Examen des contacts des services de renseignement suisses avec l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid Rapport de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales (DCG) du 18 août 2003

2003-1959

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L'essentiel en bref Les relations entre les services de renseignement suisses et le régime de l'apartheid d'Afrique du Sud font régulièrement l'objet de controverses dans les médias et l'opinion publique. Certaines personnes ou services du Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) se voient notamment reprocher d'avoir collaboré avec l'armée sud-africaine et d'avoir contribué à son programme biologique et chimique (projet «Coast»). L'un des objectifs de ce programme secret était de fabriquer des substances ethniquement sélectives destinées à réduire la population noire. Il est reproché également aux services de renseignement du DDPS d'avoir coopéré avec l'Afrique du Sud à l'insu des autorités politiques responsables.

Au Parlement, ces questions ont fait l'objet de nombreuses interventions. La Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales a mené plusieurs enquêtes dont les résultats ont été publiés en 1993 et en 1999. Dans ses deux rapports, la délégation a décrit les contacts des services de renseignement du DDPS avec l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid. En particulier, dans son rapport de 1999, la délégation considérait sans fondement les accusations sur une possible implication de services du DDPS dans le projet «Coast».

Dans le courant de l'année 2001, de nouveaux éléments sont apparus incriminant le DDPS, et plus particulièrement le dernier chef du Groupe des renseignements, le divisionnaire Peter Regli. Lors de son procès, le général de brigade sud-africain Wouter Basson ­ ancien chef du projet «Coast» ­ a déclaré qu'il avait bénéficié de l'appui des services de renseignement suisses et du divisionnaire Regli dans le cadre du projet «Coast». D'autres sources ont aussi évoqué l'existence d'un accord secret passé entre la Suisse et l'Afrique du Sud en matière biologique et chimique.

Comme ces éléments laissaient supposer que les précédents rapports de la délégation n'étaient pas complets, celle-ci a décidé de reprendre le dossier en novembre 2001.

La délégation a mené ses investigations durant près de deux ans. Elle a entendu près d'une cinquantaine de personnes et dépouillé tous les documents auxquels elle a pu avoir accès. Elle a demandé des rapports écrits à l'administration fédérale ainsi qu'à certains gouvernements cantonaux
et à divers particuliers. La délégation ne disposant pas toujours des documents nécessaires pour établir les faits, elle a dû reconstituer certains événements d'après le souvenir que les intéressés en avaient encore.

La délégation a enquêté de manière systématique et sans parti pris. Elle a examiné chaque piste en détail, mais n'a retenu dans son rapport que les éléments qu'elle était en mesure de prouver. La délégation s'est attachée aux faits et a pris soin de se distancer des polémiques stériles et des rumeurs. Elle a dû démêler un écheveau d'informations dans lequel vérités et contrevérités se confondaient souvent. La tâche n'a pas été aisée. Si, pour quelques cas, les preuves sont évidentes et incontestables, pour d'autres, il n'y a que des présomptions ou des propos contradictoires. Pour

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certains événements, il est vraisemblable que la lumière ne pourra sans doute jamais être entièrement faite car pour un bon nombre d'entre eux, il n'existe tout simplement aucun document ou, si ces documents ont existé, ils ont été détruits.

La délégation a exploité toutes les sources d'informations disponibles en Suisse.

Elle n'a en revanche pas été autorisée à effectuer des recherches en Afrique du Sud.

En effet, la demande officielle que la délégation a fait parvenir au gouvernement sud-africain s'est heurtée à une fin de non-recevoir de la part du président Thabo Mbeki. Ce dernier a estimé que les investigations de la délégation relatives au passé n'étaient pas dans l'intérêt de son pays et qu'elles seraient notamment contraires au souhait du gouvernement sud-africain de se concentrer sur l'avenir.

Le présent rapport donne une image aussi précise que possible du rôle joué depuis la fin des années 70 par les services de renseignement suisses en relation avec l'Afrique du Sud. Il apporte une réponse définitive aux multiples reproches dont certaines personnes et services ont fait l'objet.

Les premiers contacts réguliers entre les services de renseignement suisses et l'Afrique du Sud remontent à 1977. Entre 1977 et fin 2001, plus de 100 échanges ont eu lieu alternativement en Suisse et en Afrique du Sud. Près de la moitié des rencontres se sont déroulées entre 1977 et 1991, à une époque où l'Afrique du Sud connaissait un régime de discrimination raciale. Les services de renseignement ont également entretenu des relations avec des représentants de l'UNITA à un moment où ce mouvement de rébellion angolais, soutenu par l'Afrique du Sud, était en lutte ouverte contre le gouvernement officiel de l'Angola.

Il n'est pas possible aujourd'hui de savoir avec certitude si les contacts des services de renseignement avec le régime de Pretoria avaient reçu l'aval du chef du département responsable ou du Conseil fédéral. La délégation a trouvé deux cas, en 1986 et 1987, où le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) était intervenu formellement auprès du chef du DDPS pour inviter ce département à faire preuve de retenue à l'égard de l'Afrique du Sud. Ces interventions n'ont toutefois pas été suivies d'effets. Ni le DDPS, ni le DFAE n'ont ressenti le besoin de porter la question devant le Conseil
fédéral. Dans ces circonstances, les services de renseignement du DDPS ont eu tout loisir de développer avec l'Afrique du Sud une sorte de diplomatie parallèle et discrète qui échappait de fait à tout contrôle politique.

Les services de renseignement ont fait preuve vis-à-vis du régime de Pretoria d'une attitude peu critique, voire, parfois, bienveillante. Le vif intérêt porté par les militaires suisses pour l'Afrique du Sud a d'ailleurs certainement constitué un gage de respectabilité pour le régime en place. L'attitude des services de renseignement suisses était pourtant en opposition complète avec la politique officielle défendue par le Conseil fédéral. En effet, dès la fin des années 60, le Conseil fédéral a condamné régulièrement le système de ségrégation raciale en Afrique du Sud. Il est vrai que, sur le plan militaire, l'Afrique du Sud était une source importante de renseignements. Du fait de son engagement en Angola, en Namibie et au Mozambique contre des forces équipées par l'Union soviétique, l'Afrique du Sud disposait d'informations sur les armes et méthodes des pays du bloc de l'Est. Dans le contexte de la guerre froide, les services de renseignement jugeaient que ces informations

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étaient indispensables à la préparation de l'armée suisse, quitte à devoir s'écarter si nécessaire de la ligne officielle. Pour les services de renseignement, la lutte contre les régimes communistes constituait alors la priorité; toute autre considération, notamment en matière de politique étrangère ou des droits de l'homme, devait lui céder le pas.

La délégation estime que les contacts entretenus par les services de renseignement suisses avec l'Afrique du Sud étaient affaire de circonstances. Ils pouvaient paraître légitimes dans le contexte de la guerre froide, mais cette collaboration était très critiquable sous l'angle de la politique de neutralité et de la politique étrangère de la Suisse. A cet égard, il est frappant de constater que, au début des années 80, la Suisse était le seul Etat européen ayant un attaché de défense sud-africain accrédité à Berne. À la suite des diverses résolutions de l'ONU, tous les autres pays européens avaient refusé d'accréditer ou avaient retiré l'accréditation des attachés de défense sud-africains.

Pour la délégation, il aurait dû appartenir au Conseil fédéral de juger de la légitimité militaire des contacts avec l'Afrique du Sud ainsi que de leur opportunité politique. Ces questions ont très largement été laissées à l'appréciation des services de renseignement qui ont fait prévaloir la logique militaire sur celle des autorités politiques.

La délégation s'est également interrogée sur la nécessité, pour des services de renseignement, de collaborer avec d'autres services à l'étranger. En règle générale, de tels contacts peuvent être profitables, notamment lorsqu'ils permettent à notre pays de disposer d'informations qu'il ne serait pas en mesure de recueillir luimême. Il faut toutefois encore que ces informations soient utiles à la politique de sécurité de la Suisse et que les contacts s'inscrivent dans le cadre de la politique étrangère de la Confédération. Dans le cas des contacts avec l'Afrique du Sud, indépendamment de la question de leur opportunité politique, il est difficile d'apprécier aujourd'hui l'utilité des échanges avec le régime de l'apartheid. De manière générale, la délégation a pu constater que les informations récoltées lors des contacts avec l'Afrique du Sud présentaient un faible intérêt au vu de l'importance des moyens engagés et des risques
politiques encourus. Outre la louable ambition de récolter des informations sur le glacis soviétique, les contacts avec l'Afrique du Sud s'expliquent aussi en partie par des motifs de convenance personnelle.

La délégation n'a trouvé aucun indice confirmant l'existence d'un accord secret, oral ou écrit, entre les services de renseignement suisses et l'Afrique du Sud en matière biologique et chimique. Le seul accord secret entre la Suisse et l'Afrique du Sud consiste en une convention de protection des informations comme il en existe avec de nombreux autres pays. Cet accord, daté de 1983, a permis à la Suisse d'échanger des informations avec l'Afrique du Sud concernant les avions de type Mirage. Il a été conclu à un échelon technique et n'a été approuvé ni par le département, ni par le Conseil fédéral. Sur le plan juridique, cet accord était compatible avec les embargos décidés par le Conseil fédéral en 1963 et par l'ONU en 1977. La délégation est en revanche d'avis que les informations données par la Suisse à

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l'Afrique du Sud sur les Mirage étaient problématiques sous l'angle de la politique de neutralité et de la politique étrangère.

La délégation n'a pas découvert le moindre élément de preuve accréditant l'hypothèse d'une quelconque implication du divisionnaire Regli ou de services de la Confédération dans la mise en place du programme biologique et chimique sudafricain (projet «Coast»). Aucun employé, ni service de la Confédération n'a davantage été impliqué dans la réalisation d'autres actes ayant entraîné ou contribué à la violation des droits de l'homme en Afrique du Sud. S'il est indiscutable que le divisionnaire Regli a reçu au moins une fois la visite du général Basson, la délégation n'a pas trouvé les preuves d'autres contacts. D'ailleurs, quelqu'ait pu être le nombre de ces rencontres, la délégation a acquis l'intime conviction que le divisionnaire Regli n'a jamais eu connaissance des activités secrètes du général Basson avant que ces dernières ne soient dénoncées par la Commission sud-africaine Vérité et Réconciliation. Les accusations portées par le général Basson lors de son procès à l'encontre des services de renseignement suisses, en général, et du divisionnaire Regli, en particulier, apparaissent sans fondement.

Le divisionnaire Regli a fait preuve de trop de confiance en son ancien camarade de service, Jürg Jacomet (décédé en 1998). Cet homme d'affaires et marchand d'armes disposait apparemment de contacts en Afrique australe, dans les Balkans et dans certains pays de l'Est qu'il a mis à disposition de Peter Regli. Quant bien même le divisionnaire Regli a été mis en garde plusieurs fois par diverses personnes sur le caractère douteux des affaires de Jürg Jacomet, il a continué à entretenir des rapports réguliers avec lui jusqu' en 1993. Il est aussi établi que Jürg Jacomet a eu de nombreux contacts avec le général Basson et que c'est à l'instigation de Jacomet que le divisionnaire Regli a accepté de rencontrer Wouter Basson.

Pour la délégation, les relations du divisionnaire Regli avec Jürg Jacomet étaient incompatibles avec la fonction de chef d'un service de renseignement. Tout porte à croire que l'opportunisme de Jürg Jacomet, d'une part, et l'intérêt de Peter Regli à disposer de ses propres sources de renseignement, d'autre part, se sont admirablement complétés durant plusieurs
années. Selon la délégation, le divisionnaire Regli a fait preuve d'une confiance totalement incompréhensible à l'égard de Jürg Jacomet. Cette attitude complaisante a aussi contribué pour une large part à nourrir la rumeur d'une possible implication des services de renseignement suisses dans des affaires qui leur étaient totalement étrangères.

Si la délégation reproche à Peter Regli d'avoir fait preuve de légèreté et d'imprudence en conservant, en tant que chef d'un service de renseignement, des relations ­ mêmes occasionnelles ­ avec une personne dont les activités paraissaient douteuses, rien en l'état ne permet pour autant de douter de sa probité.

La délégation a également constaté que le divisionnaire Regli a biaisé sur beaucoup de questions ou fait preuve d'omissions lors des précédentes enquêtes de la délégation. Cela a notamment été le cas en ce qui concerne l'acquisition, par le Groupe des renseignements, de deux missiles sol-air SA-18 de fabrication soviétique. En effet, le divisionnaire Regli a omis, en 1993, d'informer la délégation de cette acquisition problématique, alors qu'il en avait reçu l'ordre formel du chef du départe-

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ment et du chef de l'Etat-major général. Dans cette affaire, le divisionnaire Regli a d'ailleurs joué un rôle important qu'il a cherché à minimiser par la suite. Le divisionnaire Regli a également caché à la délégation les relations que les services de renseignement ont entretenues avec l'UNITA angolaise.

Les relations entre les services de renseignement et le régime de l'apartheid d'Afrique du Sud ont occupé, ces dix dernières années, les organes de surveillance parlementaire; elles ont grevé le fonctionnement des services de renseignement et porté atteinte à la réputation de notre pays. S'il est manifeste que des erreurs ont été commises dans les années 80 et 90, elles sont sans commune mesure avec les accusations, parfois diffamatoires, qui ont été portées contre certaines personnes et notamment contre le divisionnaire Regli.

La délégation est d'avis qu'elle a examiné l'ensemble des informations disponibles en Suisse. Ses constats et recommandations sont présentés de manière détaillée dans le présent rapport. Pour la délégation, il est temps maintenant de clore définitivement le chapitre des relations entre les services de renseignement suisses et le régime de l'apartheid d'Afrique du Sud.

Pour la délégation, les enseignements de cette affaire ont déjà été largement tirés.

Le contrôle politique et parlementaire sur les services de renseignement a été considérablement développé. À l'heure actuelle, les activités des services de renseignement sont alignées sur les principes de la politique étrangère du Conseil fédéral. Ce dernier doit approuver tout contact régulier des services de renseignement avec l'étranger.

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Rapport 1

Situation initiale

Les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid sont un sujet qui revient de manière récurrente, sous une forme ou une autre, sur le devant de la scène politique et médiatique.

Ces relations ont fait l'objet de plusieurs interventions parlementaires et ont donné lieu à bon nombre de rapports dans l'administration.

La Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales (DCG) s'est également penchée sur cette question à de nombreuses reprises, notamment en 1993, 1997 et 1999. Dans ses rapports, elle a décrit les contacts que certains services du Département militaire fédéral (aujourd'hui Département de la défense, de la protection de la population et des sports [DDPS]) avaient entretenus avec l'Afrique du Sud à un moment où le régime de ce pays avait été placé au ban de la communauté internationale.

Dans le courant de l'année 2001, de nouveaux éléments sont apparus en Afrique du Sud, incriminant de nouveau le DDPS, et plus particulièrement le Groupe des renseignements et son ancien chef, le divisionnaire Peter Regli. Certains de ces points laissaient supposer que les précédents rapports de la délégation n'étaient pas complets et que quelques personnes interrogées par la DCG dans les années 90 n'avaient pas dit tout ce qu'elles savaient sur la question. C'est pourquoi la délégation a décidé, lors de sa séance du 12 novembre 2001, de reprendre le dossier.

Le présent rapport a pour but de permettre à la DCG de compléter ses précédentes investigations et de vérifier certains propos de personnes qu'elle a entendues en 1997 et 1999. Elle veut, d'une part, établir les faits de manière aussi précise et définitive que possible et, d'autre part, porter une appréciation politique sur le rôle des services de renseignement suisses dans le cadre des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid.

Le présent rapport s'inscrit dans la volonté de la DCG d'assurer le contrôle des activités de l'administration, et plus particulièrement celles dans le domaine du renseignement, au moyen de la transparence.

2

Enquêtes précédentes au sujet des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud

2.1

Interventions parlementaires et enquêtes internes à l'administration

En mars 1997, dans le contexte des discussions autour de la relecture du passé de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale, une question parlementaire1 a été déposée au sujet des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud à l'époque du régime de 1

97.1031 Question ordinaire. Relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid. Investigation, du 20 mars 1997 (BO 1997 N 2331).

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l'apartheid. Dans sa réponse du 29 septembre 19972, le Conseil fédéral précisait qu'il était d'avis que l'ouverture, à la demande de la Confédération, d'une étude historique sur les relations de la Suisse avec le régime d'apartheid en Afrique du Sud ne répondait à aucune nécessité. Les faits étaient suffisamment avérés. Dans ses réponses à de nombreuses interventions parlementaires, dans le message sur l'adhésion à la Suisse à l'ONU du 21 décembre 1981 ainsi que dans sa déclaration du 22 septembre 1986, le Conseil fédéral avait déjà retracé en détail les contours de la politique de la Suisse à l'égard de l'Afrique du Sud, mais il estimait aussi que ces faits méritaient d'être assortis d'une appréciation dans la perspective qui prévaut aujourd'hui.

Les contacts des services de renseignement suisses avec l'Afrique du Sud sont revenus sur l'avant-scène de l'actualité le 29 octobre 1998 lors de la publication du rapport final de la commission sud-africaine «Vérité et Réconciliation» (Truth & Reconciliation Commission [TCR]) et le 4 octobre 1999 lors de l'ouverture, devant la Haute Cour de Pretoria, du procès du général de brigade Wouter Basson, l'ancien chef du projet secret «Coast»3 de l'armée sud-africaine. À ce propos également, la question des rapports entretenus par les services de renseignement suisses4, en particulier par son chef, le divisionnaire Peter Regli, avec des instances étatiques du régime sud-africain, a également été soulevée par les médias.

Le 3 mars 1999, le Conseil national rejetait une initiative parlementaire5 qui demandait une étude historique des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud dans les années 1948 à 1994. Parallèlement, il transmettait un postulat6 demandant de lancer, dans le cadre des programmes nationaux de recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique, un projet visant à étudier les relations politiques et économiques de la Suisse avec l'Afrique du Sud au cours des années 1948 à 1994.

Le 19 mai 1999, en réponse à diverses interpellations du mois de mars 19997, le Conseil fédéral annonçait que le chef du DDPS avait ordonné une enquête destinée à clarifier les relations générales que les services de renseignement suisses ont entretenues avec l'Afrique du Sud et d'autres pays. Ce rapport a été rédigé par le Groupe 2

3

4

5 6 7

Réponse du Conseil fédéral du 29 septembre 1997 à la question ordinaire 97.1031.

Relation entre la Suisse et l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid. Investigation, du 20 mars 1997 (BO 1997 N 2332).

Au cours de ses investigations, la Commission vérité et réconciliation a constaté que l'armée sud-africaine avait lancé un projet secret en 1982 dans le but de pouvoir mener une guerre biologique et chimique, défensive et ­ de manière limitée ­ offensive. Ce projet, dont le nom de code était «Coast», ressortissait formellement à la responsabilité du général Niel Knobel, le général des affaires sanitaires de l'armée sud-africaine. La direction du projet était cependant assumée par Wouter Basson qui, en tant que directeur exécutif, disposait d'une très grande autonomie en ce qui concerne l'organisation et les modalités du projet (à ce sujet, voir le chap. 9).

Le terme «renseignement» couvre tout ce qui permet à la Confédération de collecter et d'exploiter systématiquement des informations sur les pays étrangers afin de garantir la sûreté extérieure de la Suisse. Voir le ch. 4.3 pour ce qui est de l'organisation des services de renseignements.

98.412 Initiative parlementaire. Relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud dans les années 1948­1994, du 20 mars 1998 (BO 1999 N 94).

99.3002 Postulat. Examen des relations politiques et économiques de la Suisse avec l'Afrique du Sud au cours des années 1948­1994, du 25 janvier 1999 (BO 1999 N 100).

Réponse écrite du Conseil fédéral du 19 mai 1999 à l'interpellation 99.3097. Renseignements militaires auprès de l'Afrique du Sud, du 17 mars 1999 (BO 1999 E 453).

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des renseignements. Il a été remis au chef du DDPS le 6 juin 1999; il est classé secret (voir ch. 6.2).

Depuis 1963, le Conseil fédéral a déjà répondu à 150 interventions parlementaires portant sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud. Le 23 juin 1999, alors que de nouvelles questions étaient posées à ce sujet, tant par le public que par le Parlement, il répondait8 à une nouvelle question ordinaire9 et indiquait que, le 8 mars 1999, il avait institué un groupe de travail interdépartemental chargé de rechercher au sein des départements les informations qui existent encore sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud durant les années critiques et de déterminer le contexte juridique et politique à l'époque des diverses mesures en question.

Il avait souligné que seuls les résultats de ces recherches permettraient d'une part de dire s'il est encore nécessaire de continuer ces recherches et, le cas échéant, dans quels domaines et, d'autre part, de se rendre compte de la nécessité d'aborder d'autres problématiques spécifiques et de déterminer les conséquences à en tirer. La publication du rapport du groupe de travail a été approuvée par le Conseil fédéral le 1er octobre 1999; il porte sur les relations générales entre la Suisse et l'Afrique du Sud et exclut délibérément les relations spécifiques du Groupe des renseignements suisse avec des services et des personnes d'Afrique du Sud (voir ch. 5.2).

En mai 2000, le Conseil fédéral chargeait le Fonds national suisse de la recherche scientifique de consacrer un module supplémentaire aux relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud (PNR 42+). Programmée sur trois ans, cette analyse scientifique devra retracer le profil de la politique extérieure de la Suisse et de son commerce extérieur avec l'Afrique du Sud à l'époque récente. Ces travaux ne sont pas encore achevés si bien que la DCG n'a pas pu en tenir compte à l'occasion de son examen.

2.2

Enquêtes précédentes de la DCG

Dans le cadre de ses compétences, la DCG s'est déjà penchée sur certains aspects des relations de la Suisse avec l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Elle a notamment procédé à trois enquêtes dans le domaine de la coopération militaire.

2.2.1

Echanges de pilotes avec l'Afrique du Sud (1993)

Dans son rapport du 28 septembre 199310, la DCG parvenait à la conclusion que les échanges de pilotes militaires de carrière qui ont eu lieu entre la Suisse et l'Afrique du Sud de 1983 à 1988 répondaient à des besoins militaires et que la Confédération n'avait pas violé le droit en matière de neutralité, ni aucune autre obligation de droit international. Toutefois, la DCG y constatait que ces échanges n'avaient pas respecté la primauté des objectifs politiques sur les objectifs militaires étant donné qu'ils ont 8

9 10

Réponse du Conseil fédéral du 23 juin 1999 à la question ordinaire 99.1054. Investigations sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud. Questions politiques, du 21 avril 1999 (BO 1999 N 1651).

99.1054 Question ordinaire. Investigations sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud. Questions politiques, 21 avril 1999 (BO 1999 N 1651).

Echanges de pilotes avec l'Afrique du Sud. Rapport sur l'enquête de la Délégation des commissions de gestion du 28 septembre 1993 (FF 1994 I 89).

2109

été cachés au chef du département concerné en toute connaissance de la sensibilité politique de l'opération. La délégation estimait que, fondamentalement, les mesures prises par le Département militaire fédéral (DMF; aujourd'hui le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, DDPS) entre le moment des faits et la publication de son rapport ­ création d'un poste de rapporteur du chef du département pour les services de renseignement (aujourd'hui: rapporteur du chef du département pour les tâches spéciales), d'un inspectorat et d'un organe de direction à l'échelon du département ­ constituaient un bon point de départ11. La DCG demandait toutefois des mesures supplémentaires afin de garantir une direction et un contrôle plus efficace des opérations du Groupe des renseignements, ces opérations étant souvent délicates sur le plan politique.

2.2.2

Prétendue participation lors de l'acquisition d'armes chimiques (1997)

En 1997, à la suite d'articles de presse publiés au sujet d'une prétendue participation d'un agent des services de renseignement suisses à l'acquisition d'armes chimiques par l'Afrique du Sud, la DCG se penchait sur les rumeurs de contacts présumés entre les services de renseignement suisses et l'Afrique du Sud. Le 11 novembre 1997, dans un communiqué de presse, elle rendait compte des résultats de son enquête.

Elle constatait que «des renseignements crédibles ont mis en évidence que ces soupçons étaient non fondés. La délégation ne voit donc aucune nécessité d'agir dans le cadre de la haute surveillance parlementaire.»12

2.2.3

Le rôle des services de renseignement suisses (1999)

En 1999 déjà, la DCG procédait à un premier examen des rapports entre les services de renseignement suisses avec l'ancien régime de l'apartheid en Afrique du Sud. Les investigations réalisées dans ce cadre portaient sur les rapports entre le renseignement suisse et l'Afrique du Sud en général et, en particulier, sur une possible participation de la Suisse au développement d'un programme d'armement biologique et chimique du régime de l'apartheid sud-africain à la fin des années 80 et au début des années 90. Dans son rapport du 12 novembre 199313, la DCG avait constaté qu'aucun indice ne permettait de penser que la collaboration de l'époque aurait eu lieu de manière illégale ou en violation d'instructions existantes. En outre, le reproche fait par les médias selon lequel le Groupe des renseignements, et notamment son chef le divisionnaire Peter Regli, auraient contribué au projet secret d'armes biologiques et chimiques en Afrique du Sud s'était avéré sans fondement. En revanche, la DCG y critiquait le fait que, à une époque non dépourvue de dangers, le Groupe des 11

12 13

À ce sujet, voir également le rapport final de la Délégation des commissions de gestion sur l'entraînement des pilotes à l'étranger durant la période 1993­2000, du 15 septembre 2002 (FF 2001 104).

Communiqué de presse de la Délégation des commissions de gestion du 11 novembre 1997.

Le rôle des Services de renseignements suisses dans le cadre des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud. Rapport de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales du 12 novembre 1999 (FF 2000 505).

2110

renseignements avait pu agir dans un domaine aussi sensible que celui du renseignement sans recevoir de directives et sans être soumis à une quelconque direction de la part des autorités politiquement responsables. Le rôle d'un officier de milice de l'armée suisse et marchand d'armes, Jürg Jacomet, était également apparu comme problématique. Pendant des années, celui-ci s'est en effet fait passer, sans en être empêché, pour un collaborateur des services de renseignement. Finalement, la DCG soulignait encore que le Laboratoire AC de Spiez s'était comporté de manière très réservée, voire exemplaire, face aux tentatives des milieux sud-africains d'obtenir des résultats de travaux de recherche suisses. Selon la DCG, il ne saurait être question d'une participation active ou même passive de la Suisse à un projet secret d'armement sud-africain.

En se fondant sur les résultats de ses investigations, la DCG présentait également un certain nombre de recommandations dans son rapport de novembre 1999. Celles-ci portaient essentiellement sur la primauté du politique dans le domaine du renseignement, sur la réorganisation de l'acquisition des renseignements, sur le recours à des informateurs et des collaborateurs informels ainsi que la mise en oeuvre de la loi sur l'archivage pour les dossiers du renseignement.

Des extraits des résultats des travaux de la DCG et ses recommandations sont reproduits à l'annexe 5.

3

Nouvelles investigations entreprises par la DCG

3.1

Motifs à l'origine des nouvelles investigations entreprises par la DCG

Au cours du procès contre Wouter Basson qui s'est ouvert en Afrique du Sud fin juillet 2001, le rôle des services de renseignement suisses a de nouveau été évoqué.

La DCG a donc été contrainte de vérifier si les investigations auxquelles elle avait procédé en 1999 lui avaient permis de cerner ce rôle dans son intégralité et si, le cas échéant, elle devait élargir les bases de ses travaux. Le 12 novembre 2001, elle a donc décidé de reprendre ses investigations.

Une initiative parlementaire avait déjà été déposée au Conseil national le 4 octobre 2001 pour demander la création d'une commission d'enquête parlementaire (CEP) chargée de faire la lumière sur la nature et les modalités des rapports entre les services de renseignement suisses et les services secrets d'Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Le 18 mars 2002, en raison de l'enquête de la DCG qui était en cours, le Conseil national a décidé de ne pas donner suite à l'initiative.14 En novembre 2001, indépendamment des investigations de la DCG, le chef du DDPS avait également ordonné une enquête administrative. Le mandat correspondant à été octroyé à un chargé d'enquête externe à l'administration en février 2002 et le rapport final de son enquête a été publié le 20 décembre 2002. En juin 1999, le Ministère public de la Confédération avait ouvert une enquête contre inconnu pour infraction présumée, entre autres à la loi sur le contrôle des biens et à la loi sur le matériel de guerre. Entre-temps, l'enquête de police judiciaire a également été 14

01.448 Initiative parlementaire. Services de renseignement et apartheid. Création de commissions d'enquête parlementaires, du 4 octobre 2001 (BO 2002 N 310).

2111

close; l'enquête préliminaire est en instance devant le juge d'instruction fédéral depuis le 8 janvier 2003.

Alors qu'il n'y a pas eu de problèmes avec la procédure d'enquête du Ministère public de la Confédération, la DCG a été confrontée à de sérieuses difficultés découlant de l'enquête administrative que le DDPS a effectuée simultanément. Pour pouvoir faire le point sur ces entraves et dans le but de créer un meilleur environnement pour de futures enquêtes, la DCG a décidé de scinder son compte-rendu. Alors que le présent rapport est consacré aux rapports que les services de renseignement suisses ont entretenu avec l'Afrique du Sud, la DCG met la dernière main à un second rapport consacré à la problématique générale de la délimitation des enquêtes de la DCG par rapport aux enquêtes administratives internes, et ce à la lumière des expériences faites lors de la présente enquête.

3.2

Compétences de la DCG

La Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales «a pour mandat d'examiner régulièrement en détail les activités dans le domaine de la sécurité de l'Etat et du renseignement.»15 Pour pouvoir assumer cette tâche, la DCG a le droit «après avoir entendu le Conseil fédéral [...] d'exiger que des autorités fédérales et cantonales et des particuliers lui remettent des documents et elle a le droit d'interroger des fonctionnaires fédéraux et des particuliers à titre de personnes tenues à renseigner ou de témoins sans prendre en considération le secret de fonction ou le secret militaire. De plus, elle peut interroger des fonctionnaires cantonaux à titre de personnes tenues de renseigner.»16 Pour les agents de la Confédération, l'obligation de renseigner est réglementée par les «instructions réglant la communication de renseignements, l'autorisation de consulter des documents et la remise de documents, à la demande de membres des conseils législatifs, de commissions parlementaires ou de services du Parlement» du 29 octobre 197517 et les «instructions concernant le respect des dispositions sur le secret de fonction et le secret militaire dans les rapports avec la Délégation des commissions de gestion» du 16 octobre 199618. Le Conseil fédéral ne peut protéger que les «données émanant d'autorités étrangères».19

15 16 17 18 19

Art. 47quinquies, al. 2, de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC).

Art. 47quinquies, al. 4, LREC.

FF 1975 II 2158.

FF 1996 IV 1324.

Art. 47quinquies, al. 4, LREC. La réserve relative à la protection de la source de données émanant d'autorités étrangères a été tracée dans la nouvelle loi sur l'Assemblée fédérale du 13 décembre 2002 (loi sur le Parlement, LParl) pour mettre ce texte en conformité avec l'art. 169, al. 2, de la Constitution fédérale (Cst.). La nouvelle loi sur le Parlement entrera probablement en vigueur en décembre 2003.

2112

3.3

Limitation du champ de l'enquête

La DCG doit régulièrement examiner en détail les activités dans le domaine de la sécurité de l'Etat et du renseignement. Son contrôle porte uniquement sur les services de la Confédération actifs dans le domaine du renseignement ainsi que sur les mesures prises par les départements responsables et le Conseil fédéral pour diriger et surveiller ces services.

Dans le cadre de ses investigations, la DCG n'a donc examiné ni l'ensemble des relations complexes de la Suisse avec le régime de l'apartheid, ni les questions en rapport avec les activités économiques d'entreprises ou de particuliers suisses en Afrique du Sud. Ses travaux visaient exclusivement à clarifier, dans la mesure du possible, et à apprécier les contacts et le comportement des services de renseignement suisses et de leurs collaborateurs. Il n'a en revanche jamais été question d'étendre les investigations à toutes les institutions ou personnes qui ont eu, d'une manière ou d'une autre, des contacts avec l'Afrique du Sud. Dans la mesure où il n'a aucun lien apparent avec le renseignement suisse ou ses représentants, la DCG n'a pas entrepris d'examen plus approfondi du comportement des sociétés ou des personnes privées, même si les médias les ont mentionnées dans le contexte des relations avec l'Afrique du Sud.

Les nouveaux éléments consécutifs au procès contre Wouter Basson ont été l'un des facteurs déterminants de la reprise des investigations par la DCG. Ce procès a été ouvert le 4 octobre 1999 en Afrique du Sud. Il s'est achevé le 11 avril 2002 avec l'acquittement de Wouter Basson en première instance. L'affaire a été définitivement close avec le rejet de la demande de révision du procès du 3 juin 2003 (voir également le ch. 10.2). La DCG a suivi ce procès avec une attention soutenue, et cela plus particulièrement pour ce qui est de ses aspects qui concernent la Suisse.

Respectant la souveraineté nationale de l'Afrique du Sud et de ses instances judiciaires, la DCG ne se permettrait pas de commenter la décision de la Haute Cour de Pretoria ou d'émettre une appréciation quant à son contenu. C'est d'ailleurs pour cette même raison que la DCG s'abstient également de toute appréciation des infractions pour lesquelles Wouter Basson a été poursuivi en Afrique du Sud.

3.4

Approche méthodique

Pour la DCG, il était essentiel que ses investigations relatives aux relations Suisse ­ Afrique du Sud soient les plus larges possibles. Il s'agissait de se pencher en détail non seulement sur tous les faits, mais encore d'examiner jusqu'aux simples présomptions. Dans ce but, la DCG a commencé par faire un état des lieux des divers bruits et allégations qui circulaient sur le rôle que les services de renseignement suisses auraient joué en Afrique du Sud. Dans ce but, elle a tout d'abord entendu divers journalistes qui avaient récemment traité le sujet. Sur la base des résultats de ces auditions et des autres investigations qu'elle avait également menées entretemps, la DCG a procédé à la mise à jour de l'objet à examiner en janvier 2002 avant d'adopter le concept détaillé de son enquête.

Le cercle des personnes devant être entendues a ensuite été défini, de volumineux catalogues de questions ont été élaborés et des requêtes de remise de pièces ont été établies à l'intention de divers départements fédéraux et gouvernements cantonaux.

2113

Ainsi, les demandes adressées au seul DDPS concernaient 50 problématiques spécifiques et comportaient un grand nombre de questions détaillées. Au cours des travaux, le concept d'enquête a constamment été adapté en fonction des résultats obtenus. Des personnes supplémentaires ont été entendues et des prises de position complémentaires ont été demandées.

Il appartient à la DCG d'une part de faire la lumière sur les faits et d'autre part de les apprécier dans une perspective politique. Pour ce qui est des faits incontestés, le présent rapport se limite à les présenter de manière descriptive. En revanche, lorsque les faits sont controversés, la DCG prend tout d'abord position sur les déclarations peu claires ou contestées et les apprécie en fonction des preuves disponibles. Seule cette manière de procéder permet ensuite de les évaluer d'un point de vue politique.

3.4.1

Auditions et documents consultés

Au cours de son enquête, la DCG a siégé durant 30 jours de séance. Elle a entendu 46 personnes ­ certaines à plusieurs reprises ­ et a consulté de nombreux documents en provenance de divers services. La liste des personnes entendues et celle des documents consultés ont été annexées au présent rapport (respectivement annexe 1 et annexe 2).

3.4.2

Rapports officiels

En mars 2002, la DCG s'est adressée au DDPS et lui a transmis un volumineux catalogue de questions (comportant des questions détaillées sur les services de renseignement, le Protocole militaire, l'Office fédéral du matériel d'armée et des constructions, le commandement des Forces aériennes et le Groupe des affaires sanitaires). Elle a également demandé au Département fédéral de justice et police (DFJP: Ministère public de la Confédération et Office fédéral de la police), au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), au Département fédéral de l'économie (DFE) ainsi qu'aux gouvernements des cantons de Zurich et Thurgovie de répondre à de nombreuses questions. Les départements et les gouvernements cantonaux concernés ont répondu par écrit aux questions qui leur étaient soumises et ont transmis les documents demandés ­ dans la mesure où ceux-ci étaient disponibles ­ à la DCG dans le courant du mois d'avril 2002. À diverses reprises, il a encore été nécessaire de leur demander des précisions ou des prises de position complémentaires.

En plus de ses investigations, la DCG s'est également référée à divers rapports établis précédemment ou spécialement commandés dans ce but. La liste détaillée de ces rapports figure à l'annexe 3.

3.4.3

Avis de droit

Au mois de novembre 2002, la DCG a demandé à l'Office fédéral de la justice (OFJ) de lui présenter un avis de droit sur le champ d'application et la fonction de l'enquête administrative. L'OFJ a remis son avis de droit le 19 décembre 2002.

2114

L'analyse de cet avis de droit dépasse le cadre du présent rapport, raison pour laquelle le lecteur intéressé est renvoyé à la Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération (JAAC) où il sera prochainement publié.

3.4.4

Investigations sur le territoire sud-africain

En février 2002, la DCG a prié le Conseil fédéral d'examiner la possibilité de procéder à des investigations en Afrique du Sud et, le cas échéant, d'intervenir auprès des autorités sud-africaines. Dans sa première réponse de mars 2002, le Conseil fédéral s'est limité à prendre position sur la question de l'opportunité politique, tant intérieure qu'extérieure, d'une telle démarche. La DCG s'est ensuite approchée de représentants du DFAE pour se renseigner sur la procédure opportune. En juin 2002, la DCG a décrit l'objet et la procédure de l'enquête et a établi, à l'attention des autorités sud-africaines, la liste des auditions auxquelles elle souhaitait procéder. Le DFAE leur a immédiatement transmis la demande de la DCG. Par l'entremise de l'ambassade de Suisse à Pretoria, le DFAE s'est par la suite renseigné plusieurs fois à ce sujet auprès des instances sud-africaines. Les négociations correspondantes se sont révélées particulièrement difficiles. Cela découle principalement du fait que, contrairement aux procédures pénales de la Confédération et des cantons, il n'y a pas de conventions formelles en matière d'entraide internationale dans le domaine des enquêtes parlementaires et qu'il aurait fallu trouver une solution ad hoc. En complément, la présidente du Conseil national a profité de sa visite officielle d'octobre 2002 en Afrique du Sud pour donner plus de poids à la demande de la DCG à l'occasion de ses contacts avec les autorités sud-africaines. En juin 2003, lors de sa visite officielle en Suisse, le président sud-africain Thabo Mbeki a finalement déclaré que les investigations auxquelles la DCG aimerait procéder en Afrique du Sud ne sont pas de l'intérêt de son pays. Elles seraient d'une part susceptibles de créer un précédent pour d'éventuelles demandes similaires d'autres pays. D'autre part, de telles investigations seraient contraires au souhait du gouvernement sudafricain qui ne veut plus s'occuper du passé, mais se concentrer sur l'avenir. Le président sud-africain a en outre rappelé que son pays est seul juge du rétablissement de la vérité sur le passé de l'Afrique du Sud, que la Commission Vérité et Réconciliation a été instituée dans ce but et qu'elle a rendu son rapport.

Pour la DCG, il aurait été fort souhaitable qu'elle puisse mener des investigations directes en Afrique du
Sud. Cela aurait permis certainement d'apporter un meilleur éclairage sur le dossier. Cela étant, la CDG n'a pas d'autre choix que d'accepter le point de vue du gouvernement sud-africain.

3.4.5

Recours à un expert

Pour l'appuyer dans ses investigations et préparer la publication des résultats de l'enquête dans le cadre du présent rapport, la DCG a fait appel à un expert externe. Il s'agit de Niklaus Oberholzer, Dr en droit, juge cantonal, président de la Chambre d'accusation du canton de Saint-Gall et chargé de cours de l'Université de SaintGall.

2115

3.4.6

Adoption du rapport

La DCG a discuté les résultats de son enquête au fur et à mesure de ses travaux. Elle a adopté le projet de rapport le 23 juin 2003 et l'a transmis au Conseil fédéral pour avis le 24 juin 2003.20 Le Conseil fédéral s'est prononcé à ce sujet le 2 juillet 2003.

Le rapport final a également été discuté avec une délégation du Conseil fédéral le 18 août 2003.

La DCG a en particulier accordé à Peter Regli le droit d'être entendu.

Le présent rapport final tient compte de l'avis du Conseil fédéral et des remarques émises par Peter Regli dans une mesure appropriée.

La DCG a achevé ses travaux le 18 août 2003. Elle a adopté le rapport à l'attention des commissions plénières.

Les commissions de gestion des Chambres fédérales ont pris connaissance du rapport de la DCG le 25 août 2003. Elles ont décidé de le publier.

4

Mission générale et organisation du renseignement au sein du DMF/DDPS

4.1

Remarque préliminaire

Dans son rapport du 17 novembre 199021, la CEP DMF avait déjà pris position au sujet de la mission, de l'organisation et des activités du Groupe renseignements et sécurité (GRS) de l'époque. Même si le renseignement a été réorganisé depuis lors, le rapport a gardé une partie de son actualité, principalement en ce qui concerne les objectifs relatifs aux tâches devant être assumées par les services de renseignement, aux méthodes d'acquisition des renseignements, aux sources d'information et à la collaboration avec des tiers. Le présent rapport n'entre donc en matière sur des questions de nature générale que dans la mesure où celles-ci ont un rapport ­ au moins indirect ­ avec son objet d'examen, c'est-à-dire l'Afrique du Sud.

4.2

Bases légales

L'art. 99 de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire (LAAM) constitue la base légale du renseignement22: 1

Le service de renseignement a pour tâche de rechercher, d'évaluer et de diffuser des informations sur l'étranger importantes en matière de politique de sécurité.

2 Il est habilité à traiter, le cas échéant à l'insu des personnes concernées, des données personnelles, y compris des données sensibles et des profils de la personnalité, à condition et aussi longtemps que ses tâches l'exigent. Il peut, de cas en cas, communiquer 20 21

22

Voir art. 47quinquies, al. 7, LREC.

Rapport de la Commission d'enquête parlementaire sur les événements de grande portée survenus au Département militaire fédéral (CEP DMF) du 17 novembre 1990 (FF 1990 III 1229).

Loi fédérale du 3 février 1995 sur l'armée et l'administration militaire (LAAM), RS 510.10 (avec la modification du 4 octobre 2002; l'art. 99 al. 2bis, al. 3, let. b et c, al. 4 et al. 5 entrera vraisemblablement en vigueur au 1er janvier 2004).

2116

des données personnelles à l'étranger en dérogation aux dispositions de la protection des données.

2bis Il peut communiquer à l'Office fédéral de la police les informations sur des personnes en Suisse qu'il a obtenues dans l'exercice des activités mentionnées à l'al. 1, et qui peuvent êtres importantes pour la sûreté intérieure ou pour la poursuite pénale.

3 Le Conseil fédéral règle: a. le détail des tâches du service de renseignement, son organisation et la protection des données; b. l'activité du service de renseignement en période de service de promotion de la paix, de service d'appui et de service actif; c. la collaboration du service de renseignement avec les autres services cantonaux et fédéraux ainsi qu'avec les services étrangers; d. les exceptions aux dispositions sur l'enregistrement des fichiers lorsque, à défaut, la recherche des informations serait compromise.

4 La protection des sources doit dans tous les cas être assurée.

5 Le service de renseignement est directement subordonné au chef du Département de la défense, de la protection de la population et des sports.

Cet article est complété par l'ordonnance sur le renseignement du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (Ordonnance sur le renseignement, ORens)23. Les dispositions d'exécution du renseignement stratégique font l'objet d'un règlement d'organisation du 12 décembre 2001 (Geschäftsordnung für die Direktion Strategischer Nachrichtendienst, ce règlement n'existe qu'en allemand).

4.3

Structure, organisation et délimitation des services de renseignement

4.3.1

Structure générale et délimitation

Situation actuelle: Actuellement, le DDPS dispose de trois services qui sont chargés d'assumer la fonction du renseignement. Leurs tâches peuvent être décrites de la manière suivante (voir illustration 1):

23

­

La Direction du renseignement stratégique (ou Service de renseignement stratégique SRS) gère les activités de renseignement permanentes en rapport avec l'étranger. Le SRS, en étroite collaboration avec d'autres services fédéraux, recueille les informations importantes pour la sécurité de la Confédération à l'intention des plus hautes autorités politiques et du commandement militaire, il exploite ces informations et les diffuse. Il s'intéresse aux développements politiques, militaires, technologiques et économiques à l'étranger. Outre le suivi de l'évolution à long terme, il est également responsable de la détection précoce. À cet effet, il dispose d'un centre d'analyse de la situation et d'alerte.

­

Le Service de renseignement militaire (SRM) gère les activités de renseignement sur les plans opérationnel et tactique à l'échelon de l'armée. Dans

RS 510.291

2117

les domaines d'intérêts de l'armée, il recueille, exploite et diffuse les informations dont celle-ci a besoin pour remplir sa mission.

­

Le Service de renseignement des Forces aériennes (SRFA) gère les activités de renseignement sur les plans opérationnel, tactique et technique dans la perspective de l'engagement des Forces aériennes. Il recueille en outre, dans les domaines d'intérêt de l'armée, les informations qui sont indispensables à cette dernière pour remplir sa mission; il exploite ces informations et les transmet au SRM.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Forces aériennes disposent de leur propre service de renseignement afin de répondre à leurs besoins spécifiques en la matière.

Les deux autres services de renseignement sont des unités organisationnelles issues de l'Etat-major général.

Représentation de l'organisation actuelle des services de renseignement au sein du DDPS (situation en 2003) Illustration 1 Chef du DDPS

Secrétariat général

État-major général

Forces aériennes

Service de renseignement militaire (SRM)

Service de renseignement des Forces aériennes (SRFA)

Exploitation (SRSE)

2118

Direction du renseignement stratégique (SRS)

Acquisition (SRSA)

Soutien (SRSS)

Evolution historique: Le passage du Groupe renseignements et sécurité (GRS) au Groupe des renseignements (Gr rens) peut être résumé de la manière suivante: ­

Groupe renseignements et sécurité (GRS)

Le GRS a existé jusqu'en 1993. La subordination, l'organisation et les tâches du GRS, de ses divisions et de ses sections étaient régies par le règlement de l'Etatmajor du Groupement de l'état-major général (il y en a eu plusieurs versions au cours des années).

Le GRS était une unité organisationnelle au sein de l'Etat-major du Groupement de l'état-major général. Son chef (le sous-chef d'état-major renseignements et sécurité SCEM RS) était directement subordonné au chef de l'Etat-major général. Il disposait d'un état-major et de deux divisions, la Division renseignements et la Division sécurité. Le GRS comptait encore la Section technique et le Protocole militaire.

(Voir illustration 2) La Division renseignements était responsable de la conception et de l'organisation du renseignement stratégique et opérationnel ainsi que du Service de renseignement de la troupe. Sa tâche principale était d'acquérir, d'exploiter et de diffuser les informations et les renseignements relatifs à la situation sur le plan de la sécurité et des menaces militaires. Ainsi, la Division renseignements fournissait également les bases de la planification militaire globale et gérait le Service de renseignement de la troupe, en particulier dans les domaines de l'instruction et de l'aide à l'instruction.

Elle travaillait dans un environnement marqué par les menaces de la guerre froide.

La Division sécurité était chargée de veiller au maintien du secret militaire et de prévenir, ou le cas échéant de clarifier, les tentatives hostiles visant des militaires ou des installations militaires. Cette division était également responsable du traitement centralisé des agissements contre l'armée. La Division sécurité gérait par conséquent les domaines du maintien du secret et les services de sécurité militaire.

2119

Représentation de l'organisation des services de renseignements au DMF (situation en 1985) Illustration 2 Chef du DMF [Chef du DDPS]

Secrétariat général

Groupement de l'État-major général [État ­major général]

Groupe renseignements et sécurité (GRS)

­

Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions (SRADCA) [Service de renseignement des Forces aériennes (SRFA)]

Division sécurité, puis Division sécurité militaire

Division renseignements

Exploitation

Commandement des troupes d'aviation et de défense contre avions [Force aérienne]

Acquisition

Maintien du secret

Section technique [Soutien]

Protocole militaire

Services de sécurité militaire

Groupe des renseignements (Gr rens)

En 1993, la Division sécurité a été rebaptisée en Division sécurité militaire et le GRS en a été séparé dans la foulée de la CEP DMF. Le Groupe des renseignements (Gr rens) nouvellement créé à cette occasion a existé en tant que tel jusqu'à fin 2000 (voir illustration 3).

Le nom de l'ancienne Division renseignements a été changé en Service de renseignement stratégique (SRS). Dès le départ, l'orientation du SRS a été progressivement adaptée à l'évolution stratégique et politique mondiale. Outre le SRS, le nouveau Service de renseignement de l'armée a repris les tâches jusque-là assumées par le Service de renseignement de la troupe. En plus de la Section technique, le Protocole militaire et les attachés de défense étaient également subordonnés au sous-chef d'état-major renseignements (SCEM rens).

2120

En 1999 et 2000, à la suite de certains événements de portée particulière, divers rapports ont été rédigés sur le travail effectué par le Gr rens. Ils comportaient un grand nombre de recommandations quant à l'orientation future des services de renseignement. Ainsi, il y a eu: ­

les rapports de la DCG sur l'Afrique du Sud et l'affaire Bellasi, et

­

le rapport de la Commission d'étude sur le Groupe des renseignements.

La mise en oeuvre des recommandations faites dans ces rapports a été examinée dans le cadre d'un vaste projet intitulé «Réorganisation des services de renseignement».

Le rapport de projet a été présenté au Conseil fédéral le 6 septembre 2000. Il en a approuvé le contenu. Pour l'essentiel, ce rapport proposait ­

de sortir le SRS du Gr rens et de le subordonner au secrétaire général du DDPS,

­

de subordonner le Protocole militaire et les attachés de défense au chef de l'Etat-major général,

­

de maintenir le Service de renseignement de l'armée au sein de l'Etat-major général et de lui confier la mission d'un service de renseignement militaire,

­

de maintenir le Service de renseignement des Forces aériennes (SRFA) au sein des Forces aériennes.

Ces recommandations ont conduit à la structure actuelle des services de renseignement du DDPS et à l'attribution des tâches telle qu'elle a été présentée ci-avant.

2121

Représentation de l'organisation des services de renseignement au sein du DMF/DDPS (situation en 1995) Illustration 3 Chef du DMF [Chef du DDPS]

Secrétariat général

Groupement de l'État-major général [État-major général]

Groupe des renseignements (Gr rens)

Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions (SRADCA) [Service de renseignements des Forces aériennes (SRFA)]

Attachés de défense

Division Service de renseignements stratégique (SRS) [Direction du renseignement stratégique (SRS)]

Exploitation (SRSE)

­

Commandement des troupes d'aviation et de défense contre avions [Forces aériennes]

Service de renseignements de l'armée [Service de renseignement militaire (SRM)]

Section technique [Soutien, SRSS]

Protocole militaire

Acquisition (SRSA)

Service de renseignement stratégique (SRS)

Dans ce sens, le SRS est aujourd'hui indépendant de l'Etat-major général et (pour l'instant encore) directement subordonné au secrétaire général du DDPS. Avec la modification de la loi sur l'armée décidée le 4 octobre 2002, il sera directement subordonné au chef du département. Du point de vue organisationnel, le SRS com2122

porte les trois domaines classiques que sont l'«acquisition», l'«exploitation» et le «soutien». Il est séparé des sections qui étaient auparavant intégrées au GRS puis au Gr rens telles que le Protocole militaire, la sécurité militaire et le maintien du secret ou le Service de renseignement de l'armée (aujourd'hui SRM).

4.3.2

Direction politique et définition des besoins en matière de renseignement

La DCG avait déjà fait part de ses constatations au sujet du manque de direction et de contrôle politiques des Services de renseignement suisses dans son rapport du 12 novembre 1999. Les récents travaux de la DCG ont confirmé les constatations faites à l'époque. Il apparaît clairement que, au moins en ce qui concerne la période examinée, les autorités politiques responsables n'avaient pas donné de mandat de prestations clair aux services de renseignement et que c'est le GRS, puis le Gr rens qui définissaient les besoins en matière de renseignements de manière largement autonome. L'un comme l'autre, ils ont été libres de concevoir à leur guise les scénarios de menace de leur choix et de définir les axes prioritaires de leur action.

Comme l'actuel directeur du SRS l'a expliqué lors d'une audition, la Section exploitation définissait les besoins en matière de renseignements (notamment lors des rapports de situation) et dirigeait ainsi l'action de la Section acquisition. L'actuel coordonnateur du renseignement de la Confédération et ancien collaborateur de la Section acquisition a confirmé que, au moins jusqu'au début des années 90, les services de renseignement (civils et militaires) n'ont quasiment pas été dirigés. Les besoins en matière de renseignements n'ont pas été articulés en termes concrets et les instances politiques supérieures ne s'intéressaient pas aux services de renseignement. Selon lui, il est indispensable de mettre en place un système de contrôle de la qualité et le Conseil fédéral doit clairement indiquer ce qu'il attend des services de renseignement.

Durant la période sous revue, les responsables des départements concernés, les chefs successifs de l'Etat-major général ou le Secrétariat général du DMF n'ont jamais défini d'objectifs de besoins ni soumis l'activité du GRS ou du Gr rens à un contrôle ex post. L'ancien secrétaire général du DMF a décrit de la manière suivante cette attitude qui a de toute évidence persisté jusqu'à récemment: «Je n'avais rien à faire avec cela et si j'avais tenté de m'en mêler, je me serais sans aucun doute fait éjecter immédiatement.» [Traduction] Il semble que les réformes mises en route ­ en partie après la CEP DMF, mais plus particulièrement après l'«affaire Bellasi» ­ aient augmenté la sensibilité non seulement au sein du Service de renseignement
stratégique, mais également à l'échelon de la direction du département. Depuis quelques années, le directeur du SRS présente chaque année au chef du DDPS une liste mise à jour des contacts réguliers et occasionnels avec des services homologues étrangers. Cette pratique aurait été instituée déjà du temps de Peter Regli, son prédécesseur. Le chef du département et le directeur du SRS mettent cette liste au propre ­ principalement en fonction de l'opportunité politique et de l'intensité des contacts ­ avant de la porter à la connaissance du collège gouvernemental et de la DCG. Aujourd'hui, l'établissement de contacts réguliers avec un nouveau service nécessite l'aval du Conseil fédéral. En revanche, il n'y a toujours pas d'échange continu d'informations avec les autorités 2123

politiques supérieures pour ce qui est des contacts qui n'ont lieu qu'à l'échelon de la direction et des rencontres sporadiques ou relatives à certains cas particuliers qui ont lieu à l'échelon des collaborateurs des différents services.

Le nouveau mandat de base du Service de renseignement stratégique du 3 octobre 2001 ainsi que la liste de priorités semestrielle (communément appelée liste PRIOS) et la liste de pondération mensuelle des priorités ­ tenue à jour depuis 1999 par la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité en étroite collaboration avec le coordonnateur du renseignement ­ ont apporté des innovations importantes. Depuis lors, ces documents régulièrement actualisés fixent les besoins en matière de renseignements et permettent de diriger l'activité d'acquisition de renseignements du SRS.

4.3.3

Les moyens du Service de renseignement stratégique

En rapport avec l'objet de l'enquête de la DCG, des spéculations ont également porté sur des moyens dissimulés utilisés par le GRS et le Gr rens pour se procurer des renseignements. Elles concernaient les domaines suivants: ­

Recours à des sources et informateurs extérieurs moyennant finance (voir ch.

4.3.3.2 et 4.3.3.5);

­

Recours à des officiers de milice (voir ch. 4.3.3.3);

­

L'existence de maisons secrètes, les «refuges» (safe houses) (voir ch.

4.3.3.4).

La DCG a tenté d'apporter toute la clarté nécessaire sur ces différents points. Elle est parvenue aux conclusions présentées ci-après.

4.3.3.1

Acquisition de renseignements en général

L'exploitation de sources publiques (journaux, périodiques, Internet, etc.) fait partie des tâches du Service de renseignement stratégique. La division chargée de l'acquisition de renseignements se procure ainsi les bases permettant d'identifier les besoins en informations et de diriger la recherche d'informations par les services concernés. L'évaluation des sources publiques constitue certes l'un des préalables de l'acquisition d'information; elle ne fait cependant pas partie de l'activité de renseignement en tant que telle. Les renseignements sont plutôt acquis grâce aux rapports avec des services de renseignement étrangers, à l'interception des télécommunications nationales et étrangères («communication intelligence» couramment désigné par l'abréviation COMINT) au moyen du projet ONYX ou d'autres programmes d'acquisition d'informations, à la recherche basée sur le travail d'individus («human intelligence», couramment désigné par l'abréviation HUMINT) dans le cadre d'actions secrètes ainsi que, dans une moindre mesure, au moyen de sources d'informations externes.

Alors que, aujourd'hui, l'acquisition de renseignements est de toute évidence principalement active, un chef du GRS de l'époque a expliqué que, de son temps, l'acquisition de renseignements était plutôt passive. Selon les déclarations unanimes des personnes concernées, les propres ressources d'informations, c'est-à-dire les 2124

informations que le service s'est procuré lui-même, constituent un préalable indispensable à toute collaboration avec des services de renseignement étrangers. Au cours de l'enquête, certains collaborateurs du Service de renseignement stratégique ont régulièrement souligné l'importance de la propre acquisition d'informations à des fins de renseignement. En effet, pour pouvoir obtenir des informations importantes de la part d'autres services de renseignement, il faut être en mesure d'offrir une contre-prestation correspondante. Sans propres ressources, la volonté des services étrangers de collaborer avec la Suisse diminue rapidement. Il n'a cependant pas été possible d'obtenir du directeur du SRS qu'il indique la proportion d'informations propres par rapport aux informations reçues de services tiers: «Il ne saurait être question de pourcentages, mais de pouvoir disposer d'une base permettant une collaboration professionnelle avec des services étrangers auxquels nous pouvons avant tout fournir des informations que nous nous sommes procurées nousmêmes (tendance croissante) et éventuellement quelques analyses.» [Traduction]

4.3.3.2

Sources et informateurs externes

En ce qui concerne le recours à des informateurs externes, la DCG a fait parvenir à la Direction du SRS les questions écrites suivantes: «Le Gr rens chargeait-il effectivement des officiers de renseignement de milice ou des tiers (informateurs) de rechercher des renseignements?

Si oui, quelles missions ont-elles été données du temps de l'ancien divisionnaire Peter Regli, par qui, à qui et comment?

Quelles informations le Gr rens a-t-il pu se procurer de cette manière? Par quel cheminement ont-elles été exploitées pour les rapports de situation ou pour émettre des recommandations? L'utilité effective de telles informations peut-elle être illustrée à l'aide d'exemples concrets?» [Traduction]

Dans sa réponse, la Direction du SRS a confirmé qu'il est exact que des tiers, appartenant aux milieux économiques et scientifiques, fournissent occasionnellement et sur une base volontaire des informations concernant l'étranger. Elle a cependant indiqué ne pas être en mesure de renseigner concrètement sur l'étendue, la valeur ou l'utilité de telles informations.

«Nous devons cependant attirer votre attention sur le fait qu'il n'est pas possible de dire quelles informations reçues du temps du divisionnaire Peter Regli, ont été reprises dans le cadre de l'évaluation systématique des renseignements puisque, dans l'état actuel de nos connaissances, elles ne figurent plus que dans les rapports de l'époque, sans indication de source et agrégées à d'autres informations issues de sources publiques.» [Traduction]

La DCG n'est pas parvenue non plus à approfondir la question du financement des sources. En effet, conformément aux directives du Département fédéral des finances (DFF), les justificatifs comptables ne sont conservés que durant cinq ans. Les comptes du GRS et du Gr rens permettent certes de remonter jusqu'à 1985. Ils ne donnent cependant aucune indication sur la nature des missions ou sur l'identité des sources concernées étant donné que, en règle générale, les paiements ont été saisis dans la comptabilité sans indication de détails. Pour cette raison ­ comme la Direction du SRS l'a expliqué à la DCG ­ il n'est pas possible de récapituler de manière complète et exacte toutes les dépenses et toutes les sources de renseignements. L'ancien 2125

collaborateur en charge de la comptabilité au GRS/GR rens a confirmé que l'ensemble des pièces relatives au paiement des sources ont été détruites et qu'il est impossible de reconstruire les flux financiers.

Les investigations de la DCG ont montré qu'il est pratiquement exclu de reconstituer, même approximativement, les informations en provenance des sources et informateurs externes. Etant donné que le Service de renseignement stratégique n'a de toute évidence pas tenu de documentation écrite et que même la Direction du SRS ne peut se prononcer à ce sujet, l'importance et le contenu des informations obtenues par ces sources ne peuvent pas être évalués avec objectivité. Cela étant, les réponses du SRS permettent quand même de penser que les sources et les informateurs externes n'ont pas permis, dans ce cadre, d'obtenir de renseignements capitaux tant il est vrai que si cela avait été le cas, les indices auraient été plus probants.

À cet égard, force est encore de constater qu'il y a des différences importantes par rapport aux services de renseignement civils de la Confédération. Comme le chef du Service d'analyse et de prévention (SAP) l'a expliqué à la DCG, son service est régi par des directives précises. Ainsi, chaque contact avec une source ou un fonctionnaire de liaison étranger est consigné, le plus rapidement possible, par le membre du bureau de liaison concerné. L'information est reprise dans une note qui est classée de manière centralisée; «Tout le monde sait bien que les informations secrètes qui sont gardées ne servent à rien.» [Traduction]

4.3.3.3

Officiers de milice

Jusqu'à fin 2001, les chefs des fractions d'état-major de l'armée concernées étaient responsables de la sélection ainsi que de l'instruction et du perfectionnement des officiers incorporés dans les fractions d'état-major de l'armée et la réserve de personnel. Depuis 2002, ces tâches incombent à un groupe d'experts, ces derniers étant actuellement désignés par le directeur du SRS. À noter que l'instruction et le perfectionnement de ces militaires aux tâches de renseignement ont été abandonnés.

En ce qui concerne le recours aux officiers de milice, la Direction du SRS n'a pas été en mesure de se prononcer sur les informations récoltées par ce canal ni sur la manière dont elles ont été exploitées. Etant donné l'absence de pièces, la DCG n'a pas été en mesure de continuer ses investigations dans ce domaine.

4.3.3.4

«Refuges»

Interrogée au sujet de l'existence de maisons ou d'appartements secrets communément appelés «refuges» (ou encore safe houses), la Direction du SRS a donné la réponse écrite suivante: «Durant la période allant de 1993 à 1998, la section du SRS chargée de l'acquisition de renseignements avait accès à deux refuges à l'étranger grâce à l'entremise de tiers.

Ceux-ci étaient à ... et à ... (lieux connus de la DCG). Cela n'exclut cependant pas que d'autres refuges (notamment en Forêt Noire) ignorés des cadres actuels aient également pu être utilisés à l'époque.» [Traduction]

2126

Le dossier «Afrique du Sud» de la Direction du SRS contenait une copie d'un contrat de bail conclu le 7 juin 1985 et prolongé le 7 juin 1990 pour une durée de cinq ans portant sur la location d'une maison individuelle de neuf pièces dans l'agglomération bernoise. Cette copie ne permettait pas d'identifier les parties contractantes ni l'adresse de l'objet loué. En réponse à une question écrite, le DDPS a indiqué qu'il s'agissait de la maison d'habitation d'un ancien attaché de défense sud-africain qui ne parlait l'allemand que de manière rudimentaire et qui avait demandé une traduction orale du contrat de bail ainsi que certaines explications en relation avec la prolongation du bail. Les documents relatifs au contrat en question avaient été transmis au SRS en vue de la préparation de l'entretien avec l'attaché et a, par la suite, été classé dans le classeur principal relatif à l'Afrique du Sud étant donné que l'attaché de défense qui avait demandé ce service était sud-africain. La direction du SRS n'est pas parvenue à expliquer pourquoi cette copie sans importance a été retrouvée dans un dossier classé secret et pourquoi ­ à la différence d'une grande quantité d'autres documents ­ elle n'avait pas été détruite.

Cela étant, la réponse écrite de la Direction du SRS parle d'elle-même. De toute évidence, l'actuelle Direction du SRS n'est pas en mesure de fournir une réponse définitive à la DCG. Force en est de conclure que les moyens financiers gérés par le GRS puis par le Gr rens durant les années sous revue l'ont été de manière si secrète que l'actuelle direction elle-même n'est plus en mesure d'en donner une vue d'ensemble complète. Il est par conséquent pratiquement impossible de contrôler l'utilisation de ces moyens.

Devant la DCG, Peter Regli avait nié avoir disposé de refuges. Il a déclaré avoir appris que le GRS et le Gr rens avaient de toute évidence disposé de tels objets lors du procès contre Dino Bellasi, l'ancien comptable du Gr rens.24 Il a ajouté que la Section acquisition était compétente en la matière et que son chef disposait d'une large autonomie; il n'était pas nécessaire qu'il [Peter Regli] soit au courant des détails.

La DCG s'est en particulier également penchée sur les rumeurs selon lesquelles le défunt marchand d'armes Jürg Jacomet aurait eu un refuge à sa disposition dans
la Forêt Noire. La question de savoir si Jürg Jacomet a ou non séjourné dans la Forêt Noire en tant que personne privée est accessoire du point de vue de l'objet de l'enquête. Seule est pertinente la question de savoir s'il aurait pu disposer là-bas d'un accès à un refuge que le GRS ou le Gr rens aurait mis à sa disposition ou lui aurait procuré. Bien qu'ayant tenté de faire la lumière sur ce point, la DCG n'a pas trouvé d'indice lui permettant de conclure à l'existence d'un tel refuge.

4.3.3.5

Décomptes de frais

Lorsqu'elle a abordé la question de l'indemnisation des informateurs, la DCG a déjà indiqué qu'elle a également tenté d'obtenir plus d'informations sur les activités du GRS et du Gr rens en consultant les décomptes de frais. Ces efforts sont demeurés sans résultat, d'une part parce que les paiements à des sources pour des informations 24

Voir à ce sujet le rapport de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales sur les événements survenus au Groupe des renseignements de l'Etat-major général («affaire Bellasi») du 24 novembre 1999 (FF 2000 528).

2127

et les dépenses en rapport avec l'acquisition de renseignements ont été imputés aux rubriques budgétaires «travaux d'état-major» et «dépenses d'équipement». D'autre part, les quittances et justificatifs joints aux ordres de paiement correspondants ont, le cas échéant, été rendus anonymes et ne fournissent que des informations très rudimentaires. En outre, les justificatifs détaillés qui peuvent encore être consultés ne remontent que jusqu'en 1996. Dans ces conditions, la DCG a renoncé à soumettre les décomptes de frais en tant que tels à un contrôle approfondi. Elle a préféré limiter le champ de son examen et contrôler les documents encore disponibles dans la perspective de l'objet de son enquête. Ce contrôle n'a permis de constater aucune anomalie à ce sujet.

4.3.4

Collaboration des services de renseignement suisses avec des services étrangers

Les contacts avec les services étrangers et leurs représentants en Suisse sont régis par les prescriptions permanentes du SCEM RS du 1er mars 1984. Signe de l'époque, ces prescriptions sont marquées du sceau de la guerre froide. La DCG estime qu'il est urgent de les réviser.

En juin 1999, peu de temps avant de quitter la tête de la Division Service de renseignement stratégique, Fred Schreier avait rédigé un rapport classé secret portant sur la collaboration avec les services de renseignement étrangers (De la collaboration avec des services de renseignement étrangers, Von der Zusammenarbeit mit ausländischen Nachrichtendiensten, n'existe qu'en allemand). Ce rapport comporte essentiellement des explications sans importance. À l'exception de quelques rares passages, il ne contient aucune information qui ne soit pas notoire et qui justifie sa classification. À la fin du rapport, l'auteur aborde les conclusions et les recommandations de la CEP DMF au sujet du contrôle politique à exercer sur les services de renseignement. Le contenu et le choix des termes montrent que, à la fin des années 90 encore, le chef de la Division SRS avait de toute évidence de la peine à s'accommoder aux valeurs inhérentes à un régime démocratique et à accepter la primauté du politique.

4.3.5

Contacts de l'armée suisse avec l'étranger

Les contacts de l'armée suisse avec l'étranger sont du ressort du Protocole militaire.

Ce service s'occupe en particulier également des attachés de défense des Etats étrangers (appelés attachés militaires par le passé). Actuellement, environ 40 attachés de défense étrangers sont accrédités en Suisse. La moitié d'entre eux environ sont stationnés en Suisse. Quant à la Suisse, elle a délégué 26 attachés de défense à l'étranger.25 D'un point de vue organisationnel, ceux-ci sont rattachés aux ambassades correspondantes et certains d'entre eux sont également accrédités auprès d'autres pays que leur pays de résidence.

25

Le DDPS dispose aujourd'hui de 26 attachés de défense et adjoints intégrés dans les représentations suisses à Ankara, Beijing, Berlin, Bruxelles, Budapest, Le Caire, Kiev, Londres, Moscou, Madrid, Paris, Rome, Stockholm, Tokyo, Washington et Vienne.

2128

Dans ce sens, le Protocole militaire constitue une antenne d'accès pour les demandes et services les plus divers, dans la mesure où ils ont un rapport avec l'étranger.

L'organisation de visites officielles en Suisse de représentants d'armées étrangères ou de visites à l'étranger de militaires suisses incombent en particulier au Protocole militaire. Il assume également le rôle de centrale logistique pour les contacts officiels à l'étranger du chef du département ou du chef de l'état-major général. Selon le chef de la Section du Protocole militaire, il y a environ 1000 à 1200 dossiers sur ce genre de contacts officiels.

Les demandes d'accréditation d'officiers de liaison étrangers sont toujours traitées par le DFAE en collaboration avec le Service d'analyse et de prévention (SAP). Les visites ­ officielles ­ en Suisse politiquement sensibles de représentants militaires étrangers ou les visites dans des conditions similiaires de représentants suisses à l'étranger sont soumis à la Division Politique de sécurité et de défense (POSED).

Précédemment, elles étaient soumises à la Direction politique du DFAE. La POSED évalue l'opportunité politique de telles visites, la décision finale appartenant cependant au chef de l'état-major général. Celui-ci décide des visites non problématiques de manière autonome.

Ce qui importe pour la présente enquête, c'est que le Protocole militaire n'est compétent que pour les contacts «officiels» de l'armée suisse avec l'étranger, mais pas pour les contacts ayant trait aux activités du renseignement. En vertu de l'organisation de l'époque, les contacts liés aux activités «discrètes» du renseignement ressortissaient à la responsabilité du chef foreign liaisons de la Section acquisition. Ce dernier est en principe le principal interlocuteur des services de renseignement militaires et civils étrangers. Lors des auditions effectuées par la DCG, le chef des foreign liaisons en place depuis 1987 a reconnu que Peter Regli et d'autres collaborateurs du GRS et du Gr rens ont sans problème pu établir des contacts directs avec des services étrangers et qu'il n'était probablement pas au courant de tous les contacts avec l'étranger.

4.3.6

Procès-verbaux des rencontres et entretiens

Les visites de délégations de renseignement à l'étranger ou en provenance de l'étranger font en règle générale l'objet de procès-verbaux. Sur la base des résultats des auditions effectuées par la DCG, il est possible de partir du principe que les rencontres planifiées et préparées, en particulier les premiers contacts, ont toujours fait l'objet d'un procès-verbal. En revanche, les décomptes de frais qui existent encore permettent de conclure qu'il y a eu de nombreux contacts, en partie spontanés, qui n'ont fait l'objet d'aucun procès-verbal ou autre forme d'enregistrement.

Les investigations entreprises par la DCG à ce sujet ont de plus été fortement restreintes du fait que même les procès-verbaux des rencontres et les documents annexes tels que les programmes des visites, ont été détruits à l'échéance de certains délais. Lors de son audition par la DCG, le chef foreign liaisons a déclaré que seuls subsistent encore les procès-verbaux des rencontres ayant eu lieu depuis 1990 environ, les autres ayant été détruits. Il a également précisé que les dossiers relevant de son domaine n'ont jamais été remis aux Archives fédérales.

Dans son rapport du 12 novembre 1999, la DCG a constaté que, en règle générale, ces procès-verbaux contiennent peu d'éléments essentiels et constituent davantage 2129

des comptes-rendus de voyage que des rapports de situation dignes d'être classés secrets. Les résultats des investigations supplémentaires confirment l'appréciation de la DCG. Les procès-verbaux relatifs aux rencontres et entretiens avec des services étrangers sont pour la plupart structurés de la même manière. Les participants et le programme de la visite sont présentés en guise d'introduction. Ils donnent ensuite des indications sur les documents échangés et sur les cadeaux reçus ou remis. Ils se terminent sur une conclusion teintée d'une certaine subjectivité au sujet de la situation et parfois des interlocuteurs. Lorsqu'ils le sont, les sujets des discussions ne sont résumés que de manière très rudimentaire.

Selon le divisionnaire Regli, les informations brutes recueillies lors de contacts avec des chefs de services étrangers n'étaient pas consignées dans les procès-verbaux des rencontres, mais figuraient dans des rapports spéciaux établis par les collaborateurs qui l'accompagnaient. La DCG n'a trouvé aucune trace de ces rapports spéciaux.

4.3.7

Gestion et archivage des dossiers

La DCG a déjà pris position sur la question de la gestion et de l'archivage des dossiers dans son rapport du 12 novembre 1999. Dans ses recommandations, elle demandait au Conseil fédéral de veiller à l'exécution de la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'archivage. Ainsi que le chef du DDPS l'a déclaré à la DCG, le département n'a pas encore rempli cette exigence. Entre-temps, le DDPS a contacté les Archives fédérales pour régler cette question.

Dans le cadre de ses travaux, la DCG a constaté à plusieurs reprises que l'absence d'archivage des dossiers et, plus particulièrement, les destructions de dossiers qui ont été entreprises gênent considérablement, voire empêchent tout contrôle efficace des activités dans le domaine du renseignement. Dans de nombreux cas, l'absence de dossiers a empêché tout contrôle et pour d'autres, elle a empêché de clarifier ou de réfuter certaines présomptions.

Le premier problème rencontré concerne la documentation d'événements en tant que telle. Alors que dans d'autres domaines d'activité de l'Etat l'enregistrement des preuves et justificatifs au moyen de procès-verbaux ou au moins leur documentation au moyen de notes va de soi, les services de renseignement suisses s'appliquent de toute évidence à laisser le moins de traces écrites. Cela lui semble le meilleur moyen de protéger ses actions et ses sources des regards. Lors de demandes de documents relatifs à des questions posées ou à des réponses reçues par la DCG, la Direction du renseignement stratégique a régulièrement répondu qu'il n'en existait plus. Pour se justifier, le directeur du SRS a souligné le fait que les informations recueillies ont chaque fois été intégrées dans des rapports ou des analyses de situation, si bien que ­ pour autant qu'il y en ait eu ­ les documents écrits ont été détruits après avoir été exploités.

Les problèmes des lacunes en matière de gestion des dossiers concernent également l'absence d'archivage et, en particulier, les destructions de documents qui, manifestement, ont été effectuées à grande échelle. Ni le GRS ou le Gr rens n'ont transmis leurs documents et dossiers aux Archives fédérales. Lorsque la DCG a repris ses investigations, les Archives fédérales ne possédaient aucun fonds des services de renseignement pour les 50 années précédentes, à l'exception d'un dossier d'environ 2130

10 cm d'épaisseur que Peter Regli a remis lorsqu'il a quitté ses fonctions de souschef d'état-major des renseignements (SCEM rens; à ce sujet, voir ch. 8.2). Il a été établi que les documents que le GRS puis le Gr rens trouvaient inutiles ont été purement et simplement détruits. Ces destructions n'étaient pas décidées selon des critères préétablis. En outre, aucun procès-verbal de destruction n'a été rédigé.

Comme l'un des anciens chefs du GRS l'a reconnu sans détour, à son époque (dans les années 80), la destruction de documents faisait partie du courant normal: «L'un de mes collaborateurs se munissait régulièrement d'un grand sac dans lequel nous jetions tout ce qui n'était plus utilisé. [...] Ce sac était ensuite incinéré.» [Traduction] C'est pour cette raison que la DCG n'a pas pu consulter bon nombre de documents au cours de ses investigations. Seul un petit nombre de documents de l'époque du GRS et du Gr rens ont échappé à la destruction, et cela sans doute plutôt par hasard. Le fait que tous les documents de la Section exploitation relatifs à l'Afrique du Sud aient été détruits illégalement à un moment qui n'a pas pu être déterminé avec précision s'est avéré particulièrement gênant.

Dans la mesure où ils sont objectivement justifiés, la DCG comprend tout à fait les impératifs en matière de maintien du secret dans le domaine de l'acquisition d'informations à des fins de renseignement. Ces impératifs ne doivent toutefois pas dégager les services de renseignement de l'obligation de documenter leurs activités suffisamment pour permettre les contrôles ultérieurs. Les expériences faites lors de la réorganisation de l'ancienne Police fédérale ont justement montré qu'une bonne gestion des dossiers est non seulement tout à fait compatible avec les impératifs en matière de maintien du secret, mais encore indispensable pour que le service concerné puisse exécuter sa mission de manière efficace. À ce propos, la déclaration du chef du Service d'analyse et de prévention (SAP) selon qui «tout le monde sait bien que les informations secrètes qui sont gardées ne servent à rien» a déjà été relevée (voir le ch. 4.3.3.2). Cela étant, les réserves émises à plusieurs reprises par la Direction du renseignement stratégique qui précisait que les réponses aux questions de la DCG étaient faites en
fonction de l'«état des connaissance des cadres actuels» (voir notamment le ch. 4.3.3.4) sont révélatrices des problèmes liés au manque de documentation et touchant non seulement la DCG, mais également les activités du renseignement en tant que telles.

La DCG estime qu'il est urgent de mettre en oeuvre sans tarder les recommandations relatives à la gestion et à l'archivage des dossiers qui ont été émises en 1999 déjà. Il faudra également veiller à ce que l'ensemble des activités des services de renseignement puissent être clairement documentées. Pour une exécution adéquate des tâches, il est indispensable que les informations importantes du point de vue de la défense des intérêts de notre pays ne dorment pas dans quelques têtes, mais qu'elles soient mises à la disposition de l'ensemble du service. Il est en outre inacceptable qu'en détruisant ses propres dossiers, une institution d'un Etat démocratique puisse non seulement se soustraire à tout contrôle administratif et parlementaire, mais encore rendre pratiquement impossible toute tentative ultérieure visant à établir les faits dans une perspective historique.

Les conséquences de l'absence de documents sont extrêmement graves, à commencer par l'impossibilité d'évaluer la situation d'un point de vue objectif. La DCG ne peut ainsi pas juger de l'utilité des services de renseignement suisses pour notre pays. Elle ne peut pas évaluer si nombreux voyages avaient avant tout des motifs touristiques ou s'ils ont effectivement permis d'obtenir des informations importantes 2131

pour la sûreté de l'Etat. Malgré l'impossibilité de fonder son contrôle sur des documents écrits, la DCG n'est pas disposée à faire confiance et à admettre sans autre forme de procès que les services de renseignement ont rempli leur mission. En effet, la seule confiance ne saurait remplacer le contrôle.

Qu'une telle situation engendre des suppositions, donne naissance à des légendes et favorise la circulation de rumeurs n'étonne guère. Or, la présente enquête a bien montré que l'absence de documents ne permet pas de contrer de telles conjectures de manière crédible. Les services de renseignement suisses sont donc responsables dans une large mesure d'avoir fréquemment fait les grands titres des médias au cours de ces dernières années. Ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes d'avoir été confrontés à des insinuations à la rigueur injustifiées. Le GRS puis le Gr rens ont eux-mêmes rendu impossible toute reconstruction ultérieure des incidents qui leur sont reprochés. Non seulement ils ne sont plus en mesure de se justifier, mais l'autorité de surveillance elle-même ne parvient pas à les disculper.

Il est indispensable et urgent de repenser non seulement l'archivage des documents, mais également les prescriptions relatives au maintien du secret. Lors de l'analyse des documents (encore disponibles) de la Direction du SRS, la DCG n'a pu s'empêcher de penser que leur classement n'est pas effectué en fonction des intérêts liés à la sûreté de l'Etat, mais bien plus dans le but d'éviter que les contacts des services de renseignement ne fassent l'objet d'une discussion politique. Le rapport du SRS du Gr rens intitulé «De la collaboration avec des services de renseignement étrangers» [Von den nachrichtendienstlichen Beziehungen zu Südafrika, n'existe qu'en allemand] classé «secret» se limite pour l'essentiel à des appréciations politiques connues de tout un chacun sachant faire preuve d'un tant soit peu d'intérêt pour le sujet (voir également le ch. 6.2). Les procès-verbaux des rencontres et entretiens, comme cela a déjà été souligné ci-dessus, ne semblent guère adéquats du point de vue de l'exploitation des sources de renseignements (voir ch. 4.3.6). La vue d'ensemble des contacts avec l'Afrique du Sud rédigée par la Direction du SRS (voir ch. 6.4) ne contient pas non plus d'informations susceptibles de
menacer les intérêts de l'Etat en matière de sûreté. Elle témoigne toutefois de la mesure effective des contacts avec le régime de l'apartheid sud-africain. Elle est donc hautement susceptible de déclencher une discussion politique sur les activités des services de renseignement.

Les discussions au cours de ces dernières années ont également montré clairement que les services de renseignement n'évoluent pas dans un environnement apolitique.

Ils sont au contraire intégrés dans le corps des autorités de l'Etat qui oeuvrent pour le bien du citoyen et dans le but d'atteindre les objectifs fixés par la constitution.26 Dans cette perspective, il va de soi que, dans un régime démocratique, même les services de renseignement ne peuvent échapper à la discussion publique en invoquant de prétendus intérêts liés au maintien du secret.

Ne peuvent donc bénéficier du secret que les informations dont la divulgation pourrait effectivement représenter un risque pour la liberté et la sûreté de l'Etat et de ses citoyens. De toute évidence, les évaluations politiques, les sympathies et les préférences des services de renseignements n'en font pas partie, cela d'autant plus que l'environnement politique de la période concernée était totalement différent et qu'il ne s'agit plus que de rétablir des faits ­ depuis longtemps dépassés du point de vue 26

Voir art. 2 Cst.

2132

de l'actualité ­ dans une perspective historique. Avec le temps, les informations des services de renseignement perdent non seulement de leur valeur mais également leur caractère explosif. D'ailleurs la loi sur l'archivage tient compte de ce fait en instituant des délais de protection des fonds archivés.

En guise de conclusion à ce paragraphe, la DCG souligne que la destruction à grande échelle de tous les documents du GRS puis du Gr rens étaient déjà de rigueur sous la direction des prédécesseurs de Peter Regli. Même si, après être entré en fonction en tant que sous-chef d'état-major renseignements et sécurité (SCEM RS), il a continué cette pratique sans se poser de questions, les reproches à ce sujet ne s'adressent pas qu'à lui. Bien qu'ayant quitté ses fonctions, Peter Regli a encore été chargé de classer et d'archiver les dossiers du GRS et du Gr rens (même ceux datant de l'époque de ses prédécesseurs). À l'instar des destructions de documents qui ont eu lieu dans ce cadre, cette question est traitée au ch. 8.2.

5

Environnement politique de l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid

Avant d'aborder plus en détail le sujet de la collaboration des services de renseignement avec l'Afrique du Sud, la DCG a estimé opportun de la replacer dans le contexte de l'époque et d'esquisser brièvement la situation de l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Cette présentation ne saurait être exhaustive, les résultats du Programme national de recherche PNR 42+ sur les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud (pas encore disponibles lors de la publication du présent rapport) pourront donner des informations plus détaillées à ce sujet.

5.1

Evolution politique de l'Afrique du Sud et résolutions de l'ONU

Après la victoire électorale du Parti national en 1948, l'Afrique du Sud a pratiqué une politique de ségrégation raciale discriminant la majorité noire de la population.

Au début des années 60, les plus importants mouvements d'opposition à l'apartheid, dont le Congrès National Africain (African National Congres, ANC), ont été interdits. L'Afrique du Sud ayant quitté le Commonwealth en 1961 et durci sa politique de répression, l'Assemblée générale de l'ONU recommande la rupture des relations diplomatiques et économiques avec l'Afrique du Sud. Cette résolution (résolution 1761) est largement demeurée sans effet. Après une razzia menée en 1963 contre le quartier général de Umkhont we Sizwe, l'organisation de guérilla de l'ANC, le Conseil de sécurité de l'ONU recommande un embargo sur les exportations de matériel de guerre (résolutions 181 et 182).

Après une période de calme passagère, une nouvelle vague de violences et de répression éclate au milieu des années 70. Les régimes qui ont accédé au pouvoir au Mozambique et en Angola lors de leur accession à l'indépendance ont appuyé la lutte de l'ANC.

2133

Ces régimes sont eux-mêmes devenus la cible de mouvements de guérilla (RENAMO27 et UNITA28) soutenus par le régime officiel de l'Afrique du Sud.

Après le soulèvement de Soweto près de Johannesburg du 16 juin 1976, et l'assassinat du chef du mouvement Black Consciousness, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la première (et unique) résolution contraignante à l'encontre de l'Afrique du Sud. Cette résolution (418) du 4 novembre 1977 obligeait tous les membres des Nations Unies à décréter un embargo sur l'exportation d'armes à destination d'Afrique du Sud.

Dans la perspective de la présente enquête, le passage suivant, tiré du rapport du groupe de travail interdépartemental Suisse/Afrique du Sud de juillet 1999, est particulièrement intéressant pour la période après 1985: «Des sanctions économiques ne furent toutefois adoptées à une large échelle qu'en 1985­1986. Elles s'accompagnaient très souvent de , de campagnes civiques en vue d'un désinvestissement et de mesures d'isolement culturel et sportif.

En effet, le régime de Pretoria ne parvenait pas à convaincre de sa volonté de démanteler à brève échéance l'apartheid et d'abandonner sa politique de répression. Une nouvelle Constitution permit certes aux et aux d'entrer au Parlement, mais elle déniait tout droit politique aux ; le Conseil de sécurité de l'ONU, en 1984, la déclara . L'ANC appela à une . L'état d'urgence fut proclamé au niveau national en juin 1986 et maintenu jusqu'en juin 1990. Arrestations et mises en détention se multiplièrent.

Le 26 juillet 1985, le Conseil de sécurité adopta sa première résolution (569) recommandant des sanctions globales contre l'Afrique du Sud: arrêt de tout nouvel investissement, interdiction de la vente de Krügerrands, suppression de crédits à l'exportation avec garantie publique, interdiction de tout nouveau contrat nucléaire et de toute vente de matériel informatique pouvant être utilisé par l'armée et la police. Des propositions visant à rendre ces sanctions obligatoires se heurtèrent au veto américain et britannique.

Les Etats-Unis prirent cependant des sanctions assez étendues. Elles touchaient l'exportation de matériel informatique, l'importation de Krügerrands, les prêts bancaires
et la coopération militaire (1985), puis ­ notamment ­ l'importation d'uranium, de charbon, de fer et d'acier, ainsi que l'exportation de pétrole et de technologie nucléaire (Comprehensive Anti-Apartheid Act d'octobre 1986). Le Congrès accepta ce deuxième paquet de sanctions et passa outre au veto du président Reagan.

[...]

Quant à la Communauté économique européenne, l'interdiction d'importer des Krügerrands et certains produits dérivés du fer et de l'acier et de procéder à de nouveaux investissements directs s'appliqua à tous les pays membres dès fin septembre 1986; mais l'interdiction d'importer du charbon, préconisée simultanément, n'eut pas de portée contraignante. Une année auparavant, les ministres des affaires étrangères de la CEE s'étaient entendus sur un programme comprenant notamment des mesures restrictives dans les domaines militaire, nucléaire, pétrolier, culturel et sportif.

[...]

Le remplacement de P. W. Botha par F. W. De Klerk à la présidence de la République sud-africaine en septembre 1989 intervint dans le contexte d'une détente Est ­ Ouest et de l'accession à l'indépendance de la Namibie; l'Afrique du Sud avait occupé militairement ce pays sur la base d'un mandat, contesté par les Nations Unies depuis 1966.

Dès lors, on assista à la libération des prisonniers politiques (dont celle du plus célèbre d'entre eux, N. Mandela), à la levée de l'état d'urgence et de l'interdiction frappant l'ANC (1990), puis à l'abrogation des grandes lois d'apartheid (1991) et à la mise en place d'un processus de négociations qui aboutit aux premières élections démocrati27 28

Resistência Nacional de Moçambique (résistance nationale du Mozambique).

União Nacional para a Independência Total de Angola (Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola, mouvement de libération populaire).

2134

ques (avril 1994). Celles-ci virent l'accession de N. Mandela à la présidence de la République. Les sanctions économiques, puis l'embargo militaire furent levés parallèlement.»29

5.2

Position officielle de la Suisse

Le rapport mentionné du groupe de travail interdépartemental Suisse/Afrique du Sud mentionné ci-dessus résume la position officielle de la Suisse de la manière suivante: «La Suisse n'a jamais rompu les relations diplomatiques, établies en 1952. De même que tous les autres Etats, elle a toujours refusé de reconnaître des bantoustans (Transkei, Bophuthatswana, Venda et Ciskei). La première visite d'un Conseiller fédéral en Afrique du Sud ­ celle de Flavio Cotti en septembre 1994 ­ s'est déroulée peu après la tenue des premières élections démocratiques.

L'interdiction d'exporter du matériel de guerre a été annoncée le 6 décembre 1963.

Elle était contemporaine des premières recommandations du Conseil de sécurité de l'ONU et a précédé de quatorze ans sa résolution contraignante 418. Le fait que l'interdiction ne s'appliquait (ou ne s'appliquerait) pas au matériel fabriqué sous licence à l'étranger ni aux PC-7 allait susciter par la suite des critiques.

La première de l'apartheid dans une tribune internationale est intervenue en mai 1968; elle a été exprimée par l'ambassadeur August R. Lindt lors de la Conférence des Nations Unies sur les droits de l'homme (Téhéran). Cette condamnation fut reprise en 1977 (Conférence mondiale sur l'action contre l'apartheid à Lagos), puis à d'autres occasions.

Dans sa déclaration du 22 septembre 1986, le Conseil fédéral demandait la libération des détenus politiques et estimait nécessaire le maintien du dialogue car, ajoutait-il, seul le dialogue peut conduire à des solutions acceptables pour tous. Dans ce sens, la Suisse a soutenu financièrement une rencontre à Dakar entre des représentants de l'ANC, des milieux de l'économie et de l'opposition sud-africaine (juillet 1987); rappelons qu'au regard du droit sud-africain, l'ANC était alors illégale et qu'une rencontre, où que ce fût, avec ses représentants était également illégale. En outre, la Suisse a soutenu l'initiative secrète d'un avocat sud-africain, Richard Rosenthal, qui cherchait à faciliter des contacts directs entre l'ANC et le gouvernement sudafricain (1987­1989).»30

En revanche, malgré de nombreuses interventions parlementaires, le Conseil fédéral a par la suite refusé de prendre des sanctions économiques à l'encontre de l'Afrique du Sud. Deux mesures ont néanmoins été prises en la matière: le «plafond», introduit en 1974 dans le domaine des exportations de capitaux, et la «surveillance statistique», mise en place après la déclaration du 22 septembre 1986.

5.3

Exportation de matériel de guerre

Le 6 décembre 1963, après que l'ONU avait adopté pour la première fois une résolution non contraignante d'embargo sur l'exportation de matériel de guerre, le Conseil fédéral suisse a décidé de ne plus autoriser de nouvelles exportations de matériel de guerre à destination d'Afrique du Sud. Ce n'est que quatorze ans plus tard, soit le 29 30

Rapport du groupe de travail interdépartemental Suisse/Afrique du Sud intitulé «Les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud», Berne, juillet 1999, p. 5 et 6.

Idem, p. 7.

2135

4 novembre 1977, que la résolution 418 du Conseil de sécurité de l'ONU a introduit à l'encontre de l'Afrique du Sud un embargo sur l'exportation d'armes contraignant pour tous les membres de Nations Unies. Ces deux décisions ont été levées après les premières élections libres: le Conseil de sécurité de l'ONU a suspendu son interdiction le 25 mai 1994, suivi par la Suisse le 21 décembre 1994. À ce sujet, le groupe de travail interdépartemental Suisse/Afrique du Sud a fait les constatations suivantes: «Le champ d'application de l'embargo sur les armes décidé par la Suisse et celui de l'ONU n'étaient pas identiques. Ainsi, outre les armes, les munitions, les véhicules militaires, les équipements de police et les pièces de rechange paramilitaires, la résolution du 4 novembre 1977 interdisait également les contrats de licence pour la fabrication de ces produits. Les contrats de licence ne tombaient en revanche pas sous le coup de l'embargo helvétique, car la décision du Conseil fédéral du 28 mars 1949, tout comme la loi sur le matériel de guerre qui constituait depuis 1972 la base de l'interdiction d'exportation, ne mentionnaient pas le transfert des droits sur des biens immatériels ou des contrats de licence. L'autorité de surveillance n'était par conséquent pas en mesure de contrôler la conclusion d'éventuels contrats de licence pour du matériel de guerre avec des partenaires sud-africains. Il est donc difficile de savoir si l'embargo sur les armes a été contourné de cette manière et, le cas échéant, dans quelle mesure.

Durant les années d'embargo sur les armes, la Suisse a exporté certaines armes à feu de poing, munitions comprises, destinées à des particuliers et à des sociétés de tir, ainsi que des explosifs et des substances chimiques à usage civil, et ce pour un montant maximum d'environ 300 000 francs en 1983. Les Etats-Unis, qui ont reproché à la Suisse de permettre à l'Afrique du Sud de contourner l'embargo sur les armes, n'ont jamais pu établir de preuve dans ce sens. Pour ce qui est de l'embargo obligatoire sur les armes, le Ministère public de la Confédération n'a eu connaissance que d'un seul cas de violation qui a été sanctionné pénalement.

Dans ce contexte, il convient également de mentionner la vente à l'Afrique du Sud de 60 avions PC-7. Après que le comité des sanctions de l'ONU eut,
à fin 1992, demandé au Conseil fédéral d'interdire l'exportation de ces appareils vers l'Afrique du Sud, le Conseil fédéral a décidé que la vente serait possible à condition que les avions soient modifiés de manière à empêcher tout armement ultérieur. Le 1er juin 1993, il autorisa la vente après qu'un haut représentant de l'ANC en visite en Suisse eut donné son accord à la livraison. Celle-ci ne fut finalement effectuée qu'après les élections libres de 1994.»31

6

La collaboration avec le renseignement militaire sud-africain

6.1

Le renseignement militaire sud-africain

Il ressort d'un rapport de la Bibliothèque militaire fédérale consacré aux «Aspects en matière militaire et de renseignement entre l'Afrique du Sud et les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Israël, l'Argentine, le Portugal, l'Union soviétique, Cuba, la Belgique et la France à l'époque de l'apartheid» (novembre 2002) que, durant la guerre froide, les services de renseignement des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne de l'Ouest et d'Israël avaient créé un marché d'échange de renseignements. Les services secrets sud-africains y participaient également dans certains domaines. Les auteurs de ce rapport concluent que «si les

31

Idem, p. 14 et 15.

2136

gouvernements occidentaux condamnaient de plus en plus fréquemment l'Afrique du Sud, cela était moins le cas de leurs services de renseignement.»32 [Traduction] Ce rapport décrit le service du renseignement sud-africain de la manière suivante: «Le service du renseignement sud-africain, le BOSS (Bureau of State Security), disposait d'informations sur les régions en crise en Afrique australe, mais également sur l'Union soviétique, qui étaient importantes pour les Etats-Unis, l'Europe occidentale et Israël.

Le BOSS a été fondé en 1969 avec l'appui de la Central Intelligence Agency américaine (CIA). Ce service était placé sous la direction du général Hendrik Van Den Bergh, un proche de John Vorster, le premier ministre de l'époque. En raison des succès remportés par le BOSS au début des années 70, les groupements d'opposition comme l'ANC ont dû entrer dans la clandestinité ou se sont dissous. Dès le début de son existence, le BOSS a été critiqué en raison de ses méthodes opérationnelles douteuses. Pour cette raison, le successeur de Vorster, le premier ministre P. W. Botha a remercié Van Den Bergh. Le BOSS a été restructuré en 1978 et son nom a été changé en National Intelligence Service (NIS). Ce service entretenait des rapports plus étroits avec l'armée et la police. La Military Intelligence Division (MID) était responsable des nombreuses opérations spéciales à l'intérieur et à l'extérieur du pays contre le Congrès National Africain (ANC). Depuis 1987, cette division entretenait un service spécial, le Civil Cooperation Bureau (CCB) qui était notamment chargé de l'élimination de certaines personnalités. Après la divulgation de son existence, le CCB a été dissout en 1991.

Jusqu'à fin 1994, la communauté du renseignement sud-africain se composait du National Intelligence Service (NIS), du service du renseignement militaire ­ la Military Intelligence Division (MID) ­ et des services de renseignement des forces de police.

Au total, ses différents services auraient occupé environ 14 000 personnes.»33

6.2

Instauration de contacts réguliers avec le renseignement militaire sud-africain

En juin 1999, le Gr rens a rédigé un rapport intitulé «De la collaboration avec des services de renseignement étrangers» et un rapport complémentaire, en annexe au premier, intitulé «Des relations avec l'Afrique du Sud en matière de renseignement» (n'existent qu'en allemand). En introduction, ce second rapport explique que, au début des années 70, le service du renseignement militaire sud-africain a tenté d'établir le contact avec le GRS à plusieurs reprises. Les premiers sondages concrets ont eu lieu lors d'une visite de courtoisie que l'attaché de défense sud-africain, accompagné d'un représentant de haut rang du renseignement militaire, a rendu au SCEM RS le 16 mai 1977. Le 23 novembre 1978, le SCEM RS indiquait sans engagement à un autre visiteur sud-africain qu'il examinerait l'opportunité d'un échange de renseignements. Au début de l'été 79 ­ après une nouvelle visite d'un représentant sud-africain ­ le GRS constatait que «les désavantages liés aux coûts et au temps à consacrer aux échanges, les discussions à l'échelon des experts et les visites devraient l'emporter sur les avantages» [traduction] et décidait d'examiner la question plus en détail.

32

33

Witschard, Jean-Pierre; Odermatt, André: Aspekte der nachrichtendienstlichen und militärischen Beziehungen zwischen Südafrika und den USA, Grossbritanien, Israel, Argentinien, Portugal, der Sowjetunion, Kuba, Belgien und Frankreich zur ApartheidZeit Bibliothèque militaire fédérale, novembre 2002, p. 2.

Idem, p. 2.

2137

Pour justifier l'entretien de tels contacts, le rapport du Gr rens renvoie à la menace représentée par l'ancienne Union soviétique. Alors qu'il a été rédigé en 1999, ce rapport contient principalement des explications générales sur l'évaluation de la situation politique en Afrique australe qui ne sont étayées par aucune analyse ou tentative de rétablir les faits dans une perspective historique. Il n'apporte aucun élément important. En revanche, il permet à l'évidence de se rendre compte que, dix ans après la chute du mur de Berlin, le Gr rens en était resté à une logique de guerre froide.

Le GRS attendait des échanges réguliers de renseignements avec l'Afrique du Sud qu'ils lui permettent «d'avoir une meilleure connaissance des événements liés aux crises et aux guerres dans les régions d'Afrique noire». [Traduction] Il espérait également pouvoir «acquérir des connaissances dans le domaine de la technologie militaire afin d'améliorer l'efficacité des efforts consentis par notre armée pour la défense en cas d'attaque du Pacte de Varsovie, considérée alors comme possible ou tout du moins pas exclue.» [Traduction] En outre, le Gr rens le reconnaît ouvertement dans son rapport, «la conduite du combat mené par les Sud-Africains contre la subversion communiste à l'intérieur du pays, la conduite d'une guerre larvée et indirecte ainsi que les expériences et les enseignements qui peuvent en être tirés étaient également intéressants de notre point de vue.» [Traduction] Les coûts élevés liés à l'échange de renseignements, aux discussions à l'échelon des experts et à l'entretien de contacts réguliers sont le seul point négatif relevé par le rapport. Cela étant, la politique d'apartheid était considérée comme «facteur important entrant dans la liste des difficultés de nature à troubler les relations [...] ne pouvant cependant pas constituer un critère de décision distinct.» [Traduction] Lors de son audition, l'ancien chef de la Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions (SRADCA; aujourd'hui Service de renseignement des Forces aériennes, SRFA) s'est exprimé dans le même sens devant la DCG en expliquant que le régime de l'apartheid n'était pas considéré comme une raison commandant de rompre les relations avec les services de renseignement de l'Afrique du Sud car, à son avis, «les
partenaires sud-africains connaissaient bien le combat aérien et nous pouvions profiter de leurs connaissances.» [Traduction] Après une analyse interne, le chef de la Section acquisition a été chargé de chercher des informations supplémentaires sur les services de renseignement sud-africains. La première visite officielle d'un collaborateur du GRS en Afrique du Sud a eu lieu du 14 au 19 octobre 1979. Sur la base du compte-rendu du chef de la Section acquisition, «le SCEM RS a décidé, en novembre 1979, d'établir des relations et de procéder à des échanges de renseignements réguliers avec le Directorate Military Intelligence Division (MID) des forces armées sud-africaines, les South African Defence Forces (SADF).» [Traduction] Après une nouvelle visite qu'une délégation sudafricaine a rendue au SCEM RS (du 2 au 5 avril 1980), quelques discussions ont eu lieu à l'échelon des experts du renseignement. Le 10 mai 1981, une délégation sudafricaine s'est une nouvelle fois rendue à Berne pour rencontrer le SCEM RS. La première visite officielle d'un haut responsable du renseignement suisse en Afrique du Sud (le divisionnaire Mario Petitpierre, SCEM RS de 1981 à 1988) a ensuite eu lieu du 10 au 18 mars 1982. La visite de la centrale de renseignement des services

2138

secrets américains à Silvermine et de la fabrique d'armes ARMSCOR34 figurait notamment au programme de cette rencontre.

Pour commencer, les échanges d'informations entre le GRS et la MID ont eu lieu par courrier diplomatique. L'attaché de défense d'Afrique du Sud, qui résidait à Vienne avant de s'installer à Berne en 1980, était la personne de contact pour le GRS. La solution du courrier diplomatique a été abandonnée le 1er novembre 1983, suite à la mise en place d'une liaison télex chiffrée reliant les deux services. À cet égard, il est frappant de constater que, au début des années 80, la Suisse était le seul Etat européen ayant accrédité un attaché de défense sud-africain. À la suite des diverses résolutions de l'ONU, tous les autres pays européens avaient refusé d'accréditer ou avaient retiré l'accréditation des attachés de défense sud-africains.

Les affirmations du rapport du Gr rens déjà mentionné se rapportant aux partenaires sud-africains sont contradictoires. Dans un premier temps, le GRS se serait «exclusivement limité à des contacts avec le renseignement militaire d'Afrique du Sud (MID), en raison d'une part de l'éventail de nos intérêts et d'autre part de son professionnalisme qui étaient des facteurs déterminant du choix qui a été fait de n'échanger des renseignements qu'avec ce seul service de renseignement sudafricain.» [Traduction] Deux pages plus loin, le rapport énumère les contacts que le GRS a entretenu avec le service du renseignement intérieur et extérieur d'Afrique du Sud (National Intelligence Service, NIS) et le service du renseignement de la police (Security Branch South African Police, SAP).

À la suite de l'énumération de ses contacts avec les services de renseignement d'Afrique du Sud, le rapport du Gr rens de juin 1999 précise qu'il ne saurait être question de collaboration étroite avec l'Afrique du Sud: «Ce n'est que par ignorance, excès de naïveté, provocation intentionnelle ou malveillance ciblée que l'on soupçonne le SRS d'avoir eu connaissance des projets d'armements nucléaires, biologiques et chimiques secrets d'Afrique du Sud. Qui serait disposé à révéler de telles informations ? Et qui plus est justement au service du renseignement extérieur de la Suisse!» [Traduction]

6.3

Politique extérieure de la Suisse et contacts du GRS puis du Gr rens à des fins de renseignement

6.3.1

Position du DFAE

L'entretien de relations diplomatiques avec tous les Etats reconnus par le droit international public fait partie des principes de la politique extérieure de la Suisse, 34

La société sud-africaine ARMSCOR (Armaments Development and Production Corporation) a été fondée en 1977, soit l'année au cours de laquelle le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 418 du 4 novembre 1977 qui imposait à tous les pays membres des Nations Unies un embargo sur les exportations d'armes à destination de l'Afrique du Sud. Outre le développement, le marketing et la vente de biens d'armement, ARMSCOR achetait également des armes. À la fin des années 80, elle occupait environ 23 000 personnes directement et fournissait du travail à environ 132 000 personnes travaillant dans des entreprises privées. ARMSCOR contrôlait également huit autres entreprises d'armement: Lyttelton Engineering Works (canons), Atlas Company (avions), Naschem (munition de gros calibre), Somchem (charges propulsives et explosifs), Pretoria Metal Pressings (munition de petit calibre), Swartklip (explosifs), Kentron Missiles (appareils optiques) et Musgrave (fusils de précision et pour le tir sportif).

2139

cela quelle que soit la forme de l'Etat et indépendamment de son régime. À ce titre, la Suisse a également entretenu les contacts diplomatiques usuels avec l'Afrique du Sud du temps du régime de l'apartheid. Comme un ancien Secrétaire d'Etat l'a déclaré à la DCG tout le monde au sein du DFAE était unanime à penser que le régime de l'apartheid sud-africain était un système que «nous n'aimions pas», malgré les nombreuses relations diplomatiques, économiques et financières. [Traduction] Le DFAE était conscient qu'en majorité, les Etats de la communauté internationale condamnaient le système politique sud-africain et avaient également décidé des mesures à son encontre. Au vu de cette situation et en tenant compte de son aspect épineux, la Suisse a, malgré l'isolement croissant de l'Afrique du Sud, offert ses bons offices avec l'accord de toutes les parties du conflit. Par conséquent, le DFAE n'a pas seulement entretenu les habituelles relations diplomatiques avec le régime officiel, il a également entretenu des relations avec l'opposition, en particulier avec des représentants du Congrès National Africain (ANC). Ainsi, le chef du DFAE avait reçu le ministre sud-africain des affaires étrangères, Roelof P. (Piek) Botha, en février 1986 et le président de l'ANC, Oliver Tambo, en juin de la même année. Cela étant, d'une manière générale, le DFAE et le Conseil fédéral ont renoncé à des contacts officiels au plus haut niveau avec des représentants du régime de l'apartheid. À l'exception de trois réceptions en Suisse en 1979, 1984 et 1988, il n'y a pas eu d'autres contacts de ce genre.35 Bien que son chef ou le Secrétaire d'Etat aient régulièrement été invités à se rendre en Afrique du Sud, le DFAE a décliné toutes ces invitations de manière conséquente tant que le régime de l'apartheid était en vigueur. La première visite officielle d'un conseiller fédéral en Afrique du Sud n'a donc eu lieu qu'à l'issue des élections libres de 1994.

6.3.2

Contacts avec l'Afrique du Sud sans entente préalable avec le chef du DMF

En consultant le rapport du Gr rens intitulé «De la collaboration avec des services de renseignement étrangers» de juin 1999, force est de constater que ni le Conseil fédéral, ni le DFAE n'ont été consultés au sujet de l'instauration de contacts réguliers avec l'Afrique du Sud. Au contraire, le GRS avait décidé d'instaurer ces contacts de son propre chef, sans en discuter avec d'autres départements. Il n'est de plus même pas certain que le chef du département, son secrétaire général ou le chef de l'Etat-major général en aient été informés. Bien qu'il soit difficile d'imaginer que la tête du département n'ait rien voulu savoir de ces contacts, cela est cependant également établi. La déclaration d'un ancien secrétaire général du DMF est particulièrement intéressante à cet égard. Celui-ci a en effet expliqué à la DCG que, à son époque, le chef du département avait pour principe «de ne rien vouloir savoir des services de renseignement étant donné qu'on se trouve ensuite impliqué par leurs opérations qui ne manquent pas de vous éclabousser tout particulièrement lorsque les choses tournent mal.» [Traduction] Durant sa période de fonctions, la question des contacts à des fins de renseignement n'a jamais été abordée au sein du Secréta35

Voir la réponse du Conseil fédéral du 22 septembre 1986 à l'interpellation 86.516, Afrique du Sud. Attitude politique et diplomatique de la Suisse, du 19 juin 1986 (BO 1986 N 1503). Voir également la réponse du Conseil fédéral du 23 novembre 1988 à la questions ordinaire 88.1027 Visite du premier ministre de l'Afrique du Sud, du 6 octobre 1988 (BO 1988 N 1984).

2140

riat général du DMF. Il a également ajouté qu'il avait de la peine à se souvenir si le sujet de l'Afrique du Sud avait été abordé une seule fois et qu'à l'époque, pour lui et le DMF, l'Afrique du Sud n'est devenue un sujet d'actualité qu'après la surprenante commande des PC-7 en décembre 1992.

Un ancien secrétaire d'Etat évalue la situation de manière tout à fait différente. Lors de son audition par la DCG, il a notamment expliqué qu'il ne pouvait pas s'imaginer que les contacts avec l'Afrique du Sud avaient pu avoir lieu sans que le chef du département en ait connaissance. Les dires d'un ancien chef de l'Etat-major général viennent également corroborer cet avis. Ce dernier a en effet déclaré à la DCG n'avoir jamais été consulté au sujet des activités et des contacts extérieurs des services de renseignement puisque Peter Regli avait toujours refusé d'aborder le sujet à l'échelon de l'Etat-major général estimant que l'échelon stratégique était de loin supérieur à l'échelon militaire. Par conséquent, selon cet ancien secrétaire d'Etat, Peter Regli aurait préféré informer les conseillers fédéraux concernés directement.

Aujourd'hui, il n'est plus possible de dire avec certitude laquelle de ces deux versions est la bonne. Ce qui est toutefois certain, c'est que les dirigeants du département n'ont pas assumé leurs responsabilités en matière de conduite politique dans le domaine des contacts établis par les services de renseignement. À cet égard, il importe peu de savoir s'ils ne s'occupaient pas des affaires concernant le renseignement d'une manière générale ou s'ils n'ont pas saisi la dimension politique des contacts avec le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud. Il y a cependant deux cas dans lesquels la DCG a trouvé des indications lui permettant de conclure que le DFAE est intervenu directement auprès du chef du département militaire au sujet des contacts avec l'Afrique du Sud (voir ch. 6.3.3.2 et 6.3.3.3). Le département n'a toutefois pas tiré les conclusions qui s'imposaient à la suite de ces deux interventions.

6.3.3

Interventions du DFAE

6.3.3.1

Consultation irrégulière du DFAE et absence de dossiers

En règle générale, le GRS puis le Gr rens qui lui a succédé n'ont pas consulté le DFAE. Ce dernier n'avait donc pas connaissance des modalités des rapports des services de renseignement avec l'Afrique du Sud. Les rares fois où le DFAE a eu connaissance ­ par hasard la plupart du temps ­ de certains contacts ou a été exceptionnellement impliqué dans le processus décisionnel, il a rappelé la position officielle de la Suisse et exhorté le GRS et le Gr rens à faire preuve d'une plus grande retenue. Mais ­ comme un ancien secrétaire d'Etat du DFAE l'a déclaré à la DCG ­ «le DFAE reste impuissant tant que le chef du département ou le chef de l'Etatmajor général n'ordonne pas l'interruption de l'exercice.» [Traduction] En effet, le DFAE ne disposait d'aucun droit de donner des instructions au DMF et les contacts du GRS puis du Gr rens avaient la plupart du temps lieu sous le couvert du secret lié aux activités de renseignement, c'est-à-dire directement de service à service, dans le plus grand secret et en évitant tous les canaux officiels.

Il est frappant de constater que, à la différence du GRS/Gr rens, le service de renseignement civil de la Confédération, le Service d'analyse et de prévention (SAP, 2141

anciennement Police fédérale), a régulièrement consulté le DFAE au sujet de l'opportunité politique d'éventuelles relations avec des Etats étrangers.

Pour les raisons que l'on sait, la Direction du SRS ne dispose de pratiquement plus aucun document portant sur la consultation du DFAE ou les interventions de ce département. En outre, puisqu'il n'a eu que fortuitement connaissance de certains événements, le DFAE ne dispose que de quelques rares documents à ce sujet. Le DFAE a d'ailleurs souligné dans sa réponse écrite à la DCG que les contacts du renseignement suisse avec les services homologues sud-africains ont eu lieu en dehors de toute participation des représentations diplomatiques. Le DFAE «n'a eu connaissance de contacts ou de rencontres planifiées de militaires suisses avec des représentants sud-africains que dans quelques cas.» [Traduction] Toujours dans sa réponse écrite, le DFAE indique avoir été mis au courant de ces contacts de manière indirecte (notamment par l'ambassade de Suisse à Pretoria qui tombait généralement fortuitement sur de telles informations). Ces déclarations écrites du DFAE ont été entièrement confirmées lors des auditions auxquelles la DCG a procédé. Dans ce cadre également, il est apparu que l'ambassade de Suisse à Pretoria ne savait que très peu de choses sur les contacts que le GRS puis le Gr rens entretenaient avec les Sud-Africains. Les quelques informations dont elle disposait, lui étaient parvenues par hasard et souvent plus tard, notamment parce que des tiers avaient attiré son attention.

Les quelques lettres en possession du DFAE prouvent que, chaque fois qu'il en a eu l'occasion, le département responsable des affaires étrangères a adopté une attitude critique envers le DMF au sujet de ces contacts avec le régime de l'apartheid sudafricain. Il a en particulier déconseillé les contacts officiels de militaires suisses de haut rang avec des représentants du régime sud-africain. Dans une lettre du 10 juillet 1980 déjà, le DFAE avait recommandé au Protocole militaire de renoncer à la visite planifiée d'une délégation en provenance d'un pays d'Amérique du Sud pour des raisons politiques. Même si l'objet de cette recommandation ne concernait pas l'Afrique du Sud en tant que telle, elle précisait que l'avis négatif du DFAE visait à «éviter de créer un précédent inévitable ([...], l'Afrique du Sud et les autres pays exposés devant être traités de la même manière).» [Traduction]

6.3.3.2

Première intervention documentée du DFAE en octobre 1986

Les archives du DFAE contiennent une note datée du 10 octobre 1986 que le chef de la Division politique II avait rédigée à l'attention de son supérieur hiérarchique: «Les informations suivantes sont parvenues à mes oreilles au cours de ces derniers jours: 1. ...

2. L'ambassade sud-africaine à Berne a approché le DMF pour savoir s'il était possible d'envisager un échange de pilotes entre l'Afrique du Sud et la Suisse. Je ne dispose d'aucune information plus précise sur ce projet. Il semblerait toutefois que cette proposition soit sérieusement étudiée par le DMF.

3. Il semblerait que des militaires de haut rang (les divisionnaires ... et ...) auraient répondu à une invitation de ... et se seraient rendus en ... [un pays d'ExtrêmeOrient] dans le courant de l'année. En réponse, la Suisse prévoirait une invitation en Suisse (général ...). Cette visite a peut-être même déjà eu lieu.

2142

Dans les deux cas (points 2 et 3), la voie de service n'a pas été respectée. Le DFAE n'a en aucun cas été consulté au sujet de l'opportunité de tels projets.» [Traduction, note rendue anonyme par la DCG]

Par la suite, le DFAE est pour la première fois intervenu formellement auprès du chef de l'Etat-major général. En tout état de cause, la visite de militaires suisses de haut rang en Extrême-Orient a été abordée lors de la séance du 21 octobre 1986 de l'état-major de direction du DMF (aujourd'hui Conseil de direction du DDPS). À l'époque, l'état-major de direction du DMF se réunissait tous les quinze jours. Le chef du département, le chef de l'Etat-major général, le chef de l'instruction, le chef de l'armement et le secrétaire général du DMF participaient à ces séances. Le procès-verbal des décisions du 21 octobre 1986 comporte les indications suivantes (page 6): «L'ambassadeur ... [chef de la Division politique II du DFAE] a exprimé au chef de l'Etat-major général ses soucis au sujet des visites de militaires suisses en ... [un pays d'Extrême-Orient] et en Afrique du Sud. Le DFAE recommande un peu plus de retenue en matière de visites à ces pays.» [Traduction, passage rendu anonyme par la DCG]

En outre, l'exemplaire retrouvé parmi les documents de la Direction du SRS comporte une annotation manuscrite selon laquelle le «secrétaire d'Etat Brunner a informé le chef du DMF». [Traduction] Il semble donc que le chef du département devait aussi être au courant, au moins de cet incident (voir également le ch. 6.3.2).

L'intervention du DFAE auprès du chef du département militaire et du chef de l'Etat-major général n'a cependant pas eu le moindre effet. À peine trois semaines plus tard, c'est-à-dire du 13 au 16 novembre 1986, le SCEM RS recevait à Berne une délégation de militaires sud-africains de haut rang. Outre le SCEM RS et le chef de la Section acquisition, cinq rapporteurs du DMF ont également participé à cette rencontre.

6.3.3.3

Seconde intervention du DFAE en mai 1987

La première intervention du DFAE auprès de la direction du DMF et du chef de l'Etat-major général en raison des contacts avec l'Afrique du Sud avait eu lieu en octobre 1986. Sa seconde intervention date du printemps 1987. Le 29 avril 1987, l'attaché de défense sud-africain s'adressait au Protocole militaire pour se renseigner au sujet de l'invitation d'une délégation d'officiers suisses de haut rang à se rendre en Afrique du Sud. Les Sud-Africains voulaient inviter des «personnalités telles que le chef de l'Etat-major général, le commandant des troupes d'aviation et de défense contre avions, le chef de l'instruction opérative ou le chef de la Direction de l'administration militaire fédérale». Le 29 avril 1987, le Protocole militaire soumettait la requête au chef de l'Etat-major général et au DFAE.

Le jour même, la Division politique II du DFAE informait l'ambassade de Suisse en Afrique du Sud de l'invitation en question et lui demandait une évaluation de la situation. Le 18 mai 1987, le DFAE écrivait à l'Etat-major du Groupement de l'étatmajor général: «Nous nous référons à votre lettre du 29 avril 1987 et prenons position au sujet de l'invitation mentionnée par la note du même jour adressée au chef de l'Etat-major général.

2143

Dans les circonstances actuelles, une visite de militaires suisses de haut rang en Afrique du Sud n'est pas opportune pour des raisons politiques.

Dans sa déclaration du 22 septembre 1986, le Conseil fédéral a rappelé qu'il était disposé à apporter sa contribution pour que les oppositions en Afrique du Sud puissent être surmontées. Nos efforts en vue d'établir un dialogue permettant d'atteindre cet objectif présupposent que l'attitude de la Suisse envers l'Afrique du Sud peut être acceptée par toutes les parties. Etant donné que l'armée sud-africaine est actuellement engagée pour le maintien de l'ordre intérieur dans les townships et dans des opérations commandos contre des pays voisins, la visite d'officiers supérieurs de l'armée suisse aurait pour effet d'entamer notre crédibilité auprès de l'opposition, voire de la réduire à néant.

Pour sa part, notre ambassade à Pretoria émet de très grandes réserves pour ce qui est de la visite de militaires suisses. Elle souligne explicitement qu'une telle visite ne manquerait non seulement pas d'être rendue publique, mais qu'elle pourrait également être utilisée par le gouvernement en place à des fins de propagande. Il est inutile d'insister ici sur le fait que, une fois connue, une visite militaire nuirait également à l'image de la Suisse à l'étranger et aurait inévitablement des suites du point de vue de la politique intérieure de notre pays.

Pour toutes ces raisons, nous nous en tenons à notre avis ci-dessus et estimons qu'une éventuelle visite d'une délégation militaire suisse en Afrique du Sud n'est pas opportune pour des raisons politiques.» [Traduction]

Le 20 mai 1987, se référant à l'avis défavorable du DFAE, le Protocole militaire proposait au chef de l'Etat-major général de traiter le sujet dans le cadre de l'étatmajor de direction du DMF. Au point consacré aux contacts avec l'étranger, le procès-verbal des décisions de ce dernier mentionne ceci: «Il ressort de l'entretien avec le DFAE que l'invitation officielle adressée par l'Afrique du Sud à des représentants de haut rang du DMF et qui sera transmise prochainement par l'attaché de défense sud-africain devra être déclinée.

L'invitation parvenue à l'ancien commandant des troupes d'aviation et de défense contre avions, le commandant de corps Wyler (manifestement en tant que personne privée), ne peut être acceptée que si elle n'a aucun caractère officiel. Cette invitation devra encore être soumise au Protocole militaire.

[...]

Le chef du département souhaite que les pratiques en matière de visites de réciprocité soient revues cette année encore. Il est indispensable d'introduire une certaine retenue dans ce domaine.» [Traduction]

L'exemplaire du procès-verbal de décisions retrouvé parmi les documents de la Direction du SRS comporte une annotation manuscrite apposée à côté du dernier point: «erl. an USC NA 09.06.87» (liquidé, transmis au SCEM RS 09.06.87) ce qui signifie forcément que le chef de l'Etat-major général avait chargé le SCEM RS de réexaminer les pratiques en matière de visites de réciprocité dans le sens d'une plus grande retenue en la matière.

À la lecture des deux procès-verbaux des décisions de l'état-major de direction du DMF il apparaît de toute évidence que, en automne 1986 et au printemps 1987, les contacts avec l'Afrique du Sud ont fait l'objet de discussions à l'échelon le plus élevé du département et que le GRS en était informé. Malgré cela, il n'y a pas un seul indice qui permettrait de croire que, dans le cadre de cette controverse, le SCEM RS ­ le divisionnaire Petitpierre ­ aurait informé ses supérieurs hiérarchiques des relations avec les services secrets sud-africains entamées en 1979 et définitivement institutionnalisées avec la conclusion de la convention de protection des 2144

informations en mars 1983 et avec la mise en place d'une liaison télex chiffrée en novembre 1983 (voir ch. 6.2). Force est donc de conclure que c'est sciemment que les supérieurs hiérarchiques n'ont pas été informés de ces relations. Lorsqu'il a été confronté aux procès-verbaux de l'état-major de direction du DMF, le secrétaire général du département de l'époque a toutefois déclaré qu'il était parti du principe que la recommandation de l'état-major de direction du DMF signifiait qu'il fallait éviter de se faire prendre.

Le 3 juin 1987, exécutant la décision de l'état-major de direction du DMF, le chef du Protocole militaire communiquait à l'attaché de défense sud-africain que, dans les circonstances actuelles, «il n'était malheureusement pas possible d'envisager qu'une délégation militaire se rende en visite en République d'Afrique du Sud» [traduction] et le priait de renoncer à présenter une invitation officielle. Comme cela a été le cas après la première décision de l'état-major de direction du DMF, la seconde intervention a aussi été suivie de la visite d'une délégation sud-africaine au GRS. Cette visite a eu lieu à Berne, à peine trois semaines après la seconde décision, soit du 22 au 25 juin 1987.

Un mois et demi plus tard, le 13 août 1987, Peter Regli, à l'époque encore en sa qualité de chef de la SRADCA, faisait parvenir à l'attaché de défense d'Afrique du Sud cinq prises de vues de l'aéroport de Luanda (Angola) datées de mai 1987, un acte extrêmement délicat également dans l'optique de la politique de neutralité de la Suisse. De plus, environ cinq mois après la décision de l'état-major de direction du DMF, le SCEM RS ­ le divisionnaire Petitpierre ­ se rendait en Afrique du Sud pour un nouvelle rencontre à l'échelon des chefs des services de renseignement (à noter que du côté sud-africain, 41 personnes ont participé à cette rencontre). Il a manifestement dû lui échapper que, peu de temps avant sa visite, à la demande du chef du département, il venait d'être chargé par le chef de l'Etat-major général de réexaminer les pratiques en matière de visites de réciprocité dans le sens d'une plus grande retenue en la matière.

6.3.3.4

Rencontres fortuites en Afrique du Sud

La visite du SCEM RS du 25 octobre au 1er novembre 1987 a provoqué une certaine confusion, piquante à plus d'un titre. Le 30 octobre 1987, l'ambassade de Suisse à Pretoria avait annoncé à la Direction politique II du DFAE, qu'un membre de l'ambassade, qui avait visité une mine sur invitation de la chambre économique sudafricaine le 29 octobre 1987, avait été très surpris d'apprendre du directeur de la mine, en présence de trois autres diplomates étrangers, que ce dernier avait reçu le jour précédent un général suisse en visite officielle en Afrique du Sud. Il s'agissait du divisionnaire Petitpierre qui était arrivé en hélicoptère, accompagné de généraux sud-africains.

Cette rencontre fortuite n'a d'ailleurs pas été la seule du genre. Comme un ancien chef de l'Etat-major général l'a expliqué à la DCG lors de son audition, l'Afrique du Sud disposait d'un attaché de défense pourvu d'un solide esprit d'initiative; la pratique du tourisme était intensive et les militaires suisses se sont parfois tenu la porte en Afrique du Sud. Un autre incident du même genre permet de penser que cette déclaration lapidaire correspond aux faits. Peter Regli, encore en sa qualité de chef de la SRADCA, avait répondu à une invitation des services de renseignement sud2145

africains et séjourné en Afrique du Sud en compagnie de son épouse du 26 au 31 mars 1988. Durant la même période, le secrétaire général du DMF ­ et membre de l'état-major de direction du DMF ­ «était en vacances et voyageait à titre privé» («private Ferienreise») en Afrique du Sud. Le caractère privé de son séjour ne l'a de toute évidence pas empêché de se rendre sur le front en Angola. Il a déclaré à la DCG que cette visite était «extrêmement intéressante et lui avait pour la première fois permis de sentir l'odeur de la poudre.» [Traduction] Le soir de son arrivée, lui et son épouse ont été invités pour le repas du soir par l'ancien attaché de défense sudafricain avec qui il avait entretenu de bonnes relations. À sa grande surprise, il y a également rencontré Peter Regli et son épouse. Il n'a pas été question des raisons de la présence de ce dernier en Afrique du Sud, mais le secrétaire général du DMF a supposé qu'il s'y trouvait en qualité de chef de la SRADCA.

6.3.3.5

Intervention de la Direction du DMF

La visite d'une délégation de généraux sud-africains de haut rang devait manifestement avoir lieu en automne 1993. Il n'a pas été possible de retrouver les buts précis de ce projet de visite. En revanche, le chef de l'Etat-major général de l'époque avait répondu de la manière suivante à la demande correspondante présentée le 13 octobre 1993 par le chef d'état-major de l'instruction opérative: «Décision de la Direction du 25.10.93 concernant la délégation sud-africaine: ­ plus cette année ­ grande retenue, reporter ­ pas de relations publiques ­ règle: pas de contact tant qu'il y a embargo sur les armes» [Traduction]

Il était donc notoire que le chef de l'Etat-major général et la Direction du DMF partaient du principe qu'il ne pouvait pas y avoir de contacts avec l'Afrique du Sud à l'échelon militaire tant que l'embargo sur l'exportation d'armes serait en vigueur.

6.3.3.6

Consultation du DFAE sciemment évitée

Des documents du DDPS conservés par hasard et les dossiers du DFAE ont permis de constater que si le GRS ne se rendait pas compte des problèmes que les contacts avec l'Afrique du Sud suscitaient du point de vue de la politique extérieure, le Protocole militaire en était pour le moins tout à fait conscient. Ainsi, sur une demande concernant une visite du chef du commandement militaire médical du Transvaal du Sud les 26 et 27 juin 1980, le Protocole militaire avait noté: «Le DFAE (ambassadeur Brunner) n'a aucune objection au sujet de cette visite.» [Traduction] Par la suite, le chef de l'Etat-major général a consenti à cette visite avec une réserve: «ne pas accepter d'invitation de réciprocité!» [Traduction] Le 3 avril 1982, juste après la première visite officielle du SCEM RS en Afrique du Sud (du 10 au 18 mars 1982), l'attaché de défense sud-africain s'adressait au Protocole militaire au sujet de la visite prévue de la Fabrique fédérale d'avions à Emmen par une délégation sud-africaine. Le 26 avril, le Protocole militaire communiquait au chef de l'Etat-major général (par la voie de service, c'est-à-dire en passant par le SCEM RS) qu'une telle visite ne pouvait avoir lieu que «sous le couvert des services 2146

de renseignement [...] Dans le cas contraire, il serait nécessaire de consulter le DFAE et il est peu probable que celui-ci donne son accord.» [Traduction] Il est intéressant de constater que la demande correspondante de l'attaché de défense sud-africain du 3 avril 1982 comporte une note dactylographiée ajoutée par le Protocole militaire à l'attention de la Section maintien du secret et demandant si la conclusion d'une convention de protection réciproque des informations confidentielles échangées avec l'Afrique du Sud ne s'imposerait pas. Une note manuscrite ajoutée à la suite, précisait que «selon téléphone du 15.04.82 avec M. Stoll» [traduction] une telle convention était en cours de rédaction. Voir le ch. 6.6.2 pour plus de détails au sujet de cette convention de protection des informations.

L'absence de documents ne permet plus de savoir si cette visite a bien eu lieu ni quand elle a eu lieu. Il y a cependant plutôt lieu de croire qu'elle a finalement eu lieu. En tout cas, certains documents attestent que le chef de l'armement était intervenu avant une autre visite en octobre 1982. Il critiquait le fait que le Groupement de l'armement avait déjà reçu une délégation sud-africaine à deux reprises à la Fabrique fédérale d'avions d'Emmen et que le Groupement de l'armement n'avait tiré aucun profit des contacts avec les Sud-Africains. Il avait également indiqué que, politiquement, de tels contacts étaient sujets à réserve et qu'il fallait le feu vert du chef de l'Etat-major général. Les documents existants prouvent qu'une délégation des forces aériennes sud-africaines a été reçue sur l'aérodrome militaire de Dübendorf le 16 octobre 1982.

L'attitude pour le moins méfiante du GRS envers le DFAE ressort nettement du fait qu'ils ne l'ont pas consulté avant des décisions aussi importantes que l'instauration de contacts réguliers avec l'Afrique du Sud, l'organisation d'échanges de pilotes ou la conclusion de la convention de protection des informations. En revanche, la demande plutôt insignifiante de l'attaché de défense d'Afrique du Sud du 23 septembre 1991 portant sur la participation en uniforme de militaires sud-africains à la Marche des deux jours de Berne a été soumise pour avis au DFAE. Cette demande a été approuvée le 5 novembre 1991 par le Protocole militaire.

Certaines explications figurant
dans les procès-verbaux de rencontres et entretiens témoignent de la résistance délibérée envers la conduite politique du renseignement militaire par le DMF et en particulier envers le DFAE. Ainsi, dans un procès-verbal portant sur une rencontre à l'échelon des chefs des services de renseignement qui a eu lieu au printemps 1994 en Afrique du Sud, Peter Regli a écrit que, en automne 1993, le DFAE et le DMF avaient «tué» («gekillt») le projet de visite en Suisse de représentants de haut rang de représentants des forces armées sud-africaines pour des motifs politiques (voir ch. 6.3.3.5). Il avait recommandé à ces interlocuteurs sudafricains de «venir après les élections, accompagnés de représentants de l'ANC, car ils seraient certainement les bienvenus dans ces conditions-là!» [Traduction] La résistance contre la direction du département, contre le chef de l'Etat-major général et contre le DFAE découlait manifestement d'une orientation diamétralement opposée de la conception politique du monde. Alors que, dix ans après la chute du mur de Berlin, le Gr rens en était resté à la logique de la guerre froide, le DFAE suivait l'évolution du monde avec intérêt et en faisant preuve d'une ouverture d'esprit. En définitive, le Gr rens n'a jamais été en mesure d'accepter une appréciation différenciée telle que celle du DFAE. Au contraire, il s'en tenait mordicus à sa vision des choses et n'était pas prêt à tenir compte d'autres opinions dans le cadre de 2147

ses réflexions. La mentalité du Gr rens, qui ressort de son rapport de juin 1999 intitulé «De la collaboration avec des services de renseignement étrangers», a déjà été abordée (voir ch. 6.2). Elle ressort cependant également des procès-verbaux de rencontres ou d'entretiens de Peter Regli ainsi que, trois ans plus tard après le changement de régime en Afrique du Sud, d'un procès-verbal portant sur sa visite effectuée du 6 au 10 octobre 1997.

6.4

L'étendue effective des contacts du GRS et du Gr rens avec l'Afrique du Sud

Le problème de l'absence de documents en raison de destructions à grande échelle a déjà été mentionné plusieurs fois. Il est par conséquent difficile de reconstituer les contacts des services de renseignement suisses avec le régime de l'apartheid de l'Afrique du Sud. Il ne subsiste pas d'autres documents que des procès-verbaux des rencontres et entretiens et une récapitulation établie par la Direction du SRS à l'occasion d'une enquête interne qui permettent d'évaluer l'étendue des contacts. En ce qui concerne les procès-verbaux, il convient de souligner qu'il n'est pas certain qu'ils ont tous été conservés. Lors d'investigations précédentes, il a souvent été opposé à la DCG que «les recherches effectuées aux archives n'ont permis de retrouver que peu d'informations sur les contacts avec l'Afrique du Sud [concernant les échanges de pilotes].» [Traduction] ou que les procès-verbaux ont été régulièrement détruits. Ainsi, lors de son audition par la DCG du 17 mars 1999, Peter Regli avait déclaré que les procès-verbaux des rencontres et entretiens étaient normalement détruits tous les cinq ans, mais qu'ils étaient encore disponibles à partir de 1992. Le 10 juin 1993, dans le cadre de l'enquête sur les échanges de pilotes avec l'Afrique du Sud, il avait informé la DCG par écrit que «les recherches auprès du Gr rens n'ont pas permis de trouver de documents sur les échanges de pilotes entre la Suisse et l'Afrique du Sud (83 à 88).» [Traduction] Pourtant, la présente enquête a permis de réfuter ces deux affirmations. En effet, des procès-verbaux plus anciens et quelques documents sur les échanges de pilotes sont réapparus.

Les investigations de la DCG ont révélé que le Protocole militaire (voir ch. 4.3.5) n'a été que très rarement informé des services de renseignement avec l'étranger.

Pour l'essentiel, seules les demandes officielles de l'attaché de défense sud-africain sont passées par le Protocole militaire, alors qu'en règle générale, celui-ci n'a jamais eu connaissance des contacts qui ont eu lieu «sous le couvert des services de renseignement». Ainsi, les dossiers du Protocole militaire ne contiennent que peu de documents permettant d'évaluer l'étendue et, plus particulièrement, de connaître l'objet des contacts que les services de renseignement ont entretenus avec l'Afrique du Sud. Le Protocole
militaire n'était pas consulté pour les rencontres à l'échelon des chefs des services de renseignement ou des experts, mais il était officiellement consulté pour des questions accessoires telles que la participation d'une délégation sud-africaine à la Marche des deux jours de Berne en 1991.

En se basant sur les documents encore disponibles, la DCG a tenté de reconstituer les rencontres à l'échelon des chefs des services de renseignement et les discussions qui ont eu lieu à l'échelon des experts pour tenter d'évaluer l'étendue des contacts avec les services de renseignement sud-africains, au moins d'un point de vue quantitatif. L'énumération chronologique ci-dessous mentionne également d'autres évé2148

nements qui ont un rapport immédiat avec les contacts que l'armée suisse a eus avec l'Afrique du Sud et, partant, avec l'objet de l'enquête menée par la DCG.

Contacts avec l'Afrique du Sud (de 1977 à 2001) Tableau 1 Année

Activité

1977

­ Premiers sondages des forces armées sud-africaines auprès du SCEM RS en vue de l'établissement de contacts réguliers à des fins d'échanges de renseignements ­ Réponse du SCEM RS qui indique la MID [Military Intelligence Division] que l'opportunité d'un échange de renseignements sera étudiée ­ Nouveaux sondages réciproques en Suisse et en Afrique du Sud; et décision positive du SCEM RS (divisionnaire Richard Ochsner) qui donne le feu vert à l'instauration de contacts réguliers ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Discussion à l'échelon des experts en Afrique du Sud ­ Visite en Suisse du commandant des forces aériennes sud-africaines ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Deux discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Visite à Dübendorf d'une délégation des forces aériennes sud-africaines ­ Première visite en Afrique du Sud du SCEM RS (Mario Petitpierre) ­ Conclusion de la convention de protection des informations ­ Mise en service de la liaison télex chiffrée ­ Visite en Afrique du Sud du SCEM RS ­ Deux visites en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement au chef de la Section acquisition ­ Discussion en Suisse à l'échelon des experts ­ Visite à Payerne d'une délégation des forces aériennes sud-africaines ­ Voyage à titre privé en Afrique du Sud de deux pilotes des Forces aériennes suisses avec autorisation du commandant des Forces aériennes suisses après les contacts qui ont eu lieu entre le chef de la SRADCA et les forces aériennes sud-africaines (échanges de pilotes)

1978 1979 1980 1981 1982 1983

1984

1985

1986

1987

­ Première visite du chef de la SRADCA (Peter Regli) en Afrique du Sud ­ Visite en Suisse de deux pilotes des forces aériennes sud-africaines (échanges de pilotes) ­ Visite en Afrique du Sud d'une délégation de la Fabrique fédérale de poudre de Wimmis ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au chef de la SRADCA ­ Trois discussions en Suisse à l'échelon des experts; notamment pour discuter de la mise en oeuvre de la convention de protection des informations ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Envoi en Afrique du Sud d'un pilote suisse en service commandé (échanges de pilotes) ­ L'état-major de direction du DMF recommande une plus grande retenue en matière de visites, notamment en ce qui concerne l'Afrique du Sud ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Visite en Afrique du Sud du SCEM RS ­ Discussion en Suisse à l'échelon des experts ­ Demande de l'attaché de défense sud-africain au Protocole militaire concernant l'invitation d'une délégation de représentants suisses de haut rang en Afrique du Sud; demande refusée après consultation du DFAE et de l'état-major de direction

2149

Année

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994 1995

1996

2150

Activité

du DMF ­ Visite en Afrique du Sud du chef de la SRADCA ­ Visite des troupes de l'UNITA, en Angola, par le chef de la SRADCA ­ Visite en Suisse du chef de l'UNITA au chef de la SRADCA et au chef de la Section exploitation ­ Discussion en Suisse à l'échelon des experts, auprès de la SRADCA ­ Visite de Neethling et de Basson au Laboratoire AC de Spiez ­ Visite à Dübendorf d'une délégation des forces aériennes sud-africaines ­ Visite à Emmen, Meiringen et Payerne d'une délégation des forces aériennes sudafricaines ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au chef de la SRADCA ­ Visite en Afrique du Sud du chef de la SRADCA ­ Discussion en Suisse à l'échelon des experts ­ Visite en Suisse d'une délégation des forces aériennes sud-africaines aux Forces aériennes suisses ­ Visite en Afrique du Sud du chef de la SRADCA ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au chef de la SRADCA ­ Deux discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SECM RS ­ Visite en Afrique du Sud du SCEM RS ­ Discussion en Afrique du Sud à l'échelon des experts ­ Discussion en Afrique du Sud au niveau des experts (SRADCA) ­ Visite d'une délégation des forces armées sud-africaines au Laboratoire AC de Spiez ­ Vols d'essai en Afrique du Sud effectués par les forces armées sud-africaines sur des PC-7 et PC-9 des usines Pilatus ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au chef de la SRADCA ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM RS ­ Visite en Suisse d'une délégation des forces aériennes sud-africaines aux usines Pilatus à Stans ­ L'Afrique du Sud décide l'acquisition d'avions PC-7 ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM rens; visite, entre autres, des usines Pilatus ­ Deux entretiens en Afrique du Sud à l'échelon des experts ­ Deux entretiens en Suisse à l'échelon des experts ­ Tournée européenne du ministre sud-africain de la défense; à cette occasion, il se rend notamment en Suisse ­ Lettre de l'attaché sud-africain au commandant des Forces aériennes suisses avec des «félicitations pour le rejet de l'initiative contre
l'acquisition des F/A-18.» [Traduction] ­ Décision de la Direction du DMF exigeant la plus grand retenue lors de contacts officiels avec l'Afrique du Sud ­ Visite en Afrique du Sud du SCEM rens ­ Visite du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM rens ­ Quatre discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Deux visites en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM rens ­ Visite en Afrique du Sud du commandant des Forces aériennes suisses ­ Deux discussions en Afrique du Sud à l'échelon des experts ­ Trois discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Deux visites en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au

Année

1997

1998 1999 2000 2001

Activité

SCEM rens ­ Visite de courtoisie en Suisse au chef de l'Etat-major général ­ Deux discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Projet de formation de pilotes des forces aériennes sud-africaines en tant qu'instructeurs de vol sur PC-7 par les Forces aériennes suisses; pas de documents relatifs à l'exécution de ce projet ­ Visite en Afrique du Sud du SCEM rens ­ Visite en Suisse du chef des services de renseignement sud-africains au SCEM rens ­ Deux discussions en Afrique du Sud à l'échelon des experts ­ Trois discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Visite en Suisse du commandant des forces aériennes sud-africaines ­ Deux discussions en Suisse à l'échelon des experts ­ Annulation de la visite que le SCEM rens avait prévu de faire en Afrique du Sud ­ Visite en Afrique du Sud du commandant des Forces aériennes suisses ­ Discussion en Suisse à l'échelon des experts ­ Discussion en Suisse à l'échelon des experts

Il est probable qu'il y a encore eu de nombreuses autres rencontres avec des représentants d'Afrique du Sud en plus de celles qui ont pu être reconstituées grâce aux documents encore existants et qui font l'objet du résumé ci-dessus. La DCG a donc chargé la Direction du SRS d'établir une liste des frais imputés au budget du renseignement stratégique afin d'obtenir ainsi des informations supplémentaires. La vue d'ensemble réalisée par la Direction du SRS n'apporte cependant pas plus de lumière sur ces contacts tant il est vrai que, d'une part, les documents comptables ne couvrent que les années 1985 à 1992 et que, d'autre part, les pièces elles-mêmes ne sont guère détaillées. Comme la Direction du SRS l'a reconnu elle-même dans sa réponse écrite aux questions de la DCG, il n'est pas possible d'établir une vue d'ensemble complète englobant tous les contacts qui ont eu lieu avec des représentants d'Afrique du Sud.

6.5

Les contacts du GRS et du Gr rens avec l'UNITA

Les contacts du GRS et du Gr rens avec les services de renseignement militaires sud-africains du temps de l'apartheid concernaient un Etat qui, malgré toutes les réserves, était reconnu par le droit international public et avec lequel la Suisse entretenait des relations diplomatiques normales. Le fait que, du milieu à la fin des années 80, le GRS ait eu, de toute évidence grâce à l'entremise de son homologue sudafricain, des contacts plus ou moins officiels avec l'UNITA qui opérait en Angola, est nettement plus problématique. À l'époque, ce mouvement de rébellion dirigé par Jonas Savimbi et soutenu par le régime de l'apartheid sud-africain, menait une lutte armée contre le régime élu (pro-soviétique) en Angola.

Au milieu des années 70, peu de temps après l'accession à l'indépendance de l'Angola, un conflit a éclaté entre deux organisations nationales rivales. Alors que l'Union soviétique et Cuba soutenaient le gouvernement MPLA36 d'orientation 36

Movimento Popular da Libertação de Angola (mouvement populaire de libération de l'Angola).

2151

marxiste, les Etats-Unis et plus particulièrement l'Afrique du Sud soutenaient les rebelles de l'UNITA de tendance pro-occidentale. Jonas Savimbi ayant subi un nouveau revers électoral, le conflit s'est poursuivi après les élections sous surveillance internationale de 1992. Début 1999, après des années d'efforts qui n'ont pas permis de ramener la paix, le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé de retirer les casques bleus étant donné que tous les efforts de solution pacifique au conflit échouaient à cause des rebelles de l'UNITA toujours emmenés par Jonas Savimbi. Dans ces conditions, le Conseil fédéral a également été amené à ordonner des mesures à l'encontre de l'UNITA. L'ordonnance correspondante37 a été abrogée le 19 décembre 2002, soit après la mort de Jonas Savimbi.

Malgré ses investigations approfondies et les demandes adressées au DDPS, la DCG n'est pas parvenue à apporter la preuve de la visite des 1er et 2 mai 1984 mentionnée dans le rapport de l'enquête administrative du DDPS. Selon ce rapport, Peter Regli, se serait rendu, dans le Sud-Ouest africain (aujourd'hui la Namibie) alors sous le contrôle de l'Afrique du Sud et il aurait rencontré Jonas Savimbi. Certes, du 20 avril au 3 mai 1984, Peter Regli, encore en sa qualité de chef de la SRADCA, rendait visite aux services de renseignement militaires sud-africains accompagné par une délégation du GRS. Cela étant, ni le procès-verbal de la visite, ni le programme de visite détaillé ne permettent de conclure à une excursion en Angola ou à une rencontre avec l'UNITA. Au contraire, selon le programme, le 1er mai 1984 a été consacré à une visite du chef du service de renseignement des forces aériennes sudafricaines avec briefing ainsi qu'à la visite de bases aériennes. Quant à la journée du 2 mai 1984, elle était consacrée au déplacement à Johannesburg, à un tour guidé de Soweto, à la visite libre de la ville et au transport vers l'aéroport en vue du départ pour la Suisse qui devait avoir lieu le lendemain.

Il doit manifestement s'agir d'un malentendu puisque, lors de son audition par la DCG, Peter Regli a situé sa première rencontre avec des représentants de l'UNITA à 1984. Sur la base de ses descriptions, il ne peut y avoir aucun doute que ses déclarations à ce sujet se rapportent à une visite ultérieure. Aux dates des 10 au 19 mars 1988,
la vue d'ensemble des contacts entre la Suisse et l'Afrique du Sud à des fins de renseignement établie par le Gr rens comporte pour la première fois, l'indication «visite des troupes de l'UNITA à Jamba (Angola).» [Traduction] Les sujets traités à l'occasion de cette visite ressortent, sous forme de mots-clés, de la vue d'ensemble établie par la Direction du SRS. Celle-ci ne mentionne en revanche pas les participants. Les autres documents encore disponibles n'ont pas permis d'obtenir plus d'informations sur cette visite.

À ce sujet, Peter Regli a expliqué à la DCG que le contact avec Jonas Savimbi avait eu lieu de manière «plutôt involontaire» («ziemlich unfreiwillig»). Il se trouvait en visite en Afrique du Sud avec deux représentants du Gr rens. Les hôtes sud-africains les ont acheminés à Jamba par avion, une localité à l'extrême sud-ouest de l'Angola.

Là-bas, ils ont été reçus par Jonas Savimbi. Celui-ci avait fait ses études à Lausanne et avait gardé des rapports étroits avec la Suisse. Jonas Savimbi luttait contre les communistes, «raison pour laquelle il ne nous était pas foncièrement antipathique.» [Traduction] Par la suite, il y a eu d'autres contacts plus ou moins officiels.

37

Ordonnance du Conseil fédéral du 25 novembre 1998 instituant des mesures à l'encontre de l'UNITA (RO 1999 151, 2000 187, 2001 3583, 2002 1947 3957).

2152

Un procès-verbal relatant la visite de deux membres de la SRADCA en Afrique du Sud du 5 au 22 mai 1988, rapporte que ceux-ci ont eu des contacts avec l'UNITA en Angola. Il indique que la visite a principalement servi au désamorçage et à l'analyse d'armes de provenance soviétique saisies par l'UNITA (en particulier des SA-7, 14 et 16). En outre, le «matériel» reçu a été conditionné en vue de son transport. La visite en Suisse d'une délégation de l'UNITA avait été prévue pour le mois de juin de la même année (1988). Ce procès-verbal indique encore que les hôtes sudafricains ont pris les dispositions nécessaires pour que ce matériel soit transporté à Kinshasa. De plus, il mentionne que le chef de la SRADCA sera informé immédiatement de son arrivée à destination et précise que sa remise ne pourra pas avoir lieu avant le 1er juin 1988.

La visite de réciprocité des représentants de l'UNITA à la SRADCA a eu lieu du 12 au 18 juin 1988. Selon le programme, la délégation s'est rendue au Laboratoire AC de Spiez le 16 juin 1988 et un PC-7 a été utilisé pour transporter les «invités» angolais. Le procès-verbal de la visite rédigé par Peter Regli relate: «Pour la première fois, nous avons pu souhaiter la bienvenue à une délégation des services de renseignement de l'UNITA. Cette visite se distingue en tout point des visites des services d'autres pays.

La Suisse est le premier pays à recevoir le chef du renseignement de M. Savimbi et à proposer un programme de visite aussi riche.

Les invités ont besoin d'appuis dans tous les domaines. En revanche, ils sont disposés à nous accorder en tout temps accès au matériel de guerre soviétique le plus moderne (ainsi qu'aux documents correspondants).

Pour l'auteur du présent procès-verbal et pour ses collaborateurs, la visite de ces trois officiers a été une expérience unique. Nous avons réussi un investissement important pour l'avenir. [...]

La visite a été classée secrète. Pour l'extérieur (Hôtel, etc.), les visiteurs ont été présentés comme des citoyens ... Ils étaient d'ailleurs munis de passeports diplomatiques de ce pays. [...]

Savimbi aimerait demander à la Suisse de jouer le rôle d'intermédiaire de manière à pouvoir organiser des discussions visant à rétablir la paix. Etant donné que le DFAE ignore tout (et doit tout ignorer) de nos contacts, j'ai prié le commandant des troupes ADCA de servir d'intermédiaire avec le DFAE.» [Traduction, passage rendu anonyme par la DCG]

En ce qui concerne les contacts avec l'Afrique du Sud et les mouvements rebelles angolais reliés à l'Afrique du Sud, la DCG a également pu établir que Peter Regli avait, en août 1987, transmis à l'attaché de défense sud-africain des prises de vues de l'aéroport de Luanda. De plus, en juin 1988, il a promis à celui-ci la livraison de 30 cartouches ALN-593-6916 (leurres destinés à gêner la défense contre avions) et, en octobre de la même année, il a informé les forces aériennes sud-africaines de la livraisons par l'URSS d'avions de combat à l'Angola.

Les documents de la Direction du SRS contiennent une lettre que Peter Regli avait adressée au chef de la SRADCA en sa qualité de SCEM RS par intérim. Elle porte sur une autre visite de représentants de la direction de l'UNITA. Dans cette lettre, datée du 9 mars 1991, Peter Regli rendait le chef de la SRADCA attentif au fait que les hôtes angolais voyageraient de nouveau avec des passeports d'un autre pays africain.

2153

Peter Regli a expliqué à la DCG qu'il était bien conscient que l'UNITA était une organisation politique qui menait une lutte de libération et qui était soutenue par l'Afrique du Sud et les Etats-Unis. Il a également jouté: «Comment un service de renseignement parvient-il à obtenir des informations si ce n'est par des gens qui sont au front? [...] La fin justifiait les moyens. Nous espérions ainsi obtenir des données précieuses.» [Traduction] À la question de savoir si, aujourd'hui, il établirait des contacts avec d'autres mouvements de rébellion, Peter Regli ne s'est pas prononcé.

En revanche, il a objecté qu'une telle manière de faire ne se justifie qu'à condition que les groupements concernés soient équipés d'armes relativement récentes.

Il a déjà été relevé en introduction à cette section, que les contacts entretenus avec les services de renseignement militaires sud-africains au temps de l'apartheid concernaient un Etat qui était malgré tout reconnu par le droit international public et avec lequel la Suisse entretenait des relations diplomatiques normales. La DCG a de la peine à comprendre que le GRS puis le Gr rens aient pu entretenir des contacts plus ou moins officiels avec un mouvement de rébellion (indubitablement terroriste d'un point de vue actuel). Alors que la Suisse officielle offrait ses bons offices dans le Sud de l'Afrique et tentait d'arriver à un règlement pacifique du conflit, ses propres services de renseignement entretenaient des contacts avec un mouvement de rébellion qui a tenté de renverser un régime mis en place démocratiquement en recourant à la violence armée. Cela semble d'autant plus incroyable que le Sénat et le Congrès des Etats-Unis avaient interdit aux services secrets américains d'entreprendre des actions secrètes en faveur de l'UNITA.38 Ce fait mis à part, la DCG ne parvient pas à discerner un quelconque besoin d'une collaboration officielle avec l'UNITA. Comme l'UNITA était soutenue par l'Afrique du Sud et que les contacts avec le GRS puis le Gr rens avaient eu lieu par l'entremise des services de renseignement sud-africains, il aurait été bien plus simple de se procurer les informations recherchées auprès du service homologue sud-africain. De plus, le GRS était conscient que les membres de la délégation de l'UNITA étaient entrés en Suisse munis de faux
passeports. La DCG estime qu'il y a là un problème important puisque le GRS a toléré cette violation de l'ordre juridique suisse. Quant à l'invitation faite à une organisation rebelle, elle était et reste tout aussi discutable sous l'angle de la politique de neutralité.

6.6

Convention de protection des informations

6.6.1

En général

La fonction d'une convention de protection des informations consiste essentiellement à garantir la sécurité d'informations classifiées relatives. Par la conclusion de telles conventions, les parties s'engagent réciproquement à soumettre les informations confidentielles fournies par l'autre partie à ses propres prescriptions relatives au maintien du secret. Les conventions de ce genre ont été conclues à l'échelon inférieur durant de longues années. Ce n'est qu'à partir de 1988 que la conclusion de nouvelles conventions et la révision de conventions existantes ont été soumises à l'approbation du Conseil fédéral. Sur la base des recommandations de la CEP DFJP 38

À ce sujet, voir Kissinger, Henry A., Years of renewal, Simon & Schuster, New York, 1999, chap. 26.

2154

et de la CEP DMF, de nombreuses révisions ont eu lieu. Ainsi, le 27 avril 1994, la plupart des conventions de protection des informations conclues avant 1988 ont été soumises à l'approbation du Conseil fédéral. Des éclaircissements supplémentaires ont été nécessaires pour quatre d'entre elles, raison pour laquelle leur approbation n'a eu lieu que plus tard.

Depuis la modification du 4 octobre 2002, l'art. 150, al. 4, de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire39 prévoit que le Conseil fédéral est habilité à conclure avec des Etats étrangers des conventions visant au maintien du secret militaire. En outre le Conseil fédéral est tenu de présenter chaque année à l'Assemblée fédérale un rapport sur les traités conclus par lui, un département, un groupement ou un office.40 Lors des auditions de la DCG, les collaborateurs du DDPS ont insisté sur le fait que les conventions de protection des informations ­ à l'époque, la conclusion de telles conventions relevait de la compétence de la Section maintien du secret, aujourd'hui elles nécessitent l'approbation du Conseil fédéral et, à l'avenir, elles devront être conclues par le Conseil fédéral lui-même ­ n'a aucun rapport avec le domaine du renseignement et que les échanges d'informations dans le domaine de l'armement étaient et sont certainement étrangers au renseignement.

6.6.2

Convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud

C'est encore sous l'ancien droit que, le 31 mars 1983, le chef de la Section maintien du secret avait conclu une convention de protection des informations avec le chef de l'Etat-major des forces armées sud-africaines.41 En plus des objectifs généraux usuels, cette convention présente un certain nombre de particularités par rapport à des conventions similaires conclues avec d'autres Etats. Sur la demande expresse des services de renseignement sud-africains, la convention a elle-même été classée secrète.

Cette convention contient les rubriques suivantes: Préambule Art. 1 Définitions, en particulier de ce qu'il faut comprendre par «informations classifiées» Art. 2 Protection réciproque du secret Art. 3 Classifications Art. 4 Mandats Art. 5 Information réciproque Art. 6 Transmission de matériel confidentiel entre les Etats Art. 7 Visites Art. 8 Perte, révélation et manquements Art. 9 Coûts de la sécurité

39 40 41

FF 2002 6086.

Art. 47bisb, al. 5, LREC; voir à ce sujet le rapport du Conseil fédéral sur les traités internationaux conclus en l'an 2001, du 26 juin 2002 (FF 2002 5201).

Convention entre la Suisse et la République d'Afrique du Sud sur la protection réciproque des informations classifiées du 31 mars 1983 (n'existe qu'en allemand et en anglais).

2155

La convention a été conclue par la Section maintien du secret qui était subordonnée à l'ancien GRS. Elle se limitait cependant à régler la garantie du maintien du secret sans aborder les modalités relatives à l'échange d'informations en tant que tel.

La convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud était l'un des quatre accords qui n'avaient pas (encore) été soumis à l'approbation du Conseil fédéral. Dans une lettre adressée à la DCG le 8 juin 1994 le chef du DMF expliquait qu'une résiliation de la convention avait été envisagée mais que, au vu des changements politiques qui avaient eu lieu en Afrique du Sud, une telle décision aurait donné un mauvais signal. Le maintien de la convention se justifiait «(il n'y a toujours pas de cas dans lesquels elle s'applique)». [Traduction] Pour le reste, il estimait qu'elle ne comportait aucune particularité; au contraire, les autorités sudafricaines avaient accepté la convention type présentée par la Suisse sans demander de modification.

En règle générale, les services secrets ne conviennent pas d'accord écrit en ce qui concerne l'échange d'informations. Au contraire, l'instauration de contacts réguliers n'a lieu, la plupart du temps, que sur la base d'accords verbaux à l'échelon des chefs des services de renseignement. À cet égard, l'accord avec l'Afrique du Sud (voir également le ch. 6.2) se conforme aux habitudes en la matière. Quelque temps après le changement de régime en Afrique du Sud, les services de renseignement sudafricains ont manifestement demandé au Gr rens de conclure un protocole d'accord dans le but de poursuivre la collaboration. En tout état de cause, les documents contiennent une copie d'une lettre datée du 19 avril 1999 que Peter Regli avait adressée (en anglais) aux services de renseignement sud-africains. Cette lettre portait sur une visite à l'échelon des chefs des services de renseignement qui devait avoir lieu à Berne du 10 au 12 novembre 1999. Dans cette lettre, Peter Regli précisait cependant à son homologue: «J'ai été informé de votre désir de conclure un protocole d'accord [memorandum of understanding] avec nous. En vertu de notre législation nationale, il ne nous est pas possible de conclure un tel protocole d'accord dans le domaine du renseignement.

Nous travaillons habituellement (donc également avec
l'Afrique du Sud) sur la base de gentlemen's agreements, c'est-à-dire d'arrangements verbaux basés sur la confiance mutuelle. Ces arrangements sont régulièrement revus lors des rencontres qui ont lieu à l'échelon des directeurs des services.

J'espère que vous serez d'accord avec une telle conception de nos rapports (celle-ci a d'ailleurs fait ses preuves depuis le début de nos relations bilatérales en 1978).» [Traduction]

Plus que la convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud en tant que telle, c'est sa genèse qui est intéressante. La DCG a cherché à savoir pourquoi, au printemps 1983, le GRS avait conclu cette convention de protection des informations dont le but, selon les explications officielles, était uniquement lié à la collaboration dans le domaine de l'armement. Le 1er juin 1993, dans sa réponse à une question ordinaire urgente concernant la coopération militaire avec l'Afrique du Sud, le Conseil fédéral a indiqué: «En concluant des conventions de protection des informations, les Etats s'engagent à protéger les secrets de tiers dont ils ont connaissances lors de transactions dans le domaine de l'armement comme leurs propres secrets. Les conventions de protection des informations ne servent pas de base à des échanges de pilotes ou des opérations du renseignement.» [Traduction]

2156

L'interdiction d'exportation de matériel de guerre vers l'Afrique du Sud prononcée par le Conseil fédéral le 6 décembre 1963 et la résolution 418 du 4 novembre 1977 du Conseil de sécurité de l'ONU qui introduisait un embargo sur l'exportation des armes contraignant pour tous les membres des Nations Unies étaient en vigueur depuis longtemps (voir également ch. 5.1) lors de la conclusion de la convention (1983).

Parmi les rares documents qui ont été préservés figure une note du chef suppléant de l'époque du Protocole militaire portant sur une demande du 3 avril 1982 émanant de l'attaché de défense sud-africain et qui apporte quelques éclaircissements au sujet de la conclusion de la convention de protection des informations. L'attaché de défense s'était en effet renseigné auprès du Protocole militaire pour savoir si une délégation des forces aériennes sud-africaines pouvait visiter la Fabrique fédérale d'avions à Emmen, principalement dans le but d'en savoir plus sur les tests de résistance effectués sur les Mirage.42 Le Protocole militaire a transmis la demande au chef de l'armement et à la Section maintien du secret. À cette dernière, le Protocole militaire a également demandé si, dans ce cas de figure, il ne serait pas nécessaire de conclure une convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud. C'est à la suite de cette question dactylographiée à même demande de l'attaché de défense sud-africain que, le 15 avril 1982, le chef suppléant du Protocole militaire avait ajouté une note manuscrite qui précisait qu'une telle convention était «en cours de rédaction, selon téléphone du 15.04.82 avec M. Stoll.» [Traduction] (Voir aussi le ch. 6.3.3.6).

La DCG n'a pas trouvé de documents relatifs à la visite d'une délégation sudafricaine aux Forces aériennes suisses qui aurait dû avoir lieu du 18 au 23 mai 1982.

En revanche, le Protocole militaire dispose de documents permettant de conclure qu'une rencontre a en tous les cas eu lieu le 16 octobre 1982 sur l'aérodrome de Dübendorf. De plus, il ressort de l'avis du chef de l'armement au sujet de la demande du 3 avril 1982 que le Groupement de l'armement avait «déjà reçu une délégation sud-africaine à deux reprises à la Fabrique fédérale d'avions d'Emmen» [traduction] et qu'il leur avait donné les informations souhaitées sans pour autant pourvoir
tirer profit des contacts avec les Sud-Africains.

Les recherches plus approfondies ont révélé que le commandant des Forces aériennes avait demandé la conclusion d'une convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud avant la visite de la délégation sud-africaine étant donné que certains aspects des tests de résistance des matériaux étaient classés secrets. À cet égard, le Secrétariat général du DDPS a indiqué que les Forces aériennes ne disposent d'aucun élément leur permettant de conclure que des informations concernant les avions de combat Mirage ont effectivement été échangées. Les autres services du DDPS qui auraient pu avoir été concernés n'avaient rien entrepris qui aurait relevé de la convention de protection des informations.

42

Selon le Groupement de l'armement, la Fabrique fédérale d'avions a acquis une renommée internationale dans le domaine de l'étude de la résistance des matériaux. Elle a acquis ces connaissances lors du développement de ses propres avions de combat (N-20).

Comme Israël, la Fabrique fédérale d'avions était membre de l'ICAF (International Committee on Aeronautical Fatigue). Travaillant sur la résistance des matériaux composant les avions de combat Mirage et Kfit, Israël avait informé l'Afrique du Sud des travaux accomplis par la Suisse dans ce domaine.

2157

Aujourd'hui, le DDPS indique qu'il n'y a pas d'indices permettant de conclure à un échange d'informations au sujet des tests de résistance effectués sur les Mirage. Le fait qu'il n'y ait pas (plus) de documents à ce sujet est plausible étant donné que les dossiers ont été détruits en grande partie. Il n'en demeure pas moins établi que des contacts avec des représentants des forces aériennes sud-africaines portant sur les tests de résistance des matériaux ont effectivement eu lieu. Lors de son audition par la DCG, Peter Regli n'était toutefois pas parvenu à se souvenir des détails. Il a cependant reconnu qu'il était «possible que des documents concernant les tests de résistance effectués sur les Mirage suisses aient été remis aux Sud-africains ou réciproquement.» [Traduction] Même en l'absence de tout document, la DCG estime donc qu'il est très probable que les informations souhaitées par les Sud-Africains leur ont été effectivement communiquées et, partant, que la convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud a sans doute été appliquée.

La DCG a posé au DFAE la question de savoir si cette convention conclue avec l'Afrique du Sud était compatible avec l'embargo sur l'exportation de matériel de guerre décidé par le Conseil fédéral (1963) et avec la résolution 418 du Conseil de sécurité de l'ONU (1977). Dans sa réponse écrite, le DFAE a rappelé que les champs d'application des deux décisions d'embargo ne se recouvraient pas complètement. Outre les armes, les munitions, les véhicules militaires, les équipements paramilitaires et les pièces de rechange, la résolution de l'ONU s'étendait également aux contrats de fabrication sous licence, alors que ces derniers ne tombaient pas sous le coup de l'embargo décidé par le Conseil fédéral.

Il ressort de ce qui précède que la convention de 1983 entre la Suisse et l'Afrique du Sud et l'échange d'informations militaires auquel elle a donné lieu étaient compatibles, sur le plan juridique du moins, avec les deux embargos de 1963 et 1977. La DCG est en revanche d'avis que les informations données par la Suisse à l'Afrique du Sud sur les tests de résistance pratiqués par les Suisses sur les Mirage étaient problématiques sous l'angle de la politique de neutralité et de la politique étrangère.

6.6.3

Controverse au sujet d'un prétendu accord d'échange d'informations avec l'Afrique du Sud

Dans divers médias, il a été question d'un accord de collaboration ou tout du moins d'échange d'informations dans le domaine de la guerre biologique et chimique que le GRS aurait conclu avec l'Afrique du Sud en 1986. Le général Chris Thirion, ancien chef de la section évaluation des services de renseignement sud-africains, plus tard chef de la Military Intelligence Division (MID) a été considéré comme témoin clé dans cette affaire. Selon les explications de la Direction du SRS, celui-ci s'est rendu en Suisse à l'occasion de plusieurs ­ environ cinq à six ­ rencontres à l'échelon des chefs des services de renseignement ou à l'échelon des experts. Le journaliste suisse Jean-Philippe Ceppi, citant le général Thirion qu'il avait interviewé, a rapporté que, en 1986, il avait contribué à la conclusion d'un accord entre la Suisse et l'Afrique du Sud prévoyant une collaboration dans le domaine de la guerre biologique et chimique.

Lors de son audition, Jean-Philippe Ceppi a présenté à la DCG une transcription de l'interview du général Thirion réalisé les 28 septembre et 1er octobre 2001. Ce document (en anglais) contient notamment le passage suivant: 2158

«Y avait-il un accord signé?

Naturellement, cette affaire relevait du plus grand secret. Mais lorsque nous sommes rentrés en Afrique du Sud, nous avons rédigé un compte-rendu qui a été classé dans un dossier. Je me rappelle tout à fait que nous avions un accord écrit signé par les Suisses.

Ils avaient refusé certains points et accepté d'autres.» [Traduction]

Au printemps 2002, le Ministère public de la Confédération avait procédé à des auditions en Afrique du Sud au titre de l'entraide judiciaire. Il avait également l'intention d'entendre le général Thirion. Cette audition n'a toutefois pas eu lieu étant donné que Chris Thirion était absent.

Anton Ackermann, Deputy Director of Public Prosecution for the Transvaal region, procureur en chef du procès contre Wouter Basson, a déclaré à la DCG que les anciens chefs d'état-major des services de renseignement des forces armées sudafricaines ­ les généraux Dirk Verbeek, C.P. van der Westhuizen et Witkop Badenhorst ­, comme le général Thirion, avaient tous clairement déclaré qu'un tel accord n'avait jamais existé et qu'il croyait en leur sincérité. En outre, la DCG a également consulté un procès-verbal littéral qu'un particulier a rédigé lors d'une entrevue avec Chris Thirion au mois de décembre 2001. Confronté aux propos cités par la presse suisse, Chris Thirion a déclaré qu'il n'y a jamais eu d'accord écrit; «il n'y a jamais eu de contrat ou d'accord.» [Traduction] Pas une seule des personnes entendues par la DCG n'a eu connaissance de ce prétendu accord avec l'Afrique du Sud dans le domaine de la guerre biologique et chimique. Au contraire, les témoignages concordent tous: la convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud a bien été conclue en 1983, mais il n'y a pas eu d'autre accord écrit.

La DCG n'a aucune raison de douter de ces déclarations. En tenant compte de toutes les informations et de tous les indices relevés, elle parvient à la conclusion qu'aucun accord de collaboration ou d'échange d'informations dans le domaine de guerre biologique et chimique n'a jamais été conclu avec l'Afrique du Sud. À l'exception de la déclaration reprise de l'interview mentionnée ci-avant, dont l'authenticité a d'ailleurs été formellement contestée par le général Thirion lui-même, il n'y pas le moindre indice permettant de penser qu'un tel accord aurait existé. Indépendamment de ces arguments, il faut encore relever que la conclusion d'un accord de ce genre n'aurait eu aucun sens puisque la collaboration entre services de renseignement est de toute manière basée sur des accords verbaux. Par conséquent la conclusion d'accords formels n'est pas nécessaire et, surtout, elle est étrangère aux pratiques en
la matière (voir ch. 6.6.2).

Il est tout à fait possible, sinon très probable, que la controverse qui a eu lieu dans les médias au sujet de la conclusion d'un prétendu accord de collaboration avec l'Afrique du Sud repose sur un malentendu. En effet, un échange de vues entre le DFAE et la Direction de l'administration militaire fédérale sur la conclusion d'une convention de coopération internationale (ne concernant pas l'Afrique du Sud) relative à l'échange d'informations en matières de toxiques de combat date de la même époque. Le 16 octobre 1986, pour des raisons politiques, la Direction du droit international public du DFAE se prononçait contre la conclusion d'un accord formel avec un Etat européen tel que le Groupement de l'armement le souhaitait et recommandait de poursuivre les échanges d'informations informels comme cela avait été le cas jusque-là. Le 22 octobre 1986, le DFAE informait par lettre la Direction de 2159

l'administration militaire fédérale «qu'elle n'a pas la compétence de conclure de tels accords et que la convention prévue devrait en tout cas être préalablement soumise au Conseil fédéral.» [Traduction] Le Groupement de l'armement s'est obstiné et a élaboré un nouveau projet de convention. Le 24 février 1987, le DFAE lui signifiait qu'il s'en tenait à son avis précédent. Le nouveau projet avait également le caractère d'un accord liant deux Etats et la convention devait donc être considérée comme traité international dont la conclusion ressortit à la compétence du Conseil fédéral ou au Parlement. Par la suite, le Groupement de l'armement a renoncé à la conclusion d'un accord formel.

6.7

Contacts avec l'Afrique du Sud du point de vue du GRS et du Gr rens

Dans son rapport de juin 1999 portant sur la collaboration avec les services de renseignement étrangers (De la collaboration avec des services de renseignement étrangers, Von der Zusammenarbeit mit ausländischen Nachrichtendiensten, n'existe qu'en allemand), le Gr rens a présenté les raisons qui, de son point de vue, parlaient en faveur d'une collaboration avec l'Afrique du Sud. Lors des auditions, il a souvent été relevé que, dans une perspective stratégique, l'Afrique du Sud a joué un rôle central durant la période de la guerre froide. Peter Regli, en particulier, a invoqué le fait que les services de renseignement doivent se procurer les renseignements là où ils sont disponibles. Selon lui, au cours des années 80, l'Afrique du Sud était, avec Israël, le seul pays disposant d'une expérience de guerre contre l'armement de l'adversaire potentiel de la Suisse. Un ancien collaborateur de la SRADCA a également déclaré que, en raison de leurs moyens limités, les services de renseignement suisses étaient dépendants des informations qu'ils pouvaient obtenir de services étrangers. Dans de telles circonstances, l'Afrique du Sud était l'un des plus importants partenaires pour la Suisse. Il s'agit d'un pays qui disposait, d'une part, d'une expérience de guerre, ce qui lui avait notamment permis d'obtenir de très bons résultats dans le domaine de l'exploitation électronique et, d'autre part, de spécialistes mieux formés dans le domaine de l'analyse que ceux des services partenaires européens. La collaboratrice qui, à l'époque, était responsable de la Section exploitation a également confirmé que, dans les années 80, l'Afrique du Sud était un pays important dans le domaine du renseignement.

À l'opposé, l'actuel directeur du SRS a déclaré que ­ dans la mesure où il en avait gardé le souvenir ­ l'Afrique du Sud était à l'époque un sujet qui n'avait rien de particulier. Le service en tant que tel entretenait plutôt moins de contacts avec les services de renseignement de l'Afrique du Sud qu'avec ceux d'autres pays. Il ne croit d'ailleurs pas que la SRADCA ait obtenu des informations des services sudafricains étant donné que, à l'exception des activités de certains chefs, il s'agissait plutôt d'une organisation axée sur l'exploitation. Du point de vue du Protocole militaire également, l'Afrique du Sud était un
partenaire normal qui n'avait absolument rien de particulier. Ainsi, les sujets des discussions portaient notamment sur l'instruction des troupes, les prescriptions en matière de finances, l'organisation du service des aumôniers, le maintien du secret ou le service sanitaire.

2160

6.8

Utilité apparente des contacts avec l'Afrique du Sud

L'analyse de l'utilité des contacts avec l'Afrique du Sud donne des résultats décevants. Il ne fait aucun doute que la MID comptait parmi les services partenaires les plus importants du GRS puis du Gr rens comme cela ressort de l'énumération des contacts qui ont eu lieu à tous les échelons (voir ch. 6.4). Il aurait par conséquent été possible de s'attendre à ce que ces derniers aient permis à notre pays d'obtenir des informations essentielles donnant lieu à des retombées importantes pour sa sécurité.

Pour clarifier ce point, la DCG a demandé des renseignements au sujet des procèsverbaux des séances de direction du GRS et du Gr rens. La réponse écrite du DDPS à ce sujet se limite à constater que ces procès-verbaux ne contiennent «aucun document ni aucune information au sujet des relations avec l'Afrique du Sud étant donné que, en raison de leur nature, de telles questions n'étaient pas traitées en séance de direction.» [Traduction] La DCG ignore tout de la raison pour laquelle un sujet politiquement aussi brûlant que les contacts avec le régime de l'apartheid et un mouvement rebelle comme l'UNITA, ne pouvait «en raison de sa nature» pas être traité lors de ses séances par l'organe de direction suprême du renseignement suisse.

Dans le cadre de ses auditions, la DCG a également interrogé les anciens collaborateurs de la Section exploitation compétents pour l'Afrique australe. Une ancienne collaboratrice a indiqué que, au début des années 90, il y avait une cinquantaine de classeurs concernant l'Afrique noire. Environ quinze à dix-huit d'entre eux concernaient uniquement l'Afrique du Sud. La tentative de consulter ces documents n'a pas abouti étant donné que ­ comme la Direction du SRS l'a expliqué à la DCG ­ «suite à la concentration des tâches du service de renseignement stratégique sur certains domaines clefs, les dossiers de documentation ont été démantelés dans le courant des années 90.» [Traduction] Les procès-verbaux des rencontres et entretiens sont les seuls documents qui subsistent encore aujourd'hui et qui renseignent sur la collaboration avec l'Afrique du Sud, en particulier sur les informations qu'elle a permis d'obtenir. Leur contenu a déjà été abordé plus haut (voir ch. 4.3.6). Pour l'essentiel, ils rendent compte du déroulement des contacts, mentionnent les personnes qui y ont participé
et ­ dans le meilleur des cas ­ comportent une évaluation générale de la rencontre.

Ainsi, le chef du GRS à cette époque, après sa première visite en Afrique du Sud, qui a eu lieu du 9 au 17 mars 1982, arrive à la conclusion, selon procès-verbal de rencontres ou d'entretiens, que l'Afrique du Sud est tout à fait en mesure de maintenir ses positions et de garder sous contrôle les infiltrations en provenance des pays environnants. La mesure dans laquelle les dirigeants politiques et militaires de l'Afrique du Sud parviendraient à s'ouvrir aux nouvelles conditions et à assouplir la politique raciale serait décisive pour la suite de l'évolution. Si l'Afrique du Sud devait échouer, cela découlerait uniquement du manque de flexibilité en matière de conduite qui avait été constaté tout au long de la visite et qui était manifestement un élément déterminant du caractère des Boers.

Bien que théoriquement conscients de l'importance stratégique et économique de l'Afrique du Sud, les services de renseignement étaient convaincus que seul un voyage dans ce pays avec la prise de conscience de l'importance des distances énormes qui doivent être parcourues permettait d'appréhender clairement les problèmes de l'Afrique du Sud. En plus de tous les objectifs qu'ils s'étaient fixés pour 2161

cette visite, celui-ci avait été pleinement atteint. Le chef du GRS était par ailleurs de l'avis qu'il faudrait toujours faire preuve d'une certaine réserve en ce qui concerne les rapports avec les forces armées sud-africaines et plus particulièrement avec les services de renseignement. Bien qu'un intérêt des services de renseignement existait pour les mouvements des bâtiments de la flotte soviétique qui croisaient au large de l'Afrique du Sud, ils ne pourraient se lier trop étroitement à l'Afrique du Sud.

Pour le chef du GRS, il serait inadmissible que la Suisse soit mise dans le même paquet que Taiwan, la Corée du Sud, Israël, le Chili et le Paraguay. Ce risque semblait toutefois inexistant en raison des accords conclus dans les trois domaines mentionnés. Il faudrait dans un premier temps développer les liens avec l'Afrique du Sud en développant les moyens techniques et en définissant des règles pour les entretiens à venir sans toutefois se compromettre d'une manière ou d'une autre. Le chef des services de renseignement était convaincu que, durant les dix années suivantes, l'Afrique du Sud constituerait encore un facteur décisif de la politique africaine.

Ni ce procès-verbal ni aucun autre document ne contiennent plus d'informations sur le contenu de cette première visite en Afrique du Sud du chef du renseignement suisse alors qu'elle a tout de même duré neuf jours. Les éléments qui ressortent de cette visite ne dépassent guère le niveau de ce qui était généralement connu à cette époque et de ce que les médias publiaient. En outre, la DCG ne parvient pas à comprendre en quoi l'évaluation de la situation politique intérieure de l'Afrique du Sud avait pu être d'un quelconque intérêt pour la sécurité de la Suisse.

Les fonctions d'acquisition et d'exploitation étaient remplies par deux sections distinctes au sein du GRS puis du Gr rens. Par conséquent, outre les chefs, ce sont principalement les collaborateurs de la Section exploitation qui participaient aux discussions à l'échelon des experts. Comme l'actuel directeur du SRS l'a expliqué à la DCG, c'est la Section exploitation qui, pour l'essentiel, définissait les besoins en matière de renseignement et qui, partant, dirigeait l'acquisition d'informations. Les procès-verbaux des rencontres et entretiens ne permettant pas d'évaluer les résultats
obtenus, il était donc possible de s'attendre à ce que les nombreux échanges de visites entre chefs des services de renseignement et discussions à l'échelon des experts aient au moins donné lieu à des retombées intéressantes pour la Section exploitation. Cette section était organisée par région du monde ou par thème, si bien que les informations pertinentes devaient obligatoirement finir par s'y rassembler.

Jusqu'à la fin des années 80, la Section exploitation comportait un bureau «Tiersmonde» qui, à l'époque, était également compétent pour l'Afrique du Sud. Après le départ à la retraite du chef du bureau qui était en poste depuis 1978, il a été décidé de ne plus repourvoir ce poste. En 1990, la région subsaharienne (Afrique noire et notamment Afrique du Sud) a été attribuée à la collaboratrice qui s'occupait principalement de l'Extrême-Orient. Après le départ à la retraite de celle-ci, l'exploitation d'informations en provenance de la région subsaharienne a pratiquement été abandonnée. Malgré cela, les chefs des services de renseignement et les experts ont continué à se retrouver à intervalles réguliers.

Lors de son audition par la DCG, le responsable du bureau «Tiers-monde» en place jusqu'en 1989, a déclaré que le GRS n'avait de contacts réguliers avec aucun pays du Tiers-monde et que, dans son domaine de compétence, l'Afrique du Sud constituait sans aucun doute la seule exception. À la question correspondante de la DCG, 2162

il a déclaré n'avoir «jamais reçu de rapport relatif à une rencontre entre M. Regli et des représentants des services secrets sud-africains» [traduction] et qu'il n'était absolument pas au courant de telles rencontres. Selon lui, avec la SRADCA, Peter Regli disposait d'un service spécial, très secret, considéré comme service de renseignement dans le service de renseignement. Peter Regli a veillé avec soin à ce «que cela reste ainsi et qu'il puisse garder ce service pour lui.» [Traduction] À son avis, ces conditions n'ont pas toujours été très réjouissantes et n'ont guère favorisé la collaboration. Les informations les plus importantes lui parvenaient directement des collaborateurs sud-africains chargés de l'exploitation des renseignements avec qui il avait entretenu de très bons contacts et qui lui ont donné accès à leurs informations.

Il a également précisé n'avoir participé qu'à une seule rencontre d'experts en Afrique du Sud.

Les déclarations de la personne compétente, dès 1990, pour la région subsaharienne à la Section exploitation sont également sans équivoque. Elle a expliqué que l'exploitation se faisait essentiellement à partir de trois catégories de sources, à savoir les sources publiquement accessibles, les rapports du DFAE ainsi que les rapports des services partenaires. Pour sa part, elle a déclaré avoir participé à trois rencontres avec des délégations sud-africaines, deux à Berne (1987 et 1992) et une en Afrique du Sud (1991). Elle a qualifié la visite en Afrique du Sud d'extrêmement intéressante. Son rôle était de présenter aux experts sud-africains une analyse de la situation en l'Afrique australe.

À la question correspondante, cette personne a répondu qu'elle n'avait jamais reçu d'information pertinente de la Section acquisition. Peter Regli et le chef de la Section acquisition se sont souvent rendus en Afrique du Sud, ils ne lui ont cependant jamais dit grand-chose: «c'était bien et intéressant, meilleures salutations de la part du général Thirion etc., mais cela s'arrêtait là.» [Traduction] Elle a également précisé n'avoir jamais vu de rapport écrit des visites, qu'elles aient eu lieu à l'échelon des chefs des services de renseignement ou à celui des experts, et qu'elle ne saurait pas où trouver de tels documents. À cet égard, elle a encore déclaré qu'elle ne savait même pas
si les voyages en Afrique du Sud ou les rencontres avec les représentants du renseignement sud-africain avaient fait l'objet de rapports écrits ou si les informations n'étaient transmises que par oral. À son avis, ces visites avaient plus à voir avec un échange de bons procédés et de rapports amicaux. À la question de savoir quels sujets faisaient l'objet des discussions entre chefs, elle a répondu qu'elle n'en savait rien, ces informations n'étant jamais parvenues jusqu'à elle: «M. Regli ­ je ne l'ai connu que pendant deux ans ­ m'a rapporté du matériel à l'occasion de l'une ou l'autre de ses visites, mais il s'agissait presque uniquement de matériel de propagande, d'informations sur du matériel militaire ou d'autres renseignements qui ne m'intéressaient pas du tout puisque j'avais été (engagé) en tant que politologue! Lorsque je l'interrogeais au sujet de l'intérêt d'un voyage, il me répondait uniquement: etc., mais cela s'arrêtait là. J'ai classé le matériel de propagande ou les informations relatives au matériel militaire (la plupart du temps dans le classeur destiné aux officiers de milice qui nous étaient attribués). Parfois, j'ai même jeté le matériel sans intérêt. En conclusion, je peux dire que M. Regli ne m'a certainement jamais remis quoi que ce soit d'important ou dont j'aurais pu avoir besoin (dans mon travail) et je n'ai rien appris de ce qui m'aurait véritablement intéressé.» [Traduction]

En résumé, il est possible de constater que l'ensemble des documents de la Direction du SRS ne contiennent aucun indice permettant de penser que les relations avec 2163

l'Afrique du Sud ont permis d'obtenir des informations intéressant la sécurité de l'Etat. En outre, les procès-verbaux des rencontres et entretiens classés secrets sont bien plus des descriptions de voyages que des sources d'informations relevant du renseignement. De plus, les prétendus résultats découlant des nombreuses rencontres qui ont eu lieu à tous les échelons n'ont pas été exploités de manière systématique et même les collaborateurs du GRS et du Gr rens compétents pour l'Afrique australe n'en avaient pas connaissance. Pour toutes ces raisons, une seule conclusion peut être raisonnablement tirée: les contacts du GRS puis du Gr rens avec les services de renseignement sud-africains à l'époque du régime de l'apartheid n'ont pas été de la moindre utilité du point de vue de la sécurité de la Suisse et, plutôt que les intérêts de notre pays, ils ont servi à élargir l'horizon de quelques collaborateurs choisis.

Ce qui est plus particulièrement frappant, c'est que les contacts réguliers avec le renseignement militaire sud-africain ont été justement instaurés et développés durant la période au cours de laquelle le régime sud-africain était de plus en plus isolé en raison de sa politique d'apartheid. Alors que les services secrets des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et d'autres pays ont été obligés de réduire, voire d'interrompre leurs contacts avec l'Afrique du Sud à la suite des résolutions de l'ONU, le GRS semble avoir profité de la situation. En effet, plus l'Afrique du Sud était isolée sur la scène politique mondiale, plus elle soignait les quelques relations internationales qu'elle avait encore. Dans ces circonstances, les services de renseignement d'un petit Etat et leurs représentants ont tout à coup pris une importance qui ne leur serait jamais revenue dans un environnement politique normal.

7

Contacts de médecins militaires suisses avec l'Afrique du Sud

7.1

Congrès international de médecine militaire

La DCG n'a pas limité ses investigations aux contacts des services de renseignement suisses, elle a également examiné les rapports que le Groupe des affaires sanitaires et le médecin en chef de l'armée ont entretenus avec l'Afrique du Sud. Sur demande du DDPS, un examen préliminaire correspondant avait déjà été diligenté par le chef de l'Etat-major général.

Un cours du Comité International de Médecine Militaire (CIMM) pour jeunes médecins militaires a eu lieu à Moudon du 18 au 27 septembre 1986. À cette époque, l'Afrique du Sud n'était pas membre de cette organisation et ne faisait par conséquent pas partie des pays invités. La liste des participants ne comporte d'ailleurs aucun médecin militaire sud-africain.

Le congrès annuel du CIMM a tenu ses assises du 5 au 11 mai 1988 à Interlaken sous la direction du médecin en chef de l'armée suisse. L'Afrique du Sud n'était toujours pas membre de cette organisation, mais elle envisageait de le devenir. C'est dans cette perspective (l'Afrique du Sud en est effectivement devenue membre l'année suivante, c'est-à-dire en 1989) que le médecin en chef des forces armées sud-africaines, le général Sheepers et non le général Nieuwoudt comme prétendu par une partie des médias, a participé à ce congrès annuel. Le médecin en chef de l'armée suisse avait incité le représentant sud-africain à y participer en civil étant donné qu'il y avait de nombreux participants issus de pays d'Afrique. Le médecin 2164

en chef sud-africain Sheepers a participé à quelques manifestations du congrès. Au cours de son séjour, un officier de milice s'est occupé de lui. Le médecin en chef sud-africain a eu quelques contacts personnels avec le médecin en chef et d'autres médecins militaires de l'armée suisse. Ces contacts se sont cependant limités aux habituelles formules de politesse et à l'échange de quelques avis et commentaires sur les sujets traités lors du congrès. Le projet de guerre biologique et chimique sudafricain nommée «Coast» (à ce sujet, voir chap. 10) n'a fait l'objet d'aucune discussion, ni directement ni indirectement. Bien que n'ayant pas été annoncé officiellement, l'un des collaborateurs du médecin en chef sud-africain Sheepers a également participé au congrès et a été autorisé à prendre part à quelques conférences. Le Groupe des affaires sanitaires a informé la DCG qu'il n'était plus possible de retrouver le nom du collaborateur qui avait accompagné le médecin en chef des forces armées sud-africaines à l'occasion de ce congrès: «Il est impossible d'exclure de manière certaine qu'il ait pu s'agir de W. Basson. Cela étant, le fait que cet accompagnant avait le grade de major et qu'il commandait un bataillon sanitaire (c'est ainsi qu'il avait été présenté) et que, un an plus tard, W. Basson revêtait le grade de général de brigade [...] est de nature à infirmer cette hypothèse.» [Traduction]

7.2

Mandat de l'ONU en Namibie

Durant les années 1989 et 1990, le médecin en chef de l'armée suisse a dirigé l'engagement d'une unité sanitaire suisse qui, sur mandat de l'ONU, assurait les soins médicaux de la force de maintien de la paix engagée par les Nations Unies.

Dans ce contexte, quelques contacts dus aux circonstances ont eu lieu avec le médecin en chef des forces armées sud-africaines, le général D. P. Niel Knobel43. Ces cinq à six rencontres ont eu lieu en Namibie, en Afrique du Sud et en Suisse.

Comme le Groupe des affaires sanitaires l'a constaté dans son rapport adressé au chef de l'Etat-major général, il s'est chaque fois agi de discussions relevant du domaine sanitaire qui ont eu lieu dans le but de garantir la meilleure exécution possible du mandat de l'ONU. D'autres sujets, notamment des sujets en relation avec les délits dont Wouter Basson a été accusé, n'ont jamais été abordés.

Quelques contacts avec d'autres médecins militaires sud-africains ont également eu lieu à l'occasion des rencontres avec Niel Knobel. À leur sujet, le rapport du Groupe des affaires sanitaires mentionné ci-dessus précise qu'ils ont porté sur les mêmes sujets que ceux abordés lors des discussions avec le médecin en chef des forces armées sud-africaines et qu'ils ont été très brefs. Le rapport souligne cependant qu'il n'est pas possible d'exclure que Wouter Basson ait fait partie de ces médecins militaires, même si le médecin en chef de l'armée suisse ne se rappelle pas qu'un médecin militaire du nom de Wouter Basson lui ait jamais été présenté. Il est cependant tout à fait certain qu'aucune question relative à l'acquisition d'armes chimiques ou de matériel de ce genre n'a jamais été ne serait-ce qu'évoquée. Le médecin en chef de l'armée suisse de l'époque a pris sa retraite le 31 décembre 1988, mais il a dirigé le projet Namibie jusqu'à sa fin en 1990.

43

Incorporé dans le service sanitaire depuis 1981; général des affaires sanitaires de l'armée et chef du projet «Coast» de 1988 à 1995; retraité depuis 1997.

2165

7.3

Contacts du Groupe des affaires sanitaires et du médecin en chef de l'armée suisse avec l'Afrique du Sud

À partir du rapport rédigé par le Groupe des affaires sanitaires à l'attention du chef de l'Etat-major général et des autres documents qu'elle a consultés, la DCG a tenté de reconstituer les contacts que le Groupe des affaires sanitaires et le médecin en chef de l'armée suisse ont eus avec les représentants ou les délégations du service sanitaire des forces armées sud-africaines. Elle est parvenue à établir la liste suivante: Contacts du Groupe des affaires sanitaires et du médecin en chef de l'armée suisse avec l'Afrique du Sud Tableau 2 Date

Activité

11.06.80:

demande relative à une visite d'une délégation sud-africaine auprès du médecin en chef de l'armée suisse sur laquelle le Protocole militaire a apposé la remarque «Le DFAE (ambassadeur Brunner) n'a aucune objection au sujet de cette visite» [traduction]; quant au chef de l'Etatmajor général, il a apposé la remarque suivante: «D'accord; ne pas accepter d'invitation de réciprocité!» (à ce sujet, voir ch. 6.3.3.6) visite du chef du commandement militaire médical du Transvaal du Sud Dippenaar au médecin en chef de l'armée suisse à Berne; visite de la caserne de Losone et de l'hôpital militaire de Mittelgösgen visite du général Niel Knobel au médecin en chef de l'armée suisse à Berne demande de l'attaché de défense sud-africain au Protocole militaire concernant une visite du général Niel Knobel au médecin en chef de l'armée suisse à Berne procès-verbal des décisions de l'état-major de direction du DMF: sur proposition du chef de l'Etat-major général, la demande de visite de deux jours du médecin en chef des forces armées sud-africaines est approuvée visite du général Niel Knobel et de diverses personnes au médecin en chef de l'armée suisse et au suppléant du pharmacien de l'armée à Berne; visite d'un camp de handicapés à Melchtal et de l'hôpital militaire d'Einsiedeln rapport d'analyses du Laboratoire AC de Spiez concernant neuf échantillons en provenance d'Angola visite rapide du général de brigade Dippenaar de passage au médecin en chef de l'armée suisse à Berne rapport d'analyses du Laboratoire AC de Spiez concernant divers échantillons visite du chef d'engagement du corps sanitaire des forces armées sudafricaines en Suisse; visite de l'hôpital militaire de Muotathal lettre de l'attaché de défense sud-africain au médecin en chef de l'armée suisse concernant une visite de courtoisie participation du médecin en chef du commandement du district du CapEst des forces armées sud-africaines au 11th Course of Law of Armed Conflict for Senior Officers of the Armed Forces Medical Services à Genève visite de courtoisie du colonel Voortmann au médecin en chef de l'armée

26/27.06.80 07.10.86 18.05.89 02.06.89 20/22.06.89

31.07.89 02.05.90 25.05.90 03.09.91 21.11.91 01/14.12.91

16.12.91

2166

Date

01.92 08.92 à 04.95 23/31.08.92 17.02.93 13/22.03.93 19.04.93 25.09./06.10.95 Automne 95

06/08.10.96

Activité

suisse; visite de l'Institut de médecine aéronautique de Dübendorf demande écrite de l'attaché de défense sud-africain concernant les principes de l'armée suisse en ce qui concerne le SIDA divers services commandés de médecins militaires en Afrique du Sud participation du directeur de l'Institut de médecine aéronautique à un congrès de médecine aéronautique et spatiale en Afrique du Sud participation du médecin-chef de l'armée suisse à un souper avec le chef de l'Etat-major général des forces armées sud-africaines, sur invitation du chef de l'Etat-major général de l'armée suisse visite du médecin en chef de l'armée suisse au service sanitaire des forces armées sud-africaines sur invitation de Niel Knobel, suivie de vacances privées en Afrique du Sud le médecin en chef de l'armée suisse invite l'attaché de défense sudafricain à participer à son rapport du 28 avril 1993 en précisant qu'il y fera part de ses impressions au sujet de sa visite en Afrique du Sud voyage privé du médecin en chef de l'armée suisse en Afrique du Sud organisé par l'attaché de défense sud-africain; visite de l'hôpital militaire de Pretoria et réception par Niel Knobel brève visite de Niel Knobel au médecin en chef de l'armée suisse à Berne alors qu'il se rendait au congrès de l'AMSUS (Association of military surgeons of the United States); repas de midi et visite d'une ferme visite de Niel Knobel au médecin en chef de l'armée Suisse à Berne alors qu'il se rendait au congrès du CIMM en Chine; visite du centre pour paraplégiques et de la fromagerie modèle de Nottwil

Le médecin en chef de l'armée suisse en fonction de janvier 1989 à mars 2001 a déclaré à la DCG que les contacts du Groupe des affaires sanitaires avec l'Afrique du Sud étaient intéressants pour deux raisons. La première découlait de l'organisation particulière du service sanitaire des forces armées sud-africaines qui était conçu comme un corps d'arme, ce qui explique une partie de l'intérêt des contacts avec le service sanitaire coordonné de l'armée suisse. Pour lui, la seconde raison de cet intérêt résidait dans le fait que les forces armées sud-africaines ont régulièrement déploré des morts et des blessés dans les Homelands et aux frontières. Les expériences faites dans ce domaine ont été d'une très grande utilité pour le service sanitaire de l'armée suisse.

Sur la base de ses investigations, la DCG estime que les contacts que le Groupe des affaires sanitaires et le médecin en chef de l'armée suisse ont eus avec l'Afrique du Sud sont demeurés dans le cadre usuel. Pour l'essentiel, ils étaient limités à la collaboration au sein d'organes internationaux reconnus. Il y a certes eu quelques rencontres bilatérales, mais celles-ci avaient avant tout le caractère de visites de courtoisie. En ce qui concerne les visites de réciprocité, il aurait été toutefois indiqué de faire preuve d'une plus grande retenue en raison de la situation politique régnant dans le sud de l'Afrique.

Il est cependant établi que ni le Groupe des affaires sanitaires ni le médecin en chef de l'armée suisse n'avaient connaissance du projet «Coast» et qu'ils n'ont en aucun cas apporté leur aide au projet de guerre biologique et chimique de Wouter Basson.

Bien que cela ne puisse être exclu avec certitude, il semble néanmoins peu probable que Wouter Basson ait pu participer au congrès 1988 du CIMM ou que, à la fin des 2167

années 80, il ait pu rencontrer brièvement le médecin en chef de l'armée suisse en Namibie, dans le cadre du mandat que l'ONU avait confié à la Suisse. Si cela devait cependant avoir été le cas, il est alors certain qu'aucune information qui aurait pu être utile pour le développement du projet «Coast», directement ou indirectement, n'a été transmise à Wouter Basson.

Pour terminer, il faut tout de même revenir sur la controverse entre le chef de l'Etatmajor général et le médecin en chef de l'armée suisse portant sur l'acceptation d'une invitation de réciprocité en Afrique du Sud. Les désaccords de l'époque sont tout à fait révélateurs de l'absence de sensibilité politique qui a déjà été relevée dans le cadre des contacts des services de renseignement avec l'Afrique du Sud (à ce sujet, voir ch. 6.3.2). Le 18 juin 1992, l'attaché de défense sud-africain transmettait au Protocole militaire une invitation adressée au médecin en chef de l'armée suisse.

L'un des motifs mentionnés par cette invitation faisait en substance référence à la qualité de l'accueil que les sanitaires de l'armée suisse avaient chaque fois réservé aux représentants du service sanitaire des forces armées sud-africaines à l'occasion de leurs déplacements de service en Suisse. Le 25 juin 1992, le Protocole militaire indiquait au médecin en chef que, de l'avis du chef de l'Etat-major général, il n'était pas opportun d'accepter une invitation de l'Afrique du Sud et qu'il fallait y renoncer. Le 29 juin 1992, le médecin en chef s'adressait directement au chef de l'Etatmajor général en soulignant que des militaires sud-africains étaient déjà venus en visite en Suisse à quatre reprises entre 1989 et 1991. Le 6 juillet 1992, le chef de l'Etat-major s'adressait au Protocole militaire et demandait que l'invitation du médecin en chef soit soumise au DFAE pour examen de son opportunité politique.

Bien qu'il n'y ait aucun document à ce sujet, il a tout de même été possible d'établir que c'est finalement le secrétaire général suppléant du DMF et non le chef de l'Etatmajor général qui a autorisé cette visite. La visite du médecin en chef de l'armée suisse en Afrique du Sud a eu lieu du 13 au 22 mars 1993. Le changement d'opinion au sein de la direction politique du DMF a sans doute quelque chose à voir avec la visite de courtoisie que le ministre
sud-africain a rendue au chef du DMF le 18 janvier 1993 à l'occasion d'un voyage en Europe, à l'issue d'un repas de midi auquel il avait été invité par le Secrétariat général du département. En revanche, une autre visite de courtoisie que le ministre sud-africain avait souhaité rendre au chef du DFAE a été explicitement déclinée.

8

Peter Regli

8.1

Contacts de Peter Regli avec l'Afrique du Sud en général et avec Wouter Basson en particulier

Le divisionnaire Peter Regli a été chef du Service de renseignement de l'aviation et de la défense contre avions (SRADCA, aujourd'hui SRFA) du commandement des troupes d'aviation et de défense contre avions (aujourd'hui Forces aériennes) de 1981 à 1988. La gestion des activités de renseignement sur les plans opérationnel, tactique et technique dans la perspective de l'engagement des Forces aériennes faisait partie de ses attributions de l'époque. Au plus tard depuis juillet 1983, date de la visite privée de deux pilotes des Forces aériennes suisses en Afrique du Sud, Peter Regli a entretenu des contacts réguliers avec le service de renseignement des forces aériennes sud-africaines. À cet égard, il convient de relever qu'il a participé à la 2168

mise sur pied des échanges de pilotes, sujet qui a déjà fait l'objet d'un examen de la DCG.

En 1989, Peter Regli a repris la tête du Groupe renseignements et sécurité (GRS jusqu'en 1993, Groupe des renseignements [Gr rens] de 1993 à 2000), d'abord en tant que sous-chef d'état-major renseignements et sécurité par intérim, puis, en 1991, en tant que sous-chef d'état-major renseignement et sécurité (SCEM RS).

Dans cette fonction, il a poursuivi les contacts avec la Military Intelligence Division (MID) entamés par ses prédécesseurs. La décision d'instaurer des contacts réguliers remonte à la fin des années 70 et avait été prise par le divisionnaire Richard Ochsner, SCEM RS de 1977 à 1981. Ces contacts ont été institutionnalisés par la première visite du divisionnaire Mario Petitpierre, SCEM RS, en mars 1982 et formalisés par la mise en place d'une liaison télex chiffrée en novembre 1983 (voir ch. 6.2).

Pour sa part, Peter Regli a pour la première fois participé à une visite en Afrique du Sud à l'échelon des chefs des services de renseignement en avril 1984, à l'époque encore en sa qualité de chef de la SRADCA. À cet égard, il avait noté dans le procès-verbal de la visite qu'il avait trouvé des portes largement ouvertes grâce au travail préparatoire du SCEM RS.

Lors de son audition par la DCG, Peter Regli a insisté sur le fait que tous les contacts qu'il avait eus avec l'Afrique du Sud en tant que chef de la SRADCA étaient passés par le SCEM RS. Ainsi, lorsqu'il a participé à sa première visite en Afrique du Sud à l'échelon des chefs des services de renseignement, il a précisé qu'il avait pu se joindre au voyage organisé par le SCEM RS. Etant donné que les rapports entre le GRS et les services de renseignement sud-africains avaient été «entamés avec l'accord de la direction politique» [traduction] en 1977 déjà, il a estimé qu'il ne lui appartenait pas de les remettre en question.

La DCG a passé tous les éléments en sa possession au peigne fin dans le but de reconstituer l'ampleur des rapports de Peter Regli avec l'Afrique du Sud. Les procès-verbaux des rencontres et entretiens déjà mentionnés à plusieurs reprises mis à part, le SRFA et la Direction du SRS ne possèdent pas (ou plus) de documents à ce sujet. Le dépouillement des procès-verbaux permet cependant d'établir que les contacts que Peter
Regli a entretenus avec le service de renseignement militaire sudafricain ont été de grande ampleur. Jusqu'à ce qu'il quitte ses fonctions (octobre 1999), il a régulièrement rencontré des membres de la MID, que ce soit à Berne ou en Afrique du Sud (voir ch. 6.4 pour plus de détails à ce sujet).

La DCG a également dépouillé les dossiers du Protocole militaire (voir ch. 4.3.5) et les décomptes de frais (voir ch. 4.3.3.5); pour les raisons déjà exposées, ces deux sources d'informations n'ont toutefois pas apporté de nouveaux éclaircissements. Le Protocole militaire n'était pas concerné par les contacts établis sous le couvert des activités de renseignement et, comme le chef de ce service l'a déclaré à la DCG, il n'a «rien su des rapports liés au renseignement que Peter Regli avait entretenus au cours de cette période car il faisait une distinction très nette par rapport à ses autres activités.» [Traduction] De plus, seule une partie des décomptes de frais est encore disponible aujourd'hui et la comptabilité ne donne aucune indication concrète au sujet de ces contacts.

La DCG a ensuite interrogé les secrétaires de Peter Regli. Celles-ci ont également été dans l'impossibilité de fournir des indications supplémentaires étant donné qu'elles n'avaient pas accès aux affaires secrètes et qu'elles n'étaient pas au courant 2169

de l'ensemble des absences et des contacts de leur chef. Même l'agenda ne comportait souvent aucun détail au sujet des contacts et ne permettait la plupart du temps que de constater les périodes durant lesquelles Peter Regli était occupé.

C'est pour ces raisons que la DCG n'a pu ni infirmer ni confirmer les affirmations qui ont été émises à diverses reprises selon lesquelles Wouter Basson aurait plusieurs fois rendu visite à Peter Regli au Palais fédéral ou l'aurait rencontré en d'autres endroits encore. Cela étant, la DCG n'a trouvé aucun indice permettant de penser que ces suppositions soient fondées. Bien qu'il en ait plusieurs fois donné l'assurance, le prétendu témoin ­ décédé entre-temps ­ régulièrement cité par les médias n'a pas fait parvenir à la DCG des informations ou des pièces qui auraient permis d'apporter plus de clarté à ce sujet. À l'issue de toutes ses investigations et de l'examen de tous les indices dont elle disposait, la DCG n'a plus aucun doute quant aux suppositions malveillantes colportées par les médias au sujet des contacts entre Peter Regli et Wouter Basson: elles n'ont aucun fondement.

Pour cette raison, elle confirme l'appréciation déjà faite dans son rapport de novembre 1999. Les contacts entre Peter Regli et Wouter Basson se limitent pour l'essentiel à une visite de courtoisie qui a eu lieu au début des années 90. En outre, il y un certain nombre d'indices qui permettent de penser que la visite de courtoisie en question pourrait éventuellement avoir été l'objet d'une confusion ou qu'elle aurait pu avoir été précédée par une rencontre fortuite et brève (voir ch. 10.5).

8.2

Attitude de Peter Regli durant l'enquête et après avoir quitté ses fonctions

Au cours de ses diverses investigations, la DCG a eu l'impression que Peter Regli n'a pas été très regardant, qu'il n'a pas suffisamment été au fond des choses et qu'il s'est même parfois satisfait trop hâtivement de réponses imprécises. Sa volonté d'informer la DCG spontanément et de manière complète au sujet des affaires susceptibles de l'intéresser était plutôt limitée. La DCG a ainsi fréquemment dû constater que les déclarations correspondantes de Peter Regli étaient très lacunaires. Elle a donc plusieurs fois été contrainte de trouver les informations dont elle avait besoin en passant par d'autres voies. Il est fort probable que Peter Regli ait délibérément éludé certaines affaires. Les raisons de cette retenue peuvent être très diverses, mais il est certain que les milieux du renseignement accordent une très haute priorité à la règle du silence. Bien que, de manière générale, la DCG puisse comprendre une telle attitude, elle ne peut en revanche pas accepter la méfiance dont Peter Regli a manifestement fait preuve à son endroit.

Les nouvelles investigations entreprises par la DCG ont en effet montré que la Direction du SRS et le SRFA disposaient encore de bien plus d'informations et de documents que ce que Peter Regli avait tenté de faire croire lors des précédentes enquêtes. Pour la délégation, il est évident que, au cours des précédentes investigations de la DCGenquêtes, Peter Regli a dissimulé à dessein des informations importantes et, partant, a empêché de faire toute la lumière sur certains événements. Ainsi, en 1993, Peter Regli avait notamment déclaré à la DCG qu'il n'y avait plus de documents portant sur les échanges de pilotes. Lors de l'enquête de 1999, il avait encore prétendu que les procès-verbaux des rencontres et entretiens ne remontaient plus

2170

qu'à 1992 (voir ch. 6.4). La présente enquête a clairement montré que ces deux déclarations ne correspondaient pas à la réalité.

En août 1999, dans le cadre de l'affaire Bellasi44, Peter Regli avait été mis en congé sur sa propre demande. Le 18 août 1999, faisant suite aux très graves accusations portées par Dino Bellasi contre ses supérieurs, le Ministère public de la Confédération entamait une procédure d'enquête notamment à l'encontre de Peter Regli. Dans le cadre de cette procédure, son bureau ­ à l'instar d'autres bureaux du Gr rens ­ a été perquisitionné et mis sous scellé. Fin août 1999, le Ministère public de la Confédération levait les charges qui pesaient contre Peter Regli et d'autres collaborateurs du Gr rens avec effet immédiat et retirait les scellés. Le même jour, le DDPS informait le public que Peter Regli demeurerait en congé jusqu'à la conclusion de l'enquête administrative. Le 17 septembre 1999, le chef de l'Etat-major général communiquait qu'il avait confié de nouvelles tâches à Peter Regli ainsi qu'à un autre collaborateur du Gr rens, ce jusqu'à l'issue de l'enquête administrative. Les nouvelles activités confiées à Peter Regli consistaient, entre autres, à trier et à transmettre aux Archives fédérales les documents du Gr rens. Une semaine plus tard, soit le 24 septembre 1999, le chef de l'Etat-major général précisait les tâches confiées à Peter Regli.

Le fait que Peter Regli ait été chargé par le chef de l'Etat-major de tirer et de transmettre les documents du Gr rens aux Archives fédérales a fait l'objet de plusieurs interventions parlementaires. Ainsi, le 1er décembre 1999, répondant à l'interpellation 99.3514 «Archives fédérales, dossiers du DDPS et de l'armée»45, le Conseil fédéral déclarait notamment: «Le Conseil fédéral estime qu'un archivage consciencieux des documents issus de son administration dans l'intérêt de la recherche historique est une obligation constitutionnelle indispensable. La loi fédérale sur l'archivage du 26 juin 1998, entrée en vigueur le 1er octobre 1999, confère le cadre légal actuel à cette tâche fédérale.

Le Conseil fédéral répond comme suit aux questions posées par l'auteur de l'interpellation: 1. Le service de recherche de la Bibliothèque militaire fédérale est doté d'un service d'état-major des archives de l'armée. Ce dernier est mené,
en forme de , par deux historiens travaillant en étroite collaboration avec les Archives fédérales. Les archives de l'armée pourvoient à la sécurité et à la transmission aux Archives fédérales des documents des formations de l'armée et des unités administratives du DDPS.

Ces archives de l'armée ont été créées afin de satisfaire et de remplir avec compétence l'obligation de proposer aux Archives fédérales tous les documents dont les services n'ont plus besoin en permanence, obligation prévue par la loi fédérale sur l'archivage (art. 6), ainsi que par l'ordonnance du 8 septembre 1999 relative à la loi fédérale sur l'archivage (art. 4 et 5), et pour tenir compte du rapport du 13 novembre 1996 de la Commission de gestion du Conseil des Etats concernant les événements au sein du DMF (Didacta, Diamant et documentation pédagogique, recommandation nº 517).

[...]

44

45

Voir à ce sujet le rapport de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales relatif aux événements survenus au Groupe des renseignements de l'Etat-major général («affaire Bellasi»), du 24 novembre 1999 (FF 2000 528).

Réponse du Conseil fédéral du 1er décembre 1999 à l'interpellation Archives fédérales.

Dossiers du DDPS et de l'armée, du 7 octobre 1999 (BO 1999 N 2673, BO 1999 annexes VI 264).

2171

4.

5.

7.

Le mandat confié au divisionnaire Peter Regli est le suivant: Les documents du Groupe des renseignements des années 60 et 70, qui relèvent donc du prédécesseur du divisionnaire Peter Regli et qui se trouvent en sa possession (coffre), ont été dépouillés; ils seront versés intégralement aux Archives fédérales. Le divisionnaire Peter Regli a dès lors rempli la tâche qui lui était attribuée (directive du 24 septembre 1999). Quant aux modalités relatives à la transmission des documents, elles ont été réglées au cours d'une discussion avec une représentante des Archives fédérales, un représentant des archives de l'armée et le divisionnaire Peter Regli.

Précisons qu'avec la remise des documents précités, tous les dossiers du service de renseignement de l'armée ne seront pas encore transmis. En effet, au cours des prochaines semaines, dans le cadre d'une opération de sécurité systématique (dirigée par les Archives fédérales), tous les classements effectués par le service de renseignement concernant des dossiers datant d'avant 1980 seront soumis à un contrôle. Une fois cette opération achevée, on disposera d'un aperçu de tous les documents existants du service de renseignement militaire. Il sera alors possible, dans ce domaine d'activité, de constater d'éventuelles lacunes au niveau de la transmission.

[...]

Tous les documents, sans exception, doivent être proposés aux Archives fédérales. Celles-ci peuvent cependant en refuser certaines parties. [...]»

Le DDPS et le chef de l'Etat-major général ont renoncé à contrôler le respect des instructions données à Peter Regli. Ce dernier avait libre accès à tous les locaux et bureaux concernés ainsi qu'à un destructeur de documents. La secrétaire de l'époque a déclaré à la DCG que Peter Regli avait détruit des documents personnellement, mais qu'il lui en avait également remis pour qu'elle les détruise.

Lors de son audition par la DCG, Peter Regli a insisté sur le fait que, en tant que dixième et dernier SCEM rens, il s'était inspiré des règles internationales sur la protection des sources. Pour lui, la protection des sources impliquait que le matériel en provenance de services de renseignement partenaires doit être détruit après utilisation et qu'il ne saurait être remis aux Archives fédérales. Il a rappelé que lorsqu'il avait pris ses fonctions à la tête du GRS, les directives valables en matière d'archivage dataient de 1966. Personne au sein du GRS puis du Gr rens n'en avait jamais fait état. Peter Regli a rappelé que, au milieu des années 90, il a été question d'élaborer une nouvelle loi sur l'archivage et qu'il avait dès le début attiré l'attention sur la nécessité de créer une réglementation spéciale pour les services de renseignement, mais que le problème n'était pas résolu lorsqu'il avait quitté le service. Il a également précisé que, à cet égard, il ne connaissait pas la situation au moment de son audition.

En l'absence de tout procès-verbal de destruction, la DCG ne peut se prononcer ni sur l'ampleur des destructions ni sur le contenu des documents détruits. Le seul fait établi est que, en près de vingt années d'activités en tant que chef de la SRADCA puis en tant que SCEM rens, les dossiers de travail que Peter Regli a transmis aux Archives fédérales représentent une épaisseur d'environ 10 cm, ce qui est extrêmement peu. À cet égard, la DCG tient cependant à préciser que les reproches concernant les destructions de documents à grande échelle ne s'adressent pas qu'à Peter Regli. Cette pratique était d'une part déjà de mise au sein du GRS puis du Gr rens du temps de ses prédécesseurs (à ce sujet, voir ch. 4.3.7) et, d'autre part, la hiérarchie a renoncé à effectuer des contrôles et à exercer toute surveillance dans ce domaine. La DCG ne parvient pas à comprendre que non seulement le chef du département, mais 2172

également le chef de l'Etat-major général de l'époque aient pu charger Peter Regli, après sa mise en congé, de trier et de transmettre les documents du Gr rens aux Archives fédérales, lui laissant ainsi toute latitude de détruire des documents. Devant savoir que le GRS puis le Gr rens n'avaient pas remis de documents aux Archives fédérales durant des décennies, il aurait été instamment indiqué qu'ils confient cette tâche à une personne non impliquée ou du moins qu'ils édictent des directives très strictes en matière de tri et de classement des documents. Il aurait également fallu qu'ils surveillent avec rigueur les activités correspondantes du SCEM rens en congé.

Bien que la réponse du Conseil fédéral à l'interpellation 99.3514 du 1er décembre 1999 précise explicitement que «tous les documents, sans exception, doivent être proposés aux Archives fédérales», il est aujourd'hui établi qu'il y a eu des destructions à grande échelle et que seule une infime partie des documents concernés a été remise aux Archives fédérales. De plus, une reconstitution des documents détruits est impossible étant donné qu'aucun procès-verbal de destruction n'a été rédigé.

Le 12 avril 2000, lorsqu'elle s'était entretenue avec le chef de l'Etat-major général et le SCEM rens par intérim, la DCG avait explicitement critiqué le fait que, après sa mise en congé, Peter Regli était encore le seul à avoir accès aux documents couverts par le secret. Malgré cela, ni la direction du département ni le chef de l'Etat-major général n'ont rien entrepris pour garantir l'intégrité des dossiers.

9

Jürg Jacomet

Le Suisse Jürg Jacomet a joué un rôle important dans le contexte des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud. À plusieurs reprises, notamment lors du procès contre Wouter Basson, il a été cité comme étant l'homme de liaison entre Peter Regli et certains services et personnes en Afrique du Sud. Impliqué dans de nombreux trafics et procédures, il a très longtemps bénéficié de la confiance de Peter Regli.

9.1

Carrière professionnelle et militaire

Jürg Alois Jacomet, est né le 17 août 1946 à Bülach (canton de Zurich). Il était originaire de Sumvigt (canton des Grisons). Après un apprentissage, il a travaillé comme vendeur dans une armurerie. Il s'est ensuite mis à son compte avec un partenaire et, le 19 mai 1982, il a fondé la société Intermagnum AG avec siège à Rümlang (canton de Zurich). Le but social inscrit au registre du commerce était le commerce, l'importation et l'exportation de marchandises de toute nature. La société Intermagnum AG disposait d'une autorisation cantonale de vendeur d'armes et, depuis 1983, d'une autorisation de la Confédération pour le commerce et le courtage de matériel de guerre. La société Intermagnum AG a été déclarée en faillite le 7 juin 1994 et, à l'issue de la procédure de faillite, radiée d'office du Registre du commerce le 14 août 1996.

Jürg Jacomet disposait manifestement d'un large cercle de connaissances professionnelles et privées dans divers pays, en particulier en Afrique australe et dans les pays de l'ancien bloc de l'Est. Jürg Jacomet a été atteint d'un cancer au début des années 90. Fin 1993/début 1994, il a quitté son domicile en Suisse pour s'installer d'abord en Espagne, puis aux Philippines.

2173

Les 27 et 28 septembre 1998, avec l'assistance de la Garde Aérienne Suisse de Sauvetage (REGA), Jürg Jacomet a été rapatrié pour raisons médicales à bord d'un avion de ligne en partance de l'île de Cebu (Philippines). De Kloten il a ensuite été conduit à l'hôpital universitaire de Zurich où il y est décédé le 8 octobre 1998. Le transport a été commandé par André Jacomet, son neveu. Certaines spéculations selon lesquelles des milieux proches des services secrets auraient payé les frais de rapatriement et d'hospitalisation de Monsieur Jacomet peuvent être démenties par la délégation.

En 1968, Jürg Jacomet avait effectué son école d'officier des troupes d'aviation et de défense contre avions (aujourd'hui Forces aériennes) à Dübendorf en même temps que Peter Regli. Après avoir suivi le cours technique pour officiers de renseignement en 1972, il a été incorporé en tant qu'officier de renseignement (de milice) des Forces aériennes jusqu'à la fin de son obligation de servir en 1991. Il convient de préciser qu'il était certes officier des Forces aériennes, mais qu'il n'a jamais été collaborateur de la SRADCA (SRFA aujourd'hui). En 1990, Jürg Jacomet a été muté de l'état-major du régiment d'aviation 3 à l'état-major du commandement des Forces aériennes. Du 26 février au 2 mars 1990, il a effectué son unique service ordinaire dans cette fonction. Quant à son dernier service, il l'a effectué du 19 au 22 mars 1991 sous le commandement du chef de l'état-major de l'instruction opérative.

Il n'y a que très peu de documents sur la personne de Jürg Jacomet et plus particulièrement sur ses contacts avec les services officiels et les particuliers. La DCG a tout de même tenté d'examiner certaines suppositions et allégations. Le but de ces investigations était de mettre fin aux interminables discussions en faisant la lumière ­ dans la mesure où cela était encore possible ­ sur les nombreuses rumeurs circulant au sujet de la prétendue participation des services de renseignement suisses aux activités de Jürg Jacomet.

9.2

Documents en possession des autorités suisses

La Police fédérale de l'époque avait établi des fiches sur Jürg Jacomet et la société Intermagnum AG. Celles-ci sont aujourd'hui conservées aux Archives fédérales. La première inscription concernant la société Intermagnum AG date du 10 août 1983 et concerne l'octroi d'une autorisation initiale pour le commerce et le courtage de matériel de guerre. Diverses inscriptions des années 1985 à 1988 font état d'implications possibles d'Intermagnum AG dans un commerce d'armes entre une organisation nord-irlandaise et l'Afrique du Sud. Jürg Jacomet n'y figure que pour son appartenance au conseil d'administration d'Intermagnum AG. Suit une brève annotation, manifestement liée au contrôle de sécurité effectué à l'occasion de son changement de fonction militaire de l'époque et concernant l'accès à des installations classifiées de l'armée, du 7 février 1990: «Rien à signaler.» [Traduction] L'actuel système de traitement des données relatives à la protection de l'Etat (ISIS) contient plusieurs informations sur Jürg Jacomet. La première concerne l'ouverture d'une enquête pour infraction présumée à la loi sur l'énergie atomique (découverte d'uranim à Kemptthal le 6 octobre 1993, voir ch. 9.7). La suivante concerne une possible participation à un trafic d'armes sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine); c'est manifestement dans le cadre de cette affaire que Jürg 2174

Jacomet a été arrêté en Espagne le 3 juillet 1994. L'enregistrement suivant concerne l'abandon par le Ministère public du district de Zurich de la poursuite pénale au sujet des obligations falsifiées du Banco di Napoli en date du 21 septembre 1994; Wouter Basson, dont le nom apparaît pour la première fois associé à celui de Jacomet, est considéré comme complice présumé (à ce sujet, voir ch. 10.3.5). Les enregistrements suivants concernent une possible participation à un trafic de substances radioactives en Allemagne (1995) et en Espagne (1998). Les autres enregistrements concernent des demandes de l'étranger ou se réfèrent à l'enquête en cours du Ministère public de la Confédération.

La DCG a consulté les dossiers concernant les procédures relatives à la découverte d'uranium (voir ch. 9.7) et aux obligations falsifiées du Banco di Napoli (voir ch. 10.4.4). En outre, répondant à la demande correspondante de la DCG, la Direction des affaires sociales et de la sécurité du canton de Zurich a indiqué qu'aucune observation policière n'avait été effectuée depuis 1991 en ce qui concerne Jürg Jacomet et la société Intermagnum AG et qu'il n'y avait plus de dossier remontant au-delà. Par conséquent, il est possible de réfuter les allégations des médias concernant une prétendue observation policière à laquelle Jürg Jacomet et Wouter Basson auraient été soumis à Rümlang.

9.3

«Journal» de Jürg Jacomet et autres informations sur sa personne

Depuis le début des années 90, le nom de Jürg Jacomet fait périodiquement surface dans les médias. Il y est souvent décrit comme marchand d'armes international qui disposait d'un important réseau de relations. Une analyse approfondie révèle cependant bien vite que les nombreuses légendes remontent toutes aux mêmes et inconsistantes sources. La DCG a tout entrepris pour vérifier la véracité des innombrables mythes tournant autour de la personne de Jürg Jacomet. Les résultats de ses investigations sont maigres étant donné que toutes les histoires qui ont été colportées sont très difficiles à contrôler.

Ainsi, même le journaliste indépendant Frank Garbely qui avait accompagné Jürg Jacomet au cours des derniers mois de sa vie et qui l'avait interviewé pour la télévision peu de temps avant sa mort, a sans détour reconnu devant la DCG que la plus grande partie des déclarations de Jürg Jacomet étaient «tout simplement invérifiables.» [Traduction] En outre, un certain nombre de ces histoires lui paraissaient louches; «mais, dans le domaine du renseignement, les histoires les plus invraisemblables sont parfois les plus banales.» [Traduction] Le prétendu journal de Jürg Jacomet entre indiscutablement dans cette catégorie. La DCG a consulté ce «journal». Il se limite à quelques pages contenant des esquisses et des sujets traités par juxtaposition de mots-clés. Ceux-ci ne sont toutefois accompagnés d'aucune indication plus précise et ne peuvent pas être contrôlés par recoupement avec d'autres faits. Une lettre de Jürg Jacomet datée du 5 novembre 1986 en donne sans doute le meilleur aperçu. Tentant de vendre l'histoire de sa vie, il l'avait envoyée à plusieurs maisons d'éditions. Pour Jürg Jacomet il s'agissait d'un «roman autobiographique» qu'il avait intitulé «Le vendeur d'étoiles» et auquel il avait donné le sous-titre suivant: «La vie d'un marchand d'armes et officier de renseignement» [traductions]. Cette lettre contient notamment les explications suivantes (elles ont été 2175

reprises dans l'énumération ci-dessous dans la mesure où elles sont intéressantes pour l'objet de la présente enquête): «Je n'ai bien évidemment jamais vendu d'étoiles, mais je ne serais guère étonné d'y parvenir un jour. Et lorsque vous aurez lu ce qui suit, vous ne serez pas non plus étonné de trouver un jour une annonce correspondante dans la presse.

Je suis né le 17 août 1946 [...] premier enfant d'une famille [...]

Après avoir suivi les écoles primaire et secondaire et manqué mon admission dans un établissement d'enseignement secondaire appelé gymnase, j'ai effectué un apprentissage commercial de trois ans [...] dans une armurerie à Zurich.

C'était le début d'une carrière qui peut être qualifiée d', , voire .

Au cours de sa vie, tout citoyen suisse normal ­ je faisais encore partie de cette catégorie de personnes à l'époque ­ doit effectuer son service militaire et passer par une école de recrues [...] au cours de laquelle j'ai été sélectionné pour suivre une formation d'avancement en tant que sous-officier (caporal). Durant ce service d'avancement, j'ai été déclaré apte et digne d'accéder au rang d'officier.

Aujourd'hui, je me rends bien compte que cette combinaison de marchand d'armes et d'officier ne pouvait que conduire au désastre dont je retrace, en quelques mots-clés et dans un ordre chronologique, les étapes principales ainsi que quelques profonds sillions: ­ Naïf apprenti de seize ans dans une armurerie de luxe de réputation internationale spécialisée dans les armes de chasse et de tir sportif, je rencontre un monde qui m'était totalement étranger jusque-là: banquiers, capitaines de commerce et d'industrie, politiciens, têtes couronnées, dictateurs et personnages chatoyants du demi-monde et de mondes imaginaires ­ Ecole d'officier et grave accident de tir à la suite duquel j'ai perdu mon oeil droit, ce qui a probablement induit une modification psychique ­ Promotion: de vendeur d'armes de chasse et de tir sportif, je suis devenu un , c'est ainsi que l'on nous nomme souvent, nous les marchands d'armes ­ Implication dans l'affaire HDW (Howaldtswerke-Deusche Werft, vente de sousmarins à Taiwan via l'Argentine); mort d'Uwe Barschel ­ Guerre Iran ­ Iraq: agissements du propriétaire de la pâtisserie Demel,
Udo Proksch, du député kurde et de l'usine d'armement sud-africaine ARMSCOR ­ Commandes et offres lucratives de l'ex-RDA ­ Commande pour plusieurs millions d'Afrique du Sud et réflexion sur la dure politique d'apartheid du gouvernement sud-africain et la politique d'embargo de l'ONU qu'il fallait contourner; amitié avec un lieutenant général génial des SAP (South African Police) et un brillant général de brigade des forces armées sudafricaines; impressions et influences africaines [...]

­ Incorporation dans le service de renseignement de l'aviation suisse* (SRADCA = Service de renseignement de l'aviation et de la défense contre avions) * aujourd'hui Forces aériennes ­ Libération des otages ... et ... du CICR [rendu anonyme par la DCG] qui ont été retenus captifs à Sidon (Liban) durant huit mois par un groupe d'extrémistes palestiniens; relations amicales et cordiales avec Monzer Al-Kassar, le mythique ; grand malaise des services secrets suisses et d'autres services de l'administration en raison de mon succès, de mon influence et de mes relations ­ Engagement en Angola aux côtés de l'Afrique du Sud et de l'UNITA de Jonas Savimbi dans la guerre chimique secrète contre les FAPLA appuyées par l'URSS, la RDA et Cuba ­ Contrebande de diamants en Afrique du Sud: emprisonnement à Johannesburg puis évasion avec un «copain» sud-africain ­ Namibie: les anciens ennemis de la SWAPO (South West Africa People's Organization) deviennent amis; tentative de devenir consul général honoraire de Namibie en Suisse; expériences avec le cabinet et certains ministres; achat d'une

2176

­ ­ ­ ­

­

­ ­ ­ ­

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­ ­ ­ ­ ­

­ ­

ferme et la mauvaise surprise; diamants bruts et les amusantes expériences avec des allemands Guerre en ex-Yougoslavie: Slovénie et Croatie; affaires, trucs et combines d'un marchand d'armes anglais bien connu; un Israélien capitaine d'un cargo de contrebande; un agent fiduciaire anglais et ses fidèles lieutenants Commande du gouvernement croate: affaires confuses et escrocs suisses, autrichiens et tchèques; jours d'arrêts à l'hôtel et à l'hôpital de Zagreb; affaire déclenchée par un général sud-africain et les embarras qui en découlent Gnomes de Zurich; la banque ..., filiale de la ... [rendu anonyme par la DCG]; mesures prises par le Ministère public du district de Zurich...

Changement d'affectation, passage de la SRADCA et mise à la disposition du Conseil fédéral (gouvernement); contact avec un ancien camarade, le chef du GRS (Groupe renseignements et sécurité = services secrets), le divisionnaire (général de division) Peter Regli Démembrement de l'URSS: le marché noir européen est envahi de matières premières et des dérivés qui nous sont partiellement inconnus (OSMIUM / MERCURE ROUGE / CESIUM / STRONTIUM / IRIDIUM / URANIUM / PLUTONIUM); voyages à Moscou et contacts de haut niveau avec d'anciens généraux du KGB et des scientifiques hautement qualifiés Visites de travail aux plaques tournantes de Budapest, Prague, Sofia et Vienne Stasi: recherche des milliards du SED prétendument planqués en Suisse; anciennes coteries de la RDA et leurs réseaux de relations internationales Réception forcée de dix kilogrammes d'uranium 238 de qualité militaire et la catastrophe qui en découle pour ma vie déjà très mouvementée sans cela Autorités suisses: Police fédérale, police cantonale zurichoise et service de renseignement militaire à l'affût qui se gênent mutuellement au détriment du pays; (im)puissance des services secrets suisses; réaction du ministre de la défense et de son chef des services secrets; comment je devins un pion sacrifié Fuite devant la presse à travers l'Europe de l'Est; chute dans le lac de Constance d'un Cessna ayant du césium à son bord; déformation par les médias suisses; ma proscription sociale d'Europe, effets de l'affaire sur ma famille, mes amis et mes connaissances En désespoir de cause: tentative d'achat de TNT en Europe de l'Est Survie en Europe de l'Est,
sans moyens et criblé de dettes La Suisse adresse des remerciements à Monzer Al-Kassar et à moi-même pour notre engagement au péril de nos vies au Liban [...]

Amis véritables et ceux qui devraient l'être selon le règlement de service de l'armée suisse [...]

Guerre en Bosnie-Herzégovine: découverte de la contrebande d'armes en Espagne: beaucoup de temps à tuer dans la prison d'Alhaurin de la Torre à Malaga sur la Costa del Sol; officiers des services secrets espagnols et de la Guardia Civil; un «copain» autrichien [...]

Vie à cent à l'heure entre les flots bleus de la Méditerranée et les collines enneigées de la Forêt Noire Un fantôme écume les mers du globe et nourrit la fantaisie de nombreux agents de quatre continents [...]». [Traduction]

À l'issue de cette énumération, Jürg Jacomet se dit convaincu qu'«il est possible de faire quelque chose avec cette quantité de matière.» [Traduction] Il prie donc les maisons d'édition auxquelles il s'adresse de bien vouloir le contacter et ne fait aucun mystère de sa situation financière: «fauché et criblé de dettes en Suisse et à l'étranger.» [Traduction] Comme cela a déjà été mentionné, la plus grande partie de ces histoires ne peut être vérifiée objectivement par manque d'éléments plus détaillés. Il faut donc admettre que Jürg Jacomet a tiré une partie de ses mots-clés ­ comme la mort du politicien allemand Uwe Barschel, les activités de l'Autrichien Udo Proksch ou la chute du Cessna dans le lac de Constance ­ de sources publiques. En tout état de cause, ses 2177

notes ne contiennent aucune information qui n'aurait pas encore été notoire à l'époque. La situation des pays d'Europe de l'Est après le démantèlement de l'Union soviétique était également connue de tout un chacun qui s'intéressait un tant soi peu à l'actualité; il n'était donc pas nécessaire de faire preuve d'une très grande fantaisie pour trouver des mots-clés dans les domaines du trafic d'armes et des marchés noirs.

Le fait que diverses personnes de l'entourage direct de Jürg Jacomet continuent de colporter certaines de ces histoires après sa mort ne change rien à l'affaire. Les investigations de la DCG lui ont permis de se rendre compte que tous ces «témoins» ne le sont finalement que par ouï-dire. Parmi les personnes de l'entourage de Jürg Jacomet qui ont été entendues par la DCG, pas une seule n'a été en mesure de donner des informations plus détaillées, de fournir des indices concluants ou de produire des pièces qui auraient permis de corroborer ces histoires. Il faut donc se rendre à l'évidence et admettre que toutes, elles ne permettent de remonter qu'à une seule source, soit Jürg Jacomet lui-même.

Les quelques points qui ont pu faire l'objet de recoupements concrets montrent en revanche que Jürg Jacomet avait exagéré de manière démesurée, émis des affirmations sans lien avec la réalité ou établi des liens qui n'existent pas comme les sections et paragraphes ci-après le montrent. La DCG doit cependant s'en tenir à l'objet de son enquête; les affaires et les intrigues de Jürg Jacomet ne l'intéressent que dans la mesure où elles peuvent avoir un rapport avec les services de renseignement suisses.

9.4

Jürg Jacomet le «marchand d'armes»

Il semble établi que, au plus tard depuis la fondation de la société Intermagnum AG en 1982, Jürg Jacomet avait en partie évolué dans des milieux louches. Selon les descriptions faites par des membres de son entourage privé, il faut partir du principe qu'il disposait de nombreux contacts et qu'il tentait régulièrement de conclure des affaires dans les régions en guerre ou en crise. Cela étant, force est cependant de constater qu'il n'a de toute évidence jamais réussi à gagner beaucoup d'argent. Si cela avait été le cas, il n'aurait certainement pas passé les dernières années de sa vie dans les conditions qu'il a lui-même décrites. En lui-même, ce fait indique avec une forte probabilité que ses prétendus contacts au plus haut niveau n'étaient sans doute pas aussi importants qu'il avait voulu le faire croire à son entourage. S'il avait pu réaliser ne serait-ce qu'une petite partie des affaires prétendues, Jürg Jacomet n'aurait pas été dépendant de l'aide financière de quelques amis et la société Intermagnum AG n'aurait pas été déclarée en faillite.

Selon les explications de son neveu, à la fin des années 80, Jürg Jacomet aurait livré par la société Intermagnum AG une grande quantité d'armes de chasse et de tir sportif en Afrique du Sud, principalement à la police sud-africaine. Il n'a pas été possible de vérifier la véracité de cette déclaration. À l'exception des rumeurs qui ont souvent été colportées à ce sujet, la DCG n'a trouvé aucun élément objectif lui permettant de confirmer ce prétendu commerce d'armes avec l'Afrique du Sud. La société Intermagnum AG était certes titulaire d'une autorisation initiale pour le commerce et le courtage de matériel de guerre. Pour la période de 1985 à 1998, Intermagnum AG n'a pourtant déposé que deux demandes d'exportation vers l'Afrique du Sud, chacune portant sur la vente d'un mousqueton d'ordonnance à des 2178

fins de collection. Par ailleurs, interrogé par le Ministère public de la Confédération en mars 2002, le général Lothar Neethling, ancien chef du département de police scientifique de la police sud-africaine, a déclaré que celle-ci n'avait jamais rien acheté, ni à Jürg Jacomet, ni à la société Intermagnum AG.

9.5

Contacts en Afrique australe

Il est établi que Jürg Jacomet avait de nombreux contacts avec l'Afrique du Sud et en particulier avec des membres des services secrets sud-africains. Dans son «journal» il se vante d'un engagement en Angola aux côtés de l'UNITA de Jonas Savimbi. Des membres de son entourage personnel ont en outre prétendu que Jürg Jacomet aurait accompli de nombreux vols à destination de la Namibie et qu'il aurait voulu y devenir consul honoraire. Ils ont également rapporté que Jürg Jacomet, en uniforme des forces armées sud-africaines et muni d'un passeport sud-africain, aurait séjourné en Angola, dans la zone de conflit. La DCG n'a trouvé aucun indice concluant permettant de confirmer cette rumeur. Au contraire, les investigations effectuées par l'entremise de l'ambassade de Suisse ont permis de constater que Jürg Jacomet n'était pas connu des services de police, que ce soit en Afrique du Sud ou en Namibie. Selon les autorités sud-africaines, Jürg Jacomet n'a jamais été en possession d'un passeport sud-africain.

En revanche, le Consulat général de Suisse à Johannesburg avait noté46 que, dans la nuit du 3 au 4 novembre 1988, Jürg Jacomet avait été arrêté en Afrique du Sud après avoir été pris en flagrant délit d'exportation illégale de diamants pour une valeur de 60 000 rands (à l'époque environ 35 000 francs); il a cependant été libéré le 4 novembre 1988 déjà, contre paiement d'une caution de 20 000 rands.

9.6

Jürg Jacomet en tant que source du GRS puis du Gr rens

9.6.1

Ampleur et mode de la collaboration

Des membres de l'entourage de Jürg Jacomet ont toujours prétendu que celui-ci avait eu des contacts particulièrement étroits avec les services de renseignement et plus spécialement avec Peter Regli. Ainsi, le neveu de Jürg Jacomet se dit convaincu que Peter Regli était parfaitement au courant de toutes les activités de Jürg Jacomet: «Un jour, j'ai vu une télécopie que Jürg Jacomet avait envoyée. [...] Il s'agissait d'une sorte de procès-verbal ou de rapport dactylographié sur du papier à en-tête de la société Intermagnum AG. Dans un style que je qualifierais plutôt de militaire ou de policier, [Jürg Jacomet] expliquait qu'un homme qui venait de lui rendre visite lui avait proposé quatorze véritables passeports français. Il lui avait même offert de lui en procurer d'autres par la suite. Ce document commençais par ­ pour moi, il était évident que cette télécopie avait été envoyée à Peter Regli. Plus tard, j'ai abordé ce sujet avec Jürg Jacomet. Il m'a confirmé qu'il faisait, sinon tous les jours, du moins fréquemment parvenir de tels rapports sur certains événements à Peter Regli.»

46

Note du Consulat général de Suisse à Johannesburg du 7 novembre 1998, référence 211.1-MH/ZB.

2179

Cette déclaration quelque peu singulière est contredite par les faits constatés par la DCG. La DCG a prié la Direction du SRS de répondre par écrit à un certain nombre de questions dont celles-ci: «Quelles informations Jürg Jacomet a-t-il concrètement fait parvenir au Gr rens? Le Gr rens l'a-t-il chargé de se procurer certaines informations précises? Comment a-t-il transmis les informations en question? Y a-t-il des documents à ce sujet? Comment les informations ainsi obtenues ont-elles été traitées? Pour le Gr rens, quelle était l'utilité des informations obtenues grâce à Jürg Jacomet?» [Traduction]

La Direction du SRS a répondu que: «À la connaissance des cadres actuels, ni la Section acquisition ni la Section exploitation n'ont jamais chargé Jürg Jacomet de leur fournir des informations et elles n'avaient pas non plus de contacts avec lui. Cela n'exclut toutefois pas que des personnes qui ne travaillent plus pour le SRS aient plus le charger d'une telle mission.» [Traduction]

La réponse des Forces aériennes va dans le même sens: «En l'état des dossiers, les Forces aériennes ne disposent d'aucun élément ni d'aucune information permettant de confirmer la participation de Jürg Jacomet à des voyages à l'étranger effectués par des militaires des Forces aériennes.» [Traduction]

Parmi les documents de la Direction du SRS qui n'ont pas été détruits, il n'y en a pas une seul qui témoigne d'un contact entre Peter Regli et Jürg Jacomet. Le seul écrit dans ce sens a été produit par un proche de Jürg Jacomet. Il s'agit d'une carte de la main de Peter Regli, datée du 21 février 1990, dont le contenu est le suivant: «Cher Jürg, Merci pour ton message, Il a atteint son destinataire à 21 h 35!

Amicales salutations, Pietro»

Les secrétaires de l'antichambre de Peter Regli sont d'accord sur le fait que Jürg Jacomet téléphonait occasionnellement. Pour le reste, il est possible qu'elles soient une fois ou l'autre allées chercher Jürg Jacomet ­ qui n'avait pas du tout le profil des visiteurs habituels ­ à la loge d'entrée. Elles ne se souviennent en revanche pas que Jürg Jacomet ait envoyé de nombreuses télécopies.

L'actuel directeur du SRS et ancien chef de la Section acquisition a indiqué à la DCG qu'il n'avait jamais vu de note portant sur une discussion entre Peter Regli et Jürg Jacomet. Il a également précisé que, à sa connaissance, le service n'a disposé d'aucune information à mettre au crédit de Jürg Jacomet.

Interrogé au sujet de Jürg Jacomet, le collaborateur de la Section exploitation responsable pour l'Afrique australe a déclaré: «Oui, il a aussi travaillé pour cette institution. Je ne connaissais que son nom et je ne l'ai jamais vu personnellement.» [Traduction]

Il a cependant formellement déclaré n'avoir jamais reçu des informations ou des documents qui auraient pu provenir de Jürg Jacomet. Cela étant, il a souligné qu'il ne pouvait naturellement pas exclure que certaines informations qu'il a reçues de ses chefs auraient pu provenir de Jürg Jacomet.

2180

Lors de son audition par la DCG, l'ancien chef de la Section exploitation a déclaré que Peter Regli avait eu deux ou trois informateurs, dont Jürg Jacomet, au sujet desquels il n'avait jamais rien voulu dire et qui lui auraient donné des informations en partie vraies et en partie fausses. À défaut de documents précis sur les informations reçues, il n'était pas possible de les confirmer ou de les infirmer.

Le successeur de Peter Regli à la direction de la SRADCA a également confirmé à la DCG que Jürg Jacomet n'avait pas été d'une grande utilité.

Peter Regli a lui-même revu à la baisse l'importance de Jürg Jacomet pour les services de renseignement. Alors que, lors des premières investigations, il avait encore eu des termes élogieux à son endroit et avait souligné ses mérites dans le domaine du renseignement, il s'en distance totalement aujourd'hui. Ainsi, en 1993, à l'occasion de l'affaire relative à la découverte d'uranium (voir ch. 9.7) il avait déclaré au Ministère public de la Confédération: «Je peux confirmer que les descriptions de Jacomet ont en partie été très précieuses pour notre service. Ces rapports réguliers (une à deux fois par an) ont créé une sorte de climat de confiance entre nous. Cela explique certainement pourquoi il s'est tourné vers moi dans cette affaire. [...]

Ce reproche correspond à la réalité dans la mesure où les activités de M. Jacomet dans le domaine du renseignement sont une raison importante pour laquelle nous nous sommes décidés à déposer l'uranium de manière anonyme. Mais cela n'était pas la raison principale. Il s'agissait plutôt de garantir l'intégrité corporelle de mon correspondant. [...]

Je dois constater que jusqu'à ce jour, c'est-à-dire jusqu'au moment où cette affaire concernant l'uranium éclate, je n'ai jamais eu de raison de douter de la loyauté de M. Jacomet envers notre pays et la défense nationale.» [Traduction]

Peter Regli s'est encore exprimé dans le même sens lors de son audition par la DCG le 21 janvier 1994. À cette occasion, il a expliqué qu'il faisait une distinction entre informateur des services de renseignement et source en tant que telle. Selon lui, l'informateur fournit spontanément et ponctuellement des informations alors que les sources (permanentes) sont des personnes qui connaissent les besoins du service et qui peuvent être chargées de se procurer certains renseignements précis. «M. Jacomet avait une position intermédiaire; son statut dépassait celui d'un informateur.» [Traduction] Lors des investigations conduites par la DCG en 1999, celle-ci a constaté que Peter Regli avait revu son appréciation nettement à la baisse. En effet, c'est plutôt penaud qu'il a, à cette occasion, déclaré que, à sa connaissance, Jürg Jacomet «n'avait rien fourni d'extraordinaire.» [Traduction] Il a ajouté qu'il ne pouvait pas se souvenir d'informations qui auraient été d'une utilité concrète pour le GRS ou le Gr rens. Aujourd'hui, Peter Regli insiste sur le fait que Jürg Jacomet n'était pas une source officielle, qu'il n'a jamais été indemnisé en échange d'informations et qu'il n'avait jamais été chargé de se procurer des informations. Selon Peter Regli, les informations fournies au début par Jürg Jacomet pouvaient à la rigueur paraître prometteuses; ses espoirs de recevoir des informations plus substantielles ont cependant été déçus.

2181

9.6.2

Appréciation des contacts de Jürg Jacomet par le GRS et le Gr rens ainsi que par le DFAE

Jürg Jacomet avait une très mauvaise réputation au sein du GRS puis du Gr rens. À cet égard, l'ancien chef de la Section exploitation a dit de Jürg Jacomet qu'il s'agissait «d'une caricature du marchand d'armes artificieux [...] qui n'a rien apporté au service que nous ne savions pas déjà par les Anglais ou les Américains» [traduction]: «Lorsque certains services de renseignement étrangers nous demandaient si nous connaissions M. Jacomet, nous répondions chaque fois en appliquant scrupuleusement l'échelle d'évaluation en vigueur entre services de renseignement (soit une échelle allant de 1 à 6): Il s'agit d'une personne à laquelle on ne peut se fier et qui doit être traitée avec prudence; l'évaluation de M. Jacomet oscillait toujours entre 5 et le 6.» [Traduction]

Pour les collaborateurs du Gr rens, il ne faisait aucun doute que les contacts entre Peter Regli et Jürg Jacomet étaient très contestables et déplorables pour l'image du service. Lors de son audition par la DCG, juste après l'affaire de l'uranium, le chef du DMF avait conclu que «le chef du renseignement ne doit pas diriger de source lui-même.» [Traduction] Lors de l'enquête, le chef de l'époque de la Section acquisition a déclaré à la DCG qu'il était de l'avis qu'il était toujours dangereux pour un chef du renseignement de traiter ses propres sources. Il a précisé qu'il avait parfois discuté de ce point avec Peter Regli. Selon lui, la présence de marchands d'armes au sein des états-majors militaires est toujours synonyme de danger. Il a également ajouté que le peu qu'il savait le portait à croire que Jürg Jacomet exploitait Peter Regli de manière éhontée: «Il se faisait passer pour un collaborateur du GRS puis du Gr rens ou faisait de telle sorte qu'on devait l'admettre. [...] Cela a notamment été le cas avec Wouter Basson.

Celui-ci croyait vraiment que M. Jacomet avait des rapports étroits avec le service.» [Traduction] À son avis toutefois, il est possible d'exclure que Jürg Jacomet ait été dirigé par les Sud-Africains car «avec ses affaires, il les trompait également de manière éhontée; il ne travaillait qu'à son propre profit.» [Traduction] Le chef de l'époque de la Section acquisition a précisé que le service avait tenté à plusieurs reprises de donner un coup de frein à ces agissements, d'ailleurs le fait que Jürg Jacomet se fasse passer pour un collaborateur du GRS puis du Gr rens était également «l'un des points au sujet desquels j'ai rendu mon chef attentif en lui disant que cela ne devait pas être. Il m'a répondu qu'il allait . Cette discussion a certainement eu lieu en 1990 ou 1991 déjà.» [Traduction] Le chef de la Division Service de renseignement stratégique de l'époque a été encore plus précis: «Durant la période au cours de laquelle j'ai travaillé avec mon chef, j'ai appris à ne lui répéter les choses que trois fois, mais pas une quatrième fois, car cela ne servait plus à rien. [...] Sur la base de certaines informations que nous avions reçues, nous avons indiqué à M. Regli que les contacts avec M. Jacomet pourraient nuire au service. La chose en est restée là.» [Traduction]

Un ancien membre du Gr rens a livré à la DCG une appréciation plus négative encore des contacts de Peter Regli et de Jürg Jacomet: ­

2182

«M. Regli avait une source [Jürg Jacomet] qui l' dans le vaste et dangereux monde du renseignement. Il s'agissait d'un camarade officier des troupes

d'aviation dont il avait fait la connaissance à l'école d'officiers et qui fréquentait les milieux vraiment intéressants. M. Regli l'a pris avec lui de la SRADCA au Renseignement stratégique. C'était la première grosse erreur. [...] De tels contacts sont fâcheux, car les actions auxquelles des personnages douteux ont participé finissent toujours par donner l'impression que ceux-ci sont officiellement couverts par le service.» [Traduction]

Il est étonnant de constater que, au début des années 90 déjà, le DFAE disposait d'informations sur la personne de Jürg Jacomet que Peter Regli aurait manifestement dû connaître. Le Consulat général de Suisse en Namibie s'était renseigné à Berne sur la société Intermagnum AG en relation avec les activités de Jürg Jacomet dans ce pays (voir ch. 10.5.3.2). La réponse du 29 août 1990 de la Division politique II du DFAE renvoyait à certains articles de journaux portant sur la libération au Liban des deux otages du CICR (voir ch. 9.9). Quant à la personnalité de Jürg Jacomet, la division avait conclu par ces deux phrases: «Il s'agit d'un aventurier qui perd facilement le sens des réalités. Il n'est vraiment pas quelqu'un de recommandable.»47 Il paraît incompréhensible que Peter Regli n'ait pas pris connaissance des faits notoires et de l'appréciation de personnalité de Jürg Jacomet exposés par la presse.

L'ancien collaborateur du Gr rens déjà cité a indiqué à la DCG qu'il était persuadé qu'un certain nombre de représentants des services secrets sud-africains étaient convaincus que Jürg Jacomet travaillait réellement pour les services de renseignement suisses, «ce que les récentes déclarations de M. Basson montrent clairement!» Les déclarations du procureur sud-africain Anton Ackermann vont dans le même sens. Il a souligné que, lors de son procès en Afrique du Sud, Wouter Basson avait déclaré au sujet de Jürg Jacomet qu'il s'agissait d'un capitaine ou d'un major des services de renseignement suisses.

En 1999, Peter Regli avait soutenu que ce n'était qu'au cours des diverses enquêtes qui avaient été menées au milieu des années 90 qu'il avait appris que Jürg Jacomet s'était fait passer pour un agent des services de renseignement suisses. Lors des investigations à la base du présent rapport, confronté aux déclarations de ses anciens subordonnés, Peter Regli a reconnu qu'il était «possible» que le chef de la Section exploitation de l'époque l'ait averti et qu'il devait aujourd'hui se rendre à l'évidence que sa confiance avait été abusée par un ancien camarade de service.

Les relations de Jürg Jacomet avec les services de renseignement suisses donnent lieu à plusieurs remarques. Les investigations auxquelles la DCG a procédé ont permis d'établir que, bien qu'il n'ait jamais appartenu à l'un de ces services,
Jürg Jacomet s'était sans aucun doute fréquemment fait passer pour un collaborateur du GRS ou du Gr rens. À cet égard, les rapports particuliers qu'il entretenait avec Peter Regli contribuaient à rendre ses affirmations crédibles. Il semblait en mesure d'organiser des visites de courtoisie et de permettre à des représentants d'étatsmajors de forces armées étrangères de rencontrer le chef suprême des services de renseignement suisses (voir ch. 10.4.2) et d'avoir des entretiens avec des personnages louches qui traînent dans le sillage des services secrets (voir ch. 9.8). Il est en outre manifestement parvenu à ouvrir des portes fermées à certains de ses amis et associés en passant un seul coup de fil au chef du renseignement suisse (voir ch. 10.5.1).

47

Télex de la Division politique II adressé le 29 août 1990 au Consulat général de Suisse à Windhoek.

2183

Pour la DCG, il ne fait donc aucun doute que Wouter Basson était fermement convaincu que Jürg Jacomet était un collaborateur des services de renseignement suisses et donc l'un de ses représentants officiels. Le procès contre Wouter Basson en Afrique du Sud (à ce sujet, voir ch. 10.2) montre clairement les conséquences dévastatrices qu'une telle méprise peut avoir pour l'image de la Suisse en général et pour ses services de renseignement en particulier (voir ch. 10.4.1). Même si cela n'est pas justifié, ils courent le risque de voir leur travail être assimilé aux agissements de personnages aussi contestables que Jürg Jacomet. Les rumeurs et les présomptions de participation de membres des services de renseignement suisses au très secret projet sud-africain «Coast» découlent dans une très large mesure du fait que Peter Regli avait été entouré de personnages tels que Jürg Jacomet envers lesquels il n'est jamais parvenu à maintenir la distance nécessaire.

La DCG ne parvient pas à comprendre comment il est possible que Peter Regli n'ait pas entendu ses subordonnés du GRS puis du Gr rens et qu'il ait eu une confiance quasiment aveugle en Jürg Jacomet jusqu'en automne 1993. Le fait que, malgré des indices clairs et de nombreux avertissements, un chef suprême du renseignement ne reconnaisse pas ou ne veuille pas reconnaître qu'un prétendu informateur abuse de lui et de son service à des fins personnelles, cela malgré les avertissements qu'il a reçus et les indices clairs dont il disposait, ne peut que donner une image peu reluisante. La DCG n'a trouvé aucune explication pour une attitude aussi peu professionnelle et dont les effets ont été aussi préjudiciables pour l'image de la Suisse.

9.7

Découverte d'uranium à Kemptthal

En septembre 1993, Jürg Jacomet était en possession d'environ 10 kg d'uranium naturel faiblement radioactif sous forme de «yellow cake». Selon les déclarations de Jürg Jacomet, un Russe serait un jour arrivé à l'improviste dans son bureau et lui aurait dit en mauvais allemand teinté d'un fort accent: «Toi services secrets, toi acheter tout de suite sinon moi enterrer dans forêt ou jeter dans rivière.» [Traduction] Toujours selon Jürg Jacomet, ce Russe semblait appartenir à un groupe de Russes, d'Ukrainiens, d'Iraquiens et autres, qui tentaient sans succès de vendre cet uranium en Suisse depuis longtemps déjà. Selon ses dires, il serait finalement parvenu à convaincre le Russe de lui remettre cet uranium pour qu'il ne tombe pas dans de mauvaises mains et pour l'éliminer dans les règles de l'art.

La véracité de cette déclaration faite par Jürg Jacomet n'a pas pu être vérifiée; en revanche, la DCG a ultérieurement pu constater que, durant la période en question, un ressortissant danois du nom de Henrik Thomsen (voir ch. 9.8) s'était fréquemment rendu dans les bureaux de la société Intermagnum AG à Rümlang.

Le 21 septembre 1993, Jürg Jacomet rendait visite à Peter Regli à son bureau au Palais fédéral et lui demandait conseil. Ils se sont mis d'accord pour faire intervenir la police dans le but d'éliminer l'uranium, étant bien entendu que l'identité de Jürg Jacomet devait rester secrète. Un peu plus tard, Peter Regli contactait l'ancien chef de l'Etat-major de la police cantonale zurichoise et convenait avec lui que l'uranium serait déposé à un endroit facile à trouver et qu'un téléphone anonyme serait ensuite passé à la police cantonale zurichoise. Le 24 septembre, l'ancien chef de l'Etatmajor de la police cantonale zurichoise communiquait à Peter Regli le numéro de

2184

téléphone à appeler pour faire démarrer l'opération, numéro que Peter Regli a immédiatement transmis à Jürg Jacomet.

Le 28 septembre 1993, Jürg Jacomet déposait un sac de sport contenant les quelque 10 kg d'uranium naturel faiblement radioactif sur l'aire autoroutière de KemptthalSud et appelait le numéro de la police cantonale zurichoise qui lui avait été donné.

Se faisant passer pour un officier de l'armée, il a expliqué qu'il avait mis la main sur des déchets radioactifs et de l'uranium 238 qu'il voulait remettre à des spécialistes.

La police cantonale s'est rendue sur les lieux et a saisi l'uranium déposé par Jürg Jacomet. Il convient de souligner que cet abandon d'uranium sur l'aire autoroutière de Kemptthal n'a pas constitué de mise en danger pour les personnes ou l'environnement. Selon le rapport d'analyse de l'Institut Paul Scherrer du 1er octobre 1993, l'uranium trouvé était très pur et sa composition isotopique était naturelle.

L'identité de Jürg Jacomet a été découverte car un fonctionnaire de la polie cantonale zurichois a reconnu sa voix sur l'enregistrement de l'appel anonyme. Le Ministère public de la Confédération a ouvert une procédure d'enquête de police judiciaire contre Jürg Jacomet pour infraction présumée à la loi sur l'énergie atomique. Au cours de cette enquête, Peter Regli a également été interrogé en tant que témoin. Le Ministère public de la Confédération a transmis la procédure aux autorités zurichoises le 6 décembre 1993. La préfecture de Pfäffikon (canton de Zurich) a reconnu Jürg Jacomet coupable d'infraction à la loi sur l'énergie atomique et l'a condamné à une amende de 1000 francs. Jürg Jacomet ayant été signalé en vue de la recherche de son lieu de séjour, le mandat de répression a pu lui être remis le 9 octobre 1995, lors de son arrivée à Koblenz (canton d'Argovie). Jürg Jacomet ayant recouru contre cette décision, le mandat de répression a été levé le 19 octobre 1995 en raison de la prescription absolue intervenue entre-temps.

Dans le cadre de la présente enquête, il est apparu que, relativement peut de temps après la découverte de l'uranium, Peter Regli avait chargé un collaborateur de la Section acquisition de déterminer le lieu de séjour de Jürg Jacomet. L'ancien chef de la Section acquisition a déclaré à la DCG: «Si M. Regli m'avait raconté l'histoire de l'uranium, elle se serait terminée autrement.

Je l'aurais probablement liquidée autrement [...] proprement.» [Traduction]

En se fondant sur le «journal» de Jürg Jacomet, certains médias ont prétendu que l'uranium saisi à Kemptthal n'était qu'une petite partie d'un lot plus important d'environ 60 kg qui aurait été enterré sur une parcelle à Bassersdorf (canton de Zurich). Sur les indications d'un journaliste, la parcelle en question avait été fouillée à l'époque. «Quelques clous rouillés mis à part», les fouilles n'ont cependant rien donné. La DCG n'est pas non plus parvenue à trouver d'autres éléments.

9.8

Henrik Thomsen

Au début des années 90, les médias ont prétendu que Peter Regli aurait, par l'entremise de Jürg Jacomet, chargé un ressortissant danois qui se faisait passer pour un agent secret, Henrik Thomsen, d'obtenir des informations en Ukraine. À cet effet, Peter Regli aurait remis à Jürg Jacomet une liste de thèmes concernant l'Ukraine à l'attention de Henrik Thomsen. Celui-ci aurait été chargé de procéder aux investigations correspondantes. Cette liste aurait contenu des questions relatives à la sécu2185

rité des centrales nucléaires ukrainiennes, à la menace au moyen d'armes nucléaires à partir de l'Ukraine et, d'une manière générale, à la situation politique et militaire en Ukraine. Peter Regli aurait en outre promis à Henrik Thomsen de lui remettre deux passeports suisses pour le cas où il aurait des difficultés.

Le 13 mai 1994, un journaliste soumettait à ce sujet certaines questions au Service d'information du DMF. Le 19 mai 1994, Peter Regli prenait position par rapport à ces questions et expliquait à l'attention du président de la DCG qu'il était vrai que Jürg Jacomet lui avait présenté Henrik Thomsen en tant que spécialiste de la situation ukrainienne en matière d'armes et de centrales nucléaires. Peter Regli a également précisé qu'il avait eu deux entretiens avec Henrik Thomsen et que, après la première rencontre, il avait remis à Jürg Jacomet une liste de questions à l'attention de Henrik Thomsen. La valeur des informations obtenues en réponse à cette liste de questions était cependant très faible. Peter Regli a encore indiqué au président de la DCG qu'il n'avait promis ni rémunération ni passeports suisses et qu'il n'avait plus de contacts avec Henrik Thomsen depuis leur seconde rencontre en juin 1993.

Au cours de son enquête, la DCG a constaté que le chef de la Division SRS avait participé à l'une des deux rencontres avec Jürg Jacomet et Henrik Thomsen (cette rencontre a sans doute eu lieu le 8 mars 1993). En substance, le chef de la Division SRS a déclaré ce qui suit: Il a confirmé que Henrik Thomsen se faisait passer pour un ancien collaborateur des services de renseignement danois (ce qui était faux). Il a expliqué avoir été invité à participer à cette séance, car Jürg Jacomet avait visiblement voulu proposer aux services de renseignement suisses de recourir aux services de Henrik Thomsen en tant qu'informateur. Selon Jacomet en effet, celui-ci aurait eu accès à des entreprises ukrainiennes ayant produit des missiles stratégiques. Il a confirmé que son service s'intéressait aux récents SS-24 et SS-25, mais que Henrik Thomsen n'avait aucune idée à ce sujet. Ce dernier avait en revanche abordé le sujet des SS-12 et SS-13, ce qui ne présentait toutefois aucun intérêt pour le service qui connaissait déjà bien ces armes. Il s'est également souvenu que, au cours de cet entretien, Jürg
Jacomet avait prié Peter Regli de l'accompagner dans le couloir pour parler d'un sujet interne. À l'issue de l'entretien, Peter Regli a souhaité s'entretenir avec lui en l'absence des deux autres participants à la discussion. Dans le couloir, Peter Regli lui a dit que ses questions étaient trop agressives et qu'il voulait en savoir trop de la part de Henrik Thomsen. Il lui avait alors répondu que pour lui l'affaire s'arrêtait là, cette source étant «très douteuses et qu'il [Henrik Thomsen] avait quasiment tout de l'escroc» [traduction], mais qu'il comprenait que Jürg Jacomet soit intervenu auprès de Peter Regli, manifestement en raison de son comportement. «C'est tout ce que j'ai à dire sur cette rencontre.» [Traduction] Pour sa part, Peter Regli a en substance expliqué ce qui suit à la DCG: Le contact avec Henrik Thomsen avait été établi par l'entremise de Jürg Jacomet. Ce dernier a prétendu que le Danois avait d'excellents contacts en Ukraine et qu'il pouvait fournir des informations sur l'armement nucléaire ukrainien et l'état de celui-ci. Une première rencontre a eu lieu dans son bureau, en présence du chef de la Division SRS. Ils ont écouté Henrik Thomsen et l'ont prié de repasser pour qu'ils puissent lui soumettre des questions concrètes. il avait ensuite prié un collaborateur spécialisé dans les questions de prolifération et de matériel nucléaire de participer au second entretien. Ce collaborateur avait établi une liste de questions. Les réponses à la moitié de ces questions étaient déjà connues, car la liste comprenait également des questions pièges. Cela étant, il n'a jamais été question de rémunération; Jürg Jaco2186

met avait en effet insisté sur le fait que Henrik Thomsen voulait contribuer de sa propre initiative mais que, pour le cas où il aurait des problèmes en Ukraine, il aurait naturellement été reconnaissant de pouvoir bénéficier d'un passeport suisse. À cette question, Peter Regli a donné la réponse standard en pareil cas, c'est-à-dire que les services de renseignement suisses n'ont pas la compétence de remettre des passeports suisses à des tiers. Par la suite, ils n'ont plus entendu parler de Henrik Thomsen.

Lors de son arrestation à Zurich (à ce sujet, voir ch. 10.3.5), Wouter Basson s'est également exprimé au sujet de Henrik Thomsen. En substance, il a déclaré que ce dernier lui avait été présenté par Jürg Jacomet en février 1993. À cette époque, Jürg Jacomet allait particulièrement mal, il avait l'air négligé et ne semblait plus en mesure de prendre des décisions et Henrik Thomsen séjournait dans le bureau de Jürg Jacomet de manière quasi permanente. Il prenait presque toutes les décisions et déterminait le programme de la journée de Jürg Jacomet.

Henrik Thomsen a fait l'objet d'un enregistrement de la Police fédérale en rapport avec des domaines tels que la non-prolifération, les services de renseignement et le commerce d'armes. Une note confidentielle de l'Ambassade de Suisse à Stockholm du 10 août 1994 permet de constater que, après avoir pris rendez-vous par téléphone, Henrik Thomsen avait rendu visite à l'attaché de défense suisse le 2 août 1994. En substance, ce dernier a expliqué ce qui suit: Lors de cette entrevue, Henrik Thomsen lui a dit qu'il connaissait Peter Regli, qu'il l'avait rencontré au moins deux fois à Berne et qu'il l'avait autorisé à contacter n'importe quel attaché de défense suisse. Il n'a compris les explications de Henrik Thomsen que de manière fragmentaire. Ce dernier avait parlé de contacts avec Jürg Jacomet et d'une promesse qu'il n'avait pas pu tenir par la faute de Jürg Jacomet, lui-même n'ayant aucune faute à se reprocher.

S'étant enquis des raisons de la visite, Henrik Thomsen a répondu que le SCEM rens ne voulait plus entretenir de relations avec lui et qu'il tentait de le recontacter en passant par un attaché de défense. Il a précisé qu'il disposait d'informations très importantes sur la situation en Ukraine et que le SCEM rens devait impérativement être mis
au courant. Le 10 août 1994, après avoir contacté Peter Regli, il a communiqué à Henrik Thomsen qu'il avait informé le SCEM rens de leur discussion et que ce dernier renonçait à tout autre contact.

Quant à Henrik Thomsen, il a indiqué au chargé d'enquête du DDPS dans sa lettre du 8 septembre 2002, qu'il ne dispose plus d'aucun document lui permettant d'appuyer ses dires étant donné qu'il avait dû les détruire pour des raisons de sécurité et qu'il avait été obligé de quitter la Suisse précipitamment. Il y a également précisé qu'il n'était plus en mesure de donner les noms des personnes que Jürg Jacomet aurait rencontrées lors de sa mission à Moscou.

Dans ces circonstances, la DCG n'accorde pas grand crédit aux déclarations de Henrik Thomsen. Etant donné qu'il reconnaît lui-même qu'il n'est pas en mesure d'étayer ses allégations ou de communiquer les noms de personnes pouvant donner de plus amples informations à ce sujet, la DCG estime qu'il est inutile de poursuivre dans cette voie.

2187

9.9

Otages du CICR au Liban

Jürg Jacomet a prétendu à plusieurs reprises qu'il avait participé de manière importante à la libération de deux collaborateurs du CICR qui avaient été enlevés au Liban au début des années 90. Il ressort de la demande qu'un journaliste avait adressée au Service d'information du DFAE le 14 août 1990, que, en rapport avec cette affaire, Jürg Jacomet aurait séjourné à Sidon du 24 au 29 mai 1990. Selon Jacomet, «le DFAE aurait entrepris divers préparatifs» [traduction] pour ce voyage privé. Le journaliste a poursuivi en précisant que Jürg Jacomet aurait affirmé avoir bénéficié pour sa mission de libération des otages d'un soutien important de Swissair, du DFAE et du CICR et qu'il aurait emporté 3 millions de dollars US (environ 4,5 millions de francs). Cette opération aurait néanmoins finalement échoué. Le 15 août 1990, le DFAE a démenti ces propos rapportés. Un reportage à ce sujet a ensuite été publié par la WochenZeitung du 17 août 1990 sous le titre «Waffenhändler als selbsternannte Geiselbefreier».48 La DCG a consulté les documents correspondants du DFAE. Selon une note que le secrétaire général avait adressée au chef du département, il est apparu que, lors d'une discussion interne qui a eu lieu le 9 mars 1990, le chef de la SRADCA avait mentionné une source externe qui aurait, à la rigueur, pu contribuer à la libération des otages. Le 11 mars 1990, une rencontre a réuni des représentants du DFAE ainsi que Jürg Jacomet et un ressortissant britannique. Celui-ci avait prétendu être un ami proche du Syrien Monzer Al Kassar qui avait déjà participé à la libération d'otages français et britanniques. Al Kassar désirait obtenir des passeports suisses pour luimême et pour sa famille; en échange, il aurait été disposé à se rendre de Damas à Beyrouth accompagné du ressortissant britannique et d'un homme d'affaires suisse pour y négocier la libération des deux otages suisses. La participation de Jürg Jacomet était souhaitée. Le DFAE a pris acte de ces informations. Le lendemain, décision était prise d'«interrompre l'opération» et d'en informer les deux interlocuteurs du jour précédent.

Lors de son audition par la DCG, le chef de la SRADCA de l'époque a déclaré que cette histoire était également le résultat de certains héritages; «M. Jacomet, officier de renseignement des troupes d'aviation, était l'un de
ces héritages.» [Traduction] Lorsque Jürg Jacomet a contacté le service au sujet de cette histoire, le chef de la SRADCA l'a envoyé au DFAE; pour lui, cette histoire s'était arrêtée là.

10

Wouter Basson et le projet «Coast»

10.1

Délimitation de l'objet d'investigation

Depuis 1982, l'Afrique du Sud travaillait sur différents aspects de la guerre biologique et chimique dans le cadre du projet secret «Coast». Ce projet avait été lancé en 1981 par le ministre sud-africain de la défense, le général Magnus Malan. Depuis 1988, il était placé sous la responsabilité formelle du général Niel Knobel, général des affaires sanitaires de l'armée sud-africaine. La direction du projet était cepen48

Frischknecht, Jürg, «Waffenhändler als selbsternannte Geiselbefreier ­ Verschobener Lösegeldkrimi», in: Wochenzeitung, 17 août 1990. Voir également la Schweizer Illustrierte du 20 août 1990, nº 34, p. 19.

2188

dant assumée par Wouter Basson en tant que directeur exécutif qui prenait, sinon toutes, du moins la plus grande partie des décisions relatives à l'organisation et à la marche du projet. Les deux sociétés-écrans Delta G Scientific (Pty) Ltd (chimie) et Roodeplaat Laboratories (Pty) Ltd (biologie) faisaient également partie du projet «Coast». Un conglomérat d'organisations dites de front a également été constitué.

Le projet a été financé par un compte secret des forces armées sud-africaines. Il a été interrompu en 1993, au début du processus de démocratisation en Afrique du Sud.

Le projet «Coast» a été entouré du plus grand secret; jusqu'en 1997, l'ampleur ainsi que les tenants et aboutissants de ce projet sont demeurés pratiquement inconnus aussi bien en Afrique du Sud qu'à l'étranger. La volonté du régime de l'apartheid de disposer de moyens de guerre biologique et chimique n'a été révélée qu'au cours des auditions auxquelles la Commission Vérité et Réconciliation a procédé et est devenue publique avec la parution de son rapport le 29 octobre 1998. Alors qu'à ses débuts, le projet avait principalement un caractère défensif ­ dû aux événements belliqueux en Angola ­, le développement ultérieur a de plus en plus évolué vers une utilisation offensive des armes biologiques et chimiques. Parallèlement, la direction de l'effort principal initial qui portait sur la défense contre une attaque militaire d'un pays voisin a été changée et le projet a été progressivement axé sur la répression de forces d'opposition intérieures.

Il n'appartient pas à la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales d'effectuer une enquête approfondie du projet secret sud-africain «Coast», de prendre position au sujet des déclarations controversées ni d'émettre des appréciations et des conclusions. Indépendamment du fait que la DCG n'en aurait pas les moyens, cette attitude est également dictée par le respect de la souveraineté de l'Etat sud-africain. Pour ces raisons, la DCG renvoie le lecteur désireux d'en savoir plus sur le projet «Coast» aux diverses publications parues entre-temps à ce sujet.

Pour la DCG, le seul objet d'investigation est la question de savoir si des services de l'administration fédérale ont participé au projet «Coast» ou auraient pu y être mêlés sous une forme ou une autre. C'est dans
cette perspective que la DCG s'est intéressée de près aux résultats d'investigations et de recherche de tiers à ce sujet. Pour sa part, elle n'a ni examiné le projet «Coast» dans son ensemble, ni procédé à des investigations au sujet d'une éventuelle participation d'entreprises suisses ou de particuliers établis en Suisse. Alors que le premier objet relève de la compétence des autorités sud-africaines, le second relève de celle du Ministère public de la Confédération.

À ce propos, une déclaration que le procureur sud-africain Anton Ackermann, particulièrement bien au courant de l'affaire, a faite devant la DCG semble décisive: «Le projet secret était une réalité et a été dans la mesure où 200 000 tenues et masques de protection, d'onéreux détecteurs de substances chimiques et d'autres équipements ont été achetés. Des substances chimiques et biologiques comme le mandrax ou l'ecstasy ont été produites à Roodeplaat pour servir de composants à des armes. [...] Eron-L produisait des toxiques [...] Conclusion: des substances toxiques ont été fabriquées et des hommes ont été tués. Du point de vue de l'Afrique du Sud, cette partie du projet a été couronnée de succès.

Les généraux ont bien évidemment prétendu que le projet n'avait que des buts défensifs. Pour ma part, je suis persuadé que le projet avait également des buts offensifs: comment du chocolat, de la crème à raser ou des pointes de parapluies empoisonnées pourraient-ils être utilisés à des fins défensives?

[...]

2189

Les installations de laboratoire ont été achetées en Suisse grâce à des intermédiaires ou à des sociétés-écrans; la Suisse est réputée pour ses instruments optiques, ses verres, etc. Les fournisseurs ne savaient cependant pas qu'ils livraient du matériel pour le projet . Ils pensaient livrer des universités ou des laboratoires. Ils n'étaient pas conscients des motifs véritables.

[...]

Je n'ai connaissance d'aucun transfert de technologie ou de substances entre la Suisse et l'Afrique du Sud.» [Traduction]

10.2

Procès Basson en Afrique du Sud

Le 29 janvier 1997, Wouter Basson, responsable du projet «Coast», était arrêté en Afrique du Sud pour trafic de drogue présumé. Il a rapidement été remis en liberté provisoire. Le 4 octobre 1999, la Haute Cour de Pretoria ouvrait un procès public contre Wouter Basson. La première partie de l'acte d'accusation l'incriminait pour comportement criminel portant sur 65 faits en rapport avec des transactions financières effectuées immédiatement avant ou à la suite de la liquidation du projet «Coast».

La seconde partie qui portait sur des accusations telles que meurtre, incitation au meurtre, conspiration et autres chefs d'accusation semblables, n'a en revanche pas été admise par la Haute Cour. Selon les déclarations du procureur sud-africain Anton Ackermann qui a instruit l'accusation contre Wouter Basson, la Suisse n'était pas concernée par la seconde partie de l'acte d'accusation. Les seuls points de contacts avec la Suisse se limitaient à la première partie, ce qui est déterminant pour la DCG.

Au cours du procès, l'accusation avait, entre autres, souhaité entendre Peter Regli au sujet des déclarations de Wouter Basson. La cour a cependant estimé que le témoignage de Peter Regli n'était pas indispensable et a rejeté l'offre de preuve correspondante du ministère public.

Le 11 avril 2002, Wouter Basson était libéré de toutes les charges qui pesaient contre lui par jugement du juge unique Willi Hartzenberg. Le 3 juin 2003, la Cour d'appel suprême d'Afrique du Sud à Bloemfontein rejetait la requête du ministère public sud-africain qui demandait la reconsidération du jugement. L'acquittement en première instance est donc entré en force de chose jugée.

Durant le procès devant la Haute Cour de Pretoria, comme lors des auditions effectuées par la Commission Vérité et Réconciliation, Wouter Basson a fait diverses déclarations qui avaient un rapport avec la Suisse. La DCG les a examinées dans la mesure où elles lui ont paru importantes. Elle s'est penchée sur les groupes de sujets suivants:49

49

­

rencontre de Niel Knobel et de Wouter Basson avec le médecin en chef de l'armée suisse à Windhoek (à ce sujet, voir ch. 7.2);

­

prétendue participation de Peter Regli au projet «Coast» (voir ch. 10.4.4);

­

commerce de mandrax par l'entremise de Jürg Jacomet (voir ch. 10.5.3);

­

détournement de fonds et arrestation de Wouter Basson en Suisse (voir ch. 10.3.5).

Voir également à ce sujet la réponse du Conseil fédéral du 27 février 2002 à la question ordinaire 01.1142, Transparence concernant les déclarations faites en Afrique du Sud au sujet de la Suisse, du 13 décembre 2001 (BO 2002 N 478, BO 2002 annexes I 260).

2190

10.3

Rapports de Wouter Basson avec la Suisse

10.3.1

Remarques liminaires

Le second volet de l'accusation n'ayant pas été admis (voir ch. 10.2), le procès contre Wouter Basson devant la Haute Cour de Pretoria s'est limité aux délits contre le patrimoine. À ce sujet, Wouter Basson a plusieurs fois mentionné des affaires qu'il aurait faites avec l'aide des services de renseignement suisses, de Peter Regli, leur chef, ou de Jürg Jacomet, leur prétendu collaborateur. À cet égard, il est frappant de constater que Wouter Basson s'en est généralement tenu à des généralités, que ses explications sont restées très imprécises et qu'il n'a jamais mentionné de fait précis. Lorsqu'il mentionnait les services de renseignement suisses, il les mentionnait nommément une fois, puis il parlait de Peter Regli et, souvent, de Jürg Jacomet.

En ce qui concerne les infractions que l'accusation sud-africaine a reprochées à Wouter Basson, seul comptait pour le procès le fait que l'accusé ait ou non effectué les transactions financières en cause. En revanche, la question de savoir avec qui il avait effectué ces prétendues transactions importait peu. Il n'est donc pas étonnant qu'il n'y ait eu que très peu de questions complémentaires visant à éclaircir ces aspects au cours des débats judiciaires publics. Pour l'appréciation des déclarations de Wouter Basson au sujet de la Suisse, il faut en outre partir du principe qu'il a indifféremment utilisé les termes «services de renseignement suisses», «Peter Regli» et «Jürg Jacomet», si bien qu'il n'est pas toujours possible de savoir avec précision qui était effectivement désigné.

À cela s'ajoute le fait qu'il n'est pas non plus possible d'accorder une très grande crédibilité aux déclarations de Wouter Basson. Après environ deux ans et demi de procès, il n'a pas été possible de vérifier une seule de ses déclarations concernant la Suisse en la recoupant avec des faits vérifiés. Au contraire, il a été impossible de dépasser le stade des allégations générales et non vérifiables. Selon les déclarations que le procureur sud-africain Anton Ackermann a faites devant la DCG, Wouter Basson a aussi utilisé le projet «Coast» pour «vider les poches de l'armée.» [Traduction] Anton Ackermann a indiqué qu'il était d'avis que la crédibilité de Wouter Basson était nulle et que ses déclarations avaient pour unique but de couvrir les délits contre le patrimoine qu'il
avait commis. L'accusation était parvenue à établir que, contrairement à ses affirmations, il avait détourné les fonds publics destinés au projet «Coast» en les utilisant à des fins personnelles (à ce sujet, voir également ch. 10.3.5). Le 1er juillet 2002, le procureur sud-africain Anton Ackermann faisait la déclaration suivante à la DCG: «M. Basson a déclaré avoir payé 3,2 millions de dollars US à la société Blackdale pour l'achat de diverses substances. L'examen de comptes bancaires nous a toutefois permis de prouver qu'il avait utilisé cette somme pour acheter une maison de campagne en Angleterre, une participation de 25 % dans un golf en Belgique, un logement en copropriété en Floride, deux appartements à Bruxelles, des maisons, des maisons de vacances et un garage en Afrique du Sud, etc. [...] M. Basson a cependant prétendu avoir payé des fournisseurs, mais l'argent a fini dans les comptes de la société WPW à Genève précédemment mentionnée. [...]

Ces flux financiers correspondent aux faits. M. Basson a donc été obligé d'élaborer une stratégie de défense à laquelle le juge a cru. Cette stratégie consistait en sa version des faits: Au début des années 80, il aurait pris contact avec la constituée de membres des services secrets de l'ancienne RDA, d'URSS, de Libye et d'autres Etats d'Europe de l'Est. [...] M. Basson se serait fait

2191

passer pour un trafiquant d'armes astucieux et (wheeler-dealer). Dans ce cercle, il aurait mis en avant que, en tant que militaire, il avait toujours besoin de substances ou de pièces d'équipement, et il se serait fait livrer. En contrepartie, il aurait été utilisé comme agent chargé de placer de l'argent à l'Ouest pour le compte de cette mafia. C'est dans ce but qu'il aurait commencé à investir, entre autres en acquérant six objets en Afrique du Sud qui auraient servi de refuges (safe houses). (J'ai toutefois pu prouver que, pendant dix ans au moins, les Allemands de l'Est, les Russes etc., n'ont jamais utilisé ces refuges et que ceux-ci ont en revanche bien profité à M. Basson, à sa grande famille et à ses amis. Le juge a cru l'argumentation de M. Basson.) [...]

Dans chacun des pays concernés, M. Basson avait chargé une personne de s'occuper de ses affaires (M. Webster aux Etats-Unis, M. Buffon en Grande-Bretagne, M. Zimmer au Luxembourg, M. Chu en Suisse). [...]

À la fin des années 90, les forces armées ont décidé ­ pour ma part, je pense plutôt que c'est M. Basson qui a pris cette décision ­ de privatiser les deux laboratoires Delta-G et Roodeplaat. Ainsi, M. Mijburg a acheté pour 5 millions de rands un laboratoire qui valait environ 15 millions de rands. M. Basson a expliqué à sa hiérarchie les raisons pour lesquelles il fallait vendre à bas prix. Avec la privatisation, les forces armées devaient en outre payer des dédommagements pour un montant de 20 millions de rands pour Delta-G ­ le laboratoire ne coûtait donc rien.

Juste trois mois auparavant, M. Basson avait présenté aux forces armées un contrat avec Delta-G portant sur la livraison de substances pour un montant de 12 millions de rands par an pendant cinq ans.

M. Basson voulait promouvoir outre-mer, et principalement en Suisse, les infrastructures de Delta-G et de Eron-L. L'idée à l'origine de cette décision était que ces laboratoires procédaient à des tests sur des primates. Etant donné que les organisations de protection des animaux sont très actives en Suisse (et dans d'autres pays), le fait de pouvoir recourir à de telles infrastructures en Afrique du Sud était bienvenu. C'est ainsi qu'il est tombé sur M. Chu, docteur en pharmacie, qui procédait à une étude de faisabilité en Afrique du Sud. L'un des
objectifs principaux de sa société Medchem AG était de promouvoir les laboratoires en question. [...]

Comment M. Basson procurait-il de l'argent à M. Chu, c'est-à-dire à la société Medchem AG? Il a dit aux forces armées qu'il voulait acheter des substances en Suisse ainsi qu'un synthétiseur de peptides pour un montant de 325 000 dollars US et à M. Knobel que 450 000 francs suisses avaient été prévus pour faire analyser des échantillons d'ADN (montants que M. Chu a ensuite reçus de la société Medalfa AG).

L'objectif était de montrer que les montants étaient encaissés par la société Medchem AG. [...]

En conclusion, M. Basson a utilisé la société Medchem AG pour faire de l'argent. Les affaires étaient dirigées par M. Chu. Devant le tribunal, M. Basson a présenté M. Chu comme un agent de la constituée de Libyens, de ressortissants d'Allemagne de l'Est, etc. qui gérait un réseau d'espionnage russe depuis Allschwil (); le juge a cru ces déclarations.

Mon appréciation: Je ne doute pas que M. Chu n'avait aucune idée de ce qui se passait vraiment, mais je pense qu'il était conscient de servir à blanchir de l'argent.» [Traduction]

10.3.2

Contacts avec Jürg Jacomet

La DCG n'est pas parvenue à éclaircir avec exactitude les circonstances dans lesquelles Wouter Basson et Jürg Jacomet se dont rencontrés dans la mesure où, en l'absence de faits vérifiables, elle ne dispose que des déclarations des intéressés.

Jürg Jacomet avait déclaré à un journaliste que Wouter Basson lui avait été présenté au début des années 80 par Lothar Neethling, qui, avant de devenir le chef du département de police scientifique de la police sud-africaine, était encore chef du labora2192

toire de police scientifique sud-africain. À ce propos, le journaliste Frank Garbely a fait à la DCG la déclaration suivante: «Selon ses dires, M. Jacomet a fait la connaissance de M. Basson grâce au général Neethling; leurs relations ont dû être relativement bonnes: après tout, l'Afrique du Sud a acheté du (comme des produits chimiques ­ M. Jacomet n'a rien dit sur la nature de ces produits) par l'entremise de M. Jacomet. M. Basson aurait plusieurs fois mangé la fondue chez M. Jacomet qui, selon ses déclarations, aurait luimême été invité chez M. Basson et chez M. Neethling. On peut en conclure qu'ils se connaissaient plutôt bien.»

Lors de son audition par le Ministère public du district de Zurich le 1er décembre 1993 (voir ch. 10.3.5), Wouter Basson avait déclaré avoir rencontré Jürg Jacomet en 1982 ou 1983 lors d'une visite de Lothar Neethling à Zurich: «Jürg Jacomet m'avait été présenté à l'époque en tant que marchand d'armes représentant officieusement le gouvernement suisse. J'avais l'impression qu'il faisait partie des services secrets. Il était capitaine des troupes d'aviation. En voyant son pouvoir ­ notamment comment nous avions eu accès à tous les bureaux à Berne et aux aéroports ­ nous n'avions aucune raison d'en douter. [...]

À cette époque, nous avions remis un résumé de nos expériences à l'attention des membres des services secrets à Berne. Jacomet était le coordinateur qui faisait le lien entre nous et les services secrets suisses. C'est ainsi que Jacomet a eu plusieurs fois l'occasion de voyager en Afrique du Sud. Nous l'avons également conduit dans la zone des opérations, c'est-à-dire dans la région en guerre, où nous lui avons montré des armes que nous avions saisies. [...]

En Suisse, Jacomet nous a présenté des personnes qui s'occupaient de contre-mesures AC. Notre intérêt principal concernait la recherche technique et l'échange d'échantillons et portait sur le Laboratoire AC de Spiez qui est le centre suisse pour la défense AC. Il nous a également présentés à la société Schleiffer, une entreprise de production de vêtements de protection, ainsi qu'à la société Huber & Suhner. [...]

Il ne m'a jamais vendu d'armes. Durant cette période (1982 à 1987), il vendait toutefois des armes à la police sud-africaine (organisme paramilitaire). Je ne sais pas s'il a également livré des armes aux forces armées. [...]

Je lui ai souvent rendu visite entre 1987 et 1990 étant donné les modifications à apporter aux masques de protection de Huber & Suhner. Je le tenais en outre informé des nouveautés dans le développement des armes en Afrique du Sud.» [Traduction]

10.3.3

Activités de Wouter Basson au sein de la société Medchem AG

Le 3 décembre 1993, lors de son audition par le Ministère public du district de Zurich (voir ch. 10.3.5) David Chu a en substance déclaré ce qui suit: Il avait fait la connaissance de Wouter Basson fin 1988, à Zurich, par l'entremise d'un avocat. Il est possible qu'il ait également rencontré Jürg Jacomet à cette occasion; il a toutefois précisé qu'il n'avait pas de rapports particuliers avec Jürg Jacomet qu'il a rencontré peut-être à deux reprises en tout et pour tout. La société Medchem AG et la société Inter Business Solutions AG (informatique) ont été fondées, respectivement en 1990 et en 1992, avec le groupe d'investisseurs WPW apporté par Wouter Basson. Etant donné que Wouter Basson assistait régulièrement aux séances du conseil d'administration, il le rencontrait au moins tous les deux mois depuis 1989. Wouter Basson lui avait également laissé entendre qu'il désirait s'installer en Suisse en tant qu'homme d'affaires indépendant.

2193

Le Registre du commerce du canton de Bâle-Campagne permet de constater que la société Medchem Forschungs AG a été fondée le 8 janvier 1990 avec un capital social de 250 000 francs et que la société IBS Inter Business Solutions AG a été fondée le 6 mars 1992 avec un capital social de 150 000 francs. Au début, David Chu était inscrit en tant que délégué du conseil d'administration. Plus tard, il a été inscrit en tant que membre du conseil d'administration. Le nom de Wouter Basson ne figurait pas au Registre du commerce. La société IBS Inter Business Solutions AG a été déclarée en faillite le 30 avril 1996 et la société Medchem Forschungs AG a été radiée d'office le 5 septembre 2000.

Le Registre du commerce du canton de Bâle-Campagne a également permis de constater que la société Medalfa AG a été inscrite le 22 octobre 1986 et dissoute le 23 septembre 1997 par décision de l'assemblée générale des actionnaires. Ni David Chu ni Wouter Basson n'ont fait partie des organes de Medalfa AG. En revanche, l'un des membres du conseil d'administration de cette société était également membre du conseil d'administration de la société Medchem Forschungs AG.

Les noms de la société Medchem Forschungs AG et plus particulièrement de David Chu ont été mentionnés à plusieurs reprises lors du procès contre Wouter Basson en Afrique du Sud (voir ch. 10.2). Des documents saisis ont permis de prouver que des moyens du projet «Coast» ont servi à diverses transactions financières en faveur de la société Medchem Forschungs AG et David Chu. Comme le procureur sud-africain Anton Ackermann l'a expliqué à la DCG, les éléments rassemblés à l'occasion du procès contre Wouter Basson permettent de penser que la société Medchem AG a été utilisée pour diriger les fonds du projet «Coast» dans les poches de Wouter Basson. Il a d'ailleurs expressément déclaré qu'il ne doutait pas que David Chu n'avait aucune idée de ce qui se passait vraiment, mais que celui-ci devait être conscient qu'il servait à blanchir de l'argent (voir ch. 10.3.1).

10.3.4

Prétendues facilités douanières et d'entrée à l'aéroport de Zurich

Les médias ont souvent prétendu que non seulement Jürg Jacomet, mais également Wouter Basson et Lothar Neethling avaient pu entrer en Suisse en évitant le contrôle des passeports et les formalités douanières à l'aéroport de Zurich. La DCG a donc demandé un rapport officiel au Conseil d'Etat du canton de Zurich sur les conditions d'entrée et les éventuelles facilités d'entrées à l'aéroport de Zurich. Le rapport de la Direction des affaires sociales et de la sécurité des 29 avril et 18 septembre 2002 donne les explications suivantes: «D'une manière générale, toutes les cartes de légitimation aéroportuaires (badges) qui permettent à leur titulaire d'accéder au domaine qui n'est pas librement accessible au public sont émises par l'autorité aéroportuaire (actuellement Unique, précédemment la direction d'aéroport). De 1985 à 1995, la police aéroportuaire était également habilitée à délivrer des cartes d'accès non personnalisées pour les aires de transit A et B. Il s'agissait de cartes dites journalières qui étaient valables durant un ou deux jours. La police aéroportuaire ne tenait aucun registre sur l'émission de telles cartes. À l'échéance de la validité de la carte journalière, le formulaire de demande correspondant était détruit. Sur présentation d'un document d'identité, de telles cartes journalières étaient délivrées à des personnes qui avaient une raison valable de se rendre sur les aires de transit. Il s'agissait notamment de conseillers juridiques travaillant dans le domaine de

2194

l'asile et du renvoi ou de gens d'affaires devant rencontrer des personnes en transit qui auraient eu besoin d'un visa pour quitter l'aire de transit.

Sur demande d'une société autorisée à l'aéroport de Zurich ou d'une autorité, Unique (la direction d'aéroport jusqu'en 2000) peut émettre des cartes de légitimation aéroportuaires lorsque l'activité professionnelle exige un accès régulier ou fréquent au domaine qui n'est pas librement accessible au public (règlement d'exploitation). Depuis 2000, en plus d'un exposé des motifs, toute demande de carte de légitimation aéroportuaire doit être accompagnée d'un extrait du casier judiciaire.

La carte de légitimation aéroportuaire permet à son titulaire légitime d'accéder uniquement aux zones aéroportuaires figurant sur la carte. Jusqu'à fin 1999, l'octroi et l'émission des cartes de légitimation aéroportuaires étaient du ressort du service d'exploitation (bureau des cartes de légitimation) qui les établissait conformément aux dispositions du règlement régissant les accès qui était en vigueur à l'époque. Depuis 2000 (renouvellement périodique de toutes les cartes de légitimation aéroportuaires), le bureau des cartes de légitimation les établit selon les dispositions régissant le service de sécurité et en conformité avec le règlement d'exploitation de l'aéroport de Zurich.

À l'époque, comme cela est encore le cas aujourd'hui, toutes les personnes au service d'une entreprise ou d'une autorité pouvant faire valoir un besoin professionnel fondé (fournisseurs d'entreprises domiciliées à l'aéroport, personnel de service et d'entretien, représentants d'autorités, d'entreprises industrielles et commerciales, etc.) pouvaient demander et obtenir une carte de légitimation aéroportuaire.» [Traduction]

Le système informatique de la direction d'aéroport de l'époque qui servait à émettre les cartes de légitimation a été remplacé par un nouveau système en 1994. Les anciennes données qui n'étaient plus utilisées ont été effacées en 1995. Il n'y a donc plus d'enregistrement portant sur la période d'examen, c'est-à-dire du milieu des années 80 au milieu des années 90. Le système actuel, qui contient les données depuis 1994, a notamment permis de constater que Peter Regli disposait d'une carte de légitimation aéroportuaire pour les aires de transit A et B valable du 22 février 1995 au 31 décembre 1999 émise sous la raison «VBS/Generalstab, Strat. ND» (DDPS/Etat-major général, Renseignement stratégique). En ce qui concerne les aires de transit, il convient de mentionner qu'il ne s'agit pas de zones de sécurité. Chaque personne en possession de documents de voyage en règle et d'un billet d'avion peut avoir accès à ces zones situées entre la douane et les contrôles de sécurité.

Il convient en outre de préciser que les cartes de légitimation aéroportuaires ne permettent d'accéder qu'à certaines zones dont l'accès au public est interdit ou limité. Elles ne permettent en aucun cas de passer la frontière en tant que telle.

Comme cela était déjà le cas à l'époque, le contrôle du trafic des voyageurs est effectué par la police aéroportuaire selon les dispositions légales en vigueur. Le contrôle du trafic des marchandises incombe aux organes douaniers compétents de la Confédération.

En vertu d'une instruction de service de la police aéroportuaire, les passagers au bénéfice d'un statut «VIP» peuvent, sur demande d'une autorité suisse et à certaines conditions, bénéficier de facilités d'entrée, de sortie ou de transit. Ces passagers bénéficient à ce titre d'un traitement privilégié de la part de la police aéroportuaire et des services d'accueil de l'aéroport de Zurich. La DCG a consulté les listes des personnes concernées pour la période de 1985 à 1995. Pour l'essentiel, elle comporte les noms de membres de gouvernements suisses ou étrangers ou de représentants d'organisations internationales. La DCG n'a trouvé aucun indice permettant de penser qu'un représentant d'un service de renseignement étranger ait pu bénéficier de facilités d'entrée. De plus, ces listes ne comportaient le nom d'aucune personne ayant un quelconque lien avec la présente enquête; les noms de Jürg Jacomet, de 2195

Wouter Basson, de Lothar Neethling, de Niel Knoel ou d'autres représentants des forces armées sud-africaines n'y figurent pas.

Il faut toutefois souligner que des visites qui auraient eu lieu sous ce qui est communément appelé le couvert du secret lié aux activités de renseignement, notamment en utilisant de faux passeports (à ce sujet, voir ch. 6.5), ne peuvent bien évidemment faire l'objet d'aucun contrôle ultérieur.

10.3.5

Arrestation de Wouter Basson en Suisse

Le 16 juillet 1993, une banque privée ayant son siège à Zurich déposait une plainte pénale contre Wouter Basson pour escroquerie présumée. Pour l'essentiel, la plainte était basée sur les faits suivants:50 «La société Intermagnum AG (Rümlang ZH) est titulaire d'un compte et débitrice de la lésée, la banque AKB. Le 19 mai 1993, Jürg Jacomet, membre du conseil d'administration d'Intermagnum AG, s'est présenté à l'AKB en compagnie de l'accusé, Wouter Basson. Jürg Jacomet a expliqué vouloir conclure une affaire pour Wouter Basson et a fait ouvrir un sous-compte du compte d'Intermagnum AG. Il s'agissait d'un crédit lombard sur nantissement d'obligations du Banco di Napoli. Le 25 mai 1993, après liquidation des formalités nécessaires, 20 obligations du Banco di Napoli pour une valeur nominale de 5 millions de dollars US ont été remis au nom de la société Intermagnum AG. La banque a refusé de verser le crédit avant d'avoir examiné l'authenticité des papiers. Cet examen a été effectué par la Banque Générale du Luxembourg qui agissait en tant qu'office de paiement. Par lettre du 2 juillet 1993, la Banque Générale du Luxembourg annonçait à la banque AKB que les obligations avaient manifestement été falsifiées. La Banque Générale a communiqué les caractéristiques de la falsification et a indiqué qu'elle allait déposer une plainte auprès des autorités luxembourgeoises compétentes, raison pour laquelle elle ne pouvait pas renvoyer les obligations falsifiées. La direction de la banque AKB a ensuite informé Jürg Jacomet. Elle s'est enfin tournée vers la Commission fédérale des banques qui l'a cependant renvoyée à la plaignante.»

Le Ministère public du district de Zurich a ouvert une enquête pénale contre Wouter Basson. Il a interrogé Jürg Jacomet en tant que témoin le 3 août 1993. Ce dernier a en substance déclaré qu'il aurait livré des armes de chasse et de tir sportif à des entreprises sud-africaines jusqu'en 1988. Il a expliqué que c'est dans ce cadre qu'il avait fait la connaissance de Wouter Basson à Pretoria en 1987 et qu'il aurait ensuite entretenu des contacts privés avec lui. Lors d'un séjour en Suisse, Wouter Basson lui aurait demandé s'il était possible de déposer des papiers-valeurs en nantissement auprès d'une banque suisse. Il a donc discuté de cette affaire avec le directeur suppléant de la banque AKB. Un jour avant le dépôt des titres, Wouter Basson lui aurait donné rendez-vous à l'aéroport du Zurich pour lui remettre les 20 obligations. Wouter Basson aurait immédiatement poursuivi son voyage. Le jour suivant, il (Jürg Jacomet) s'est rendu comme convenu à la banque AKB, sans douter de l'authenticité des obligations en question. Selon lui, Wouter Basson devait s'être procuré les obligations à Londres ou au Luxembourg.

50

Citations tirée de l'ordonnance de classement rendue par le Ministère public du district de Zurich en date du 21 septembre 1994.

2196

Le directeur suppléant de la banque AKB a confirmé les faits tels que Jürg Jacomet les avait décrits en ajoutant que, pour sa part, il avait fait la connaissance de Wouter Basson par l'entremise de Jürg Jacomet environ quatre ans auparavant. Il a précisé qu'il avait été alors question du financement d'un projet d'assistance médicale en Afrique du Sud, mais que l'affaire était trop grande pour la banque AKB. En ce qui concerne les obligations, il a encore expliqué que, contrairement à ce qui avait été convenu à l'origine, elles n'avaient pas été déposées par une banque, raison pour laquelle leur authenticité a été vérifiée comme cela est usuel dans un tel cas.

Le Ministère public du district de Zurich avait inscrit Wouter Basson au RIPOL en vue de son arrestation. Le 27 novembre 1993, il était arrêté à l'aéroport de BâleMulhouse alors qu'il arrivait de Bruxelles. Au cours de son interrogatoire, Wouter Basson a en substance expliqué avoir rencontré Jürg Jacomet à Zurich, lors d'une visite du lieutenant général sud-africain Neethling. Il lui aurait été présenté à l'époque en tant que marchand d'armes représentant officieusement le gouvernement suisse. Par la suite, des liens commerciaux et amicaux se seraient développés entre lui et Jürg Jacomet. Ils auraient collaboré sur un transfert de technologie de la Suisse vers l'Afrique du Sud dans le domaine des mesures de protection AC. Dans cette affaire, Jürg Jacomet aurait notamment établi les contacts avec les services de la Confédération et les entreprises concernés. Après 1989, ces contacts se seraient espacés, Jürg Jacomet ayant déplacé ses activités vers les pays de l'ancien bloc de l'Est au début des années 90. En 1992, deux rencontres auraient eu lieu à Rümlang, au bureau de Jürg Jacomet. Chaque fois, des ressortissants croates auraient été présents. Les discussions auraient porté sur des questions de financement, d'achat et de transports d'armes vers la Croatie. Il (Wouter Basson) aurait été convié à ces discussions par Jürg Jacomet étant donné que les Croates se seraient également intéressés à des livraisons d'armes en provenance d'Afrique du Sud. À son retour en Afrique du Sud, il aurait discuté de l'affaire avec le général responsable. Celui-ci lui aurait expliqué que l'exportation d'armes vers la Croatie ne pouvait pas entrer en ligne de
compte si bien que, pour lui, l'affaire en était restée là. Du point de vue de l'Afrique du Sud toutefois, la Croatie était cependant intéressante pour deux raisons.

La première était qu'un trafic d'armes vers l'ex-Yougoslavie avait été découvert et que, en raison d'une fausse indication d'origine, l'Afrique du Sud a été soupçonnée à tort. La seconde résidait dans le fait qu'il était possible d'acheter des systèmes d'armement provenant d'ex-URSS dans les pays de l'ancien bloc de l'Est, donc également en Croatie, ce qui était avantageux d'un point de vue technique car de telles acquisitions auraient permis d'obtenir des informations intéressantes non seulement pour l'Afrique du Sud et ses services secrets, mais également pour d'autres pays. C'est pour cette raison qu'il (Wouter Basson) aurait chargé Jürg Jacomet de lui rendre service. «On» aurait mis un montant de 2,3 millions de dollars US (environ 3,45 millions de francs) à la disposition de Jürg Jacomet à cet effet. De ce montant, plusieurs centaines de milliers de dollars US auraient été versés, conformément aux instructions, en faveur de deux généraux et d'un ministre croate en contrepartie de services et d'échantillons. Un versement supplémentaire prévu n'aurait pas été effectué, mais il n'aurait plus été possible de contacter Jürg Jacomet.

Ce n'est qu'en février 1993 que le contact aurait été rétabli. Jürg Jacomet aurait alors tenté d'utiliser plusieurs échappatoires avant de reconnaître avoir utilisé le reste de l'argent à d'autres fins. Parmi les pièces du procès contre Wouter Basson en Afrique du Sud, il y a effectivement une confirmation écrite de Jürg Jacomet, datée du

2197

12 mai 1993, dans laquelle celui-ci déclare assumer l'entière responsabilité de la disparition des fonds (voir ch. 10.4.4).

Wouter Basson a également expliqué au Ministère public du district de Zurich qu'il aurait été chargé par le service compétent des forces armées sud-africaines, de récupérer les fonds utilisés abusivement par Jürg Jacomet. Il aurait discuté avec ce dernier de diverses possibilités permettant d'atteindre cet objectif. Alors qu'il se trouvait une nouvelle fois dans les bureaux de la société Intermagnum AG à Rümlang, il aurait appris de Croates également présents à cette occasion, que les livraisons d'armes à destination de la Croatie étaient parfois financées au moyen de prêts garantis au moyen de titres. Jürg Jacomet et lui auraient alors eu l'idée de se procurer la somme nécessaire de cette manière. Il aurait demandé à Jürg Jacomet de lui donner les noms des Croates; ceux-ci l'auraient ensuite renvoyé plus loin. Finalement, un certain Martin Stevens lui aurait proposé d'utiliser des obligations du Banco di Napoli en nantissement. Après les discussions préliminaires qui ont eu lieu à la banque AKB, il se serait rendu à Londres pour prendre possession des titres. Il aurait cependant été convenu qu'un messager les transporterait à Zurich, ce qui avait été fait; il (Wouter Basson) en aurait repris possession à l'aéroport juste avant de les remettre à Jürg Jacomet.

Outre Jürg Jacomet et Wouter Basson, Henrik Thomsen aurait également participé à la discussion du 19 mai 1993 avec la banque AKB qui avait précédé le dépôt des obligations.

Le 10 décembre 1993, Wouter Basson était libéré de sa détention préventive contre paiement d'une caution de 100 000 francs, versée par l'entremise de David Chu.

Convoqué par le Ministère public du district de Zurich, il a été entendu une nouvelle fois le 22 mars 1994. À cette occasion, il a répondu à des questions complémentaires relatives aux modalités et à l'usage prévu des 2,3 millions de dollars US remis à Jürg Jacomet. La caution a été rendue le jour même.

Le 20 décembre 1993, suite aux déclarations de Wouter Basson, le Ministère public du district de Zurich inscrivait Jürg Jacomet au RIPOL en vue de son arrestation.

Celui-ci ayant assuré qu'il se rendrait à l'audition, l'inscription a été radiée le 19 janvier 1994. Jürg Jacomet n'a toutefois
pas respecté les délais convenus. Il s'est à plusieurs reprises excusé par téléphone et, comme le procureur du Ministère public du district de Zurich l'avait souligné dans une note, il a «parfois fourni des raisons fantasques.» [Traduction] Lors de ces contacts téléphoniques, Jürg Jacomet donnait l'impression d'être de plus en plus confus et sous l'influence d'alcool.

Etant donné que les investigations n'avaient pas été concluantes et qu'il n'était pas non plus possible de les pousser plus avant, le Ministère public du district de Zurich a classé l'affaire par ordonnance du 21 septembre 1994. Il a abandonné les poursuites contre Wouter Basson et Jürg Jacomet essentiellement pour défaut d'intention.

2198

10.4

Contacts avec le GRS puis le Gr rens ainsi qu'avec Peter Regli

10.4.1

En général

Des membres de l'entourage personnel de Jürg Jacomet ont à diverses occasions prétendu que Wouter Basson aurait souvent séjourné en Suisse au début des années 90 et qu'il aurait rencontré Peter Regli à plusieurs reprises. Que Wouter Basson ait eu de fréquents contacts en Suisse à cette époque et qu'il y ait séjourné à plusieurs reprises est un fait incontesté. Ses contacts avec Jürg Jacomet et David Chu ainsi que ses activités au sein de la société Medchem AG ont déjà été abordés aux ch. 10.3.2 et 10.3.3. Wouter Basson avait spontanément reconnu lors de son audition par le Ministère public du district de Zurich (voir ch. 10.3.5) qu'il avait séjourné en Suisse, parfois durant des semaines entières, à l'occasion de ses contacts d'affaires avec David Chu et ses fréquents contacts avec Jürg Jacomet.

À cet égard, il avait notamment été question d'un chauffeur qui aurait régulièrement conduit Wouter Basson à ses rendez-vous avec Jürg Jacomet et Peter Regli. Des membres de la DCG ont également entendu cette personne. Cette audition n'a cependant pas permis d'obtenir d'éléments supplémentaires. Ses déclarations étaient très vagues et impossibles à vérifier. Malgré les assurances qu'elle a données dans ce sens, cette personne n'a jamais fait parvenir à la DCG les justificatifs prétendument en sa possession.

Il a également été dit que certaines rencontres de Wouter Basson avec Jürg Jacomet avaient fait l'objet d'observations policières. Ces assertions, qui avaient en partie été relayées par les médias, se sont également avérées fausses. Répondant à la demande correspondante de la DCG, la Direction des affaires sociales et de la sécurité du canton de Zurich a indiqué que, en ce qui concerne Jürg Jacomet et la société Intermagnum AG, aucune observation policière n'avait été effectuée depuis 1991 et qu'il n'y a plus de dossier remontant au-delà.

Le ch. 10.3.1 a déjà permis de souligner que, durant son procès en Afrique du Sud, Wouter Basson a indifféremment utilisé les termes «services de renseignement suisses», «Peter Regli» et «Jürg Jacomet». Wouter Basson était manifestement persuadé que Jürg Jacomet travaillait pour les services de renseignement suisses ou à tout le moins sous leur couvert. En tout état de cause, Jürg Jacomet avait fait tout ce qu'il pouvait pour conforter Wouter Basson dans cette opinion.
Le simple fait que Wouter Basson ait périodiquement eu des contacts relativement étroits avec Jürg Jacomet et réalisé avec lui certaines transactions financières ne permet pas de conclure à une participation de Peter Regli voire des services de renseignement suisses à ses agissements. À cet égard, il est vrai que Wouter Basson a tenté de faire croire que les services de renseignement suisses et plus particulièrement le SCEM rens de l'époque avaient été mêlés à certains événements qui lui avaient été reprochés en Afrique du Sud. La DCG n'a cependant pas trouvé un seul indice qui aurait pu permettre ne serait-ce que d'imaginer qu'un tel soupçon puisse avoir un fond de vérité. En plus du manque de crédibilité de Wouter Basson déjà mentionné précédemment (voir ch. 10.3.1), il faut également tenir compte du fait que, au cours du procès qui a duré environ deux ans et demi, il n'a pas été possible 2199

de vérifier une seule de ses déclarations concernant les services de renseignement suisses ou la personne de Peter Regli en la recoupant avec des faits avérés. Au contraire, il n'a jamais été possible de dépasser le stade des allégations générales, impossibles à vérifier et qui, de surcroît, ne parviennent pas à convaincre.

Les investigations de la DCG n'ont permis de découvrir aucun indice laissant à penser que les services de renseignement suisses ou Peter Regli aient pu participer d'une manière ou d'une autre au projet «Coast». Un ancien collaborateur du Gr rens a d'ailleurs déclaré à la DCG qu'il était «absolument convaincu que le SCEM rens ne savait rien du programme d'armement secret entrepris par les Sud-Africains, mais qu'il avait été manipulé comme un débutant trop naïf.» [Traduction] L'ancien chef de la Section exploitation a poursuivi dans le même sens: «Je savais bien que Peter Regli avec Jürg Jacomet, mais, avant que les médias rendent l'affaire publique, mon ancien service [SRS] ignorait tout de ses contacts avec M. Basson.» [Traduction] Lors de son audition par la DCG, Peter Regli a d'ailleurs fortement insisté sur le fait que ni le Gr rens, ni lui-même ou ses prédécesseurs n'avaient participé de quelque manière que ce soit au projet sud-africain de développement d'armes biologiques et chimiques, raison pour laquelle il n'y avait pas de documents à ce sujet et que, par conséquent, aucun document de ce genre n'a jamais pu avoir été détruit.

À l'exception des discussions sur les fonds disparus au cours du printemps 1994 qui seront abordées plus bas (voir ch. 10.4.4), il n'y a aucun indice permettant de penser que le projet «Coast» ou des parties de celui-ci auraient pu faire l'objet de discussions entre le GRS ou le Gr rens et des services sud-africains. La DCG estime donc tout à fait crédible que Peter Regli ait pour la première fois été informé dans les grandes lignes des tenants et aboutissants de ce projet secret, lors de sa visite en Afrique du Sud en octobre 1997. Peter Regli a expliqué à la DCG que, peu de temps avant cette visite, un article sur le projet «Coast» était paru dans la presse suisse; il a envoyé cet article en Afrique du Sud en priant ses interlocuteurs «de bien vouloir [lui] expliquer ce qui se passe.» [Traduction] C'est lors de cette visite qu'il
a pour la première fois été informé du contenu du projet «Coast».

Dans le procès-verbal qu'il a rédigé pour rendre compte de cette visite qui a duré du 6 au 10 octobre 1997, Peter Regli arrive aux constatations suivantes: au cours des années 80, le surgeon general avait nommé Wouter Basson chef du projet de développement d'un programme (secret) national de défense dans les domaines biologiques et chimiques; Wouter Basson bénéficiait d'une grande marge de manoeuvre et de moyens considérables. Pour pouvoir mettre cette défense sur pied, il fallait connaître les principes actifs. C'est dans ce but que Jürg Jacomet avait été engagé en tant qu'agent. Il était chargé de se procurer des substances de combat biologiques et chimiques en utilisant ses canaux d'approvisionnement dans les pays de l'Europe de l'Est. C'est dans ce contexte que, au cours d'une affaire avec les services secrets croates, des actes déloyaux portant sur des sommes importantes avaient été commis.

Basson avait été accusé d'abus de confiance. Les Sud-Africains pensaient que l'argent se trouvait dans les banques suisses, raison pour laquelle ils avaient adressé une demande d'entraide judiciaire à la Suisse. Des représentants de l'Office of serious economic offences étaient en train de procéder à des investigations à Zurich.

Basson aurait également eu des contacts avec Huber & Suhner, société auprès de laquelle il se serait aussi fourni en matériel. L'ensemble du programme biologique et chimique aurait ensuite été arrêté dans les années 90, le matériel aurait été détruit et 2200

Basson relevé de ses responsabilités. Sous la pression de la CIA et du MI6, Basson aurait cependant à nouveau été engagé en tant qu'expert afin de pouvoir, grâce à lui, remonter les pistes jusqu'aux fournisseurs des pays de l'Est. Basson aurait aussi été impliqué dans la fabrication de quantités importantes de pilules d'ecstasy.

Par ailleurs, deux courriers de Jacomet avaient été remis à Peter Regli par l'intermédiaire du surgeon general, le lieutenant général Knobel, dans lequel Jacomet expliquait sa situation dans l'affaire avec Basson et la Croatie. Peter Regli refusa de rencontrer des représentants de l'Office of serious economic offences en indiquant qu'une telle rencontre ne pourrait avoir lieu que sur demande officielle du DFJP.

Le fait que, à l'exception d'une unique intervention en mars 1994 (voir ch. 10.4.4), le sujet «Wouter Basson» n'ait jamais fait l'objet de discussions ainsi que la teneur du procès-verbal de cette rencontre montrent à l'évidence que, tout au long des contacts qu'ils ont eu avec les services sud-africains, Peter Regli et le Gr rens n'avaient manifestement aucune idée de l'existence d'un programme d'armement biologique et chimique offensif. Dans le cas contraire, Peter Regli n'aurait guère eu de raisons de consigner dans un procès-verbal classé secret des faits qui, à l'époque (1997), étaient déjà connus du public intéressé.

Les embarras pour le Gr rens découlant de la proximité de son chef suprême avec Jürg Jacomet sont apparus dans ce contexte également. Ce dernier a parfaitement su exploiter ses relations avec le SCEM rens et Peter Regli était spontanément disposé à lui ouvrir certaines portes. Cette proximité avec Jürg Jacomet est pour une bonne part à l'origine de sa mise en cause par Wouter Basson qui l'avait désigné comme complice ou à tout le moins comme personne en partie au courant du projet «Coast».

Etant donné qu'il ne s'est jamais distancé de Jürg Jacomet avant la découverte d'uranium à Kemptthal (voir ch. 9.7) et qu'il n'a rien fait pour empêcher ce dernier de se faire passer pour un agent des services de renseignement suisses alors même qu'il était au courtant de tels agissements, Peter Regli est en bonne partie responsable des soupçons qui ont pesé sur lui et le service qu'il dirigeait.

10.4.2

Visite de courtoisie ou contacts réguliers?

Peter Regli a toujours prétendu n'avoir rencontré Wouter Basson qu'à une seule reprise, lors d'une visite de courtoisie au début des années 90. Au sujet de cette rencontre, il a en substance expliqué ce qui suit: Il aurait été une nouvelle fois contacté par Jürg Jacomet. Ce dernier l'aurait prié de recevoir deux collaborateurs de haut rang de la police sud-africaine en visite de courtoisie. Etant donné que Jürg Jacomet a toujours prétendu être un agent des services de renseignement ­ ce qu'il n'aurait réalisé qu'au moment de la visite de courtoisie en question ­ il était important pour sa crédibilité qu'il (Jürg Jacomet) puisse présenter le chef du service à ses invités sud-africains. Peter Regli aurait donc reçu le lieutenant général Lothar Neethling et le général de brigade Wouter Basson, accompagnés de Jürg Jacomet, dans son bureau à Berne. Ne se souvenant plus exactement de la date de cette visite, Peter Regli la situe entre l'été 1990 et l'automne 1991. Elle aurait duré environ 45 minutes et aurait, pour l'essentiel, permis de discuter de questions de sécurité. Aucun procèsverbal n'a été rédigé à ce sujet. Il n'y aurait eu qu'une seule rencontre et il aurait ignoré les fonctions exactes de ces deux interlocuteurs. Par la suite, à l'exception

2201

d'un seul appel téléphonique (à ce sujet, voir ch. 10.4.3), il n'aurait plus eu de contact avec Lothar Neethling ou Wouter Basson.

Le rapport final de l'enquête administrative fait état de plusieurs contacts entre Peter Regli et Wouter Basson durant la période de 1987/88 à 1993/94. La DCG n'a toutefois trouvé aucune preuve permettant d'établir que, outre la visite de courtoisie mentionnée ci-dessus, Peter Regli aurait eu d'autres contacts avec Wouter Basson. Il n'est toutefois pas possible d'exclure totalement qu'il pourrait en l'occurrence s'agir d'une confusion ou que Peter Regli, à l'époque encore chef de la SRADCA, ait brièvement salué Wouter Basson et Lothar Neethling le 25 janvier 1988, lors de leur visite au Groupement de l'armement ou lors de leur participation à une conférence sur les armes de défense air-air à Belp (à ce sujet, voir ch. 10.5.1).

10.4.3

Appel téléphonique après l'arrestation de Wouter Basson

Wouter Basson a été arrêté à Bâle le 27 novembre 1993. Il a ensuite été remis au Ministère public du district de Zurich (voir ch. 10.3.5). Après sa première audition par le Ministère public du 29 novembre 1993, Wouter Basson a indiqué qu'il devait rencontrer le «général» Regli, le chef des services secrets suisses. Il a précisé qu'il (Wouter Basson) était d'accord que le procureur zurichois informe Peter Regli de son arrestation à cause de l'affaire Jacomet. Là-dessus, le procureur a appelé Peter Regli. La note correspondante rédigée par le procureur mentionne que Peter Regli avait souhaité ne plus avoir de contact avec Basson étant donné qu'il ne voulait plus rencontrer qui que ce soit de l'entourage de Jürg Jacomet.

À ce sujet, Peter Regli a déclaré que, après sa libération, Wouter Basson l'avait encore appelé de Bruxelles, mais qu'il avait raccroché le téléphone parce que Jürg Jacomet lui avait déjà causé suffisamment de problèmes à l'époque. Selon le contenu d'une note manuscrite de Peter Regli, il faut cependant admettre que Wouter Basson n'a pas passé cet appel à sa libération, mais le 24 novembre 1993, soit peu de temps avant son arrivée en Suisse.

Il n'a plus été possible de faire la lumière sur les motifs de cet appel. Il est en revanche compréhensible que Peter Regli n'ait plus souhaité entretenir de contacts avec des proches de Jürg Jacomet étant donné que, un mois auparavant, il venait de se brouiller avec ce dernier à la suite de l'incident de Kemptthal (28 septembre 1993; à ce sujet, voir ch. 9.7). De plus, le fait que Wouter Basson ait souhaité que Peter Regli soit immédiatement informé de son arrestation ne permet pas non plus de conclure que ces deux personnes entretenaient des contacts étroits. Il y a plutôt lieu d'admettre que Wouter Basson voulait ainsi faire croire au procureur du Ministère public du district de Zurich qu'il disposait de contacts jusque dans les plus hautes sphères du renseignement suisse, probablement dans l'espoir d'une incidence favorable sur la procédure pénale en cours.

10.4.4

Investigations ultérieures en Afrique du Sud

Les investigations qui ont eu lieu en Afrique du Sud à l'occasion du procès contre Wouter Basson ont montré que, avec Jürg Jacomet, ils avaient manifestement tenté 2202

d'encaisser au moyen des obligations falsifiées du Banco di Napoli le montant vraisemblablement détourné auparavant. Le 10 novembre 1992, sur ordre de Wouter Basson, un montant de 2,3 millions de dollars US imputés au projet «Coast» était versé sur un compte de Jürg Jacomet auprès de la Zagrebaca Bank à Zagreb. Selon les déclarations de Wouter Basson au Ministère public du district de Zurich, ce montant aurait été destiné à payer des agents et des informations ainsi qu'à acquérir des armes et des objets d'équipements de l'armée croate. Comme les fonds ne pouvaient pas être versés directement d'Afrique du Sud en Croatie, Jürg Jacomet aurait été utilisé comme intermédiaire puisqu'il séjournait déjà en Croatie (à ce sujet, voir ch. 10.5.3).

Contrairement aux déclarations faites au Ministère public zurichois, les documents correspondants du procès contre Wouter Basson en Afrique du Sud semblent plutôt indiquer que le versement en question a été effectué sans raison claire et avait pour but essentiel de s'enrichir au frais de l'Etat sud-africain. Au moment du versement, le changement de régime était clairement amorcé et le projet «Coast» se trouvait déjà en phase de dissolution. Début 1993, le président sud-africain De Klerk a formellement décidé la liquidation du projet «Coast» et Wouter Basson a été relevé de ses fonctions de directeur du projet à la fin du mois de mars 1993. Il semblerait qu'il ait utilisé le temps qui lui restait pour utiliser les biens du projet «Coast» à des fins personnelles. En tout état de cause, outre le changement de destination des 2,3 millions de dollars US versés sur le compte de Jürg Jacomet, l'acte d'accusation portait encore sur toute une série d'autres transactions financières, ce qui permet de supposer qu'il y a eu d'importants transferts de fonds délictueux.

Les documents analysés lors du procès contre Wouter Basson ont permis d'établir que Jürg Jacomet avait utilisé de son propre chef au moins une partie des 2,3 millions de dollars US qui avaient été versés sur son compte à Zagreb, sans respecter les prétendues instructions de Wouter Basson. Il avait notamment utilisé une partie de cette somme pour payer les frais de son séjour du 12 novembre 1992 au 3 janvier 1993 à l'Hôtel Esplanade à Zagreb, soit 21 949 dollars US, et avait procédé à des retraits en espèces
pour un montant supérieur à un million de dollars US. Les pièces du procès contre Wouter Basson contiennent également une lettre que Jürg Jacomet avait adressée à Niel Knobel, le chef formel du projet «Coast». Cette lettre est datée du 12 mai 1993. Elle a donc été écrite une semaine avant la première discussion avec la banque AKB de Zurich au sujet des obligations falsifiées du Banco di Napoli (voir ch. 10.3.5). À elle seule, cette proximité chronologique semble manifestement indiquer que la tentative ­ qui a échoué ­ d'obtenir un crédit en nantissement au moyen des obligations falsifiées était destinée à remplacer la somme détournée en Croatie par d'autres moyens. Dans la lettre déjà mentionnée adressée à Niel Knobel, Jürg Jacomet indiquait assumer l'entière responsabilité pour les fonds disparus et avoir comme convenu versé deux tranches de 450 000 dollars US à des ressortissants croates. Dans cette lettre, il explique également que, immédiatement après avoir effectué ces versements, les autorités croates l'avaient mis en état d'arrestation pendant deux mois et que l'argent qui se trouvait encore sur le compte avait été confisqué.

Les investigations effectuées à l'occasion du procès contre Wouter Basson ont en revanche permis d'établir que les deux versements de 450 000 dollars US chacun avaient effectivement été effectués par Jürg Jacomet, respectivement en novembre et en décembre 1992, mais qu'ils n'étaient pas destinés à des ressortissants croates. Ces 2203

deux sommes ont été versées à Charles van Remoortere, un proche de Wouter Basson (voir ch. 10.6.1). De plus, il a été établi que, en février 1993, Jürg Jacomet avait procédé à d'autres versements, sur des comptes lui appartenant ou sur des comptes de connaissances, notamment de son amie de l'époque. Les explications données dans la lettre à Niel Knobel semblent donc avoir été purement et simplement inventées (voir également ch. 10.3.5).

Le procès-verbal de la commission de direction du projet «Coast» (qui était en cours de liquidation) du 24 janvier 1994 reprend, sous forme condensée et sans mentionner aucune critique, la version des faits de Wouter Basson qui, pour l'essentiel, correspond à celle de Jürg Jacomet. Un peu plus tard, il semblerait que des démarches aient été accomplies pour vérifier les explications fournies par Wouter Basson. Une lettre datée du 3 mars 1994 que l'attaché de défense sud-africain avait adressée à Peter Regli, lui annonce que Niel Knobel désirait discuter avec lui de l'affaire Basson (the Basson incident) lors de la prochaine visite en Afrique du Sud et que, le cas échéant, M. Swanepoel participerait également à la discussion. La visite en Afrique du Sud a eu lieu du 27 mars au 6 avril 1994. Peter Regli et son épouse y ont également participé. Dans le procès-verbal de la rencontre qu'il avait lui-même rédigé, Peter Regli avait notamment indiqué à la rubrique consacrée aux documents échangés: «[reçu] questions relatives au cas Jacomet à l'attention de la Police fédérale.» [Traduction] Les pièces du procès contre Wouter Basson en Afrique du Sud comportent notamment une lettre classée secrète que Peter Regli avait adressée à Niel Knobel en date du 12 avril 1994; il n'a pas été possible d'en trouver la copie dans les dossiers de la Direction du SRS, si bien qu'il faut admettre qu'elle a été détruite. Cette lettre a la teneur suivante: «Général, Mes premières investigations sur place [en Suisse] ont montré que vous devriez vraisemblablement oublier cette affaire et arrêter votre enquête!

La réponse à vos questions entraînerait une procédure de notre Département de la justice; le secret ne saurait par conséquent être maintenu. Une telle procédure pourrait aboutir à un procès public. Cela n'est certainement pas de votre intérêt.

Je vous remercie une fois encore
pour l'intéressante discussion que nous avons eue.

J'attends que vous me fassiez part de votre décision et vous donnerai alors une réponse définitive.

Veuillez agréer [...]» [Traduction]

Dans le procès-verbal portant sur la brève visite du Chief Director Military Intelligence sud-africain (nouvellement nommé) du 23 avril 1994, Peter Regli avait en substance noté avoir demandé à ses interlocuteurs de prier Niel Knobel de clore le dossier «Jacomet/Basson», ses investigations ayant montré que la poursuite des investigations dans ce domaine n'allait pas dans le sens de leurs intérêts, ne serait-ce déjà que pour une question de discrétion.

Lors d'une séance ultérieure (29 mars 1994) de la commission de direction du projet «Coast», soit deux jours après l'arrivée de Peter Regli en visite en Afrique du Sud, Niel Knobel a rendu compte des informations qu'il avait obtenues au sujet des fonds disparus en Croatie. Le procès-verbal correspondant ­ rédigé en afrikaans ­ cite Niel Knobel qui indique avoir parlé à Peter Regli, que ce dernier avait confirmé une

2204

grande partie des explications fournies par Wouter Basson et qu'il [Peter Regli] était disposé à contribuer à chercher des informations.

Peter Regli avait déjà pris position à ce sujet lors de son audition en 1999. Il avait alors déclaré avoir pour la première fois été rendu attentif au fait que Wouter Basson, éventuellement avec la complicité de Jürg Jacomet, aurait détourné des fonds pour un montant de plusieurs millions de francs lors de la visite qu'il avait effectuée en Afrique du Sud en mars 1994. Niel Knobel, qu'il n'avait jamais rencontré auparavant, lui aurait alors demandé s'il pouvait éventuellement l'aider à enquêter sur le sujet et à récupérer les montants en question. Peter Regli avait encore souligné que, lors de cette discussion qui avait eu lieu à la demande de Niel Knobel, il avait expressément déclaré que lui-même ne pouvait rien entreprendre et qu'il fallait passer par la procédure d'entraide judiciaire ordinaire. Dans le cadre de la présente enquête, Peter Regli a complété sa précédente déclaration en expliquant que, à l'occasion de cette discussion, Niel Knobel lui aurait demandé s'il (Peter Regli) ne pouvait pas lui rendre un service en se renseignant discrètement sur ces fonds. Peter Regli a souligné qu'il avait répondu n'être compétent que pour l'étranger, qu'il ne pouvait traiter des demandes de cette nature et que Niel Knobel devait rédiger sa demande pour qu'il (Peter Regli) puisse la transmettre aux autorités suisses compétentes. Il a reçu la demande écrite correspondante le lendemain et, a son retour en Suisse, l'a remise au chef de la Police fédérale (aujourd'hui Service d'analyse et de prévention) accompagnée d'une note précisant que, pour des raisons internes, les Sud-Africains désiraient que cette demande soit traitée de manière confidentielle. Peu de temps après, le chef de la Police fédérale a répondu en substance prié Peter Regli d'informer les Sud-Africains qu'ils devaient renoncer à cette demande ou passer par la voie officielle en entamant une procédure de demande d'entraide judiciaire ordinaire. L'ayant fait, Peter Regli a considéré que l'affaire était close. Interrogé au sujet du procès-verbal de la commission de direction du projet «Coast» du 29 mars 1994, il a déclaré qu'il partait du principe que Niel Knobel avait informé ses supérieurs de cet entretien
et de la demande de renseignement sur d'éventuelles transactions financières en Suisse.

Les explications de Peter Regli se tiennent tout à fait. Dans le cadre de l'enquête que la DCG a menée en 1999, le chef de la Police fédérale avait notamment déjà explicitement confirmé avoir refusé la demande informelle d'information auprès des banques et au sujet de Wouter Basson et renvoyé Peter Regli à la voie formelle de la demande d'entraide judiciaire. Par la suite, les autorités sud-africaines ont adressé une demande formelle d'entraide judiciaire à la Suisse le 28 octobre 1996.

10.5

Contacts avec le Groupement de l'armement et le Laboratoire AC de Spiez

10.5.1

Visite de délégations sud-africaines au Laboratoire AC

Dans son rapport du 12 novembre 1999, la DCG avait consacré un chapitre à la «prétendue participation du Laboratoire AC de Spiez aux projets sud-africains de développement d'armes biologiques et chimiques». À l'époque déjà, des investigations avaient été entreprises au sujet d'une visite effectuée par Wouter Basson et Lothar Neethling le 25 janvier 1988 et par des scientifiques de la société Protechnik 2205

Laboratories Ltd le 23 janvier 1991. Les faits relatifs à ces visites tels qu'ils avaient été reconstitués pour le rapport de 1999 ont été confirmés dans une large mesure par les investigations à la base de la présente enquête.

De réputation mondiale, le laboratoire AC de Spiez compte parmi les institutions de pointe dans le domaine des mesures de défense contre les attaques nucléaires, biologiques et chimiques. Durant des années, ce laboratoire a été en contact avec la société Louis Schleiffer AG qui a, entre autres, développé et fabriqué l'appareil de détection de toxiques de combat utilisé par l'armée suisse. Le 27 novembre 1987, le Laboratoire AC de Spiez recevait un envoi spontané d'échantillons de sang et d'urine de la part de la société Louis Schleiffer AG. D'après les données de la société Louis Schleiffer AG, ces liquides biologiques provenaient prétendument de victimes sud-africaines et devaient être analysées afin de découvrir d'éventuelles traces de toxiques, connus et inconnus, ou de leurs métabolites. Le 2 décembre 1987, le Laboratoire AC de Spiez communiquait à la société Louis Schleiffer AG que, étant donné le laps de temps trop important séparant l'engagement prétendu d'armes de combat biologiques ou chimiques et le prélèvement des échantillons, il n'était plus possible de procéder à l'analyse souhaitée. Le 8 décembre 1987, la société Louis Schleiffer AG informait le Laboratoire AC qu'il pouvait détruire les échantillons.

Le 19 janvier 1988, Niklaus Schleiffer a contacté le Laboratoire AC par téléphone pour demander s'il pouvait recevoir deux généraux sud-africains invités par le commandement des troupes d'aviation à participer à une conférence sur les armes de défense air-air qui allait avoir lieu à Belp. Il a précisé que, héliportés depuis Dübendorf, les deux invités auraient le temps de s'arrêter à Spiez au cours de la matinée et qu'ils se seraient volontiers entretenus avec des représentants du Laboratoire AC sur les récents engagements d'armes chimiques qui auraient touché une compagnie entière des forces armées sud-africaines; ils avaient d'ailleurs promis des photos et des enregistrements vidéo sur les blessés. Une note du Laboratoire AC a permis de constater que les accompagnateurs étaient «M. Jacomet, particulier, ami du général Neethling» et Niklaus Schleiffer.
Le Laboratoire AC a estimé que la visite annoncée «n'était pas la bienvenue pour diverses raisons (autorisation, politique)» [traduction] et, le jour suivant, a pris contact avec Peter Regli, à l'époque chef de la SRADCA du commandement des troupes d'aviation et de défense contre avions. Dans une note datée du 20 janvier 1988, un collaborateur du Laboratoire de Spiez a noté que Peter Regli avait prétendu ne pas connaître les noms des accompagnateurs. Il lui a également dit que le programme du matin ne le concernait pas, qu'il devait prendre les invités en charge à partir de midi, à Belp, et qu'il ne comprenait pas les réserves émises par le Laboratoire AC.

Le Laboratoire a donc refusé de recevoir la délégation sud-africaine dans ses locaux à Spiez. Manifestement, divers contacts téléphoniques ont eu lieu avec le Protocole militaire sans que la DCG en ait été informée lors de sa première enquête en 1999.

Ce n'est qu'à l'occasion des investigations à la base du présent rapport qu'elle a pu prendre connaissance de diverses notes rédigées à cet égard par le Protocole militaire. Ainsi, le 22 janvier 1988, le Laboratoire AC informait le Protocole militaire de la visite annoncée de deux officiers sud-africains. Le Protocole militaire a par la suite tenté d'en savoir plus en s'adressant au commandement des troupes d'aviation et de défense contre avions. Dans sa réponse, Peter Regli a précisé qu'il savait que des visiteurs sud-africains allaient arriver, mais qu'il ne savait pas d'où l'invitation 2206

émanait. Se renseignant également auprès du SCEM RS, le Protocole militaire a constaté que ni ce dernier, ni le chef de la Section acquisition étaient au courant de cette visite.

Le 25 janvier 1988 l'entretien avec des représentants du Laboratoire AC souhaité par Niklaus Schleiffer et encouragé par Peter Regli avait lieu à Berne, dans les bureaux du Groupement de l'armement. Un procès-verbal manuscrit nomme tous les participants à cette rencontre. Outre les représentants du Laboratoire AC, y figurent également les noms de Jürg Jacomet avec l'indication «SRADCA», du général Lothar Neethling «chef de la police sud-africaine, responsable de la lutte antiterroriste à l'intérieur» et du général de brigade Wouter Basson «membre de la commission sud-africaine de la défense, responsable de la lutte antiterroriste à l'étranger».

Cette discussion a plus particulièrement porté sur des informations concernant l'utilisation présumée de nouvelles substances de combat en Namibie. Le procèsverbal manuscrit contient cependant la remarque suivante: «Les circonstances entourant cette visite sont confuses!» [Traduction] Un ancien collaborateur du Laboratoire AC de Spiez qui a participé de manière importante au développement de l'appareil de détection de toxiques de combat et du masque de protection 90 a confirmé pour l'essentiel le contenu de ce compte-rendu et a ajouté que, selon ses souvenirs, Wouter Basson avait à cette occasion été présenté comme médecin en chef des forces armées sud-africaines.

Peter Regli n'a pas participé à cette discussion mais, comme il l'avait déjà déclaré à la DCG en 1999, il ne parvenait plus à se souvenir avoir appelé le Laboratoire AC.

En 1999, il avait déclaré qu'il était possible que Jürg Jacomet ait pu lui annoncer la visite d'une délégation sud-africaine et qu'il lui ait demandé de l'accompagner à Spiez. Il n'est également pas exclu qu'il (Peter Regli) ait ensuite appelé le Laboratoire AC de Spiez et qu'il ait ouvert les portes pour Jürg Jacomet. Il a ajouté que, à l'époque, il y avait la guerre en Angola et qu'il était intéressant de pouvoir disposer d'informations sur les armes chimiques qui étaient utilisées dans le cadre de ce conflit. En revanche, lors de son audition en 1999, Peter Regli ne s'est pas exprimé sur le programme de l'après-midi organisé par le commandement des
troupes d'aviation et de défense contre avions. Ce n'est qu'à l'occasion de la présente enquête que la DCG en a été informée.

Sur la base des notes trouvées après l'enquête de 1999, il est établi que Wouter Basson et Lothar Neethling se sont rendus en Suisse le 25 janvier 1988, répondant à une invitation des troupes d'aviation qui ont également organisé leur transport de Dübendorf à Belp en hélicoptère de l'armée suisse. Lors du procès contre Wouter Basson en Afrique du Sud, Lothar Neethling a déclaré que, en compagnie de Wouter Basson, il avait pour la première fois rencontré Peter Regli sur une base d'hélicoptères en Suisse ainsi qu'une seconde et dernière fois en Afrique du Sud, en 1989/90. Répondant à une demande de précision, Lothar Neethling a maintenu sa déclaration et a confirmé qu'il n'avait pas rencontré Peter Regli à l'occasion d'une visite de courtoisie à Berne, mais sur une base d'hélicoptères en Suisse. Pour faire la lumière sur ce fait, la DCG a tenté de récolter d'autres renseignements sur les circonstances et les motifs de ce transport en hélicoptère du 25 janvier 1988. Faisant suite à une demande écrite de la DCG, les Forces aériennes ont répondu qu'elles n'avaient «aucune information concernant la rencontre évoquée du 25.1.1988.» [Traduction] Elles ont complété leur réponse en expliquant que les rapports de vol étaient conservés durant cinq ans avant d'être détruits. Cela étant, même si les rap2207

ports avaient été conservés, ils n'auraient guère pu livrer d'informations intéressantes étant donné que les services de renseignement n'ont pas l'habitude de communiquer l'identité des passagers dont ils confient le transport aux Forces aériennes.

Il n'a pas non plus été possible de faire la lumière sur les divergences entre les déclarations de Peter Regli et de Lothar Neethling en ce qui concerne leur première rencontre. L'intérêt que Lothar Neethling aurait eu à vouloir en fournir une fausse version de sa première rencontre avec Peter Regli échappe à la DCG. Il n'est donc pas exclu que Peter Regli ait pu confondre la visite de courtoisie au Palais fédéral qu'il situait au début des années 90 (voir ch. 10.4.2) avec la rencontre à Belp le 25 janvier 1988. Il ne faut cependant pas oublier que les faits en question remontent à une quinzaine d'années, si bien qu'il n'est pas possible d'exclure que Peter Regli et Lothar Neethling aient pu se tromper. Dans le domaine du renseignement, les visites de courtoisie ou d'autres visites de délégations étrangères ne sont pas rares au point de devoir laisser une impression durable. En tout état de cause, il ne saurait être question de partir du principe que la version donnée par Peter Regli n'est pas la bonne du fait que les déclarations des protagonistes comportent des divergences et qu'il n'y a pas d'autre moyen de contrôle.

Les investigations de la DCG n'ont pas permis d'établir que, la rencontre du 25 janvier 1988 à Berne mise à part, Lothar Neethling ou Wouter Basson ont rencontré des collaborateurs du Laboratoire AC de Spiez. En revanche, le 23 janvier 1991, le Laboratoire AC a reçu un scientifique sud-africain de la société Protechnik Laboratories Ltd, qui travaillait sur les mesures de défense contre les armes biologiques et chimiques. La demande relative à cette visite a transité par le Protocole militaire et a été autorisée par les instances supérieures. Le scientifique était accompagné de l'attaché de défense sud-africain et la discussion a porté sur les modèles informatiques de propagation des toxiques de combat.

Après cette visite, le 20 février 1991, l'attaché de défense sud-africain a remercié le Laboratoire AC par lettre et a invité des représentants du laboratoire à effectuer une visite de réciprocité en Afrique du Sud. Estimant qu'une telle
visite était inopportune pour des raisons politiques, le Laboratoire AC a décliné l'invitation le 15 mai 1991 en remerciant l'attaché de défense. Comme le chef du Laboratoire AC l'avait déjà déclaré à la DCG en 1999, les événements en Afrique du Sud et en Namibie ne présentaient que peu d'intérêt étant donné que les informations étaient diffuses et que les sources ne paraissaient pas sérieuses.

En mars 1994, le Laboratoire AC de Spiez a en outre examiné des filtres de masques de protection pour le compte de la société Protechnik Laboratories Ltd. Les résultats correspondants ont été transmis au donneur d'ordre avec la facture des frais d'examen. De telles demandes d'analyses ou d'examens n'avaient rien d'inhabituel et faisaient ­ et font encore ­ partie des prestations habituelles du Laboratoire AC de Spiez dans le domaine des mesures de défense contre les attaques biologiques ou chimiques.

Le Laboratoire AC de Spiez a en outre indiqué que, de 1988 à 1990, il avait également procédé à trois reprises à l'analyse de plusieurs échantillons d'éclats de bombes en provenance d'Angola. Ces analyses ont été effectuées sur demande du GRS

2208

qui voulait transmettre les résultats à un service partenaire (autre que le renseignement sud-africain).51 Du 22 mars au 1er avril 1994, un membre du Laboratoire AC de Spiez a participé à une mission des Nations Unies en Afrique du Sud et au Mozambique. Il a rédigé un rapport sur la prétendue utilisation par la RENAMO d'armes chimiques contre les troupes gouvernementales (Untersuchung des angeblichen Einsatzes von ChemieWaffen durch die RENAMO in Mozambique gegen Regierungstruppen im Rahmen der UN-Mission, n'existe qu'en allemand; à ce sujet, voir également ch. 7.2).

Après le changement de régime en Afrique du Sud, les contacts avec la société Protechnik Laboratories Ltd sont devenus plus fréquents. En Afrique du Sud, cette société assume une fonction semblable à celle du Laboratoire AC de Spiez. Les discussions ont plus particulièrement porté sur un soutien des autorités sudafricaines en matière d'information et de logistique en rapport avec l'adhésion de l'Afrique du Sud à la Convention sur les armes chimiques de l'ONU.

10.5.2

Controverse au sujet du synthétiseur de peptides

Lors des investigations de la DCG en 1999, Wouter Basson avait déclaré avoir acheté un synthétiseur de peptides ­ un appareil permettant de synthétiser des acides aminés ­ auprès du Laboratoire AC de Spiez en automne 1990 pour 2,4 millions de dollars US (environ 3,6 millions de francs). Il le lui aurait ultérieurement rendu en échange de produits chimiques. Ces transactions avaient déjà été examinées par le ministère public sud-africain dans le cadre de la procédure d'entraide judiciaire du 28 octobre 1996. À ce sujet, le procureur sud-africain Anton Ackermann a déclaré à la DCG que tout porte à croire que, avec cette affirmation, Wouter Basson avait fait une tentative de plus pour maquiller les différents délits pour lesquels il était accusé.

Il n'y a aucun indice permettant de croire que Wouter Basson aurait pu acheter un synthétiseur de peptides en Suisse. Les investigations de la DCG ont montré que le Laboratoire AC de Spiez n'a jamais fait de demande pour acheter un synthétiseur de peptides; il n'en a jamais acquis, ni pris en leasing ou reçu. Il n'a livré ni instrument de ce type, ni produits chimiques de quelque nature que ce soit à l'Afrique du Sud.

De plus, le montant mentionné par Wouter Basson est totalement fantaisiste. Il correspond certes à la somme qui avait été versée en automne 1992 sur le compte de Jürg Jacomet à Zagreb; à cette époque toutefois, les prix des synthétiseurs de peptides allaient de 36 000 francs pour un appareil semi-automatique à environ 150 000 francs pour un appareil entièrement automatique.

51

Selon le Groupement de l'armement, l'intérêt résidait principalement dans la présence de phosphate de tritolyle. La présence de cette substance aurait appuyé la théorie selon laquelle la paralysie ou de la parésie des muscles péroniers caractéristique de certains Angolais victimes de l'engagement présumé d'armes chimiques serait à attribuer au phosphate de tritolyle (cette substance est tenue pour responsable de l'intoxication des soldats suisses ayant ingéré de l'huile minérale durant la Second Guerre mondiale ainsi que de celles qui ont eu lieu avec l'huile d'olives espagnole trafiquée). L'un des éclats de bombe comportait effectivement des traces de phosphate de tritolyle. Les quantités d'acide cyanhydrique et de phosphine relevés étaient négligeables. Aucune présence d'autres toxiques de combat tels que neurotoxiques ou vésicants n'a pu être constatée.

2209

10.5.3

Controverse concernant la livraison de Mandrax ou d'autres substances chimiques

10.5.3.1

Explications relatives aux substances en question

D'aucuns ont imaginé que les fonds qui ont probablement été détournés par Wouter Basson et Jürg Jacomet en Croatie étaient peut-être destinés à l'achat de Mandrax ou d'autres substances chimiques. Etant donné que ces substances ­ à l'instar d'autres ­ ont régulièrement été reliées aux activités effectives et prétendues de Jürg Jacomet, la DCG a décidé de diligenter certaines investigations dans ce domaine. À ce sujet, le rapport demandé à l'Office fédéral de la police précise les points suivants: «Concernant le Mandrax Somnifère à base de méthaqualone vendu par Albert-Roussel jusqu'en 1981, retiré du commerce en raison du risque d'accoutumance.

Concernant le mercure rouge Symbole chimique Hg. Il y a au moins trois composés chimiques qui sont connus sous ce nom, soit: HgO = monoxyde de mercure, dont le poids spécifique est d'environ 11 g/cm3, poudre jaune, jaune-orange ou rouge. Sert dans la production d'éléments galvaniques, à la fabrication de composés de mercure organique et en tant que catalyseur pour les synthèses organo-chimiques. A également été utilisé dans les peintures antivégétatives et la médecine, mais à perdu de son importance dans ces domaines en raison de sa toxicité.

Hg2O7Sb2 = heptoxyde d'antimoine mercurique. Pas d'usage connu pour l'instant. Les spécialistes supposent qu'il pourrait être utilisé comme catalyseur dans la pétrochimie.

HgI2 = iodure de mercure. Poudre rouge connu en tant que pigment (vermillon). Est utilisé actuellement en chimie analytique et pour effectuer la mesure de densité des minéraux.

Dans l'état des connaissances actuelles des spécialistes de l'Office fédéral de l'énergie (OFEN), de l'Institut Paul Scherrer (IPS), du DDPS et selon les sources étrangères, ces trois composés ne jouent aucun rôle dans les domaines du nucléaire ou de la technologie des propulseurs.

Le mercure et ses composés tombent sous le coup de la loi sur les toxiques. [...]

Au printemps 1992, l'ancienne Police fédérale avait déjà fourni des informations concernant des tentatives de commercialiser du mercure rouge et avait souligné que, jusque-là, toutes ces affaires se sont révélées être des supercheries ou des escroqueries.

À ce jour, il n'y a encore eu aucune saisie de mercure rouge en Suisse.

Nous avons soumis les questions correspondantes au Laboratoire AC de Spiez. Cet organisme
spécialisé parvient à la conclusion, en particulier en ce qui concerne les certificats d'origine présentés, qu'il s'agit probablement de faux. Ces spécialistes relèvent cependant que le mercure rouge pourrait servir de substance de couverture. En d'autres termes, il est possible d'imaginer de mélanger de l'oxyde de plutonium ou de l'oxyde d'uranium (enrichi ou non) avec du monoxyde de mercure pour faire passer ce mélange pour un mélange analogue d'oxyde d'antimoine et de monoxyde de mercure (couleur!). Il est envisageable qu'un emballage adapté puisse protéger des rayonnements alpha, bêta et, mais seulement en partie, gamma. En outre, la composante radioactive pourrait par la suite être récupérée sous forme très pure par simple échauffement. [...]

Concernant le yellow cake Le yellow cake (trioxyde d'uranium) est le premier produit intermédiaire après le premier raffinage du minerai d'uranium. Il s'agit d'une poudre jaune qui, une fois pressée, a l'aspect d'un .

Uranium (symbole chimique: U)

2210

Elément chimique radioactif. Numéro atomique 92. Métal lourd, gris acier. À l'état naturel, l'uranium est un mélange de trois isotopes dont l'isotope 238 (99,27 %) et l'isotope 235 (0,72 %).

Uranium 235 L'uranium de masse atomique 235 est un isotope qui, lorsqu'il est suffisamment enrichi, peut être utilisé pour des applications militaires. Le ch. 235 est la somme du nombre de protons (92 pour l'uranium, ce qui correspond à son numéro atomique ou nombre de charge) et de nombre de neutrons (143 pour l'uranium 235) et représente la masse atomique. Pour construire une bombe atomique, il faut, selon son degré d'enrichissement, de 15 à 25 kg d'uranium 253.

Uranium 236 Cet isotope est obtenu en soumettant de l'uranium à un flux de neutrons important comme cela est le cas dans un réacteur nucléaire. Cet isotope se retrouve également dans l'uranium appauvri.

Uranium 238 Cet isotope est le constituant principal de l'uranium naturel (99,3 %).

Uranium appauvri Résidu du processus d'enrichissement au cours duquel de l'uranium 235 prélevé sur une quantité d'uranium naturel est ajouté à une autre quantité d'uranium naturel. À l'état naturel, l'uranium contient 0,7 % d'uranium 235; l'uranium appauvri n'en contient plus qu'une quantité pouvant varier de 0,4 % (anciennes installations d'enrichissement) à 0,2 %. L'uranium appauvri est utilisé comme matériau de lestage pour les bateaux, comme contrepoids dans les gouvernes des avions gros porteur, pour fabriquer de la munition antichar (utilisée par les Etats-Unis durant la guerre du Golfe) ou des blindages de chars.» [Traduction]

Sur demande de la DCG, le Ministère public de la Confédération a en outre indiqué qu'en Suisse, il n'y avait eu à ce jour qu'une seule procédure d'enquête concernant le yellow cake, soit le cas déjà mentionné de la découverte d'uranium à Kemptthal (voir ch. 9.7). En revanche, ni le mercure rouge, ni le Mandrax n'ont jamais fait l'objet d'une procédure d'enquête de la part du Ministère public de la Confédération.

En ce qui concerne l'uranium naturel, l'uranium appauvri ou l'uranium 235, le Ministère public de la Confédération a certes conduit plusieurs procédures pour infraction présumée à la loi sur l'énergie atomique; aucune d'entre elle n'avait toutefois de lien avec l'Afrique du Sud.

10.5.3.2

Swiss Namibia Ventures Ltd

La DCG a également pu établir que Jürg Jacomet et deux autres personnes avaient fondé en Namibie une société nommée «Swiss Namibia Ventures Ltd» en 1990. En 1988, l'un des deux associés de Jürg Jacomet avait fait l'objet d'une procédure en Namibie pour trafic de Mandrax. À l'époque, dans la presse écrite sud-africaine, il avait été question que le second associé avait projeté d'édifier un dépôt final pour déchets nucléaires dans le désert. Plus tard, des négociations en vue de la construction d'une fabrique de produits pharmaceutiques ont été entreprises. L'objectif était manifestement d'importer des déchets nucléaires sous le couvert de produits pharmaceutiques. Toutefois, il est apparu que les fonds du projet avaient été obtenus de manière frauduleuse et le scandale a éclaté. L'un des associés de Jürg Jacomet a été expulsé par les autorités namibiennes et l'autre est décédé d'une surdose de comprimés et d'alcool.

2211

Etant donné qu'il s'agit d'activités de particuliers et qu'il n'y a aucun indice permettant de penser que des services de la Confédération aient pu être impliqués, la DCG a renoncé à poursuivre ses investigations. Le Ministère public de la Confédération n'est pas non plus parvenu à apporter plus de clarté dans ce domaine.

10.5.3.3

Offre de quinezoline

Comme cela a déjà été mentionné précédemment, un montant de 2,3 millions de dollars US (environ 3,45 mio. de fr.) a été versé sur un compte de Jürg Jacomet auprès de la Zagrebaca Bank de Zagreb (voir ch. 10.4.4). Cinq jours avant ce versement, soit le 5 novembre 1992, Jürg Jacomet avait adressé à Wouter Basson une offre portant sur 500 kg de quinezoline au prix de 5000 dollars US le kilo, soit un montant total de 2,5 millions de dollars. L'offre était rédigée sur du papier à en-tête d'une société fiduciaire à l'époque installée à Rümlang.

Les investigations de la DCG ont révélé que, quelque temps auparavant, Jürg Jacomet s'était renseigné auprès de la fiduciaire en question sur les conditions auxquelles celle-ci aurait été disposée à s'occuper de la comptabilité de la société Intermagnum AG. En réponse, celles-ci lui ont été communiquées par écrit, mais Jürg Jacomet n'y a jamais donné suite. Début 1993, la société fiduciaire a eu connaissance du fait que Jürg Jacomet avait utilisé son papier à en-tête de manière abusive. Sommé de s'expliquer par la fiduciaire, Jürg Jacomet a, par lettre du 1er février 1993, expliqué que «pour des raisons de sécurité et en l'absence de tout autre choix» [traduction], il avait abusivement utilisé le papier à en-tête de la fiduciaire pour le courrier du 5 novembre 1992 adressé à Wouter Basson.

La DCG dispose également d'une télécopie que Jürg Jacomet avait adressée le 11 décembre 1992 dans laquelle il prie l'une de ses connaissances de bien vouloir demander aux autorités croates d'octroyer une autorisation d'atterrissage pour un avion-cargo en provenance de Sofia devant faire escale quelque part en Croatie du 19 au 23 décembre 1992. Il n'a plus été possible de savoir si ce vol a eu lieu ni à quoi il devait servir.

Il semble toutefois que les activités de Jürg Jacomet fin 1992 aient été directement liées au versement de fonds effectué par Wouter Basson. Au cours du procès instruit contre Wouter Basson en Afrique du Sud, le chemin emprunté par les 2,3 millions de dollars US a certes pu être remonté (voir ch. 10.2); en revanche, les motifs de cette transaction n'ont pas pu être établis. Il n'a pas été possible de trouver des indices permettant de conclure à un commerce réel de substances chimiques. Il semblerait plutôt que Wouter Basson et Jürg Jacomet aient tenté de
s'enrichir aux dépens de l'Etat sud-africain. À cet égard, le procureur sud-africain Anton Ackermann a déclaré à la DCG que les affirmations de Wouter Basson au sujet de la prétendue «affaire croate» n'étaient que des manoeuvres de défense ayant pour unique but d'affaiblir les accusations dirigées contre lui. Anton Ackermann a d'ailleurs relevé que, vers la fin de l'année, le budget 1992 du projet «Coast» présentait encore un solde inutilisé d'environ 2,5 millions de dollars US. Selon lui, Wouter Basson a chargé Jürg Jacomet de lui faire une offre correspondante «pour pouvoir vider le compte.» [Traduction] En tout état de cause, il n'y a aucun indice qui permettrait de penser que les 500 kg de quinezoline ont été livrés, voire qu'ils ont existé. Cette hypothèse est encore confortée par les documents trouvés qui 2212

montrent que Jürg Jacomet a de toute évidence essayé de donner une plus grande crédibilité à une affaire fictive en se servant abusivement du papier à en-tête d'une tierce entreprise.

10.5.3.4

Saisie de comprimés de méthaqualone

À partir des allusions de Jürg Jacomet, des suppositions de livraison illégale de mandrax de la Suisse vers le Lesotho ont été relayées par les médias. Le Mandrax est un somnifère contenant de la méthaqualone qui était commercialisé sous ce nom jusqu'au début des années 80 (voir ch. 10.5.3.1). Les investigations de la DCG lui ont permis de constater qu'en 1990, un ressortissant suisse s'était renseigné auprès de fournisseurs potentiels sur les conditions de livraison d'environ 5 millions de comprimés par an. Fin 1990/début 1991, une livraison de 2,5 millions de comprimés a été effectuée au prix convenu de 625 000 francs. Avant l'importation ou la fabrication, une discussion que l'Office fédéral de la santé publique a eue avec l'entreprise concernée lui a permis de constater que les comprimés de méthaqualone devaient être exportés vers l'Afrique du Sud. Etant donné que ce pays interdisait l'importation de cette substance, l'exportation prévue n'a pas eu lieu.

Le 22 décembre 1990, le pharmacien cantonal du canton de Thurgovie ordonnait la saisie provisoire de la méthaqualone livrée à l'entreprise en question ou stockée par elle. Les efforts entrepris par l'entreprise concernée d'entente avec l'Office fédéral de la santé publique pour trouver éventuellement d'autres preneurs pour les comprimés de méthaqualone n'ont pas abouti car les autorisations d'importation présentées pour le Lesotho, le Sri Lanka et les Bahamas n'ont pas été confirmées ou étaient falsifiées. Par ordonnance du 9 juillet 1992, le Département des finances et des affaires sociales du canton de Thurgovie saisissait définitivement les 2,5 millions de comprimés contenant 400 mg de méthaqualone chacun. Le 7 avril 1993, le tribunal administratif du canton de Thurgovie rejetait le recours formé contre cette décision.

La DCG a obtenu confirmation de la destruction des comprimés de méthaqualone auprès du syndicat de traitement des déchets de Moyenne Thurgovie (Kehrichtverband Mittelthurgau). Le procès-verbal de destruction mentionne que, le 8 mars 1994, la pharmacie cantonale de Münsterlingen (canton de Thurgovie) a livré 2,5 millions de comprimés de méthaqualone répartis sur dix palettes et que ceux-ci ont été détruits le jour même. Cette destruction met un point final à toutes les suppositions des médias et la DCG n'a donc plus poursuivi ses investigations dans cette voie.

10.6

Contacts avec Huber & Suhner AG

10.6.1

Présentation des faits

Au milieu des années 80, la société Huber & Suhner AG avait développé le masque de protection 90 en étroite collaboration avec le Groupement de l'armement. Huber & Suhner faisait et fait encore partie du très petit nombre de fournisseurs de pointe dans le domaine du matériel de protection ABC. Le 9 novembre 1988, à Rümlang, la société Huber & Suhner AG, la société Intermagnum AG, représentée par Jürg Jacomet, et la société Y.C.V.M. Trading Pretoria, représentée par Charles van Re2213

moortere, concluaient un protocole d'accord (memorandum of understandig). La société Huber & Suhner AG s'y engageait notamment à assister Y.C.V.M Trading dans son projet de commercialisation du masque de protection 90 en Afrique du Sud, en Namibie, au Swaziland et en Angola. Dans ce but, la société Huber & Suhner AG se déclarait d'accord de transférer son savoir-faire en matière de fabrication du masque de protection 90. La DCG a consulté cet accord de 33 pages rédigé en anglais et comportant de nombreuses dispositions relatives au savoir-faire, à l'outillage et aux machines nécessaires pour la fabrication, aux contrôles de qualité, aux garanties ainsi qu'aux conditions de livraison et de paiement.

La convention prévoyait en particulier que les livraisons seraient contrôlées et certifiées par la société sud-africaine Protechnik Laboratories Ltd (à ce sujet, voir la visite du 23 janvier 1991 au Laboratoire AC de Spiez; ch. 10.5). Elle contenait également une clause arbitrale réglant d'éventuelles divergences d'opinion entre Huber & Suhner AG et Protechnik Laboratories Ltd au sujet des standards de qualité relatifs aux produits livrés et aux moyens de production: «[...] les parties conviennent que l'évaluation des échantillons et/ou des moyens de production en cause sera confiée et définitivement tranchée par un représentant du Groupement de l'armement suisse, expert du produit [masque de protection 90] internationalement reconnu. Cet expert sera désigné par le Groupement de l'armement sur demande de la société Intermagnum. [...]

Si, pour quelque raison que ce soit, le Groupement de l'armement ne devait pas parvenir à désigner un arbitre selon le ch. 12.1 ci-dessus dans les cinq jours ouvrables suivant la requête présentée par la société Intermagnum ou si, pour quelque autre raison, il n'était pas possible à un représentant du Groupement de l'armement d'assumer le rôle d'arbitre, les parties conviennent que les échantillons et/ou les moyens de production en cause seront confiés au South African Bureau of Standards (SABS) pour y être testés conformément aux directives en matière de qualité de l'armée suisse telles qu'annexées au présent protocole d'accord (annexe A). [...]» [Traduction]

Dans un addenda signé respectivement le 2 et le 12 juillet 1990, les parties ont pris acte que la société Y.C.V.M. Trading avait changé son nom en CVR Trading et que, en accord avec les autres parties, cette dernière avait transféré les droits et les obligations découlant du protocole d'accord du 9 novembre 1988 à la société Technotek Ltd, elle-même représentée par Charles van Remoortere. Un autre addenda a encore été signé le 22 novembre 1990 à Zurich; il confirmait la durée de validité du protocole d'accord limitée à quatre ans et fixait les dispositions relatives aux montants et aux délais des versements relatifs à la licence de fabrication.

10.6.2

Pas d'assistance de la part du Groupement de l'armement

Selon les investigations de la DCG, il est apparu que le collaborateur du Groupement de l'armement qui avait participé de manière importante au développement du masque de protection 90 avait quitté le service de la Confédération et conclu un accord portant sur la distribution contre commission du masque de protection 90.

Cet ancien collaborateur a déclaré à la DCG que Jürg Jacomet était entré en contact avec Huber & Suhner AG ­ probablement par l'entremise de la société Niklaus Schleiffer AG (voir ch. 10.5.1) ­ et lui avait «soufflé» (weggeschnappt) l'affaire.

2214

Interrogé par la Commission Vérité et Réconciliation, Charles van Remoortere avait déclaré avoir été chargé par Wouter Basson d'établir le contact avec la société Huber & Suhner AG, la Suisse ayant promis aide et assistance. Cette déclaration est tout à fait compréhensible pour deux raisons. La première est que Wouter Basson partait manifestement de l'idée que Jürg Jacomet, par l'intermédiaire de qui le contact avec Huber & Suhner AG avait été établi, occupait une position de cadre au sein des services de renseignement suisses (voir ch. 10.4.1). La seconde est que le Laboratoire AC de Spiez occupait une position de tête dans le domaine de la protection ABC et qu'il offrait également des services axés sur la protection des populations civiles et des militaires à des pays tiers.

La clause d'arbitrage n'avait de toute évidence pas été discutée avec le Groupement de l'armement et avait été intégrée au protocole d'accord sans l'assentiment de celui-ci. Dans son rapport écrit adressé à la DCG, l'Office fédéral du matériel d'armée et des constructions a expliqué que les collaborateurs de la Section du matériel de protection ABC et du matériel spécial étaient certes au courant que l'Afrique du Sud prévoyait d'acquérir des masques de protection 90. En revanche, ils ignoraient tout du protocole d'accord et ils n'avaient pas non plus été contactés au sujet de la clause d'arbitrage. La société Huber & Suhner AG a également confirmé que la clause d'arbitrage n'avait fait l'objet d'aucune discussion avec le Groupement de l'armement; elle avait été formulée non pas en pensant à une personne en particulier, mais à un collaborateur du Laboratoire AC qui n'avait pas encore été déterminé. Pour le reste, les parties n'ont jamais invoqué cette clause d'arbitrage au cours de la période d'application du protocole d'accord.

D'une manière générale, il convient de relever que la livraison de masques de protection et du savoir-faire correspondant à l'Afrique du Sud n'a pas enfreint les dispositions légales régissant l'exportation. Un rapport du Département fédéral de l'économie (DFE) du 15 avril 2002 rédigé à la demande de la DCG précise que, s'agissant de matériel dit à double usage, les masques de protection ne tombaient pas sous le coup de la loi sur le matériel de guerre. Jusqu'en 1992, l'exportation de masques de
protection n'était soumise à aucune autorisation. L'Office fédéral des affaires économiques extérieures ne dispose plus d'aucun document pour la période avant 1991. En revanche, une autorisation datée du 16 septembre 1992 portant sur l'exportation de 10 000 masques de protection a pu être produite. Elle se réfère au protocole d'accord mentionné.

11

Acquisition de deux missiles sol-air SA-18

11.1

Présentation des faits

Au cours de son enquête de 1999, la DCG avait déjà abordé la question du missile à guidage infrarouge, provenant vraisemblablement d'un stock d'armes soviétiques en Angola, qui aurait été possession du Gr rens. Dans sa réponse écrite du 22 septembre 1999, Peter Regli a indiqué que, au cours des années 80, les services de renseignement suisses avaient reçu à des fins d'analyse quelques pièces de munition de production soviétique de son partenaire sud-africain. À l'époque, il n'avait non seulement rien révélé à la DCG au sujet de l'acquisition de deux missiles sol-air SA-18, mais il avait encore expressément nié que le Gr rens disposait d'informations sur un

2215

missile à guidage infrarouge provenant vraisemblablement de stocks d'armes soviétiques.

11.1.1

Déclarations des personnes concernées

Dans le cadre des investigations à la base du présent rapport, il a été possible d'établir que, au début des années 90 le GRS avait acquis, auprès d'un service de renseignement européen, deux missiles sol-air SA-18 pour 204 000 dollars US (environ 300 000 francs). Les acteurs principaux de cette acquisition étaient le chef de la SRADCA, Francis Antonietti, et le SCEM RS, Peter Regli. Leurs déclarations semblent toutefois très contradictoires.

Selon les explications que Francis Antonietti a données à la DCG, un service de renseignement partenaire lui aurait soumis une offre correspondante en 1992. Il en avait informé le commandant des Forces aériennes qui l'avait renvoyé au SCEM RS.

Il a précisé que Peter Regli avait alors demandé une offre écrite. En ce qui concerne le financement de l'acquisition de ces missiles, le chef du Groupement de l'armement lui avait affirmé qu'il disposait d'un crédit pour la recherche et le développement permettant d'envisager l'acquisition de ces armes. Francis Antonietti avait ensuite informé le service partenaire qu'il était possible d'envisager la transaction. Il n'avait plus rien entendu de toute cette affaire jusqu'à ce qu'un jour, un collaborateur du GRS se renseigne auprès de lui pour lui demander où il fallait livrer les armes.

Pour sa part, Peter Regli a déclaré à la DCG qu'il travaillait étroitement avec Francis Antonietti, son successeur à la tête de la SRADCA. Un jour, ce dernier l'avait informé sur la possibilité unique de se procurer deux SA-18 récents auprès d'un service partenaire. Peter Regli avait été favorable à cette idée mais ne disposait pas des moyens nécessaires. Il n'a appris que plus tard, que Francis Antonietti avait informé le service partenaire que la transaction pourrait avoir lieu. Peter Regli a en outre indiqué qu'il n'avait pas participé à la conclusion de l'affaire.

Le chef de l'époque de la Division SRS n'avait manifestement pas été consulté au sujet de l'acquisition des missiles SA-18 alors même que des collaborateurs de son service se tenaient constamment informés des évolutions technologiques les plus récentes. «Si on nous avait demandé s'il fallait ou non acheter ces missiles, nous aurions procédé à une évaluation claire de l'état de nos connaissances et de celles d'autres services afin de répondre en toute connaissance de
cause.» [Traduction] Un ancien collaborateur de la Section acquisition a expliqué que, en 1992 ou 1993, il avait été question de l'acquisition de deux missiles sol-air de fabrication soviétique.

Quant à leur provenance, il savait seulement que le fournisseur était un service de renseignement européen. Il avait été chargé d'organiser «une opération ­ relativement simple ­ permettant de transférer les missiles de Kloten à Thun (ou Spiez) sans risque et sans devoir passer par la douane normale.» [Traduction] L'opération avait cependant été annulée parce que le sommet de la hiérarchie (le chef de l'Etat-major général ou le chef du DMF) avait estimé que l'opération ne valait pas la peine. «À mon grand étonnement, j'ai constaté l'année dernière [2001] que l'affaire avait de toute évidence été réalisée d'une autre manière.» [Traduction]

2216

Pour sa part, le chef de l'armement de l'époque a expliqué à la DCG que le Groupement de l'armement avait été consulté, d'abord par le chef de la SRADCA, puis par le SCEM RS, pour savoir s'il était intéressé à examiner deux missiles sol-air. Il avait cependant souligné que le Groupement de l'armement ne disposait pas des moyens nécessaires au financement de cette acquisition. Le Groupement de l'armement était donc parti du principe que, le cas échéant, l'achat serait à débiter au crédit d'engagement de l'Etat-major général.

L'ancien collaborateur du GRS compétent en matière d'évaluation des systèmes d'armement étrangers a expliqué à la DCG que le service de renseignement d'un pays européen avait proposé de profiter d'une commande groupée. Une ambassade avait transmis la demande au chef de la SRADCA. Deux ou trois jours plus tard, le GRS avait transmis la réponse suivante: «Acheter si possible.» [Traduction]

11.1.2

Reconstitution à partir des documents

Au vu des divergences entre les déclarations des personnes concernées, la DCG a consulté le dossier du DDPS concernant l'achat des missiles sol-air. Les documents ont permis d'établir que, le 14 mai 1992, le chef de la SRADCA avait fait parvenir au chef de l'Etat-major général une demande formelle d'acquisition de deux missiles SA-18, acquisition à débiter au crédit réservé aux services de renseignement. Cette demande est passée par la voie de service, donc par l'entremise du SCEM RS qui l'a transmise le jour même au chef de l'Etat-major général en le priant de donner un avis favorable: «L'achat et l'examen de ce matériel récent en provenance de l'Est revêtent la plus haute importance.» [Traduction] Le 15 mai 1992 déjà, le chef de l'Etat-major général répondait à Peter Regli que, sur le principe, il n'était pas contre un achat, mais que celui-ci, comme l'examen des armes, devait être effectué par le Groupement de l'armement: «Nous [le GRS] n'achetons pas de matériel de guerre!» [Traduction] Par fax non daté (datant probablement de mai 1992), le chef de la SRADCA remerciait le service de renseignement partenaire européen pour son offre ­ au départ, l'offre portait sur six missiles SA-18 pour 549 444 dollars US au total ­ et indiquait ne disposer malheureusement que d'un crédit de 204 000 dollars US. Dans ce fax, il se renseignait encore sur la possibilité de limiter l'acquisition à deux missiles. Le dossier contient également une réponse du service de renseignement partenaire reçue le 21 mai 1992 qui confirme avoir pris note que le renseignement suisse avait été habilité à acquérir deux missiles SA-18 pour un montant de 204 000 dollars US. La réponse précise également que, dans la mesure où le service de renseignement partenaire était en mesure de conclure l'affaire, les «Suisses» devraient prévoir d'envoyer un avion civil pour prendre livraison de la marchandise.

Lors d'un entretien qui a eu lieu le 27 septembre 1993, Peter Regli informait le chef de l'Etat-major général que les services de renseignement avaient acheté deux missiles SA-18 en 1992 auprès du service de renseignement d'un pays européen; étant donné que les compétences de Peter Regli étaient limitées, il demandait au chef de l'Etat-major général de lui donner son accord, lui présentant un document déjà rédigé l'habilitant à acheter «deux systèmes d'armement pour une somme de 204 000 dollars US à imputer au budget du Gr rens.» [Traduction] Le chef de l'Etat-

2217

major général a refusé son accord et a annoncé qu'il soumettrait l'affaire au chef du département.

Le 29 septembre 1993, Peter Regli s'adressait au collaborateur compétent du service de révision du Gr rens en le chargeant de préparer un montant de 300 000 francs à imputer au budget en précisant que ce montant serait versé à un service de renseignement partenaire ­ en paiement de matériel saisi ­ dès que le chef du DMF ou le chef de l'Etat-major général aurait donné le feu vert.

Ce même 29 septembre 1993, Peter Regli informait le rapporteur au Secrétariat général du DMF de la situation en ces termes: «La question n'est plus de savoir si nous voulons acquérir deux missiles auprès d'un service de renseignement partenaire, mais de savoir quand nous allons enfin verser le montant que notre partenaire a lui-même déjà déboursé en 1992 et quand nous allons prendre possession du matériel en question.

Le 22 septembre 1993, lors d'une discussion avec le chef du service de renseignement partenaire en question, il est clairement ressorti que l'on attendait que nous réglions cette affaire rapidement. Au printemps 1993, pour la première fois, j'ai été discrètement rendu attentif à ce retard directement par le service en question, ce qui est à l'origine de toute cette affaire. [...]

Notre partenaire ayant reçu des signaux clairs de notre part, il a acquis pour nous le matériel en 1992 et l'a préparé pour son transport vers la Suisse. [...]»

Auparavant, soit le 24 septembre 1993, Peter Regli avait chargé le chef de la SRADCA de lui indiquer «les affirmations et les décisions du plus haut niveau hiérarchique» [traduction] sur la base desquelles il avait pu annoncer au service de renseignement partenaire que 204 000 dollars US étaient disponibles pour l'acquisition de deux missiles. Dans une note adressée au SCEM rens, le chef de la SRADCA avait consigné par écrit le déroulement de cette affaire. De son point de vue, aucune commande n'avait été passée. En octobre 1992, il aurait été surpris par la question d'un collaborateur de la Section acquisition qui lui demandait où il fallait livrer le matériel qui allait arriver prochainement. Le fait que le Gr rens se soit tout à coup décidé l'aurait totalement surpris.

À la suite de la séance de direction du 25 octobre 1993, le chef du DMF s'est entretenu avec le chef de l'Etat-major général et le chef de l'armement; le secrétaire général n'a pas participé à cette discussion. Lors de son audition, le chef de l'Etatmajor général de l'époque a remis à la DCG les notes manuscrites qu'il avait prises au cours de cet entretien et qui font état des décisions et des ordres suivants: «­ Le conseiller fédéral Villiger exige que le Gr rens et la SRADCA lui fournissent une explication rationnelle pour cette affaire; ­ il veut une vraie facture comportant une adresse réelle; ­ la Délégation des commissions de gestion doit être informée en détail; ­ la possibilité d'une enquête disciplinaire demeure réservée; ­ il est difficile de se montrer plus stupide [Dümmer geht's nicht mehr!] (termes utilisés par le conseiller fédéral Villiger lui-même); ­ le chef de l'Etat-major général est responsable du crédit destiné au financement des acquisitions de matériel par le canal des services de renseignement; ­ les demandes correspondantes doivent être adressées au chef de l'Etat-major général; ­ l'exécution de cette commande aurait dû être effectuée par le Groupement de l'armement au moyen d'une cession de crédit; ­ toutes les demandes de crédits pour les services de renseignement doivent être signées par le chef de l'Etat-major général.»

2218

Le chef de l'Etat-major général a précisé que, à l'issue de la séance de direction, il avait chargé Peter Regli d'informer la DCG en détail sur l'acquisition des missiles SA-18. La DCG n'a cependant pas été informée, ni verbalement ni par écrit. Cela est d'autant plus incompréhensible que, lors d'une séance qui a eu lieu les 22 et 23 novembre 1993 ­ donc moins d'un mois plus tard ­ Peter Regli a été entendu par la DCG au sujet de la découverte d'uranium à Kemptthal (voir ch. 9.7). À cette occasion, il aurait donc eu tout loisir d'informer la DCG sur l'affaire des missiles SA-18. Lors de son audition effectuée à l'occasion de la présente enquête, Peter Regli a déclaré qu'il ne parvenait plus à se souvenir si le chef de l'Etat-major général l'avait à l'époque informé des décisions de la direction du département.

Le 29 octobre 1993, une discussion a eu lieu entre le suppléant du commandant des troupes d'aviation et de défense contre avions et le chef de la SRADCA. Les résultats de cette discussion ont été résumés à l'attention du commandant des troupes d'aviation et de défense contre avions dans une note commune datée du 6 novembre 1993. Il ressort de celle-ci que le chef de la SRADCA n'avait jamais considéré que la proposition transmise au service de renseignement partenaire en mai 1992 pouvait constituer un engagement. Au contraire, l'affaire semble avoir été réactivée en automne 1993 par Peter Regli «car le service de renseignement partenaire voulait absolument livrer, c'est-à-dire vendre les deux missiles.» [Traduction] Le chef de l'Etat-major général de l'époque a encore ajouté que, après la séance de direction, il avait informé Peter Regli qu'il voulait une explication rationnelle pour cette affaire. Celui-ci lui aurait présenté un premier projet avec le «chef de l'Etatmajor général» comme expéditeur et signataire. Là-dessus, il aurait convoqué Peter Regli et lui aurait demandé s'il le prenait pour un imbécile. Peter Regli aurait alors préparé une nouvelle version à son nom. À cet égard, le chef de l'Etat-major général a déclaré avec des mots particulièrement crus qu'il avait vraiment l'impression de s'être fait «mener en bateau» et qu'il avait estimé que la manière de faire était tout à fait déloyale. Sur la base des explications fournies par Peter Regli, lui-même et la direction du département
pensaient que les SA-18 avaient été achetés et livrés depuis longtemps et qu'il n'était plus question que des aspects financiers de la transaction.

Dans les faits cependant, les missiles ne sont arrivés en Suisse que neuf mois plus tard et il n'en a eu connaissance qu'en 2001.

Parmi les documents des Forces aériennes, la DCG a trouvé une demande datée du 8 avril 1994 adressée au chef de l'armement, signée par Peter Regli et visée par le chef de l'Etat-major général, portant sur l'acquisition de deux missiles SA-18. Le prix indiqué était de 204 000 dollars US. Selon ce document, la demande d'offre définitive et la commande correspondante devaient être adressées à ... (une entreprise d'un pays européen). Le 10 mai 1994, l'Etat-major du Groupement de l'étatmajor général a libéré un crédit de 304 500 francs à l'attention du Groupement de l'armement. Ce document comporte une note datée du 11 mai 1994, ajoutée par un collaborateur de la section finances et adressée au chef de l'armement: «Etant donné que vous avez bloqué cette opération lors de votre appel téléphonique de ce matin, j'attends vos instructions avant de procéder à la répartition du crédit et de transmettre l'ordre d'acquisition à ...» [Traduction, note rendue anonyme par la DCG]

La libération définitive du crédit date du 18 mai 1994. Le 20 mai, le Groupement de l'armement faisait parvenir à la société mentionnée dans la demande de Peter Regli, un contrat portant sur l'acquisition de deux missiles sol-air SA-18. Celle-ci le signait 2219

le 10 juin 1994 et les deux missiles étaient livrés à Berne Belpmoos le 15 juillet 1994, les opérations de dédouanement étant effectuées par le Groupement de l'armement. La facture d'un montant de 204 000 dollars US date du 5 août 1994. Le 15 août 1994, le SCEM rens informait le chef de l'Etat-major général que les missiles sol-air avaient été livrés au Groupement de l'armement, que le commandement des Forces aériennes allait diriger leur examen et que le dossier était clos pour le Gr rens.

11.1.3

Digression: matériel saisi fourni par l'Afrique du Sud

Les investigations de la DCG ont permis de constater que les services de renseignement suisses ont à diverses reprises reçu de leur partenaire sud-africain du matériel d'origine soviétique ­ principalement des armes ou des pièces d'armement ­ qui avait été saisi par les forces armées sud-africaines. La première indication à cet égard se trouve dans le procès-verbal portant sur la première visite de Peter Regli en Afrique du Sud, à l'époque encore en sa qualité de chef de la SRADCA. «On nous a sans hésiter et très généreusement offert du matériel saisi pour que nous puissions l'examiner et procéder à nos propres essais.» [Traduction] Lors d'une autre visite à l'échelon des chefs des services de renseignement en mars 1988, Peter Regli constatait dans le procès-verbal: «Mon partenaire m'a promis un missile sol-air SA-14. Je dois encore déterminer de quelle manière je vais pouvoir le transporter en Suisse.» [Traduction] Deux mois plus tard, en mai 19888, une délégation de la SRADCA a rendu visite à l'UNITA en Angola (voir ch. 6.5). Le procès-verbal correspondant mentionne que la visite avait pour but principal de désamorcer et d'analyser du matériel saisi (en particulier des missiles sol-air SA-7, 14 et 16). Il rapporte également que le matériel promis serait transporté jusqu'à Kinshasa et que le chef de la SRADCA serait immédiatement informé de son arrivée à destination.

La DCG n'a en revanche pas trouvé de documents sur cet échange de matériel de guerre. Les indications relevées dans les procès-verbaux des rencontres et entretiens mises à part, la DCG n'a retrouvé aucun document sur le transport ou l'analyse du matériel saisi. Seul le rapport de la Division SRS sur les relations avec l'Afrique du Sud de juin 1999 indique que: «En 1987, [l'Afrique du Sud] a fourni aux services de renseignement du matériel de guerre et de la munition de provenance soviétique avec, en contrepartie, l'engagement de leur faire part des résultats de nos évaluations. Nous nous sommes occupés du transport en passant par des voies compliquées. En ce qui concerne les tests de munition, nous avons cependant dû recourir aux services et à la recherche du Groupement de l'armement.» [Traduction] Etant donné qu'il n'y a plus de documents à ce sujet, la DCG ne parvient pas à établir si ­ comme Peter Regli l'a déclaré lors de son
audition ­ le missile SA-14 mentionné dans le procès-verbal de la visite en Angola n'a jamais été livré en Suisse.

Le chef de la Section exploitation de l'époque a confirmé à la DCG qu'il avait été chargé de se procurer de «nombreuses mines, des grenades d'artillerie, une roquette de 122 mm, un BM-21 8 (lance-roquettes multiple soviétique), du matériel pyrotechnique, des détonateurs, des panzerfaust, etc... provenant des stocks soviétiques. Nous devions souvent emprunter des voies délicates pour éviter de compromettre Swissair ou les

2220

South African Airways.» [Traduction] Il a en outre tenu à préciser que les armes et pièces d'armement en question ont toujours été remises au Groupement de l'armement.

Lors de son audition, le collaborateur de la SRADCA qui était à l'époque chargé de l'évaluation des systèmes d'armement étrangers a expliqué à la DCG que, quelques années avant l'acquisition des SA-18, le service avait reçu un missile sol-air SA-7, un modèle précurseur du missile SA-18, mais que, aujourd'hui, il ne savait pas où celui-ci se trouvait; il pouvait cependant confirmer que ce missile avait alors fait l'objet d'une évaluation. Le chef de l'armement de l'époque a indiqué à la DCG que le Groupement de l'armement n'avait pratiquement jamais reçu de demandes directes de la part du Gr rens; lorsque des examens techniques s'avéraient nécessaires, ils étaient imputés au budget ordinaire du Groupement de l'armement.

11.2

Appréciations au sein du DDPS

La DCG a tenté de comprendre le sens de l'achat de deux missiles SA-18 effectué par le Gr rens. Un ancien collaborateur de la Section acquisition a expliqué que des milliers de missiles de la ligne SAM (ligne dont les missiles sont issus) ont été produits et utilisés dans le monde entier. Ils ont été notamment utilisés par des armées qui n'ont jamais fait mystère de leurs relations avec la Suisse. De plus, de nombreuses données techniques avaient, à l'époque déjà, été publiées par la presse spécialisée (Jane's Defence Weekly et Aviation and Space Technology). Le chef de la Section exploitation de l'époque a également expliqué que le SRS s'intéressait alors principalement aux tout récents SS-24 et SS-25, les modèles plus anciens comme les SS-12 et SS-13 étaient bien connus et ne présentaient donc plus beaucoup d'intérêt. Pour le chef de l'Etat-major général de l'époque, l'achat de ces deux missiles SA-18 est aujourd'hui encore incompréhensible tant il est vrai qu'il a été effectué en 1992 ou 1994, soit après la chute du Mur de Berlin en 1989. De plus, il lui semble encore plus incompréhensible d'avoir acheté du matériel pour 300 000 francs pour ne rien en faire par la suite.

En revanche, le SRS a souligné que les missiles SA-18 demeurent aujourd'hui encore des armes intéressantes pour les services de renseignement. L'intérêt actuel est grand parce que ces armes sont très appréciées par les mouvements terroristes qui peuvent facilement les utiliser. S'il y a suffisamment d'informations sur la version de base, l'intérêt demeure grand pour tout ce qui concerne les mesures de protection contre leur engagement. Le chef de la SRADCA de l'époque et Peter Regli ­ qui avaient été à l'origine de l'achat des deux missiles SA-18 ­ ont souligné que l'évolution de la menace après 1989 due à la montée du terrorisme avait été la raison déterminante pour l'achat de ces armes.

11.3

Sort des missiles SA-18

Les deux missiles SA-18 ont été livrés et réceptionnés par le Groupement de l'armement le 15 juillet 1994 qui les a stockés jusqu'en mai 2002, sans que personne ne s'en soit occupé sérieusement. Le bordereau de contrôle des stocks du Groupement de l'armement comporte même une note datée d'août 1998, selon laquelle les

2221

deux missiles auraient dû être détruits, dans le cadre de l'élimination des munitions non explosées ou d'une autre manière.

Le collaborateur du Groupement de l'armement compétent en la matière a expliqué à la DCG que la livraison a eu lieu sans ordre écrit, sans indication précise sur la provenance et sans indication correcte du donneur d'ordre. Le Groupement de l'armement ne savait donc pas à quel usage ces armes étaient destinées. Il a ajouté que, pour sa part, il n'avait pas compris pourquoi ces armes n'avaient pas fait l'objet d'une évaluation. Il a eu l'impression que l'intérêt pour ces missiles était tombé et qu'ils avaient été tout simplement oubliés. Quant à Peter Regli, il a expliqué que les armes stockées par le Groupement de l'armement auraient en fait dû être évaluées par le Gr rense. C'est parce que le Groupement de l'armement ne disposait pas de spécialistes connaissant suffisamment les missiles SA-18 que leur évaluation est demeurée si longtemps en souffrance.

Divers procès-verbaux de rencontres et entretiens indiquent que le démontage et l'essai en commun des deux missiles avait fait l'objet de plusieurs discussions à l'échelon des services de renseignement militaire.

En outre, il ressort d'une lettre datée du 5 mars 1998 retrouvée parmi les rares documents du Gr rens encore disponibles, que l'embarquement des deux missiles à destination de l'Afrique du Sud avait été discuté. Après plusieurs contacts ultérieurs, le Gr rens a indiqué au service partenaire sud-africain que le projet ne pouvait pas être réalisé à ce moment-là, mais que ce point pourra de nouveau être abordé lors d'une prochaine rencontre entre les chefs des services de renseignement.

11.3.1

Activités du Gr rens

Certains procès-verbaux de rencontres et d'entretiens permettent de constater que le Gr rens avait manifestement entrepris des démarches pour évaluer les deux missiles en collaboration avec les services de renseignement sud-africains et cela en contournant le Groupement de l'armement. Lors d'une discussion à l'échelon des experts qui a eu lieu en Suisse au mois d'octobre 1996 il a en tout état de cause été question que «l'efficacité des SA-18 en possession du Gr rens pourrait par conséquent être testée par nous et notre partenaire étant donné que celui-ci dispose d'une aire de test spécialement équipée pour les tests IRCCM [Infrared Counter-Countermeasures, contre contre-mesures infrarouges].» [Traduction] Le procès-verbal d'une autre discussion à l'échelon des experts qui a eu lieu en Afrique du Sud au mois de novembre 1997 indique que «les partenaires sud-africains ont salué [...] la décision du SCEM rens concernant la remise de nos SA-18 [...] et ont exprimé leur reconnaissance.» [Traduction] Selon le procès-verbal, un collaborateur des services de renseignement sud-africains devait s'enquérir des possibilités de transport et, le moment venu, contacter le SCEM rens par la voie spécifique au renseignement. L'affaire a encore été discutée à l'occasion d'autres rencontres entre experts avant que, en novembre 1998, le Gr rens informe les partenaires sud-africains «que le projet ne peut être réalisé pour le moment» et précise que «ce point pourra de nouveau être abordé lors d'une prochaine rencontre entre les chefs des services de renseignement.» [Traduction]

2222

Lors de son audition par la DCG, Peter Regli n'est plus parvenu à se souvenir des détails relatifs à cette affaire. Il a cependant souligné que les Sud-Africains disposaient de très bonnes compétences dans le domaine de l'évaluation de matériel saisi et que Mossie Basson (qui n'a aucun de lien de parenté avec Wouter Basson) était un expert dans le domaine des missiles. Selon Peter Regli, c'était la raison pour laquelle cette collaboration avait été envisagée.

11.3.2

Démontage au printemps 2002

Les médias ayant rendu publique l'existence des deux missiles sol-air SA-18 dans le courant du printemps 2002, le DDPS s'est tout-à-coup souvenu de ces armes provenant des stocks de l'Union soviétique, acquises huit ans auparavant et oubliées depuis. Dans le communiqué de presse du 17 mai 2002, le DDPS indique que les deux SA-18 seront examinés dans la perspective de la livraison par la société sudafricaine Avitronics de systèmes d'autoprotection destinés à équiper les nouveaux hélicoptères de transport TH 98 des Forces aériennes suisses. Il explique que la programmation de ces systèmes d'autoprotection nécessite des données techniques sur les menaces potentielles et informe que le Groupement de l'armement a conclu un contrat avec la société Avitronics qui, outre la fabrication et la livraison des systèmes d'autoprotection, porte également sur la vérification de l'efficacité de cette dernière. Le DDPS indique que, étant en possession de deux missiles SA-18 en état de fonctionner et faisant partie de la dernière génération, il devait en tirer parti et les analyser. Selon le département, cette analyse a pour but à la fois d'obtenir des données techniques en vue de la programmation des systèmes d'autoprotection et de vérifier l'efficacité de la protection qu'ils offrent. Le DDPS souligne en outre qu'il est avantageux et efficace d'effectuer ces travaux en coopération avec le concepteur des systèmes de protection et les forces aériennes sud-africaines qui disposent d'une infrastructure adéquate et du savoir-faire nécessaire. Le DDPS indique encore que les préparatifs en vue de la conclusion d'un accord international avec l'Afrique du Sud vont bon train.

Plus tard, une note du Groupement de l'armement du 28 juin 2002 mentionne que l'origine des missiles SA-18 est inconnue, que la documentation technique fait défaut et qu'il n'y a pas d'ordre écrit précisant ce qu'il convient de faire avec ce matériel. La note évoque le fait que, de toute évidence, il était question de démonter ces missiles et d'en retirer l'explosif afin de pouvoir procéder à des essais ciblés avec des constituants spécifiques (élément d'acquisition de la cible et de guidage).

Entre-temps, le démontage des missiles a été effectué avec l'aide de deux spécialistes sud-africains.

Lors des auditions, les personnes ayant directement
participé au démontage et à l'analyse des deux missiles sol-air ont tous expliqué que les données nécessaires à la programmation d'un système d'autoprotection (données concernant le rayonnement, moteur, système de filtrage du senseur de guidage, algorithme de brouillage des signaux, etc.) se réfèrent toujours à une menace sol-air particulière. Les données correspondantes doivent donc être mesurées pour chaque type de missile sol-air; elles ne peuvent pas être mesurées de manière générale. Il était donc tout à fait judicieux de démonter les deux SA-18 en 2002. Le fait que, en 1992, quelqu'un avait eu l'idée d'acheter deux missiles SA-18 sans nécessité et que, dix ans plus tard 2223

leur analyse s'est avérée indispensable est, selon le chef de l'armement de l'époque interrogé par la DCG à ce sujet, «une interprétation que l'on ne peut pas contester.» [Traduction] En raison de ses connaissances techniques limitées, la DCG n'est pas en mesure de se prononcer de manière définitive en ce qui concerne l'affaire des SA-18. Toutefois, elle estime que les circonstances de l'achat de ces deux missiles sont déjà plus que douteuses. D'une part, la DCG a beaucoup de peine à comprendre pour quelle raison, contrairement aux usages, cette transaction entre services de renseignement amis a eu lieu à titre onéreux. D'autre part, elle ne comprend pas non plus pourquoi l'analyse d'une arme particulière, soumise à une obsolescence régulière, proposée par hasard dix ans plus tôt par un service de renseignement partenaire, peut soudainement revêtir une importance existentielle pour l'armée suisse. Outre les SA-18, le marché propose des centaines, sinon des milliers de systèmes d'armes pouvant représenter une menace pour les aéronefs. Par conséquent, un système de défense uniquement testé sur la base de SA-18 ne saurait contribuer à une amélioration notable de la sécurité. Indépendamment de cela, la littérature spécialisée contient des informations sur les systèmes d'armement courants et les services partenaires auraient certainement pu fournir des informations détaillées.

La DCG a beaucoup de peine à trouver une raison valable à l'analyse des deux missiles effectuée en été/automne 2002. La chronologie des faits en elle-même montre à l'évidence que le DDPS a décidé cette analyse une fois que l'achat de ces deux missiles est devenu public et que cette acquisition a été publiquement mise en cause. Il faut certes reconnaître que les collaborateurs de la Direction du SRS et du Groupement de l'armement entendus par la DCG ont unanimement relevé l'importance que les résultats de l'analyse de ces armes revêtent après coup. Il faut cependant tenir compte du fait qu'ils ont tous participé au processus d'acquisition de l'époque ou à la récente analyse si bien qu'il ne fallait guère s'attendre à une autre réponse de leur part. Cela étant, la DCG est d'avis qu'il doit être possible de s'attendre à ce qu'un concepteur et fabricant de systèmes d'autoprotection de réputation internationale dispose des données
nécessaires à une programmation adéquate des systèmes qu'il vend. L'évaluation de la société Avitronics effectuée par le DDPS doit offrir une garantie suffisante sans qu'il soit encore nécessaire d'effectuer des tests avec des missiles sol-air obsolescents, quasiment tombés dans l'oubli, que les services de renseignement suisses avaient achetés par hasard dix ans plus tôt.

12

Recours à un pilote du CICR pour l'acquisition d'informations en Angola

Lors de l'enquête effectuée en 1999, la DCG s'est notamment penchée sur certains indices selon lesquels le GRS aurait pu avoir recours à un collaborateur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour l'acquisition d'informations en Angola. Au cours des investigations à la base du présent rapport, la DCG a pu établir qu'il s'est agi d'un incident unique. Tout le monde au sein des services de renseignement était unanime quant à la règle selon laquelle les organisations d'entraide internationales, en particulier le CICR, et leurs collaborateurs ne pouvaient en aucun cas servir de source d'informations à des fins de renseignement. L'actuel directeur du SRS a d'ailleurs confirmé à la DCG que l'ordonnance sur le renseignement en vigueur 2224

interdit de se procurer des informations relevant du renseignement dans le domaine de l'aide humanitaire et que son service ne travaillait pas dans ce domaine. Il a cependant précisé que l'interdiction s'étendait à la recherche active d'informations, mais pas à l'offre de renseignements spontanée. À sa connaissance, l'«affaire avec l'Angola» ­ abordée ci-dessous ­ est seul cas de recherche active d'informations dans ce domaine.

Les investigations plus récentes entreprises par la DCG ont révélé que, au début des années 80, un fonctionnaire de l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) avait été contacté par un collaborateur du GRS. Initialement, il était uniquement question de fournir au GRS des informations publiquement accessibles sur les événements importants pour l'aviation civile. Le collaborateur du GRS s'est ensuite intéressé de manière de plus en plus marquée à d'autres informations dont les pilotes des compagnies d'aviation faisaient part au fonctionnaire de l'OFAC en raison de sa fonction spécifique.

En juin 1986, le directeur d'une entreprise de transport aérien privée, qui travaillait entre autres également pour le CICR, avait invité le collaborateur de l'OFAC à participer à un vol de convoyage d'un avion de la Croix-Rouge de Luanda (Angola) à Zurich. Ce fonctionnaire a par la suite incidemment informé le collaborateur du GRS de son futur voyage. À cette occasion, le collaborateur du GRS lui a rappelé d'une manière générale ses besoins en matière d'informations. Durant le convoyage qui a duré cinq jours, le fonctionnaire de l'OFAC a indiqué au pilote que son office était intéressé à savoir dans quelles conditions les avions immatriculés en Suisse opéraient dans les régions en crise et à quels risques ils étaient exposés. À son retour en Suisse, le fonctionnaire de l'OFAC a informé le collaborateur du GRS de sa rencontre avec ce pilote. À cette occasion, il a également mentionné que, en raison de sa fonction et de ses activités en Angola, ce pilote avait fait des constatations qui pourraient intéresser le GRS. Là-dessus, le collaborateur du GRS a fait parvenir au fonctionnaire de l'OFAC un catalogue de questions étendu. Ce dernier l'a ensuite transmis au pilote. Les questions portaient essentiellement sur les opérations en cours des FAPLA52 contre l'UNITA, sur l'armement et le moral
des troupes de l'UNITA, sur les rapports de forces en Angola ainsi que sur la situation politique intérieure du Zaïre.

Le 5 août 1986, en Angola, une employée de nettoyage est tombée sur ce catalogue de questions et l'a remis au chef de la délégation locale du CICR qui l'a à son tour transmis au siège principal à Genève. Là-dessus, le CICR mettait immédiatement fin à la collaboration avec l'entreprise de transport aérien et informait le DFAE qui a immédiatement avisé le Ministère public de la Confédération de cet incident. Le 3 septembre 1986, le Ministère public ouvrait, à l'encontre du fonctionnaire de l'OFAC, une procédure de police judiciaire pour activités de renseignement présumées; le collaborateur du GRS n'a en revanche pas été inquiété. Au cours de la procédure, il a également été possible d'établir que, en 1984 déjà, le fonctionnaire de l'OFAC avait fait parvenir au directeur de la société de transport aérien travaillant pour le CICR, un catalogue de questions établi par le collaborateur du GRS et portant sur la situation politico-militaire en Angola. Ces questions sont toutefois restées sans réponse, le directeur en question ayant invoqué le contrat qui le liait avec le CICR. Le 2 octobre 1986, le Ministère public suspendait la procédure étant donné 52

Forças Armadas Populares de Libertação de Angola (bras armé du MPLA).

2225

que la recherche d'information n'avait pas eu lieu au profit d'un Etat étranger et qu'il n'y avait par conséquent pas d'acte punissable.

La DCG avait entendu le fonctionnaire de l'OFAC en mai 2001, c'est-à-dire avant de décider de reprendre ses investigations sur les contacts des services de renseignement suisses avec l'Afrique du Sud. À ce moment-là, elle ne disposait pas encore du dossier du Ministère public de la Confédération qu'elle n'a pu consulter que plus tard. Sans pouvoir être contredit, il a donc prétendu avoir contacté le pilote britannique de son propre chef, en sa qualité de fonctionnaire de l'OFAC et non pas sur ordre des services de renseignement: «Je n'ai jamais été chargé d'une telle mission.

[...] Je n'ai pas eu d'officier traitant qui m'aurait donné des instructions.» [Traduction] Les investigations de la DCG ont clairement prouvé le contraire. Pour des raisons incompréhensibles, le fonctionnaire de l'OFAC a, des années durant, transmis des informations relevant du domaine de l'aviation civile à un collaborateur du GRS et a été chargé par le GRS de se procurer des informations à deux reprises au moins. En particulier, le catalogue de questions transmis à un pilote d'une compagnie de transport aérien travaillant pour le CICR a été rédigé par un collaborateur du GRS. À cet égard, il faut souligner qu'au moins le chef de la Section exploitation était au courant de cette opération.

Il apparaît une fois de plus que les services de renseignement ne sont guère enclins à informer la DCG de leur propre chef au sujet des incidents importants (à ce sujet, voir ch. 8.2). En 1999, au cours des investigations auxquelles elle avait procédé auprès du Gr rens, notamment après la chute de l'avion du CICR en Angola, la DCG s'était renseignée afin de savoir si le pilote britannique de l'avion abattu était membre ou du moins collaborait avec les services de renseignement suisses. Peter Regli s'était alors référé au rapport de la Commission fédérale sur les accidents d'aviation et a informé la DCG que l'avion avait été abattu le 14 octobre 1987 en Angola. Il a également précisé qu'il n'y avait pas le moindre rapport entre cette affaire et les services de renseignement suisses: «La théorie du pilote-agent de renseignement est absurde. Il faudrait apporter plus de précisions et de preuves.» [Traduction]
Certes, il faut bien reconnaître que l'avion du CICR abattu au-dessus de l'Angola en 1987 n'avait aucun lien direct avec les incidents abordés dans ce chapitre. En revanche, à l'époque, il était déjà question que le GRS aurait eu recours à un pilote britannique travaillant pour un compagnie de transport aérien au service du CICR pour obtenir des informations au sujet de l'Angola. En outre, il était évident qu'il y avait un lien interne entre les deux affaires puisque, plus tard, le pilote britannique a été tué lorsque son avion a été abattu dans le ciel angolais. Dans un pareil cas, il aurait été du devoir du Gr rens d'informer l'organe de surveillance parlementaire de ces circonstances au lieu de simplement les taire. La DCG a donc dû se procurer les informations correspondantes avec l'aide du CICR, du DFAE et des Archives fédérales.

Par souci de clarté, la DCG tient à préciser que le reproche relatif à l'attitude dissimulatrice envers la haute surveillance parlementaire s'adresse aux services de renseignement dans leur ensemble et ne se limite pas à la personne de Peter Regli. Si celui-ci était certes SCEM rens au moment de renseigner, il faut rappeler que l'incident lui-même avait eu lieu lorsque son prédécesseur était encore en poste et que Peter Regli n'en avait pas connaissance. En revanche, le chef de la Section 2226

exploitation de l'époque, qui est par la suite devenu chef de la Division SRS, était sans aucun doute au courant du fait que le GRS avait eu recours à un pilote du CICR à des fins de renseignement.

Bien que l'incident avec le pilote britannique employé par une compagnie de transport aérien privée au service du CICR ait à l'époque déjà passablement terni l'image du Comité international de la Croix-Rouge, la DCG a décidé de revenir sur le fond de cette affaire vieille de près de 20 ans. Seule une transparence complète peut éventuellement permettre de convaincre l'opinion publique que le recrutement d'un pilote au service du CICR à des fins de renseignement constitue un incident unique et que, dans tous les autres cas, les services de renseignement suisses ont toujours respecté le principe de la neutralité des organisations d'entraide internationale.

L'ordonnance sur le renseignement du 4 décembre 2000 actuellement en vigueur prévoit également que les services de l'administration fédérale ne peuvent transmettre au Renseignement stratégique des informations relevant de la politique de sécurité concernant l'étranger que dans la mesure où elles «ne proviennent pas de services s'occupant d'aide humanitaire ou d'aide à l'étranger.» Par conséquent, les organisations d'aide humanitaire ou d'aide à l'étranger ne peuvent en aucun cas servir de source d'informations relevant du renseignement.

13

Conclusions et recommandations

Les récentes investigations de la DCG ont apporté de nombreux éléments nouveaux concernant les contacts des services de renseignement suisses avec l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Elles ont aussi confirmé que les conclusions que la DCG tirait dans son rapport de novembre 1999 étaient pertinentes.

A l'issue de ses travaux, la DCG porte l'appréciation finale suivante:

13.1

Instruments de surveillance des services de renseignement

Le présent rapport montre que les droits d'information de la DCG lui permettent d'assurer une surveillance adéquate des services de renseignement. Dans le cas des relations avec l'Afrique du Sud, la DCG a procédé à une analyse méticuleuse de tous les documents (encore) disponibles en Suisse et a entendu toutes les personnes concernées des services de renseignements qui étaient en poste au moment des faits.

Il est donc inutile de pousser plus avant les investigations sur le rôle des services de renseignement suisses en Afrique du Sud et possible de renoncer à l'institution d'une Commission d'enquête parlementaire. En effet, une CEP se heurterait aux mêmes limites que la DCG partout où cette dernière n'est plus parvenue à reconstituer les faits avec la précision souhaitée.

Cela étant, il faut relever que l'enquête de la DCG a été considérablement gênée par l'enquête administrative ordonnée par le chef du DDPS et effectuée dans une large mesure en même temps que les investigations à la base du présent rapport. Il serait judicieux que la loi sur le Parlement permette à l'avenir à la DCG d'empêcher ou d'interrompre les enquêtes administratives et disciplinaires concernant des affaires

2227

ou des personnes visées par ses propres investigations. Actuellement, seules les commissions d'enquête parlementaires dispose d'une telle compétence.53

13.2

Conduite politique et définition des besoins en matière de renseignement

Au cours de ses investigations, la DCG a fait de nombreuses constatations lui permettant de conclure que le renseignement souffre de la quasi-inexistence de conduite et de contrôle politiques, au moins en ce qui concerne la période examinée. À défaut d'un mandat de prestations clair et de toute définition des besoins par la direction politique, le GRS puis le Gr rens ont été laissés libres de définir eux-mêmes les points forts de leurs activités et de se procurer les renseignements qui leur semblaient importants ou judicieux (voir ch. 4.3.2).

La DCG salue les réformes entreprises par le département depuis la publication de son précédent rapport en 1999. Etant donné qu'elles ne sont pas encore achevées, la DCG renonce à émettre d'autres recommandations à ce sujet.

13.3

Primauté du politique

Il est particulièrement grave que, lors de leurs contacts avec l'Afrique du Sud ­ et en particulier avec l'UNITA ­ les services de renseignement n'ont non seulement tenu aucun compte des principes de la politique étrangère de la Suisse, mais y ont en plus parfois dérogé sciemment. Les contacts ont eu lieu sans que le DFAE n'ait été consulté et ses interventions n'ont délibérément pas été respectées (voir ch. 6.3).

Force est cependant de constater que ni le DDPS, ni le DFAE ne sont intervenus avec suffisamment d'insistance pour éliminer les divergences de conception en ce qui concerne le rôle du renseignement et parvenir, avec l'aide du Conseil fédéral, à une orientation cohérente de l'ensemble des contacts extérieurs de la Suisse.

Les contacts que les services de renseignement suisses ont entretenus de leur propre initiative avec l'Afrique du Sud et, en particulier, avec le mouvement rebelle de l'UNITA, constituent une violation flagrante de la politique extérieure et de neutralité de la Suisse. En dépit des différents embargos sur les armes et malgré la condamnation du régime de l'apartheid par la communauté internationale, les services de renseignement suisses ont échangé durant plusieurs années quantité d'informations en matière militaire et d'armement avec le régime sud-africain.

Malgré toute la compréhension pour les besoins particuliers des services de renseignement, il est indispensable de tenir compte du fait que le renseignement fait partie de l'ensemble des tâches de l'Etat. Dans ce sens, les services de renseignements ne sont pas autonomes et doivent garder la place qui leur est impartie dans la structure de l'ensemble. Lorsque des conflits d'objectifs apparaissent, l'autorité politique compétente doit procéder à une pesée des intérêts. Il est inacceptable que les services de renseignement placent leurs intérêts à court terme au-dessus de ceux de l'Etat et poursuivent des objectifs particuliers sans tenir compte des conséquences politiques qui peuvent en découler.

53

Voir l'art. 65, al. 3, LREC et l'art. 171, al. 3, LParl.

2228

La DCG relève que grâce à la nouvelle ordonnance sur le renseignement du 4 décembre 2000, entrée en vigueur suite à son rapport de novembre 1999, l'entretien de contacts réguliers avec l'étranger est dorénavant soumis à l'approbation du Conseil fédéral (art. 6, al. 1, ORens). Elle espère en outre que la révision de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire (voir ch. 4.2) décidée par le Parlement aura un effet durable grâce à la subordination directe du renseignement stratégique au chef du DDPS (art. 99, al. 5, LAAM). Ces deux mesures permettent d'espérer que le renseignement tiendra mieux compte de la politique et plus particulièrement de la politique extérieure de la Suisse. Il incombera en particulier au chef du DDPS de prendre les dispositions nécessaires pour garantir que le renseignement respecte le principe de la primauté du politique.

13.4

Contrôle de l'efficacité et de la qualité

Il ne fait aucun doute que le renseignement militaire sud-africain faisait partie des partenaires les plus importants du GRS puis du Gr rens au cours de ces 20 dernières années. Malgré cela, en consultant l'ensemble des documents des services de renseignement, la DCG n'a pratiquement pas trouvé d'indices permettant de penser que les relations avec les Sud-Africains ont permis d'obtenir des informations intéressant la politique de sécurité de la Suisse. En tout état de cause, la direction du département ne s'est de toute évidence pas non plus posé la question de l'utilité de ces contacts (voir ch. 6.8).

La DCG estime par conséquent qu'il est urgent de procéder à une analyse de rentabilité de l'activité des services de renseignements dans son ensemble. Elle invite donc le Conseil fédéral à prendre les dispositions nécessaires pour mesurer la plus-value apportée par les services de renseignement dans le domaine de la sécurité de l'Etat et apprécier ainsi l'efficacité de ces services.

13.5

Prescriptions relatives au maintien du secret

La DCG a constaté à plusieurs reprises que bon nombre de documents des services de renseignement sont classés secret alors qu'aucune raison ne justifie le maintien du secret. La DCG ne peut s'empêcher de penser que le maintien exagéré du secret a finalement pour but d'éviter toute discussion politique sur les activités, l'efficacité et la direction politique des services de renseignement (voir ch. 4.3.7).

La DCG est d'avis que seules les informations pour lesquelles il y a un intérêt concret au maintien du secret sont susceptibles de bénéficier de cette protection. En outre, il faut garder à l'esprit que même s'il peut sembler important de garder le secret sur certaines informations récentes, l'intérêt de le maintenir diminue avec le temps et peut même tomber complètement lorsque la situation politique ou militaire a évolué et que la situation en termes de menaces pesant sur notre pays a changé. La DCG invite donc le Conseil fédéral à examiner la pratique des services de renseignement en matière de maintien du secret et, le cas échéant, à adapter les dispositions correspondantes à l'environnement politique actuel.

2229

13.6

Gestion et archivage des dossiers

Dans le cadre de ses travaux, la DCG s'est rendu compte que l'absence de documentation au sujet des activités des services de renseignement et plus particulièrement la destruction de documents à grande échelle ont considérablement gêné, voir empêché tout contrôle efficace (voir ch. 4.3.7).

Les intérêts justifiés en matière de maintien du secret ne doivent toutefois pas dégager les services de renseignement de l'obligation de documenter leurs activités de manière adéquate. L'existence d'une telle documentation est également une condition à tout contrôle ultérieur, par le département ou par l'autorité chargée de la surveillance parlementaire.

La DCG invite le Conseil fédéral à édicter, dans le cadre de la prochaine révision de l'ORens, des prescriptions en matière de gestion des dossiers des services de renseignement et de veiller à l'application de la loi sur l'archivage dans ce domaine particulier de l'action de l'Etat. Etant donné que la récente révision de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire a créé une base légale pour la protection des sources (voir ch. 4.2), il est indispensable d'en régler tous les aspects par voie d'ordonnance. Le Conseil fédéral pourra s'appuyer sur les travaux préliminaires de la Direction du SRS et des Archives fédérales.

13.7

Collaboration avec les sources et les informateurs

Les investigations de la DCG ont montré que les rapports étroits entre Peter Regli et Jürg Jacomet, anciens camarades de service, ont eu des conséquences extrêmement préjudiciables pour les services de renseignement suisses. Même si Jürg Jacomet n'a jamais été membre du GRS ou du Gr rens, il s'est souvent fait passer pour tel. Sa proximité avec Peter Regli a donné de la crédibilité à ses allégations (voir ch. 9).

La DCG ne comprend pas pourquoi Peter Regli n'a ni tenu compte des signaux d'avertissement pourtant très clairs qu'il recevait, ni écouté ses plus proches collaborateurs. Il a continué, les yeux fermés, à faire confiance à Jürg Jacomet en se laissant grossièrement abuser par ce dernier.

La DCG estime que, pour éviter qu'une telle situation se répète, il est indispensable d'établir des principes clairs et homogènes réglant le choix des informateurs des services de renseignement, les modalités relatives aux instructions qui leur sont données et à leur rémunération ainsi que les mécanismes de contrôle correspondants.

Ces principes doivent s'appliquer à l'ensemble des services de renseignement de la Confédération et pas seulement à ceux du DDPS.

13.8

Projet «Coast»

La raison principale qui a motivé la DCG à reprendre ses investigations découle du reproche selon lequel les services de renseignement suisses, ou d'autres services du DDPS, auraient soutenu le projet secret de développement d'armes de guerre offensives biologiques et chimiques du régime de l'apartheid sud-africain ou y auraient

2230

du moins participé. La DCG a donc tout entrepris pour faire la lumière en ce qui concerne ce très grave reproche (voir ch. 10).

Pour l'essentiel, les investigations approfondies entreprises par la DCG ont confirmé les constatations consignées dans son rapport de novembre 1999. La DCG n'a trouvé aucun indice permettant de penser que les services de renseignement suisses, le Groupement de l'armement ou leurs collaborateurs, en particulier Peter Regli, auraient pu participer de près ou de loin au projet «Coast».

13.9

Participation de l'administration à l'enquête de la DCG

Au cours de ses investigations, la DCG a dû constater à plusieurs reprises que certaines personnes ou certains services ne l'ont informée qu'à contrecoeur et en tous les cas uniquement de manière partielle. Les réponses données étaient parfois incomplètes (voir notamment ch. 4.3.3.4) ou lacunaires (voir notamment ch. 8.2); dans un cas, des personnes qu'elle a entendues lui ont même menti (voir ch. 12).

Il est en particulier apparu qu'au cours de la période durant laquelle il assumait la responsabilité du GRS puis du Gr rens, Peter Regli n'a jamais spontanément informé l'autorité de surveillance parlementaire au sujet d'événements pouvant se révéler problématiques (voir notamment ch. 11.1.2) et a même tu de tels faits (voir ch. 12).

La DCG est convaincue que la présente enquête n'aurait pas été nécessaire, du moins dans cette ampleur, si, lors des investigations effectuées en 1999, le Gr rens et Peter Regli en particulier, avaient informé la DCG de manière transparente et complète.

La haute surveillance parlementaire exercée sur les services de renseignement est une fonction importante. Non seulement elle garantit une exécution correcte des tâches dans l'un des domaines les plus sensibles de la conduite de l'Etat, mais elle contribue encore de manière décisive à l'acceptation politique de cette action. La DCG ne saurait donc tolérer que l'administration manifeste de la méfiance à son endroit ou fasse obstruction à l'exercice de la haute surveillance.

14

Suite de la procédure

La Délégation des commissions de gestion prie le Conseil fédéral de communiquer son avis sur ce rapport et sur les recommandations qu'il contient d'ici fin 2003.

18 août 2003

Au nom de la Délégation des commissions de gestion: Le président, Alexander Tschäppät, conseiller national Le secrétaire, Philippe Schwab

2231

Les commissions de gestion ont pris acte du présent rapport le 25 août 2003 et en ont approuvé la publication.

25 août 2003

Au nom des Commissions de gestion: Le président de la Commission de gestion du Conseil des Etats, Michel Béguelin, député au Conseil des Etats La présidente de la Commission de gestion du Conseil national, Brigitta M. Gadient, conseillère nationale

2232

Liste des abréviations ANC BO CEP CICR CIMM Cst.

DCA DCG DDPS DFAE DFE DFF DFJP DMF E FAPLA FF Gr rens GRS JAAC LAAM LParl LREC MI6 MID MPLA N NIS OFAC OFJ OFP ONU ORens POSED

African National Congress (Congrès National Africain) Bulletin officiel Commission d'enquête parlementaire Comité international de la Croix-Rouge Comité International de Médecine Militaire Constitution fédérale de la Confédération suisse (RS 101) Défense contre avions Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral de l'économie Département fédéral des finances Département fédéral de justice et police Département militaire fédéral; aujourd'hui DDPS Conseil des Etats Forças Armadas Populares de Libertação de Angola (bras armé du MPLA) Feuille fédérale Groupe des renseignements (de 1993 à 2000); précédemment GRS, aujourd'hui direction du SRS Groupe renseignements et sécurité (jusqu'en 1993); Gr rens de 1993 à 2000, aujourd'hui direction du SRS Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération Loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire (RS 510.10) Loi sur le Parlement Loi fédérale sur la procédure de l'Assemblée fédérale, ainsi que sur la forme, la publication et l'entrée en vigueur des actes législatifs (loi sur les rapports entre les conseils; RS 171.11) Military Intelligence, ch. 6, s'appelle officiellement Secret Intelligence Service (SIS) (service de renseignement extérieur de la GrandeBretagne) Military Intelligence Division (service de renseignement militaire sudafricain) Movimento Popular da Libertação de Angola (mouvement de libération populaire de l'Angola) Conseil national National Intelligence Service (service du renseignement intérieur et extérieur d'Afrique du Sud) Office fédéral de l'aviation civile Office fédéral de la justice Office fédéral de la police Organisation des Nations Unies Ordonnance sur l'organisation du renseignement au sein du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (ordonnance sur le renseignement; RS 510.291) Division Politique de sécurité et de défense du DDPS 2233

RENAMO RIPOL RO RS RSA RUAG

SADF SAP SAP SCEM SCEM rens SCEM RS SRADCA SRFA SRM SRS SRSA SRSE SWAPO TCR TNT UNITA

2234

Resistência Nacional de Moçambique (résistance nationale du Mozambique) Système de recherches informatisées de police Recueil officiel du droit fédéral Recueil systématique du droit fédéral Republic of South Africa (république d'Afrique du Sud) Holding des entreprises d'armement de la Confédération (les anciennes entreprises d'armement de la Confédération sont regroupées en tant que sociétés anonymes de droit privé au sein de la holding RUAG SUISSE SA) South African Defence Forces (forces armées sud-africaines) Security Branch South African Police (service du renseignement de la police sud-africaine) Service d'analyse et de prévention; anciennement Police fédérale Sous-chef d'état-major Sous-chef d'état-major des renseignements (précédemment SCEM RS), titre de la fonction de 1993 à 2000 Sous-chef d'état-major renseignements et sécurité (titre de la fonction jusqu'en 1993, SCEM rens de 1993 à 2000) Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions; aujourd'hui SRFA Service de renseignement des Forces aériennes Service de renseignement militaire Service de renseignement stratégique Section ou division acquisition du SRS Section ou division exploitation du SRS South West Africa People's Organization (à l'origine, organisation de libération puis parti politique gouvernemental de Namibie depuis 1990) Truth & Reconciliation Commission (Commission Vérité et Réconciliation) Trinitrotoluène União Nacional para a Independência Total de Angola (Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola, mouvement de libération populaire)

Annexe 1

Liste des personnes entendues (fonction exercée au moment de l'audition) La DCG a effectué 22 jours d'auditions. Elle a entendu, parfois à plusieurs reprises, les personnes suivantes: 1.

Ackermann Anton, Procureur lors du procès contre Wouter Basson, directeur suppléant du ministère public sud-africain pour la région du Transvaal, Prétoria, Afrique du Sud

2.

Antonietti Francis, colonel d'état-major général, attaché de défense de Suisse à Rome, ancien chef de la Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions (1989­1994), DDPS

3.

Brunner Edouard, ancien secrétaire d'Etat, DFAE

4.

Burkhardt Philipp, journaliste

5.

Ceppi Jean-Philippe, journaliste

6.

de Watteville Jacques, chef de la Division politique V ­ affaires économiques et financières, DFAE

7.

Eichenberger Peter, ancien divisionnaire, ancien sous-chef d'état major des affaires sanitaires et ancien médecin en chef de l'armée (1989­2001), DDPS

8.

Ernst Hans-Ulrich, ancien directeur de l'Administration militaire fédérale/ secrétaire général du Département militaire fédéral (1979­1996), DDPS

9.

Garbely Frank, journaliste

10. Gut Juan Felix, secrétaire général, DDPS 11. Kohli Ulrich, avocat 12. Leitner Markus, chef de section adjoint, Division politique V ­ affaires économiques et financières, DFAE 13. Lezzi Bruno, journaliste 14. Liener Arthur, ancien commandant de corps, ancien chef de l'état-major général, DDPS 15. Mader Luzius, professeur, vice-directeur, chef de la Division principale du droit public, Office fédéral de la justice, DFJP 16. Maurer Alfred, chef du personnel et des finances, Service de renseignement stratégique, DDPS 17. Michel Nicolas, directeur, Direction du droit international public, DFAE 18. Petitpierre Mario, ancien divisionnaire, ancien sous-chef d'état-major renseignements et sécurité (1981­1988), DDPS 19. Pitteloud Jacques, coordonnateur du renseignement, Bureau d'appréciation de la situation et de détection précoce, DDPS

2235

20. Rapp Dominik (), ancien collaborateur de Jürg Jacomet 21. Regli Peter, ancien divisionnaire, ancien sous-chef d'état-major des renseignements (1991­2000), ancien remplaçant du sous-chef d'état-major des renseignements (1989­1991), ancien chef de la Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions (1981­1988), DDPS 22. Ringgenberg Albrecht, chef du Protocole militaire, Etat-major général, DDPS 23. Rüegg Alfred, ancien chef de la Division politique II et ancien directeur suppléant de la Direction politique (1985­1989), DFAE 24. Schmid Samuel, conseiller fédéral, chef du DDPS 25. Schreier Fred, ancien chef de la Division Service de renseignement stratégique (1990­1999), ancien chef de la Section exploitation (1978­1989), Groupe des renseignements, DDPS 26. Schweizer Rainer J., professeur, chargé d'enquête du DDPS 27. Sigg Oswald, chef de l'information du DDPS 28. Stadler Hansjörg, procureur adjoint de la Confédération, Ministère public de la Confédération, DFJP 29. Stoll Martin, journaliste 30. Stuber Peter, rapporteur pour les tâches spéciales, DDPS 31. Trösch Andreas, avocat, Division principale du droit public, Office fédéral de la justice, DFJP 32. Vanoni Bruno, journaliste 33. Vez Jean-Luc, directeur, Office fédéral de la police, DFJP 34. Vogel Rudolf, chef de section adjoint, Office fédéral des systèmes d'armes et des munitions, DDPS 35. von Daeniken Franz, secrétaire d'Etat, DFAE 36. von Weissenfluh Hans, Groupe de la planification, ancien collaborateur scientifique auprès de la Section des renseignements de l'aviation et de la défense contre avions (1983­1997), DDPS 37. Wegmüller Hans, directeur, Service de renseignement stratégique, ancien chef de la Section acquisition (1987­1993), Groupe des renseignements, DDPS 38. Wicki Toni J., délégué du conseil d'administration de RUAG SA, ancien chef de l'armement (1991­2000), DDPS En outre, la délégation a entendu trois secrétaires du DDPS ainsi que cinq collaborateurs scientifiques du SRS et du Groupement de l'armement. Certaines de ces personnes ne travaillent actuellement plus pour la Confédération.

2236

Annexe 2

Liste des documents consultés Dans le cadre de ses investigations, la DCG a consulté un grand nombre de documents auprès de plusieurs services de la Confédération. Parmi ces documents, il paraît utile de citer: Documents des Archives fédérales ­

E 5564 Groupe renseignements et sécurité de l'Etat-major général: dossiers personnels de Peter Regli

­

AZ 004 Collaboration avec des Etats étrangers, 1985, E 5150 (C) 1998/108, volume 2

­

AZ 0321.04 Colonel Coetzee Philippus, Afrique du Sud, 1987, E 5001 (G) 1998/265, volume 13

­

AZ 322/119 Détachements et visites à l'étranger: Afrique du Sud, 1986­ 1987, E 5560 (D) 1997/160, volume 168

­

AZ 6480.001­122 Détachements d'officiers à l'étranger. Cas individuels, 1984, E 5001 (G) 1995/153, volumes 80­82

­

AZ 6480.001­161 Détachements d'officiers à l'étranger. Cas individuels, 1987, E 5001 (G) 1998/265, volumes 73­76

­

AZ 6480.001­6480.127 Détachements d'officiers à l'étranger. Cas individuels, 1985, E 5001 (G) 1996/367, volumes 74­77

­

AZ 6480.001­6480.143 Détachements d'officiers à l'étranger. Cas individuels, 1986, E 5001 (G) 1996/368, volumes 83­86

­

AZ 6480.001­6480.48 Détachements d'officiers à l'étranger. Cas individuels, 1988, E 5001 (G) 1998/266, volumes 77­78

­

AZ 6480.001­6480.52 Détachements d'officiers à l'étranger. Cas individuels, 1989, E 5001 (G) 1998/267, volumes 65­66

­

AZ 6481.03 Officiers provenant d'Afrique du Sud, 1982, E 5001 (G) 1994/118, volume 65

­

AZ 6481.11 Visite de deux colonels sud-africains, 1987, E 5011 (G) 1998/265, volume 77

­

Archives du consulat général de Suisse à Windhoek (Namibie) pour la période 1989­1992

­

E 5001 (G) 1982/12, 1982/121, AZ 793.30

­

E 5001 (G) 1982/12, AZ 793.10 et AZ 793.21

­

E 5001 (G) 1992/71, AZ 79.01, AZ 79.10 et AZ 793.03

­

E 5560 (D) 1996/188, AZ 137.1

­

E 5001 (G) 1996/367, AZ 79.1, AZ 79.2 et AZ 793.3

­

E 5001 (G) 1996/368, AZ 79.4, AZ 793.02 et AZ 793.06 2237

­

E 5001 (G) 1998/266, AZ 6481.07

­

E 5001 (G) 1998/267, AZ 793.06

­

E 5560 (D) 1997/160, volume 186

­

E 2010 (A) 1996/397, volume 119

Documents du DDPS ­

Intégralité des procès-verbaux encore existants des séances de direction du DDPS qui présentent un rapport avec l'Afrique du Sud

­

Intégralité des procès-verbaux encore existants qui relatent les activités du GRS, du Gr rens et de la SRADCA en rapport avec l'Afrique du Sud et l'Angola (procès-verbaux des rencontres entre chefs des services de renseignement et procès-verbaux des rencontres entre spécialistes du renseignement)

­

Intégralité des documents encore existants de la section du Protocole militaire sur les visites effectuées par des militaires suisses en Afrique du Sud ou par des militaires sud-africains en Suisse (une liste détaillée n'existe qu'à partir de 1994; les documents concernant l'Afrique du Sud ne sont disponibles qu'à partir de 1996; les visites effectuées sous couvert des services de renseignement ne sont pas recensées)

­

Intégralité des documents encore existants sur la correspondance échangée par le DDPS avec les attachés de défense sud-africains accrédités en Suisse

­

Décomptes de frais et pièces comptables du GRS et du Gr rens (les documents comptables sont disponibles à partir de 1985, les décomptes individuels uniquement à partir de 1996)

­

Listes d'inventaire du SRS sur l'ensemble des documents archivés encore disponibles

­

Intégralité des documents encore existants sur l'accord passé en 1983 entre la Suisse et la République d'Afrique du Sud sur la protection réciproque des informations classifiées

­

Intégralité des documents relatifs à l'acquisition de deux missiles SA-18

Documents du Ministère public de la Confédération ­

Documents sur la procédure d'enquête contre A. B.

­

Documents de la procédure d'enquête du Ministère public du district de Zurich contre Wouter Basson (1993 et 1994)

­

Documents de la procédure d'enquête du Ministère public du district de Pfäffikon (canton de Zurich) en relation avec la découverte d'uranium à Kemptthal (1993 et 1994)

­

Documents concernant l'entraide judiciaire accordée par la Suisse à l'Afrique du Sud dans le cadre du procès contre Wouter Basson (1997)

2238

­

Procès-verbaux des auditions du Ministère public de la Confédération et de la Police judiciaire fédérale dans la procédure d'enquête judiciaire ouverte en Suisse contre inconnu pour exportation et transit prohibés de marchandises stratégiques (y compris documents sur les différents examens effectués)

­

Procès-verbaux des auditions effectuées par le Ministère public de la Confédération en Afrique du Sud en mars 2002 sur la base d'une demande d'entraide judiciaire: ­ Général D. P. Niel Knobel (incorporé dans le service sanitaire depuis 1981; général des affaires sanitaires de l'armée et chef du projet «Coast» de 1988 à 1995; retraité depuis 1997); ­ Général Lothar Neethling (1971 à 1985 chef du laboratoire de police scientifique sud-africain; 1985 à 1992 chef du département de police scientifique de la police sud-africaine; retraité depuis 1992); ­ Général Dirk Verbeek (1988 à 1994 suppléant du général C. P. Van der Westhuizen; 1994 à 1998 chef d'état-major renseignements des forces armées sud-africaines; retraité depuis 1998); ­ Général C. P. Van der Westhuizen (1991 à 1994 chef d'état-major renseignements des forces armées sud-africaines; retraité depuis 1994); ­ T. J. R. Viljoen (directeur d'Infladel; 1988 à 1990 directeur financier de Roodeplaat; travaille ensuite auprès du groupe d'entreprises Wisdom).

Documents du Service d'analyse et de prévention de l'Office fédéral de la police ­

Différents documents

Documents du DFAE ­

Différents documents choisis en relation avec l'Afrique du Sud

Documents émanant d'Afrique du Sud ­

Acte d'accusation et jugements dans le procès contre Wouter Basson

­

Documents transmis par le ministère public sud-africain et qui concernent le procès contre Wouter Basson (une grande partie des documents concerne les transactions financières de Wouter Basson ainsi que ses activités au sein de Medchem SA)

­

Rapport de la Commission Vérité et Réconciliation

Documents émanant de personnes privées ­

Différents documents

Documents de la Délégation des commissions de gestion des Chambres fédérales ­

Documents et procès-verbaux de l'enquête menée en 1999

2239

Annexe 3

Liste des rapports sur lesquels la DCG s'est appuyée ou dont elle a demandé la communication Pour ses travaux, la DCG s'est appuyée en particulier sur les rapports officiels suivants: ­

Rapport du chef de l'état-major général «Collaboration des services de renseignement avec des services étrangers», septembre 1991 (seulement en allemand)

­

Rapport du professeur A. Heyndrickx sur les examens effectués auprès de victimes d'attaques chimiques en Angola, mars 1988 (seulement en anglais avec annexes en portugais et en français)

­

Rapport du groupe de travail interdépartemental Suisse/Afrique du Sud «Les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud», juillet 1999

­

Rapport du Service de renseignement stratégique du Groupe des renseignements «De la collaboration avec des services de renseignement étrangers», juin 1999 (seulement en allemand)

­

Rapport du Service de renseignement stratégique du Groupe des renseignements «Des relations avec l'Afrique du Sud en matière de renseignements», juin 1999 (seulement en allemand)

­

Rapport du Service historique du DFAE «Suisse ­ Afrique du Sud, recueil des interventions parlementaires (1948­2000)», octobre 2000

­

Rapport du Service historique du DFAE et des Archives fédérales suisses «Suisse ­ Afrique du Sud (1948­1994), fonds d'archives et interventions parlementaires», 2000

­

Rapport du secrétaire général du DDPS «Enquête préliminaire au DDPS: Suisse ­ Afrique du Sud, contacts des services de renseignement, archivage et destruction de documents», octobre 2001 (seulement en allemand)

­

Rapport du sous-chef d'état-major des affaires sanitaires et médecin en chef de l'armée «Contacts de médecins militaires suisses avec leurs homologues d'Afrique du Sud», mars 2002 (seulement en allemand)

­

Bulletin du Programme national de recherche PNR 42+ «Les relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud», octobre 2002

­

Rapport final de l'enquête administrative dans l'affaire «Service de renseignement/Afrique du Sud», décembre 2002

La DCG a en outre demandé la communication des documents suivants: ­

2240

Liste établie par le Service de renseignement stratégique «Contacts avec l'Afrique du Sud; décomptes des dépenses à la charge du budget du GRS, du Gr rens et du SRS», avril 2002 (seulement en allemand)

­

Liste établie par le Service de renseignement stratégique «Contacts des services de renseignement avec l'Afrique du Sud», octobre 2002 (seulement en allemand)

­

Rapport de la Bibliothèque militaire fédérale «Aspects des contacts en matière militaire et de renseignements entre l'Afrique du Sud et les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Israël, l'Argentine, le Portugal, l'Union soviétique, Cuba, la Belgique et la France à l'époque de l'apartheid», novembre 2002 (seulement en allemand)

­

Rapport de la Bibliothèque militaire fédérale «Aspects des contacts entre certains pays occidentaux et l'Afrique du Sud en matière d'armement: modalités de contournement de l'embargo des Nations Unies sur la livraison de matériel militaire au temps de l'apartheid», décembre 2002

­

Rapport du Service historique du DFAE «Pratique suivie par le DFAE en matière d'accès à ses dossiers portant sur les relations de la Suisse avec l'Afrique du Sud», janvier 2003

­

Rapport de la Bibliothèque militaire fédérale «Collaboration de l'Afrique du Sud avec d'autres pays en matière d'armement, présentée à partir de quelques programmes d'armes importants», février 2003 (seulement en allemand)

2241

Annexe 4

Ordonnance sur l'organisation du renseignement au sein du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (Extrait de l'ordonnance sur le renseignement, ORens)

Art. 1

Articulation du renseignement

Le renseignement, au sein du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), comprend: a.

le Renseignement stratégique (RS);

b.

le Renseignement militaire (RM);

c.

le Renseignement des Forces aériennes (RFA).

Art. 2

Renseignement stratégique

Le RS gère les activités de renseignement permanentes en rapport avec l'étranger.

En étroite collaboration avec d'autres services fédéraux, il recueille les informations importantes pour la sécurité de la Confédération à l'intention des autorités politiques et du commandement militaire; il exploite ces informations et les diffuse.

Art. 3 1

Renseignement militaire

Le RM gère les activités de renseignement sur les plans opératif et tactique.

Il travaille en collaboration étroite avec le RS ainsi qu'avec les services fédéraux et cantonaux, pour le compte du commandement de l'armée, de la troupe et des autorités responsables.

2

Lorsque l'armée intervient à l'étranger, il gère, en accord avec le RS, les activités de renseignement en rapport avec le secteur d'engagement.

3

Art. 4

Renseignement des Forces aériennes

Le RFA gère les activités de renseignement sur les plans opératif, tactique et technique dans la perspective de l'engagement des Forces aériennes. Il recueille en outre, dans les domaines d'intérêt de l'armée, les informations qui sont indispensables à cette dernière pour remplir sa mission; il exploite ces informations et les transmet au RM.

2242

Art. 5

Collaboration avec les organes civils en Suisse

Lors d'engagements de l'armée, le chef de l'état-major général règle au cas par cas les modalités de la collaboration des organes du renseignement de l'armée avec les autorités civiles; il fixe le cadre de cette collaboration, notamment en ce qui concerne les données personnelles, y compris les données sensibles et les profils de la personnalité.

Art. 6

Collaboration avec les services étrangers

L'entretien de contacts réguliers avec l'étranger est soumis à l'approbation du Conseil fédéral.

1

Le RS assure les liaisons nécessaires avec les services étrangers. Il peut échanger avec eux des informations si cela est nécessaire à la sécurité de la Confédération, ou si la loi ou un traité international l'y oblige.

2

3

Les contacts du RM avec les services étrangers se font par l'intermédiaire du RS.

Les contacts du RFA avec l'étranger se limitent aux échanges techniques avec des services équivalents.

4

Art. 7

Obligation d'informer

Les services de l'administration fédérale transmettent les informations relevant de la politique de sécurité concernant l'étranger au RS, dans la mesure où:

1

a.

elles sont importantes pour la sécurité de la Confédération, pour la situation en matière de sécurité dans une perspective stratégique ou pour les intérêts de la Suisse à l'étranger;

b.

elles peuvent être transmises conformément à la loi et aux traités internationaux;

c.

les informations ne proviennent pas de services s'occupant d'aide humanitaire ou d'aide à l'étranger.

Les services fédéraux et cantonaux transmettent au RM toutes les informations relatives à une menace ou à l'environnement intéressant l'armée, et qui sont susceptibles d'entraîner ou d'affecter un engagement de l'armée.

2

Art. 8

Traitement des données personnelles

Le RS peut traiter des données personnelles, y compris des données sensibles et des profils de la personnalité pour:

1

a.

protéger ses collaborateurs, ses installations, son matériel ou ses sources contre des menées subversives ou contre les activités de services secrets;

b.

vérifier les accès aux renseignements qui lui sont nécessaires pour remplir sa mission;

c.

reconnaître, parmi les événements survenus à l'étranger, ceux qui sont importants pour la politique de sécurité de la Suisse.

2243

Le RM peut traiter les données personnelles, y compris les données sensibles et les profils de la personnalité, nécessaires à un engagement de l'armée pour:

2

a.

protéger des militaires, ses collaborateurs, ses installations, son matériel ou ses sources contre des menées subversives ou contre les activités de services secrets;

b.

vérifier les accès aux renseignements qui lui sont nécessaires pour remplir sa mission.

Les fichiers du renseignement ne doivent pas être inscrits dans le registre des fichiers prévu à l'art. 11 de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données2 si cela risque de compromettre la collecte d'informations. Le renseignement fournit au préposé fédéral à la protection des données des informations générales sur les fichiers en question.

3

Art. 9

Protection et sécurité

Le renseignement peut, dans le cadre de ses attributions, prendre des mesures destinées à garantir la protection et la sécurité des personnes, des informations et des ouvrages.

Art. 10

Information

Le chef du DDPS informe régulièrement le Conseil fédéral sur les activités du renseignement.

2244

Annexe 5

Le rôle des services de renseignement suisses dans le cadre des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud (Extraits du rapport de la DCG du 12 novembre 1999) En 1999, la DCG avait concentré ses efforts sur deux groupes de questions: 1.

2.

Quels ont été les contacts des services de renseignement suisses, et de leur chef en particulier, avec des représentants du régime de l'apartheid en Afrique du Sud?

Des représentants du Groupement de l'armement ou des services de renseignement ont-ils, de quelque manière que ce soit, participé aux tentatives du régime de l'apartheid sud-africain visant à constituer un arsenal d'armes biologiques ou chimiques?

Dans son rapport du 12 novembre 1999 (FF 2000 505), la DCG avait fait les appréciations suivantes: «1.

Au sujet de l'organisation et des tâches des services de renseignement suisses Il importe de procéder d'urgence à une réorganisation de l'ensemble des opérations d'acquisition et d'analyse des renseignements dans le sens préconisé par les interventions parlementaires telles qu'elles ont été adoptées. Compte tenu de la situation politique radicalement nouvelle engendrée par la fin de la «guerre froide» et l'émergence des nouvelles formes de menace, la priorité absolue doit être accordée à la réorganisation des services du renseignement civil et militaire. L'organisation et les structures du Groupe de renseignement doivent être adaptées à la nouvelle donne. Il convient d'examiner s'il y a lieu de maintenir le système actuel de chevauchement des autorités civiles et militaires, ou bien si les besoins du Parlement, du gouvernement et de l'administration en renseignements ­ besoins qui depuis longtemps n'ont plus pour seule toile de fond des menaces de nature policière ou militaire ­ ne pourront pas être mieux couverts grâce à une structure d'organisation uniforme. En outre, il est nécessaire, pour l'acquisition et l'analyse de renseignements qui ont une incidence sur la sécurité, que les autorités politiques compétentes en la matière mettent d'urgence au point un mandat de prestations clair. Compte tenu de la nouvelle forme que prennent les menaces, il ne peut plus être longtemps du seul devoir du Groupe des renseignements lui-même ou, le cas échéant, du Département dont il dépend, de déterminer les points forts qui régiront les opérations d'acquisition et d'évaluation de l'information.

C'est bien au Conseil fédéral en sa qualité d'autorité suprême de direction de la Confédération que doit incomber la tâche centrale de gérer et de contrôler les opérations de renseignements de l'Etat (voir recommandation 1).

2.

Au sujet des rapports entretenus par les services de renseignement suisses avec les pays étrangers en général Il conviendra d'examiner, dans le cadre de la réorganisation des opérations menées par l'Etat en matière d'acquisition et d'analyse des renseignements, de quelle manière appropriée on pourra tenir compte de la primauté du pouvoir politique dans le secteur du renseignement. L'établissement de contacts avec l'étranger et leur entretien ne doivent plus relever du bon vouloir du Groupe des renseignements. Il convient, au contraire, d'assurer grâce à des instructions et à des contrôles, qu'outre les aspects qui relèvent des services de renseignement les autres intérêts du pays sont compris dans l'évaluation (voir recommandation 1).

2245

3.

31

Au sujet des contacts avec l'étranger et avec l'Afrique du Sud en particulier Contacts avec les services de renseignement sud-africains La décision de détruire les procès-verbaux relatifs aux rencontres de travail et aux entretiens entre spécialistes du service des renseignements a été prise par le sous-chef d'état-major des renseignements de sa propre autorité d'entente avec le chef de l'étatmajor général. Il apparaît que cette question n'a jamais été soumise au Département pour avis; celui-ci n'a d'ailleurs pas soulevé d'objections à ce sujet.

D'après les règles qui sont généralement admises aujourd'hui, la décision de détruire des dossiers officiels ne relève pas du service administratif concerné mais des Archives fédérales. L'art. 6 de la loi fédérale sur les archives ­ qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1999 ­ prévoit que les services de l'administration offrent aux Archives fédérales tous les documents dont ils n'ont plus besoin en permanence dans la mesure où lesdits services ne sont pas eux-mêmes compétents pour l'archivage. D'après l'art. 8 de la loi, les documents qui sont soumis à «l'obligation de proposer» ne peuvent pas être détruits sans l'autorisation des Archives fédérales. Il incombera éventuellement au Conseil fédéral de prévoir, par voie d'ordonnance en application des principes régis dans la loi, d'éventuelles restrictions quant au droit de consultation, afin de tenir compte des impératifs de protection du secret dans les cas relevant spécifiquement du Groupe des renseignements (voir recommandation 4).

32

Importance des contacts avec le service de renseignement sud-africain Le fait que le Département n'ait pas émis son propre avis sur l'importance et sur les implications politiques des contacts avec l'Afrique du Sud à l'époque du régime de l'apartheid est justement symptomatique de l'absence d'un contrôle politique des contacts pris à l'étranger. Le Département a laissé au divisionnaire Peter Regli le soin de répondre à cette question essentielle en sa qualité de sous-chef d'état-major des renseignements et a renoncé à fournir un avis qui lui était propre. Le divisionnaire Regli explique par ailleurs que les responsables actuels du Groupe des renseignements ne peuvent pas répondre à la question sur la dimension politique des relations avec l'Afrique du Sud. Il faut en déduire qu'aucune discussion à ce sujet n'a été menée à l'intérieur du Groupe des renseignements et que même le Département n'a pas vu l'utilité d'assumer une responsabilité politique de direction à ce sujet.

Il ne saurait être du devoir de la DCG d'examiner le contenu matériel des informations recueillies en Afrique du Sud, ni même de porter un jugement final à leur sujet; au vu des enquêtes qui ont été menées, elle n'est d'ailleurs pas en mesure de le faire. La DCG doit donc s'en tenir aux réponses fournies par le sous-chef d'état-major des renseignements. Après que le Département eut alors également renoncé à fournir une réponse de son propre chef à ce sujet, la Délégation est amenée à conclure, concernant au moins ce point, qu'aucun contrôle de suivi à l'intérieur du Département n'a été effectué; elle doit conclure aussi que l'ampleur et l'utilité des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud dans le domaine du renseignement n'ont fait l'objet ni d'une question ni d'une réponse quant à leur portée politique.

33

Jürg Jacomet en tant qu'intermédiaire À défaut de documents écrits provenant des différents contacts et étant donné que Jürg Jacomet est décédé entre-temps, les rapports entre le divisionnaire Peter Regli et Jürg Jacomet n'ont pu être analysés que de manière fragmentaire. Les investigations menées ont cependant montré de la manière la plus nette que le comportement de «collaborateurs indépendants» peut être, le cas échéant, extrêmement compromettant pour le service du renseignement en tant que tel. Il est donc d'une urgente nécessité d'émettre des instructions claires qui définissent de manière exhaustive les critères concernant la sélection, les instructions et la surveillance d'informateurs et de collaborateurs informels du service des renseignements (voir recommandation 3).

2246

34

Contacts avec Lothar Neethling, Wouter Basson et Lien Knobel Tout porte à croire que Jürg Jacomet a manifestement abusé du divisionnaire Peter Regli à l'occasion de l'unique contact avec Lothar Neethling et Wouter Basson et que le divisionnaire Regli a fait preuve d'un trop grand empressement en recevant des représentants d'un Etat étranger dans son bureau au Palais fédéral à Berne pour une visite de courtoisie. Il faut néanmoins souligner que ni Lothar Neethling ni Wouter Basson n'étaient des collaborateurs du service secret sud-africain avec lesquels le Groupe des renseignements suisse entretenait des contacts normaux. Il aurait donc sans aucun doute été indiqué que les motifs de Jürg Jacomet et des interlocuteurs étrangers soient examinés de plus près. La simple confiance ne saurait remplacer une enquête minutieuse.

35

Contacts de la Police fédérale avec les services secrets sud-africains Le comportement de la Police fédérale n'appelle aucune remarque.

4.

41

Prétendue participation du Laboratoire AC de Spiez aux projets sud-africains de développement d'armes biologiques et chimiques Contacts avec Lothar Neethling et Wouter Basson Sur la base de ses investigations, la DCG est convaincue qu'il doit y avoir eu deux rencontres en Suisse: l'une à Berne et l'autre à Lucerne. Des représentants du Laboratoire AC de Spiez ont participé à la première rencontre qui a eu lieu à Berne. En revanche, la seconde rencontre qui a probablement eu lieu à Lucerne, a sans doute été organisée par Jürg Jacomet, à l'insu des autorités suisses. Il n'est pas seulement possible, mais très probable que la course de Spiez à Lucerne décrite par André Jacomet n'était qu'une simple mise en scène, quel qu'en soit l'auteur, destinée à conforter Lothar Neethling et Wouter Basson dans leur idée qu'ils étaient en contact avec le Laboratoire AC.

La direction du Laboratoire AC de Spiez avait adopté un comportement extrêmement réservé à l'égard de Lothar Neethling et de Wouter Basson. Même si elle est entrée en matière dans la discussion technique ­ supposément organisée sur instigation de la SRADCA ­ elle n'a pas livré la moindre information qui relève de la sécurité ou qui soit compromettante. Même si l'on ne sait qu'aujourd'hui quelles étaient les intentions des interlocuteurs sud-africains de l'époque, la démarche du Laboratoire AC de Spiez a été empreinte dès le début de méfiance, un comportement qui s'est avéré par la suite parfaitement justifié. L'attitude adoptée à l'époque par AC de Spiez n'appelle pas d'objections.

Cet exemple montre une fois de plus le problème de l'absence de sensibilité politique et de contrôle sur le Groupe des renseignements. Ni Lothar Neethling ni Wouter Basson n'étaient des agents du service secret sud-africain; dans la note de procèsverbal, les deux interlocuteurs étaient désignés comme étant des représentants de la police sud-africaine et de la commission de défense d'Afrique du Sud. Malgré cela, leur fonction n'a pas fait l'objet de recherches plus précises auprès de l'Etat sudafricain et aucune réflexion n'avait été menée sur l'opportunité d'un tel contact sur le plan politique. Une question reste néanmoins à poser: dans une situation aussi délicate, n'aurait-on pas pu attendre du sous-chef d'état-major des renseignements qu'il se mette en rapport
auparavant avec les instances politiques responsables?

Mais la rencontre avec Lothar Neethling et Wouter Basson démontre en outre aussi de manière patente le problème des insuffisances dans la sélection et le contrôle des personnes collaborant de manière informelle au sein du Groupe des renseignements.

Quand bien même Jürg Jacomet n'était investi d'aucune fonction au sein du Groupe des renseignements, il a réussi non seulement à lancer l'idée de l'entretien technique mais aussi à y participer personnellement, et, de surcroît, en tant que présumé représentant de la SRADCA (voir recommandations 1 et 3).

42

Contacts avec la société Protechnik Laboratoires LTD La protection contre les armes biologiques et chimiques fait partie des tâches principales du Laboratoire AC de Spiez. Une collaboration internationale dans ce domaine n'appelle donc pas la moindre remarque.

2247

5.

Au sujet de la prétendue livraison en Afrique du Sud d'un synthétiseur de peptides par le Laboratoire AC de Spiez

51

Demande d'entraide judiciaire du ministère public sud-africain Les investigations de la délégation ont montré que la transaction prétendue par Wouter Basson n'a jamais eu lieu. Le Laboratoire AC de Spiez n'a jamais fait de demande pour un synthétiseur de peptides; il n'en a jamais acquis, ni pris en leasing, ni reçu. Il n'a livré ni instrument de ce type, ni produits chimiques de quelque nature que ce soit à l'Afrique du Sud.

52

Enquête pénale du Ministère public du district de Zurich Le 21 juillet 1997, dans le but d'élucider ces transactions financières, le Ministère sud-africain de la justice a déposé une nouvelle demande d'entraide judiciaire auprès de la Suisse. Dans cette nouvelle requête, les flux financiers dont il est question sont confirmés pour l'essentiel, si bien qu'aucune raison ne justifie qu'il faille douter des déclarations faites par Wouter Basson et Jürg Jacomet devant le procureur du district de Zurich.

Concernant Jürg Jacomet, la demande d'entraide judiciaire mentionnée contient certes l'indication selon laquelle «il se serait prétendument mis au service des services secrets suisses». Mais en dehors de cela il n'existe aucun indice démontrant que le service de renseignement aurait pu être impliqué d'une quelconque manière dans les affaires d'escroquerie. On peut donc admettre de bonne foi que l'acquisition présumée d'un synthétiseur de peptide n'a été qu'une affirmation de parade invoquée par Wouter Basson pour masquer ses délits financiers.

En rapport avec la procédure dirigée par le Ministère public du district de Zurich, les médias ont également suspecté le divisionnaire Peter Regli d'avoir contribué de manière déterminante à la libération de Wouter Basson, ce que réfute le divisionnaire Regli. Les documents correspondants ne comportent aucun indice permettant d'accorder du crédit à ces rumeurs.

6.

Au sujet de la découverte d'uranium Même si cet événement éclaire les rapports entre le divisionnaire Peter Regli et Jürg Jacomet, il n'est en revanche pas directement lié aux rapports entre la Suisse et l'Afrique du Sud. La DCG a donc renoncé à chercher de nouvelles explications à ce sujet.

7.

Au sujet de l'avion du CICR abattu en Angola En relation avec cette affaire, les médias ont cité Edouard Brunner («äusserst penible Geschichte») et Urs Boegli, le porte-parole du CICR («wir waren perplex»). En outre, la centrale genevoise de la Croix-Rouge indique avoir «vivement» protesté auprès du Département politique (aujourd'hui Département fédéral des affaires étrangères, DFAE) à Berne; ce dernier a ouvert une enquête sur cet incident.

Entre-temps, la DCG a demandé au Département fédéral des affaires étrangères de lui produire le rapport relaté dans les médias. Dans une lettre du 23 septembre 1999, le DFAE a répondu à la délégation qu'il n'était pas en mesure de retrouver ce document.

8.

Appréciation globale En conclusion, les questions posées au début appellent les réponses suivantes: 1. Après une enquête approfondie, la DCG estime qu'à l'époque de la «guerre froide», le Groupe des renseignements suisse a utilisé à juste titre le remarquable potentiel d'informations qui s'offrait à lui grâce aux contacts avec les services sud-africains présents sur l'un des fronts politiques les plus importants du monde. Il n'existe aucun indice selon lequel l'acquisition d'informations se serait effectuée avec des moyens illégaux ou en violation d'instructions existantes.

2248

2.

Au vu des investigations menées par la DCG, le reproche fait par les médias selon lequel le Groupe des renseignements, et notamment son chef le divisionnaire Peter Regli, auraient pris part à la mise en place du projet secret d'armes biologiques et chimiques en Afrique du Sud est sans fondement. Les allégations selon lesquelles le divisionnaire Peter Regli aurait participé à la conception ou aurait même apporté son soutien à ce projet d'armes sont dénuées de tout fondement. Il est tout aussi inexact que le chef du Groupe des renseignements aurait «entretenu des contacts» avec le chef du projet secret d'Afrique du Sud. Seule la visite dans le bureau du divisionnaire Peter Regli au Palais fédéral, visite arrangée par Jürg Jacomet, peut être prouvée.

En revanche, un objet d'insatisfaction pour la DCG réside dans le fait que le Groupe des renseignements a pu agir à une époque non dépourvue de dangers sur un front sensible au niveau de l'information sans recevoir de directives et sans être soumis à une quelconque direction de la part des autorités politiquement responsables.

Le rôle de Jürg Jacomet est également problématique aux yeux de la DCG.

Pendant des années, Jacomet a pu manifestement passer, sans en être empêché, pour un collaborateur du Groupe des renseignements. À cet égard, on ne peut s'empêcher de reprocher au chef du Groupe des renseignements d'avoir accordé trop peu d'importance à la sélection, à l'instruction et à la surveillance d'une personne collaborant de manière informelle, de lui avoir fait confiance de manière trop crédule et de ne pas avoir percé à jour le double jeu de Jürg Jacomet.

Le Laboratoire AC de Spiez s'est comporté de manière très réservée, voire même exemplaire, face aux tentatives des milieux sud-africains d'obtenir des résultats de travaux de recherche suisses. Il ne saurait être question d'une participation active ou même passive de ce service internationalement réputé à un projet secret d'armes sud-africain. Au contraire: le Laboratoire AC de Spiez avait pour objectif, et la preuve est faite que cet objectif est maintenu, de protéger la population des dangers des armes biologiques et chimiques et non de promouvoir ces armes.»

Se fondant sur ces constatations, la DCG a soumis les recommandations suivantes au Conseil fédéral dans son rapport du 12 novembre 1999: «1.

Primauté de la politique Le Conseil fédéral décide, concernant le domaine du renseignement, les modalités selon lesquelles les contacts réguliers avec l'étranger sont créés, maintenus et contrôlés.

2.

Réorganisation du service étatique d'acquisition de renseignements Dès que possible, le Conseil fédéral réorganise les services du renseignement en conformité avec les conclusions du présent rapport et tient compte des interventions parlementaires et des résultats d'autres enquêtes et études.

3.

Instructions à l'intention des informateurs et des personnes collaborant de manière informelle au service du renseignement Le Conseil fédéral émet des instructions stipulant des critères clairs concernant la sélection, l'instruction et la surveillance d'informateurs et de personnes collaborant de manière informelle au service du renseignement.

4.

Exécution de la loi sur l'archivage Le Conseil fédéral veille à l'exécution de la loi du 26 juin 1998 sur l'archivage. Il prévoit, par voie d'ordonnance, les éventuelles restrictions au droit de consulter et tient ainsi compte de l'impératif de protéger les intérêts liés au maintien du secret, intérêts qui sont spécifiques au domaine du renseignement.»

2249

Table des matières L'essentiel en bref

2102

1 Situation initiale

2107

2 Enquêtes précédentes au sujet des relations entre la Suisse et l'Afrique du Sud 2.1 Interventions parlementaires et enquêtes internes à l'administration 2.2 Enquêtes précédentes de la DCG 2.2.1 Echanges de pilotes avec l'Afrique du Sud (1993) 2.2.2 Prétendue participation lors de l'acquisition d'armes chimiques (1997) 2.2.3 Le rôle des services de renseignement suisses (1999) 3 Nouvelles investigations entreprises par la DCG 3.1 Motifs à l'origine des nouvelles investigations entreprises par la DCG 3.2 Compétences de la DCG 3.3 Limitation du champ de l'enquête 3.4 Approche méthodique 3.4.1 Auditions et documents consultés 3.4.2 Rapports officiels 3.4.3 Avis de droit 3.4.4 Investigations sur le territoire sud-africain 3.4.5 Recours à un expert 3.4.6 Adoption du rapport 4 Mission générale et organisation du renseignement au sein du DMF/DDPS 4.1 Remarque préliminaire 4.2 Bases légales 4.3 Structure, organisation et délimitation des services de renseignement 4.3.1 Structure générale et délimitation 4.3.2 Direction politique et définition des besoins en matière de renseignement 4.3.3 Les moyens du Service de renseignement stratégique 4.3.3.1 Acquisition de renseignements en général 4.3.3.2 Sources et informateurs externes 4.3.3.3 Officiers de milice 4.3.3.4 «Refuges» 4.3.3.5 Décomptes de frais 4.3.4 Collaboration des services de renseignement suisses avec des services étrangers 4.3.5 Contacts de l'armée suisse avec l'étranger 4.3.6 Procès-verbaux des rencontres et entretiens 4.3.7 Gestion et archivage des dossiers

2250

2107 2107 2109 2109 2110 2110 2111 2111 2112 2113 2113 2114 2114 2114 2115 2115 2116 2116 2116 2116 2117 2117 2123 2124 2124 2125 2126 2126 2127 2128 2128 2129 2130

5 Environnement politique de l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid 5.1 Evolution politique de l'Afrique du Sud et résolutions de l'ONU 5.2 Position officielle de la Suisse 5.3 Exportation de matériel de guerre

2133 2133 2135 2135

6 La collaboration avec le renseignement militaire sud-africain 6.1 Le renseignement militaire sud-africain 6.2 Instauration de contacts réguliers avec le renseignement militaire sud-africain 6.3 Politique extérieure de la Suisse et contacts du GRS puis du Gr rens à des fins de renseignement 6.3.1 Position du DFAE 6.3.2 Contacts avec l'Afrique du Sud sans entente préalable avec le chef du DMF 6.3.3 Interventions du DFAE 6.3.3.1 Consultation irrégulière du DFAE et absence de dossiers 6.3.3.2 Première intervention documentée du DFAE en octobre 1986 6.3.3.3 Seconde intervention du DFAE en mai 1987 6.3.3.4 Rencontres fortuites en Afrique du Sud 6.3.3.5 Intervention de la Direction du DMF 6.3.3.6 Consultation du DFAE sciemment évitée 6.4 L'étendue effective des contacts du GRS et du Gr rens avec l'Afrique du Sud 6.5 Les contacts du GRS et du Gr rens avec l'UNITA 6.6 Convention de protection des informations 6.6.1 En général 6.6.2 Convention de protection des informations avec l'Afrique du Sud 6.6.3 Controverse au sujet d'un prétendu accord d'échange d'informations avec l'Afrique du Sud 6.7 Contacts avec l'Afrique du Sud du point de vue du GRS et du Gr rens 6.8 Utilité apparente des contacts avec l'Afrique du Sud

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7 Contacts de médecins militaires suisses avec l'Afrique du Sud 7.1 Congrès international de médecine militaire 7.2 Mandat de l'ONU en Namibie 7.3 Contacts du Groupe des affaires sanitaires et du médecin en chef de l'armée suisse avec l'Afrique du Sud

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8 Peter Regli 8.1 Contacts de Peter Regli avec l'Afrique du Sud en général et avec Wouter Basson en particulier 8.2 Attitude de Peter Regli durant l'enquête et après avoir quitté ses fonctions

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9 Jürg Jacomet 9.1 Carrière professionnelle et militaire 9.2 Documents en possession des autorités suisses 9.3 «Journal» de Jürg Jacomet et autres informations sur sa personne 9.4 Jürg Jacomet le «marchand d'armes» 9.5 Contacts en Afrique australe 9.6 Jürg Jacomet en tant que source du GRS puis du Gr rens 9.6.1 Ampleur et mode de la collaboration 9.6.2 Appréciation des contacts de Jürg Jacomet par le GRS et le Gr rens ainsi que par le DFAE 9.7 Découverte d'uranium à Kemptthal 9.8 Henrik Thomsen 9.9 Otages du CICR au Liban

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10 Wouter Basson et le projet «Coast» 10.1 Délimitation de l'objet d'investigation 10.2 Procès Basson en Afrique du Sud 10.3 Rapports de Wouter Basson avec la Suisse 10.3.1 Remarques liminaires 10.3.2 Contacts avec Jürg Jacomet 10.3.3 Activités de Wouter Basson au sein de la société Medchem AG 10.3.4 Prétendues facilités douanières et d'entrée à l'aéroport de Zurich 10.3.5 Arrestation de Wouter Basson en Suisse 10.4 Contacts avec le GRS puis le Gr rens ainsi qu'avec Peter Regli 10.4.1 En général 10.4.2 Visite de courtoisie ou contacts réguliers?

10.4.3 Appel téléphonique après l'arrestation de Wouter Basson 10.4.4 Investigations ultérieures en Afrique du Sud 10.5 Contacts avec le Groupement de l'armement et le Laboratoire AC de Spiez 10.5.1 Visite de délégations sud-africaines au Laboratoire AC 10.5.2 Controverse au sujet du synthétiseur de peptides 10.5.3 Controverse concernant la livraison de Mandrax ou d'autres substances chimiques 10.5.3.1 Explications relatives aux substances en question 10.5.3.2 Swiss Namibia Ventures Ltd 10.5.3.3 Offre de quinezoline 10.5.3.4 Saisie de comprimés de méthaqualone 10.6 Contacts avec Huber & Suhner AG 10.6.1 Présentation des faits 10.6.2 Pas d'assistance de la part du Groupement de l'armement

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11 Acquisition de deux missiles sol-air SA-18 11.1 Présentation des faits 11.1.1 Déclarations des personnes concernées 11.1.2 Reconstitution à partir des documents 11.1.3 Digression: matériel saisi fourni par l'Afrique du Sud 11.2 Appréciations au sein du DDPS 11.3 Sort des missiles SA-18 11.3.1 Activités du Gr rens 11.3.2 Démontage au printemps 2002 12

Recours à un pilote du CICR pour l'acquisition d'informations en Angola

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13 Conclusions et recommandations 13.1 Instruments de surveillance des services de renseignement 13.2 Conduite politique et définition des besoins en matière de renseignement 13.3 Primauté du politique 13.4 Contrôle de l'efficacité et de la qualité 13.5 Prescriptions relatives au maintien du secret 13.6 Gestion et archivage des dossiers 13.7 Collaboration avec les sources et les informateurs 13.8 Projet «Coast» 13.9 Participation de l'administration à l'enquête de la DCG

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Suite de la procédure

Liste des abréviations

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Annexes: 1

Liste des personnes entendues

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2

Liste des documents consultés

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3

Liste des rapports sur lesquels la DCG s'est appuyée ou dont elle a demandé la communication

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4

Extrait de l'ordonnance sur le renseignement

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Extraits du rapport de la DCG du 12 novembre 1999

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