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FEUILLE FÉDÉRALE 94e année

Berne, le 12 novembre 1942

Volume I

Paraît, en règle générale, une semaine sur deux.

Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnements ou de remboursement.

Avis: 50 Centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi fédérale sur la concurrence déloyale.

(Du 3 novembre 1942.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un projet de loi sur la concurrence déloyale, avec le message suivant.

A. .

APERÇU HISTORIQUE

Nous vous avions déjà soumis, avec le message du 11 juin 1934 (FF 1934, II, 529), un projet de loi sur la concurrence illicite. Le Conseil des Etats, qui avait la priorité des débats, en a abordé l'examen la même année, dans sa session d'automne. L'affaire passa ensuite au Conseil national, qui en a délibéré dans sa session-d'automne de l'année 1935, puis elle occupa de nouveau le Conseil des Etats dans la session de janvier 1936 (1). Tandis que les deux conseils s'étaient assez facilement mis d'accord sur une grande partie du projet, ils se sont trouvés en profond désaccord sur certains points, notamment sur les cas de « dumping social », de soumissions faites au rabais dans les adjudications de travaux et d'avilissement des prix (art. 2, lettres e et h du projet, ou lettres /, h, i, d'après l'énumération adoptée par les conseils législatifs). La commission du Conseil national, qui siégea le 31 mars 1936, ne parvint pas non plus à trouver une solution concordante. En présence de ces divergences et vu que, peu après, furent entrepris les travaux préparatoires d'une revision des articles de la consti(!) BS: CE 1934, p. 318 à 353, 362 à 384; CN 1935, p. 291 à 298, 304 à 362; CE 1936, p. 36 à 75.

Feuille fédérale. 94e année. Vol. I.

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tution relatifs au domaine économique, -- travaux qui, par leur nature, devaient influencer le contenu d'une loi sur la concurrence déloyale, -- les délibérations en cours n'ont pas été poursuivies. Le 24 août 1939, la commission du Conseil national se réunit de nouveau et vota, sur la voie à suivre, la décision suivante: Le département de l'économie publique est invité à présenter à la commission un rapport complémentaire: 1. Sur les modifications à apporter au projet actuel en raison de la revision des articles économiques de la constitution; 2. Sur l'adjonction au susdit projet de dispositions relatives aux procédés déloyaux en affaires; 3. Sur la relation du code pénal suisse avec la législation sur la concurrence déloyale, notamment en ce qui concerne les sanctions de cette législation et leur suppression par suite de l'adoption du code pénal suisse.

La guerre étant survenue depuis, l'affaire passa temporairement à l'arrière-plan des délibérations parlementaires. Toutefois, le 30 avril 1941, l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail, sur mandat du département de l'économie publique, présenta le rapport complémentaire demandé.

En voici les conclusions: 1. Le projet doit être restreint à la lutte contre la concurrence déloyale au sens strict. Il ne devrait donc pas traiter de mesures de politique économique tendant à limiter la libre concurrence; de telles mesures devraient être renvoyées à la future législation qui aura pour objet d'assurer l'exécution des nouvelles dispositions constitutionnelles d'ordre économique. De plus, le projet ne doit régir que les faits communs à toutes les branches économiques, pour laisser aux associations le soin de régler, par la voie d'accords et de décisions ayant force obligatoire générale, les cas particuliers à certaines branches économiques. Une réserve doit donc être envisagée en faveur de l'application générale obligatoire de tels accords et décisions.

2. Le projet ne doit pas contenir de dispositions sur les procédés déloyaux en affaires; c'est là un objet qui relève uniquement des prescriptions de police et doit être abandonné à la législation cantonale.

3. Les dispositions pénales doivent être maintenues dans le projet, sans doute après avoir été soigneusement mises en concordance avec le code pénal suisse.

Vu ces conclusions,
la commission du Conseil national a estimé que le projet devrait être si profondément remanié qu'il n'y avait plus de raison d'en poursuivre l'examen. La commission du Conseil des Etats s'est ralliée à cette manière de voir. Dès lors, les deux conseils -- le Conseil national

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le 6 et le Conseil des Etats le 11 juin 1941 -- prirent conjointement la décision suivante ( 1 ): 1. La continuation de la discussion sur les divergences est sans intérêt car, vu l'incidence qu'ont sur le projet de loi les articles économiques de la constitution et le code pénal suisse, l'économie du projet doit être modifiée, même sur des articles ne donnant plus lieu à divergence.

Sous sa forme actuelle, le projet doit être repoussé.

2. Le Conseil fédéral est invité à présenter aux chambres un nouveau projet de loi tenant compte de cette situation.

Dans la suite, l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail, sur mandat du département de l'économie publique, élabora un nouveau projet qui tenait compte de la revision des articles économiques de la constitution et, surtout, dont les dispositions pénales concordaient avec le code pénal suisse. Au reste, l'office précité, autant qu'il l'a jugé possible, a calqué son nouveau projet sur celui du 11 juin 1934, en tenant compte des décisions prises, dans l'intervalle, par les conseils législatifs. Ce nouvel avantprojet fut soumis, avec des notes explicatives datées du 20 octobre 1941, au professeur Germann qui, sur mandat du Conseil fédéral, avait rédigé un mémoire, publié en 1927, concernant les travaux préparatoires à une législation fédérale sur l'artisanat et le commerce de détail et qui fit ensuite partie de la première commission d'experts instituée en 1930, pour donner son avis sur cette oeuvre législative. Le professeur Germann présenta son rapport avant la fin de l'année 1941; il y approuvait dans ses grandes lignes l'avant-projet, tout en proposant d'y apporter certaines modifications et additions. Sur quoi, le département de l'économie publique institua, le 4 février 1942, une nouvelle commission d'experts, ainsi composée: Le Dr G. Willi, directeur de l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne, en qualité de président; M. E. Béguin, député au Conseil des Etats, à Neuchâtel; le Dr P. Bolla, juge au Tribunal fédéral, à Lausanne ; le Dr A. Borei, sous-directeur de l'union suisse des paysans, à Brougg; le Dr H. Fritzsche, professeur à l'université de Zurich, à Zollikon; le Dr O. A. Germann, professeur à l'université de Baie, à Baie ; le Dr P. Gysler, conseiller national, président de l'union suisse des arts
et métiers, à Zurich; le Dr H. Herold, secrétaire du directoire de l'union suisse du commerce et de l'industrie, à Zurich; le Dr M. Holzer, chef de section à l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne; M. J. Huber, conseiller national, président du conseil de surveillance de l'union des sociétés suisses de consommation, à St-Gall; (!) BS: CN 1941, p. 101 à 103; CE 1941, p. 123 à 125.

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le Dr W. Hug, recteur de l'école des hautes études commerciales de St-Gall, à St-Gall; le Dr A. Iten, député au Conseil des Etats, président de l'union suisse des détaillants, à Zoug; le Dr A. Jann, secrétaire de l'association suisse des banquiers, à Baie; M. R. Jouvet, directeur de la chambre de commerce, à Genève; M. A. Lachenal, conseiller national et conseiller d'Etat, à Genève ; le Dr H. Morf, directeur du bureau fédéral de la propriété intellectuelle, à Berne; le Dr R. von Segesser, adjoint au directeur de la division de justice du département fédéral de justice et poh'ce, à Berne; le Dr A. Siegwart, professeur à l'université de Fribourg, à Fribourg; le Dr A. Vodoz, conseiller national et conseiller d'Etat, à Lausanne; le Dr H. Walder, conseiller national, à Zurich.

Secrétaire : Le Dr 0. A. Ziegler, juriste à l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail, à Berne.

La commission d'experts s'est, en principe, prononcée pour l'adoption de la loi envisagée. Elle a consacré quatre séances et une séance de souscommission, au cours de l'année 1942, à l'examen de l'avant-prejet de l'office de l'industrie, des arts et métiers et du travail. Ses délibérations l'ont conduite à approuver cet avant-projet dans ses grandes lignes, tout en y apportant de nombreuses innovations et modifications qui ne sont pas sans importance. Vu que les associations centrales intéressées étaient représentées dans la commission et que, de divers côtés, on attachait du prix à un prompt aboutissement des travaux, nous avons jugé inutile d'étendre la consultation à d'autres milieux, d'autant plus que nous avions pu, réserve faite de quelques modifications d'importance secondaire, accepter le projet, tel qu'il était issu des délibérations de la commission d'experts. Nous avons également pu reprendre, pour une bonne part, les opinions de la commission d'experts dans les chapitres de notre message intitulés « Idées générales dont procède le projet » (lettre'C) et « Remarques préliminaires sur les divers articles » (lettre E).

B.

DE LA NÉCESSITÉ D'UNE LOI FÉDÉRALE I.

En 1908, peu après l'adoption de l'article 34ter de la constitution, fut établi le programme d'une législation fédérale sur l'artisanat et le commerce de détail. Ce programme portait sur trois points principaux, à savoir: la protection des entreprises artisanales et commerciales (concurrence déloyale, liquidations et colportage, ventes à tempérament), la formation

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professionnelle, la protection des travailleurs de l'artisanat et du commerce de détail. Jusqu'à présent, il n'y a guère que le deuxième point de ce programme qui ait été exécuté; de là la loi fédérale, du 26 juin 1930 sur la formation professionnelle (1). Par suite de circonstances diverses, les autres points du programme n'ont pas encore trouvé de solution; les milieux intéressés continuent cependant à en réclamer l'exécution, notamment par l'adoption d'une loi sur la concurrence déloyale.

Aussi bien dans la première commission d'experts que dans les opinions exprimées sur le projet de cette commission -- projet publié en 1933 --, s'est affirmé maintes fois le désir de voir le plus tôt possible la concurrence déloyale réprimée par une loi fédérale. Cette aspiration a aussi trouvé écho au Parlement. C'est ainsi que le postulat Amstalden, accepté par le Conseil des Etats le 8 juin 1933 ( 2 ), demandait l'adoption de dispositions légales tendant en particulier: 2° A combattre sous toutes ses formes la concurrence illicite et déloyale, à sauvegarder les valeurs morales des classes moyennes et à protéger les intérêts légitimes des autres classes, notamment ceux de la clientèle.

Des vues analogues apparaissent dans le postulat Joss ( 3 ), accepté par le Conseil national le 14 juin 1933, et dont voici les termes, en tant qu'ils touchent l'objet qui nous occupe: Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu de prendre des mesures pour sauvegarder l'existence des petites entreprises. Les soussignés recommandent notamment: 3° De développer la législation sur le travail dans les arts et métiers et contre la concurrence déloyale.

C'est dans le sens de ces postulats que vous avez décidé, en l'absence de toute proposition contraire, d'aborder l'examen de notre premier projet du 11 juin 1934. Lorsque, plus tard, vous avez décidé de ne pas poursuivre vos délibérations sur cet objet, vous nous avez expressément invités à vous présenter un nouveau projet, en spécifiant que ce devrait être le plus tôt possible. La deuxième commission d'experts a également voté, à une grande majorité, une résolution préconisant une réglementation fédérale de la matière. Et la commission fédérale des arts et métiers s'est prononcée dans le même sens dans sa séance du 10 avril 1942 ; en concor(!) RO 48, 809.

( 2 ) BS: CE 1933, p. 163s.

( 3 ) BS: CN 1933, p. 314 s.

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dance avec une requête de l'union suisse des arts et métiers du 27 avril 1942, elle a insisté sur l'extrême urgence de cette réglementation (1).

f> II.

1. Actuellement, la protection de droit civil contre la concurrence déloyale est assurée en premier lieu par l'article 48 du code des obligations ( 2 ), dont voici la teneur: « Celui dont la clientèle est diminuée ou qui est menacé de la perdre par l'effet de publications erronées, ou d'autres procédés contraires aux règles de la bonne foi, peut actionner l'auteur de ces manoeuvres en cessation de celles-ci et lui demander, en cas de faute, la réparation du préjudice causé. » A cette protection s'ajoute celle de l'article 41 du code des obligations sur les actes illicites, des articles 28 du code civil ( 3 ) et 49 du code des obligations sur les droits de la personnalité, ainsi que celle des dispositions spéciales du code des obligations sur les raisons de commerce (art. 944 s.)

et des lois spéciales sur la protection de la propriété industrielle et commerciale.

Il s'est révélé, à l'expérience, que l'article 48 du code des obligations est, à bien des égards, insuffisant et incomplet. Cette disposition restreint la notion de concurrence déloyale aux cas où quelqu'un est atteint ou menacé dans la possession de sa clientèle; elle n'embrasse ni l'atteinte au crédit, ni l'atteinte aux autres bases de la capacité de concurrence ou leur mise en danger, par exemple, à la réputation professionnelle, aux sources d'approvisionnement ou à d'autres facteurs de la marche des affaires. C'est dire que l'article 48 est d'une portée trop restreinte, ce qui, étant donnée la variété des formes sous lesquelles s'exerce la concurrence, apparaît de plus en plus comme une lacune. De surcroît, les sanctions prévues par l'arti eie 48-- action en cessation des procédés déloyaux et, en cas de faute, action en réparation du dommage -- ne suffisent pas toujours. Ainsi la jurisprudence n'a admis qu'avec réticence et de façon isolée, par dérivation de l'action inscrite dans la loi pour faire cesser les procédés déloyaux, une action en cessation de l'atteinte portée au demandeur par un acte qui a déjà pris fin (ATF 67, II, 59) ; et elle ne l'a généralement admis que sous forme de demande de dommages-intérêts ou de réparation du tort moral, imposant donc au demandeur la preuve d'une faute imputable au défendeur (ATF 52, f 1 ) Voir à ce sujet notre rapport du 14 juillet 1942 sur le postulat du Conseil national relatif au renvoi
de la votation populaire sur la revision des articles économiques de la constitution, ainsi qu'à la protection des branches économiques menacées dans leur existence, FF 1942, 489 et 493.

( a ) RO 27, 321 et 53, 185.

( 3 ) RO 24, 245.

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II, 354). En outre, le droit actuel sur la concurrence déloyale, à la différence du droit sur les brevets d'invention, ne connaît pas d'action en restitution du gain, de sorte que celui qui s'est enrichi par un acte de concurrence déloyale peut conserver le fruit de ses agissements, alors que la partie lésée, dans l'hypothèse la plus défavorable, sort de l'aventure les mains vides. Enfin l'article 48 du code des obligations ne prévoit pas d'action en constatation du caractère illicite de l'acte de concurrence déloyale, bien que cette action réponde, sans nul doute, à un besoin. Dans certains cas, en effet, elle dispense le lésé de recourir à des moyens de défense plus complets, à moins qu'elle ne constitue son unique moyen de défense.

A vrai dire, le juge, guidé par le Tribunal fédéral, a comblé en partie les lacunes de la loi. Toutefois -- on ne doit pas l'oublier --, c'est non point la loi elle-même, mais seulement la jurisprudence qui accorde cette protection plus étendue. Il en découle un certain flottement dans la détermination des principes juridiques applicables, d'autant que cette jurisprudence n'est généralement pas connue des hommes d'affaires et, comme il s'agit d'un domaine de caractère spécial, ne l'est souvent pas non plus des juristes. Les autorités judiciaires elles-mêmes, surtout celles de première instance, n'en sont pas toujours suffisamment informées. Le besoin se fait donc sentir de sanctionner, dans une certaine limite, par une loi, les précieuses solutions de la-jurisprudence. Cela aurait pour effet, indépendamment d'avantages pratiques, de favoriser, si l'on peut dire, la démocratisation de notre droit sur la matière et d'en faciliter l'application par les tribunaux.

2. Le besoin d'une loi fédérale se fait encore sentir pour une autre raison, à savoir l'absence de prescriptions uniformes sur les mesures provisionnelles. On trouve des prescriptions de cet ordre dans les lois qui protègent la propriété industrielle et commerciale, mais elles font défaut dans le domaine de la concurrence déloyale, où elles seraient, pour le moins, tout aussi nécessaires. A l'heure actuelle, des mesures provisionnelles ne peuvent être ordonnées dans le domaine qui nous occupe qu'en vertu des dispositions cantonales sur la procédure. D'où il suit qu'on peut y recourir dans tel canton, tandis
qu'on ne le peut pas dans tel autre, ou, du moins, pas dans la même mesure. Ainsi que le montre un rapport présenté à la commission d'experts par le professeur Fritzsche, de l'université de Zurich, les prescriptions cantonales sont en tout cas très disparates et bon nombre d'entre elles sont impropres à assurer une protection suffisante. La Confédération est, sans nul doute, compétente pour légiférer sur ce point; en effet, puisqu'elle peut établir des règles de droit civil, elle peut aussi établir les règles de procédure civile nécessaires à l'application uniforme des précédentes. On a d'ailleurs déjà, à ce propos, l'exemple du code civil.

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3. Si, en 1934, la nécessité de dispositions pénales de droit fédéral se justifiait surtout par la diversité des législations pénales cantonales (message, FF 1934, II, 534), il n'en est plus de même depuis l'entrée en vigueur du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (1). Il importe, toutefois, de relever que les conseils législatifs n'ont inséré l'article 161 (concurrence déloyale) et l'article 162 (violation du secret de fabrication et du secret commercial) dans le code pénal qu'en l'absence d'une loi spéciale sur la concurrence déloyale. Ils n'en demeuraient pas moins d'avis que la répression des faits visés par les deux articles prérappelés serait plutôt l'affaire d'une loi spéciale. Le Conseil des Etats avait d'abord biffé ces deux articles (art.138 et 139 du projet du 23 juillet 1918.FF 1918,1V, 1s.), sous la réserve qu'une loi sur la Concurrence déloyale fût adoptée dans la suite ( 2 ). Le Conseil national, au contraire, les avait maintenus pendant toute la durée des délibérations portant sur les divergences, sous la réserve opposée, mais en admettant que, si le code pénal et une loi spéciale sur la concurrence déloyale étaient tous deux menés à chef, les faits de concurrence déloyale devraient, de préférence, être réprimés par la loi spéciale (3). Ce n'est qu'au printemps de 1937, lorsqu'il fut certain que le code pénal serait promulgué avant une loi spéciale sur la concurrence déloyale, que le Conseil des Etats adopta les deux articles précités, mais en envisageant alors déjà une disposition transitoire prévoyant leur suppression en raison de la future loi sur la concurrence déloyale ( 4 ).

Les conseils législatifs n'ont pas abordé, sur le fond, l'examen des délits de concurrence inscrits dans le projet de code pénal, parce qu'on savait dès le début -- nous l'avons relevé plus haut --, qu'ils passeraient un jour ou l'autre dans une loi spéciale. C'est ce qui explique notamment que l'article 161 du code pénal est resté à un stade intermédiaire dans l'évolution du droit répressif de la concurrence déloyale et qu'il présente, en somme, les mêmes lacunes que l'article 48 du code des obligations.

L'article 161 a, en effet, la teneur suivante: « Celui qui, par des moyens déloyaux, notamment par des machinations astucieuses, des allégations mensongères ou des insinuations malveillantes, aura
détourné la clientèle d'autrui, sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende. » Ainsi, comme l'article 48 du code des obligations, l'article 161 du code pénal se borne à accorder une protection contre les atteintes portées à la possession de la clientèle; il laisse sans la moindre protection les autres f 1 ) RO 54, 781.

( B ) BS: tirage spécial concernant le code pénal suisse, CE: p. 173s., 323, 347s., 374, 389s.

( 3 ) BS: même tirage spécial, CN: p. 360s., 693s., 746s., 785, 794 «t, notamment, 800s.

(*) BS: même tirage spécial, CE: p. 392.

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facteurs de la capacité de concurrence et ne réprime pas davantage les autres abus de la concurrence. Cette définition étroite des éléments du fait délictueux serait, dès l'abord, en opposition avec les conceptions fondamentales de la protection de droit civil. Cela ne laisse pas de créer une incertitude inquiétante pour la jurisprudence. D'ailleurs, l'article 161 est conçu en des termes bien trop généraux, qui n'impliquent nullement l'existence de procédés de concurrence et dépassent -- contrairement à la note marginale -- la portée d'une disposition pénale sur la concurrence déloyale. De même, l'article 162 du code pénal, qui réprime la violation du secret de fabrication et du secret commercial, ne saurait satisfaire pleinement, en tant que disposition traitant, in fine, d'un délit spécifique de concurrence.

En résumé, on peut dire qu'aujourd'hui, bien que le code pénal suisse soit en vigueur, le besoin se fait encore sentir d'insérer des dispositions pénales dans une loi spéciale sur la concurrence déloyale. La protection de droit civil et la protection de droit pénal devraient, autant que faire se peut, être calquées l'une sur l'autre d'après les mêmes critères, afin de sauvegarder d'autant plus efficacement la concurrence économique dans le cadre d'une loi cohérente.

4. A part les-prescriptions de droit civil qui se placent au premier plan et les sanctions pénales qui les complètent, des dispositions de droit administratif se révèlent, en outre, nécessaires dans deux domaines. L'un est celui des liquidations. Il ne peut être régi de façon satisfaisante par le droit cantonal, parce que l'action des liquidations s'exerce souvent par delà les limites d'un canton. Ainsi, lorsque la publicité relative à une liquidation est faite par la voie des journaux en dehors du territoire cantonal, le canton est souvent dans l'impossibilité d'intervenir efficacement, même lorsque le canton où se fait la publicité ne permet que sous des conditions plus sévères aux commerçants établis sur son territoire de procéder à des liquidations. Du moment que la concurrence a, de plus en plus, un caractère intercantonal, une réglementation uniforme s'impose pour l'ensemble du territoire suisse. Mais nous reconnaissons que cette réglementation ne doit pas, sans nécessité, empiéter sur la compétence des cantons; elle doit,
en particulier, laisser aux cantons la faculté de percevoir des émoluments et d'édicter des prescriptions complémentaires. La situation se présente sous le même jour dans le domaine des primes. Dans ce domaine, la réglementation cantonale est, en outre, entravée par la complexité des formes que prennent les primes offertes. La compétence d'édicter des dispositions légales dans ce domaine de la police du commerce-est acquise à la Confédération en vertu de l'article 34 ter de la constitution.

III.

Remarquons enfin que les divers modes de protection de la propriété industrielle et commerciale ont, depuis longtemps déjà, fait l'objet de nom-

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breuses lois spéciales ( l ) , dans lesquelles les sanctions de droit civil et les sanctions de droit pénal ont pu être coordonnées et réglées d'après des critères communs. Vu que le droit relatif à la concurrence déloyale constitue, dans un certain sens, le fondement de ces lois spéciales, il faudrait donc lui donner une structure plus cohérente que celle qu'il présente aujourd'hui sur la base des dispositions de droit civil et de l'article 161 du code pénal.

A ce propos, nous devons mentionner aussi les engagements internationaux que la Confédération a assumés, en adhérant à la convention internationale pour la protection de la propriété industrielle, conclue à Paris le 20 mars 1883, puis revisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925 et à Londres le 2 juin 1934 ( 2 ).

L'article lObis de cette convention dispose, au sujet de la concurrence déloyale, ce qui suit: 1 Les pays contractants sont tenus d'assurer aux ressortissants de l'union une protection effective contre la concurrence déloyale.

2

Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

3 Notamment devront être interdits : 1° Tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent; 2° Les allégations fausses, dans l'exercice du commerce, de nature à discréditer l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent.

Encore que notre jurisprudence suffise déjà pour satisfaire aux engagements assumés par la Confédération, il n'en demeure pas moins qu'une loi fédérale sur la concurrence déloyale contenant sur ce point des dispositions expresses permettra de garantir encore mieux l'accomplissement de ces engagements.

(') Loi fédérale sur les marques de fabrique et de commerce, les indications de provenance et les mentions de récompenses industrielles des 26 septembre 1890, 21 décembre 1928 et 22 juin 1939; RO 12, 1; 45, 151; 55, 1269.

Loi fédérale sur les dessins et modèles industriels, des 30 mars 1900 et 21 décembre 1928; RO 18, 124; 45, 151.

Loi fédérale sur les brevets d'invention des 21 juin 1907, 9 octobre 1926 et 21 décembre 1928; RO 23, 631; 43, 9; 45, 151.

Loi fédérale sur les droits de priorité relatifs aux brevets d'invention et aux dessins et modèles industriels, des 3 avril 1914 et 21 décembre 1928; RO 30, 317; 45, 151.

Loi fédérale sur les droits d'auteur concernant les oeuvres littéraires et artistiques, du 7 décembre 1922; RO 39, 65.

( a ) Texte originaire: RO 7, 469; texte revisé: RO 55, 1277; arrêté fédéral du 19 juin 1939 autorisant la ratification: RO 55, 1275.

671 C.

IDÉES GÉNÉRALES DONT PROCÈDE LE PROJET I.

1. Le but de la loi est d'assurer une protection contre la concurrence déloyale. Le projet de 1934, dans sa disposition générale (art. 1er), partait de l'atteinte portée a certains droits attachés à la personnalité du concurrent, et plaçait, au premier plan, la protection de ce dernier, envisagée sous son aspect subjectif. Le nouveau projet, au contraire, tend avant tout à protéger le libre exercice de la concurrence comme l'un des fondements essentiels de notre ordre économique. Aussi la disposition générale (art. 1er) place-t-elle expressément au centre de la définition des éléments de fait 1'« abus de la concurrence économique », marquant ainsi que le législateur n'entend ni toucher à la concurrence comme telle, ni empiéter sur le droit au libre exercice de l'activité économique, mais veut seulement s'opposer aux abus qui peuvent se commettre dans l'exercice de ce droit. Tandis que l'article 48 du code des obligations se présente, en grande partie, comme un cas d'application de l'article 28 du code civil (atteinte aux intérêts personnels), la loi nouvelle se rattache à l'article 2 du code civil, qui dispose que l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi.

La protection civile constituera, comme devant, le point capital; toutefois, des sanctions pénales pourront aussi être prises, mais seulement à la réquisition d'une personne ayant qualité pour porter plainte. Quant à une réglementation de simple police ou de police administrative, il en est fait abstraction, sous réserve de deux exceptions dont il sera parlé plus loin. Le projet part du principe que les intéressés doivent eux-mêmes sauvegarder leur intérêt · personnel à l'intangibilité de l'institution de la concurrence et que l'Etat n'a pas à intervenir d'office en ce domaine. Sont intéressés, en premier lieu, le concurrent directement lésé ou menacé (art. 2, 1er al), puis aussi -- à la différence du projet de 1934 -- le client atteint dans ses intérêts économiques par l'incidence de la concurrence déloyale (art. 2, 2e al.). Comme une telle réglementation repose exclusivement sur l'initiative des intéressés, le lésé, selon les circonstances, s'abstiendra peut-être d'intenter action, soit qu'il redoute les risques d'un procès, soit qu'il lui répugne d'assumer le rôle de demandeur,
soit que l'acte de concurrence déloyale ne soit pas directement dirigé contre un concurrent déterminé (ceci, à vrai dire, n'empêche pas qu'une personne déterminée ait qualité pour intenter action). C'est pourquoi le projet confère aussi cette qualité, du moins pour certaines actions et sous certaines conditions, aux associations professionnelles et économiques (art. 2, 3e al.). Dans tous les cas, le droit d'introduire une action civile emporte celui de déposer une plainte pénale (art. 14, in fine).

2. Puisqu'on a, par principe, assigné comme limite au projet la lutte contre les abus de la concurrence, il ne pouvait être question d'y insérer

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des dispositions sur les procédés déloyaux au sens strict. Si l'on avait voulu, de façon générale, assurer certaines conditions indispensables au commerce loyal ou empêcher certaines pratiques douteuses, afin de protéger le client contre toute exploitation dont il pourrait être l'objet de la part du commerçant, il aurait fallu édicter dans le détail des règles de police renforcées par des sanctions pénales; l'on aurait ainsi outrepassé les limites et le caractère d'une loi relative à la concurrence. Semblables dispositions relatives à la police du commerce et de l'industrie, comme le seraient, par exemple, des dispositions tendant à empêcher la dissimulation de la quantité exacte dans la mise en vente de marchandises, ou concernant l'indication des prix en monnaie du pays, ou l'indication de l'origine de la marchandise, peuvent sans doute avoir une utilité, mais elles seront laissées, comme jusqu'ici, dans la compétence des cantons. Il n'y a pas de raison majeure d'instituer une réglementation fédérale uniforme à ce sujet, d'autant moins que la plupart des cantons ont des lois qui sont maintenant entrées dans les moeurs et répondent aux besoins locaux et régionaux.

C'est seulement dans le domaine des liquidations et des primes qu'on envisage une réglementation de police uniforme pour toute la Suisse; telle qu'elle est conçue, cette réglementation doit protéger non seulement le public, mais aussi, et tout autant, les intérêts légitimes des concurrents (art. 19 s.).

3. Sans contenir une règle sur les procédés déloyaux, une loi relative à la concurrence peut assurer une protection aux clients, en leur accordant aussi et sous certaines conditions -- comme le fait l'article 2, 2e alinéa, du projet --, les droits conférés aux concurrents à raison d'un acte de concurrence déloyale. En effet, on considère que l'acte de concurrence déloyale, encore qu'il vise toujours directement un ou des concurrents, peut néanmoins impliquer un procédé déloyal qui, selon les circonstances, porte indirectement préjudice aux clients. Cependant, pour que la loi conserve son caractère de loi relative à la concurrence, le projet ne confère des droits aux clients que sous la réserve qu'ils prouvent avoir effectivement subi un dommage des suites d'un acte présentant tous les éléments d'un fait de concurrence déloyale, y compris
la relation de cause à effet entre l'acte et le dommage.

Ce qui importe pratiquement aux clients, c'est avant tout que ces dispositions leur confèrent, à eux aussi, -- de même qu'aux associations économiques chargées de la défense de leurs intérêts -- le droit d'intenter les actions en constatation du caractère illicite de l'acte, en cessation de cet acte et en suppression de l'état de fait qui en résulte. Ils ont, en outre, la faculté d'intenter l'action pénale et, aussi, de requérir les mesures provisionnelles prévues pour compléter leur protection de droit civil.

Pour les cas, relativement rares, où le client devrait, s'il subit un dommage, invoquer l'article 41 du code des obligations et, en outre, pour prouver

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le caractère illicite de l'acte, le droit relatif à la concurrence, le projet offre l'avantage de régler toute l'instance dans une seule et même loi.

En revanche, aucun changement n'est apporté à la situation juridique du client qui se prévaut d'un vice du consentement -- erreur ou dol -- qui l'a déterminé à contracter (art. 23 s. CO) ou du client qui entend exercer l'action en dommages-intérêts ou l'action en garantie, lorsqu'il y a violation du contrat (art. 97 s., art. 197, art. 368 CO, etc.).

4. Aussi longtemps que les règles de droit civil édictées en matière de concurrence tendaient principalement à protéger la personne contre des agissements déloyaux, elles pouvaient se borner pour l'essentiel à accorder au lésé les actions qui devaient le préserver d'un plus grand dommage et lui permettre, en cas de faute, d'obtenir la réparation du dommage subi. Si, à l'avenir, c'est la concurrence elle-même qui doit en premier lieu être protégée, il faut en outre que celui qui a agi contre la bonne foi rétablisse l'état de 'choses antérieur et qu'il ne puisse pas, par conséquent, conserver les fruits de son activité déloyale. C'est pourquoi le projet prévoit aussi une action en restitution du gain obtenu par un acte de concurrence déloyale (art. 2, 1er al., lettre /, art. 3 et art. 15).

Le montant à restituer doit tout d'abord servir à réparer le dommage.

Selon les circonstances, un concurrent lésé obtiendra de la sorte une compensation qu'il n'aurait peut-être pas obtenue autrement. Cela heurte moins, en effet, le sentiment du droit de voir un concurrent tenu à restituer le gain que lui a procuré son comportement illicite, -- encore que les conditions voulues pour l'obliger à réparer le dommage ne soient pas remplies --, que de le voir conserver son gain, tandis que le lésé devrait s'en retourner les mains vides. Le Tribunal fédéral a fixé la jurisprudence dans un arrêt qui procède du même principe, bien que-concernant un domaine spécial de la protection de la/propriété industrielle. Il y prononce que « le propriétaire d'un brevet peut toujours exiger, en réparation du dommage que lui a causé celui qui a illicitement exploité son invention, tout au moins la restitution du gain que celui-ci s'est ainsi procuré » (ATF 49, II, 518). Il va de soi que ce principe peut aussi s'appliquer aux cas d'abus de
la concurrence économique.

Le « droit d'équité » anglais et américain permet en principe, dans tous les domaines de la protection de la propriété industrielle et artistique, de réclamer « account and payment of profits », c'est-à-dire la reddition d'un compte et la restitution du gain illicitement obtenu. Il en est de même de la jurisprudence établie en dernière instance en Allemagne au sujet du droit relatif aux breveté, aux dessins et modèles industriels, aux oeuvres littéraires et. artistiques et en France au sujet .du droit relatif aux brevets.

On relève, en outre, des dispositions expresses sur ce point dans la loi belge de 1854 sur les brevets, la loi autrichienne de 1897/1925 sur les brevets, la loi autrichienne de 1936 sur les oeuvres littéraires et artistiques, la loi

674

norvégienne de la même année sur les brevets, la loi polonaise de 1926 sur la concurrence et le code civil du Liechtenstein (art. 1043, 2e al., concernant la protection des raisons de commerce).

5. La loi tend essentiellement -- nous l'avons déjà signalé -- à combattre par des sanctions civiles, renforcées de sanctions pénales, les abus de la concurrence, tout en sauvegardant le droit d'exercer librement une activité économique dans les limites tracées par les règles de la bonne foi.

A l'énoncé des exemples nettement caractérisés de concurrence déloyale qui sont énumérés à l'article 1er, 2e alinéa, lettres a à h du projet, on remarquera déjà que nous avons fait abstraction de tous les faits de nature à restreindre la libre concurrence et qui, s'ils étaient retenus, dénoteraient une tendance vers des objectifs de politique professionnelle plutôt que la volonté d'assurer une protection contre des abus du droit de libre concurrence. C'est pourquoi le cas des soumissions faites dans les adjudications de travaux à des prix manifestement trop bas, qui figurait dans le projet de 1934 (art. 2, lettre h), a été abandonné. Et c'est pourquoi aussi les faits relatifs à l'avilissement des prix et au système des primes, évoqués au cours des délibérations parlementaires, n'ont pas été repris; ce fut, il est vrai, dans la pensée que les faits de cette nature peuvent être compris dans la disposition générale de l'article 1er, lorsqu'ils se présentent comme un abus de la concurrence (voir ci-après, page 686). Nous ne dévions de cette conception fondamentale que pour établir certaines dispositions de droit administratif sur les liquidations et les primes. Le projet ne trace d'ailleurs ici que les grandes lignes, en prévoyant que le Conseil fédéral réglementera la matière par voie d'ordonnance. Selon la pensée maîtresse qui a présidé à l'élaboration du projet, les règles de la bonne foi seront également déterminantes pour l'application des prescriptions sur les liquidations (art. 19, 2e al.) et, en matière de primes, les prescriptions devront se borner à réprimer les abus (art. 22, 1er al.).

II.

1. Etait-il préférable, pour définir la concurrence déloyale, d'énumérer des cas particuliers ou, au contraire, de formuler, dans une disposition générale, une définition embrassant tous les cas particuliers ? C'est une
question qui est apparue dès l'abord au premier plan. Le projet de 1934 a consacré, pour la protection de droit civil, le système de la clause générale, en l'expliquant par rémunération indicative de certains cas déterminés.

Pour la protection de droit pénal, au contraire, il énumère limitativement les faits délictueux. Or, le code pénal suisse a institué une disposition générale, il est vrai de portée restreinte (art. 161), complétée par une incrimination précise concernant la trahison des secrets de fabrication et des secrets commerciaux (art. 162).

Le nouveau projet a innové en ce qu'il définit les éléments de fait dans une partie distincte, qu'il place, comme partie générale, en tête de la loi

675

(art. 1er). Comme dans le projet précédent, cette partie contient une disposition générale, ainsi que quelques exemples explicatifs. Pour les suites de droit civil, on se réfère sans réserve à la définition générale de l'état de fait, cependant que les suites de droit pénal sont déterminées par l'énoncé de cas particuliers, qui se rattachent d'ailleurs étroitement à la partie générale.

2. En droit civil, étant donnée l'extraordinaire variété des formes que peut revêtir la concurrence déloyale, on ne saurait envisager comme possible et de nature à répondre à la longue aux nécessités de la pratique une réglementation qui procéderait par indication de cas déterminés. Sans doute pourrait-on, à la rigueur, embrasser dans une longue liste les diverses formes de concurrence déloyale connues à l'heure actuelle. Mais les conditions économiques se modifient souvent de façon si subite, non sans influencer constamment les formes de la concurrence, reléguant telles formes à l'arrière-plan et faisant apparaître telles formes nouvelles, peut-être tout à fait inconnues jusqu'ici, qu'une liste, comme celle dont il a été tantôt question, serait bien vite surannée. Aussi faudrait-il souvent procéder à des revisions législatives; or, indépendamment des inconvénients d'une pareille procédure, il serait bien rare que ces revisions pussent intervenir à temps. On s'est d'ailleurs aperçu qu'il n'y avait pas lieu de traiter de manière essentiellement différente les diverses formes de concurrence déloyale. Qu'il y ait des cas où, pratiquement, seule l'une des actions pénales (par ex. l'action en cessation de l'acte de concurrence déloyale ou l'action en dommages-intérêts) présente de l'importance, cela n'empêche pas d'attacher les mêmes conséquences juridiques à tous les actes de concurrence déloyale.

C'est pour ces raisons qu'on s'est rallié dans le projet au système de la clause générale,, en ce qui concerne du moins l'action civile (art. 1er, 1er al.).

Dans cette clause générale, la concurrence déloyale est regardée comme un « abus de la concurrence économique résultant d'une tromperie ou d'un autre procédé contraire aux règles de la bonne foi ». Comme cette définition, pour embrasser vraiment tout son objet, devait rester dans l'abstrait et qu'elle ne contient que peu de points concrets, on l'a fait suivre de quelques
exemples indiquant les actes qui doivent être plus particulièrement regardés comme contraires aux règles de la bonne foi (art. 1er, 2e al.). Ce développement de la définition générale ne se rapporte toutefois qu'à un élément de fait, celui qui est énoncé dans cette définition, de sorte que les cas cités n'ont pas de valeur intrinsèque et, surtout, ne doivent pas être envisagés dans un sens limitatif (voir ci-après p. 686s.).

3. Au contraire, la partie relative à l'action pénale, en lieu et place d'une disposition générale, consacre une énumération limitative des faits délictueux (art. 14, lettres a à, g). Assurément, une énumération, si complète soit-elle, ne saurait être, ici non plus, exempte de lacunes. Et ce seront

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souvent les concurrents les moins scrupuleux qui en profiteront pour se soustraire à la loi par un habile subterfuge. En dépit de ce danger inévitable, on ne pouvait, en raison des graves objections qui s'y opposent, adopter le système de la définition générale pour déterminer les éléments constitutifs du délit.

Notons tout d'abord, à ce propos, qu'on serait vraisemblablement plus tenté, avec le système de la définition générale qu'avec celui des cas spéciaux rigoureusement définis, d'abuser de la plainte pénale, par exemple pour parvenir, à la faveur delà conduite ex officio delà procédure pénale, à se procurer des renseignements sur les affaires du concurrent ou des moyens de preuve pour un procès civil, ou bien encore pour exercer une pression sur le concurrent. En outre, il est de toute façon souvent difficile de tracer la démarcation entre la concurrence licite et la concurrence illicite. Et cette difficulté s'accroîtrait encore si le juge devait s'appuyer sur une définition ample dont toute précision serait absente. Il faut enfin relever que les tribunaux de l'ordre pénal n'ont souvent pas au même degré que les juges civils les connaissances techniques et l'expérience nécessaires dans le domaine spécial du droit relatif à la concurrence. En droit pénal, il faut s'attacher à von- les faits délictueux dans une clarté complète, si l'on veut prévenir dans la mesure du possible l'emploi abusif de la plainte pénale ou les incertitudes des décisions judiciaires, autant d'inconvénients qui seraient inévitables avec une définition générale. C'est ce qui a conduit à une solution procédant par indication de cas particuliers. Il se peut que cette solution n'aboutisse pas dans tel ou tel cas à la sanction pénale désirable; mais cela est moins grave que les désavantages inhérents à une disposition générale de droit pénal. D'ailleurs, l'action civile, qui est l'essentiel, assure une protection très étendue.

Quant à la crainte que la protection de droit pénal soit moins efficace avec le système des cas particuliers consacré par notre projet que sur la base du code pénal suisse, elle nous paraît sans fondement. Nous y reviendrons d'ailleurs plus loin dans nos remarques préliminaires sur les divers articles (voir page 708). A ce propos, qu'il nous suffise pour l'instant de relever que l'article 161 du code
pénal suisse ne saurait être assimilé à une définition générale au sens de l'article 1er, 1er alinéa, de notre projet, car il ne punit que des moyens « déloyaux », d'une part, et que les atteintes à la clientèle, d'autre part; or, dans l'une et l'autre de ces directions, il a une portée plus restreinte que la plupart des faits délictueux du nouvel article 14.

III.

1. Les bases constitutionnelles du projet sont fournies par les articles 34 ter, 64 et 646ÏS de la constitution. L'article 34ter, qui donne à la Confédération la compétence d'édicter des prescriptions uniformes dans le domaine des arts et métiers, ne sert de base que pour le quatrième chapitre du projet,

677

celui qui contient des prescriptions de police. Quant aux autres chapitres, ils s'appuient sur les articles 64 et 646is, qui donnent à la Confédération le droit de légiférer en matière de droit civil et de droit pénal. D'où il suit -- la loi ne contenant pas de dispositions discordantes -- que le champ d'application des deux principaux chapitres du projet, soit de ceux qui ont trait à la protection de droit civil et à l'action pénale, ne se limite pas aux arts et métiers au sens de l'article 34 ter. De même que l'article 48 du code des obligations et l'article 161 du code pénal auxquels ils se substituent, ces deux chapitres s'appliquent, au contraire, à toutes les professions indifféremment, soit donc aussi à l'agriculture et aux professions dites libérales (médecins, avocats, musiciens, écrivains, etc.).

2. Dans l'élaboration de la loi, on a veillé à régler aussi uniformément que possible les suites juridiques qui s'attachent aux divers faits retenus.

On a, en conséquence, abouti à la construction systématique que voici.: I. Conditions générales, comprenant une disposition générale et des exemples explicatifs (art. 1er).

II. Protection de droit civil, comprenant un sous-chapitre dont les dispositions sont surtout de droit matériel et portent sur les actions et la responsabilité (art. 2 à 9) et un sous-chapitre dont les dispositions ont rapport aux mesures provisionnelles, c'est-à-dire à des règles de procédure civile (art. 10 à 13).

III. Action pénale (art. 14 à 18).

IV. Partie de droit administratif, qui a trait aux liquidations et aux primes, ainsi qu'aux dispositions pénales s'y rapportant (art. 19 à 22).

V. Dispositions finales (art. 23 à 25).

Du moment que la loi sur la concurrence est une loi spéciale, elle tient compte, autant que faire se peut, des lois fédérales fondamentales. Pour la partie rentrant dans le droit civil, on se réfère expressément aux dispositions du code civil, y compris le code des obligations (art. 9). Pour la partie de droit pénal, il n'était pas nécessaire, vu l'article 333, 1er alinéa, du code pénal, de formuler une disposition dans ce sens. On n'a dérogé à ces deux codes fondamentaux que là où les conditions particulières de la concurrence économique l'exigeaient.

Les innovations introduites dans la partie qui concerne le droit civil tiennent, pour l'essentiel,
à ce que la loi prévoit, outre les actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral, les actions en constatation du caractère illicite de l'acte, en cessation de cet acte, en suppression de l'état de fait qui en résulte et en restitution du gain (art. 2, 1er al., lettres a, b, c et /; art. 3), qui se rencontrent moins fréquemment dans les textes légaux. Ces actions spéciales appellent l'énoncé de règles partiFeuille fédérale. 94e année. Vol. I.

51

678

culières, surtout en ce qui concerne l'habilité des associations à intenter action (art. 2, 3e al.), la responsabilité de l'employeur (art. 4), la responsabilité de la presse (art. 5) et les délais de prescription (art. 8). Touchant la prescription, notons que les délais absolus sont plus courts que ceux du droit des obligations, également pour les actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral. Pour toutes les actions, y compris celles qui ont. pour cause la violation d'un contrat ou l'enrichissement illégitime, le projet contient des dispositions sur le for (art. 6, 1er al.), sur la juridiction compétente dans les cas où une action fondée sur la concurrence déloyale se trouve être connexe à une contestation relative à la propriété industrielle (art. 6, 2e al.), ainsi que sur la publication des jugements (art. 7).

Une autre innovation qui sera fort appréciée par les tribunaux est constituée par les dispositions sur les mesures provisionnelles (art. 10 à 13). Ces dispositions doivent notamment servir à prévenir à temps les conséquences dommageables de la concurrence déloyale, à écarter la menace d'un dommage ou à enrayer autant que possible le dommage qui se serait déjà produit. Elles se rattachent étroitement à l'article 53 de la loi concernant le droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques. L'une d'elles (art. 10) énonce les conditions dont dépend l'ordonnance des mesures provisionnelles, la seconde (art. 11) a rapport aux sûretés à fournir, le cas échéant, une troisième (art. 12) détermine l'autorité compétente pour ordonner les mesures provisionnelles et, enfin, une quatrième (art. 13) porte sur l'obligation d'intenter action et la réparation du dommage pouvant résulter des mesures provisionnelles.

Le chapitre qui traite de l'action pénale commence par définir les faits délictueux et par déterminer les pénalités qu'ils entraînent (art. 14). Ces dispositions forment un tout; elles rendront, par conséquent, superflues (v. art. 23) les dispositions du code pénal suisse sur les délits commis en matière de concurrence (art. 161 et, en partie, art. 162 GPS). En outre, ce chapitre traite de la dévolution du gain obtenu illicitement (art. 15), de la responsabilité pénale de l'employeur et du mandant (art. 16), de l'application des dispositions pénales aux personnes
morales et aux sociétés commerciales (art. 17) et de la répression pénale par les cantons (art. 18).

Quant au reste, tout ce qui a rapport au droit pénal dans le projet dont il s'agit est régi par les dispositions générales du code pénal suisse, en vertu de l'article 333, 1er alinéa, de ce code.

Le quatrième chapitre contient l'énoncé des principes, selon lesquels le Conseil fédéral édictera par voie d'ordonnance des prescriptions uniformes sur les liquidations et les primes (art. 19 à 22). En ce qui concerne les liquidations, la compétence législative des cantons est expressément réservée dans les limites tracées par la loi fédérale, ainsi que le droit des cantons de percevoir des émoluments (art. 21 et 24).

679

Le cinquième chapitre contient les dispositions finales sur le droit fédéral abrogé (art. 23), sur la relation avec le droit cantonal (art. 24) et sur l'entrée en vigueur (art. 25).

3. Le projet ne contient pas de dispositions particulières sur l'application de ta loi à raison du lieu. On s'en rapportera, à ce sujet, au principe admis par la jurisprudence en droit international privé, principe selon lequel les procédés déloyaux sont soumis au droit en vigueur au lieu où ils ont été commis (ATP 51, II, 328), ainsi qu'aux dispositions analogues des articles 3 et suivants du code pénal. Sous réserve que l'acte de concurrence déloyale ait été commis en Suisse, la loi s'appliquera donc aussi aux cas où cet acte portera ses effets, non pas sur le marché suisse, mais sur un marché étranger, concurrents suisse et étranger étant, en l'occurrence, également habiles à intenter action. Cette solution est conforme aux engagements que la Suisse a assumés en adhérant à la convention internationale de Paris du 20 mars 1883 sur la protection de la propriété industrielle.

L'article 2 de cette convention prévoit, en effet, ce qui suit: 1

Les ressortissants de chacun des pays de l'Union jouiront dans tous les autres pays de l'Union, en ce qui concerne la protection de la propriété industrielle, des avantages que les lois respectives accordent actuellement ou accorderont par la suite aux nationaux, le tout sans préjudice des droits spécialement prévus par la présente Convention.

En conséquence, ils auront la même protection que ceux-ci et le même recours légal contre toute atteinte portée à leurs droits, sous réserve de l'accomplissement des conditions et formalités imposées aux nationaux.

2 Toutefois, aucune condition de domicile ou d'établissement dans le pays où la protection est réclamée ne peut être exigée des ressortissants de l'Union pour la jouissance d'aucun des droits de propriété industrielle.

D.

LE NOUVEAU PROJET PAR RAPPORT A CELUI DU 11 JUIN 1934 Comme le nouveau projet de loi diffère de celui du 11 juin 1934 sur des points essentiels, ainsi que dans la façon dont son contenu est disposé, il est nécessaire, avant d'examiner les divers articles quant au fond, d'exposer encore brièvement les rapports entre les deux projets, ce qui permettra d'avoir une vue d'ensemble sur la question. Nous nous bornerons à énumérer sommairement les différences, tandis que les innovations quant au fond seront discutées dans les « remarques préliminaires sur les divers articles » (chapitre E).

680 I. Conditions générales.

A la différence du projet de 1934, le projet nouveau contient un chapitre introductif. L'unique article de ce chapitre correspond aux dispositions fondamentales du chapitre « Actions civiles » de l'ancien projet ; il réunit la clause générale (art. 1er, 1er al. ancien) et les éléments de fait (art. 2, 2e al. ancien), soulignant ainsi de manière évidente leur interdépendance.

Les faits énumérés dans le nouvel article 1er, 2e alinéa, sont en substance les mêmes que ceux qui sont mentionnés sous lettres a à g de l'ancien article 2. On n'a pas conservé le fait visé auparavant sous lettre h et qui était constitué par les soumissions à des prix trop bas dans les adjudications de travaux; on n'a pas pris non plus en considération les faits se rapportant à l'octroi de facilités de voyage (lettre rfbis), aux voyageurs à la commission (lettre /bis) (1) et à l'avilissement des prix (lettre i), qui avaient été proposés dans les délibérations parlementaires. Dans l'ancien projet, l'incitation à trahir ou à surprendre des secrets de fabrication ou des -secrets commerciaux et l'exploitation de ces secrets après les avoir surpris ou appris d'une autre manière contraire à la bonne foi constituaient deux faits réunis sous lettre d; en revanche, dans le nouveau projet, ces deux faits ont été séparés et mentionnés respectivement sous lettres / et g.

Au reste, l'ordre des faits visés a été modifié en ce sens que les faits d'ordre général sont placés en tête de la liste, tandis que ceux d'ordre particulier sont placés à la fin. On peut, en conséquence, dresser le tableau suivant: Nouveau pròTM

Pro|8t de l934 Faitsvlsés

Conseil fédéral

lettre

lettre

a 6 c d e f g h -- -- -- --

dénigrement 6 indications inexactes ou fallacieuses .

/ dénominations professionnelles inexactes g cause de confusion a corruption d incitation à trahir des secrets . . . . 1 exploitation de secrets surpris . . . . J dumping social e soumission à des prix trop bas . . .

h facilités de voyage -- voyageurs à la commission -- vils prix --

"^"^

lettre

a d e g c , f h dbis /bis i

(^ Le postulat adopté le 7 janvier 1936 par la commission du Conseil des Etats relatif à une réglementation spéciale des conditions d'engagement des voyageurs de commerce (BS 1936, p. 45) est devenu entre temps la loi fédérale du 13 juin 1941; RO 57, 1085 et 1093).

681

La clause générale, ainsi que les dispositions sur les faits visés, à l'exception du dénigrement (lettre a), ont été modifiées quant au fond ou pour le moins précisées quant à la forme. Pour tous détails, il faut se reporter aux « remarques préliminaires sur les divers articles ».

II. Protection de droit civil.

Le deuxième chapitre du projet nouveau comprend les anciens chapitres « Actions civiles » (sauf les art. 1er et 2 anciens) et « Mesures provisionnelles»; il se divise en deux sous-chapitres correspondants.

L'article 2 qui traite des actions et du droit d'intenter action englobe les anciens article 3, relatif aux actions que possède le concurrent (1er al.)

et article 4, concernant le -droit des associations d'intenter action (3e al.); il contient au surplus la nouvelle disposition sur les actions des clients (2e al.). Les conditions matérielles du droit d'intenter action font en partie l'objet de règles nouvelles; en outre, une action en restitution du gain est prévue au 1er alinéa, lettre /, et est réglée en détail à l'article 3.

Quant au fond, les articles 4, sur la responsabilité de l'employeur, et 5, sur la responsabilité de la presse, correspondent aux articles 5 et 6 de l'ancien projet; cependant, la rédaction de l'ancien article 6 en particulier a été considérablement modifiée.

L'article 6, consacré au for, reprend en son 1er alinéa l'article Ibis que la commission du Conseil national a proposé pour que l'action soit intentée au lieu où l'acte a été commis au cas où le défendeur n'a pas de domicile en Suisse ; le 2e alinéa de l'article 6, relatif à la juridiction compétente en cas de connexité d'une action civile fondée sur la concurrence déloyale et d'une action fondée sur les lois spéciales à la protection de la propriété industrielle, correspond à l'article 7 ancien. De même, l'article 7 sur la publication du jugement figurait déjà dans l'ancien projet; la nouvelle version ne présente pas de modification matérielle par rapport à l'ancien article 9, mais elle est rédigée de manière plus brève.

L'article 8 règle la prescription et, contrairement à l'ancien article 10, déroge partiellement au droit des obligations. L'article 9 sur l'application du code civil reprend presque textuellement les termes de l'ancien article 11.

L'ancien article 8, qui traitait de l'appréciation des
preuves et du pouvoir d'appréciation du juge, disposition que le Conseil des Etats avait biffée, a été supprimé.

Les articles 10 à 13, concernant les mesures provisionnelles, reproduisent dans leurs grandes lignes les articles 12 à 15 de l'ancien projet. L'article 12, 1er alinéa, présente une innovation quant au fond, puisque, en vertu de cette disposition, les mesures provisionnelles peuvent être demandées au lieu où l'acte a été commis, si le défendeur n'a pas de domicile en Suisse.

De plus, la disposition relative à l'obligation de réparer le dommage en

682 cas de mesure provisionnelle injustifiée a été adoucie par rapport à la version antérieure et, en outre, une disposition nouvelle a été introduite au sujet de la prescription de cette action (art. 13, 2e al.).

lu. Action pénale.

Le chapitre relatif à l'action pénale a pu être considérablement abrégé en raison de l'entrée en vigueur du code pénal suisse le 1er janvier 1942.

Ont disparu les anciennes dispositions relatives aux questions déjà traitées par ce code ou par d'autres lois fédérales et pour lesquelles une réglementation particulière n'est pas nécessaire. Il s'agit des dispositions ci-après de l'ancien projet: Article 16, 3e alinéa (dernière phrase), concernant la confiscation des biens qui ont été donnés en cas de corruption (art. 59 GPS).

Article 19 sur la responsabilité de la presse (art. 27 GPS).

Article 20, 2e et 3e alinéas, sur le dépôt de la plainte (art. 28 s. GPS).

Article 21, relatif à la publication du jugement (art. 61 GPS).

Article 22, 1er alinéa, sur l'application des dispositions générales du code pénal suisse (art. 333 GPS).

Article 22, 2e alinéa, concernant le sursis à la peine (art. 41 GPS).

Article 23 (art. 25 ter du texte des conseils législatifs), 2e phrase, sur l'attribution des amendes (loi fédérale sur la procédure pénale, art. 253, 2e al.).

L'article 14, qui enumero les infractions, correspond en substance aux anciens articles 16, 1er et 3e alinéas, combinés avec l'article 20,1er alinéa, mais les peines prévues ont été établies en conformité des dispositions du nouveau droit, pénal. Contrairement à l'ancien projet, le fait de donner des indications inexactes ou fallacieuses est punissable, même si ces indications ne sont pas destinées à être rendues publiques (lettre b, anciennement lettres /et d). En outre, le fait de créer un danger de'confusion est maintenant aussi punissable (lettre d), tandis qu'on a renoncé à sévir contre la corruption passive (ancien al. 2). A l'encontre de l'ancien projet, seules les infractions intentionnelles sont punissables. L'article 15 sur la dévolution du gain est nouveau.

L'article' 16 qui traite de la responsabilité. pénale de l'employeur et du mandant coïncide presque intégralement avec l'ancien article 17, tandis que la prescription sur l'application des dispositions pénales aux personnes morales et aux sociétés
commerciales a été assimilée quant au fond aux prescriptions analogues de nombreuses lois fédérales nouvelles (art. 18 ancien, art. 17 nouveau). L'article 18, relatif à la répression pénale par les cantons, correspond à la première phrase de l'ancien article 23 (art. 25 ter du texte des conseils législatifs).

683

IV. Liquidations et primes.

Les articles 24 et 25 du projet de 1934, ainsi que l'article 25 bis ajouté par les conseils législatifs, --articles concernant les liquidations --, ont été considérablement modifiés dans le projet nouveau tant au point de vue de la forme que du fond. Le nouvel article 19 dispose tout d'abord que ce sera le Conseil fédéral qui réglera par voie d'ordonnance les liquidations (1er al., précédemment art. 24, 1er et 5e al., du projet, et art. 25, 1er et 2e al., de la version adoptée par les deux conseils); cet article 19 énonce ensuite quelques principes que l'ordonnance devra respecter (2e al., ancien art. 24, 2e al., et art. 24, 1er et 2e al., du texte des deux conseils) et prévoit qu'une interdiction dans certaines limites de rouvrir une entreprise de même nature pourra être liée à l'autorisation d'opérer la liquidation totale (3e al.). L'article 20 sur les dispositions pénales mentionne deux nouveaux faits constitutifs d'infraction (1er al., lettres a et 6) et abandonne à l'ordonnance les autres dispositions répressives d'ordre administratif (2e al.), tandis que l'ancien projet prévoyait une clause générale et renvoyait pour tous les autres points d'une manière générale à l'ordonnance (art. 24, 3e al., et art. 25 bis du texte des deux conseils). Les dispositions concernant la compétence des cantons (anciens art. 24, 4e al., et art. 25, 3e et 4e al., du texte des deux conseils) ont été réunies en un seul article dans la nouvelle version (art. 21).

Il y a lieu de signaler une autre innovation, à savoir que le quatrième chapitre renferme maintenant aussi des dispositions d'ordre administratif en matière de primes (art. 22).

Y. Dispositions finales.

L'ancien article 27 relatif au droit abrogé a été remplacé, dans le projet nouveau, par deux dispositions, les.articles 23 sur le droit fédéral abrogé et 24 sur le rapport de la loi nouvelle avec le droit cantonal. Sont abrogés, en vertu de l'article 23, l'article 48 du code des obligations, l'article 161 du code pénal suisse et, en partie, l'article 162 de ce même code. L'ancien article 26 concernant l'entrée en vigueur a été placé, comme article 25, à la fin de la loi. Quant à l'article 25 ter relatif à la poursuite pénale, qui avait été prévu par les conseils législatifs, on l'a replacé, comme l'article 23 du premier projet, dans le chapitre relatif a l'action pénale (art. 18).

E.

REMARQUES PRÉLIMINAIRES SUR LES DIVERS ARTICLES Titre.

A la différence du projet de 1934, qui employait l'expression « con-j eurrence illicite », le projet nouveau a repris l'appellation usuelle de « concurrence déloyale », se conformant ainsi à la décision des conseils législatifs.

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Bien qu'il s'attache souvent au mot « déloyal » un sens péjoratif, on ne saurait en inférer que la loi, même dans ses dispositions de droit civil, ne doive s'appliquer qu'à des actes impliquant une faute de leur auteur, car un acte peut être commis de bonne foi et, cependant, enfreindre les règles de la bonne foi. De plus, elle est dénommée loi relative à la concurrence, encore qu'elle confère certains droits aux clients (art. 2, 2e al.) et renferme aussi des dispositions sur les liquidations et le système des primes (art. 19 s.).

En effet, ces dispositions ne visent les procédés déloyaux en affaires qu'en tant qu'ils rentrent dans la concurrence déloyale.

I. Conditions générales.

Art. 1".

Définition de la concurrence déloyale.

Telle qu'elle est maintenant formulée, la disposition générale énoncée à l'article 1er fait ressortir, de façon plus explicite que l'article 48 du code des obligations et que la précédente disposition générale, ce qui caractérise essentiellement la concurrence déloyale; ce sont les moyens employés.

Pour être sujets à répression, il faut que ces moyens soient contraires aux règles de la bonne foi. C'est à dessein qu'on a préféré, comme critère, l'opposition aux règles de la bonne foi à l'opposition aux bonnes moeurs.

La première raison en est que le droit actuel, tel qu'il est défini par l'article 48 du code des obligations et par les lois cantonales, s'appuie sur la notion de bonne foi et qu'on maintient ainsi intact le rapport avec la doctrine et la jurisprudence, plus particulièrement avec les principes admis par le Tribunal fédéral. La seconde raison en est que la bonne foi constitue un critère normatif nettement défini qui renvoie le juge au droit positif, ainsi qu'aux solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence, pour arrêter son appréciation des faits, et qui, au rebours de l'infraction aux bonnes moeurs, conserve aussi sa valeur de règle directrice là où la morale en affaires est déjà bien entamée et où, peut-être, il n'y a plus de bonnes moeurs pouvant être violées. D'ailleurs, pour bien marquer le caractère normatif du critère, on ne parle pas de « bonne foi » tout court, mais des « règles de la bonne foi ».

La concurrence déloyale étant ainsi délimitée par le critère de l'infraction aux règles de la bonne foi, il n'est pas nécessaire que l'auteur
ait commis une faute -- subjectivement parlant -- ou ait eu une intention malveillante. Au contraire, si l'on exigeait comme critère une infraction aux bonnes moeurs, il pourrait subsister à ce sujet des divergences de vues. Aussi bien les actions en constatation du caractère illicite de l'acte, en cessation de l'acte, en suppression de l'état de fait qui résulte de l'acte et en restitution du gain prévues par le projet (art. 2, 1er al., lettres a, b, c et/, et art. 3), à la différence des actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral, ne sont-elles pas conditionnées par un élément de faute.

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II n'est pas davantage nécessaire, pour que l'acte de concurrence déloyale soit consommé, qu'il ait été commis avec l'intention de tromper ou soit le résultat d'une tromperie, comme tend souvent à le faire accréditer une opinion fort répandue, mais erronée. Selon la conception dominante de la bonne foi en affaires, le projet articule dès lors une série de faits concrets qui ne visent pas par eux-mêmes à tromper le client, tel le fait de corrompre les employés d'un tiers (lettre e), le fait d'induire des employés à trahir des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux (lettre/), le fait d'exploiter des secrets de cette nature (lettre g) et le fait de contrevenir à des conditions de travail formellement établies (lettre A). Toujours dans le même ordre d'idées, remarquons que le dénigrement est retenu par le projet comme fait de concurrence déloyale, non seulement lorsqu'il procède d'allégations inexactes ou fallacieuses, mais encore lorsqu'il procède d'allégations «inutilement blessantes », peu importe s'il est ou non l'expression de la vérité (lettre a). Ainsi donc, même sous cette forme très caractéristique, la concurrence déloyale ne doit pas nécessairement résulter d'un acte dont le but serait de tromper. Mais comme il arrive très fréquemment que la concurrence déloyale se combine d'une tromperie des clients, la définition générale fait néanmoins état de ce procédé spécial, non sans préciser aussitôt que d'autres procédés que la tromperie sont de même inconciliables avec les règles de la bonne foi (1er al. : ... résultant d'une tromperie ou d'un autre procédé ...).

Ce qui caractérise en outre les moyens dont la mise en oeuvre constitue l'essence de la concurrence déloyale, ressort d'emblée de la définition de la concurrence déloyale, définition qui peut s'énoncer ainsi: abus du droit de libre concurrence. La libre concurrence se ramène à un principe d'action.

Se rend donc coupable de concurrence déloyale celui qui, dans l'activité économique, sans fournir lui-même de prestation équivalente, met en oeuvre des moyens destinés ou de nature à entraver autrui dans le libre jeu de la concurrence, ou à l'exclure du champ de la concurrence, ou à assurer à sa propre offre un avantage sur celle d'autrui. Le simple fait d'entraver un concurrent n'est donc pas encore, par lui-même, constitutif de
concurrence déloyale, car c'est là une conséquence naturelle de la liberté de concurrence. D'ailleurs, la concurrence déloyale ne doit pas nécessairement être dirigée contre un concurrent déterminé; il suffit qu'elle porte atteinte aux concurrents en général, comme il arrive, par exemple, dans le recours à une réclame mensongère en faveur de sa propre marchandise (lettrée), dans l'emploi de dénominations professionnelles inexactes (lettre c) ou dans la corruption des employés d'un tiers (lettre e).

La concurrence déloyale au sens de la loi peut être non seulement le fait de concurrents, mais aussi de personnes tierces ou <$.'associations agissant en faveur d'entreprises déterminées. Aussi le projet mentionne-t-il à plusieurs reprises l'activité de personnes tierces, par exemple, en relevant,

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comme fait de concurrence déloyale, la réclame fallacieuse faite en faveur d'un autre (lettre b, in fine).

Art. 1er, 2e al.

(Faits particuliers.)

Les exemples énumérés sous lettres a à A servent uniquement à illustrer un seul et même fait de concurrence déloyale, à savoir l'infraction aux règles de la bonne foi; ils ne peuvent donc s'appliquer qu'en relation avec la disposition générale. Ces différents faits ne tombent donc sous l'application de la loi que s'ils se sont accomplis dans le champ de la concurrence économique et constituent un abus de la libre concurrence au sens de l'article 1er. La loi ne s'appliquera pas lorsque tel ne sera pas le cas, par exemple, dans l'atteinte à l'honneur qui ne déborde pas les attributs de la personne ou dans la violation de conditions de travail qui ne touche pas à la capacité de concurrence.

L'énumération des procédés de concurrence contraires aux règles de la bonne foi n'a qu'un caractère indicatif. Ce n'est pas une énumération limitative; il serait donc faux d'en conclure que les procédés énumérés sous lettres a à, h sont les seuls possibles. Lorsqu'un fait déterminé, qu'il s'agisse d'une action proprement dite ou d'une omission, ne rentre dans aucun des procédés énumérés, il reste donc encore à examiner s'il ne peut pas, à la rigueur, être compris dans la disposition générale. En opérant avec la disposition générale, on peut traiter comme concurrence déloyale des procédés -- avilissement des prix, offre faite à un prix manifestement trop bas, octroi de primes, etc. -- qui ne rentrent dans aucun des procédés de concurrence énumérés, mais qui présentent, in concreto, les caractéristiques d'une infraction aux règles de la bonne foi et, comme telles, constituent un abus de la concurrence économique. De toute façon, la disposition générale doit figurer au premier plan. Aussi la jurisprudence qui n'appliquerait cette disposition qu'avec retenue ne répondrait-elle pas à l'esprit de la loi.

Lettre a.

Il s'agit ici du discrédit jeté sur un concurrent par des procédés déloyaux, c'est-à-dire du fait que le projet désigne du terme de dénigrement. On considérera tout d'abord comme telles des allégations inexactes ou fallacieuses, c'est-à-dire contraires à la vérité. Mais des allégations, même vraies, pourront, dans certaines circonstances -- lorsqu'elles sont « inutilement blessantes » -- être atteintes par la loi ; par exemple le fait de revenir constamment, par esprit
de chicane, sur certains événements réglés depuis longtemps ou le fait d'exploiter des informations vraies de façon à ébranler sans raison la position commerciale d'un concurrent.

Le plus souvent, le dénigrement vise les marchandises, les oeuvres, les services ou les affaires d'un concurrent; par affaires, il faut entendre

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surtout les bases financières de son entreprise, ses sources d'approvisionnement, ses employés et d'autres facteurs analogues de son exploitation.

Mais des attaques personnelles peuvent aussi être prises ici en considéra-, tion lorsqu'elles sont propres ou destinées à compromettre de façon inadmissible la position économique de la personne attaquée. Sous cette même condition, peuvent pareillement être rangés sous le chef de dénigrement des propos qui n'émanent pas d'un concurrent.

Par « oeuvres », il faut entendre, entre autres produits, outre ceux de l'industrie, les dessins industriels et les oeuvres littéraires, artistiques et musicales.

Lettre b.

Le pendant du dénigrement d'autrui est la réclame trompeuse ou déloyale en faveur de sa propre entreprise. Entrent ici principalement en ligne de compte les procédés de réclame proprement dite; doivent toutefois être assimilées à ces procédés d'autres indications inexactes ou mensongères sur soi-même, ses marchandises, ses oeuvres, ses services ou ses affaires.

Lorsque la réclame déloyale ne rabaisse pas un concurrent, ses marchandises ou ses services, elle tend à faire valoir sa propre offre, mais les deux buts peuvent être visés simultanément. Il n'est pas nécessaire que les indications donnent l'impression d'une offre particulièrement favorable; par exemple, l'annonce inexacte de « seule maison de la branche » peut donc aussi rentrer dans la catégorie des faits visés.

Enfreint, en outre, les règles de la bonne foi celui qui, « en donnant sur des tiers des indications de même nature, les avantage par rapport aux concurrents », ce qui est conforme au principe général selon lequel la concurrence déloyale peut également procéder de l'acte d'une personne qui n'est pas un concurrent.

Lettre c.

On considérera comme « titres » au sens de la lettre c tout d'abord ceux qui sont conférés en application de la loi fédérale sur la formation professionnelle, mais aussi les autres titres ou désignations de profession qui sont de nature à faire croire à des distinctions ou des capacités particulières, tels que « architecte diplômé », « professeur », etc. Il ne doit pas nécessairement y avoir e.u intention de tromper; il suffit que les titres ou dénominations professionnelles employés exposent autrui à se tromper sur la formation ou les capacités professionnelles de celui dont émanent ces titres ou dénominations.

Lettre d.

Cette disposition vise le cas du danger de confusion avec les marchandises, les oeuvres, les services ou l'entreprise d'autrui. Dans la pratique, on relève, à ce sujet, l'emploi de raisons de commerce, de catalogues, de prix-courants ou de signes distinctifs analogues, l'imitation d'un certain mode de conditionnement ou d'emballage de la marchandise et quantité

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d'autres mesures similaires, par exemple le fait d'annoncer qu'on peut aussi débiter le produit offert dans les flacons des maisons concurrentes (ATF 56, II, 24), etc. Rentre également dans les 'cas visés par la lettre d l'emploi d'un titre ressemblant, à condition qu'il s'agisse d'un titre original qui caractérise et individualise un ouvrage bien déterminé et non pas seulement d'une dénomination de caractère usuel ou destinée à indiquer le contenu de l'ouvrage (par ex. « Cours de physique »).

De même que pour les faits articulés sous lettre c, point n'est besoin qu'une confusion soit voulue ou se soit déjà produite; il suffit qu'il y ait danger de confusion, objectivement parlant (ATF 50, II, 201). Ce qui sera décisif à cet égard, c'est le sentiment général des clients, peu importe les moyens par lesquels le danger de confusion sera créé, Lettre e.

Qu'une disposition réprimant le fait de soudoyer quelqu'un ou, selon l'expression populaire, de lui « graisser la patte » réponde à un besoin, cela ne fait pas de doute. Songeons aux troubles profonds que peut causer à la concurrence économique le fait de corrompre un subordonné, en exploitant sa soif de gain ; les troubles seront d'autant plus graves que les attributions du subordonné seront plus étendues. C'est pourquoi le fait de corrompre l'employé d'un tiers pour le faire manquer à son devoir et se procurer ainsi un profit est considéré comme contraire aux règles de la bonne foi. Nous citerons, à titre d'exemple, le cas de l'employé qui, préposé au service des ventes dans une entreprise industrielle, verse, pour s'assurer une commande, une somme d'argent à la personne faisant les achats pour une maison de commerce; ou encore le cas d'un épicier qui fait un cadeau à la servante d'un tiers pour qu'elle lui accorde la préférence dans ses emplettes.

Ce peut être un chef d'entreprise qui soudoiera l'employé d'un tiers, mais ce peut ê'tre aussi un tiers qui le fera au profit d'une certaine entreprise, car il n'est pas nécessaire que l'auteur de l'acte veuille se procurer à lui-même un profit. Le profit se traduira, en règle générale, par un contrat que l'employé, s'il n'avait pas été soudoyé, aurait passé non pas avec l'auteur de l'acte, mais avec un concurrent. Mais il se peut aussi que le contrat aurait de toute façon été conclu avec l'employé soudoyé et que le profit résulte du contenu du contrat, soit, par exemple, que l'employé consente à payer au cocontractant un prix plus élevé ou qu'il accepte de prendre livraison de marchandises défraîchies ou qui ne sont plus d'une vente courante. Il faut toutefois, comme condition primordiale, que le profit soit obtenu grâce à un agissement déloyal de l'employé. Le fait que l'employeur subit ou non un dommage est, en revanche, sans pertinence.

L'avantage accordé ou offert ne doit pas nécessairement consister en numéraire; il peut se présenter sous la forme de biens en nature ou de tous

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autres avantages ayant une valeur pécuniaire. Il faut toutefois que ce soient des avantages auxquels l'employé n'a pas droit, c'est-à-dire qu'il ne peut pas revendiquer en vertu de sa position et de ses devoirs professionnels. Il est indifférent que la personne soudoyée soit au service d'une entreprise publique, d'une entreprise privée ou' d'un particulier.

Par rapport à l'employeur, le manquement de l'employé à son devoir doit être jugé comme infraction à un contrat au sens des dispositions générales du code des obligations. Ce point aura surtout de l'importance lorsque le manquement de l'employé aura causé un dommage à l'employeur. Ce n'est toutefois pas là une conséquence nécessaire.

Lettres f et g.

Ces d'eux faits étaient réunis sous lettre c dans le projet de 1934. Pour qu'ils apparaissent de façon plus distincte, ils ont été séparés. Ils concernent les actes en rapport avec la violation de secrets de fabrication et de secrets commerciaux. La notion de secret au sens de ces dispositions est double;- elle embrasse d'une part certains faits intéressant la vie des affaires (par ex. des faits touchant à des données et solutions techniques, à des sources d'approvisionnement, à des conditions d'organisation, etc.)

et qui ne sont connus que d'un cercle restreint de personnes exactement au courant de l'exploitation d'une entreprise, d'autre part l'observation délibérée efr effective du secret à garder sur ces faits. Le projet ne fait aucune distinction entre secrets de fabrication et secrets commerciaux.

La lettre fa, rapport au fait d'induire l'employé d'autrui ou le mandataire à trahir ou à surprendre semblables secrets de son employeur ou mandant.

Lorsque les secrets ont été obtenus par trahison, c'est dire qu'ils ont été confiés à T'employé ou au mandataire en vue de l'accomplissement de son travail ou de l'exécution de son mandat, à condition qu'il ne les divulgue pas. Au contraire, lorsqu'ils ont été obtenus par surprise, l'employé ou le mandataire s'est servi de son emploi ou de son mandat pour parvenir à connaître des secrets dont il n'était pas en situation d'avoir connaissance.

Envers l'employeur ou le mandant, l'employé ou le mandataire doit répondre d'une1 violation du contrat de travail ou du mandat.

La disposition énoncée à la lettre / n'a pas été étendue aux anciens employés. On n'a pas voulu, en effet, interdire d'une façon générale à un employé, une fois libéré de son engagement, de tirer profit pour son avenudés connaissances et des capacités qu'il a acquises au cours de son activité antérieure. Lorsque l'employé ou le mandataire reste tenu de ne pas divulguer le secret, même* après la fin de son engagement -- ce qui ressortira des circonstances d'espèce (ATF 64, II, 171) --, le fait incriminé pourra, cas éventuel, être soumis à la disposition générale. D'ailleurs, rien n'empêche de stipuler une prohibition de concurrence en conformité de Far-

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ticle 356 du code des obligations, ce qui assurera à l'employeur une certaine protection contre la divulgation de ses secrets d'affaires.

On s'est également abstenu d'englober dans la lettre /, de façon toute générale, le fait même de chercher à se procurer des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux, soit donc autre chose que le fait d'induire l'employé d'autrui à trahir semblables secrets. Une pareille extension du fait visé par la loi n'eût pas été sans danger, car il faut que tout homme d'affaires puisse, jusqu'à un certain point, se tenir au courant de ce que la concurrence présente de nouveau. Lorsque ce fait -- qui ne pourra donc pas être atteint par la lettre / -- se produira par des moyens contraires aux règles de la bonne foi, on appliquera la disposition générale. D'ailleurs, la lettre g offre une protection suffisante contre l'exploitation de secrets obtenus par surprise.

La lettre g ne porte pas, comme la lettre /, sur le fait de se procurer les secrets d'autrui, mais sur l'exploitation de secrets de cet ordre par leur mise en valeur économique ou leur transmission à des tiers. Il faut, en tout cas, que la connaissance des secrets ait été acquise de façon contraire à la bonne foi, c'est-à-dire surtout par trahison ou surprise. Mais il n'est pas absolument nécessaire que la connaissance en ait été acquise par l'employé de l'homme d'affaires lésé ; l'auteur pourra être un tiers ou celui qui exploitera les secrets. Il n'est pas non plus nécessaire que ce dernier se soit procuré les secrets en enfreignant directement les règles de la bonne foi, pourvu qu'il sache qu'il s'agissait du secret d'autrui. L'auteur peut ne pas être un concurrent, surtout dans le cas de transmission du secret à un tiers.

Lettre h.

Le dernier des faits énumérés est souvent appelé « dumping social », parce qu'il consiste à contrevenir à des conditions de travail. Peuvent être envisagées comme telles des clauses portant sur les salaires, la durée du travail, les vacances, les heures supplémentaires, l'heure de fermeture des magasins, etc. Il n'y a ici concurrence déloyale que si les conditions violées s'appliquent à la fois au concurrent demandeur et au concurrent défendeur, que ce soit en vertu d'une loi, d'un règlement ou d'un contrat (contrat collectif de travail, convention entre employeurs). Mais
il ne suffit pas que l'usage local ou les conditions qui sont d'usage général dans une certaine branche soient violés, ni qu'un dissident contrevienne aux décisions de l'association, même si la majorité des concurrents de la branche font partie de l'association et sont liés par les décisions de celle-ci. Pour que la lettre h soit applicable, il faut en tout cas que demandeur et défendeur soient également tenus d'observer les conditions de travail entrant en 'Cause.

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H. Protection de droit civil.

A. Actions et responsabilité.

Art. 2.

Actions et droit d'intenter action.

L'article 2 règle les sanctions de droit civil qui répriment la concurrence déloyale. Vu l'importance que la loi attache à ces sanctions, ledit article constitue une des dispositions essentielles. Il définit les actions qui découlent de la concurrence déloyale, ainsi que le cercle des personnes qui ont qualité pour intenter -action et les conditions sous lesquelles elles peuvent agir.

1. Ont qualité pour intenter action : les concurrents, ainsi que les clients et les associations professionnelles et économiques.

Les concurrents peuvent intenter action lorsqu'ils sont atteints ou menacés dans leurs intérêts économiques par un acte de concurrence déloyale (1er al.). Leur droit sera ainsi bien plus étendu qu'il ne l'est actuellement d'après les règles en vigueur. Aux termes de l'article 48 du code des obligations, peut seul intenter action celui « dont la clientèle est diminuée ou qui est menacé de la perdre ». Au contraire, en vertu de l'article 2 du projet, l'atteinte ou la mise en danger d'intérêts économiques quelconques suffit. Sont cités à l'article 2, comme exemples d'intérêts protégés par la loi, outre la clientèle, le crédit, la réputation professionnelle et les affaires (conditions de production, etc.). L'énumération n'est pas limitative, de sorte qu'une menace dirigée contre les sources d'approvisionnement ou qu'une atteinte portée à d'autres facteurs de la capacité de concurrence -- qui, à la différence du projet de 1934, ne sont plus expressément nommés sans qu'il en résulte un changement de portée matérielle -- entrent également en ligne de compte.

Ainsi que l'admet déjà la jurisprudence, il n'est pas indispensable que la concurrence déloyale soit directement dirigée contre un concurrent déterminé.

Les clients n'ont qualité pour intenter action que s'ils sont atteints dans leurs intérêts économiques; une simple menace ne suffit pas ici (2e al.).

D'ailleurs, ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, les clients ne pourront agir en vertu de la loi spéciale que du chef d'un procédé de concurrence déloyale. S'ils sont lésés par un procédé déloyal en affaires au sens large (par ex. par un prix surfait), ils ne peuvent agir qu'en vertu du code des obligations. L'action en restitution du gain (lettre / et art. 3) ne peut pas être intentée
par les clients.

La disposition concernant l'habilité des associations à ouvrir action (3e al.) ne sera applicable aux associations que dans la mesure où une tâche particulière leur est assignée, dans l'intérêt de leurs membres, en matière de lutte contre la concurrence déloyale. Pour prévenir des conflits d'intérêts ou

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des interventions trop fréquentes de la part des associations, le projet fixe ici certaines limites. Bien entendu, ces limites ne s'appliqueront pas aux cas où une association agira comme concurrente ou comme cliente et usera ainsi des droits qui lui sont acquis en cette qualité dans le domaine de la concurrence déloyale, car sa situation juridique sera, en l'occurrence, la même que celle d'une personne physique ou de toute autre personne morale.

Le droit d'intenter action, accordé aux associations, n'est plus limité -- comme dans le projet de 1934 -- aux cas où la concurrence déloyale n'est pas dirigée contre des concurrents déterminés ; il est cependant subordonné à la condition que des membres de l'association ou des membres de sections de l'association aient eux-mêmes qualité pour intenter action. Ce droit demeure toutefois limité -- comme selon le projet de 1934 -- aux associations qui sont autorisées, en vertu de leurs statuts, à défendre les intérêts économiques de leurs membres; mais la limitation a été atténuée, puisque le nouveau projet n'exige plus une clause expresse des statuts portant spécialement sur la défense des intérêts des membres en matière de concurrence déloyale. Sous cette condition, le droit d'intenter action est conféré tant aux associations professionnelles qu'aux associations économiques, y compris les ligues d'acheteurs et les groupements de consommateurs.

Réserve faite des cas où l'association agit en sa qualité de concurrente ou de cliente, son droit est limité aux actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres a, b, c et f (voir à ce sujet l'explication donnée sous chiffre 3). En tout état de cause, il ne va pas au delà du droit de ses membres.

2. Comme suites de droit civil de la concurrence déloyale, l'article 2, 1er alinéa, accorde les actions en constatation du caractère illicite de l'acte (lettre a), en cessation de cet acte (lettre b), en suppression de l'état de fait qui en résulte et, selon les cas, en rectification de cet état de fait (lettre c), en réparation du dommage (lettre d), en réparation du tort moral (lettre e) et en restitution du gain en vertu de l'article 3 (lettre /). L'énumération n'est pas limitative, attendu que -- les conditions requises étant remplies -- l'action pour cause de violation d'un contrat, qu'elle se fonde sur'la loi ou
un contrat, ou l'action pour cause d'enrichissement illégitime fondée sur les articles 62 et suivants du code des obligations peuvent également être intentées.

Le droit commun, ainsi que l'article 48 du code des obligations, n'accordaient que partiellement ou que sous certaines restrictions, voire n'accordaient point du tout, les actions en constatation du caractère illicite de l'acte, en cessation de cet acte, en suppression de l'état de fait qui en résulte et en restitution du gain. La réglementation de ces actions par la loi nouvelle représente donc -- nous l'avons déjà relevé -- un développement considérable du système de défense juridique contre la concurrence déloyale. Cette réglementation confirme que l'importance de la loi réside

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surtout dans ses dispositions de droit civil et de procédure civile. Ces actions, à la différence des actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral, ont ceci de commun qu'elles sont indépendantes de toute faute.

Sous l'empire du droit actuel, l'action en constatation du caractère illicite de l'acte de concurrence (lettre a) peut être intentée uniquement en vertu des règles du droit cantonal de procédure civile (par ex. selon l'art. 174 du code bernois de procédure civile), ainsi que de l'article 28 du code civil sur la protection des droits de la personne. Indépendamment des confusions qui résultent de la diversité des législations cantonales, cette solution n'est pas satisfaisante, parce qu'elle procède de l'idée que la concurrence déloyale implique toujours une violation de certains droits de la personne. C'est précisément ce que la loi nouvelle a abandonné. L'action en constatation du caractère illicite de l'acte n'est pas subordonnée à des conditions spéciales du droit matériel ou du droit de procédure. Selon la jurisprudence actuelle, elle n'a toutefois une valeur propre en matière de concurrence économique, indépendamment de l'action en exécution d'une obligation, que dans les cas où il y a réellement intérêt à constater immédiatement un rapport de droit. Elle pourra être intentée comme action négatoire, par exemple lorsque le crédit d'un concurrent est compromis par la propagation de propos donnant à croire que telle ou telle action peut être exercée contre lui.

Inaction en cessation de l'acte illicite (lettre b) est déjà prévue à l'article 48 du code des obligations, comme « action en cessation des manoeuvres déloyales ». Pour qu'elle puisse être intentée, il faut qu'un certain préjudice soit imminent. Elle tend à protéger le droit par voie préventive, puisqu'elle a pour objet de faire interdire certains procédés par le juge. Mais elle ne vise pas un acte ou une prestation déterminée du défendeur, de sorte qu'elle n'implique pas la suppression de l'état de fait qui résulte de l'acte illicite.

Ainsi, on pourra exiger, sur la base de la lettre b, que cesse, par exemple, l'envoi d'un catalogue qui en imite un autre, mais on ne pourra pas exiger que les exemplaires déjà expédiés soient retirés de la circulation ou que les adresses des destinataires soient communiquées
(ATP 46, II, 425).

L'innovation du projet qui, dans la pratique, se révélera la plus importante est la faculté accordée d'une façon générale au demandeur de requérir du juge la suppression de l'état de fait qui résulte de l'acte illicite (lettre c).

Ce moyen de droit n'était prévu, jusqu'ici, que par l'article 28 du code civil suisse. Comme l'action en constatation du caractère illicite de l'acte, celle qui tend à supprimer l'état de fait qui résulte de cet acte ne pourra donc s'appliquer à la concurrence déloyale que quand celle-ci peut être envisagée comme une atteinte aux intérêts personnels. L'action que confère l'article 28 du code civil est d'ailleurs subordonnée à l'existence d'une faute, et elle ne tend qu'à mettre obstacle à un trouble imminent ou qu'à empêcher la persistance du trouble qui s'est déjà produit. Dans l'état actuel du droit, Feuille fédérale. 94e année. Vol. I.

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la suppression des effets d'un acte qui a déjà pris fin ne peut donc être obtenue que par la voie d'une action en dommages-intérêts ou en paiement d'une somme d'argent à titre de réparation morale (ATF 52, II, 354). C'est dire que cette suppression ne peut être exigée qu'en cas de faute et que si un dommage est prouvé ou que si les conditions particulières requises pour la réparation morale sont remplies. Toutefois, la jurisprudence la plus récente est allée plus loin dans certains cas; de l'action en cessation des procédés déloyaux de l'article 48 du code des obligations, elle a déduit une action en suppression de l'état de fait créé par ces procédés (voir, par ex., ATF 67, II, 59). La situation juridique sera désormais nettement définie par la lettre c, qui accorde au lésé une action générale en suppression de l'état de fait résultant de l'acte illicite, sans exiger ni la preuve d'une faute, ni la preuve d'un dommage.

Comme mesures propres à supprimer l'état de fait qui résulte de l'acte illicite, signalons, à titre d'exemple, la restitution des plans d'où a été tiré un secret de fabrication pour servir de moyen de concurrence déloyale, ou le retrait d'étiquettes ou de catalogues qui en imitent d'autres. L'action dont il s'agit ne pourra être intentée qu'à un concurrent ou, tout au plus, à un tiers de mauvaise foi. Si un tiers de bonne foi se trouve impliqué, il ne pourra être pris à partie que par le défendeur, qui aura d'ailleurs des dommages-intérêts à verser au demandeur en vertu de la loi cantonale de procédure, au cas où la mesure ordonnée par le juge ne pourrait être exécutée. Lorsqu'il s'agira, dans le cas d'espèce, d'allégations inexactes ou fallacieuses, l'action portera sur leur rectification (lettre c, in fine).

En ce qui concerne les actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral (lettresdété), le projet n'apporte pas de changement au droit actuel, tel qu'il ressort du code des obligations. Ces deux actions présupposent donc qu'une faute a été commise; de plus, celle qui tend à la réparation du tort moral exige, selon l'article 49 du code des obligations, que la faute soit très grave et que des intérêts importants aient été lésés. La lettre d, qui vise à la réparation du dommage subi et du dommage qui sera vraisemblablement encore subi, correspond à la disposition
générale de l'article 42, 2e alinéa, du code des obligations. La notion étendue du dommage à réparer, telle que la consacre la disposition précitée, est si importante en matière de concurrence déloyale qu'on a estimé nécessaire de l'énoncer expressément dans la loi nouvelle. A titre de réparation morale, le juge peut allouer une somme d'argent et, selon l'article 49, 2e alinéa, du code des obligations, y substituer ou y ajouter un autre mode de réparation.

Pour l'action en restitution du gain (lettre/), qui est réglée dans le détail à l'article 3, nous renvoyons aux remarques relatives à cet article.

3. Les actions qui viennent d'être examinées peuvent, selon la situation juridique qui résulte des conditions qui leur sont propres, être intentées, en principe, d'une manière égale par toutes les personnes qualifiées pour

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ouvrir action. Toutefois, l'action en restitution du gain est réservée aux concurrents et à leurs associations; elle ne peut pas être intentée par les clients et leurs groupements (2e al.). De plus, l'association qui n'est pas elle-même atteinte ou menacée dans ses intérêts économiques, soit comme concurrente, soit comme cliente, par la concurrence déloyale, mais qui intervient pour sauvegarder les intérêts de ses membres, ne peut intenter que les actions en constatation du caractère illicite de l'acte, en cessation de cet acte, en suppression de l'état de fait qui en résulte et en restitution du gain (3e al.). Quant aux actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral, elles sont réservées aux personnes directement atteintes, attendu que les raisons qui justifient l'octroi aux associations du droit d'intenter action n'entrent pas en cause pour ces deux dernières. A noter en particulier que le préjudice qui peut atteindre dans son ensemble une branche professionnelle ou une branche économique, à moins d'être déjà compris dans le dommage éprouvé personnellement par les concurrents ou clients, ne peut pas être considéré comme un dommage au sens juridique du terme. D'ailleurs, ces considérations mises à part, il devrait suffire aux associations, pour leur défense, de pouvoir agir selon l'article 2, 1er alinéa, lettres a, b, c et /.

Art. 3.

Restitution du gain.

Tandis que l'article 48 du code des obligations n'alloue des dommagesintérêts que si un dommage et une faute ont été prouvés, le projet prévoit une action en restitution du gain obtenu au moyen de la concurrence déloyale, mais sans y attacher la double condition requise par l'article 48 précité. Ce qui a déterminé à admettre cette nouvelle voie de droit, c'est une considération qu'on a maintes fois relevée dans la doctrine et qui était déjà reproduite dans les travaux préparatoires de 1927. Selon cette considération, celui qui s'est enrichi par la concurrence déloyale ne doit pas rester en possession du fruit de ses agissements, surtout pas dans le cas qù le lésé devrait sortir de l'aventure les mains vides. Forte de cette opinion, la nouvelle commission d'experts s'est, en principe, prononcée pour l'admission d'une action en restitution du gain. Elle s'est surtout appuyée, à ce sujet, sur la jurisprudence développée par le Tribunal fédéral dans l'application de la législation sur les brevets d'invention, rapprochée de l'article 423 du code des obligations, ainsi que sur les solutions analogues consacrées par les droits étrangers (voir plus haut, p. 673).

Si le principe selon lequel celui qui a enfreint les règles de la bonne foi ne doit pas pouvoir conserver le gain qu'il en retire est généralement et d'emblée reconnu comme juste, la question de savoir à qui doit être dévolu ce gain soulève certaines difficultés qui, selon nous, ne doivent toutefois pas faire échouer l'application du principe.

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Voici ce qu'il importe de remarquer à ce sujet: Comme toutes les autres actions qui dérivent de l'article 2, l'action en restitution du gain présuppose une lésion ou une menace des intérêts économiques (art. 2, 1er al.). Elle peut être exercée par des concurrents et, sous les conditions formulées au 3e alinéa de l'article 2, par des associations professionnelles et économiques; mais elle ne peut pas l'être par dos acheteurs ou des groupements d'acheteurs (art. 2, 2e al.).

La restitution est limitée au gain qui n'aurait pas été obtenu sans concurrence déloyale (1er al., lre phrase). Elle ne s'étend donc pas au gain qu'un concurrent s'est procuré en agissant correctement. C'est dans ce sens que s'est fixée la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de brevets d'invention (ATF 35, II, 643, en particulier 660). Lorsque le montant à restituer d'après la relation de cause à effet entre concurrence déloyale et gain ne pourra pas être déterminé de piano, le juge le fixera d'après les circonstances (1er al., 2e phrase).

Touchant l'affectation du gain restitué, le principe primordial et essentiel est qu'il doit servir à réparer le dommage causé (2e al., lre phrase).

La commission d'experts avait prévu, à ce sujet, que le défendeur pourrait déduire du gain à restituer les dommages-intérêts déjà versés ou fixés par une décision passée en force et que le juge n'aurait plus alors qu'à statuer sur l'emploi du gain restant pour réparer la part de dommage qui subsisterait. Sans rejeter définitivement cette opinion, nous estimons plus juste d'abandonner entièrement au juge le soin de régler l'emploi du gain restitué pour réparer le dommage causé. On veut de la sorte prévenir les abus qui pourraient se commettre, supposé que le défendeur fît état de dommages-intérêts fictifs ou se fît rembourser après coup du prétendu lésé la somme qu'il aurait payée et parvînt ainsi à réduire, sans dépense correspondante, son obligation de restituer. Du moment que, dans les cas où un gain a été obtenu, la position juridique du lésé doit être élargie, le gain à restituer peut aussi servir à réparer un dommage qui, en l'absence de faute, ne pourrait pas être réparé selon l'article 2, 1er alinéa, lettre d.

Il suffira qu'un tel dommage soit rendu vraisemblable.

Dans ce rapport entre l'obligation de réparer un dommage et la
restitution du gain, le défendeur voit aussi ses intérêts dûment pris en considération, puisqu'il n'a pas, en principe, à rendre, à l'un ou l'autre de ces deux titres, au delà de ce que lui a procuré son agissement déloyal. Doivent, bien entendu, être réservés les cas où son gain n'atteint pas le dommage à couvrir en raison de la faute commise, attendu que l'obligation de réparer le dommage au sens de l'article 2, 1er alinéa, lettre d, est indépendante de tout avantage tiré de l'acte dommageable. D'autre part, le montant à restituer ne doit pas servir à acquitter une somme allouée à titre de réparation morale ou des amendes, sinon le défendeur qui aurait commis une faute grave aurait, à gain égal, une moindre somme à restituer que celui qui

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n'aurait pas commis de faute donnant lieu à une action pénale ou de faute grave au sens de l'article 49 du code des obligations. Il serait, en effet, inadmissible que le défendeur se trouvât en meilleure posture quant à la restitution du gain, précisément lorsque sa culpabilité serait plus lourde.

Si le total des dommages-intérêts n'est pas encore fixé, le juge pourra ordonner le dépôt du montant à restituer (2e al., 2e phrase). En ce cas, il se bornera d'abord à prononcer l'obligation de restituer et à déterminer le montant du gain procuré par la concurrence déloyale, en suspendant le cours du procès jusqu'à ce que les dommages-intérêts puissent être fixés.

Les actions en réparation du dommage au sens de l'article 2, 1er alinéa, lettre d, susceptibles d'être jugées, peuvent et doivent l'être, il va de soi, même pendant que sont encore en instance d'autres actions analogues.

Elles sont, en effet, indépendantes les unes des autres et ne peuvent être influencées par la restitution du gain que dans la mesure où le montant déposé suffit à en assurer le règlement.

Si, une fois le dommage entièrement réparé, un excédent subsiste du montant restitué, le juge statuera librement sur son affectation; il pourra aussi, sans être lié par les réquisitions des parties, ordonner que l'excédent qui subsiste soit versé à une institution soutenant certaines branches professionnelles (pouvant appartenir aussi au commerce et à l'industrie) ou à l'Etat (3e al.). Il prendra une décision dans ce sens, par exemple lorsque le gain obtenu par le défendeur dépasse de beaucoup les possibilités de gain du demandeur ou lorsque la concurrence déloyale était dirigée contre un nombre indéterminé de concurrents et que l'allocation de la somme restante à un seul d'entre eux ne se justifierait donc pas.

Afin d'assurer dans tous Igs cas l'observation des principes formulés aux 2e et 3e alinéas, le projet soumet à l'approbation du juge les transactions concernant la restitution du gain, le montant à restituer ou son affectation à la réparation du dommage, en spécifiant que, indépendamment de leur validité entre les parties, elles ne seront opposables aux tiers que moyennant cette approbation (4e al.).

Il est, enfin, à remarquer qu'un concurrent lésé par un procédé de concurrence déloyale a, en principe, le choix entre une action
en dommagesintérêts fondée sur le droit commun et une action en restitution du gain.

Il choisira la première s'il y a indubitablement faute du défendeur, si le dommage qu'il a lui-même subi peut être prouvé sans difficulté et, de plus, si ce dommage dépasse le gain obtenu par le défendeur. Il choisira, en revanche, l'action en restitution du gain si la preuve de ces conditions soulève des difficultés, par exemple parce qu'il s'exposerait à compromettre son crédit en avouant avoir éprouvé un dommage. Il y a également lieu, à ce propos, de se référer à la jurisprudence suivie par le Tribunal fédéral en matière de droit sur les brevets d'invention. Selon cette jurisprudence, le demandeur peut toujours « réclamer, en réparation du dom-

698 mage subi tout au moins la restitution du gain que le défendeur a retiré de l'exploitation illicite d'une invention » (ATF 49, II, 518). Il n'est . d'ailleurs pas exclu que les deux actions puissent être intentées simultanément.

Il est encore question de l'action en restitution du gain à l'article 4, 1er alinéa, relatif à la responsabilité de l'employeur, à l'article 5, 3e alinéa, concernant la responsabilité de la presse et à l'article 15 relatif à la dévolution du gain dans le cas d'un acte de concurrence punissable.

Art. 4.

Responsabilité de l'employeur.

Il était nécessaire de consacrer, dans la loi nouvelle, une disposition particulière à la responsabilité de droit civil de l'employeur, puisque le code des obligations ne traite pas des actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres a, b, c et/. La jurisprudence admet, il est vrai, que l'action en cessation de l'acte illicite peut aussi être intentée à l'employeur mais, par application analogique de l'article 55 du code des obligations, elle devait accorder à l'employeur la faculté de décliner toute responsabilité en prouvant qu'il avait pris les soins commandés par les circonstances pour prévenir l'acte de son subordonné (ATP 58, II, 28). Or, cette solution ne saurait satisfaire aux nécessités pratiques.

Les actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres a, b, c et / peuvent être intentées à l'employeur, même s'il n'y a pas de faute imputable à l'employeur ou à son subordonné. De plus, elles ne laissent pas à l'employeur, le bénéfice d'une preuve libératoire au sens de l'article 55 du code des obligations (1er al.). Cette responsabilità rigoureuse est justifiée, parce que le principe de la responsabilité purement causale s'applique aussi aux susdites actions en vertu de l'article 2 et que l'employeur ne saurait donc non plus décliner toute responsabilité s'il était lui-même l'auteur de l'acte.

D'ailleurs, la preuve libératoire affaiblirait singulièrement les effets de ces actions. Si l'action en cessation de l'acte illicite doit remplir son office préventif, il faut que l'interdiction du juge visant l'acte du subordonné puisse aussi s'adresser directement à l'employeur, sans que celui-ci, en présence de la situation menaçante, puisse encore objecter avoir pris tous les soins commandés par les circonstances pour prévenir le danger. S'agissant de l'action en suppression de l'état de fait gui résulte de l'acte illicite, il est à remarquer que bien des mesures susceptibles d'être prises en l'occurrence, par exemple le retrait de catalogues induisant les clients en erreur, ne peuvent être efficaces que si elles sont prises par l'employeur lui-même.

Enfin, l'action en restitution du gain fait naître une variété particulière de la responsabilité qu'encourt celui qui a reçu quelque chose; à l'instar de ce qui se passe dans la restitution de l'indu, c'est toujours à celui qui a effectivement reçu le montant du gain que l'action est intentée. Lorsqu'un

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employeur a fait un gain à la faveur d'un acte de concurrence déloyale d'un employé ou d'un ouvrier, on pourra déjà d'emblée agir contre lui en vertu de l'article 3. Sans doute, lorsque l'employé a gardé pour lui le montant du gain et qu'il a donc agi dans son propre intérêt, et non pas « dans l'accomplissement de son travail », c'est lui seulement qui peut être astreint à restitution.

En ce qui concerne les actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral que l'article 2, 1er alinéa, lettres d et e, fonde sur les principes du code des obligations, leur exercice contre l'employeur est également régi par les dispositions du code des obligations (2e al.). L'article 55 de ce code contient déjà à ce sujet les prescriptions nécessaires; il n'y avait, ·dès lors, pas lieu d'insérer dans la loi nouvelle des dispositions spéciales.

Quant à la responsabilité des employés ou ouvriers, qui ne doit pas être exclue par la responsabilité de l'employeur, elle ne fait l'objet d'aucune disposition particulière dans la loi nouvelle; elle sera donc régie par les principes généraux de l'article 2. Pour le cas d'un recours éventuel de l'employeur, on se référera à l'article 55, 2e alinéa, du code des obligations.

Art. 5.

Responsabilité de la presse.

Il arrive fréquemment que la presse serve de moyen de concurrence déloyale ; aussi une disposition spéciale qui détermine nettement la position juridique de la presse répond-elle à un besoin. Comme à l'article 4 relatif à la responsabilité de l'employeur, les différentes actions qui se fondent sur l'article 2 y sont traitées séparément, ce qui donne un énoncé plus clair que ne l'était celui de l'article 6 du projet de 1934. Sur le fond, la disposition nouvelle ne diffère toutefois pas de la précédente.

Du moment que les actions en constatation du caractère illicite de l'acte, en cessation de cet acte et en suppression de l'état de fait qui en résulte (art. 2, 1er al., lettres a, b et c) sont indépendantes de tout élément de faute, elles pourraient aussi être exercées, en principe, sans faire l'objet d'un prescription spéciale, contre toute personne participant à l'activité de la presse.

Or, en l'absence d'une faute, cela mènerait trop loin. C'est pourquoi, sous réserve de la responsabilité encourue en cas de faute, les suites .de droit civil desdites actions sont restreintes en faveur de la presse à certains cas nettement déterminés, en relation avec les dispositions du code pénal sur la responsabilité de la presse (art. 27 CPS). De plus, elles prévoient une responsabilité par cascade. La question de la responsabilité de la presse dans le cadre desdites actions ne se pose -- toujours sous la réserve qu'une faute ait été commise -- qu'en cas de refus de faire connaître l'auteur de l'écrit ou celui qui a donné l'ordre l'insertion, ou encore lorsqu'il ne peut être découvert ou actionné devant un tribunal suisse, ou enfin, si la publication a été faite à son insu ou contre son gré (lettresa, 6 et c). Lorsque

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l'une de ces hypothèses est réalisée, les personnes entrant en ligne de compte ne peuvent être actionnées que suivant un certain ordre : en cas d'insertion, la responsabilité incombe en premier lieu à celui qui est désigné comme responsable des annonces, en second lieu à l'éditeur et en troisième lieu à l'imprimeur; dans tous les autres cas, c'est le rédacteur désigné comme responsable qui doit répondre en premier lieu, l'éditeur étant tenu en second lieu et l'imprimeur en dernier lieu (1er al., lre phrase).

Si une faute est imputable à l'une desdites personnes, les actions dont il s'agit peuvent être exercées contre elles sans égard à l'ordre de succession fixé ou aux conditions particulières des lettres a, b et c (1er al., 2e phrase).

Ainsi, pour prendre un exemple, un imprimeur peut, en cas de faute, être directement actionné en suppression de l'état de fait qui résulte de l'acte illicite, au lieu que, en l'absence de faute, ce ne serait possible que s'il n'y avait ni rédacteur (ou personne préposée aux annonces) désigné comme responsable, ni éditeur.

En ce qui concerne les actions en réparation du dommage et en réparation du tort moral (art. 2, 1er al., lettres d et e), nous renvoyons -- comme à l'article 4 relatif à la responsabilité de l'employeur -- aux dispositions générales du code des obligations (2e al.). Ces actions sont donc entièrement indépendantes de la règle formulée dans la première phrase du premier alinéa et ne peuvent donc pas non plus être exercées contre des personnes participant à l'activité de la presse, si ce n'est en cas de faute. Du moment que la responsabilité desdites personnes peut, en droit pénal (art. 27 GPS), être engagée, selon les circonstances, sans que la personne responsable ait elle-même commis une faute, une responsabilité civile du chef de dommage pourrait en soi se justifier pour des cas analogues, indépendamment de toute faute. Mais pareille règle n'a pas, par principe, à figurer dans une loi spéciale, telle qu'une loi relative à la concurrence économique, attendu qu'elle ne devra pas s'appliquer seulement en matière de concurrence économique. Quant au droit de recours en cas de faute commune de plusieurs personnes, l'article 50, 2e alinéa, du code des obligations abandonne au juge le soin de statuer sur l'existence du droit de recours et sur son étendue.
Cette disposition permet de tenir dûment compte des intérêts particuliers de la presse, de sorte qu'il n'y avait pas de raison d'adopter une solution spéciale dans la loi nouvelle.

Touchant l'action en restitution du gain (art. 2, 1er al., lettre f, et art. 3), le projet dispose qu'une personne participant à l'activité de la presse ne peut être recherchée en responsabilité que pour le gain obtenu par elle au moyen d'un acte de concurrence déloyale dirigé contre une entreprise de la même branche d'activité (3e al.). Par conséquent, il n'est pas possible de réclamer la restitution du gain « secondaire », par exemple du gain provenant de l'impression par une entreprise tierce d'un tract de propagande contraire aux règles de la bonne foi.

701

Le principe énoncé à l'article 27 du code pénal, qui limite la responsabilité pénale de la presse « aux cas où l'infraction a été consommée par la, publication elle-même » n'a intentionnellement pas été repris à l'article 5.

Il se conçoit en droit pénal; en droit civil, il priverait la presse,-sans raison pertinente, du moins dans certains cas, de la situation privilégiée qui lui est faite.

Art. 6.

For.

Pour faciliter la poursuite judiciaire des personnes qui n'ont pas de domicile en Suisse, l'article 6 dispose que ces personnes peuvent aussi être actionnées devant le juge du lieu où l'acte a été commis (1er al.). C'est ce que prévoyaient déjà de nombreuses lois cantonales de procédure civile.

Selon le droit pénal en vigueur (art. 346, 1er al., CPS), est considéré comme lieu de commission du délit, le lieu où l'infraction a été commise et, si c'est à l'étranger, le lieu où le résultat s'est produit (ATF 68, IV, 54). Le for du lieu de commission n'a pas un caractère exclusif; la disposition peut donc compléter, mais ne peut jamais restreindre les prescriptions cantonales sur la matière.

Les lois spéciales qui régissent la propriété industrielle et commerciale prévoient que les procès civils auxquels donne lieu leur application doivent être jugés par une seule juridiction cantonale, le recours au Tribunal fédéral étant recevable sans égard à la valeur pécuniaire de l'objet du litige (art. 29 de la loi sur la protection des marques de fabrique et de commerce ; art. 33 de la loi sur les dessins et modèles industriels ; art. 49 de la loi sur les brevets d'invention; art. 45 de la loi sur la propriété littéraire et artistique). Une disposition de droit fédéral fait actuellement défaut pour fixer le for des causes qui présentent une connexité avec une cause relevant desdites lois spéciales. Il en résulte que, selon le droit cantonal de procédure, les deux causes doivent souvent être jugées séparément, ce qui ne laisse pas de soulever des difficultés à divers égards (cf. ATF 55, II, 50). Aussi a-t-il paru opportun, du moins pour les cas très fréquents de connexité avec une action fondée sur la concurrence déloyale, de prévoir la jonction des deux causes (2e al.).

Art. 7.

Publication du jugement.

La publication du jugement constitue un moyen efficace de combattre la concurrence déloyale. Selon la jurisprudence antérieure, elle n'était toutefois qu'un mode d'indemnisation ou de réparation morale et présupposait par conséquent aussi bien une faute de la part du défendeur qu'un dommage subi par le demandeur (ATF 56, II, 37). Dans la suite, on lui a aussi attribué la valeur d'une mesure propre, selon les circonstances,

702 à écarter une menace dirigée contre la possession d'une clientèle (ATF 67, II, 57). Or la publication du jugement peut certainement aussi répondre à un besoin dans les cas où lesdites conditions ne sont pas remplies et où il n'y a par conséquent pas de faute imputable au défendeur.

Le juge peut, à la requête de la partie qui obtient gain de cause, autoriser celle-ci à publier le jugement. S'il accueille la requête, il décide de la nature et de l'étendue de la publication, notamment en désignant les journaux dans lesquels elle aura lieu, en déterminant la dimension de la publication et en spécifiant si le dispositif sera seul publié ou si les motifs in extenso ou en extrait le seront également. Le prononcé relatif à la publication peut être l'objet du même recours que le prononcé relatif à la demande principale. Peut donc seule être autorisée la publication d'un jugement passé en force. La publication se fait aux frais de la partie qui succombe, mais le juge veille à ce que les frais ne dépassent pas les sommes nécessaires pour que la publication atteigne son but.

Art. 8.

Prescription.

Selon les dispositions énoncées à l'article 60, 1er et 2e alinéas, du code des obligations pour les actions en dommages-intérêts et le paiement d'une somme d'argent au titre de réparation morale, le projet prévoit deux délais de prescription, l'un relatif, l'autre absolu. Le premier, qui part du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit, est, comme dans le code des obligations, d'un an. Le second, qui part du jour où le droit de la partie lésée a pris naissance, a été fixé à cinq ans. Dans le code des obligations, le délai correspondant est de dix ans. Les lois qui régissent le domaine voisin de la propriété industrielle et commerciale contiennent de même des délais de prescription relativement courts: deux ans dans la loi sur la protection des marques de fabrique et de commerce (art. 28, 4e al.) et dans la loi sur les dessins et modèles industriels (art. 27, 3e al.); trois ans dans la loi sur les brevets d'invention (art. 48, 1er al.). De plus, les actions des artisans pour leur travail et des marchands en détail pour leurs fournitures se prescrivent aussi par cinq ans (art. 128, ch. 2 et 3, CO). La computation des délais, ainsi que l'empêchement, la suspension et l'interruption de la prescription, sont régis par les dispositions générales du code des obligations (art. 127 s.).

La réglementation est la même pour toutes les actions qui se fondent sur l'article 2. A vrai dire, pour l'action en cessation de l'acte, une prescription n'entre pas en cause, puisque l'action ne peut être exercée que s'il y a atteinte ou menace; tant que cette condition est remplie, c'est-à-dire tant que l'atteinte ou la menace persistent, la prescription ne commence pas à courir (ATF 55, II, 253). Mais dès l'instant où cette condition vient à disparaître, l'action perd par cela même sa justification matérielle.

703

Art. 9.

Application du code civil.

La loi relative à la concurrence présentant le caractère d'une loi spéciale, on s'est abstenu, à dessein, d'y régler des points d'ordre général, à moins que des raisons péremptoires ne le commandent. Partout où ce n'est pas le cas, les dispositions du droit civil, notamment celles du code des obligations, sont applicables.

Sont plus particulièrement importants les principes généraux concernant l'acte illicite, par exemple sur la fixation du dommage (art. 42 CO), la détermination et la réduction de l'indemnité (art. 43 et 44 CO), la responsabilité plurale (art. 50 et 51 CO), la relation entre droit civil et droit pénal (art. 53 CO), ainsi que sur la responsabilité de l'employeur (art. 55 CO), dont l'application ressort déjà de l'article 4, 2e alinéa. Doivent en outre être mentionnées ici les dispositions générales sur l'exécution des obligations (art. 68 s. CO), sur la compensation (art. 120 s. CO) et, sous réserve de l'article 8, les dispositions relatives à la prescription (art. 127 s. CO).

La concurrence déloyale pouvant également se commettre par violation de contrat, il y a lieu de mentionner aussi les articles 97 et suivants du code des obligations, y compris l'article 101 de ce code (responsabilité pour des auxiliaires). Prenons, comme exemple, le cas d'infraction à une convention entre employeurs sur certaines conditions de travail (v. art. 1er, 2e al., h) ou à un contrat ou à la décision d'une association concernant certains procédés particuliers de concurrence. Sans doute, en pareil cas, ce sont d'abord les sanctions prévues dans le contrat qui entrent en jeu; celles de la loi spéciale ne peuvent être invoquées qu'à titre complémentaire. Il restera, le cas échéant, à déterminer, sur la base de l'article 20 du code des obligations, si et dans quelle mesure de tels contrats conclus entre concurrents sur une certaine attitude à observer dans la lutte économique seront encore valables en présence de la loi nouvelle, ou s'ils devront être tenus pour nuls et non avenus, en raison de leur contenu contraire au droit en vigueur.

Nous mentionnerons encore, comme étant d'importance moindre mais également de nature à s'appliquer en principe aux affaires de concurrence déloyale, les dispositions sur la réparation de l'indu (art. 62 s. CO). Toutefois, l'action en
réparation de l'indu n'entrera pratiquement guère en ligne de compte comme mesure indépendante, du moment que l'action en réparation du dommage, considérée de façon toute générale, a une portée plus grande et que, de plus, une action spéciale sur la restitution du gain est prévue dans la loi nouvelle (art. 3).

704

B. Mesures provisionnelles.

Art. 10.

Conditions.

Les mesures provisionnelles ne peuvent être ordonnées qu'à la requête d'une partie. Le droit de les requérir appartient aux personnes et aux associations qui, en vertu de l'article 2, ont qualité pour intenter les actions civiles. Le requérant .doit rendre vraisemblable « que la partie adverse use, dans la concurrence économique, de moyens contraires aux règles de la bonne foi et qu'il est, en conséquence, menacé d'un dommage difficilement réparable et qui peut être prévenu seulement par des mesures provisionnelles » (2e al.). La vraisemblance suffit donc comme moyen de preuve, attendu qu'une preuve stricte ne peut pas être exigée; mais il ne suffit pas de rendre vraisemblable qu'il y a concurrence déloyale; il faut qu'on se trouve en présence d'un fait précis, une menace bien caractérisée et nécessitant des mesures immédiates pour prévenir un dommage difficilement réparable.

Les mesures provisionnelles tendront notamment à « assurer l'administration des preuves, le maintien de l'état de fait existant, ainsi que l'exercice provisoire des droits litigieux» (1er al.). Comme le précisait déjà le projet de 1934, l'exercice provisoire des droits litigieux n'est prévu que pour les actions en cessation de l'acte illicite et en suppression de l'état de fait qui en résulte (art. 2, 1er al., lettres 6 et c). On ne voit guère que l'action en constatation de l'acte puisse dans la pratique donner lieu à des mesures provisionnelles. Quant aux actions en paiement d'une somme d'argent (dommages-intérêts, réparation morale, restitution du gain), elles bénéficient des mesures prévues par la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, y compris les dispositions sur le séquestre (art. 271 s.

LP).

L'énumération est purement indicative; elle n'est donc pas complète.

Réserve est faite de toutes autres mesures provisionnelles pouvant être ordonnées en vertu du droit cantonal de procédure. En outre, l'autorité compétente pourra, en se fondant sur la loi nouvelle, ordonner des mesures autres que celles qui sont énumérées, pourvu qu'elles soient propres à mener au but indiqué au 2e alinéa et que l'exercice des droits litigieux -- le séquestre mis à part -- soit limité aux actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres 6 et c. Quant à la nature des mesures à ordonner, l'autorité compétente
en décidera dans la limite de la requête qui lui aura été présentée.

L'autorité devra toujours entendre la partie adverse, « avant d'ordonner des mesures provisionnelles » (3e al.). Cette audition doit avoir lieu, dût-il y avoir péril en la demeure. Mais en ce dernier cas, l'autorité pourra, avant audition, ordonner « provisoirement » les mesures qui s'imposeront. En principe, les mesures ainsi ordonnées pourront être les mêmes que les mesures

705

provisionnelles proprement dites; en l'occurrence, il s'agira toutefois principalement de mesures conservatoires qui laissent les choses en l'état. L'ordonnance provisoire ne demeurera en force que jusqu'au moment où l'autorité, après avoir entendu la partie adverse, admettra ou rejettera la requête de mesures provisionnelles.

Art. 11.

Sûretés.

La partie qui requiert des mesures provisionnelles peut être obligée par l'autorité compétente à fournir des sûretés. Ces sûretés doivent servir à réparer le dommage que pourraient occasionner les mesures provisionnelles (1er al. et art. 13, 2e al.). L'autorité n'est pas obligée de les réclamer; elle en a simplement la faculté. On veut ainsi empêcher que le requérant ne voie rejeter sa requête de mesures provisionnelles, encore qu'elle se justifiât pleinement. En général, les sûretés seront exigées avant ou en même temps que seront ordonnées les mesures provisionnelles. Mais il pourra arriver, selon les circonstances et les effets des mesures provisionnelles, que des sûretés deviennent nécessaires par la suite. En pareil cas, l'autorité arrêtera que, si les sûretés ne sont pas fournies, les mesures provisionnelles seront révoquées ou restreintes. Le montant des sûretés à fournir peut de même être augmenté par la suite.

Le projet prévoit aussi l'éventualité où la partie adverse fournirait des sûretés au requérant; lorsque tel sera le cas, l'autorité compétente pourra renoncer à ordonner des mesures provisionnelles ou bien révoquer, entièrement ou partiellement, les mesures déjà prises (2e al.). Il existe ainsi, pour la partie adverse, la possibilité d'empêcher, selon les circonstances, les mesures provisionnelles sans compromettre par trop l'intérêt du requérant ou une protection provisoire. L'autorité compétente appréciera librement, en tenant compte des intérêts des deux parties, si les sûretés offertes sont suffisantes. En même temps, elle décidera si les mesures déjà ordonnées doivent être modifiées ou révoquées.

Art. 12.

Autorité compétente.

Les mesures provisionnelles peuvent être ordonnées au lieu du domicile de la partie adverse ou, si elle n'a pas de domicile en Suisse, au lieu où l'acte a été commis (1er al.). Il y a ainsi concordance avec le for de l'action principale (art. 6, 1er al.). Vu l'article 59 de la constitution fédérale, qui garantit au débiteur solvable ayant domicile en Suisse le for de son lieu de domicile pour des réclamations personnelles, il eût été contraire à la constitution de prévoir, de façon toute générale, que les mesures provisionnelles puissent être demandées au lieu où l'acte a été commis. Encore qu'elle

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soit souvent de nature à répondre à un besoin réel, pareille extension du for ne laisserait pas de contrarier singulièrement la position juridique et les moyens de défense de la partie contre qui doivent être prises des mesures parfois gênantes pour elle. D'ailleurs, les mesures ordonnées au lieu du domicile du défendeur peuvent de toute façon être déclarées exécutoires dans la Suisse entière, les cantons devant se prêter réciproquement assistance en pareil cas (art. 61 Ost., ATF 47, I, 93). Enfin, les cantons peuvent déterminer librement, dans les limites de leur territoire, l'autorité compétente à raison du lieu pour ordonner des mesures provisionnelles (v. p. ex. art. 15 de la loi zurichoise de procédure civile, qui prévoit que les requêtes tendant à sauvegarder des moyens de preuve qui sont menacés de disparaître doivent être présentées au juge en situation de recueillir la preuve dans le plus bref délai).

Lorsque les mesures provisionnelles seront requises avant l'ouverture de l'action, les cantons désigneront l'autorité compétente à raison de la matière ; ils pourront confier cette tâche à des autorités judiciaires ou administratives (2e al.). On veut ainsi tenir compte du fait que plusieurs lois cantonales de procédure civile chargent certaines autorités administratives de la procédure non contentieuse. Si, toutefois, les mesures provisionnelles doivent être ordonnées ou révoquées après l'introduction de l'instance principale, il faut, en raison des nécessités de la pratique, donner à cet effet la compétence exclusive au juge devant lequel s'instruit l'instance principale (3e al.).

Ces règles s'appliquent aussi aux mesures provisionnelles qui ont été ordonnées avant l'introduction de l'instance par une autorité judiciaire ou administrative. Quant à savoir, si, selon les cas, la décision doit être prise par le tribunal in corpore, par son président ou par un juge d'instruction, c'est une question qui se réglera d'après le droit cantonal de procédure.

Art. 13.

Obligation d'intenter action.

Lorsqu'une partie est parvenue à obtenir les mesures provisionnelles demandées, elle a souvent atteint son but, de sorte qu'elle n'a plus alors intérêt à engager le procès qui devrait résoudre la question litigieuse.

D'autre part, la partie adverse qui doit subir les mesures provisionnelles a pour sa part un intérêt notable à vider le débat. C'est pourquoi l'autorité doit impartir au requérant un délai pour intenter action, en spécifiant que, s'il n'agit pas dans ce délai, les mesures ordonnées deviendront caduques. Le délai sera fixé par l'autorité compétente pour ordonner les mesures provisionnelles, mais il ne pourra dépasser 30 jours (1er al.). Ces règles correspondent, en principe, à celles qui régissent la procédure à suivre en matière de séquestre (art. 278 LP).

Si le requérant n'obtient pas gain de cause dans l'instance principale qui a donné lieu aux mesures provisionnelles, soit qu'il n'ait pas intenté

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action en temps utile, soit qu'il se soit désisté dans la suite, soit qu'il ait été débouté des fins de sa demande, il aura à répondre envers la partie adverse du dommage que pourraient avoir occasionné des mesures provisionnelles injustifiées (2e al.). La partie adverse pourra demander la réparation du dommage en prévision duquel le requérant aura dû, le cas échéant, fournir des sûretés ; elle pourra le demander, soit par voie d'exception opposée au cours de l'instance principale, soit en introduisant dans l'année une instance indépendante devant le juge auquel ressortit le défendeur (qui avait requis les mesures provisionnelles). Tandis que, en matière de séquestre, le créancier répond ipso jure du dommage résultant d'un séquestre injustifié (art. 273 LP), la réparation du dommage est subordonnée à la décision du juge. Puisque l'autorité compétente pour ordonner les mesures provisionnelles décide librement si elle les accordera ou non, -- d'où différence d'avec le séquestre -- elle ne saurait d'emblée, par une décision imperative, rendre le requérant responsable du dommage causé.

III. Action pénale.

Art. 14.

Infractions.

En déterminant la notion de concurrence déloyale, on a, pour les motifs exposés ci-dessus, renoncé à une définition générale qui embrasse tous les.

actes punissables, abandonnant ainsi le système adopté pour la partie de droit civil. On s'est contenté de limiter la répression à certains faits spécialement et limitativement énumérés (lettres a à g). Les éléments des actes punissables correspondent, en général, aux exemples mentionnés à l'article 1er, 2e alinéa, lettres a à g. Les faits prévus sous lettre h n'ont pas été déclarés punissables car, en tant qu'elles dépassent le cadre de la réglementation civile, les sanctions relatives à l'inobservation des conditions de travail doivent plutôt figurer dans les lois, ordonnances et conventions, sur la matière. H s'agit, en résumé, des infractions suivantes: lettre a : dénigrement, lettre 6 : indications inexactes ou fallacieuses, lettre c : dénomination professionnelle inexacte, lettre d : cause de confusion, lettre e : corruption de subordonnés, lettre /: incitation à trahir des secrets, lettre g : exploitation de secrets surpris.

Cette énumération correspond le plus possible à la teneur bien connue de l'article 1er et dans la mesure où, pénalement-parlant, il n'est pas indiqué de faire ressortir l'élément subjectif du délit ou de choisir une conception plus stricte. Ainsi, aux termes de la lettre d, sont seuls punissables les

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moyens employés pour créer une confusion; en revanche, la responsabilité civue existe lorsqu'ils sont « destinés ou de nature à faire naître une confusion ». La même distinction doit être observée dans le cas d'emploi d'un titre ou dénomination inexact (lettre c) et dans celui de corruption de subordonnés (lettre e). En ce qui concerne la réclame trompeuse (lettre b), on exigera que l'auteur de l'acte ait donné les fausses indications « afin d'avantager ses offres par rapport à celles de ses concurrents ». Les tiers qui s'interposent sans être eux-mêmes concurrents peuvent également se rendre coupables, de même qu'ils peuvent encourir, selon les circonstances, une responsabilité civile. Ainsi les associations et les personnes qui ont agi ·en leur nom (art. 17) pourront être punies lorsque, par exemple, elles dénigrent un particulier (lettre a). Dans tous les cas, la tentative est punissable (art. 21 GPS).

L'expression : « Celui qui se rend coupable de concurrence déloyale,...» en relation avec l'article 1er, 1er alinéa, implique qu'on exigera un abus de la concurrence économique comme élément constitutif commun et caractérisé. Nous trouvons ici une différence essentielle avec l'article 161 du code pénal, aux termes duquel est seul punissable « celui qui détourne la clientèle d'autrui ». Le droit actuel ne concerne ainsi que les interventions qui se produisent dans un domaine bien déterminé de l'activité économique ; il ne saurait, à ce point de vue, être considéré comme une ·clause générale. Au contraire, en ce qui concerne la question décisive de la portée des prescriptions pénales, la nouvelle réglementation fait abstraction d'une telle limitation et assure la protection de tous les principes de la concurrence et des relations d'affaires. D'autre part, l'article 161 du code pénal interdit l'emploi de « moyens déloyaux », alors que la loi sur la concurrence déloyale ne déclare punissables que les actes limitativement énumérés comportant certaines conditions de fait bien déterminées.

Toutefois, la différence est avant tout dans la forme; les actes mentionnés sous lettres a, b et d sont pris dans une acception si large que le procédé de rémunération n'apparaît pas comme un désavantage. En outre, l'expression « moyen déloyal » de l'article 161 du code pénal implique toujours une atteinte à la vérité
(cf. le message relatif au CPS. FF 1918, IV, 36), alors que, selon les lettres a et e, sont aussi punissables les allégations inutilement blessantes (même exactes en soi) et l'emploi de « pots de vin » si important en pratique. Il ressort de ce qui procède que la protection pénale sera bien plus efficace sous l'empire des nouvelles prescriptions. Aussi l'article 161 du code pénal pourra-t-il être abrogé (art. 23,1er al.).

Aux termes de l'article 162 du code pénal, le fait d'induire des employés .à trahir un secret de fabrication ou un secret commercial ne saurait être considéré que comme une instigation au sens de l'article 24 du code pénal, ·c'est-à-dire comme une forme de participation; selon lettre /, cet acte

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constitue un délit indépendant. D'après le projet, la responsabilité pénale de l'instigateur est distincte de celle de la personne qui a divulgué le secret.

Cette distinction ne serait pas possible sous l'empire de la législation actuelle en vertu du principe selon lequel la punition de la personne qui a commis le délit est la condition de la responsabilité pénale de l'instigateur. En outre, la tentative d'une telle incitation'est punissable (art. 21 GPS); aux termes de l'article 162 du code pénal, la tentative d'instigation à livrer un secret est, en revanche, dépourvue de sanction, car l'auteur de cette violation n'est pas passible de réclusion (art. 24, 2e al., CPS). L'incitation à surprendre un secret qui, aux termes de l'article 273 du code pénal, ne serait punissable que si elle constituait un service de renseignements économiques au profit de l'étranger, est également définie de la même manière. Enfin, il faut faire une autre distinction; l'article 162 du code pénal prévoit l'utilisation et la divulgation de secrets et se borne à punir celui qui s'est procuré lesdits secrets par ses propres moyens; aux termes de la lettre g, en revanche, sera également punie la personne qui, sans avoir agi elle-même, aura pris connaissance de ces secrets, de quelque manière que ce soit, contrairement aux règles de la bonne foi. Nous constatons donc que le projet tient plus compte des nécessités particulières du droit pénal en matière de concurrence déloyale que ne le fait l'article 162 du code pénal. Au surplus, cette dernière disposition ne saurait être abrogée que dans la mesure où elle s'occupe de la concurrence, et elle doit subsister pour ce qui a trait aux infractions relatives aux secrets de fabrication et aux secrets commerciaux, commises en dehors du domaine de la concurrence (art. 23, 2e al.).

Au contraire du droit civil, le droit pénal n'envisage, dans chaque cas, que l'acte punissable. Seule l'infraction commise intentionnellement doit être réprimée conformément à l'article 161 du code actuel; c'est aussi le cas pour les délits perpétrés contre les droits immatériels (art. 160 et 162 CPS ; loi sur la protection des marques de fabrique, art. 25 ; loi sur les dessins et modèles industriels, art. 25 et 26 ; loi sur les brevets d'invention, art. 39 et 40; loi sur les droits d'auteurs, art. 46). Pour
bien établir la différence avec la partie de droit administratif qui, dans certains cas, punit aussi la simple négligence (art. 20, 2e al., art. 22, 1er al.), le mot « intentionnellement » a été ajouté expressément bien que cela n'eût pas été absolument nécessaire eu égard à l'article 18, 1er alinéa, du code pénal. Le projet de 1934 visait aussi à punir la négligence grave, parce qu'il était souvent difficile d'apporter la preuve d'une infraction intentionnelle dans des cas spéciaux. Cette conception se justifiait autrefois; actuellement, elle n'a plus sa raison d'être, car les faits délictueux ont reçu une définition plus large; en conséquence, il suffit de ne prévoir que le délit intentionnel.

En outre, la répression de la négligence ne s'accorderait pas aisément avec les dispositions du code pénal suisse, qui ne la prévoit, pour les crimes et délits, que dans certains cas très rares (principe posé à l'art. 18, 1er al., CPS, puis art. 117, art. 125 et art. 237 s. CPS).

Feuille fédérale. 94e année. Vol. I.

53

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Dans tous les cas, la répression n'intervient que sur plainte. Peuvent seules porter plainte les personnes et associations qui sont en même temps habiles à intenter l'action civile; en corrélation avec l'article 2, 2e alinéa, cette disposition vaut également pour les clients et leurs associations. La commination pénale est réglée uniformément pour tous les cas particuliers.

Conformément à l'article 161 du code pénal, les peines de l'emprisonnement et de l'amende sont prévues. L'autorité compétente pourra ainsi prononcer des peines d'emprisonnement de trois jours à trois ans ou des amendes jusqu'à 20 000 francs (art. 36, ch. 1er, et art. 48, ch. 1er, GPS).

Les infractions relatives à la concurrence déloyale doivent être considérées comme des délits aux termes de la définition légale de l'article 9, 2e alinéa, du code pénal; ceci revêt une importance particulière pour le calcul de la prescription (art. 70 GPS). Le cas échéant, les deux peines peuvent être cumulées (art. 50, 2e al., GPS). Si le délinquant a agi par esprit de lucre, le juge n'est pas lié par le maximum de l'amende (art. 48, ch. 1er, GPS).

Une peine privative de liberté ne sera prononcée que dans les cas graves; à ce sujet, une prescription spéciale n'est pas nécessaire, car cette limitation est la conséquence toute naturelle des règles du code pénal suisse sur la mesure de la peine (art. 63 s. GPS).

Art. 15.

Dévolution du gain.

Il est prévu, en corrélation avec l'article 3, que le juge pénal décide de la restitution du gain obtenu grâce à la concurrence déloyale. Ici également, le montant à restituer selon les prescriptions de l'article 3 servira en premier lieu à réparer le dommage établi ou rendu vraisemblable et, à la rigueur, selon l'appréciation du juge, à encourager certaines activités professionnelles. Si aucune demande n'est faite dans ce sens au cours du délai de prescription, ou si le montant restitué n'a pas été entièrement employé aux fins ci-dessus, il est dévolu à l'Etat.

Cette disposition est nécessaire. En efiet, l'article 58 du code pénal relatif à la confiscation d'objets dangereux ne concerne que les instruments qui ont servi à commettre un acte punissable ou qui sont le produit d'une infraction; il faut, en outre, qu'ils soient de nature à compromettre la sécurité des personnes ou l'ordre public. Cette
prescription ne permettrait pas de s'assurer de la manière la plus appropriée du gain obtenu grâce à un acte répréhensible de concurrence déloyale.

Art. 16.

Responsabilité pénale de l'employeur et du mandant.

Lorsque, dans l'exécution de son travail, un employé commet une infraction, l'employeur n'est punissable, aux termes des dispositions générales du code pénal suisse, que s'il l'a incité à agir ou lui a prêté assistance

711

(art. 24 et 25 CPS) ; en revanche, il échappe à toute poursuite si l'employé a agi seul ou de son propre chef. Il y avait là une lacune regrettable pour le droit relatif à la concurrence déloyale ; pour y remédier, les dispositions pénales s'appliqueront aussi à l'employeur qui a eu connaissance de l'infraction de son employé et a omis de l'empêcher ou d'en supprimer les effets. La culpabilité de l'employé et celle de l'employeur sont indépendantes l'une de l'autre. La même solution s'applique aussi au mandant et au mandataire.

Art. 17.

Personnes morales et sociétés commerciales.

D'après le droit en vigueur, les personnes morales ne sont, comme telles, responsables que des contraventions. On a prévu, cependant, comme dans d'autres prescriptions fédérales, que les dispositions pénales s'appliqueront aux associés ou aux membres des organes de la société qui ont agi ou auraient dû agir pour elle ou pour la personne morale (cf. art. 172 et 326 CPS pour certains délits; en outre: art. 45 de la loi sur les loteries, art. 56 de la loi sur l'alcool, art. 21, 3e al., de la loi sur le travail à domicile, et d'autres encore). Par application analogique de l'article 16, cette disposition vise également celui qui omet de procéder à un acte déterminé de sa charge. Il n'est donc pas nécessaire de la rappeler comme le fit le projet de 1934 (art. 18, 2e phrase, du projet de 1934). Les personnes morales ou les sociétés répondront solidairement du paiement de l'amende et des frais.

Art. 18.

Répression pénale.

La poursuite pénale ressortit aux cantons. Elle est régie par les prescriptions y relatives du code pénal suisse, des articles 247 à 278 de la loi sur la procédure pénale dans la mesure où elles sont encore en vigueur (cf. art. 398, lettre o, CPS), ainsi que les lois cantonales de procédure. Le montant des amendes revient aux cantons (loi sur la procédure pénale, art. 253, 2e al.); suivant les circonstances, le juge peut toutefois l'allouer au lésé (art. 60, 2e al., CPS).

IY. Liquidations et primes.

A. Liquidations et opérations analogues.

Art. 19.

Ordonnance du Conseil fédéral.

Dans le domaine des liquidations, la situation se modifie fréquemment et rapidement ; les prescriptions y relatives doivent pouvoir être adaptées sans grandes difficultés aux nouvelles conditions. Aussi le Conseil fédéral réglera

712

les questions de détail. Il consultera, au préalable, les gouvernements cantonaux et les associations professionnelles et économiques intéressées (1« al.).

L'ordonnance du Conseil fédéral s'inspirera des principes suivants: les opérations de liquidations annoncées publiquement seront soumises à une autorisation. Celle-ci pourra être refusée ou subordonnée à certaines conditions lorsque les règles de la bonne foi l'exigent (2e al.). La réglementation peut s'étendre ,à d'autres domaines, par exemple aux questions connexes à l'exécution d'une liquidation (préapprovisionnement et réapprovisionnement, contrôles, etc.), ou à l'interdiction d'effectuer des opérations de ce genre à certaines époques, en particulier pendant la pleine saison ou la veille des jours fériés. Le principe de la bonne foi est de rigueur tant en ce qui concerne la réglementation prévue dans l'ordonnance que pour l'application de celle-ci aux cas particuliers.

Pour prévenir des abus lors de liquidations totales, on a prévu, en règle générale, qu'en accordant une autorisation de liquidation au requérant, on lui interdira d'ouvrir un commerce de même nature ou de participer à une telle entreprise pendant un temps déterminé. En cas d'inobservation de cette défense, le nouveau commerce pourra être fermé (3e al.). Cette mesure est indispensable, car, en pareil cas, on pourrait rarement éviter de causer des dommages sensibles en se bornant à infliger une peine. Les conditions de chaque cas particulier seront équitablement prises en considération pour la fixation du délai (de 6 mois à 3 ans). Dans certains cas, l'autorité compétente pourra renoncer à user de cette mesure. Celle-ci n'est pas applicable à la vente d'un commerce sans liquidation totale préalable.

L'action de droit civil en réparation du dommage causé est réservée indépendamment de la réglementation de droit administratif en matière de liquidation. Cette disposition peut avoir son importance, lorsqu'une liquidation a été opérée sans autorisation, ou que, bien qu'autorisée, elle aura donné lieu à des abus.

Art. 20.

Dispositions pénales.

La loi se borne à énumérer les infractions les plus graves (1er al., lettre a: annonces inexactes ou fallacieuses ; lettre ö : indications inexactes données à l'autorité) qui entraînent l'emprisonnement ou l'amende lorsqu'elles ont été
commises intentionnellement. Au surplus, le Conseil fédéral est autorisé à prévoir, dans l'ordonnance, la poursuite d'autres infractions selon les principes du droit pénal relatif aux contraventions; dans ces cas aussi, il pourra déclarer la négligence punissable et menacer les délinquants des arrêts ou de l'amende (2e al.).

713

Art. 21.

Compétence des cantons.

La réglementation fédérale relative aux liquidations a pour but principal d'éliminer les inconvénients résultant de la diversité des lois cantonales.

Est expressément réservée la compétence des cantons de régler certaines questions de détail dans les limites des prescriptions fédérales et d'édicter, au besoin, des sanctions pénales (1er al). Les cantons ont aussi le droit de percevoir des émoluments pour les liquidations et opérations analogues (2e al.).

B. Primes.

Art. 22.

Ordonnance du Conseil fédéral.

Comme elle le fait en matière de liquidations, la loi se borne, ici, à poser certains principes fondamentaux. Le Conseil fédéral réglera par voie d'ordonnance les questions de détail après avoir consulté les gouvernements cantonaux et les associations professionnelles et économiques intéressées.

Les prescriptions de droit administratif doivent tendre exclusivement à réprimer les abus en matière de primes et se borner aux mesures nécessaires de nature à atteindre un tel résultat. Aussi est-il prescrit que l'ordonnance ne saurait restreindre l'octroi de timbres-escompte et de ristournes dans les limites des usages commerciaux (2e al.). Ces primes sont très répandues et, en aucun cas, on ne pourrait les considérer comme des abus. Il y aura lieu de déterminer, dans l'ordonnance, ce qu'il faut entendre par timbres-escompte ou ristournes. L'octroi d'une prime ne heurte pas nécessairement les règles de la bonne foi. Il s'agit, en conséquence, d'atteindre les moyens qui induisent en erreur le bénéficiaire de la prime au détriment des concurrents ou à son propre détriment. Les sanctions pénales sont exclusivement réservées à l'ordonnance; les arrêts ou l'amende pourront être prononcés tant en cas d'infraction intentionnelle qu'en cas de négligence.

La réglementation de droit administratif n'exclut pas les actions civiles en réparation du dommage causé par une réclame abusive ou l'octroi de primes. Elles peuvent être intentées sur la base de la clause générale ou s'inspirer des éléments constitutifs de la réclame trompeuse lorsque des indications fausses ont été données au sujet de marchandises offertes (art. 1er, 1er al., et 2e al., lettre 6).

V. Dispositions finales.

Art. 23.

Droit fédéral abrogé.

Remplacé intégralement par les dispositions civiles de la loi, l'article 48 du code des obligations doit être abrogé.

714

II en sera de même de l'article 161 du code pénal, car les articles 14 et suivants règlent d'une façon complète la protection pénale contre les délits spéciaux de concurrence déloyale. Eu égard à l'article 14, lettre g, l'article 162 du code pénal doit être modifié e,t abrogé dans la mesure où il a trait à l'exploitation ou à la divulgation, à des fins de concurrence, d'un secret de fabrication ou d'un secret commercial surpris par des moyens illicites. L'article 162 du code pénal demeure en vigueur en tant qu'il vise la trahison de tels secrets ou leur mise à profit; toutefois, il ne trouvera application que lorsque ces délits seront sans relation aucune avec le domaine de la concurrence et ne tomberont pas sous le coup de l'article 14, lettres / et g. Nous retrouvons la même situation pour d'autres infractions du droit pénal général: voir par exemple l'atteinte au crédit (art. 160 CPS).

Art. 24.

Rapport avec le droit cantonal.

En principe les dispositions du droit cantonal sur la police du commerce et de l'industrie, y compris celles régissant les contraventions qui s'y rapportent, demeurent en vigueur. Ce sera, à proprement parler, le cas pour toutes les dispositions relatives aux procédés déloyaux en affaires, c'est-à-dire pour celles qui concernent l'attitude du chef de l'entreprise à l'égard de ses clients. Cessent, en revanche, d'être en vigueur, en vertu du principe « le droit fédéral prime le droit cantonal », les prescriptions relatives à des matières traitées dans la présente loi ou dans les ordonnances du Conseil fédéral qui sont prévues par la loi. Or, puisque les prescriptions de droit civil et pénal relatives à la concurrence déloyale ont été abrogées lors de l'entrée en vigueur du code des obligations et du code pénal, la remarque précédente ne concerne pratiquement que les dispositions relatives aux liquidations et à l'octroi des primes, et encore n'est-ce que pour celles de ces dispositions qui sont incompatibles avec la réglementation de droit administratif du Conseil fédéral.

Dans les limites de ces principes, les cantons sont autorisés à édicter de nouvelles prescriptions sur la police du commerce et de l'industrie.

Art. 25.

Entrée en vigueur.

Aucune remarque.

715

Nous fondant sur l'exposé qui précède, nous vous recommandons d'accepter le projet de loi fédérale ci-après, concernant la concurrence déloyale.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 3 novembre 1942.

Au nom du Conseil fédéral suisse: 3577

Le président de la Confédération, ETTER.

Le chancelier de la Confédération, G,. BOVET.

716 (Projet.)

Loi fédérale sur

la concurrence déloyale.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu les articles 34 ter, 64 et 64 bis de la constitution ; vu le message du Conseil fédéral du 3 novembre 1942, arrête : I. CONDITIONS GÉNÉRALES Article premier.

Définition de la concurrence déloyale.

Est réputé concurrence déloyale au sens de la présente loi tout abus de la concurrence économique résultant d'une tromperie ou d'un autre procédé contraire aux règles de la bonne foi.

2 Enfreint les règles de la bonne foi, par exemple, celui qui : a. Dénigre autrui, ses marchandises, ses oeuvres, ses services ou ses affaires par. des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes ; b. Donne des indications inexactes ou fallacieuses sur lui-même, ses marchandises, ses oeuvres, ses services ou ses affaires, ou, en donnant sur des tiers des indications de même nature, les avantage par rapport aux concurrents; c. Emploie des titres ou dénominations professionnelles inexacts, destinés ou de nature à faire croire à des distinctions ou capacités particulières ; d. Prend des mesures destinées ou de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les oeuvres, les services ou l'entreprise d'autrui; e. Accorde ou offre à des employés, mandataires ou auxiliaires d'un tiers des avantages auxquels ils n'ont pas droit et qui sont destinés ou de nature à procurer un profit, soit à lui-même soit à autrui, en les faisant manquer à leur devoir dans l'accomplissement de leur travail; 1

717

/. Induit des employés, mandataires ou auxiliaires à trahir ou surprendre des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux de leur employeur ou mandant; g. Exploite ou divulgue des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux qu'il a surpris ou a appris d'une autre manière contraire à la bonne foi; A. Contrevient à des conditions de travail, légales, réglementaires ou contractuelles, qui sont également applicables au concurrent.

II. PROTECTION DE DROIT CIVIL A. Actions et responsabilité.

Art. 2.

Actions et droit d'intenter action.

1 Celui qui, par un acte de .concurrence déloyale, est atteint ou menacé dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général, peut demander: a. La constatation du caractère illicite de l'acte; 6. La cessation de cet acte; c. La suppression de l'état de fait qui en résulte et, s'il s'agit d'allégations inexactes ou fallacieuses, leur rectification; d. En cas de faute, la réparation du dommage subi et du dommage qu'il subira vraisemblablement; e. Dans les cas visés par l'article 49 du code des obligations, la réparation du tort moral; /. La restitution du gain, selon l'article 3.

2 Les clients atteints dans leurs intérêts économiques par un acte de concurrence déloyale peuvent également intenter les actions prévues aux lettres a à e.

3 Les actions prévues aux lettres a, b, c et / peuvent aussi être intentées par les associations professionnelles et économiques que leurs statuts autorisent à défendre les intérêts économiques de leurs membres, si ces derniers, ou des membres des sections, ont qualité pour intenter action selon les 1er et 2e alinéas.

Art. 3.

Restitution du gain.

1 Celui qui, par un acte de concurrence déloyale, a fait un gain qu'il n'aurait pu obtenir autrement doit le restituer. Le juge en fixe le montant d'après les circonstances.

718 2

Ce montant doit tout d'abord servir à réparer, selon la décision du juge, le dommage dont la preuve ou la vraisemblance a été établie. Si le total des dommages-intérêts n'est pas encore fixé, le juge pourra ordonner le dépôt du montant à restituer.

3 Le juge apprécie librement la répartition de la somme restante, après réparation du dommage. Il pourra aussi, sans être lié par les demandes présentées, ordonner que le montant à restituer soit versé à une institution soutenant certaines branches du commerce et de l'industrie ou à l'Etat.

4 Toute transaction concernant la restitution du gain, le montant à restituer ou son affectation à la réparation du dommage doit, pour être valable à l'égard des tiers, être approuvée par le juge.

Art. 4. ' Responsabilité de l'employeur.

1 Lorsque l'acte de concurrence déloyale est commis par des employés ou des ouvriers dans l'accomplissement de leur travail, les actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres a, b, c et /, peuvent aussi être dirigées contre l'employeur.

2 Les actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres d et e, sont régies par les dispositions du code des obligations.

Art. 5.

Responsabilité de la presse.

1 Lorsque l'acte de concurrence déloyale est commis par la voie de la presse, les actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres a, b et c, ne peuvent être dirigées contre le rédacteur responsable ou, s'il s'agit d'une annonce, contre la personne responsable des annonces ou, à leur défaut, contre l'éditeur et en dernier lieu contre l'imprimeur, que dans les cas suivants: a. Si la publication a été faite à Tinsu ou contre la volonté de l'auteur ou de la personne qui a donné l'ordre d'insertion; 6. Si la communication du nom de l'auteur ou de la personne qui a donné l'ordre d'insertion est refusée; c. Si, pour d'autres raisons, il est impossible de découvrir l'auteur ou la personne qui a donné l'ordre d'insertion ou de les actionner devant un tribunal suisse.

Chacune de ces personnes est en outre responsable si une faute lui est imputable.

2 Les actions prévues à l'article 2, 1er alinéa, lettres d et e, sont régies par les dispositions du code des obligations.

3 L'action prévue à l'article 2, 1er alinéa, lettre /, ne peut être dirigée contre l'une des personnes mentionnées au 1er alinéa que si celle-ci a ellemême commis un acte de concurrence déloyale.

719

Art. 6.

For.

1

Si le défendeur n'a pas de domicile en Suisse, l'action peut aussi être portée devant le juge du lieu où l'acte a été commis.

2 S'il existe une connexité entre une action civile fondée sur la concurrence déloyale et une contestation de droit civil qui relève des lois fédérales ou des traités internationaux concernant la protection des inventions, des dessins et modèles industriels, des marques de fabrique et de commerce, des indications de provenance et mentions de récompenses industrielles ou la protection des droits d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques, l'action en concurrence déloyale peut être également portée devant le tribunal cantonal compétent pour trancher les susdites contestations en instance cantonale unique. En pareil cas, le recours au Tribunal fédéral est recevable sans égard à la valeur de l'objet du litige.

Art. 7.

Publication du jugement.

Le juge peut, sur demande, autoriser la partie qui a obtenu gain de cause à publier le jugement aux frais de l'autre. Il fixera les modalités de la publication.

Art. 8.

Prescription.

1 Les actions se prescrivent par un an à compter du jour où celui qui a le droit de les intenter a eu connaissance de son droit et, dans tous les cas, par cinq ans dès le jour où ce droit a pris naissance.

2 Toutefois, s'il a été commis une infraction soumise par les lois pénales à une prescription de plus longue durée, cette prescription s'applique également aux actions civiles.

Art. 9.

Application du code civil.

Les dispositions du code civil, notamment celles du code des obligations, sont applicables en tant que la présente loi n'y déroge pas.

B. Mesures provisionnelles.

Art. 10.

Conditions.

1 A la requête de la personne qui a qualité pour intenter action, l'autorité compétente ordonne des mesures provisionnelles, à l'effet notamment d'assurer l'administration des preuves, le maintien de l'état de fait existant,

720

ainsi que l'exercice provisoire des droits litigieux prévus à l'article 2, 1er alinéa, lettres 6 et c.

2 Le requérant doit rendre vraisemblable que la partie adverse use, dans la concurrence économique, de moyens contraires aux règles de la bonne foi et qu'il est en conséquence menacé d'un dommage difficilement réparable et qui peut être prévenu seulement par des mesures provisionnelles.

3

Avant d'ordonner des mesures provisionnelles, l'autorité entendra la partie adverse. S'il y a péril en la demeure, elle peut, avant audition, ordonner provisoirement de telles mesures.

Art. 11.

Sûretés.

1

Le requérant peut être tenu de fournir des sûretés.

2

Lorsque la partie adverse fournit au requérant des sûretés suffisantes, l'autorité compétente peut refuser des mesures provisionnelles ou révoquer, entièrement ou partiellement, les mesures ordonnées.

Art. 12.

Autorité compétente.

1

Les mesures provisionnelles doivent être demandées à l'autorité du domicile du défendeur ou, si celui-ci n'a pas de domicile en Suisse, au lieu où l'acte a été commis.

2 Les cantons désignent l'autorité compétente pour ordonner les mesures provisionnelles.

3 Après l'introduction du procès, le juge saisi de l'action est seul compétent pour ordonner ou révoquer les mesures provisionnelles.

Art. 13.

Obligation d'intenter action.

1

En ordonnant les mesures provisionnelles, l'autorité impartit au requérant un délai de trente jours au plus pour intenter action. S'il n'agit pas dans ce délai, les mesures ordonnées deviendront caduques, ce dont fera mention la décision de l'autorité.

2 Si l'action n'est pas intentée en temps utile, ou si elle est retirée ou rejetée, le juge peut obliger le requérant à réparer le dommage qui résulte des mesures provisionnelles. L'action se prescrit par un an.

721 III. ACTION PÉNALE

Art. 14.

Infractions.

Celui qui, intentionnellement, se rend coupable de concurrence déloyale : a. En dénigrant autrui, ses marchandises, ses oeuvres, ses services ou ses affaires, par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes ; è. En donnant, afin d'avantager ses offres par rapport à celles de ses concurrents, sur lui-même, ses marchandises, ses oeuvres, ses services ou ses affaires, des indications inexactes ou fallacieuses; c. En employant des titres ou des dénominations professionnelles inexacts pour faire croire à des distinctions ou capacités particulières ; d. En prenant des mesures pour faire naître une confusion avec les marchandises, les oeuvres, les services ou l'entreprise d'autrui; e. En accordant ou en offrant à des employés, mandataires ou auxiliaires d'un tiers des avantages auxquels ils n'ont pas droit, afin de procurer un profit, soit à lui-même soit à autrui, en les faisant manquer à leur devoir dans l'accomplissement de leur travail; /. En induisant des employés, mandataires ou auxiliaires à trahir ou surprendre des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux de leur employeur ou mandant; g. En exploitant ou en divulguant des secrets de fabrication ou des secrets commerciaux qu'il a surpris ou a appris d'une autre manière contraire à la bonne foi, sera, sur plainte de personnes ou d'associations habiles à intenter l'action civile, puni de l'emprisonnement ou de l'amende.

Art. 15.

Dévolution du gain aux lésés ou à l'Etat.

Lorsqu'un acte de concurrence punissable a permis de faire un gain qui n'aurait, autrement, pas été obtenu, le juge en ordonnera la restitution.

Si le montant restitué n'est pas réclamé conformément à l'article 3, dans le délai de prescription, il sera dévolu à l'Etat.

Art. 16.

Responsabilité pénale de l'employeur et du mandant.

Lorsqu'un acte de concurrence punissable a été commis par des employés, ouvriers ou mandataires dans l'accomplissement de leur travail, la peine sera également appliquée à l'employeur qui a connu cet acte et omis de l'empêcher ou d'en supprimer les effets.

722

Art. 17: Personnes morales et sociétés commerciales.

Lorsqu'un acte de concurrence punissable a été commis dans la gestion d'une personne morale ou d'une société en nom collectif ou en commandite, les dispositions pénales s'appliquent aux membres des organes de la personne morale ou aux sociétaires qui ont agi ou auraient dû agir en son nom. Toutefois, la personne morale ou la société est tenue solidairement de l'amende et des frais.

Art. 18.

Répression pénale.

La répression pénale incombe aux cantons.

IV. LIQUIDATIONS ET PRIMES À. Liquidations et opérations analogues.

Art. 19.

Ordonnance du Conseil fédéral.

1 Le Conseil fédéral réglementera par voie d'ordonnance les liquidations et opérations analogues. Il consultera au préalable les gouvernements cantonaux et les associations professionnelles et économiques intéressées.

2 L'annonce publique sera subordonnée à la délivrance d'un permis.

Selon que l'exigent les règles de la bonne foi, le permis sera refusé ou soumis à des conditions restrictives.

3 En cas de liquidation totale, il sera, en règle générale, interdit au requérant d'ouvrir une entreprise de même nature ou de participer à une telle entreprise d'une manière quelconque pendant une période de six mois à trois ans. Si cette interdiction est violée, l'entreprise pourra être fermée.

Art. 20.

Dispositions pénales.

1 Celui qui, intentionnellement, commet une infraction aux dispositions de droit fédéral sur les liquidations: a. Par des annonces inexactes ou fallacieuses, destinées à lui procurer ou à procurer à autrui un avantage illicite; 6. En donnant aux autorités des indications inexactes, notamment en simulant une cessation de commerce, pour se procurer un permis de liquidation ou un permis d'une autre nature ou de plus longue durée, sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende.

2 Les autres infractions aux dispositions de droit fédéral sur les liquidations seront punies selon l'ordonnance du Conseil fédéral. Celle-ci pourra prévoir les arrêts et l'amende et réprimer aussi les actes commis par négligence.

3 Les articles 15 à 18 sont applicables par analogie.

72S Art. 21.

Compétence des cantons.

1 Les cantons sont autorisés à édicter, dans les limites de la présente loi et de l'ordonnance du Conseil fédéral, d'autres dispositions avec sanctions pénales sur les liquidations et les opérations analogues.

2 Est réservé le droit des cantons de percevoir des émoluments pour les liquidations et opérations analogues.

B. Primes.

Art. 22.

Ordonnance du Conseil fédéral.

1 Le Conseil fédéral est autorisé à édicter par voie d'ordonnance des dispositions sur les abus en matière de primes et à frapper des arrêts ou d'une amende quiconque les viole intentionnellement ou par négligence.

2 Les ristournes et les timbres-escompte sont admissibles, dans les.

limites des usages commerciaux.

3 Avant d'édicter l'ordonnance, le Conseil fédéral consultera les gouvernements cantonaux et les associations professionnelles et économiques intéressées.

V. DISPOSITIONS FINALES Art. 23.

Droit fédéral abrogé.

1

Dès l'entrée en vigueur de la présente loi, l'article 48 du code des obligations, ainsi que l'article 161 du code pénal suisse cesseront de porter effet.

2 L'article 162 du code pénal suisse aura la teneur suivante : « Celui qui aura révélé un secret de fabrication ou un secret commercial qu'il était tenu de garder en vertu d'une obligation légale ou contractuelle, celui qui aura mis à profit cette révélation, sera, sur plainte, puni de l'emprisonnement ou de l'amende. »

Art. 24.

Rapport avec le droit cantonal.

Sont réservées les prescriptions du droit cantonal sur la police du commerce et de l'industrie, en particulier celles qui portent sur les procédés déloyaux en affaires.

Art. 25.

Entrée en vigueur.

Le Conseil fédéral fixe la date de l'entrée en vigueur de la présente loi.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi fédérale sur la concurrence déloyale. (Du 3 novembre 1942.)

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Jahr

1942

Année Anno Band

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Volume Volume Heft

23

Cahier Numero Geschäftsnummer

4320

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

12.11.1942

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661-723

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