors les murs du tribunal soulève des questions quant à la maîtrise des fautes par le Tribunal fédéral.

5359

5. Au sujet de la maîtrise des fautes par le Tribunal fédéral Selon l'opinion qui prévaut au Tribunal fédéral, rien de ce qui pourrait nuire à l'image du tribunal ne doit être rendu public et celui qui colporte une anomalie à l'extérieur écorne gravement cette image. Il est vrai que l'instance judiciaire suprême est particulièrement sensible à toute forme de publicité négative. Cela découle du fait que de tels incidents peuvent très rapidement déstabiliser le public.

Celui-ci se met très vite à douter de la crédibilité des jugements et perd la confiance qu'il place dans le Tribunal fédéral même si, dans les faits, l'événement en question ne remet aucunement la qualité de ses décisions en cause.

En raison du secret de la délibération, de l'intérêt des parties et de l'indépendance judiciaire, le public ne peut exercer qu'un «contrôle» très limité sur l'activité d'un tribunal. Cela ne doit toutefois pas conduire à simplement étouffer les éventuelles irrégularités ou dérives comportementales. Celles-ci doivent être examinées et, le cas échéant, corrigées par le tribunal. Dans le cas contraire, le comportement autoritaire ou égoïste de certains risque de peser sur le climat de travail. Les dérives comportementales ne doivent pas être tolérées au nom de l'indépendance judiciaire. Il est donc indispensable qu'il y ait des mécanismes internes qui permettent de garantir que les fautes et les problèmes seront abordés ouvertement afin d'en tirer les conséquences qui s'imposent.

4.3.1.3

Arrêts du Tribunal fédéral: manipulations possibles

En rapport avec le reproche portant sur une éventuelle manipulation de jugement, il est intéressant de savoir dans quelle mesure il serait possible de manipuler un jugement de la Cour de cassation pénale. Sur la base de l'analyse des procédures de la Cour de cassation pénale, le groupe de travail est parvenu à la conclusion que, en pratique, il n'est guère possible de manipuler un jugement en tant que tel, c'est-àdire de fausser son dispositif. Le président de la cour mis à part, les juges n'ont aucune possibilité de procéder à une telle manipulation. Un président de cour exerce en revanche une influence nettement plus importante. Il participe en effet à chaque affaire. Il définit notamment si une audience doit être convoquée et, le cas échéant, à quel moment elle doit être convoquée, s'il est nécessaire de procéder à un nouveau tour de consultation et à quel moment un jugement prononcé par voie de circulation est considéré comme rendu. En décidant de manipuler un jugement, il prendrait cependant un risque considérable d'être découvert. La procédure exige la participation de nombreuses personnes, si bien qu'il y aurait toujours un témoin susceptible de mettre la supercherie au jour. Le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» aurait pu constituer un cas particulier ­ certes rare ­ qui aurait éventuellement pu faire l'objet d'une manipulation. Cela aurait été le cas si les deux autres juges étaient restés sur leur avis qui divergeait de celui du président et que, en découvrant que le dispositif avait été faussé, ils avaient renoncé à réagir en raison du peu d'importance de l'affaire. Dans cette situation-là, il aurait peut-être été possible de parler d'une approbation après coup du dispositif. L'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges» a cependant été un cas exceptionnel à plus d'un titre. Il est fort probable que de tels cas sont rares.

5360

4.3.1.4

Procédure par voie de circulation et audience en délibération

4.3.1.4.1

Pratique du Tribunal fédéral

A la demande du groupe de travail, dans sa lettre du 4 août 2003, le Tribunal fédéral a présenté la pratique de la procédure par voie de circulation et des audiences en délibération en vigueur. Il a par la suite précisé ses explications dans sa lettre du 29 septembre 2003. En substance, le Tribunal fédéral décrit sa pratique en la matière de la manière suivante: En règle générale, lorsque le tribunal statue par voie de circulation (art. 36b OJ), le dossier ne circule qu'une seule fois. Exceptionnellement, il peut arriver que le dossier circule plusieurs fois, notamment lorsqu'il est nécessaire de clarifier d'éventuels malentendus ou qu'il y a lieu de penser qu'une unanimité pourra être trouvée. La proposition du rapporteur et l'accord ou le rejet des autres juges sont mentionnés sur le formulaire d'accompagnement du dossier, accompagnés des signatures correspondantes. Sans ces signatures, la procédure par voie de circulation ne peut aboutir à un jugement. De plus, le tribunal ne peut statuer par voie de circulation que si la décision des juges est unanime. En cas de désaccord entre les juges au sujet du dispositif du jugement, une audience en délibération doit être fixée conformément à l'art. 17 OJ.

Les discussions internes peuvent exceptionnellement avoir lieu lorsqu'un juge a des doutes. De telles discussions ne peuvent servir qu'à clarifier des points manquant de précision. Mesurées au nombre d'affaires liquidées, les discussions interne sont peu fréquentes. En fonction de la situation, les résultats de ces discussions sont consignés sur le formulaire d'accompagnement ou repris dans les motifs. Lorsqu'une discussion interne aboutit à un consensus sur le dispositif du jugement, tous les juges signent le dispositif en question sur le formulaire d'accompagnement. Si des divergences d'opinion relatives à la décision persistent, une audience en délibération doit être fixée conformément à l'art. 17 OJ.

Le président fixe la date du jugement à l'issue de la procédure par voie de circulation, c'est-à-dire lorsque l'unanimité entre tous les juges est atteinte. Cette date est reportée sur le formulaire d'accompagnement. Cette inscription doit être datée et visée par le président. Il arrive souvent (selon les cours, dans 50 à 80 % des jugements) que l'expédition du jugement soit adoptée à la même date
que le jugement.

Dans ces cas, le dispositif n'est pas notifié séparément; l'expédition complète est notifiée dans les deux semaines qui suivent.

Lorsque la procédure par voie de circulation ne permet pas d'atteindre l'unanimité ou lorsqu'un juge le demande (art. 36b OJ), une audience en délibération (séance selon l'art. 17 OJ46) doit être fixée. Dans certains cas, lorsque la cause soulève des questions de principe, le président la fixe spontanément. Le dispositif du jugement est voté en séance. Le greffier l'expédie le jour même ou le jour ouvrable suivant.

L'expédition complète du jugement est notifiée plus tard.

46

L'art. 17 OJ distingue entre les séances publiques (al. 1), les séances auxquelles seules les parties sont admises (al. 2) et les séances à huis clos (al. 1 et 3).

5361

4.3.1.4.2

Procédure par voie de circulation et audience en délibération: problèmes constatés

Dans le cadre de l'examen de l'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges», le groupe de travail a constaté les problèmes suivants en ce qui concerne la procédure par voie de circulation et l'audience en délibération: 1. Transparence de la procédure par voie de circulation En examinant l'affaire de la «procédure par voie de circulation à trois juges», le groupe de travail a constaté que le président avait reporté le résultat de la discussion interne sur le formulaire d'accompagnement du dossier, mais que ni celui-ci, ni le reste du dossier ne portent les signatures des deux autres juges attestant qu'ils avaient changé d'avis. Sous la présidence du juge fédéral Schubarth, il est arrivé que, après simple discussion ou téléphone avec certains juges, des divergences aient été éliminées sans que les juges concernés ne visent l'enregistrement correspondant sur le formulaire d'accompagnement du dossier.

Les commissions de gestion estiment que, pour garantir la transparence et la «traçabilité» de la prise de décision par voie de circulation, mais aussi pour éviter les malentendus et les erreurs, les observations d'une certaine importance doivent figurer sur le formulaire d'accompagnement et porter la signature des juges concernés.

2. Les discussions internes en tant que partie intégrante de la procédure par voie de circulation Le juge fédéral Schubarth était d'avis que le cas de la «procédure par voie de circulation à trois juges» avait été tranché lors de la discussion interne avec les deux autres juges appelés à statuer. Ainsi, la discussion interne avait pratiquement servi à remplacer une audience publique. Le juge Schubarth a déclaré au groupe de travail que la liquidation d'affaires peu importantes ou urgentes au moyen de discussions internes se justifiait.

La discussion interne n'est pas un instrument prévu par la loi fédérale d'organisation judiciaire (OJ). En pratique, la discussion interne sert à régler les petits différends qui peuvent apparaître lors de la procédure par voie de circulation dans le but de parvenir à l'unanimité que la loi exige pour ce genre de décision.

De l'avis des commissions de gestion, les discussions internes ne doivent pas remplacer les audiences en délibération. En d'autres termes, des décisions formelles ne doivent pas être prises lors de
discussions internes. La procédure par voie de circulation doit être suivie, du début à la fin, dans le respect des règles qui la régissent.

Dans la mesure où des discussions internes ont lieu au sujet d'une affaire, elles font partie de la procédure par voie de circulation et doivent être restituées de manière transparente dans le cadre de cette procédure. Les principaux résultats de ces discussions internes doivent être consignés sur le formulaire d'accompagnement avec la signature des juges concernés.

3. Procès-verbaux de délibérations relatifs aux audiences en délibération Lorsque des audiences en délibérations ont lieu à la Cour de cassation pénale, les dossiers n'indiquent pas comment et à quelle majorité les juges ont pris la décision.

Il n'est pas rédigé de procès-verbal de délibération. Les greffiers entendus par le groupe de travail ont expliqué qu'ils prennent bien des notes personnelles au cours 5362

de l'audience, mais que celles-ci ne sont pas conservées, ni dans le dossier, ni ailleurs. Les greffiers utilisent ces notes immédiatement après la séance pour rédiger le dispositif qui est ensuite notifié aux parties. A l'art. 10, al. 3, le règlement du Tribunal fédéral stipule que les greffiers sont chargés de tenir les procès-verbaux des audiences.

Le groupe de travail n'a pas examiné la pratique des autres cours du Tribunal fédéral.

Actuellement, les dossiers des affaires tranchées par la Cour de cassation pénale en audience en délibération contiennent le formulaire d'accompagnement du dossier qui permet de constater qu'il n'y a pas eu d'unanimité lors de la procédure par voie de circulation. Ainsi, il est possible de constater, par exemple, que le juge A et le juge B étaient favorables au rejet alors que les juges C, D et E étaient favorables à l'admission du recours. Pour ce qui est de l'audience en délibération, l'en-tête du jugement permet de constater qu'il y a eu audience en délibération et à quelle date.

En revanche, aucun document du dossier ne permet de constater si la décision a été prise par trois voix contre deux, quatre voix contre une ou à l'unanimité. Le fait que la majorité à laquelle la décision a été prise ne figure pas sur le jugement n'est pas critiqué tant il est vrai que le système suisse ne prévoit pas l'indication des opinions minoritaires («dissenting opinions») dans le jugement.

Les commissions de gestion estiment que le dossier de chaque affaire doit permettre d'examiner la prise de décision dans son intégralité. Le résultat de chaque audience en délibération devrait être consigné dans un procès-verbal de délibération. Cette manière de faire contribuerait à la transparence de la procédure envers les juges de la cour et permettrait, par la suite, de comprendre le processus de la prise de décision.

Ce procès-verbal de délibération pourrait être un document simple: une pièce jointe au dossier indiquant formellement le nombre de voix et le vote de chaque juge appelé à statuer suffirait amplement. Ce document pourrait circuler en même temps que le projet d'expédition du jugement, ce qui permettrait aux juges concernés de se convaincre de son exactitude.

4. Introduction de la procédure par voie de circulation à trois juges avec décision prise à la majorité L'art. 54
du projet de loi fédérale sur le Tribunal fédéral (P-LTF) prévoit que le tribunal pourra, en cas de majorité, statuer par voie de circulation dans une composition à trois juges, alors que l'actuelle OJ exige l'unanimité. L'unanimité serait en revanche conservée pour les décisions prises par voie de circulation dans une composition à cinq juges (FF 2001 4281).

Dans son message, le Conseil fédéral estime que cette modification est justifiée étant donné qu'elle «rend superflus les efforts, parfois problématiques, pour parvenir à l'unanimité dans un nombre maximum de cas.» Le Tribunal fédéral des assurances a, en particulier, souhaité cette innovation dans le cadre de la révision partielle de l'OJ du 23 juin 2000 (RO 2000 2719) estimant qu'elle permettrait d'accélérer la procédure puisqu'elle réduirait le nombre d'audiences en délibération (FF 1999 8857). A l'époque, cette innovation n'a pas été retenue.

A la lumière des constatations faites par le groupe de travail, il convient de se poser la question de savoir si l'introduction des décisions à la majorité par voie de circulation à trois juges ne serait pas de nature à renforcer encore davantage l'influence du président de cour (voir aussi le ch. 4.3.2.4) et à aggraver le risque de malentendu. A 5363

quel moment le président peut-il déclarer le jugement rendu? Le fait-il lorsque deux juges sont d'accord sur tous les points, même les points accessoires? Comment le juge qui a succombé remarque-t-il qu'il a succombé et comment serait-il possible de garantir qu'il ait la possibilité de demander la tenue d'une audience en délibération?

Serait-il possible que deux juges tentent de s'allier contre le troisième? Le juge mis en minorité ne pourrait plus intervenir. Comment les deux juges pourraient-ils se mettre d'accord lorsque c'est le président qui est mis en minorité?

Les commissions de gestion suggèrent au Parlement d'examiner si cette nouvelle réglementation permet bien d'assurer une prise de décision juste et transparente pour les juges concernés et que chacun d'eux dispose des mêmes droits pour exercer son influence.

4.3.2

Reproches relatifs à des manipulations lors de la constitution de la cour appelée à statuer et de la publication des jugements

4.3.2.1

Bases légales et pratique

4.3.2.1.1

Constitution de la cour appelée à statuer

A l'échelon des lois et des ordonnances, il n'y a que très peu de dispositions régissant la constitution par les présidents des sections du Tribunal fédéral des cours appelées à statuer. Selon l'art. 13, al. 3, OJ, le président de la section désigne le juge chargé d'instruire le procès et le rapporteur. L'art. 9 du règlement du Tribunal fédéral47 stipule que les présidents des sections répartissent les affaires entre les membres de leur section. Quant à la taille des cours appelées à statuer (quorum), l'art. 15, al. 1, OJ prescrit que, en règle générale, les sections siègent à trois juges. Lorsque la cause soulève une question de principe ou lorsque le président de la section l'ordonne, les cours de droit public, les cours civiles et la Cour de cassation pénale siègent à cinq juges (art. 15, al. 2, OJ). En pratique, chaque juge peut également demander que la cour siège à cinq juges. Dans certains cas, les cours de droit public statuent à sept juges (art. 15, al. 3, OJ).

Dans sa lettre du 4 août 2003 au groupe de travail, le Tribunal fédéral a indiqué que sa pratique en manière de désignation des rapporteurs et de définition de la composition des cours appelées à statuer a fait ses preuves durant des décennies. Selon cette pratique, le président attribue les cas en fonction de plusieurs critères: langue, charge de travail (notamment pour les affaires importantes), compétences, expérience, participation à des affaires semblables, sexe, polyvalence et contingences telles qu'absences, vacances ou maladie. Selon la pratique en la matière expliquée par le Tribunal fédéral, le président s'efforce de répartir équitablement et uniformément le travail qui incombe à sa section. Entretenant le dialogue avec les membres de la section qu'il préside, il veille à ce que les choses soient faites avec pondération et d'un commun accord. Dans son avis au sujet du message du Conseil fédéral concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, le Tribunal fédéral estime à propos du nouvel art. 20 P-LTF que «l'attribution des affaires aux différents juges est faite par les présidents de cours en fonction de la langue, de la matière, de la connexité entre les causes et de la charge de travail, sans que l'on 47

Règlement du Tribunal fédéral du 14 décembre 1978 (RS 173.111.1).

5364

renonce toutefois à une certaine flexibilité afin d'assurer une liquidation équitable des diverses affaires dans des délais comparables.»48 L'art. 20 P-LTF prévoit que le Tribunal fédéral fixe dans un règlement la manière de répartir les affaires entre les cours en fonction de la matière, de composer les cours appelées à statuer et d'affecter les juges suppléants.

En ce qui concerne sa pratique en tant que président de la Cour de cassation, le juge fédéral Martin Schubarth a indiqué dans sa prise de position adressée au groupe de travail, qu'il s'est toujours conformé aux principes en vigueur au Tribunal fédéral.

Pour ce qui est de la désignation des rapporteurs, le juge Schubarth a souligné que la langue constituait le critère le plus important étant donné que les jugements doivent être rédigés dans la langue du recourant. Il a ajouté que, pour le reste, il n'y avait pas de règles définies. La composition de la cour lors de procédures par voie de circulation à cinq juges ne posait en règle générale pas de problème puisque la Cour de cassation pénale ne dispose que de cinq juges ordinaires. La Cour de cassation pénale n'a connu de cas particuliers que lorsqu'un juge suppléant était chargé de préparer le rapport. En ce qui concerne la composition à trois juges, le juge fédéral Schubarth a indiqué qu'il disposait d'une liste continue comportant l'une après l'autre toutes les combinaisons possibles à trois juges et que, en règle générale, il se tenait à cet ordre. Cette liste avait en particulier pour fonction d'assurer une répartition égale de la charge de travail entre tous les juges. Elle servait également de liste de contrôle permettant de constater à quel moment une affaire a été confiée à quel groupe de trois juges. Le juge Schubarth a cependant ajouté qu'il était parfois indispensable de s'écarter de cette liste, notamment pour les affaires en langue française, en cas de vacances ou de maladie ou encore lorsqu'il devait tenir compte du fait qu'un juge était fortement sollicité par d'autres tâches lui ayant été confiées. En outre, des compétences particulières de l'un ou l'autre juge l'ont parfois conduit à s'écarter de la liste. Il n'y avait pas de règles fixes pour ce qui concerne l'attribution d'affaires à des juges suppléants et la désignation d'un troisième juge lorsque le jugement était rédigé par un juge suppléant.

4.3.2.1.2

Pratique du Tribunal fédéral en matière de publication

Le Tribunal fédéral publie ses décisions en fonction des règles suivantes: Sont considérés comme arrêts du Tribunal fédéral publiés les jugements qui sont parus dans le Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral (ATF). Il s'agit des principaux arrêts importants du point de vue de la jurisprudence du Tribunal fédéral.

En règle générale, il y a changement de jurisprudence lorsque, dans l'un de ses arrêts publiés, le Tribunal fédéral déroge à une pratique jusque-là établie par un ou plusieurs arrêts principaux publiés précédemment. Chaque cour détermine ellemême lesquelles de ses décisions seront publiées au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral (art. 18 du règlement du Tribunal fédéral). A la Cour de cassation pénale, la publication d'un jugement au Recueil officiel est décidée à la majorité par

48

Prise de position du Tribunal fédéral du 23 février 2001, FF 2001 5622 s., en particulier p. 5628.

5365

les juges qui ont été appelés à statuer. Les arrêts principaux du Tribunal fédéral à partir de 1954 sont aujourd'hui accessibles sur le site Internet du Tribunal fédéral.49 En outre, depuis le 1er janvier 2000, une bonne partie des jugements du Tribunal fédéral sont publiés sur le site Internet du Tribunal fédéral sous forme anonyme.50 C'est le président de section qui décide de la publication des jugements sur Internet.

Cette publication a lieu sur la base de critères définis par la Conférence des présidents du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral dispose également d'une base de données électronique de jurisprudence (BRADOC) qui répertorie les considérants importants des arrêts. Cette base de données permet aux juges et aux collaborateurs du Tribunal fédéral de garder une vue d'ensemble de la jurisprudence. Les juges appelés à statuer sur une affaire peuvent demander que certains considérants soient introduits dans cette base de données.

Depuis le 1er janvier 2003, en vertu de l'art. 30, al. 3, Cst. et de l'art. 6, par. 1, CEDH, le dispositif et les qualités de l'ensemble des jugements du Tribunal fédéral sont déposés publiquement dans l'entrée du tribunal (exigence de la publicité du prononcé du jugement). Certaines exceptions en vertu des art. 5 LAVI et 17 OJ mises à part, ce dépôt n'est pas effectué sous forme anonyme. En d'autres termes, les noms des parties sont mentionnés comme elles le sont d'ailleurs aussi lors des audiences publiques.

4.3.2.2

Rumeur concernant une affaire enterrée

Le groupe de travail a également eu vent d'un grave reproche qui circulait sous forme de rumeur au Tribunal fédéral. Selon cette rumeur, une question de droit aurait été tranchée par la Cour de cassation pénale en composition à cinq juges. A cette occasion, l'avis du président Schubarth n'aurait pas réuni de majorité. Le jugement n'aurait pas été envoyé et l'affaire aurait été enterrée durant quelques mois. Le président Schubarth aurait ensuite ressorti la même affaire pour la rejuger en composition à trois juges, soit, en plus du président Schubarth, le juge qui était de son avis la première fois ainsi qu'un juge suppléant. L'affaire aurait été tranchée dans le sens voulu par le président.

Pour vérifier l'exactitude de ce reproche, le groupe de travail a tout d'abord essayé de retrouver l'origine de la rumeur. Les interrogations auxquelles il a procédé dans ce but n'ont pas été concluantes. Il a ensuite essayé d'identifier ce cas ou un cas semblable au moyen d'une recherche systématique. Le groupe de travail a donc demandé les feuilles de répartition des affaires (notes du président sur l'attribution des affaires aux juges de la Cour de cassation pénale) portant sur la période en question ainsi qu'une liste d'affaires répondant à un certain nombre de critères. A l'exception de quelques feuilles récentes, le tribunal ne disposait plus des feuilles de réparation des affaires du président Schubarth. Interrogé à ce sujet par le groupe de travail, le juge fédéral Schubarth a déclaré que ces notes constituaient un moyen auxiliaire exclusivement personnel auquel il avait recours pour l'aider dans l'exécution de ses tâches présidentielles, raison pour laquelle il les détruisait pério49 50

www.bger.ch/fr/index/juridiction/jurisdiction-inherit-template/jurisdiction-recht.htm Voir note de bas de page n° 49.

5366

diquement. Il a également souligné que toutes les données judiciaires importantes de chaque affaire, notamment les données relatives à la composition du banc des magistrats, se trouvaient dans les dossiers correspondants. Le groupe de travail a constaté qu'il n'y a aucune prescription obligeant les présidents des sections à garder trace de l'attribution des affaires aux rapporteurs et de la composition des cours appelées à statuer. Toutefois, au plus tard à l'issue de la procédure par voie de circulation, les décisions des présidents sont introduites dans la base de données électronique où elles peuvent être consultées.

A moins d'y consacrer des efforts disproportionnés, il aurait été impossible de procéder à une recherche systématique sans disposer des notes du président sur l'attribution des affaires. Le groupe de travail s'est donc limité à examiner si, étant donné les procédures de la Cour de cassation pénale, un tel cas aurait pu se produire en pratique. Après avoir entendu tous les juges et plusieurs greffiers de la Cour de cassation pénale, le groupe de travail est parvenu à la conclusion qu'un tel cas ne pouvait pratiquement pas se produire. Seul un comportement criminel de la part du président, tel que faux dans les titres ou destruction de documents, permettrait de réaliser une telle forfaiture. De plus, celle-ci serait fatalement découverte, au moins par l'un des autres juges appelés à statuer ou par le greffier en charge de l'affaire. Le groupe de travail estime que de tels soupçons sont non fondés.

4.3.2.3

Deux cas de fraude dans la saisie

En cherchant des cas qui auraient pu être à l'origine de la rumeur mentionnée ci-dessus, la Cour de cassation pénale est parvenue à la conclusion que celle-ci concernait probablement une affaire dont le traitement avait également donné lieu à des critiques au sein du tribunal et qui, bien que présentant un certain nombre de similitudes avec l'affaire enterrée, s'en distingue également très nettement. Alors que le premier cas portait sur une seule et même affaire qui aurait été illégalement jugé à deux reprises par des juges différents, le second portait sur deux affaires distinctes jugées à deux ans et demi d'intervalle.

Dans ce second cas portant sur deux affaires distinctes, il a été critiqué ce qui suit.

La première affaire aurait été tranchée dans une composition à cinq juges alors que la seconde affaire, portant sur une même question de droit, l'aurait été en composition à trois juges. Dans la première affaire, l'avis du président Schubarth n'aurait pas réuni de majorité et ce dernier aurait décidé de ne pas la publier. Un peu plus de deux ans plus tard, la Cour de cassation pénale aurait tranché la seconde affaire portant sur une même question de droit en composition à trois juges, soit, en plus du président Schubarth, le juge qui était de son avis lors de la première affaire ainsi qu'un juge suppléant. Le jugement rendu dans cette seconde affaire irait dans le sens de l'avis du président Schubarth et aurait été publié sur Internet. Ainsi, cette décision rendue en composition à trois juges, serait devenue l'avis officiel du Tribunal fédéral sur cette question de droit. Les deux affaires ont été décrites dans la «Revue de la société des juristes bernois ­ RSJB».51 La Sonntags-Zeitung, qui s'est également penchée sur ce cas pendant que le groupe de travail menait ses propres investigations à ce sujet, a même prétendu que, à eux seuls, trois juges auraient décidé d'un changement de la jurisprudence et que, avec sa publication sur le site Internet du Tribunal 51

RSJB 1999 707 ss. et RSJB 2002 280.

5367

fédéral, l'opinion du juge fédéral Schubarth se serait transformée en jugement principal auquel avocats et juges se conforment depuis lors.52

4.3.2.3.1

Constatations du groupe de travail

Les deux affaires en question portaient sur une question de fraude dans la saisie (appelée «diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers» depuis la révision du Code pénal entrée en vigueur le 1er janvier 1995). Cela étant, la seconde affaire portait également sur d'autres questions juridiques complexes.

La première affaire concernait le cas d'un concessionnaire de taxi. La question qui se posait était de savoir s'il s'était rendu coupable de fraude dans la saisie au sens de l'art. 164 du Code pénal (dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 1995). Il avait engagé un chauffeur de taxi, menacé de saisie, pour un salaire mensuel brut de 1500 francs alors que ce montant correspondait tout au plus à la moitié du salaire usuel de la branche. Les parties avaient convenu cette faible rémunération dans le but d'éviter qu'une partie du salaire de l'employé puisse être saisi.

Cette affaire a été traitée et tranchée par la Cour de cassation pénale en composition à cinq juges ordinaires. La procédure par voie de circulation a nécessité deux tours pour débattre la question. Au cours de ces deux tours, trois des cinq juges ont rédigé pas moins de cinq prises de position dont deux rapports contradictoires engagés du président Schubarth et deux du rapporteur. La procédure par voie de circulation n'ayant pas permis d'obtenir l'unanimité, l'affaire a été tranchée en audience par trois voix contre deux, contre l'avis du président. La majorité des juges a estimé que le concessionnaire de taxi avait à juste titre été condamné pour fraude dans la saisie étant donné que le contrat de travail qui prévoyait un salaire beaucoup trop bas était contraire aux bonnes moeurs. Elle a par conséquent rejeté le pourvoi en nullité.

Aucun juge n'en ayant demandé la publication, cet arrêt n'a pas été publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral (ATF). Les principaux considérants ont cependant été introduits dans la base de données de jurisprudence du Tribunal fédéral (BRADOC).

Quant à la seconde affaire, elle portait sur la question de savoir si un employé d'une société anonyme, dont l'épouse était l'actionnaire unique, s'était rendu coupable de fraude dans la saisie parce que, dans le but de se protéger de ses créanciers, il avait réduit son salaire au minimum légal ne pouvant être saisi. Cette
affaire comportait en outre d'autres questions juridiques complexes. Le président Schubarth a attribué cette affaire à un juge suppléant qui, dans son rapport (projet de jugement), concluait à l'admission du pourvoi en nullité sur ce point. En d'autres termes, il concluait que, dans le cas d'espèce, l'employé en question ne s'était pas rendu coupable de fraude dans la saisie. Le président Schubarth avait décidé que l'affaire serait traitée en composition à trois juges. Outre sa personne (le président de cour participe habituellement à chaque cas) et le juge suppléant qui avait été désigné comme rapporteur, le troisième juge appelé à statuer était le juge qui s'était retrouvé, avec le président Schubarth, dans la minorité lors de la première affaire mentionnée ci-avant. Lors de la procédure par voie de circulation, ce dernier juge a présenté une contreproposition concluant au rejet du pourvoi en nullité. Dans ses remarques écrites il s'est référé à la décision précédente. Il a également joint cet arrêt ainsi que les 52

Sonntags-Zeitung du 1er juin 2003, p. 10, «200 Urteile werden überprüft».

5368

considérants du système de documentation BRADOC au sujet de cette affaire au dossier. Au groupe de travail qui l'entendait sur cette affaire, il a déclaré qu'il n'était certes pas d'accord avec la décision prise lors de la première affaire, mais que la seconde présentait certaines différences en ce qui concerne les faits et que, en l'occurrence, ces différences avaient motivé ses conclusions en faveur d'un rejet du pourvoi en nullité. En tant que dernier juge dans l'ordre de la circulation, le président Schubarth a également rédigé un certain nombre de remarques portant sur la décision prise lors de la première affaire. Il avait en substance noté qu'il s'agissait d'un jugement dont même les juges de la majorité de l'époque n'étaient plus convaincus. Comme la procédure par voie de circulation n'a pas permis d'aboutir à l'unanimité, une audience en délibération a été convoquée. Le pourvoi en nullité a été admis sur ce point dans le sens de la proposition du juge suppléant. Le jugement a été publié sur le site Internet du Tribunal fédéral mais pas au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral et un considérant a été repris dans le système de documentation interne BRADOC.

Avec le recul, la plupart des juges et des greffiers interrogés au sujet de ce cas sont d'avis que la seconde affaire aurait également dû être jugée en composition à cinq juges étant donné que les motifs contiennent une déclaration générale en contradiction avec la précédente décision à cinq juges. Le fait que le premier arrêt n'ait pas été cité dans le second a également été qualifié d'incorrect. Les opinions diffèrent cependant sur ce point étant donné que les arrêts non publiés ne sont cités dans les décisions ultérieures qu'à titre exceptionnel.

4.3.2.3.2

Appréciation des deux cas de fraude dans la saisie par les commissions de gestion

La manière de procéder du président de la Cour de cassation pénale dans le cas présenté ci-dessus a été critiquée. Le président Schubarth aurait en effet fait en sorte qu'une question de droit qui lui tenait à coeur soit décidée dans le sens de sa propre opinion et érigée en pratique de la Cour de cassation, et ce, en constituant la cour appelée à statuer sur la seconde affaire de manière à exclure les trois juges qui ne partageaient pas son avis et à obtenir une nouvelle majorité en composition à trois juges grâce au juge qui avait partagé son avis lors de la première affaire. De plus, il a également été sous-entendu que le président Schubarth avait voulu donner de l'importance au second jugement en le publiant sur le site Internet du Tribunal fédéral alors qu'il n'avait pas publié le premier arrêt. Les commissions de gestion apprécient les questions présentées ci-dessus de la manière suivante: La première affaire a été tranchée en composition à cinq juges après des débats loyaux et transparents. Le fait qu'il ne se soit trouvé personne, pas même le rapporteur, pour demander que l'arrêt soit publié au Recueil officiel permet de conclure que les juges n'étaient pour le moins pas certains d'avoir résolu cette question de droit de manière suffisamment concluante pour faire jurisprudence. La question de savoir si cette décision devait être publiée sur le site Internet du Tribunal fédéral ne s'est pas posée étant donné que l'arrêt est antérieur au 1er janvier 2000.

La consultation des dossiers a permis de constater que, dans les deux affaires, le président Schubarth avait défendu son opinion de manière engagée. La question de droit lui tenait très à coeur. Cela étant, la seconde affaire ne comporte pas non plus d'indice permettant de conclure que la procédure suivie pourrait avoir été entachée 5369

par une irrégularité. Il n'en reste pas moins gênant que le troisième juge choisi pour statuer soit justement le juge qui partageait l'avis du président Schubarth dans la première affaire. Les raisons données par le juge Schubarth telles que la charge de travail des autres juges occupés par des affaires volumineuses sont cependant compréhensibles. Quant au choix de ne pas statuer en composition à cinq juges, le juge fédéral Schubarth a expliqué qu'il s'agissait d'une affaire complexe exigeant beaucoup de temps, raison pour laquelle il n'avait pas voulu mettre cinq juges à contribution. De plus, les deux autres juges étaient au courant qu'une affaire semblable avait déjà été jugée différemment. Ils auraient pu demander de statuer à cinq juges, ce qu'ils n'ont pas fait.

En tout état de cause, il n'est dans ce cas pas possible de parler d'un changement de jurisprudence en composition à trois juges puisque ni le premier, ni le second arrêt n'ont été publiés dans le Recueil systématique. Le second arrêt a bien été rendu public sur le site Internet du Tribunal fédéral, raison pour laquelle il est plus facilement accessible que le premier. Il ne saurait néanmoins être qualifié d'arrêt principal du Tribunal fédéral. Le fait que le premier arrêt ne soit pas accessible via Internet découle du fait qu'il a été rendu avant l'introduction de la publication de la plupart des jugements sur le site Internet du Tribunal fédéral.

D'une manière générale, les commissions de gestion parviennent à la conclusion qu'il ne peut être démontré que, lors du choix de la composition de la cour, le juge fédéral Marin Schubarth aurait intentionnellement abusé de son importante marge de manoeuvre présidentielle pour provoquer une décision allant dans son sens.

4.3.2.4

Influence lors de la constitution de la cour appelée à statuer

Un président de cour du Tribunal fédéral dispose d'une marge de manoeuvre considérable lors de la constitution de la cour appelée à statuer. Il attribue les affaires aux juges, ordinaires et suppléants, décide de la composition de la cour et participe à chaque jugement. Les juges peuvent certes formuler des souhaits tels celui d'être choisi comme rapporteur lorsqu'une affaire relève d'un domaine particulier, mais ils ne disposent d'aucun droit formel d'être consultés. Le président peut en outre ordonner qu'une affaire soit tranchée en composition à cinq juges (voir ch. 4.3.2.1).

L'importante marge de manoeuvre du président a, d'une part, pour but de lui permettre d'organiser le travail efficacement en lui permettant de réagir de manière flexible aux circonstances telles que la langue du recourant, la matière à traiter, les compétences ou la charge de travail des juges appelés à statuer. D'autre part, il ne fait aucun doute que la liberté de pouvoir décider de la constitution du banc des magistrats lui permet d'exercer plus d'influence sur la jurisprudence que ce qui est le cas des autres juges de sa section de tribunal.

C'est en composition à trois juges que la marge de manoeuvre du président est la plus grande puisque, dans ce cas, il choisit parmi les juges composant sa section lesquels l'accompagneront sur le banc des magistrats. Cela étant, il faut également souligner que les questions de droit d'importance fondamentale ne sont pas tranchées en composition à trois juges et que, en règle générale, les jugements prononcés dans cette composition ne sont pas publiés en tant qu'arrêts principaux au Recueil officiel. Toutefois, depuis le 1er janvier 2000, les arrêts rendus en composition à trois 5370

juges qui revêtent une certaine importance sont rendus accessibles via Internet en les publiant sur le site Internet du Tribunal fédéral. La mesure dans laquelle cet accès facilité influe sur l'activité des tribunaux et des avocats n'a pas encore été étudiée très à fond.53 Lorsque la cause est importante, la cour siège à cinq juges étant donné que les questions de principe et les changements de jurisprudence doivent être décidés en composition à cinq juges (art. 15, al. 2, OJ). Lorsque la cour doit siéger à cinq juges, le choix des juges pose moins de problèmes pour la Cour de cassation pénale qui compte cinq juges ordinaires, que pour les autres cours du Tribunal fédéral qui en comptent six (deuxième Cour de droit public et les deux cours de droit civil) ou sept (première Cour de droit public).

La question qui se pose est celle de savoir comment respecter le mieux possible les principes de l'équité et de la neutralité lors de la répartition des affaires entre les rapporteurs et lors de la formation des cours (et cela pas seulement au Tribunal fédéral). Fondamentalement, l'idée à la base des tribunaux collégiaux est que les jugements se forment de manière discursive grâce à l'opposition de divers points de vue. Cette approche permet d'augmenter les chances d'obtenir un jugement juste et équitable.54 Cette approche postule que, fondamentalement, les membres d'un tribunal collégial doivent avoir les mêmes pouvoirs. Pour cette raison, il est indispensable d'empêcher les déséquilibres au niveau de la composition du banc des magistrats en évitant des concentrations de pouvoir trop importantes. Le déséquilibre à l'échelon de la composition de la cour a augmenté avec l'introduction, en 1992, de la procédure par voie de circulation dans le but de réduire la surcharge permanente du Tribunal fédéral. Dans une procédure par voie de circulation, le rapporteur et, partant, le président qui désigne ce rapporteur et qui dirige la procédure ont beaucoup de poids étant donné qu'il y a moins d'interactions discursives entre les juges appelés à statuer. Aujourd'hui, 97 % des jugements prononcés par le Tribunal fédéral le sont par voie de circulation. Cette proportion est même de 99 % pour le Tribunal fédéral des assurances.

Comme cela a été mentionné, la large marge de manoeuvre du président a, d'un côté, pour but
de permettre une répartition et un traitement efficaces des dossiers. D'un autre côté, il est indispensable d'accorder une importance particulière à l'indépendance et à l'impartialité des juges lors de la composition de la cour appelée à statuer. Il convient donc de saluer l'art. 20 du projet de loi sur le tribunal fédéral (P-LTF)55, proposé par le Conseil fédéral à l'occasion de la révision totale de l'organisation judiciaire. Cet article oblige le Tribunal fédéral à fixer la manière de composer les cours appelées à statuer et d'affecter les juges suppléants dans un règlement. Tout en favorisant l'indépendance et l'impartialité des juges appelés à statuer, cette disposition laisse tout de même au Tribunal fédéral une marge de manoeuvre suffisante pour lui permettre, lors de l'élaboration de ce règlement, de tenir compte des impératifs en matière d'efficacité dans le travail.

53

54 55

Au sujet de la question des effets que la publication de jugements sur Internet a sur l'obligation de diligence: voir Caroline Flühmann, Patrick Sutter, «Duty to browse», Neue Zürcher Zeitung du 25 juin 2003, p. 14.

Regina Kiener, Richterliche Unabhängigkeit, Verfassungsrechtliche Anforderungen an Richter und Gerichte, Berne, 2001, p. 338.

FF 2001 4285

5371

Un droit de participation approprié des juges répondrait également au souci d'équité et de neutralité lors de la répartition des affaires et de la formation des cours. Les juges des sections ne disposent d'aucun droit formel d'être consultés lors de la formation de la cour appelée à statuer. A la question de savoir dans quelle mesure les juges ont actuellement une vue d'ensemble sur la manière dont le président répartit les affaires et compose les cours appelées à statuer, le Tribunal fédéral a, dans les prises de position du 4 août 2003 et du 29 septembre 2003 qu'il a adressées au groupe de travail, précisé que l'attribution prévue de l'affaire à un rapporteur et à un greffier est notée sur la couverture du dossier, puis saisi dans le système informatique de gestion des dossiers une fois l'affaire attribuée. Certains présidents tiennent en outre leur propre contrôle. Lors de l'attribution des affaires, les présidents peuvent également faire appel aux données statistiques du logiciel de gestion des dossiers. Le choix des autres juges appelés à statuer a lieu par inscription sur le formulaire d'accompagnement du dossier. Lorsqu'une audience est fixée, la composition du banc des magistrats est, sur instruction du président, inscrite sur la liste d'audience. En outre, le choix des autres juges appelés à statuer est lui aussi saisi dans le système informatique de gestion des dossiers où il peut être consulté par tous les juges. De plus, après leur notification, tous les jugements dont des considérants ont été introduits dans la base de données de jurisprudence (BRADOC) et qui ont été publiés circulent auprès de tous les juges de la section sous forme de document imprimé.

Toutefois, dans la pratique des procédures par voie de circulation à trois juges ­ à tout le moins en ce qui concerne la Cour de cassation pénale ­ les données relatives au troisième juge et souvent celles relatives au greffier ne sont saisies dans le système qu'une fois la circulation achevée. Par conséquent, les juges ne peuvent prendre connaissance qu'après coup des affaires et des questions de droit sur lesquelles ils n'ont pas été appelés à statuer. De plus, ils doivent chercher ces informations eux-mêmes dans le système électronique.

Les commissions de gestion sont d'avis qu'un droit de participation approprié des juges de la
section du tribunal concernée à la composition des cours permettrait d'améliorer l'équilibre entre tous les juges du collège. Le Tribunal fédéral devrait examiner l'introduction d'un tel droit de participation, encore sous le régime du droit actuel, mais plus particulièrement dans la perspective de la mise en oeuvre de l'art. 20 P-LTF.

4.3.3

Reproche portant sur le comportement autoritaire et dénué d'esprit de collégialité du président Martin Schubarth

4.3.3.1

Déclarations de portée générale des juges de la Cour de cassation pénale

Il a été dit du juge fédéral Martin Schubarth que, du temps où il présidait la Cour de cassation pénale, il se serait comporté de manière autoritaire et incorrecte. Cette critique a d'ailleurs également été rapportée dans la presse au lendemain des élections de renouvellement intégral du Tribunal fédéral en décembre 2002.56 Le groupe 56

NZZ du 12 décembre 2002, p. 19, «Alle 29 Bundesrichter wiedergewählt ­ Auch Martin Schubarth klar über dem absoluten Mehr».

5372

de travail a invité tous les juges fédéraux de la Cour de cassation pénale ainsi qu'un juge fédéral qui a été membre de la Cour de cassation pénale à s'exprimer concrètement sur ce point.

Les réponses à cette question donnent l'image générale suivante: le juge fédéral Martin Schubarth aurait été un président très autoritaire, usant de tout son pouvoir présidentiel. Il aurait assumé ses responsabilités de président avec obstination, quelquefois même à l'égard des greffiers. Son comportement aurait parfois été dénué d'esprit de collégialité, provocatif voire incorrect. Il n'aurait pas toujours appliqué la procédure avec suffisamment de transparence. Des interventions auraient été régulièrement nécessaires. Il aurait fallu lui demander d'avancer pas à pas, comme dans les autres sections du tribunal. Il aurait en outre souvent géré les affaires internes de la section à sa guise, allant parfois jusqu'à ignorer l'avis de ses collègues juges.

Martin Schubarth serait un excellent juriste à l'esprit vif et aux idées parfois non conventionnelles. Il aurait toutefois considéré ses idées et ses opinions comme étant sacro-saintes. Lorsque quelqu'un ne voulait pas s'y plier, le juge Schubarth se serait montré entêté et aurait tenté tout ce qu'il pouvait pour faire prédominer son avis lors du deuxième ou troisième tour, voire lors de la rédaction des considérants du jugement, ce contre quoi les autres juges auraient toujours dû lutter. Lorsqu'il cherchait à imposer son point de vue, il aurait souvent utilisé le «sceau vert» («grüner Stempel»)57 en usage à la Cour de cassation pénale pour ouvrir à nouveau la discussion. Il lui serait également arrivé de suspendre l'audience et d'ajourner l'affaire lorsque, en cours de séance, il s'apercevait que la décision finale qui se dessinait allait à l'encontre de son avis. Lorsqu'il succombait, il aurait remis le sujet sur le tapis dès que la prochaine occasion se présentait. Il serait devenu fatigant pour ses collègues de reprendre régulièrement des questions déjà tranchées, uniquement parce que les solutions trouvées ne convenaient pas au président Schubarth.

Cependant, les déclarations des juges entendus concordent sur le fait que, à leur connaissance, le président Schubarth n'avait pas manqué manifestement à ses devoirs de fonction, ni commis d'actes illégaux et que,
sous sa présidence, il n'y avait pas eu d'incident relevant du droit pénal. Ils ont également précisé qu'ils n'avaient connaissance d'aucun cas dans lequel un jugement de la Cour de cassation pénale aurait quitté le Tribunal fédéral sous une forme entachée par des manipulations ou autres procédés incorrects. S'ils avaient eu connaissance de tels cas, ils ne les auraient pas tolérés et seraient intervenus immédiatement.

57

Cela fait un certain temps déjà que la Cour de cassation pénale utilise le «sceau vert». Il comporte le texte suivant: «Urteilsdatum nach der Zirkulation und nach der Genehmigung des Urteilsentwurfs» («Date du jugement après la mise en circulation et après l'approbation du projet de jugement») et est apposé sur le formulaire d'accompagnement du dossier lorsque l'avis des juges est en bonne partie forgé et que l'unanimité paraît se dessiner, mais que la décision finale doit encore être reportée, notamment parce qu'une instance inférieure doit encore donner son avis ou parce qu'il semble indiqué de réexaminer la décision. Ce sceau signifie qu'une affaire n'a pas encore été définitivement tranchée et que les juges ont encore la possibilité de revenir sur ce qui n'a été décidé que provisoirement. Seule l'inscription de la date indique que l'affaire est définitivement tranchée.

5373

4.3.3.2

Exemples de comportement autoritaire et dénué d'esprit de collégialité du président Martin Schubarth

Les exemples ci-dessous permettent d'illustrer les déclarations faites par les juges de la Cour de cassation pénale.

1. Pas de circulation de la version finale de l'expédition de certains jugements Le groupe de travail a examiné deux cas dans lesquels le président Martin Schubarth n'a plus fait circuler la version finale de l'expédition du jugement alors même que des différends importants concernant les motifs ont été discutés lors des séances de rédaction précédentes et que la majorité des juges avait tranché contre l'opinion du président.

Le premier cas concerne une affaire tranchée en composition à cinq juges. Le président Schubarth était également rapporteur et avait proposé le rejet du recours. La procédure par voie de circulation n'avait pas permis d'aboutir à l'unanimité. Une audience en délibération avait donc dû être fixée. Celle-ci avait permis de prendre une décision sur un point important. La majorité était d'un avis différent de celui du rapporteur et concluait à l'admission du recours. Le deuxième projet de jugement établi sur la base de la première audience a circulé, mais il a donné lieu à une objection. Un point n'avait en effet pas été entièrement résolu. Pour cette raison, une seconde audience en délibération a dû avoir lieu. Celle-ci a donné lieu à un changement de la jurisprudence. Le projet d'expédition du jugement qui a ensuite circulé, a également fait l'objet d'objections, cette fois-ci de la part de trois juges et pour un autre motif. L'expédition du jugement adoptée lors d'une séance de rédaction était différente de la version rédigée sur demande du président Schubarth. Bien que l'un des considérants ait été entièrement reformulé, le président Schubarth n'a ensuite plus fait circuler la version définitive de l'expédition du jugement auprès des autres juges. Ce considérant a été publié au Recueil officiel.

De l'avis de l'un des juges fédéraux de la Cour de cassation pénale, il s'agit là d'un comportement autoritaire qui pourrait aussi bien être qualifié d'incorrection. En effet, le projet d'expédition définitive du jugement aurait dû circuler encore une fois entre les juges appelés à statuer puisque, par rapport à la version précédente, il comportait un motif entièrement nouveau sur un point décisif. Cette nouvelle circulation s'imposait d'autant plus que les précédents
projets de jugement avaient soulevé des objections et que la version définitive devait rendre l'avis de la majorité des juges et que cet avis différait de celui du président Schubarth qui s'était retrouvé dans la minorité. Après coup, ce juge a cependant constaté que l'avis de la majorité avait été correctement rendu, raison pour laquelle il n'avait pas été indispensable de révoquer le jugement.

Dans le second cas, le juge fédéral Schubarth était également rapporteur. Il a proposé d'admettre le recours, c'est-à-dire de casser le jugement de l'instance précédente.

Tous les juges de la Cour de cassation pénale étaient d'accord d'admettre le recours, mais leur avis divergeait sur des points importants concernant les motifs contenus dans le rapport. Une séance de rédaction a donc été convoquée pour discuter des motifs. Le greffier du juge Schubarth avait préparé un deuxième projet d'expédition pour servir de base de discussion. L'un des juges de la Cour de cassation pénale a rapporté que la séance avait été chargée de tensions, principalement parce que les propositions du président Schubarth n'ont pas été reprises. La majorité des juges a 5374

décidé de raccourcir un considérant de manière importante et de reprendre entièrement la rédaction d'un autre. L'expédition définitive a ensuite été rédigée sur la base des décisions prises lors de cette séance de rédaction. Elle n'a plus circulé parmi les juges.

De l'avis de l'un des juges de la Cour de cassation pénale, cette version définitive de l'expédition du jugement aurait également dû circuler auprès des juges puisque deux considérants avaient subi des modifications importantes lors de la séance de rédaction. A cela s'ajoute le fait que, mis en minorité sur tous les points, le président Schubarth n'était pas très bien placé pour décider si la nouvelle version de l'expédition reprenait bien l'avis de la majorité. Dans le sens d'une plus grande transparence, il aurait donc été indispensable de la soumettre une fois encore à tous les juges pour qu'ils puissent s'assurer de sa conformité. Comme ce juge avait aussi pu le constater après coup, ce jugement était également formulé correctement.

Le juge fédéral en question a souligné qu'il avait fait part au président Schubarth de sa réprobation quant à cette manière de faire, mais que ce dernier n'avait guère été réceptif à cette remarque et avait estimé qu'une circulation supplémentaire n'aurait pas été suffisamment efficace et qu'il ne voulait pas entrer en matière sur cette question. A ce propos, le juge fédéral Schubarth a expliqué dans sa prise de position adressée au groupe de travail qu'il s'était déclaré prêt à ce que, lors des séances de rédaction à venir, les juges se mettent explicitement d'accord sur la question de savoir s'il fallait ou non faire circuler une fois encore le projet d'expédition définitive du jugement.

Le juge fédéral en question a déclaré que le président disposait effectivement d'une certaine marge de manoeuvre dans ce domaine et que ce genre de situation ne faisait pas l'objet de règles écrites. Il a toutefois souligné que la pratique établie de longue date était très claire. En tout état de cause, d'autres présidents de section avec lesquels il avait discuté du cas, n'avaient eu aucune compréhension pour la manière de procéder du président Schubarth. Le juge fédéral a également souligné que de tels cas s'étaient produits à intervalles réguliers et avaient provoqué des discussions au sein de la Cour de cassation
pénale.

2. Comportement autoritaire à l'égard d'un juge suppléant Dans le cas ci-après, le juge fédéral de la Cour de cassation pénale qui a relaté l'affaire avait été appelé à statuer en tant que troisième juge.

Un juge suppléant avait été désigné comme rapporteur d'une affaire qui devait être jugée dans une composition à trois juges. Dans son rapport, il proposait d'admettre le recours. Au moyen d'une courte remarque, le troisième juge a indiqué qu'il était d'accord avec le rapport. En tant que président, le juge fédéral Schubarth a, le lendemain, noté son accord sur le formulaire d'accompagnement du dossier, sous réserve de l'avis du Ministère public. Cet avis était nécessaire puisqu'il y avait proposition d'admettre le recours. Conformément à la pratique éprouvée de la Cour de cassation pénale, le président a apposé le sceau vert (à ce sujet, voir le ch.

4.3.3.1). Une fois l'avis reçu, le président a présenté un projet de jugement qui, contrairement au résultat de la première circulation et contrairement à la proposition du juge suppléant qu'il avait lui-même soutenu, concluait au rejet du recours. Il avait de toute évidence chargé le greffier de rédiger un projet allant dans le sens contraire du rapport et du résultat de la circulation. A cet égard, le président avait en substance noté que, contrairement à la conclusion qui ressortait de la procédure par voie de 5375

circulation, le projet de jugement annexé au dossier faisait apparaître qu'il était indiqué de rejeter le recours. Il a encore ajouté que si l'un des juges n'était pas d'accord, il devait indiquer s'il demandait que le cas soit traité en audience. C'est ce que le troisième juge a fait. La proposition du président a été rejetée lors de cette audience.

Le troisième juge fédéral a décrit ce cas en tant qu'exemple de ce qui, à ses yeux, constituait un comportement incorrect et non collégial de la part d'un président de cour.

3. Inobservation du rapport d'un juge et refus de convoquer une audience en délibération Un juge fédéral de la Cour de cassation pénale a présenté le cas ci-après en tant qu'exemple d'une situation dans laquelle le président Schubarth a dépassé les limites de la correction.

Le juge fédéral a été nommé rapporteur lors d'une affaire devant être tranchée en composition à cinq juges. Il s'agissait d'un pourvoi en nullité et d'un recours de droit public connexe. Son rapport concluait à l'admission du pourvoi en nullité et stipulait que le recours de droit public était sans objet. Le deuxième et le troisième juge, dans l'ordre de la procédure de décision par voie de circulation, se sont ralliés à cette proposition sans commentaire. Sous réserve de quelques modifications rédactionnelles, le quatrième juge était d'accord avec la proposition d'admettre le pourvoi en nullité, mais il voulait traiter la question du recours de droit public.

Le président a ensuite fait parvenir le dossier au rapporteur, sans commentaire de sa main sur l'affaire, en le priant de donner son avis au sujet de la position du quatrième juge. Le rapporteur a une nouvelle fois exposé par écrit les raisons pour lesquelles il s'en tenait à son premier avis, particulièrement pour ce qui était du refus de traiter le recours de droit public. Il a en outre également fait des propositions de nouvelle formulation de la décision d'admission du pourvoi en nullité afin de tenir compte des objections du quatrième juge.

Quelques jours plus tard, le greffier, assistant du rapporteur et chargé de la rédaction de l'expédition du jugement, est allé trouver son chef et lui a dit qu'il venait de recevoir un billet du président l'invitant à rédiger deux projets de jugement (l'un concernant le pourvoi en nullité et l'autre le recours
de droit public) allant dans le sens désiré par le quatrième juge étant donné que lui-même n'avait pas encore eu suffisamment de temps pour se pencher sur cette affaire. Le greffier ne savait plus s'il devait suivre les instructions du rapporteur dont il était l'assistant personnel ou suivre les injonctions divergentes du président. Là-dessus, le rapporteur a renvoyé le dossier au président en le priant de fixer une audience en délibération. Sur ce, le président a convoqué le greffier et lui a exposé les raisons pour lesquelles il ne voulait pas fixer d'audience en délibération et a exigé qu'il rédige les deux projets de jugement. Le rapporteur a estimé que le président Schubarth était allé trop loin. Il s'est donc rendu dans le bureau du président et lui a indiqué qu'il conserverait le dossier sous clé jusqu'à ce qu'une audience en délibération ait lieu.

5376

4. Inobservation de décisions majoritaires de la Cour de cassation pénale et de la Conférence des présidents Certains juges fédéraux de la Cour de cassation pénale ont déclaré au groupe de travail qu'il arrivait régulièrement que, en matière d'affaires internes, le président Schubarth passe outre ou ne mette pas en oeuvre certaines décisions de la Cour de cassation pénale ou de la Conférence des présidents du Tribunal fédéral. Les exemples suivants ont été cités: ­

La Cour de cassation pénale avait dû mettre l'un de ses greffiers à la disposition de la Chambre d'accusation qui en avait besoin suite à une mutation. Le président Schubarth a proposé de confier cette tâche à un greffier confirmé qui était au service de la Cour de cassation pénale depuis de longues années.

Les quatre autres juges se sont élevés contre ce choix. Quelques semaines plus tard, lors d'une séance de section, le président a de nouveau proposé de transférer le greffier en question. Les quatre juges ordinaires de la section se sont une nouvelle fois opposés à cette mutation. Ils étaient d'avis que, en raison de la surcharge de travail et des absences dues à la maladie, la Cour de cassation pénale ne pouvait pas se passer de ce greffier polyvalent. Ne tenant aucun compte de ces arguments, le président a tout de même mis ce greffier à la disposition de la Chambre d'accusation.

­

En ce qui concerne les jugements publiés sur le site Internet du Tribunal fédéral, contrairement l'opinion du président Schubarth à ce sujet, les quatre juges ordinaires de la Cour de cassation pénale étaient d'avis que l'anonymat des personnes connues du public dont l'affaire était notoire dans toute la Suisse n'avait pas besoin d'être protégé. Le président Schubarth n'a jamais tenu compte de cet avis majoritaire. Le fait que les quatre autres juges de sa section soient d'un autre avis ne le gênait aucunement.

­

Une comparaison entre les diverses sections du Tribunal fédéral avait permis de constater que la Cour de cassation pénale publiait en proportion moins d'arrêts sur le site Internet du Tribunal fédéral que les autres cours. Ainsi, elle rendait bien moins de 50 % de ses arrêts accessibles via Internet, alors que la première Cour de droit public, par exemple, publiait environ 80 % de ses jugements sur le site du Tribunal fédéral. Lors d'une séance de section présidée par le juge fédéral Schubarth, il a été décidé par quatre voix contre celle du président Schubarth de modifier la pratique de la Cour de cassation pénale dans ce domaine et d'atteindre au moins un pourcentage équivalent à la moyenne des cours du Tribunal fédéral. Par la suite, le président n'a jamais mis en oeuvre cette décision.

­

La Conférence des présidents du Tribunal fédéral a décidé que tous les jugements remis à la presse seraient également publiés sur le site Internet du Tribunal fédéral. En moyenne, il s'agissait de plus de 50 % des jugements.

Le président Schubarth n'a pas non plus donné suite à cette décision.

4.3.3.3

Appréciation par les commissions de gestion

Dans deux des affaires examinées plus en détail (exemple 1 du ch. 4.3.3.2), les commissions de gestion ont constaté que le président Schubarth avait fait preuve d'un comportement autoritaire lors de la rédaction finale des motifs du jugement. Il 5377

n'a en effet plus fait circuler la version définitive du jugement entre les juges concernés alors même que des divergences importantes avaient encore fait l'objet de discussions lors de la séance de rédaction précédente et que la majorité de la cour était d'un avis différent de celui du président. Les motifs du jugement correspondaient certes aux décisions prises lors des séances de rédaction, mais les autres juges composant la cour n'ont pas eu la possibilité de s'assurer de leur exactitude. La manière de procéder du président était en contradiction avec la pratique du Tribunal fédéral en matière de participation des juges à la procédure de décision par voie de circulation. Ce faisant, le juge fédéral Schubarth a étendu sa marge de manoeuvre présidentielle et n'a pas observé le principe de la collégialité Dans une autre affaire examinée par le groupe de travail, affaire dans laquelle un juge suppléant avait rédigé un rapport (exemple 2 du ch. 4.3.3.2), le président Schubarth a soudainement changé d'avis alors que la décision était quasiment tombée.

Une telle volte-face était certes encore possible à ce moment-là, mais au lieu de fixer immédiatement une audience en délibération puisque le juge suppléant et le troisième juge étaient d'un avis différent, le président Schubarth a ordonné à un greffier de rédiger un nouveau rapport allant dans le sens contraire de celui rédigé par le juge suppléant en indiquant dans une note que si l'un des juges ne se ralliait pas à son opinion, il devait indiquer s'il demandait que le cas soit traité en audience. Cette manière permet de penser qu'il n'était guère possible de le contredire. S'il était arrivé à ses fins, le président Schubarth aurait sans grande difficulté pu imposer son opinion. Le troisième juge a cependant demandé qu'une audience en délibération ait lieu. Lors de cette audience, l'avis du président n'a pas été suivi. Par sa manière de procéder, le président Schubarth a, d'une part, désavoué un juge suppléant et un juge ordinaire et, d'autre part, chargé un greffier inutilement en ordonnant la rédaction d'un rapport supplémentaire.

Le groupe de travail a examiné un autre cas portant sur deux recours connexes (exemple 3 du ch. 4.3.3.2). Le président Schubart a gravement contrevenu au principe de la collégialité envers son collègue juge qui avait
rédigé le rapport en se permettant, sans même avoir personnellement étudié le dossier, de donner parderrière à l'assistant personnel du rapporteur des instructions clairement en contradiction avec les conclusions de son rapport. Bien que le rapporteur soit en droit de demander qu'une audience soit fixée (art. 36b OJ), ce que le président aurait de toute manière dû faire spontanément étant donné l'absence d'unanimité qui se profilait, le juge fédéral Schubarth a tout d'abord refusé de fixer cette audience et a une nouvelle fois tenté de faire pression sur l'assistant du rapporteur. Un comportement offensant pareillement la collégialité d'un collège de juges est inacceptable.

Les exemples invoqués par les juges fédéraux de la Cour de cassation pénale montrent clairement que, lorsqu'il était président de section, le juge fédéral Schubarth a parfois agi de manière autoritaire et sans respecter le principe de la collégialité. Il a utilisé la marge de manoeuvre dont il disposait en tant que président de cour très largement, allant parfois jusqu'à outrepasser les limites imposées par la procédure, notamment dans le but de faire prévaloir son opinion. Ces traits du caractère de Martin Schubarth ont provoqué de grandes tensions au sein du collège des juges de la Cour de cassation pénale. Ils ne donnent cependant pas lieu de croire que certains jugements du Tribunal fédéral auraient pu être discutables, voire indéfendables. La manière autoritaire dont le juge fédéral Schubarth a exercé sa fonction de président a nui au climat ambiant et, partant, à la qualité du travail de la Cour de cassation pénale (voir ch. 4.3.3 et 5).

5378

4.4

Conclusions

Après avoir examiné les irrégularités prétendument commises à la Cour de cassation pénale sous la présidence du juge fédéral Martin Schubarth, les commissions de gestion sont parvenues aux conclusions ci-après.

4.4.1 1.

Conclusions relatives aux irrégularités prétendues Les commissions de gestion n'ont constaté aucune manipulation de jugement dans le sens qu'aucune décision (dispositif) différente de celle qui avait été prise par le collège de juges n'a été communiquée aux parties. Dans une affaire cependant, le juge fédéral Martin Schubarth a, en tant que président de la Cour de cassation pénale, de toute évidence ignoré l'avis de l'un de ses collègues et a, sur le formulaire d'accompagnement du dossier, déclaré le jugement rendu à l'unanimité alors qu'il n'a été rendu qu'à la majorité, transgressant ainsi les dispositions relatives à la procédure par voie de circulation et aux délibérations publiques. Les commissions de gestion sont d'avis que le juge fédéral Martin Schubarth a ainsi violé ses devoirs de fonction.

Un déroulement correct de la procédure n'aurait toutefois pas modifié le résultat (voir ch. 4.3.1.2.2).

Les commissions de gestion ont en outre constaté que la même affaire a également souffert d'autres erreurs et malentendus découlant notamment d'une mauvaise gestion par le président. Ces anomalies doivent cependant être appréciées dans la perspective de la charge de travail importante qui pèse sur la Cour de cassation pénale. De plus, il faut également tenir compte du fait qu'elles concernaient un objet relativement peu important. Dans de telles conditions, il n'est jamais possible d'éviter ce genre d'erreur complètement. Elles ne remettent néanmoins pas la qualité de la jurisprudence de la Cour de cassation pénale en cause (voir ch. 4.3.1.2.2).

2.

Après avoir analysé le déroulement des procédures suivies par la Cour de cassation pénale, les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, dans la pratique, il n'est guère possible de manipuler un jugement, c'est-à-dire de fausser son dispositif. Le président de la cour mis à part, les juges n'ont aucune possibilité de procéder à une telle manipulation. Quant au président, il peut certes exercer une plus grande influence sur la procédure. En décidant de manipuler un jugement, il prendrait cependant un risque considérable d'être découvert, étant donné que la procédure exige la participation de nombreuses personnes, toutes susceptibles de mettre la supercherie au jour (voir ch. 4.3.1.3).

3.

A l'occasion de l'examen approfondi de l'une des affaires, il n'a pas été démontré que, lors du choix de la composition de la cour, le juge fédéral Marin Schubarth aurait intentionnellement abusé de son importante marge de manoeuvre présidentielle pour provoquer une décision allant dans son sens (voir ch. 4.3.2.3).

4.

Dans deux des affaires examinées plus en détail, les commissions de gestion ont constaté que le président Schubarth avait fait preuve d'un comportement autoritaire lors de la rédaction finale des motifs du jugement. Il n'a en effet 5379

plus fait circuler la version définitive du jugement entre les juges concernés alors même que des divergences importantes avaient encore fait l'objet de discussions lors de la séance de rédaction précédente et que la majorité de la cour était d'un avis différent de celui du président. Les motifs du jugement correspondaient certes aux décisions prises lors des séances de rédaction, mais les autres juges composant la cour n'ont pas eu la possibilité de s'assurer de leur exactitude. Ce faisant, le juge fédéral Schubarth a étendu sa marge de manoeuvre présidentielle et n'a pas observé le principe de la collégialité (voir ch. 4.3.3).

5.

Les exemples invoqués par les juges fédéraux de la Cour de cassation pénale montrent clairement que, lorsqu'il était président de section, le juge fédéral Schubarth a parfois agi de manière autoritaire et sans respecter le principe de la collégialité. Il a utilisé la marge de manoeuvre dont il disposait en tant que président de cour très largement, allant parfois jusqu'à outrepasser les limites imposées par la procédure, notamment dans le but de faire prévaloir son opinion. Ces traits du caractère de Martin Schubarth ont provoqué de grandes tensions au sein du collège des juges de la Cour de cassation pénale. Ils ne donnent cependant pas lieu de croire que certains jugements du Tribunal fédéral auraient pu être discutables, voire indéfendables. La manière autoritaire dont le juge fédéral Schubarth a exercé sa fonction de président a nui au climat ambiant et, partant, à la qualité du travail de la Cour de cassation pénale (voir ch. 4.3.3 et 5).

Conclusion 2 Globalement, les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, dans une affaire, le juge fédéral Martin Schubarth a transgressé les dispositions relatives à la procédure par voie de circulation et aux délibérations publiques. Il a de toute évidence ignoré l'avis de l'un des juges et a, sur le formulaire d'accompagnement du dossier, déclaré que le jugement a été rendu à l'unanimité alors qu'il n'a été rendu qu'à la majorité. Cette violation interne de la procédure ne peut toutefois faire l'objet d'aucun recours. D'ailleurs personne n'a été lésé. Les commissions de gestion sont d'avis que le juge fédéral Martin Schubarth a ainsi violé ses devoirs de fonction. En tant que magistrat, ce dernier n'est toutefois soumis à aucune autorité disciplinaire. Dans cette mesure, les constatations des commissions de gestion demeurent sans effet pour le juge fédéral Schubarth.

Le Ministère public de la Confédération a la compétence de décider si la violation des devoirs de fonction constatée par les commissions de gestion relève ou non du droit pénal.

Par son comportement autoritaire, le juge fédéral Martin Schubarth a en outre transgressé le principe de la collégialité dans plusieurs affaires.

5380

Conclusion 3 Suite aux constatations faites lors de l'inspection, les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, d'une manière générale, il n'y a pas lieu de remettre en cause ni la qualité de la jurisprudence, ni la crédibilité ou la conformité des jugements de la Cour de cassation pénale durant la présidence du juge fédéral Martin Schubarth.

4.4.2

Autres conclusions

Maîtrise des fautes 1.

Les rumeurs insistantes circulant au Tribunal fédéral prouvent bien qu'une irrégularité ne peut pas être étouffée sans laisser de trace. La présente enquête a montré que les juges et les greffiers ont une conscience aiguisée de la qualité et un sens très développé de ce qui est réglementaire et autorisé et de ce qui ne l'est pas. Toutefois, la manière dont ces rumeurs ont ensuite fait tache d'huile hors les murs du tribunal soulève des questions quant à la maîtrise des fautes par le Tribunal fédéral (voir ch. 4.3.1.2.2).

2.

Selon l'opinion qui prévaut au Tribunal fédéral, rien de ce qui pourrait nuire à l'image du tribunal ne doit être rendu public et celui qui colporte une anomalie à l'extérieur écorne gravement cette image. Il est vrai qu'en raison du secret de la délibération, de l'intérêt des parties et de l'indépendance judiciaire, le public ne peut exercer qu'un «contrôle» très limité sur l'activité d'un tribunal. Cela ne doit toutefois pas conduire à simplement étouffer les éventuelles irrégularités ou dérives comportementales. Celles-ci doivent être examinées et, le cas échéant, corrigées par le tribunal. Dans le cas contraire, le comportement autoritaire ou égoïste de certains risque de peser sur le climat de travail. Les dérives comportementales ne doivent pas être tolérées au nom de l'indépendance judiciaire. Il est donc indispensable de créer des mécanismes internes qui permettront de garantir que les fautes et les problèmes soient abordés ouvertement afin d'en tirer les conséquences qui s'imposent (voir ch. 4.3.1.2.2).

Procédure par voie de circulation et audience en délibération 3.

Sous la présidence du juge fédéral Schubarth, il est arrivé que, après simple discussion ou téléphone avec certains juges, des divergences aient été éliminées sans que les juges concernés visent l'enregistrement correspondant sur le formulaire d'accompagnement du dossier. Les commissions de gestion estiment que pour garantir la transparence et la «traçabilité» de la prise de décision par voie de circulation, mais aussi pour éviter les malentendus et les erreurs, les observations d'une certaine importance doivent figurer sur le formulaire d'accompagnement et porter la signature des juges concernés (voir ch. 4.3.1.4.2).

5381

4.

De l'avis des commissions de gestion, les discussions internes ne doivent pas remplacer les audiences en délibération. En d'autres termes, des décisions formelles ne doivent pas être prises lors de discussions internes. La procédure par voie de circulation doit être suivie, du début à la fin, dans le respect des règles qui la régissent. Dans la mesure où des discussions internes ont lieu au sujet d'une affaire, elles font partie de la procédure par voie de circulation et doivent être restituées de manière transparente dans le cadre de cette procédure. Les principaux résultats de ces discussions internes doivent être consignés sur le formulaire d'accompagnement avec la signature des juges concernés (voir ch. 4.3.1.4.2).

5.

Les commissions de gestion estiment que le dossier de chaque affaire doit permettre d'examiner la prise de décision dans son intégralité. Le résultat de chaque audience en délibération devrait être consigné dans un procès-verbal de délibération. Cette manière de faire contribuerait à la transparence de la procédure envers les juges de la cour et permettrait, par la suite, de comprendre le processus de la prise de décision (voir ch. 4.3.1.4.2).

6.

L'art. 54 du projet de loi fédérale sur le Tribunal fédéral (P-LTF) prévoit que le tribunal pourra, en cas de majorité, statuer par voie de circulation dans une composition à trois juges, alors que l'actuelle OJ exige l'unanimité. Les commissions de gestion suggèrent au Parlement d'examiner si cette nouvelle réglementation permet bien d'assurer une prise de décision juste et transparente pour les juges concernés et que chacun d'eux dispose des mêmes droits pour exercer son influence (voir ch. 4.3.1.4.2).

Répartition des affaires et composition des cours 7.

La très large marge de manoeuvre des présidents des sections du Tribunal fédéral en matière de composition des cours a, d'un côté, pour but de permettre un mode de travail efficace et de tenir compte de diverses circonstances telles que la langue du justiciable, la matière et les connaissances spécifiques. D'un autre côté, force est de constater que cette marge de manoeuvre permet au président d'exercer une influence sur la jurisprudence qui est nettement plus importante que celle des autres juges de la cour. Les membres d'un collège de juges devraient en fait pouvoir participer aux décisions de manière équivalente. C'est la raison pour laquelle il conviendrait d'éviter qu'une concentration de pouvoir trop importante provoque un déséquilibre au niveau de la composition de la cour. Il est à saluer que, à l'occasion de la révision totale de l'Organisation judiciaire, le Conseil fédéral propose à l'art. 20 P-LTF que le Tribunal fédéral fixe dans un règlement la manière de composer les cours appelées à statuer et d'affecter les juges suppléants (voir ch. 4.3.2.4).

8.

Un droit de participation approprié des juges de la section du tribunal concernée à la composition des cours permettrait d'améliorer l'équilibre entre tous les juges du collège. Le Tribunal fédéral devrait examiner l'introduction d'un tel droit de participation, encore sous le régime du droit actuel, mais plus particulièrement dans la perspective de la mise en oeuvre de l'art. 20 P-LTF (voir ch. 4.3.2.4)

5382

4.5 Recommandation 4

Recommandations à l'attention du Tribunal fédéral Mesures encourageant un règlement ouvert des erreurs

Le Tribunal fédéral examine l'opportunité de mesures encourageant un règlement des erreurs qui permette de discuter en interne des erreurs commises et de tirer les conséquences qui s'imposent.

Recommandation 5

Transparence et «traçabilité» de la prise de décisions par voie de circulation

Le Tribunal fédéral garantit la transparence et la «traçabilité» de la prise de décisions par voie de circulation. Les observations d'une certaine importance doivent figurer sur le formulaire d'accompagnement et porter la signature des juges concernés.

Recommandation 6

Les discussions internes sont partie intégrante de la procédure par voie de circulation

Le Tribunal fédéral veille à ce que les audiences en délibération prévues par la loi ne soient pas contournées par des discussions internes. Dans la mesure où de telles discussions ont lieu, elles font partie intégrante de la procédure par voie de circulation et sont restituées de manière transparente dans le cadre de cette procédure. Les principaux résultats de ces discussions internes doivent être consignés sur le formulaire d'accompagnement avec la signature des juges concernés.

Recommandation 7

Le résultat de chaque audience en délibération devrait être consigné dans un procès-verbal de délibération

Le Tribunal fédéral veille à ce que les décisions prises lors des audiences en délibération puissent être retracées à partir du dossier et que le résultat des délibérations soit consigné dans un procès-verbal de délibération.

Recommandation 8

Droit de participation des juges à la composition de la cour

Le Tribunal fédéral examine l'institution d'un droit de participation des juges de la section du tribunal concernée lors de la composition des cours par le président.

5383

5

Climat de travail à la Cour de cassation pénale

5.1

Situation initiale

Au cours des jours qui ont suivi l'incident du crachat du 11 février 2003, le juge fédéral Schubarth a publiquement reproché à certains de ses collègues d'avoir orchestré une intrigue dans le but de faire échec à sa réélection en décembre 2002 (voir ch. 3.4 et 3.5.4).58 Les reproches qui avaient déjà été formulés par les médias avant les élections de renouvellement intégral du Tribunal fédéral du mois de décembre 2002 ­ reproches selon lesquels le juge fédéral Martin Schubarth était autoritaire, qu'il manquait de compétences sociales et que cela avait des conséquences graves pour le Tribunal fédéral59 ­ ont également été repris à cette occasion. Etant donné que les problèmes qui ont chargé le climat de travail à la Cour de cassation pénale et que les incidents qui ont précédé l'élection des juges ont de toute évidence un lien avec l'affaire du crachat, les commissions de gestion les ont également examinés (voir ch. 1.2).

5.2

Résultats des investigations

5.2.1

Climat de travail à la Cour de cassation pénale sous la présidence du juge fédéral Martin Schubarth

Le juge fédéral Martin Schubarth a présidé la Cour de cassation pénale de début 1999 à fin 2002. Au cours des années 1999 et 2000, il a également assumé la présidence du Tribunal fédéral. Les auditions des juges de la Cour de cassation pénale, de certains juges de longue date appartenant à d'autres sections et de certains greffiers ont montré que le climat de travail à la Cour de cassation pénale sous la présidence du juge fédéral Schubarth a, d'une part, souffert de la manière autoritaire avec laquelle il a géré les affaires (voir ch. 4.3.3) et, d'autre part, été fortement marqué du sceau de sa personnalité. Les auditions ont donné l'image suivante: Le juge fédéral Martin Schubarth a été décrit comme une personne intelligente, très cultivée, mais présentant des traits de caractère autoritaires, élitaires et égocentriques. Personnage haut en couleurs, il fait figure d'exception à plus d'un titre, tant en ce qui concerne ses côtés positifs que négatifs. Fin juriste, excellent orateur, le juge Schubarth est quelqu'un qui a défendu des opinions dignes d'attention avec éloquence et en connaissance de cause. Les opinions intéressantes qu'il sait exprimer sur n'importe quel sujet lui permettent de gagner de nombreuses sympathies. Ses vastes connaissances juridiques et ses capacités étaient admirées et appréciées de la part du personnel et des ses collègues du Tribunal fédéral. Cela étant, Martin Schubarth est également une personne impulsive qui a tendance à s'emporter et considérée comme peu apte au dialogue. Au Tribunal fédéral, il donnait l'impression qu'il se sentait supérieur aux autres et qu'il connaissait le droit pénal que quiconque.

Professeur de droit pénal, il a des connaissances très vastes qui lui permettent de démonter les arguments des autres au pied levé. Il fallait être fort et sûr de son fait pour oser le contredire. En raison de son attitude qui pouvait devenir arrogante, il était souvent difficile de défendre une opinion autre que la sienne.

58 59

Tages-Anzeiger du 14 février 2003, p. 6, «Ich streue Asche auf mein Haupt».

NZZ du 8 décembre 2002, «Zunehmender Eigensinn».

5384

Le président Martin Schubarth avait un style de conduite autoritaire envers ses collègues juges et les collaborateurs du Tribunal fédéral. Il entretenait de bonnes relations avec certains greffiers alors que d'autres le craignaient. Il avait instauré un climat de méfiance généralisée et, pour la plupart, les gens l'évitaient lorsque c'était possible.

Plusieurs juges fédéraux ont indiqué que le juge fédéral Schubarth avait un trait de caractère particulièrement difficile à supporter: il disait sans cesse du mal de ses collègues juges, des collaborateurs du Tribunal fédéral et d'autres personnes.

Certains juges fédéraux ont rappelé que, au cours des 20 années durant lesquelles Martin Schubarth a été juge fédéral, il y a toujours eu des tensions interpersonnelles au sein les sections concernées. Ainsi, il y a treize ans, le juge fédéral Edwin Weyermann, à l'époque président de la Cour de cassation pénale, a changé de section suite à une querelle avec le juge Schubarth.

En 2000, la majorité des juges de la Cour de cassation pénale a clairement accepté que, à l'échéance de son mandat de président du Tribunal fédéral à fin 2000, le juge Martin Schubarth continue d'assumer la présidence de la Cour de cassation pénale pendant deux années supplémentaires même si, habituellement, en quittant la présidence du Tribunal fédéral le président sortant quitte également la présidence de sa section. Dans le procès-verbal de la séance plénière du Tribunal fédéral, il est précisé que cette décision allait dans le sens des intérêts de la section et répondait au souhait de la majorité de ses juges. Le fait que les autres juges ne veuillent pas de la présidence de la Cour de cassation pénale ou n'auraient pas réuni de majorité pour l'obtenir a pourtant également joué un rôle important dans cette décision. Cela montre quand même que cette section du Tribunal fédéral a aussi connu des temps meilleurs sous la présidence de Martin Schubarth. Certains juges ont toutefois trouvé que la personnalité du juge Schubarth avait changé au cours des deux dernières années, c'est-à-dire après avoir quitté sa fonction de président du Tribunal fédéral à fin 2000. Depuis ce moment-là, il s'est également progressivement renfermé.

5.2.2

Mésentente entre deux juges

Le climat à la Cour de cassation pénale s'est aggravé notamment en raison de la mésentente entre le juge fédéral Martin Schubarth et le juge fédéral Hans Wiprächtiger. Ce dernier est entré au Tribunal fédéral en 1990 et travaille depuis lors à la Cour de cassation pénale. Il s'est lié d'amitié avec Martin Schubarth qui, comme lui, était membre du parti socialiste. Ensemble, ils formaient une excellente équipe qui a contribué de manière importante au développement de la jurisprudence dans le domaine du droit pénal.

Toutefois, au cours de ces dernières années, leurs rapports se sont dégradés pour aboutir à un conflit profond en raison de différends personnels et professionnels.

Hans Wiprächtiger vouait une grande admiration à Martin Schubarth en qui il voyait un juriste averti. Avec le temps toutefois, il s'est émancipé de son influence, notamment lorsqu'il a eu l'occasion de diriger deux procédures pénales fédérales très en vue. Selon les déclarations que le juge Hans Wiprächtiger a faites au groupe de travail, Martin Schubarth n'avait pas apprécié qu'il parvienne à imposer son idée de la publicité et du contact avec les médias. Il a accordé des interviews et a même voulu donner un bref commentaire à la télévision. Martin Schubarth, entre autres, 5385

s'y serait opposé. C'est à partir de cet incident et en raison des divergences d'opinions au sujet du concept de la publicité et des relations du tribunal avec les médias qu'un fossé s'est creusé entre les deux juges. Des différends de fond ont en outre commencé à apparaître à partir de ce moment-là.

Un conflit supplémentaire est encore venu creuser le fossé qui les séparait. Le juge Wiprächtiger connaissait bien Markus Felber, le correspondant de la NZZ avec lequel il entretenait de bonnes relations depuis l'époque où ils avaient fait connaissance à Lucerne. Le juge Wiprächtiger a déclaré au groupe de travail que Martin Schubarth avait exigé de lui qu'il renonce à l'amitié qui le liait au journaliste étant donné que celui-ci avait utilisé le qualificatif de «perfide» en rapport avec le juge Schubarth alors président du Tribunal fédéral (voir ch. 3.4).

Le juge fédéral Hans Wiprächtiger a également précisé au groupe de travail que les problèmes qu'il avait avec Martin Schubarth découlaient avant tout de son changement de personnalité. En effet, ce dernier se comportait de manière méprisante envers lui, ce qui était très pesant à la longue.

Pour sa part, le juge fédéral Martin Schubarth a constaté qu'il n'avait rien empêché en ce qui concerne les contacts que le juge Wiprächtiger entretenait avec les médias, mais que certains collègues étaient d'avis que, en tant que président de la Cour pénale fédérale, le juge Wiprächtiger était allé trop loin dans sa collaboration avec les médias. C'était pour cette raison qu'il avait évoqué ce sujet lors de la Conférence des présidents et que celle-ci avait ensuite émis des recommandations relatives aux rapports avec les médias électroniques au siège du tribunal. En ce qui concerne les relations entre le juge Wiprächtiger et Markus Felber, le juge Schubarth a déclaré que, après tant d'années de bons rapports, il avait été blessé par l'absence de solidarité dont son collègue Wiprächtiger avait fait preuve à son égard après la publication du fameux article dans la NZZ.

Lorsqu'il a donné son avis au groupe de travail, le juge fédéral Martin Schubarth a critiqué le juge fédéral Hans Wiprächtiger. Selon le premier, les absences fréquentes du second posaient problème. D'après le juge Schubarth, il n'est en rien responsable de l'évolution pénible que la Cour de
cassation pénale a connue; celle-ci serait au contraire due à la personnalité particulière du juge Wiprächtiger. Le juge Schubarth a en particulier considéré que son collègue Wiprächtiger avait gravement abusé de sa confiance lorsqu'il avait contacté un parlementaire socialiste derrière son dos au cours de l'été qui a précédé l'élection des juges. De plus, lorsqu'il avait voulu lui demander des comptes, le juge Wiprächtiger l'aurait évité.

Les autres juges de la Cour de cassation pénale ont confirmé au groupe de travail que les rapports entre Martin Schubarth et Hans Wiprächtiger étaient extrêmement tendus. Le juge Schubarth avait souvent blessé son collègue Wiprächtiger gratuitement, notamment en le gratifiant de notes à la manière d'un maître d'école et en lui disant que le rapport qu'il avait rédigé était mauvais. Inversement, le juge Wiprächtiger se montrait très blessant et réagissait de manière impulsive aux réprimandes du juge Schubarth.

De l'avis d'un des juges fédéraux entendus, Martin Schubarth a mal supporté que le juge Hans Wiprächtiger s'émancipe, qu'il soit parvenu à disposer d'un grand réseau de contacts personnel et qu'il ose défendre des opinions juridiques différentes des siennes. Ainsi, le fait que le juge Hans Wiprächtiger ait publié le commentaire bâlois du code civil qu'il a cosigné avec le professeur Marcel Niggli et qu'il ait soumis à la Conférence des présidents une demande d'autorisation d'exercer une activité acces5386

soire afin de pouvoir accepter une chaire à l'Université de Fribourg a provoqué des conflits. Ce juge a également précisé qu'il était évident que le juge Hans Wiprächtiger supportait mal de se faire sans cesse reprendre par son collègue Schubarth et qu'il refusait de se laisser influencer par ce dernier.

Selon les déclarations d'un autre juge, les tensions avaient parfois des effets sur la jurisprudence. Il n'y a pas lieu de penser que des jugements auraient pu avoir été faussés, mais les procédures ont de temps à autre souffert de ces tensions. Il est arrivé que les deux juges se soient mutuellement bloqués. D'une manière générale, force est de reconnaître que le climat de la Cour de cassation pénale souffrait fortement des violentes disputes qui devenaient de plus en plus fréquentes.

5.2.3

Contacts entre membres du Parlement et juges fédéraux avant l'élection des juges de décembre 2002

5.2.3.1

Contact entre le juge fédéral Hans Wiprächtiger et un député socialiste

Le 13 août 2002, le juge fédéral Hans Wiprächtiger a rencontré à Fribourg le représentant du groupe socialiste au sein du Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges, le conseiller national Erwin Jutzet.60 Ce dernier a déclaré au groupe de travail que le juge Wiprächtiger s'était adressé à lui pour l'informer d'un grave problème à la Cour de cassation pénale en relation avec le juge fédéral Martin Schubarth, qu'il avait précisé qu'il fallait faire quelque chose, c'est-à-dire renoncer à le réélire ou procéder à un transfert interne. Hans Wiprächtiger ne lui a pas demandé de faire en sorte que le juge fédéral Schubarth ne soit plus réélu. Erwin Jutzet a ajouté qu'il avait eu l'impression que cette démarche constituait un cas de conscience pour le juge Wiprächtiger.

Selon les explications que le juge fédéral Hans Wiprächtiger a données au groupe de travail, il désirait que le groupe socialiste parle avec les juges fédéraux. Le groupe devait tenter de résoudre le problème puisque les diverses tentatives de dialogue avec le juge Schubarth au sein de la Cour de cassation pénale avaient échoué. Le juge Wiprächtiger avait expressément demandé à Erwin Jutzet que le groupe socialiste interroge les juges socialistes ainsi que leurs collègues de la Cour de cassation pénale sur la situation avant d'entreprendre quoi que ce soit contre le juge Schubarth. Il a précisé qu'il avait voulu s'adresser au groupe assez tôt pour disposer de suffisamment de temps afin d'éviter ce qui s'était passé douze ans plus tôt et que des

60

Le Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges GTEJ a été remplacé par la nouvelle Commission judiciaire (CJ) dorénavant responsable de la préparation de l'élection des juges (art. 54bis LREC). Cette commission a entamé ses activités le 19 mars 2003.

5387

négociations aient encore lieu la veille des élections.61 Contrairement à d'autres collègues qui ont également contacté des membres du Parlement, il ne s'en était pas caché étant donné qu'il est d'avis que, dans des situations extraordinaires ­ ce qui était en l'occurrence le cas ­ la Justice devait coopérer avec l'organe compétent en matière d'élection.

Au sujet de l'accusation du juge Martin Schubarth qui prétend que le juge Wiprächtiger avait quasiment guidé la plume du journaliste de la NZZ et colporté des éléments internes hors du tribunal62, le juge Wiprächtiger a insisté sur le fait qu'il n'avait plus rien entrepris contre le juge fédéral Schubarth depuis mi-octobre et que, depuis ce moment-là, il n'avait plus non plus eu de contacts avec des membres du Parlement ou des journalistes. Il s'était tranquillisé lorsque, en octobre 2002, le juge Schubarth avait annoncé qu'il quitterait la présidence de la Cour de cassation pénale.

De plus, il a rappelé qu'il avait été réprimandé pour avoir contacté Erwin Jutzet et qu'il en avait eu assez de toutes ces complications. Son dernier contact avec un membre du Parlement remontait à mi-octobre 2002, lorsqu'il avait rencontré un parlementaire socialiste au Palais fédéral. Ce dernier désirait l'entendre au sujet de la situation au sein de la Cour de cassation pénale. A cette occasion, il avait même dit à ce membre du Parlement qu'il considérait que, suite au retrait du juge Schubarth de la présidence de la Cour de cassation pénale, l'affaire était close et que la situation devenait à nouveau supportable. Lors de cette discussion, il avait également mentionné les aspects positifs du juge Schubarth.

Après la discussion avec le juge fédéral Hans Wiprächtiger, Erwin Jutzet a informé les membres du groupe de travail interne du parti socialiste chargé de la préparation de l'élection des des reproches qui étaient faits au juge fédéral Schubarth. Ceux-ci ont ensuite contacté les juges fédéraux socialistes ainsi que le juge fédéral Martin Schubarth.

Hans Peter Walter, le président du Tribunal fédéral en fonction à l'époque, a déclaré au groupe de travail que, avec sa démarche, le juge Hans Wiprächtiger n'avait pas emprunté la bonne voie. D'après lui, il aurait d'abord fallu épuiser tous les moyens internes avant de contacter un membre du Parlement. Lorsqu'une
section ne parvient pas à résoudre elle-même ses propres problèmes, elle doit se tourner d'abord vers le président du Tribunal fédéral afin qu'il serve de médiateur. Hans Peter Walter a précisé qu'il trouvait dangereux et inapproprié de se tourner vers le Parlement pour 61

62

Lors de la réélection des juges fédéraux du 5 décembre 1990, le juge fédéral Martin Schubarth n'a pas été réélu de manière tout à fait inattendue. Il avait obtenu 95 voix alors que la majorité absolue était de 116 voix. Aucune objection contre sa réélection n'avait été formulée, ni devant les Chambres réunies lors de l'élection, ni auparavant devant le Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges. Au cours de la semaine suivante, les médias ont rapporté que, par solidarité avec le juge fédéral Edwin Weyermann (UDC), il y avait eu un fort courant d'antipathie à l'encontre le juge Schubarth. Ce courant était dû au fait que le juge Weyermann, qui présidait alors la Cour de cassation pénale, avait changé de section en été 1990 en raison d'une dispute avec le juge Schubarth et que, pour cette raison, il avait dû renoncer à la vice-présidence du Tribunal fédéral. Des doutes ont en outre été exprimés au sein du groupe PDC quant à la capacité du juge Schubarth de travailler en équipe (Berner Zeitung du 8 décembre 1990). Au cours de la semaine qui a précédé les élections, une lette de l'association «Pro Tell» a également cirulé parmi les parlementaires. Celle-ci critiquait l'attitude politique et la jurisprudence du juge Schubarth. Le 12 décembre 1990, les Chambres réunies ont finalement confirmé le juge fédéral Martin Schubarth dans ses fonctions par 127 voix alors que la majorité absolue était de 105 voix.

Tages-Anzeiger du 14 février 2003, p. 6, «Ich streue Asche auf mein Haupt».

5388

résoudre de tels problèmes. Cette manière de faire aurait été unanimement condamnée par les membres du Tribunal fédéral.

5.2.3.2

Investigations du Groupe de travail interpartis auprès des juges fédéraux

Au cours de l'été 2002 déjà, le député au Conseil des Etats Bruno Frick, président du Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges a été contacté par un journaliste qui l'avait informé des graves problèmes relationnels entre le juge fédéral Schubarth et certains autres juges et que, à cette occasion, il a également été question de manipulation de certains jugements et considérants. Au mois de septembre, Bruno Frick a informé le Groupe de travail interpartis de ces reproches. Les membres du groupe se sont mis d'accord pour que chacun contacte les juges de la Cour de cassation pénale de son propre parti afin de faire la lumière sur ces reproches. De telles discussions ont ensuite eu lieu, avec les juges de la Cour de cassation pénale, mais également avec d'autres juges fédéraux. Les résultats de ces entretiens ont été discutés lors d'une séance ultérieure du Groupe de travail interpartis. Suite aux informations fournies par Bruno Frick, les membres du Groupe de travail interpartis sont parvenus à la conclusion qu'il y avait des tensions au sein de la Cour de cassation pénale, très importantes pour certains juges, mais que la situation allait s'améliorer étant donné que Martin Schubarth avait annoncé qu'il se retirait de la présidence. Il n'a en revanche pas été possible de confirmer les reproches en matière de manipulation. Il semblait seulement que le président Schubarth n'avait pas toujours respecté les règles du jeu en ce qui concerne la rédaction des considérants. Sur la base de ces constatations, le Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges a conclu qu'il n'y avait pas lieu de renoncer à proposer la réélection du juge fédéral Schubarth et que les groupes étaient libres de tenir compte de ces circonstances. Par la suite, seul le groupe UDC n'a pas soutenu la réélection du juge Schubarth. Le 11 décembre 2002, Martin Schubarth a été réélu avec 146 voix alors que la majorité absolue était de 106 voix.

5.2.3.3

Lettre de la Commission de gestion du Conseil des Etats aux membres de la Cour de cassation pénale

Parallèlement aux investigations en cours du Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges, le député au Conseil des Etats Bruno Frick a informé le président de la Commission de gestion du Conseil des Etats et le député au Conseil des Etats Hans Hess, président de la sous-commission DFJP/tribunaux, au sujet des problèmes que la Cour de cassation pénale semblait connaître. Peu après, soit le 18 octobre 2002, le président de la sous-commission DFJP/tribunaux de la Commission de gestion du Conseil des Etats adressait une lettre aux membres de la Cour de cassation pénale leur demandant si les informations concernant le mauvais climat de travail qui régnait à la Cour de cassation correspondaient à la réalité et s'il était nécessaire que la sous-commission s'attaque aux problèmes. Dans sa réponse du 21 novembre 2002, le juge fédéral Hans Peter Walter, qui présidait le Tribunal fédéral à cette époque, a indiqué qu'il était vrai que la Cour de cassation pénale connaissait quelques difficultés, à l'instar de celles que toutes les autorités collégiales peuvent connaître, mais que le tribunal s'employait à les aplanir de 5389

manière interne et que la résolution des problèmes était en bonne voie. Il estimait que le Parlement ou ses commissions n'avaient pas besoin d'intervenir. A cette occasion, le président du Tribunal fédéral a souligné que le Tribunal fédéral était d'avis que les relations relatives à l'exercice de la haute surveillance avec le Parlement devait avoir lieu à l'échelon des institutions et non pas directement avec quelques membres du Parlement. Il a également rappelé que, en vertu de l'art. 6, al. 2, OJ le président du Tribunal fédéral assume la direction générale du Tribunal fédéral et que, en vertu de l'art. 22, al. 2, du règlement du Tribunal fédéral, il est également chargé de représenter le tribunal auprès de l'Assemblée fédérale et autres autorités de haut rang.

5.2.3.4

Remise à des membres du Parlement d'un manuscrit rédigé par le juge fédéral Martin Schubarth et destiné à être publié

Le juge fédéral Martin Schubarth avait été particulièrement heurté du fait que l'un de ses manuscrits non publié avait manifestement été transmis aux parlementaires socialistes en précisant qu'il y défendait des positions contraires à l'idéologie du parti. Martin Schubarth a déclaré au groupe de travail qu'il avait été effondré lorsque, le 2 octobre 2002, il a eu connaissance de cet acte. Un passage de ce manuscrit était consacré à l'examen judiciaire des refus de naturalisation. Le juge Schubarth a indiqué au groupe de travail qu'il ne pouvait pas comprendre que quelqu'un puisse se servir de cet article pour démontrer qu'il était une mauvaise personne. Il a précisé que, en juin 2002, il avait glissé le manuscrit dans le dossier d'une affaire portant notamment sur l'une des questions traitées dans cet article destiné à la publication.

Les quatre juges de la Cour de cassation pénale et le greffier chargé du dossier ont donc eu accès au manuscrit. Il l'avait encore fait parvenir à deux autres juges du tribunal ainsi qu'à un professeur d'université. Le texte destiné à être publié avait en outre circulé auprès des rédacteurs de la Revue de droit suisse.63 Le conseiller national Erwin Jutzet a confirmé au groupe de travail que le manuscrit non publié, ainsi que d'autres articles de Martin Schubarth qui avaient déjà été publiés, ont été déposés sur la table de la salle de séance dans laquelle le groupe de travail interne du parti socialiste chargé de la préparation de l'élection des juges a siégé. Il a précisé qu'il ne pouvait non seulement pas confirmer qu'ils provenaient du Tribunal fédéral, mais encore qu'il ne savait pas qui pouvait les y avoir déposé.

Interrogé à ce sujet par le groupe de travail, le juge Hans Wiprächtiger qui, du fait qu'il avait contacté Erwin Jutzet, a été fortement soupçonné d'avoir transmis ce manuscrit, s'en est défendu avec véhémence. Il n'a ni remis en main propre, ni envoyé cet article à qui que ce soit. Il a également précisé que, de son point de vue, l'orientation politique, voire le changement d'orientation politique de Martin Schubarth était une question secondaire. Il est normal que les membres d'un collège de juges aient des conceptions différentes. Il a également déclaré au groupe de travail qu'il savait que Martin Schubarth avait beaucoup d'adversaires au sein du Tribunal fédéral, même parmi les juges fédéraux socialistes. De plus, à ce moment-là, la 63

Cet article a été publié entre-temps (Schubarth, Martin: Die Bedeutung der verfassungsmässigen Ordnung für das Verhältnis von Richter und Bundesgesetz, Revue de droit suisse 2003, 169 ss.).

5390

publication du manuscrit avait déjà été autorisée et son contenu avait déjà fait l'objet de discussions au sein du Tribunal fédéral.

5.2.4

Tentatives de conciliation interne

Les juges de la Cour de cassation pénale ont à plusieurs reprises tenté de régler le problème. Ainsi, en janvier 2002, l'un des juges a demandé qu'il soit débattu au sein de la section. Avant les vacances d'été, le juge Schubarth et le juge Wiprächtiger ont été invités par leurs collègues à régler leurs différends. De l'avis de l'un des juges de la Cour de cassation pénale entendus par le groupe de travail, les résultats de cette tentative sont demeurés très modestes.

A l'occasion de discussions entre collègues, les quatre juges de la Cour de cassation pénale ont constaté qu'une majorité d'entre eux était d'avis que le juge fédéral Martin Schubarth devait renoncer à la présidence de la Cour de cassation pénale pour la fin 2002. Etant donné que le mandat de président de la Cour de cassation pénale arrive à échéance tous les deux ans, la question de sa reconduction allait de toute manière se poser à la fin de l'année 2002. C'est donc dans cette perspective que la question se posait. L'un des juges de la Cour de cassation pénale a été chargé d'informer le président Schubarth que la majorité des juges n'accepterait pas de le reconduire dans sa fonction de président au-delà de 2002.

C'est en septembre 2002 que le juge fédéral Schubarth a eu connaissance de la prise de contact de son collègue Wiprächtiger avec le conseiller national Erwin Jutzet.

Selon ses déclarations au groupe de travail, il s'est alors tout de suite posé la question de savoir s'il pouvait encore assumer la présidence de la section dans de telles conditions. Indépendamment de cela, il avait appris que la majorité de ses collègues de la Cour de cassation pénale le priait de se retirer de la présidence de la section à la fin de l'année. C'est pour ces raisons qu'il avait décidé de présenter sa démission de la présidence de la Cour de cassation pénale.

Le président du Tribunal fédéral Hans Peter Walter a pour sa part déclaré au groupe de travail que ce n'est qu'en octobre 2002, à son retour d'un séjour à l'étranger, qu'un député au Conseil des Etats lui avait appris que les tensions au sein de la Cour de cassation pénale étaient manifestement plus graves que ce qui avait été supposé et que des contacts avaient eu lieu à ce sujet entre des juges fédéraux et des membres du Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection
des juges. Aucun membre de la Cour de cassation pénale ne s'était adressé à lui à ce sujet. Tout le monde au tribunal savait qu'il y avait des tensions au sein de la Cour de cassation pénale, mais pas qu'elles avaient pris une telle ampleur. Peu de temps auparavant, soit le 29 septembre 2002, le juge fédéral Martin Schubarth avait présenté sa démission de la présidence de la Cour de cassation pénale. Cette démission et le coup de fil du député au Conseil des Etats l'ont incité à intervenir. Il a convoqué plusieurs séances avec les membres de la Cour de cassation pénale pour discuter de la situation. Il fallait, d'une part, régler la question de la succession à la présidence de la section et, d'autre part, trouver une solution au conflit qui divisait les juges fédéraux Wiprächtiger et Schubarth. L'idée d'un changement de section a été étudiée, mais aucun des deux juges n'était disposé à accepter une mutation. Dans ce cas de figure, il aurait en outre encore fallu qu'un juge d'une autre section accepte une telle permutation, ce qui n'aurait guère été facile. De plus, le président du Tribunal fédéral devait également chercher un juge disposé à reprendre la présidence de la Cour de 5391

cassation pénale, mais aucun membre de cette cour n'était disposé à accepter cette charge. Finalement, il a été décidé que tous les juges en fonction demeureraient à la Cour de cassation pénale et que la présidence serait reprise par le juge fédéral Roland Schneider avec effet au 1er janvier 2003. Cette solution avait été communiquée avant l'élection des juges. Le président du Tribunal fédéral a indiqué au groupe de travail qu'il avait estimé que l'affaire était ainsi réglée.

L'un des juges de la Cour de cassation pénale a déclaré au groupe de travail que, dans le courant de l'automne 2002, alors que le conflit entre les juges fédéraux Schubarth et Wiprächtiger était devenu insupportable, la question s'était posée de régler le problème en recourant à une médiation dont la forme aurait été à définir. La majorité des juges concernés et le président du Tribunal fédéral n'étaient toutefois pas favorables à cette idée.

5.3

Appréciation par les commissions de gestion

1. Prise de contact d'un juge fédéral avec des membres du Parlement en rapport avec une éventuelle non-réélection d'un collègue juge Le fait qu'un juge fédéral ait pris contact avec l'autorité de nomination dans le but de faire réexaminer la candidature d'un collègue juge avant sa réélection soulève une série de questions portant sur le principe de la collégialité au sein du collège de juges. Dans le cas présent, il est compréhensible que le juge fédéral Martin Schubarth ait perçu la manière de faire du juge fédéral Hans Wiprächtiger comme un acte déloyal à son égard et comme une violation du principe de la collégialité. Cela étant, force est de constater que, de toute évidence, Hans Wiprächtiger se trouvait luimême dans une situation de détresse, ce qui est aussi compréhensible. Cela étant, Hans Wiprächtiger n'a pas cherché à cacher sa démarche. Son intervention précoce a en outre permis au Groupe de travail interpartis pour la préparation de l'élection des juges de procéder aux examens nécessaires. De ce point de vue, la démarche du juge Wiprächtiger qui a rencontré un parlementaire socialiste ne constitue pas un acte de délation, mais avait pour but de transmettre une information importante.

Cet incident soulève également une question fondamentale. En Suisse, les juges fédéraux sont élus pour des périodes de fonction de six ans. Comment l'autorité de nomination peut-elle se forger une idée lui permettant de savoir si un juge doit être réélu ou non? En respect de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance judiciaire, le Parlement doit en effet faire preuve de la plus grande retenue ne pas succomber à la tentation d'exercer une pression politique à l'encontre des juges qui font l'objet de sa désapprobation. Lorsqu'il s'agit de réélire des juges, il doit toutefois pouvoir tenir compte d'éventuelles violations graves des devoirs de fonction ou des obligations ainsi que, le cas échéant, de résultats insatisfaisants. Avec le système actuel, le Parlement a de la peine à constater de telles défaillances. Il pourrait être utile que le tribunal en informe le Parlement.

2. Remise d'un manuscrit non publié à des membres du Parlement Le groupe de travail n'est pas parvenu à établir l'identité de la personne qui a fait parvenir au groupe de travail interne du parti socialiste chargé de la préparation
de l'élection des juges le manuscrit non publié rédigé par le juge fédéral Martin Schubarth. Fondamentalement et en raison de l'indépendance judiciaire, les commissions de gestion sont d'avis qu'il serait extrêmement contestable que le collège des juges 5392

dénigre l'un des leurs auprès de l'autorité de nomination en raison de ses opinions politiques ou parce qu'il défend une conception juridique différente. Si l'autorité de nomination devait tolérer une telle attitude, aucun juge fédéral ne se sentirait plus libre de défendre ses opinions car il craindrait de faire l'objet d'une dénonciation.

Dans le cas d'espèce il convient cependant de relever que, d'une part, il n'est pas certain que la remise du manuscrit soit le fait d'un juge puisque l'article en question avait déjà circulé au-delà du cercle des juges et, d'autre part, que sa publication avait été autorisée.

3. Résolution des conflits au Tribunal fédéral Les problèmes qui ont eu la Cour de cassation pénale pour cadre étaient complexes et ont influencé le climat de travail de longues années durant. Avec le temps, la situation est devenue inextricable, au point que les juges de la Cour de cassation pénale ne sont plus parvenus à en venir à bout eux-mêmes. Avec le recul, il faut constater que le président du Tribunal fédéral est intervenu très tard. Il faut cependant également relever que les parties n'ont pas non plus fait appel à lui. Lorsque la discussion a enfin pu avoir lieu sous sa férule, la marge de manoeuvre était très limitée. La solution finalement adoptée n'a calmé la situation qu'en apparence. Le conflit entre les juges fédéraux Schubarth et Wiprächtiger, encore aggravé par le fait que ce dernier avait contacté un parlementaire socialiste avant l'élection des juges, n'a en aucun cas été réglé. L'un des juges entendus a d'ailleurs déclaré au sujet de l'ambiance qui régnait au sein de la Cour de cassation pénale qu'elle était tellement tendue que quelque chose devait bien finir par arriver. L'incident du crachat ne l'a donc guère surpris. Il ne manquait plus qu'une étincelle pour mettre le feu aux poudres.

La résolution des conflits à la Cour de cassation pénale s'est avérée très problématique. Cette situation est en partie due au caractère difficile du juge fédéral Martin Schubarth. Il faut d'ailleurs noter que, depuis 20 ans, le caractère du juge Schubarth a régulièrement été à l'origine de problèmes relationnels au sein du Tribunal fédéral.

Cela dit, il faut également se poser la question de savoir dans quelle mesure les structures institutionnelles du Tribunal fédéral permettent
de résoudre de tels conflits interpersonnels. Le Tribunal fédéral est constitué de 30 juges jouissant, en principe, des mêmes droits. Les échelons hiérarchiques sont peu marqués. L'exercice de fonctions présidentielles ainsi que l'ordre dans lequel les juges s'expriment lors des délibérations ou des procédures par voie de circulation sont en règle générale régis par le principe de l'ancienneté. La préséance est accordée aux juges en fonction de leurs années de service. Cette structure est voulue, ce qui ne l'empêche pas de contribuer, parfois, à l'apparition de conflits personnels entre certains juges. Actuellement, il n'y a pas de règles formalisées permettant de résoudre de tels conflits internes.

5.4

Conclusions et recommandations

Il est nécessaire que le Tribunal fédéral transmette à l'autorité de nomination des informations sur la manière dont les juges fédéraux gèrent les affaires ou sur d'éventuelles dérives personnelles. Toutefois, le Tribunal fédéral devrait tout d'abord prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de résoudre ses problèmes en interne. La question du renforcement des structures hiérarchiques et de l'institution 5393

de certains mécanismes de surveillance doit être examinée. La nouvelle loi fédérale sur le tribunal fédéral actuellement débattue au Parlement, octroiera une très large autonomie organisationnelle et administrative au Tribunal fédéral (art. 12 et art. 14, al. 1, let. b, P-LTF). Ainsi, le Tribunal fédéral pourrait, par voie de règlement, mettre en place des mécanismes destinés à la résolution interne des conflits.64 Lorsque le Tribunal fédéral constate de graves lacunes dans la manière dont un juge fédéral gère les affaires qui lui sont confiées ou qu'il est témoin d'importantes dérives personnelles, il devrait spontanément en rendre compte à l'organe chargé d'exercer la haute surveillance parlementaire. Les commissions de gestion peuvent ensuite procéder à des investigations et, si elles font des constatations qui mettent sérieusement en cause l'aptitude professionnelle ou personnelle d'un juge, elles les communiquent à la commission judiciaire conformément au nouvel art. 54bis, al. 7, LREC.

Recommandation 9

Mise en place de mécanismes destinés à la résolution interne des conflits

Dans le cadre de ses compétences organisationnelles et administratives, le Tribunal fédéral examine l'opportunité de la mise en place de mécanismes destinés à la résolution interne des conflits.

6

Vue d'ensemble des conclusions et des recommandations

6.1

Incident du crachat du 11 février 2003

Conclusion 1 Les commissions de gestion parviennent à la conclusion que le juge fédéral Martin Schubarth doit enfin tirer les conclusions de l'incident du crachat du 11 février 2003 et qu'il doit, dans l'intérêt de la Justice, présenter sa démission dans les meilleurs délais (voir ch. 3.7).

64

Voir également avis de droit (note de bas de page n° 40) p. 21 ss.

5394

Recommandation 1

Examen de la possibilité de faire entrer en fonction le successeur de Schubarth avant que ce dernier n'ait quitté son poste

Pour le cas où le juge fédéral Martin Schubarth n'aurait toujours pas donné sa démission à la fin de l'année 2003, les commissions de gestion suggèrent à la Commission judiciaire des Chambres fédérales d'examiner dans quelle mesure il serait juridiquement possible que l'entrée en fonction du successeur du juge Schubarth, élu durant la session de décembre, ait lieu avant que ce dernier n'ait quitté son poste (voir ch. 3.7).

Recommandation 2

Examen de la révocation du juge fédéral Martin Schubarth

Au cas où la recommandation 1 poserait des problèmes juridiques, les commissions de gestion recommandent à la Commission judiciaire des Chambres fédérales d'examiner la possibilité d'une révocation par la voie d'un arrêté fédéral soumis au référendum, voté durant la session d'hiver 2003 (voir ch. 3.7).

Recommandation 3

Examen d'une éventuelle réduction du salaire du juge fédéral Schubarth

Les commissions de gestion invitent la Délégation des finances des Chambres fédérales à examiner dans quelle mesure les circonstances justifieraient une réduction du salaire du juge fédéral Martin Schubarth (voir ch. 3.7).

6.2

Irrégularités prétendues à la Cour de cassation pénale

Conclusion 2 Globalement, les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, dans une affaire, le juge fédéral Martin Schubarth a transgressé les dispositions relatives à la procédure par voie de circulation et aux délibérations publiques. Il a de toute évidence ignoré l'avis de l'un des juges et a, sur le formulaire d'accompagnement du dossier, déclaré que le jugement a été rendu à l'unanimité alors qu'il n'a été rendu qu'à la majorité. Cette violation interne de la procédure ne peut toutefois faire l'objet d'aucun recours. D'ailleurs personne n'a été lésé. Les commissions de gestion sont d'avis que le juge fédéral Martin Schubarth a ainsi violé ses devoirs de fonction. En tant que magistrat, ce dernier n'est toutefois soumis à aucune autorité disciplinaire. Dans cette mesure, les constatations des commissions de gestion demeurent sans effet pour le juge fédéral Schubarth.

5395

Le Ministère public de la Confédération a la compétence de décider si la violation aux devoirs de fonction constatée par les commissions de gestion relève ou non du droit pénal.

Par son comportement autoritaire, le juge fédéral Martin Schubarth a en outre transgressé le principe de la collégialité dans plusieurs affaires (voir ch. 4.4).

Conclusion 3 Suite aux constatations faites lors de l'inspection, les commissions de gestion parviennent à la conclusion que, d'une manière générale, il n'y a pas lieu de remettre en cause ni la qualité de la jurisprudence, ni la crédibilité ou la conformité des jugements de la Cour de cassation pénale durant la présidence du juge fédéral Martin Schubarth (voir ch. 4.4).

Recommandation 4

Mesures encourageant un règlement ouvert des erreurs

Le Tribunal fédéral examine l'opportunité de mesures encourageant un règlement des erreurs qui permette de discuter en interne des erreurs commises et de tirer les conséquences qui s'imposent (voir ch. 4.5).

Recommandation 5

Transparence et «traçabilité» de la prise de décisions par voie de circulation

Le Tribunal fédéral garantit la transparence et la «traçabilité» de la prise de décisions par voie de circulation. Les observations d'une certaine importance doivent figurer sur le formulaire d'accompagnement et porter la signature des juges concernés (voir ch. 4.5).

Recommandation 6

Les discussions internes sont partie intégrante de la procédure par voie de circulation

Le Tribunal fédéral veille à ce que les audiences en délibération prévues par la loi ne soient pas contournées par des discussions internes. Dans la mesure où de telles discussions ont lieu, elles font partie intégrante de la procédure par voie de circulation et sont restituées de manière transparente dans le cadre de cette procédure. Les principaux résultats de ces discussions internes doivent être consignés sur le formulaire d'accompagnement avec la signature des juges concernés (voir ch. 4.5).

5396

Recommandation 7

Le résultat de chaque audience en délibération devrait être consigné dans un procès-verbal de délibération

Le Tribunal fédéral veille à ce que les décisions prises lors des audiences en délibération puissent être retracées à partir du dossier et que le résultat des délibérations soit consigné dans un procès-verbal de délibération (voir ch. 4.5).

Recommandation 8

Droit de participation des juges à la composition de la cour

Le Tribunal fédéral examine l'institution d'un droit de participation des juges de la section du tribunal concernée lors de la composition des cours par le président (voir ch. 4.5).

6.3 Recommandation 9

Climat de travail à la Cour de cassation pénale Mise en place de mécanismes destinés à la résolution interne des conflits

Dans le cadre de ses compétences organisationnelles et administratives, le Tribunal fédéral examine l'opportunité de la mise en place de mécanismes destinés à la résolution interne des conflits (voir ch. 5.4).

7

Suite de la procédure

Les commissions de gestion attendent du Tribunal fédéral qu'il prenne position sur le présent rapport ainsi que sur les recommandations qu'il comporte d'ici à fin février 2004.

6 octobre 2003

Au nom des commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des Etats: La présidente de la Commission de gestion du Conseil national, Brigitta M. Gadient Le président de la Commission de gestion du Conseil des Etats, Michel Béguelin Le président du groupe de travail «Tribunal fédéral», Hubert Lauper La secrétaire du groupe de travail «Tribunal fédéral», Irene Moser

5397

Annexe 1

Personnes entendues (Les fonctions indiquées sont celles exercées au moment de l'audition) ­

Aemisegger Heinz, président du Tribunal fédéral, président de la première Cour de droit public

­

Baumann J. Alexander, conseiller national

­

Boog Markus, greffier de la Cour de cassation pénale

­

Borner Armin, greffier de la Cour de cassation pénale

­

Burkart Monika, greffière, secrétaire présidentielle, Cour de cassation pénale

­

Escher Elisabeth, juge fédérale, deuxième Cour civile

­

Felber Markus, journaliste, Neue Zürcher Zeitung (NZZ), accrédité auprès du Tribunal fédéral

­

Frick Bruno, député au Conseil des Etats

­

Härri Matthias, greffier de la première Cour de droit public

­

Inderbitzin Urs-Peter, journaliste, accrédité auprès du Tribunal fédéral

­

Jutzet Erwin, conseiller national

­

Karlen Peter, juge fédéral, Cour de cassation pénale

­

Kolly Gilbert, juge fédéral, Cour de cassation pénale

­

Monn Christian, greffier de la Cour de cassation pénale

­

Näf Marcel, greffier de la Cour de cassation pénale

­

Schneider Roland, juge fédéral, président de la Cour de cassation pénale

­

Schubarth Martin, juge fédéral

­

Schweiger Rolf, député au Conseil des Etats

­

Störi Gilg, greffier de la première Cour de droit public

­

Walter Hans Peter, juge fédéral, première Cour civile

­

Weissenberger Philippe, greffier de la Cour de cassation pénale

­

Wiprächtiger Hans, juge fédéral, Cour de cassation pénale

5398

Annexe 2

Arrêté fédéral soumis au référendum concernant la révocation du juge fédéral Marin Schubarth (Extrait d'un avis de droit de l'Office fédéral de la Justice65) Au vu du caractère singulier de l'incident du 11 février 2003 (un tel cas ne s'est jamais présenté depuis 1874 et ne devrait fort probablement plus se reproduire à l'avenir), la question s'est posée de savoir si le législateur pouvait éventuellement révoquer le juge fédéral Schubarth par voie d'arrêté fédéral soumis au référendum.

[...]

Le législateur recourt à ce que la littérature appelle une loi individuelle pour régler une situation unique. Il édicte un acte particulier, qui devrait normalement être fondé sur une base légale en vertu du principe de la légalité, qui n'a pas pour but d'instituer une réglementation générale et abstraite (donc applicable à d'autres cas).66 C'est le cas de figure qui se présenterait en l'occurrence.

De telles lois individuelles sont admises lorsqu'il y a une volonté politique correspondante. Elles existent en pratique. Elles revêtaient la forme d'arrêté fédéral de portée générale67 sous le régime de l'ancienne Constitution fédérale et de loi fédérale sous le régime de la nouvelle Constitution fédérale68. La loi sur le Parlement du 13 décembre 2002 (LParl; FF 2002 7577)69 codifie cette pratique à l'art. 29, al. 2, de la manière suivante: «Les actes particuliers de l'Assemblée fédérale pour lesquels ni la Constitution, ni une loi fédérale ne fournissent la base légale nécessaire sont adoptés sous la forme d'un arrêté fédéral sujet au référendum.» Au vu de la pratique reprise par la loi sur le Parlement, une loi individuelle (en l'occurrence d'un «arrêté fédéral individuel» soumis au référendum) est admissible et ne pourra pas être combattue quant à son principe. La révocation d'un juge fédéral dépasse toutefois ­ de par son contenu ­ la problématique générale de la licéité de lois individuelles. Contrairement à l'assainissement des Chemins de fer fribourgeois (voir note de bas de page n° 67), par exemple, il ne s'agit pas d'un fait véritablement distinct. Au-delà du cas d'espèce, la révocation par voie d'arrêté d'un juge fédéral de ses fonctions pose un problème plus général dans la mesure où elle remet en cause les valeurs qui fondent l'Etat de droit: en effet, dès l'instant où le 65

66 67 68 69

Disziplinarmassnahmen gegen Bundesrichter und Massnahmen zur Konfliktregelung am Bundesgericht, avis de droit du 14 août 2003 de l'Office fédéral de la justice établi à l'attention du groupe de travail «Tribunal fédéral» des commissions de gestion, pp. 20 et s.

Luzian Odermatt, Erlassformen der Bundesversammlung für Rechtsetzungsakte und Einzelakte (sera publié prochainement dans LeGes 2003), ch. 2.

Exemple: Arrêté fédéral relatif à une convention réglant l'abandon du projet de centrale nucléaire à Kaiseraugst du 17 mars 1989 (RO 1989 1413).

Exemple: Loi fédérale du 23 juin 2000 sur l'assainissement de la Compagnie des Chemins de fer fribourgeois (RO 2001 132).

La loi sur la Parlement entrera en vigueur le 1er décembre 2003. Au sujet de l'art. 29, al. 2, LParl, voir Jean-François Aubert, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, Zurich 2003, art. 163, chiffre marginal 25.

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législateur peut sanctionner chez un juge un comportement donné en le démettant sans autre forme de procès, il porte atteinte aux principes de l'indépendance de la Justice et de la non-rétroactivité. Or, une telle sanction pourrait bien constituer un précédent susceptible d'ouvrir ici une brèche, en donnant lieu à des affaires en apparence analogues mais obéissant à des motivations différentes, notamment politiques.

Une telle manière de procéder pose également problème du point de vue de l'exercice des droits de partie du concerné70 et de l'absence de protection du droit.

Dans le présent cas de figure, un «arrêté fédéral individuel» serait édicté dans une procédure législative à laquelle le droit d'être entendu (art. 29, al. 2, Cst.) ne s'applique pas. Le concerné devrait toutefois être entendu de manière appropriée (par la commission en charge de l'affaire par exemple) étant donné que l'arrêté fédéral en question concerne directement son statut légal. A l'échelon national, il n'y a pas de voie de droit qui permettrait au concerné de recourir contre un tel «arrêté fédéral individuel» et il n'a pas non plus la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l'homme71.

70

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Pour ce qui est du droit d'être entendu (art. 29, al. 2, Cst.) le TF considère en substance, dans son arrêt du 9 juillet 2003, 1P.1/2003, consid. 3.2 (non traduit) avoir précisé dans son ATF 119 Ia 141 (consid. 5c/dd p. 151) que, lorsqu'un acte de souveraineté individuel concerne directement la situation juridique d'un individu, le droit d'être entendu doit être garanti même s'il n'est pas le fait d'une autorité administrative ou judiciaire et qu'il émane du Parlement. En revanche, le droit d'être entendu est exclu du cadre de la procédure législative (ATF 121 I 230, consid. 2c, p. 232).

En tous les cas pas pour violation de l'art. 6, par. 1, CEDH (voir arrêt de la CDH du 8 février 2001 n° 47936/99, Pitkevich c. Russie: Procédure disciplinaire aboutissant à la révocation d'un juge en application de l'art. 6, par. 1, CEDH).

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