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Message concernant l'initiative populaire «pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix» du 25 mai 1988

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Par le présent message, nous vous invitons à soumettre à la votation populaire, sans contre-projet et avec proposition de rejet, l'initiative populaire «pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix».

Le projet d'arrêté fédéral est joint.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

25 mai 1988

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Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Stich Le chancelier de la Confédération, Buser

1988 - 295

Condensé L'initiative populaire préconisant la suppression de l'armée a été déposée le 12 septembre 1986parle «Groupement Suisse sans armée» sous forme d'un projet rédigé de toutes pièces. Elle était assortie de 111 300 signatures valables.

En raison de l'extrémisme de la modification demandée, il s'agit d'un cas unique dans toute l'histoire du droit d'initiative suisse.

L'initiative prévoit d'inscrire dans la constitution suisse, la norme «la Suisse n'a pas d'armée» en lieu et place de l'article concernant la défense. Simultanément, la constitution interdirait au pays d'entretenir ou de former des forces armées. Toute trace d'un organisme de défense devrait disparaître de la constitution. Le législateur et les autorités judiciaires seraient tenus de n'interpréter aucune disposition constitutionnelle en fonction de l'existence d'une armée ou justifiant celle-ci.

L'article de la constitution qui définit les buts de la Confédération (art. 2 est.) et qui préconise la sauvegarde de l'indépendance de la patrie contre l'étranger ainsi que le maintien du calme et de l'ordre à l'intérieur afin de préserver la liberté et les droits des confédérés et de développer leur bien-être commun, n'est pas touché. Il en résulte que les auteurs de l'initiative veulent forcer le législateur, par des formules ad hoc, à développer une politique générale de paix qui fortifie l'autodétermination du peuple et favorise la solidarité entre les peuples.

Il est notoire que les auteurs de l'initiative ne croient pas que cette votation permettra de supprimer l'armée. L'initiative est pour eux une utopie dont le but est de mettre en mouvement un processus de formation de la conscience visant la transformation politique de la société. La critique de l'armée sert en quelque sorte de catalyseur émotionnel.

Dans le texte qui suit, nous nous livrons à une appréciation de l'initiative à la lumière des faits historiques et du droit des gens. Nous ne mentionnons que brièvement le concept de base de notre politique de sécurité, par contre, les nouvelles formes de menace entraînant de nouvelles conceptions de la défense font l'objet d'un examen plus approfondi, de même que les effets de la politique de paix traditionnelle de la Suisse dans le contexte très actuel des efforts de désarmement sur le plan mondial.

Enfin, ce sont les
conséquences économiques que provoquerait l'acceptation de l'initiative qui sont évaluées. En conclusion, le message établit une liste des arguments en faveur du rejet de l'initiative. Un contre-projet n'entre pas en ligne de compte.

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Message I II

Considérations formelles Texte

L'initiative a la teneur suivante: I La constitution fédérale est modifiée comme il suit: An. 17 1 La Suisse n'a pas d'armée.

2 II est interdit à la Confédération, aux cantons, aux communes ainsi qu'aux particuliers et aux groupes privés d'instruire ou d'entretenir des forces armées.

3 La Suisse mène une politique globale de paix qui renforce l'autodétermination du peuple tout en favorisant la solidarité entre les peuples.

4 L'application de la présente disposition constitutionnelle est réglée par la législation fédérale.

Art. 18 Aucune disposition de la présente constitution ne peut être interprétée en ce sens qu'elle présuppose ou justifie l'existence d'une armée.

II

Les articles 13,15, deuxième phrase, 19 à 22,34ter, 1« alinéa, lettre d, 42, lettre c, 85, chiffre 9, et 102, chiffre 11, de la constitution fédérale, sont abrogés.

III

Les dispositions transitoires de la constitution fédérale sont modifiées comme il suit:

Art. 1er, 1" et 3' al.

Abrogés Art. 6 Abrogé Art. 19 (nouveau) 1 La mise en application des articles 17 et 18 de la constitution fédérale sera assurée dans les dix ans qui suivent leur acceptation par le peuple et les cantons.

2 Après l'acceptation des articles 17 et 18 par le peuple et les cantons, il n'y aura plus d'écoles de recrues, de cours de répétition, de cours d'instruction ni de cours complémentaires.

L'initiative comprend une clause de retrait.

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Aboutissement

L'initiative populaire «en faveur d'une Suisse sans armée et d'une politique de paix globale» a été déposée le 12 septembre 1986, sous forme d'un projet rédigé dé toutes pièces. Par décision du 11 novembre 1986, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative comportait 111 300 signatures valables et que selon les dispositions de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP; RS 161.1), elle avait abouti (FF 1986 III 836).

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Validité Unité de la forme

Une initiative peut revêtir la forme d'une proposition conçue en termes généraux ou celle d'un projet rédigé de toutes pièces (art. 121,4e al., est.). Les formes mixtes sont inadmissibles (art. 75, 3e al., LDP).

La présente initiative est conçue sous forme d'un projet rédigé de toutes pièces.

L'unité de la forme est dès lors respectée.

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Unité de la matière

Une initiative ne doit avoir pour objet qu'une seule matière (art. 121, 3e al., est.).

L'unité de la matière est respectée lorsqu'il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d'une initiative (art. 75, 2e al., LDP).

L'initiative requiert la suppression de notre armée. Toutes les traces de l'armée doivent être effacées. Personne ne doit plus exercer ou entretenir des formations militaires.

Elle exige également que «l'autodétermination du peuple» soit assurée par une «politique de paix globale». On attend du législateur fédéral que par des mesures qui se situent vraisemblablement dans le domaine spirituel et idéologique, il agisse en vue de promouvoir aussi «la solidarité entre les peuples». Le but de la Confédération, décrit à l'article 2 est., reste maintenu, soit: Assurer l'indépendance de la patrie contre l'étranger, maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur, protéger la liberté et les droits des confédérés et accroître leur prospérité commune.

Les auteurs de l'initiative semblent persuadés que les buts de l'Etat peuvent être atteints sans défense nationale militaire, pour autant que cette dernière soit remplacée par une «politique de paix globale». Cette idée est absolue et remet en question la vérité historique ainsi que le comportement actuel de la plupart des peuples. La suppression de l'armée doit en outre être garantie au moyen d'une règle d'interprétation ancrée dans la constitution. Une telle règle d'interprétation représente une nouveauté dans le droit constitutionnel qui n'est pas sans danger.

En effet, la constitution fixe des normes qui ne sont pas inamovibles et qui, lors de leur application, doivent pouvoir être interprétées par le législateur.

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Cependant, on peut constater que les exigences de l'initiative sont matériellement cohérentes. L'unité de la matière est dès lors réalisée, comme l'exige l'article 75, 2e alinéa, LDP.

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Révision totale ou partielle?

Maintenir ou supprimer son armée constitue incontestablement un choix existentiel pour un Etat. L'armée incarne en effet le monopole du pouvoir contre des interventions bellicistes extérieures ou un renversement fomenté de l'intérieur; aucun Etat ne saurait s'en passer. On peut certes lui donner une autre dénomination; on peut aussi, en renonçant à l'indépendance, confier ce rôle à des tiers.

Jamais encore la preuve n'a été faite qu'il est possible de remplacer la défense nationale par une politique de paix, sans armes, comme le demande l'initiative.

Toutes les tentatives de ce genre se sont soldées par des conquêtes venues de l'extérieur et généralement par la disparition de l'Etat en question. C'est pourquoi, du point de vue du droit constitutionnel, on peut considérer que la suppression de l'armée constitue une décision fondamentale relative à la forme de l'Etat.

La doctrine en droit constitutionnel considère que des modifications aussi profondes équivalent à une révision totale de la constitution, même si du point de vue formel, le but recherché peut être atteint en supprimant ou en modifiant quelques articles seulement. Même si le but visé est apparemment limité, l'Etat peut être touché aussi profondément que s'il s'agissait d'une demande formelle de révision totale et se voir placé devant la nécessité d'une restructuration complète.

Si de telles conclusions s'imposaient à propos de la présente initiative, il en résulterait de graves problèmes de validité. Jusqu'à ce jour, jamais une requête aussi radicale n'avait été formulée; c'est pourquoi il n'existe ni jurisprudence ni doctrine à ce propos.

Compte tenu de la pratique observée depuis longtemps en matière d'appréciation d'une initiative, qui veut que les critères de validité ne soient pas examinés avec une trop grande sévérité, aux fins de ne pas préjuger de la décision du peuple et des cantons, nous considérerons la présente initiative comme une révision partielle recevable.

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Appréciation de l'initiative du point de vue historique Expériences d'autres pays

Ce n'est pas par des déclarations de neutralité ou des pactes de non-agression que les petits Etats peuvent se soustraire aux influences de la politique internationale.

Au mépris du droit international, des Etats neutres européens ont été agressés par des grandes puissances, en plein vingtième siècle. Ce fut le cas deux fois pour la Belgique et une fois pour la Finlande, le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas. Le chancelier allemand von Bethmann-Hollweg a justifié au Reichstag la première violation de la neutralité belge en déclarant: «Nécessité n'a pas de loi».

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A l'avenir également, un chef d'Etat étranger pourrait adopter cette maxime; un tel revirement serait plus rapide que tout effort que pourrait entreprendre un pays pour reconstituer sa force militaire démantelée.

A titre d'exemple du comportement d'Etats neutres qui ont été attaqués, on cite constamment la Norvège et le Danemark. Ces deux Etats ont été envahis par les forces armées allemandes le 9 avril 1940. Alors que le Danemark se rendait presque sans combattre, les Norvégiens - avec des moyens insuffisants - résistèrent avec acharnement, avant d'être définitivement vaincus en juin 1940. Par moments, les forces armées norvégiennes furent soutenues par des formations britanniques, françaises et polonaises. La Norvège et le Danemark constituent l'exemple de deux pays qui, pendant des années, avaient négligé leurs forces armées au point d'être non seulement incapables de résister à un agresseur, mais encore de ne pas obtenir d'aide efficace de l'extérieur. Ces deux pays auraient été en mesure, moyennant quelques efforts et quelques sacrifices parfaitement acceptables, d'augmenter leurs chances de rester en dehors de la guerre.

L'attitude du Danemark est souvent présentée comme un exemple particulièrement digne d'être imité. On affirme qu'il n'y a pas eu de pertes humaines, pas de blessés et pas de destructions. La population se serait contentée d'une résistance dite passive (défense sociale) et serait de ce fait restée le véritable vainqueur moral. Cette façon d'interpréter les choses néglige cependant des aspects importants: - De nombreux citoyens et citoyennes danois ont payé leur attitude d'opposition au prix de leur vie, ou de leur intégrité morale et corporelle.

- La résistance danoise n'a pas été seulement passive. Elle a souvent eu recours à la violence. Cependant, ni la résistance violente mais quelque peu tardive, ni surtout la résistance passive n'ont eu pour effet de libérer le pays de l'occupant allemand. Cette libération n'est intervenue qu'après la défaite du IIIe Reich sur le champ de bataille, par les forces armées d'autres pays.

A la suite des expériences de la Deuxième Guerre mondiale, la Norvège et le Danemark n'ont nullement supprimé leurs armées; au contraire, tenant compte des enseignements de leur propre histoire et de leur situation géographique, ces deux pays ont adhéré
à l'alliance militaire de l'OTAN.

L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont cessé, dès 1940, d'être des Etats souverains. En effet, en 1939, dans le contexte du Pacte de non-agression entre Hitler et Staline, qui partageait littéralement l'Europe de l'Est en deux, ces nations baltes peu armées se sont vues dans l'incapacité de résister aux exigences soviétiques visant la mise en place de points d'appui militaires et la conclusion de pactes aux exigences unilatérales.

La Finlande a dû faire face en 1939 à des exigences soviétiques analogues.

Contrairement aux Etats baltes, la Finlande a choisi toutefois de défendre avec opiniâtreté son intégrité territoriale et sa souveraineté. Il est vrai que les Finlandais, après les combats de l'hiver 1939/40, alors qu'ils étaient seuls à lutter contre une puissance mondiale qui n'était engagée militairement sur aucun autre front, se sont vus contraints de conclure une paix peu avantageuse. Cette paix leur a cependant permis de sauvegarder leur indépendance, ce qui eût été impossible sans leur volonté farouche de résister.

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L'existence d'une armée est également indispensable pour faire prévaloir le pouvoir de l'Etat. S'il n'est pas garanti, des conflits internes menacent d'éclater entre groupuscules rivaux, conflits qui peuvent même dégénérer en guerre civile.

Le Liban, autrefois petit Etat florissant, surnommé «la Suisse du Proche-Orient», est un exemple tragique de la situation dans laquelle se trouve un pays où l'Etat n'est plus en mesure d'imposer son autorité et son monopole du pouvoir.

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La Suisse sous l'occupation étrangère

Même après la défaite de Marignan, les troupes de l'ancienne Confédération avaient encore une bonne réputation. Cependant, les observateurs étrangers ne manquaient pas de faire remarquer que la Suisse ne serait à même de se défendre qu'à condition de sauvegarder son unité. Elle sut le faire pendant plus de deux siècles et demi. Après l'éclatement de la Révolution française, les gouvernements des treize cantons et des cantons alliés ne furent pas à même de réaliser les réformes nécessaires à la conservation du consensus politique. A cela s'ajoutait une virulente agitation révolutionnaire de provenance extérieure. Affaiblie à l'intérieur, l'ancienne Confédération fut incapable, en 1798, de s'opposer à l'invasion française. C'est ainsi qu'au printemps 1798, malgré de nombreux actes courageux de soldats, de femmes et d'hommes de la milice populaire, la Suisse connut une éclipse politique et militaire.

Les souffrances qu'amenèrent les quinze années suivantes sont uniques dans l'histoire suisse. Le pays devint un véritable théâtre d'opérations militaires. Les Français, les Autrichiens et les Russes se battaient les uns contre les autres sur l'Aar, sur la Reuss et sur la Limmat. Une armée russe entreprit la traversée du Gothard, du Kinzig, du Pragel et du Panixer. Le soulèvement de cantons isolés fut réprimé brutalement sans que leurs voisins ne leur accordassent la moindre aide.

La sollicitude de Pestalozzi pour les orphelins de Stans était une bien faible consolation dans le désespoir général.

Les armées étrangères vivaient des ressources du pays. La population appauvrie devait veiller à l'entretien en nature et en espèces des soldats qui occupaient son territoire. A cela s'ajoutaient le pillage, la prise d'otages et d'autres actes de violence dont les soldats étrangers ne se privaient guère. Des parties de notre territoire subirent même l'annexion.

Des milliers d'habitations devinrent la proie des flammes, le pays et sa population furent saignés jusqu'à l'épuisement. Dans de nombreuses régions sévissait la famine. Les adolescents furent recrutés de force pour l'armée française et envoyés sur les champs de bataille de l'Europe. Entre 1812 et 1813, des milliers de Suisses furent obligés de participer à la campagne de Russie de Napoléon; la plupart - d'entre eux sont morts loin de leur patrie, dans les plaines de la Volga et de la Bérésina. Plus tard, sous la contrainte des alliés, la Suisse dut s'associer à la vaste campagne contre la France.

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Reconstitution de la Confédération et reconnaissance de la neutralité par les Puissances européennes

L'ancienne Confédération n'existait plus. Les structures politiques qui lui succédèrent furent imposées par la France, ce qui les privait de légitimité. C'est pourquoi les cantons décidèrent de se regrouper à nouveau. Dans le Pacte du 7 août 1815, ils déclarent notamment: Les XXII cantons souverains de la Suisse, soit, Zurich, Berne, Lucerne, Uri, Schwyz, Unterwald, Glaris, Zoug, Fribourg, Soleure, Baie, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Intérieures et Extérieures, Saint-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Valais, Neuchâtel et Genève constituent la présente alliance, en vue de sauvegarder leur liberté, leur indépendance et leur sécurité contre toute attaque de puissances étrangères, et en vue de maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur.

La «sauvegarde de la liberté, de l'indépendance et de la sécurité contre toute attaque de puissances étrangères» est donc un des motifs essentiels de la fondation de la nouvelle Confédération. Les constitutions fédérales de 1848 et 1874 n'ont pas créé la Confédération, elles ont été édictées «dans le but de renforcer l'alliance des confédérés». A l'article 2, elles définissent le but de la Confédération: Assurer l'indépendance de la patrie contre l'étranger, maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur, protéger la liberté et les droits des confédérés et accroître leur prospérité commune.

La suppression de l'armée empêcherait dès lors de réaliser les buts constitutionnels de la Confédération.

La Suisse qui, en 1815, avait à nouveau obtenu une voix indépendante dans le concert des nations européennes, aspirait à ce que le principe de la neutralité soit reconnu par le droit international. Ce voeu fut réalisé par le Traité de Paris, signé le 20 novembre 1815 par les Puissances européennes, notamment l'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Prusse et la Russie. Il reconnaît «formellement et juridiquement, la neutralité perpétuelle de la Suisse».

Sa valeur actuelle, ainsi que le fait qu'il est subordonné à la volonté d'autodéfense ne sauraient être mis en doute.

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La sauvegarde de l'indépendance depuis le Traité de Paris de 1815

Le principe de la neutralité armée perpétuelle a permis à notre pays de traverser les vicissitudes des temps depuis 1815, aussi bien sous le Pacte fédéral de 1815 que sous les constitutions fédérales de 1848 et 1874. Aux dangers accrus, il a fallu opposer des efforts militaires accrus. Il est vrai que lors de chacune des quatre grandes mobilisations de 1856,1870,1914 et 1939, l'équipement de l'armée était loin d'être le meilleur. Cependant, chaque fois, la population civile comme l'armée ont fait preuve de détermination: il est indubitable que dans ces quatre cas la volonté de défense a été la condition essentielle sinon exclusive ayant préservé la Suisse d'une attaque étrangère.

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Notre système militaire a été de tout temps et est encore observé attentivement par l'étranger, qui cherche à en mesurer l'efficacité. Il nous appartient de prouver par nos actes que les paroles adressées en 1912 par le président de la Confédération, Ludwig Forrer, à l'empereur d'Allemagne Guillaume II, alors qu'il visitait notre pays, sont toujours vraies: Nous avons la détermination absolue de défendre notre bien le plus cher, notre indépendance, contre toute attaque et de protéger notre neutralité à l'égard de quiconque voudrait la violer. Un moyen indispensable et adéquat à cet effet est une armée entraînée et capable de se battre. C'est une des plus nobles tâches de notre Etat d'assurer l'existence et le maintien d'un tel instrument par l'engagement total de tous nos moyens.

Les hommes politiques et généraux allemands ont pu ainsi se convaincre de la réalité de notre volonté de résistance ce qui n'a pas manqué d'influer sur leur décision de renoncer à violer la neutralité de la Suisse. Au cours de l'Entre-deuxguerres et de la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse a obtenu le même effet de dissuasion. Ainsi, les plans d'intervention militaire qu'avaient forgés tous nos voisins importants restèrent à l'état d'études grâce à notre détermination.

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Tradition et particularité du système de défense suisse

Aucune autre armée n'est autant empreinte du principe de la milice que la nôtre.

La responsabilité de la sauvegarde de l'indépendance est partagée par le citoyensoldat pendant de nombreuses années de sa vie active, au prix d'un engagement personnel librement consenti; nous ne confions pas cette tâche exclusivement à des soldats de métier ni à des mercenaires. La maxime «la Suisse n'a pas d'armée, elle est une armée» correspond à une réalité qui fait l'admiration de l'étranger: c'est la solidarité corporative des débuts de la Confédération, l'entraide communautaire, qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Grâce au système de milice, la primauté du civil sur l'armée ne se discute même pas. Un régime militaire, comme le connaissent de nombreux Etats à l'heure actuelle, est inconcevable chez nous.

Nos services d'instruction, notamment l'école de recrues accomplie de la même manière par tous, du simple soldat au futur commandant de corps, sont des lieux de rencontre entre des personnes de conditions sociales, de langues, de régions et de confessions différentes. Le service militaire est un puissant facteur d'intégration nationale; il serait faux de parler d'une militarisation de notre société, au contraire, le système de milice empêche l'usage abusif du pouvoir militaire et le rapport du Conseil fédéral du 27 juin 1973 à l'Assemblée fédérale sur la politique de sécurité de la Suisse (rapport politique de sécurité 73, FF 7975 II103) affirme bien le rang prioritaire du pouvoir politique.

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La politique de paix traditionnelle de la Suisse

Depuis 1815, la Confédération n'a plus menacé ni attaqué aucun de ses voisins.

Elle souhaite vivre en paix et en liberté et c'est la seule raison pour laquelle elle possède une armée.

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Dans ce contexte, il est logique que la Suisse ait accueilli de nombreuses personnalités agissant en faveur de la paix mondiale et que des organisations humanitaires, telles que la Croix-Rouge, y aient été créées et y possèdent leur siège. C'est ainsi que le Bureau international de la paix, créé lors du troisième Congrès mondial de la paix à Rome en 1891, s'établit à Berne et que sa direction fut confiée à un Suisse, Elie Ducommun, auquel succéda en 1906 le conseiller d'Etat bernois Albert Gobât. Ducommun et Gobât reçurent le prix Nobel de la paix en 1902 alors que le Bureau international de la paix le reçut en 1910. Ni ce dernier, ni le Congrès mondial de la paix n'ont jamais exigé un désarmement unilatéral de la Suisse. Au contraire, la neutralité armée de notre pays leur apparaissait, selon leurs propres termes, comme «un bienfait et une nécessité».

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Précurseurs de l'initiative en vue de la suppression de l'armée

C'est la première fois depuis l'existence du droit d'initiative qu'une initiative visant la suppression de l'armée est déposée. Il est cependant déjà arrivé que des initiatives demandent une diminution importante des dépenses militaires, avec l'objectif de réduire ainsi nos moyens de défense. Parmi celles-ci, il faut citer deux des trois initiatives Chevallier, qui portent le nom de leur auteur. La première a été déposée le 2 décembre 1954 et visait une diminution des dépenses militaires de 50 pour cent pour 1955, voir 1956 au plus tard. Les moyens financiers devenus ainsi disponibles auraient dû être affectés à des fins sociales, pour moitié en Suisse et pour moitié à l'étranger. La violation du principe de l'unité de la matière ainsi que d'autres vices de forme de même que l'impossibilité de réaliser les exigences formulées dans le délai donné, incitèrent le Conseil national et le Conseil des Etats, après de longs débats, à déclarer l'initiative nulle. Cette décision fut suivie, le 17 octobre 1956, du dépôt de deux initiatives populaires, dont l'une demandait la limitation des dépenses militaires à 500 millions de francs par année et l'autre, l'attribution d'un montant d'au moins un dixième des dépenses militaires à des fins sociales et culturelles. Six jours après le dépôt de ces deux initiatives, débutait le soulèvement populaire hongrois que l'invasion des troupes soviétiques du 5 novembre 1956 devait réprimer dans le sang.

Cet événement déclencha un véritable élan en faveur de la défense au sein de notre population; dans le pays tout entier, des cours furent organisés en vue d'apprendre à construire des barrages antichars de fortune. Sous la pression de l'opinion publique qui craignait que notre armement soit lacunaire, les Chambres fédérales approuvèrent un programme immédiat d'amélioration de l'équipement de l'armée et prolongèrent la durée des services d'instruction. Devant cette preuve flagrante que la situation internationale peut se détériorer très rapidement, il ne restait plus aux sept signataires responsables qu'à retirer leur initiative.

L'histoire de ces initiatives permet de conclure que la préparation militaire ne saurait être improvisée. Il est trop tard de vouloir s'armer à l'heure de l'extrême danger. Même dans les circonstances les plus favorables, nous n'aurions pas le
temps, si des hostilités se déclenchaient en Europe, de rattraper ce que nous avons omis de préparer en période de paix. Aussi longtemps que rien ne garantit une 955

paix mondiale durable et que le désarmement total n'est pas réalisé par tous les Etats, la préparation de la défense demeure la meilleure garantie de l'indépendance.

3 31

Droit international et neutralité armée La Suisse a l'obligation d'entretenir une armée

Les origines de la neutralité suisse remontent aux guerres du Milanais. A l'époque, la défaite de Marignan avait provoqué une prise de conscience des Etats confédérés. A l'avenir, ils renonceraient à tenter d'exercer une influence sur l'échiquier politique de l'Europe. Au cours des siècles qui suivirent, la neutralité suisse a évolué pour prendre sa forme actuelle. Alors qu'au début elle constituait une solution d'espèce, elle devint petit à petit une attitude politique qui fut reconnue au sens du droit international par les cinq Grandes puissances d'Europe dans le Traité de Paris de 1815. Celles-ci ont convenu que la neutralité de la Suisse était dans l'intérêt de l'Europe et se sont engagées à la respecter. La conviction que cette neutralité doit être armée a de tout temps prévalu en Suisse et dans la communauté des Etats.

Lors de la Conférence de paix de La Haye en 1907, les droits et les principes des Etats neutres en temps de guerre furent codifiés. Parmi les devoirs, figure notamment celui d'autodéfense, c'est-à-dire de sauvegarde de l'inviolabilité du territoire national et l'interdiction de permettre aux belligérants d'utiliser ce territoire ou encore l'espace aérien du pays en question. Ces devoirs en cas de guerre ont pour corollaire des devoirs qui incombent à l'Etat neutre en temps de paix déjà (les prémisses de la neutralité permanente), notamment de préparer les moyens nécessaires pour assurer son autodéfense et de s'opposer aux violations de cette neutralité. Cela implique la mise sur pied d'une armée disposant d'un armement adéquat.

A la différence de la neutralité de la Suède par exemple, ou de la Finlande, la neutralité permanente et armée de la Suisse est reconnue par le droit international. Outre la Suisse, seule l'Autriche bénéficie de la même protection. En effet, sa neutralité a été expressément instaurée en 1955, sur le modèle suisse.

La suppression de l'armée priverait la Suisse d'une composante essentielle de sa neutralité. Il en résulterait que nous ne pourrions plus compter à l'avenir sur le respect de notre statut par les autres Etats. En effet, nous abandonnerions le statut de neutralité ancré en droit international coutumier et reconnu par traité: notre crédibilité politico-stratégique s'en trouverait sérieusement entamée.

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Neutralité et autodéfense

La neutralité et la force armée limitée à l'autodéfense font partie du même concept. Elles sont corollaires, chacune visant à améliorer l'efficacité de l'autre.

Un pays qui, pour quelque raison que ce soit, renonce à entretenir ses propres forces armées pour sa défense court un risque incalculable. Ce risque ne serait guère amenuisé par une déclaration de neutralité même si celle-ci était générale956

ment reconnue. La supposition qu'un tel pays puisse être laissé en paix pendant quelque temps serait fondée sur la stabilité de la situation qui régnerait entre les pays de la région concernée. Cette situation peut cependant se modifier d'un moment à l'autre, entraînant des conséquences qui dépassent le cadre régional. A ce moment-là, il sera trop tard pour créer la force armée qui permettrait à l'Etat menacé de se défendre.

Dans les milieux proches des auteurs de l'initiative, on cite volontiers la République du Costa Rica, en Amérique centrale, à l'appui de la thèse selon laquelle un pays peut, sans danger, renoncer à sa défense nationale. Une telle comparaison est fallacieuse. Il est vrai que le Costa Rica a supprimé son armée en 1949. En lieu et place de celle-ci, le pays entretient toutefois une force de sécurité armée qui dépasse de loin les effectifs et la puissance d'une police normale. En outre, le Costa Rica est membre de plusieurs systèmes de pactes régionaux qui ont pour objet la sauvegarde de la sûreté intérieure et extérieure et qui règlent notamment l'usage de la force militaire par des tiers.

La situation réelle du Costa Rica montre qu'en définitive seules des forces armées, celles du pays ou d'autres, sont en mesure de préserver le territoire d'un Etat. Il en va de même pour les Etats lilliputiens d'Europe tels qu'Andorre, le Liechtenstein et San Marino. Ceux-ci ne disposent pas de forces armées propres; en fait, en ce qui concerne leur sécurité extérieure, ils partagent le destin de leurs voisins immédiats.

4 41 411

Intégration de l'armée dans la politique de sécurité de la Suisse La politique de sécurité de la Suisse La défense générale

Tâche importante de l'Etat, la défense nationale est fondée sur des conceptions de principe globales qui intègrent l'armée et sa mission.

C'est en 1968 que la notion et l'organisation de la défense générale ont été conçues: Dans une guerre éventuelle, non seulement l'armée, mais la population aussi seraient frappées. De par sa nature, la menace est générale et englobe tous les domaines de la vie de l'Etat et de l'individu. Dès lors, la défense nationale ne peut plus concerner l'armée seule. Elle doit être générale et comprendre aussi les secteurs civils de la vie de l'Etat. A l'heure du danger, la défense nationale devient la mission générale et essentielle de la Confédération et de toutes les communautés qui s'y rattachent.

(Message du 30 oct. 1968 à l'appui d'un projet de loi sur les organes directeurs et le conseil de la défense, FF 1968 II 661).

En 1973 fut formulée pour la première fois une conception de la politique de sécurité (rapport politique de sécurité 73). Dans un rapport intermédiaire qui date de 1979, la politique de sécurité a été réexaminée en fonction de nouvelles formes de la menace (rapport intermédiaire sur la politique de sécurité du 3 déc.

1979, FF 1980 I 363).

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Les deux composantes de la politique de sécurité de la Suisse

Notre politique de sécurité comprend des mesures qui sont destinées d'une part à préserver notre Etat, notre peuple et notre territoire des dangers qui les menacent, et d'autre part à sauvegarder la paix en général.

Outre la neutralité armée qui utilise des moyens militaires et civils pour protéger le peuple et le territoire contre des attaques directes et indirectes, un large éventail de mesures contribue à sauvegarder activement la paix et à résoudre les crises (rapport sur la politique de sécurité 73, ch. 13, 422, 708 et 709).

Cette deuxième composante, décrite dans le rapport sur la politique de sécurité 73 (ch. 13, 422, 51) et qui fera prochainement l'objet d'un rapport en réponse au postulat Muheim sur la politique de paix et de sécurité de la Suisse (P 84.348), comprend actuellement les activités suivantes: - bons offices, - participation à des opérations en faveur de la sauvegarde de la paix et à l'établissement d'un climat de confiance, - participation à des actions humanitaires, - initiatives en vue de réduire les tensions, - hébergement et protection militaire de conférences internationales en faveur de la paix, - hébergement et soutien de la Croix-Rouge internationale, - aide en cas de catastrophes et de situations de crise à l'étranger, - recherche en matière de paix et de polemologie, - engagement en faveur des droits de l'homme, - coopération internationale en matière de développement.

En contribuant de cette façon à la solution de problèmes essentiels tels qu'ils se posent dans le monde entier, nous-remplissons notre devoir de solidarité envers la communauté des peuples; ce faisant nous assurons aussi notre propre sécurité à long terme. Sans de telles activités qu'il faudrait encore renforcer et élargir à l'avenir, notre politique de sécurité et notre politique en faveur de la paix seraient égoïstes, à sens unique et à courte vue.

Dans cette perspective, l'exigence de l'initiative d'une politique globale en faveur de la paix est un truisme; elle formule une évidence dont personne ne saurait douter.

Cependant, nos efforts ne doivent pas se limiter à de telles activités. Une appréciation réaliste de la menace nous interdit de négliger nos efforts en faveur de la défense pour nous consacrer aux seules mesures en faveur de la paix.

L'armée, seul instrument de puissance de notre
politique, garde toute sa valeur à côté des autres composantes de la défense générale. La suppression de l'armée entraînerait l'ébranlement de tout notre système de sécurité, fondé sur la collaboration de toutes les forces vives de la nation.

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L'armée

En tant que secteur important de la défense générale, l'armée est un instrument de la politique de sécurité.

958

Définie pour la première fois d'une manière exhaustive en 1966 (rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale du 6 juin 1966 concernant la conception de la défense nationale militaire, FF 79661 873), la mission stratégique de l'armée a pu être confirmée dans le rapport sur la politique de sécurité de la Suisse de 1973, et dans les rapports sur le plan directeur de l'armée de 1975 et de 1985 (rapport du Conseil fédéral du 29 septembre 1975 sur le plan directeur de la défense nationale pour les années 80, FF 7975II1722 et rapport du 29 mai 1985 sur le Plan directeur de l'armée, FF 1985 II 547).

La mission stratégique de l'armée est formulée de la manière suivante dans le rapport sur la politique de sécurité de 1973 (ch. 544): L'armée apporte sa contribution à la prévention de la guerre de la manière suivante: - elle fait comprendre à tout adversaire virtuel, déjà en temps normal et spécialement en période de neutralité armée, qu'il devrait s'attendre, en cas d'agression militaire contre la Suisse, à des pertes élevées en hommes et en matériel, à des destructions, à la mise hors d'usage d'installations et à une longue période d'hostilité; - elle fait comprendre à tout adversaire en puissance qu'il ne pourra pas créer le fait accompli d'une occupation de la Suisse par surprise, parce que nous avons la volonté et la possibilité d'accepter le combat tout de suite, puis de tenir ferme; - elle tempère l'espoir que tout adversaire virtuel pourrait caresser d'atteindre ses objectifs opératifs (s'assurer des gages, passer à travers notre territoire, nous épuiser et nous abattre) en peu de temps et à un prix raisonnable.

En cas d'agression, l'armée - défend le territoire suisse dès la frontière; - empêche l'adversaire d'atteindre ses objectifs opératifs; - maintient une partie au moins de notre territoire sous la souveraineté de la Confédération.

Si ses forces operatives venaient à être éliminées, l'armée poursuivrait la lutte sous forme de guérilla, son objectif étant alors, d'une part, d'empêcher l'adversaire de dominer complètement les territoires occupés et, d'autre part, de préparer la libération du territoire.

Dans la mesure où sa mission principale le lui permet, l'armée prête son concours aux autorités civiles: - dans le cadre des transmissions, du service sanitaire, de la protection AC, du
service vétérinaire, du soutien, des transports, etc.; - en vue de protéger la population, en particulier par le renforcement de la protection civile au moyen des troupes de protection aérienne; - en cas d'attaques massives, à main armée, contre l'ordre public, dans la mesure où les forces de police habituelles ne parviennent plus à maîtriser la situation.

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Aide militaire et secours en cas de catastrophe

Notre politique de sécurité s'applique aux menaces de guerre ou aux hostilités contre notre pays. Les moyens de la défense générale sont également destinés à la maîtrise de catastrophes qui ne résultent pas de faits de guerre.

Elle assume cette tâche notamment en créant des états-majors de crise aux trois niveaux de la souveraineté politique et en coordonnant l'exploitation et l'engagement des infrastructures existantes utilisées en cas de catastrophe. Chacun connaît les services coordonnés qui, dans une large mesure, sont prêts à fonction959

ner, notamment dans le domaine des soins médicaux, de la protection AC, du ravitaillement en biens de consommation, des transports, des transmissions, de l'alerte et de l'alarme, du service de météorologie et des avalanches, du service vétérinaire et de la réquisition. Dans tous ces domaines nous profitons de la structure fédérale de la Confédération et de l'esprit de milice fortement ancré en nous. Ce qui a pris naissance, il y a plusieurs siècles, sous la forme de la solidarité corporative destinée à faire face aux catastrophes naturelles, est devenu une nécessité à l'ère des moyens de destruction de masse et constitue aujourd'hui un instrument qui peut être appliqué à quantité d'événements tragiques dus à la nature ou à la civilisation. Les services coordonnés concernent trois domaines de la défense générale: l'armée, la protection civile et l'approvisionnement économique du pays.

Si, comme le veulent les auteurs de l'initiative, l'armée devait disparaître, notre aptitude à nous opposer à des catastrophes serait sensiblement affaiblie, du moins jusqu'au moment où il serait possible de la remplacer par un corps professionnel de sauveteurs prêt à être engagé en permanence.

De tout temps, l'armée a fait preuve d'efficacité lorsqu'il s'est agi de lutter contre des catastrophes naturelles. Voici quelques exemples d'engagement de la troupe au profit de la population civile: - en 1951, les militaires ont apporté une aide active aux populations des vallées alpestres touchées par les avalanches; - en 1979, la troupe a été engagée au cours d'opérations coordonnées destinées à lutter contre la sécheresse; - en 1985, des militaires (notamment des spécialistes AC) ont été mis à contribution lors de la catastrophe du réacteur de Tchernobyl; - en 1987, plus de 10 500 militaires ont été engagés en permanence pendant des semaines en faveur de notre population civile durement touchée par les catastrophes naturelles; - à diverses reprises, des spécialistes de l'armée, disponibles en permanence, ont été engagés dans plusieurs régions du globe touchées par des tremblements de terre (Italie, Yemen, Turquie, Mexique, etc.).

Dans ce contexte, il faut mentionner également l'aide de l'armée en faveur de la population de montagne (réparation de chemins, transports, etc.) ou en faveur de handicapés (camps de vacances, transports), aide qu'elle accorde dans une mesure importante chaque année.

42 421

Menace actuelle et future La menace atomique et conventionnelle

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, deux groupes de puissances se font face en Europe. Chacun d'eux possède d'importants stocks de moyens de destruction de masse dont l'engagement, sous certaines conditions, est prévu comme moyen de dissuasion. Géographiquement, notre pays se trouve dans le champ d'action de ces arsenaux nucléaires; sans même être entraîné dans une guerre, il serait atteint par les effets lointains d'une bataille atomique.

960

La puissance destructrice des armes atomiques pourrait mettre en danger la vie sur l'ensemble de la planète. La conscience de ce risque, ainsi que l'équilibre des forces atomiques est probablement la raison principale pour laquelle aucun moyen atomique n'a été engagé de 1945 à nos jours. Même la guerre classique a été évitée entre les deux blocs, en raison précisément du risque d'une escalade vers une guerre atomique générale. L'équilibre atomique a dès lors contribué dans une large mesure à éviter des guerres entre les Etats européens depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, malgré l'existence de tensions importantes. Il n'en demeure pas moins qu'une guerre atomique, voire des guerres conventionnelles restent possibles. Dans le reste du monde ont éclaté, durant le même laps de temps, plus de 150 guerres conventionnelles qui, en partie, durent encore.

Quelles conclusions faut-il tirer pour la Suisse de cette évolution? Peut-on considérer que notre armée n'a plus de rôle à jouer en matière de sauvegarde de la paix?

Au contraire, il est peu probable que les grandes puissances procèdent à des engagements atomiques massifs, voire limités; de telles opérations seraient contraires au but rationnel de toute guerre qui est de conquérir du territoire pour l'exploiter du point de vue militaire et économique. Il en résulte que plus l'équilibre sera stable, plus le risque d'un conflit classique, sans usage de l'arme atomique, est grand. Notre stratégie de dissuasion garde dès lors toute sa valeur: elle constitue un élément de stabilité au coeur même de l'Europe.

En examinant la carte de notre continent, on voit que l'Autriche et la Suisse constituent un verrou entre la République fédérale d'Allemagne et l'Italie, mais aussi un corridor neutre entre l'Est et l'Ouest.

64 Feuille fédérale. 140e année. Vol. II

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Chacun des deux blocs a un intérêt vital à ce que ce corridor reste en main des deux petits Etats neutres et que l'autre bloc ne puisse s'en emparer par un coup de main et transformer ainsi la situation stratégique à son avantage. En effet, une telle opération augmenterait fortement le danger de confrontation entre les deux blocs. La lutte s'engagerait sur et au-dessus du territoire des deux pays neutres et risquerait très rapidement de dégénérer en conflit atomique. Pour sa part, la Suisse peut contribuer à éviter une telle situation en maintenant un potentiel de défense militaire suffisant.

Comme on le voit, il y a donc un rapport entre une défense classique forte et le danger nucléaire: plus la défense classique est solide, moins la probabilité est grande que notre pays devienne un champ de bataille nucléaire. A cela s'ajoute le fait que dans notre pays, la protection civile est mieux développée que dans le reste du monde occidental. Actuellement déjà, nous sommes en mesure de protéger très efficacement notre population contre les effets secondaires d'un engagement atomique à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Il en va de même en ce qui concerne les engagements massifs d'armes chimiques.

Certains affirment que l'armée détruit ce qu'elle prétend protéger; ils ne tiennent pas compte de sa valeur dissuasive propre à empêcher la guerre et de sa capacité de retenir et de rejeter des forces d'agression importantes. Sa valeur combative constitue une garantie de protection et de survie pour une grande partie de notre population et pour l'existence de la Suisse en tant qu'Etat et nation.

Il en va de même de l'idée que la défense générale est impuissante contre l'arme atomique puisque, de toute façon, même si une partie de notre population survivait à la guerre grâce à nos abris, la vie après un engagement atomique généralisé ne vaudrait plus la peine d'être vécue. Cette manière absolue de voir les choses ne tient pas compte du fait que nous ne saurions à priori estimer l'importance des attaques qui pourraient être dirigées contre nous et qu'il vaut mieux se préparer pour les cas vraisemblables que nous serions en mesure de maîtriser.

422

La guerre indirecte

Plus le risque de conflits atomiques ou classiques en Europe s'amenuise, plus la menace de la guerre indirecte s'accroît, avec son arsenal d'espionnage, de pressions politiques et sa montée de violences de tout genre (terrorisme, sabotage) qui restent cependant toujours en deçà des hostilités ouvertes. La stratégie indirecte peut être utilisée aux fins de provoquer des conflits intérieurs violents ou d'imposer un pouvoir extérieur. On peut imaginer des situations où la police ne suffirait plus à protéger la population et les installations d'importance nationale; seule l'armée peut seconder la police dans ses tâches en cas d'actions violentes de grande envergure qui menaceraient l'ordre constitutionnel et les fonctions vitales de l'Etat.

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La menace non militaire

On ne saurait nier qu'il existe actuellement, outre la menace de guerre, d'autres dangers tout aussi pernicieux. Certains d'entre eux prennent des dimensions mondiales et mettent en cause la survie du genre humain: le fanatisme et la haine, mais aussi les épidémies, les catastrophes naturelles et écologiques.

Face à cette menace, nombreux sont ceux qui sont d'avis que le risque d'une agression militaire est devenu minime.

Un tel raisonnement est illogique. Toutes les menaces mentionnées sont réelles et ce serait manquer du sens des responsabilités que de renoncer à lutter contre l'une d'entre elles, par exemple la menace militaire, en raison de l'importance de l'autre, par exemple la menace écologique. Les menaces ne s'excluent pas l'une l'autre, elles s'additionnent, et nous devons nous prémunir contre toutes.

Si l'on considère que la menace future résulte avant tout des disparités économiques entre le nord et le sud, on ne saurait pas non plus commettre l'erreur de penser que la suppression de l'armée résoudrait tous les problèmes. Même si l'ensemble des moyens financiers consacrés actuellement à la politique de sécurité étaient attribués à l'aide au développement (ce qui peut être considéré dès à présent comme irréaliste) il ne serait pas possible d'éliminer le déséquilibre économique que connaît actuellement le monde. Nous pourrions, il est vrai, procéder à des investissements plus importants pendant quelque temps en faveur de l'aide au développement, mais mettrions très vite en danger les fondements de notre économie qui sont indispensables à cette importante activité de la Confédération.

L'existence de notre Etat et de notre société est menacée par des causes multiples dont les accents se déplacent à tout moment. Il faut en être conscient et éviter de donner une valeur absolue à une de ces causes au mépris de toutes les autres.

Ce n'est pas un hasard si l'article constitutionnel qui définit les buts de la Confédération est fondé sur l'hypothèse que seul un pays indépendant et libre est en mesure d'accroître la prospérité commune de ses citoyens: c'est aussi la condition de toute aide efficace à l'égard de tiers.

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Autres conceptions de défense Données du problème

Les auteurs de l'initiative aimeraient supprimer l'armée tout en conservant une Suisse indépendante et libre. C'est donc dire que le législateur devrait mettre en oeuvre une politique de paix globale, qui soit en mesure de renforcer l'autodétermination du peuple.

Il s'agit dès lors d'examiner si, en lieu et place de l'instrument de pouvoir que constitue l'armée, d'autres conceptions ou d'autres systèmes dont dispose la Confédération seraient en mesure de garantir l'existence de l'Etat et l'indépendance de la patrie contre l'étranger, au sens des buts définis par la constitution.

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432

Défense sociale

On parle quelquefois des possibilités d'une «défense sociale». En simplifiant, on peut dire que celle-ci - contrairement à la défense militaire - ne cherche pas en premier lieu à défendre des territoires, mais bien plutôt des valeurs sociales: les droits de l'homme, la qualité de la vie, les valeurs démocratiques, etc. Le but n'est pas de s'opposer à l'occupation du pays, mais d'empêcher l'agresseur d'accéder aux institutions politiques et sociales et de pouvoir tirer profit des ressources de notre économie. Les formes pratiques que peut prendre la «défense sociale» sont par exemple: les manifestations, les grèves, les occupations illégales, l'agitation, la résistance passive, la désobéissance civique, l'isolement de l'occupant, ou inversement, l'influerice sur l'ennemi en vue de sa conversion. Le sabotage est également conseillé, ce qui montre bien que la frontière entre la violence et la non-violence est très mouvante.

En l'occurrence, le succès d'une «défense sociale» consisterait à amener l'occupant à quitter le pays. Un tel résultat n'a jamais été obtenu par la «défense sociale» seule; d'autres facteurs ont toujours joué un rôle concomittant (opérations militaires de tiers, pression de l'opinion mondiale, etc.).

En voulant remplacer la défense militaire par la «défense sociale», on livre le peuple à l'occupant étranger, sans même essayer d'utiliser l'atout dissuasif d'une défense soigneusement préparée.

La «défense sociale» à grande échelle exigerait en outre une conduite centralisée stricte et un très grand esprit de sacrifice. Il serait difficile de concevoir pareille organisation sans provoquer le reproche d'une militarisation de la population civile; cependant, compte tenu des exemples historiques et actuels, on est obligé d'admettre que la «défense sociale» seule n'a aucune chance de succès contre une puissance d'occupation.

La résistance civile ou militaire en pays occupé, quant à elle, est d'une autre nature que la «défense sociale». Le rapport sur la politique de sécurité 73 (ch. 426) mentionne à ce propos que l'occupation du pays par l'ennemi ne saurait signifier la fin de toute résistance de notre part. Cette résistance ne peut cependant être organisée à l'avance et ne peut «jamais remplacer la volonté et la capacité de s'opposer à une invasion, car elle ne produit ses effets que lorsque l'occupation est chose faite».

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Les recherches en matière de polemologie et de paix

Dans ce domaine également, on perd souvent le sens des réalités, notamment quand on établit des comparaisons avec le coût de la défense militaire et que l'on cherche à faire accroire que des investissements plus importants dans la recherche polémologique permettraient de mieux garantir la paix. Il est utile et intéressant d'étudier les causes des conflits et de développer des mesures propres à sauvegarder la paix; de telles recherches ne peuvent cependant remplacer l'armée.

La Confédération a créé à l'EPFZ un institut de recherches en matière de polemologie et de politique de sécurité. En outre, elle soutient les projets de recherche dans ce domaine du Fonds national suisse. C'est dans le contexte de la 964

recherche du secteur public que des études sont confiées à l'extérieur: elles concernent avant tout les bons offices, les contrôles en matière d'armement et les procédures de vérification.

Jusqu'à ce jour, les résultats de ces recherches - sur le plan international également - n'ont pas permis de conclure à la possibilité de renoncer aux armées en tant que moyen d'assurer la paix.

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La sécurité assurée par d'autres

II est une phrase bien connue qui dit que «chaque pays a une armée, la sienne ou celle d'une puissance étrangère». Cela signifie que la suppression de l'armée créerait un vide militaire qui, tôt ou tard, serait comblé par un tiers.

Il n'est bien sûr pas dans les intentions des auteurs de l'initiative de voir des forces armées étrangères se charger de la sécurité de notre pays après une disparition de notre propre armée. Une telle situation risquerait toutefois de se produire le cas échéant. En outre, les termes mêmes de l'initiative interdiraient à la Suisse de conclure une alliance dont le but serait d'obtenir une protection militaire.

De toute évidence, la suppression de l'armée signifierait l'abandon de notre neutralité séculaire, reconnue en droit international dès 1815; toutes les expériences faites jusqu'ici montrent qu'une telle décision entraînerait tôt ou tard la sujétion et la dépendance.

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Désir de paix et efforts de désarmement Le pacifisme, cause de guerre

Depuis toujours, l'humanité a soif de paix et de fraternité entre les peuples. A toutes les époques, de grands esprits ont lutté pour bannir le fléau de la guerre.

Il est normal que dans ce domaine, les avis diffèrent fortement. Les conceptions sont telles qu'elles s'excluent souvent l'une l'autre: non seulement les voies envisagées pour atteindre le but divergent, mais ce dernier est lui-même souvent contesté, comme le montre la multiplicité des notions et des expressions utilisées à ce propos.

Il n'est dès lors pas étonnant que des solutions dont l'irréalisme est prouvé historiquement soient envisagées avec le plus grand sérieux. Nos concitoyens de la génération qui a connu la politique dite de l'«appeasement» des années 30, se souviennent de ses suites tragiques. Après les frayeurs de la Première Guerre mondiale qui avait été déclenchée à la légère, le désir de paix s'était emparé d'une grande part de l'humanité. Il y eut des réconciliations impressionnantes autour de la table ronde. Les conditions changèrent cependant avec l'avènement des dictatures nationales-socialistes et fascistes. Au nom d'un pacifisme militant, qui voulait la paix à tout prix, ce fut une suite de concessions, là où il aurait fallu faire preuve de fermeté et appliquer des sanctions contre les violations du droit. La soi-disant «paix pour notre époque» de Munich (1938) a eu pour effet, après une année seulement, de conduire au sacrifice d'un Etat indépendant et à la Deuxième Guerre mondiale.

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Dans ses mémoires, Churchill décrit comment cette catastrophe de l'humanité aurait pu être évitée en faisant preuve de plus de fermeté. En Suisse, le revirement de l'opinion est arrivé juste à temps. Bien que toutes les lacunes de notre système de défense, qui avait été fortement négligé, n'aient pas pu être comblées, le pays fit preuve d'une volonté de sacrifice unanime qui a contribué dans une large mesure à la sauvegarde de notre indépendance au coeur de l'Europe en flammes.

Ceux qui se souviennent de ces événements ont acquis une sensibilité aiguë à l'égard du pacifisme utopique. Seul un pays qui possède une certaine puissance militaire qui lui permette d'éviter d'être le jouet des intérêts étrangers ou de violents affrontements internes, peut s'offrir une politique indépendante et une politique de paix.

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Efforts de désarmement

L'idée, du désarmement est issue du profond désir des peuples de parvenir à liquider leurs conflits sans moyens militaires. L'espoir de faire régner la paix de cette manière est un vieux rêve de l'humanité. Après les ravages de deux guerres mondiales et dans la perspective de la menace apocalyptique d'une guerre nucléaire, ce sentiment a encore gagné en intensité. Le slogan simpliste: «La paix sans arme» en est une expression concrète.

En décembre 1987, l'URSS et les USA ont signé un traité qui devrait conduire à l'élimination progressive en Europe de tous les missiles de croisière et missiles intermédiaires à portée moyenne et à plus courte portée nucléaires américains et soviétiques basés au sol. Pour la première fois, les arsenaux nucléaires des deux puissances mondiales ne seront pas simplement limités, mais le nombre d'engins sera réduit de manière contrôlable, même si c'est dans une mesure modeste (moins de 5%). Le dialogue en matière de désarmement entre les deux superpuissances est dès lors entré dans une nouvelle phase.

Le Conseil fédéral considère que cette évolution est positive. Il salue toute mesure visant un équilibre entre les blocs militaires fondé sur un niveau d'armement inférieur, de même que toutes les mesures contribuant à une amélioration durable des relations est/ouest.

Aussi importants que soient les progrès accomplis dans ce domaine, il serait faux de perdre de vue la réalité. On ne saurait dire que l'on est arrivé déjà à la réalisation d'un équilibre purement défensif des troupes et des armements. Même une fois entré dans la voie de la réalisation, un tel projet demandera beaucoup de temps, durant lequel de nouvelles confrontations et des phases de réarmement sont possibles. Un petit Etat comme le nôtre ne serait pas en mesure de suivre de telles fluctuations au cas où il aurait abandonné unilatéralement sa capacité de défense en se fiant aux premières démarches entreprises par les grandes puissances dans le domaine du désarmement.

Dans ce contexte, il s'agit de comprendre aussi que l'armement et les forces armées ne sont pas la cause de l'esprit belliqueux de l'humanité, mais leur conséquence. L'élimination des armes n'instaure pas la paix. Dans un monde où existent des tensions, où la force triomphe de la faiblesse, où des conflits latents 966

menacent d'éclater à tout moment et où les droits de l'homme sont bafoués, un désarmement unilatéral et total ne constituerait qu'une thérapie des symptômes.

En revanche, une limitation de l'armement et un désarmement progressif et équilibré sont sensés et nécessaires. Ils n'ont de chances de succès qu'à la condition d'être liés à des possibilités de vérification et de contrôle efficaces. Ils ne permettent pas d'accéder à la paix universelle, mais de créer de meilleures conditions en vue de la solution pacifique des conflits et de la sauvegarde de la paix entre les Etats. La «paix positive», situation de justice et de réconciliation, ne peut être atteinte par des mesures matérielles, elle constitue un problème moral et doit être recherchée par d'autres moyens.

Les forces armées d'un pays qui sont destinées uniquement à l'autodéfense et organisées en fonction de celle-ci ne menacent personne. Elles sont au contraire un élément de stabilité et une condition essentielle de la sauvegarde de la paix: les forces armées d'un petit Etat neutre tel que la Suisse sont les dernières qu'il conviendrait de réduire.

Ce n'est pas par fierté mal placée, mais au nom de la réalité historique, que le conseiller fédéral Motta a fait remarquer à la Conférence de Genève sur le désarmement de 1932, à propos de l'armée de milice à caractère purement défensif de la Suisse: Si la Société des Nations a choisi Genève pour siège, c'est qu'elle a senti combien la neutralité suisse, instrument et engagement de paix, se conciliait avec les fins supérieures de la vie internationale. Pour le Suisse qui a vraiment compris le sens et la vocation de son Etat, les mots patrie et humanité rendent deux sons en pleine harmonie.

(G. Motta, Testimonia Temporum 1932 -1936, p. 190, Bellinzona, istituto editoriale Ticinese 1936).

L'Etat qui ne fait usage des armes qu'en cas de légitime défense ne menace personne; il contribue plus largement à la paix qu'en se privant de défense et en invitant ainsi l'adversaire à user de violence.

Le spécialiste norvégien de la paix Johan Galtung a étudié en détail et de façon critique la politique de sécurité de la Suisse. Il parvient à une appréciation très positive. Dans un tableau qui résume le caractère de sécurité des pays européens, la Suisse figure en tête. «Organisée militairement pour la défense seulement et numéro un en matière de protection civile, la Suisse approche de très près l'idéal de la défense sans menace de l'adversaire». Galtung critique les pacifistes suisses: selon lui, ils auraient mal compris la doctrine de sécurité et le rôle de politique extérieure de la Suisse dans une Europe où une défense armée crédible est nécessaire. (Johan Galtung: Es gibt Alternativen, vier Wege zum Frieden und Sicherheit, Westdeutscher Verlag, Opladen 1984, S. 203 ff. - Provinzialismus Kritik Johan Galtungs an der Schweizer Friedensbewegung, NZZ 19 mars 1984).

5

Conséquences de la suppression de l'armée sur l'économie du pays

La tâche première de l'armée, et partant sa justification, est la défense nationale.

Elle ne peut remplir cette mission qu'à la condition d'être bien équipée et bien 967

instruite et de pouvoir s'appuyer sur une infrastructure civile existante. Il faut à cet effet une gestion efficace et une industrie performante. Il en résulte que les conséquences d'une éventuelle suppression de l'armée sur notre économie seraient les suivantes: 51

Emplois

Les emplois qui concernent la défense militaire sont au nombre d'environ 20 500 à la Confédération, à savoir environ 20 000 au Département militaire fédéral (dont 5000 dans les entreprises fédérales d'armement), et plus de 500 dans divers offices d'autres départements (comme par exemple à l'Office fédéral de l'assurance militaire).

Dans les cantons qui, comme on le sait, s'acquittent également de tâches militaires en raison de la souveraineté militaire cantonale, les emplois en relation avec l'armée sont estimés à un millier au total.

Ces emplois sont en grande partie décentralisés sur l'ensemble du pays. Un cinquième seulement des emplois sont à Berne; huit emplois sur dix se trouvent hors de la capitale fédérale.

Diverses entreprises du Département militaire fédéral comptent parmi les employeurs les plus importants de leur région. C'est le cas par exemple de la Fabrique de munitions d'Altdorf qui, avec 1000 emplois, est la deuxième entreprise industrielle du canton d'Uri.

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L'armée en tant qu'employeur

Au cours des dernières années, la moyenne des commandes faites par le Département militaire fédéral pour du matériel, des constructions ou des services était d'environ 3 milliards de francs par année.

L'économie indigène bénéficie de plus de 80 pour cent de ces commandes, soit d'environ 2,5 milliards. Ces commandes sont réparties sur toute la Suisse; tous les cantons en profitent. Une part importante des mandats est adjugée dans les régions de montagne et dans les régions économiquement faibles. Lors de commandes importantes, comme celle du char Léopard par exemple, les entrepreneurs généraux ont l'obligation contractuelle d'adjuger un certain pourcentage des travaux en sous-traitance dans les différentes régions linguistiques.

L'importance des commandes passées par l'armée dépasse largement les données de la statistique; en effet, l'armée adjuge de nombreux travaux à des artisans ou à des groupes défavorisés de la population qui, sans elle, seraient au chômage. A titre d'exemple, on peut citer notamment le travail à domicile qui, à l'heure actuelle encore, assure l'existence d'environ 2000 personnes.

Le volume des commandes de 2,5 milliards de francs dont bénéficie le pays chaque année correspond, en tenant compte du standard industriel de 100 000 francs par emploi, à environ 25 000 hommes/année. Il faut tenir compte aussi des dépenses dont profitent la population, le commerce et l'artisanat local lors du stationnement de troupes. Des sondages ont permis d'établir qu'un régiment d'infanterie 968

dépense un montant d'environ 0,5 à 1 million de francs pendant un cours de répétition pour des biens et des services. Comme les troupes sont souvent stationnées dans des régions défavorisées du point de vue économique, ces dépenses ont une importance non négligeable.

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Conséquences économiques

A court terme, ce sont environ 21 500 emplois qui seraient perdus dans les administrations cantonales et fédérales en cas de suppression de l'armée. En peu d'années cependant, ce seraient des dizaines de milliers d'autres salariés de notre économie qui perdraient leur revenu. Il est probable qu'en réalité, les répercussions d'une suppression de l'armée sur le marché de l'emploi seraient beaucoup plus importantes encore. Il faut tenir compte du petit commerce et du tourisme qui profitent, directement ou indirectement, des 13 millions de jours de service qu'accomplit notre armée chaque année pour son instruction.

Il ne fait aucun doute que la disparition des dépenses en faveur de l'armée serait la cause de problèmes importants pour l'économie. Les difficultés qui en résulteraient pour l'industrie et le commerce auraient pour conséquence d'accroître le chômage, momentanément du moins. Pendant une période transitoire assez longue, le secteur public se verrait dans l'obligation de soutenir l'économie par des subventions de l'ordre de plusieurs milliards et par des programmes de création d'emplois. Il est probable que les sommes épargnées du fait de la suppression de l'armée seraient en grande partie englouties par des mesures de promotion de l'emploi, notamment dans les régions où des problèmes économiques existent déjà actuellement.

C'est dès lors une illusion que de s'imaginer que les sommes du budget militaire devenues disponibles pourraient être utilisées immédiatement et sans problème à des fins humanitaires telles que l'aide au développement, les oeuvres sociales, etc.

En ce qui concerne les conséquences technologiques, il faut en outre être conscient que la production d'armements complexes permet souvent d'acquérir un «know-how» dans le domaine des matériaux et des procédés de production, dont bénéficie également la fabrication de biens civils. Pays exportateur, la Suisse doit être en mesure de rester à la pointe de la concurrence internationale en matière de technologie.

Un renoncement constitutionnel à notre armée ferait de la Suisse non seulement un pays sans défense avec de gros problèmes économiques, mais il en résulterait aussi que sa crédibilité en tant qu'Etat neutre, autonome et stable serait ébranlée.

6 61

Récapitulation

L'initiative est recevable et doit être soumise à la consultation populaire.

L'extrémisme de ses exigences est cependant contraire à l'essence et à la logique de nos institutions et du peuple suisse. Si l'Etat se prive de l'instrument du 969

pouvoir, il crée un vide que d'autres rempliront à plus ou moins brève échéance.

Ni notre indépendance, ni l'intégrité de notre territoire, ni la protection de notre population contre des attaques étrangères ne pourraient plus être garanties.

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L'initiative ne tient aucun compte de l'expérience historique mondiale et suisse. Il n'est guère possible de faire progresser l'idéal d'une paix mondiale généralisée en désarmant un peuple qui a renoncé depuis des siècles à utiliser la violence contre d'autres Etats. La paix ne sera au contraire possible qu'en faisant front contre la violence et l'arbitraire.

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La suppression de l'armée est incompatible avec les obligations d'une neutralité armée permanente. Cela reviendrait pratiquement à renoncer au statut de neutralité permanente ancré en droit international coutumier et reconnu par traité. Les rapports avec nos Etats voisins pourraient en être rapidement et désagréablement affectés.

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L'armée constitue l'élément de force de notre politique de sécurité; l'existence d'une défense nationale militaire crédible nous a permis de sauvegarder la paix et l'indépendance de notre pays. Personne ne pourrait répondre de la sécurité de notre Etat si l'armée était supprimée. Le droit à la paix, à la liberté et à l'indépendance du citoyen ne pourrait plus être garanti.

En cas de menace, il serait impossible de mettre sur pied à temps une défense nationale valable. En effet, l'organisation d'une armée crédible nécessite beaucoup de temps.

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Les nouvelles formes de menace ne diminuent en rien la valeur de notre stratégie défensive. La nécessité de se prémunir contre les nuisances écologiques n'exclut pas la possibilité de conflits armés. Des succédanés de conceptions de défense n'offriront jamais la même sécurité que la défense nationale militaire.

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Notre politique extérieure a toujours été une politique de paix. Elle est cependant fondée sur une sécurité calculable, qui n'existe pas sans armée. Nos voisins doivent avoir la certitude qu'aucun danger direct ou indirect ne les menace à partir de notre territoire. Cette garantie est également le fondement qui nous 970

permet de faire valoir de manière crédible la composante extérieure de notre politique de sécurité (bons offices, participation à des mesures propres à assurer la paix, recherches dans le domaine de la paix et de la polemologie, négociations concernant le contrôle des armements, coopération au développement, etc.).

Pourquoi veut-on que ce soit la Suisse, elle qui pendant des siècles a prouvé qu'elle ne prendrait les armes qu'en cas de légitime défense, qui supprime son armée, alors que tous les autres Etats considèrent que des forces armées défensives sont indispensables? Personne n'en profiterait vraiment et aucun autre pays ne serait prêt à suivre son exemple.

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Une politique de sécurité globale, liée inconditionnellement à une armée crédible, permet le libre épanouissement de l'individu et de la société dans le giron protecteur de l'Etat.

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Les conséquences indirectes d'une suppression de l'armée seraient également lourdes. Les emplois supprimés ne pourraient être que difficilement remplacés.

La diminution sensible de la sécurité aurait des conséquences graves sur des branches importantes de l'économie.

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L'initiative a déjà fait du bruit à l'étranger et des observateurs peut habitués aux particularités de nos droits politiques ont conclu que la traditionnelle volonté de défense de la Suisse était en baisse. Il est dès lors important que le peuple et les cantons rejettent l'initiative par un vote clair.

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Arrêté fédéral Projet concernant l'initiative «pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix» du

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu les résultats de l'examen de l'initiative populaire déposée le 12 septembre 1986 «pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix» ''; vu le message du Conseil fédéral du 25 mai 19882', arrête:

Article premier 1

L'initiative populaire «pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix» est déclarée recevable; elle est soumise au suffrage du peuple et des cantons.

2

L'initiative a la teneur suivante:

I La constitution fédérale est modifiée comme il suit: Art. 17 1 La Suisse n'a pas d'armée.

2 II est interdit à la Confédération, aux cantons, aux communes ainsi qu'aux particuliers et aux groupes privés d'instruire ou d'entretenir des forces armées.

3 La Suisse mène une politique globale de paix qui renforce l'autodétermination du peuple tout en favorisant la solidarité entre les peuples.

4 L'application de la présente disposition constitutionnelle est réglée par la législation fédérale.

Art. 18 Aucune disposition de la présente constitution ne peut être interprétée en ce sens qu'elle présuppose ou justifie l'existence d'une armée.

Les articles 13,15, deuxième phrase, 19 à 22, 34ler, 1er alinéa, lettre d, 42, lettre c, 85, chiffre 9, et 102, chiffre 11, de la constitution fédérale, sont abrogés.

') FF 1986 III 836 > FF 1988 II 946

2

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Initiative pour une Suisse sans armée

III Les dispositions transitoires de la constitution fédérale sont modifiées comme il suit: Art. 1", 1" et 3e al.

Abrogés Art. 6 Abrogé

Art. 19 (nouveau) 1 La mise en application des articles 17 et 18 de la constitution fédérale sera assurée dans les dix ans qui suivent leur acceptation par le peuple et les cantons.

2 Après l'acceptation des articles 17 et 18 par le peuple et les cantons, il n'y aura plus d'écoles de recrues, de cours de répétition, de cours d'instruction ni de cours complémentaires.

Art. 2 L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative.

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Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

Message concernant l'initiative populaire «pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix» du 25 mai 1988

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Jahr

1988

Année Anno Band

2

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24

Cahier Numero Geschäftsnummer

88.041

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

21.06.1988

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946-973

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