03.459 Initiative parlementaire Application à titre provisoire de traités internationaux Rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats du 18 novembre 2003

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 21quater, al. 3, de la loi sur les rapports entre les conseils (LRC), nous vous soumettons le présent rapport, que nous transmettons simultanément au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'approuver le projet de loi joint.

Nous vous proposons en outre de classer l'initiative parlementaire ci-après: -

02.456 Iv.pa. Spoerry. Rendre impossible l'application provisoire des traités internationaux entraînant des effets négatifs.

18 novembre 2003

Pour la commission: Le président, Franz Wicki

2003-2627

703

Condensé La nouvelle Constitution fédérale (Cst.) de 1999 a adapté aux besoins de notre époque les compétences de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral en matière de politique extérieure et les a définies de manière plus claire que l'ancienne Cst. Aux termes de l'ancienne et de la nouvelle Cst., l'Assemblée fédérale est compétente en matière d'approbation de traités internationaux. Dans la pratique, toutefois, le Conseil fédéral s'appuyait sur le droit coutumier, sous l'ancienne Cst., pour conclure lui-même, c'est-à-dire sans approbation parlementaire, un grand nombre de traités internationaux. Conformément à la nouvelle Cst., cette compétence ne vaut que si elle est attribuée au Conseil fédéral par une loi ou par un traité international approuvé par l'Assemblée fédérale.

La sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse exige parfois d'agir vite. Si une urgence particulière l'exigeait, le Conseil fédéral s'est jusqu'à présent appuyé sur le droit coutumier pour s'approprier la compétence d'appliquer à titre provisoire un traité devant être soumis à approbation. Jusqu'à présent, ni la nouvelle Cst. ni la législation d'exécution n'ont réglé cette question. Or, le cas concret de l'application à titre provisoire de l'accord aérien avec l'Allemagne, qui, ultérieurement, n'a pas été approuvé par le Parlement, a soulevé la question de savoir s'il existait un besoin d'action sur le plan de la législation.

Les conditions devant être remplies pour qu'un traité puisse être appliqué à titre provisoire doivent être définies, conformément à la pratique exercée jusqu'à présent, dans le nouvel art. 7b de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA): «sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse et une urgence particulière».

L'absence de participation parlementaire en matière d'application à titre provisoire des traités internationaux peut, comme le montre l'exemple de l'accord aérien évoqué plus haut, entraîner de graves inconvénients: l'application à titre provisoire d'un traité international par le Conseil fédéral place le Parlement, lors de l'éventuelle approbation ultérieure du traité, devant une alternative peu satisfaisante, à savoir: -

soit il accepte les faits accomplis et, partant, il peut être amené à renoncer, contre son gré, à l'exercice de sa compétence,

-

soit il supprime rapidement un droit qui a déjà été appliqué, ce qui peut entraîner des incertitudes sur le plan juridique et entacher la crédibilité de la Suisse en matière de politique extérieure.

La majorité de la commission continue de reconnaître la compétence du Conseil fédéral en matière d'application à titre provisoire. Il s'agit, pour elle, d'un instrument nécessaire à la préservation de la responsabilité du Conseil fédéral pour la conduite de la politique étrangère. Le Conseil fédéral doit toutefois être tenu de consulter les commissions compétentes avant toute application à titre provisoire. Il ne doit certes pas impérativement tenir compte des prises de position des commissions; toutefois, en cas de prise de position clairement négative, il doit s'attendre,

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s'il procède à l'application à titre provisoire, à un rejet ultérieur du traité par l'Assemblée fédérale. Dans de tels cas de figure, il renoncera en règle générale à l'application à titre provisoire, dans l'intérêt de la sécurité juridique et de la crédibilité de la Suisse sur la scène internationale.

La minorité de la commission est d'avis que l'interprétation de la Constitution qui a valu jusqu'à présent et qui attribue au Conseil fédéral la compétence en matière d'application à titre provisoire d'un traité, car cela ne porte pas atteinte à la compétence du Parlement en ce qui concerne l'approbation du traité, repose sur une considération purement formelle et n'est pas satisfaisante. L'application à titre provisoire d'un traité devant être soumis à approbation et non encore approuvé a, pour ceux qui relèvent du droit correspondant, des conséquences juridiques, au même titre que l'application d'un traité qui a été approuvé. Par conséquent, toujours d'après cette minorité, la compétence d'approbation de l'application à titre provisoire doit être attribué, par voie de loi, à l'Assemblée fédérale. Cette dernière peut être remplacée par ses commissions compétentes qui pourraient, en cas de situation d'urgence, trancher rapidement.

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Rapport 1

Genèse du projet

1.1

L'initiative parlementaire Spoerry

Le 3 octobre 2002, Madame Spoerry, conseillère aux Etats, a déposé une initiative parlementaire à la teneur suivante: la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration est modifiée de façon à ce qu'en tout état de cause le Conseil fédéral ne puisse au stade des négociations mettre en application à titre provisoire un traité international qui doit encore être soumis à l'approbation de l'Assemblée fédérale, ou a fortiori du peuple, si cette mise en application doit entraîner pour tout ou partie de la population suisse des inconvénients, et cela quels que puissent en être les avantages.

Chargée de l'examen préliminaire de l'initiative, la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil des Etats a proposé par 9 voix contre 0 de donner suite à l'initiative. Dans son rapport du 18 février 2003, elle a précisé que l'application à titre provisoire des traités internationaux a lieu désormais d'être réglée par voie de loi. La commission a en outre souligné que l'approbation à titre provisoire des traités internationaux peut, de facto, porter atteinte à la compétence du Parlement en matière d'approbation, dans la mesure où cette application à titre provisoire risque de créer une situation de fait sur laquelle il est difficile de revenir. La commission a donc confirmé l'existence d'un besoin d'action sur le plan de la législation, tout en ne répondant pas encore à la question de savoir si ce besoin d'action doit se traduire par la définition de critères matériels en tant que condition préalable à l'application à titre provisoire des traités internationaux ou par la définition de droits de participation du Parlement en matière d'application à titre provisoire.

Le 5 mars 2003, le Conseil des Etats a adhéré à l'unanimité au point de vue de sa commission et a décidé de donner suite à l'initiative. La CIP a alors été chargée de sa mise en oeuvre.

1.2

Les débats dans le cadre de la révision totale de la Constitution fédérale et de sa législation d'exécution

Si l'on se penche sur la genèse de la nouvelle Constitution fédérale, on constate que la question de l'application à titre provisoire n'a pas été soulevée durant les débats parlementaires. Elle a été reléguée au second plan par la question de l'approbation des traités internationaux.

Aux termes de la Constitution fédérale de 1874, «les alliances et les traités avec les Etats étrangers» (art. 85, ch. 5) relevaient de la compétence de l'Assemblée fédérale.

Le droit constitutionnel écrit n'octroyait aucune compétence correspondante au Conseil fédéral. Toutefois, en raison de sa compétence en matière d'affaires étrangères (art. 102, ch. 8), le Conseil fédéral avait depuis longtemps conclu lui-même certains traités et il en avait appliqué d'autres à titre provisoire. Dans le cadre de la réforme de la Constitution, le Conseil fédéral a cherché à s'assurer ces compétences basées sur le droit coutumier par le biais du droit constitutionnel écrit. C'est la raison

706

pour laquelle il a proposé dans le projet de constitution de 1996 la disposition suivante: «Il (le Conseil fédéral) signe les traités et les ratifie. Il soumet à l'approbation de l'Assemblée fédérale ceux qu'il n'a pas la compétence de conclure lui-même; il peut appliquer provisoirement des traités et conclure lui-même ceux qui n'ont qu'une importance mineure.» Cette proposition s'est heurtée à des oppositions lors des délibérations du Parlement.

Sur demande des CIP, la disposition ci-dessus a été raccourcie. Ainsi, aux termes de la Constitution, le Conseil fédéral soumet les traités à l'approbation de l'Assemblée fédérale. Les CIP estimaient que le Conseil fédéral ne devait pas tirer directement de la Constitution la compétence de conclure des traités internationaux. Elles avaient précisé que les conditions préalables à une conclusion d'un traité par le Conseil fédéral lui-même devaient être réglées au niveau de la loi (FF 1997 III 305). Les Commissions de la révision constitutionnelle et les Conseils ont suivi la proposition des CIP; désormais, les compétences de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral en matière de politique extérieure sont définies comme suit: Art. 166

Relations avec l'étranger et traités internationaux

L'Assemblée fédérale participe à la définition de la politique extérieure et surveille les relations avec l'étranger.

1

Elle approuve les traités internationaux, à l'exception de ceux dont la conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral en vertu d'une loi ou d'un traité international.

2

Art. 184

Relations avec l'étranger

Le Conseil fédéral est chargé des affaires étrangères sous réserve des droits de participation de l'Assemblée fédérale; il représente la Suisse à l'étranger.

1

Il signe les traités et les ratifie. Il les soumet à l'approbation de l'Assemblée fédérale.

2

Lorsque la sauvegarde des intérêts du pays l'exige, le Conseil fédéral peut adopter les ordonnances et prendre les décisions nécessaires. Les ordonnances doivent être limitées dans le temps.

3

Ainsi, concernant l'approbation des traités, une base constitutionnelle claire a été créée. En revanche, la question de l'application à titre provisoire des traités n'a pas été résolue. Elle n'a été abordée ni par les Commissions de la révision constitutionnelle ni par les Chambres fédérales. Lors des débats au Conseil des Etats, le conseiller fédéral Koller avait seulement souligné qu'il fallait faire une distinction entre la question de l'approbation et celle de l'application à titre provisoire (BO 1998 tiré à part p. 134). Manifestement, à l'époque, le sujet ne passionnait pas; il n'existait pas de cas épineux. On ne peut donc parler d'une volonté explicite du constituant de considérer l'application à titre provisoire des traités internationaux comme une compétence implicite du Conseil fédéral découlant de l'art. 184, al. 1.

Lors du projet d'adaptation de la loi sur les rapports entre les conseils (LRC) à la nouvelle Constitution fédérale, la question n'a pas davantage suscité d'intérêt. Dans le cadre de ce projet, les bases légales prévues à l'art. 166, al. 2, pour la compétence du Conseil fédéral en matière de conclusion de traités ont été créées. L'art. 47bisb 707

LRC (à compter du 1er décembre 2003: art. 7a LOGA) énumère les cas pour lesquels le Conseil fédéral est habilité à conclure des traités sans l'approbation ultérieure de l'Assemblée fédérale. Mais la question de l'application à titre provisoire des traités n'a pas été soulevée lors des débats. Le rapport explicatif de la CIP du Conseil national contient certes un paragraphe succinct mentionnant qu'il n'est pas nécessaire de régler cette question étant donné que, aux termes de l'art. 184, al. 1, le Conseil fédéral est chargé de la conduite de la politique étrangère (FF 1999 4492).

Soulignons toutefois que ce passage n'a été débattu ni au sein des commissions ni au sein des conseils.

Il est évident que la question de l'application provisoire des traités internationaux a été négligée par l'Assemblée fédérale jusqu'à ce que son aspect sensible surgisse dans le cadre de l'accord aérien avec l'Allemagne. L'initiative Spoerry offre l'occasion de régler les compétences de sorte qu'elles soient claires pour le traitement de futurs cas épineux. Il convient de clarifier, d'une part les conditions sous lesquelles un traité peut être appliqué à titre provisoire, d'autre part les droits de participation de l'Assemblée fédérale en présence de tels cas.

1.3

Le débat sur l'application à titre provisoire de l'accord aérien avec l'Allemagne

L'application à titre provisoire de «l'accord entre la Confédération suisse et l'Allemagne relatif à la fourniture de services de la navigation aérienne au-dessus d'une partie du territoire allemand par la Confédération suisse et aux effets de l'exploitation de l'aéroport de Zurich sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne» a provoqué des débats au sein de l'Assemblée fédérale. Ainsi, lors de son interpellation du 17 septembre 2002 (02.3440), le conseiller aux Etats Rolf Schweiger a posé la question des risques et conséquences d'une application provisoire de cet accord (BO 2002 E 1292). Dans sa réponse du 29 novembre 2002, le Conseil fédéral a précisé que, aux termes de l'art. 184, al. 1, Cst., il est habilité, «dans l'exercice de ses fonctions et responsabilités souveraines», à appliquer à titre provisoire un traité «si la sauvegarde d'intérêts suisses importants ou une situation d'urgence particulière l'exigent et s'il est impossible de suivre la procédure parlementaire ordinaire». Ce développement correspond au développement présenté par le Conseil fédéral dans son message à l'Assemblée fédérale relatif à l'accord susmentionné (FF 2002 3188).

Cette attitude du Conseil fédéral correspond à une interprétation de la Constitution basée sur le droit coutumier, laquelle n'est pas (n'est plus) partagée sans réserves par le Conseil des Etats conformément à sa décision du 5 mars 2003 concernant l'initiative parlementaire Spoerry.

Dans sa réponse à l'interpellation susmentionnée, le Conseil fédéral précisait en outre: «La compétence d'approbation du Parlement ne s'en trouve nullement réduite, car on peut en tout temps mettre fin à l'application provisoire, selon l'art. 25 de ladite Convention de Vienne». Cette situation a vu le jour après que le Conseil national et le Conseil aux Etats ont opposé leur veto à l'accord aérien, le premier le 19 juin 2002 et le second le 18 mars 2003.

708

2

Grandes lignes du projet

2.1

Le droit en vigueur

L'art. 25 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111) stipule qu'un traité ou une partie d'un traité s'applique à titre provisoire en attendant son entrée en vigueur si le traité lui-même en dispose ainsi ou si les Etats ayant participé à la négociation en étaient ainsi convenus d'une autre manière.

L'application à titre provisoire à l'égard d'un Etat prend fin si cet Etat notifie aux autres Etats entre lesquels le traité est appliqué provisoirement son intention de ne pas devenir partie du traité.

La Convention de Vienne ne s'exprime bien sûr pas sur la question de savoir qui peut décider, dans le cadre de la répartition des compétences au sein de chacun des Etats parties au traité, de l'application à titre provisoire d'un traité. Le droit suisse contient actuellement quelques dispositions légales donnant expressément au Conseil fédéral, dans un domaine donné, la compétence d'appliquer des traités provisoirement. Ainsi, l'art. 2 de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur les mesures économiques extérieures (RS 946.201) prévoit que, afin de sauvegarder des intérêts suisses essentiels, le Conseil fédéral peut appliquer provisoirement des traités non sujets au référendum qui touchent le trafic des marchandises, des services et des paiements. Aux termes de l'art. 4 de la loi fédérale du 9 octobre 1986 sur le tarif des douanes (RS 632.10), le Conseil fédéral peut appliquer provisoirement les traités portant sur les droits de douane lorsque les intérêts de l'économie suisse l'exigent.

Pour ce qui est des traités touchant à d'autres domaines, il n'existe pas de droit écrit.

La compétence du Conseil fédéral à appliquer des traités à titre provisoire également dans ces domaines découle de l'art. 184, al. 1, Cst., lequel confie au Conseil fédéral la conduite des affaires étrangères (voir les développements présentés plus haut dans le cadre de l'application à titre provisoire de l'accord aérien avec l'Allemagne).

Conformément à la pratique actuelle, le Conseil fédéral respecte, pour l'application des traités à titre provisoire, certaines conditions telles qu'elles ont été définies, par exemple, dans le rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national sur l'adaptation de la loi sur les rapports entre les conseils à la Constitution fédérale du 7 mai
1999. Ainsi, le Conseil fédéral peut ordonner l'application provisoire d'un traité «si la sauvegarde d'intérêts suisses importants ou une situation d'urgence particulière l'exigent et s'il est impossible de suivre la procédure parlementaire ordinaire» (FF 1999 4492)1.

2.2

Réglementation légale des conditions de l'application à titre provisoire

La pratique actuelle du Conseil fédéral concernant les conditions de l'application à titre provisoire des traités internationaux semble tout à fait pertinente. Par conséquent, il est proposé de reprendre cette pratique dans la loi. La loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA) définit les conditions qui doivent être remplies pour qu'un traité international puisse être appliqué à titre provisoire.

Une application à titre provisoire ne s'avère nécessaire que si une situation

1

Voir également JAAC 51 (1987), N° 58, p. 389.

709

d'urgence existe et que la procédure parlementaire ordinaire d'approbation requiert trop de temps. Il faut en outre que des intérêts suisses essentiels soient en jeu.

Il est prévu de renoncer à d'autres restrictions matérielles de l'application à titre provisoire. L'initiative Spoerry proposait certes de suspendre l'application à titre provisoire «si cette mise en application doit entraîner pour tout ou partie de la population suisse des inconvénients, et cela quels que puissent en être les avantages». Des critères généraux et abstraits de ce type en matière de suspension de certaines catégories des traités ne peuvent être déterminés avec suffisamment de clarté et ne pourraient par conséquent être mis en pratique. L'application à titre provisoire des traités avec des Etats peut également s'avérer pertinente, en cas de négociations complexes par exemple, lorsqu'un traité ne se traduit pas que par des avantages pour la Suisse. Au travers d'une appréciation rigoureuse, le Conseil fédéral prononce d'ores et déjà l'entrée en vigueur provisoire des traités internationaux uniquement si cela présente globalement ­ de son point de vue ­ un intérêt pour la Suisse. Par conséquent, les objectifs de l'initiative ­ un meilleur contrôle et, dans des cas délicats, une pratique plus réservée de l'application à titre provisoire ­ pourront être mieux atteints au travers d'une solution basée sur une procédure associant des organes parlementaires.

Si le Conseil fédéral applique un traité à titre provisoire, il doit veiller à ce que l'Assemblée fédérale puisse se prononcer le plus rapidement possible sur le traité.

Afin que celle-ci puisse assumer sa compétence d'approbation, le Conseil fédéral doit lui présenter un message correspondant avec projet d'arrêté fédéral. S'il ne le fait pas dans un délai raisonnable, un traité devant être approuvé par l'Assemblée fédérale sera en vigueur en Suisse durant une certaine période, sans que l'Assemblée fédérale ait pu s'exprimer. Par conséquent, la réglementation démocratique en matière de compétences n'est pas respectée. C'est pour cette raison qu'il convient de stipuler que l'application à titre provisoire prend fin si le Conseil fédéral n'a pas présenté à l'Assemblée fédérale un message correspondant dans un délai de six mois.

2.3

Participation de l'Assemblée fédérale dans le cadre de l'application à titre provisoire des traités internationaux

2.3.1

Avantages et inconvénients de l'application à titre provisoire des traités

Il est indéniable que l'application à titre provisoire d'un traité international est, sous certaines conditions, adéquate et nécessaire. La nature même des relations internationales implique parfois qu'il faille agir vite pour préserver les intérêts de la Suisse.

Cela peut être le cas, par exemple, pour des traités économiques, où il importe d'éviter de voir l'économie suisse désavantagée en raison du fait qu'elle ne peut encore bénéficier des effets d'un nouvel traité étant donné que ce dernier n'est pas appliqué immédiatement.

710

Jusqu'à présent, le Conseil fédéral considérait qu'il n'entravait en rien la compétence d'approbation du Parlement en ordonnant l'application à titre provisoire d'un traité international2. Sur le plan formel, cela est juste, mais ce point de vue ne répond pas à la problématique. Dans les faits, l'exercice de la compétence du Parlement en matière d'approbation des traités internationaux est bel et bien battu en brèche. La liberté de décision de l'Assemblée fédérale peut être annulée dans une large mesure si l'application à titre provisoire se traduit par des effets à large portée voire irréversibles. C'est le cas, à titre d'exemple, si des investissements importants sont réalisés dans des projets d'infrastructure sur la base de l'application à titre provisoire d'un traité international ou si une nouvelle situation légale désavantage des personnes, de sorte que ces dernières décident de changer de domicile par exemple. L'Assemblée fédérale est alors mise devant un fait accompli qui ne lui permet quasiment pas de rejeter le traité.

C'est la raison pour laquelle, revenant sur l'accord aérien, Urs Saxer s'interrogeait dans la NZZ du 28 octobre 2002 sur le fait de savoir si le Conseil fédéral avait le droit de préjuger la situation légale de cette manière: «L'exemple de l'accord avec l'Allemagne montre dans tous les cas que l'entrée en vigueur anticipée de normes d'un traité international peut avoir des conséquences énormes pour les personnes concernées, également sur le plan du droit fondamental, si l'on pense aux émissions sonores, aux effets sur la santé et à d'éventuels faits similaires à une expropriation, qui découlent de la réglementation concernant le week-end. Les conséquences sont également très importantes pour Unique, sur le plan financier en l'occurrence. Ces atteintes aux droits individuels sont effectuées sans légitimation démocratique.» L'application à titre provisoire d'un traité international par le Conseil fédéral place le Parlement, pour l'approbation de le traité, devant une alternative peu satisfaisante: soit il accepte le fait accompli, soit il annule rapidement un droit déjà appliqué, sachant que cela ne profite ni à la sécurité juridique ni à la crédibilité de la Suisse en matière de politique extérieure.

2.3.2

Le principe de l'association d'organes parlementaires

Autrefois, l'Assemblée fédérale était structurée de telle sorte que son association à la prise de décision relative à l'application à titre provisoire d'un traité international n'aurait pas été possible. En règle générale, une telle prise de décision ne peut attendre la prochaine session de l'Assemblée fédérale. L'association du Parlement à des processus décisionnels de ce type, qui sont effectués dans la rapidité, implique l'existence de commissions permanentes ou de délégations qui se réunissent à intervalles réguliers et relativement courts et qui, si nécessaire, peuvent être convoquées dans un délai court. Ces conditions n'existent pleinement que depuis la création des commissions permanentes en 1991. Ainsi, les Commissions de politique extérieure représentent pour le Conseil fédéral un interlocuteur permanent en matière de politique extérieure.

2

Voir Sägesser, Thomas: Die vorläufige Anwendung völkerrechtlicher Verträge durch den Schweizerischen Bundesrat. In: recht, cahier n° 3, 2003, p. 85 et suiv.

711

Les inconvénients présentés ci-dessus, liés à l'application à titre provisoire, peuvent être supprimés dans une large mesure dès lors que les commissions parlementaires compétentes doivent être consultées avant l'application à titre provisoire (Proposition de la majorité de la commission, cf. ch. 2.3.3) ou doivent donner leur approbation explicite ou tout au moins tacite (Proposition de la minorité de la commission, cf. ch. 2.3.3). A ce propos, la Délégation parlementaire des finances accomplit une tâche similaire: la décision quant à l'octroi de crédits supplémentaires urgents ne pouvant attendre la session suivante, la Délégation des finances assume provisoirement, en lieu et place de l'Assemblée fédérale, la souveraineté du Parlement en matière de budget. Lors d'une telle procédure, l'inconvénient consistant à préjuger les décisions prises ultérieurement en assemblée n'est certes pas entièrement éliminé, mais il est considérablement amoindri lorsque les décisions des Conseils sont préjugées par des délégations des conseils représentatives et non par le Conseil fédéral.

Conformément à l'art. 153, al. 3, Cst., les délégations de compétences à des commissions parlementaires sont possibles dans le domaine non législatif. La consultation au sujet de l'application à titre provisoire des traités internationaux (solution de la majorité) ou le recours au droit de veto contre l'application à titre provisoire des traités internationaux (solution de la minorité) ne relèvent pas de la législation. La participation de commissions à l'application à titre provisoire de traités internationaux représente un exemple pertinent de délégation de compétences à des commissions, étant donné que, dans ce cas précis, l'Assemblée fédérale en tant que telle ne peut agir suffisamment vite.

2.3.3

La forme de l'association d'organes parlementaires

Se pose la question de la forme sous laquelle les commissions parlementaires compétentes doivent être associées au processus décisionnel. Si l'on suit l'avis du Conseil fédéral, selon lequel sa compétence en matière d'application à titre provisoire des traités internationaux découle, aux termes de l'art. 184, al. 1, Cst., de sa compétence générale en matière d'affaires étrangères, la consultation des commissions compétentes s'avère être la forme appropriée de participation parlementaire.

Le Conseil fédéral demeure certes compétent en matière d'application à titre provisoire, mais il doit, avant de prendre une décision, consulter les commissions compétentes pour une prise de position. Il n'est pas obligé de tenir impérativement compte de ces prises de position. Toutefois, en cas de prise de position clairement négative, il doit s'attendre, s'il recourt à l'application à titre provisoire, au rejet ultérieur du traité par l'Assemblée fédérale. Il renoncera en règle générale à l'application à titre provisoire, dans l'intérêt de la sécurité juridique et de la crédibilité de la Suisse en matière de politique extérieure.

Ce droit de consultation est également revendiqué par Valentin Zellweger qui, se basant sur l'art. 184, al. 1, Cst., reconnaît au Conseil fédéral la compétence en la matière: «Il en résulte également l'exigence de voir les Commissions de politique extérieure, ainsi qu'éventuellement les commissions spécialisées compétentes, asso-

712

ciées à la décision d'application à titre provisoire sur la base de l'art. 47bisa LRC (art. 152 LParl).»3 Aux termes de l'art. 152, al. 3, de la nouvelle loi sur le Parlement (LParl), le Conseil fédéral consulte les commissions compétentes en matière de politique extérieure non seulement pour les mandats portant sur des négociations internationales importantes, mais également, et c'est nouveau, pour les «orientations principales». Si l'application d'un traité à titre provisoire est considérée comme une «orientation principale», le Conseil fédéral devra à l'avenir consulter les commissions compétentes en matière de politique extérieure sur la question de l'application à titre provisoire. S'il n'entreprend pas de lui-même cette consultation, les commissions ont le droit, conformément à l'art. 152, al. 5, LParl, d'exiger une consultation.

Certes, au vu de plusieurs éléments, l'application à titre provisoire d'un traité doit être considérée dans tous les cas comme une orientation principale conformément à l'art. 152, al. 3, LParl. A contrario, il découle de la définition des traités internationaux, qui, aux termes de l'art. 7a LOGA, peuvent être conclus par le Conseil fédéral lui-même, que les traités soumis au Parlement pour approbation règlent des questions importantes. En vue de clarifier le tout, il est cependant souhaitable de compléter expressément l'art. 152 en ces termes: le Conseil fédéral est tenu de consulter les commissions compétentes s'il veut appliquer à titre provisoire un traité international dont l'approbation relève de l'Assemblée fédérale.

La minorité de la commission, battue par la voix prépondérante du président (le vote était à égalité, 5 contre 5) entend franchir un pas de plus. Etant donné que l'approbation des traités internationaux relève de la compétence de l'Assemblée fédérale, il est logique, à ses yeux, que l'application à titre provisoire des traités soumis à approbation nécessite l'approbation des commissions compétentes de l'Assemblée fédérale. La minorité renonce à l'approbation obligatoire des commissions de l'Assemblée fédérale étant donné que la plupart des cas d'application à titre provisoire ne seront vraisemblablement pas contestés d'un point de vue politique. Si l'application à titre provisoire envisagée n'est pas discutée au sein des commissions et si aucun
veto ne lui est opposé dans un délai d'un mois, une approbation tacite est supposée.

Aux termes de l'art. 184, al. 1, Cst., le Conseil fédéral est chargé des affaires étrangères; conformément à l'art. 166, al. 1, Cst., l'Assemblée fédérale participe à la définition de la politique extérieure. Selon la minorité, aucune compétence en matière d'approbation des traités ne peut être déduite de ces compétences générales attribuées au Conseil fédéral et à l'Assemblée fédérale en matière de politique extérieure. Aux termes de l'art. 166, al. 2, Cst., cette compétence spécifique en matière d'approbation de traités internationaux est attribuée à l'Assemblée fédérale.

Le Conseil fédéral ne peut, en se référant à sa compétence générale en matière de politique extérieure, empiéter sur la compétence spécifique d'approbation des traités de l'Assemblée fédérale. Selon la minorité toujours, l'application à titre provisoire d'un traité soumis à approbation mais qui n'a pas encore été approuvé signifie qu'il y a intervention du Conseil fédéral, puisque cette application a les mêmes conséquences légales que l'application d'un traité approuvé.

3

Zellweger, Valentin in: Cottier, Thomas et al.: Der Staatsvertrag im schweizerischen Verfassungsrecht. Beiträge zu Verhältnis und methodischer Angleichung von Völkerrecht und Bundesrecht. Berne 2001, p. 401.

713

Aux yeux de la minorité, il est intéressant d'établir une comparaison avec la répartition des compétences telle qu'elle est réglée par le droit constitutionnel dans le cas de l'octroi de crédits supplémentaires urgents: Selon l'art. 167 Cst., l'Assemblée fédérale vote les dépenses de la Confédération. Si un crédit supplémentaire urgent doit être débattu, l'art. 18 de la loi fédérale sur les finances de la Confédération autorise le Conseil fédéral à décider une dépense avant approbation par l'Assemblée fédérale. Le Conseil fédéral doit toutefois requérir au préalable l'assentiment de la Délégation parlementaire des finances. Par conséquent, il s'agit là aussi, toujours selon la minorité, d'une compétence de l'Assemblée fédérale qui peut certes être assumée par le Conseil fédéral dans des situations urgentes, mais uniquement avec l'approbation d'un organe parlementaire. Ne pouvant, pour des raisons de temps, assumer elle-même sa compétence, l'Assemblée fédérale la délègue à l'un de ses organes.

La minorité estime que, par rapport à une simple consultation, l'exigence d'une approbation explicite ou tout au moins tacite par les commissions présente en outre l'avantage pratique d'instaurer des relations claires. Si la commission d'un conseil se prononce en faveur d'une application à titre provisoire tandis que la commission de l'autre conseil y est opposée, le Conseil fédéral serait face à des considérations bien complexes. La majorité réplique que le Conseil fédéral doit précisément être toujours en mesure de procéder à ces choix pour assumer ses responsabilités en matière de conduite de la politique étrangère. L'ordre général des compétences actuel ne permet pas que, par exemple, une décision fortuite prise dans une des commissions ait plus de poids que la décision du Conseil fédéral d'appliquer provisoirement un accord dans les cas d'urgence pour préserver les intérêts importants de la Suisse.

A l'heure actuelle, deux dispositions légales autorisent d'ores et déjà le Conseil fédéral à appliquer à titre provisoire des traités internationaux. Aux termes de l'art. 4, al. 1, de la loi fédérale sur le tarif des douanes (RS 632.10), il peut «appliquer provisoirement les accords portant sur des droits de douane». Conformément à l'art. 2 de la loi fédérale sur les mesures économiques extérieures (RS 946.201),
«afin de sauvegarder des intérêts économiques suisses essentiels, le Conseil fédéral peut appliquer provisoirement des accords non sujets au référendum qui touchent le trafic des marchandises, des services et des paiements». Ces dispositions légales spécifiques précèdent la réglementation d'ordre général proposée dans l'art. 7b LOGA.

3

Commentaire des différentes dispositions

3.1

Loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration

Art. 7b (nouveau)

Application à titre provisoire des traités internationaux par le Conseil fédéral

L'art. 7b complète, dans le droit écrit, la réglementation des compétences dans le domaine des traités internationaux. Aux termes de l'art. 166, al. 2, l'Assemblée fédérale est compétente pour l'approbation des traités internationaux. Toutefois, le Conseil fédéral peut, sous certaines conditions, conclure lui-même des traités (art. 7a LOGA). De même, il peut, sous certaines conditions, appliquer à titre provisoire des 714

traités qui relèvent du domaine de compétences de l'Assemblée fédérale (nouvel art. 7b LOGA).

Concernant la définition des conditions de l'application à titre provisoire et la fixation d'un délai, voir le ch. 2.2.

Dans la procédure proposée par la minorité, le Conseil fédéral informe immédiatement les commissions des deux conseils compétentes en matière de politique extérieure (il faut utiliser cette formulation, également employée dans l'art. 152 LParl, étant donné que les Commissions de politique extérieure ne sont pas ancrées dans une loi, mais n'interviennent qu'à l'échelon du règlement des conseils) de son intention d'appliquer à titre provisoire un traité. Les commissions disposent d'au moins un mois pour éventuellement mettre leur veto à l'application à titre provisoire. Afin de respecter autant que faire se peut le calendrier des séances des commissions, le Conseil fédéral peut également fixer un délai plus long, de deux mois par exemple, si les circonstances le permettent. Si une commission laisse passer ce délai sans traiter l'objet, il convient de considérer cela comme une approbation tacite de l'application à titre provisoire; cette procédure devrait s'avérer appropriée dans des cas incontestés sur le plan politique. En cas d'application à titre provisoire controversée, le président ou la présidente de la commission mettra l'objet à l'ordre du jour de la prochaine séance, de sa propre initiative ou sur demande de membres de la commission ou, si cela s'avère nécessaire, il ou elle devra convoquer une séance extraordinaire. Dans ce cas, la commission décide explicitement d'approuver l'application à titre provisoire ou d'y mettre son veto. Comme la question de l'application provisoire doit recevoir une réponse rapide, il est renoncé à la procédure d'élimination des divergences entre les commissions des deux Chambres. Un accord ne peut pas être appliqué si la commission d'une Chambre ne donne pas son aval.

3.2

Loi sur le Parlement

Art. 152, al. 3bis Concernant la procédure de consultation des commissions, en général, voir les ch. 2.3.2 et 2.3.3.

Contrairement à ce que prévoit la procédure de consultation selon l'art. 152, al. 3, LParl, ce ne sont pas les commissions de politique extérieure qui sont engagées comme interlocutrices directes. Le Conseil fédéral fait savoir à l'Assemblée fédérale son intention de procéder à une application provisoire. Les Bureaux, le cas échéant les présidents des conseils, attribuent la demande aux commissions compétentes de leurs conseils respectifs. S'il s'agit le plus souvent des Commissions de politique extérieure, il est possible, dans certains secteurs politiques, que d'autres commissions spécialisées soient saisies.

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4

Conséquences

4.1

Conséquences financières et sur le personnel

Le projet n'est pas pertinent en termes financiers.

4.2

Capacité d'exécution

Le système des commissions parlementaires permanentes se réunissant selon un calendrier défini a créé les conditions structurelles permettant au Conseil fédéral de requérir rapidement l'avis des commissions compétentes. Dans des cas où le temps presse, les commissions peuvent également être convoquées dans un bref délai. Par conséquent, la capacité d'action de la Confédération dans le domaine de la politique extérieure n'est aucunement restreinte.

5

Relation avec le droit international

L'art. 25 de la Convention de Vienne sur le droit en matière de traités stipule que des traités peuvent être appliqués à titre provisoire. Il ne définit en revanche pas les organes compétents, au sein des Etats parties, en matière d'application à titre provisoire. Les Etats sont donc libres de décider.

6

Bases légales

6.1

Conformité avec la Constitution et avec la loi

Voir la discussion au ch. 1.2.

6.2

Forme de l'acte

Etant donné que le présent sujet traite de questions de fond concernant les compétences d'autorités fédérales, il convient, conformément à l'art. 164, al. 1, let. g, Cst., d'édicter les dispositions sous forme d'une loi.

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