FF 2022 www.droitfederal.admin.ch La version électronique signée fait foi

22.049 Message concernant la révision du code civil suisse (Transmission d'entreprises par succession) du 10 juin 2022

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet de révision du code civil (Transmission d'entreprises par succession), en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

10 juin 2022

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ignazio Cassis Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2022-1825

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Condensé La transmission d'entreprises du chef d'entreprise à ses héritiers peut poser de nombreux problèmes dans le cadre successoral, avec des conséquences négatives pour les entreprises concernées, mais aussi pour l'emploi et l'économie en général.

Le présent message vise à faciliter la transmission d'entreprises par succession grâce à des normes de droit civil spécifiques, tout en veillant à préserver au maximum l'égalité entre les héritiers.

Contexte La révision du droit des successions du 18 décembre 2020, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023, offrira une plus grande liberté de disposer qu'actuellement, avec pour effet une plus grande flexibilité dans la transmission d'entreprises par succession, et donc une facilitation de la transmission d'une entreprise du chef d'entreprise à l'héritier ou au tiers de son choix. D'autres difficultés rencontrées spécifiquement par les chefs d'entreprises ou leurs héritiers dans le cadre successoral ont toutefois été identifiées. Le Conseil fédéral en a fait le constat et décidé de proposer dans un projet distinct des mesures supplémentaires spécifiques qui visent à améliorer cet état de fait dans l'intérêt de l'économie et du maintien de places de travail. Elles font l'objet du présent message.

Contenu du projet Pour atteindre les objectifs définis, le projet du Conseil fédéral propose trois mesures phares. Premièrement, il accorde aux héritiers un droit à l'attribution intégrale d'une entreprise ou un droit de participations octroyant le contrôle d'une entreprise dans le cadre du partage de la succession si le de cujus n'a pas pris de disposition à ce sujet. Cela devrait notamment contribuer à éviter le morcellement ou la fermeture d'entreprises. Deuxièmement, il institue en faveur de l'héritier repreneur la possibilité d'obtenir des délais de paiement à l'égard des autres héritiers, dans le but de lui éviter des problèmes de liquidités décisifs pour le maintien en activité d'entreprises.

Troisièmement, il établit des règles spécifiques en matière de valeur d'imputation des entreprises dans le cadre du partage de la succession, qui permettent à certaines conditions de tenir compte de la valeur de l'entreprise transmise du vivant du de cujus au moment de la libéralité. Il sera ainsi tenu compte du risque entrepreneurial assumé par le repreneur,
cela sans défavoriser les autres héritiers concernant des biens qui pourraient aisément être distraits de l'entreprise, en distinguant les éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise et les éléments patrimoniaux qui ne le sont pas dans l'estimation de la valeur de l'entreprise.

En outre, par souci d'égalité entre les héritiers, il institue une protection renforcée des héritiers réservataires, en excluant que la réserve puisse sauf exception leur être attribuée contre leur gré sous forme de part minoritaire dans une entreprise et en favorisant la réunion des participations minoritaires et majoritaires en cas de legs ou de libéralités entre vifs portant sur des participations dans une entreprise.

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Table des matières Condensé

2

1

5 5 6 7

Contexte 1.1 Introduction 1.2 Nécessité d'agir et objectifs visés 1.3 Consultation d'experts 1.4 Relation avec les deux autres volets de la révision du droit des successions en cours 1.5 Relation avec le programme de la législature 1.6 Classement d'interventions parlementaires

8 8 9

2

Procédure préliminaire, consultation comprise 2.1 Avant-projet envoyé en consultation 2.2 Aperçu des résultats de la procédure de consultation 2.3 Aspects fiscaux

9 9 10 11

3

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

11

4

Présentation du projet 4.1 Réglementation proposée 4.1.1 Grandes lignes du projet 4.1.2 Attribution intégrale d'une entreprise à un héritier 4.1.3 Sursis au paiement des dettes résultant du partage successoral 4.1.4 Valeur d'imputation des entreprises tenant compte du risque entrepreneurial 4.1.5 Protection des héritiers non repreneurs 4.1.6 Entreprises concernées 4.1.7 Droit transitoire 4.2 Abandon de dispositions de l'avant-projet 4.3 Mise en oeuvre et adéquation des moyens requis

13 13 13 14

5

Commentaire des dispositions 5.1 Code civil 5.2 Code de procédure civile

20 20 39

6

Conséquences 6.1 Conséquences pour la Confédération 6.2 Conséquences pour les cantons et les communes 6.3 Conséquences pour l'économie 6.4 Conséquences pour la société 6.5 Conséquences sous l'angle de l'égalité entre hommes et femmes

39 39 39 40 40 41

7

Aspects juridiques

41

14 16 17 18 18 19 19

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7.1 7.2 7.3 7.4 7.5 7.6

Constitutionnalité Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse Forme de l'acte à adopter Frein aux dépenses Délégation de compétences législatives Protection des données

Bibliographie Code civil suisse (Transmission d'entreprises par succession) (Projet)

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41 41 42 42 42 42 43

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Message 1

Contexte

1.1

Introduction

La transmission d'entreprises par voie successorale1 a une grande importance économique en Suisse. Le nombre d'entreprises est actuellement de quelque 563 000, pour la plupart des petites entreprises ou des microentreprises2. La plupart sont en mains privées et détenues par un nombre minimum de personnes. Souvent, le propriétaire de l'entreprise en assure aussi la direction. Quand l'entreprise est détenue par un grand nombre de personnes, il suffit, si le chef d'entreprise fait défaut, de lui chercher un remplaçant. Cela ne pose en général pas de problème ­ du moins sur le plan juridique ­ du moment qu'il existe une personne appropriée. Lorsque le chef d'entreprise est par contre aussi le (seul) propriétaire, un changement de direction implique que l'entreprise change de mains. Si le chef d'entreprise qui décède a des héritiers réservataires, le transfert de propriété de l'entreprise peut vite entrer en conflit avec les expectatives successorales et les droits de succession de ces derniers, notamment si l'entreprise constitue une grande part du patrimoine du de cujus. Cet état de fait peut considérablement entraver la transmission, voire la rendre impossible, si bien que dans le pire des cas, la fermeture de l'entreprise et sa liquidation sont inévitables.

Le droit successoral en vigueur devient alors un obstacle sérieux à la perpétuation de l'activité de l'entreprise, ce qui peut affecter non seulement les personnes directement concernées mais aussi l'économie dans son ensemble; en effet, des emplois sont supprimés, un savoir-faire disparaît et la substance fiscale diminue. Eugen Huber, auteur du code civil, prévoyait des règles de partage successoral particulières non seulement pour les biens agricoles mais, de manière générale, pour le patrimoine des entreprises3.

Toutefois, seules des dispositions spéciales applicables aux entreprises et immeubles agricoles ont été intégrées dans le code civil (CC)4 (art. 617 à 625 aCC), remplacées depuis lors par la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural (LDFR)5. Il n'existe donc actuellement pas de dispositions successorales spécifiquement applicables aux entreprises en Suisse. Ce sont les dispositions générales du code civil en matière de succession qui s'appliquent directement.

Dans le cadre des travaux en lien avec la révision du
droit des successions6, il est apparu que la problématique de la transmission successorale d'entreprise était particulièrement importante et complexe. Son caractère spécifique nécessitait un examen

1 2 3 4 5 6

Sur la question en général, voir Kipfer-Berger, N 206 ss.

Bergmann/Halter/Zellweger, p. 11 (état 2018).

Huber 1895, p. 192 s.

RS 210 RS 211.412.11 Modification du 18 décembre 2020 du code civil suisse (Droit des successions), FF 2020 9617.

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minutieux et séparé, ainsi qu'une nouvelle consultation publique, car il s'agissait de normes tout à fait nouvelles7.

1.2

Nécessité d'agir et objectifs visés

De nombreuses entreprises devraient entrer dans une succession dans les années à venir. Les études disponibles les plus récentes les évaluent entre 14 000 et 16 000 par an8. Les auteurs de l'étude mandatée par l'Office fédéral de la justice pour préparer la présente révision9 supposent que 3 400 d'entre elles environ pourraient, chaque année, avoir des problèmes de financement en raison des règles sur les successions. Si l'on se fonde sur la taille moyenne des entreprises, ce sont annuellement quelque 48 000 emplois en équivalent plein temps qui pourraient être touchés, soit 1,4 % de toutes les personnes employées sur le marché10.

Le transfert de propriété d'une entreprise peut se faire de diverses manières et les aspects successoraux à prendre en compte ne sont pas toujours de la même importance. Ils ne causent guère de difficulté lorsque l'entreprise est revendue à un membre de la famille au prix du marché. Dans ce cas, le produit de la vente vient grossir les biens du vendeur et sera transmis à ses héritiers après sa mort selon les règles générales applicables. Généralement, les cas où la valeur de l'entreprise est inférieure à la quotité disponible et à la part réservataire de l'héritier privilégié ne posent pas non plus de problème.

Il en va tout autrement lorsque l'on tente de garder l'entreprise dans la famille mais que le repreneur n'a pas les moyens de payer le prix de vente et que la succession n'est pas assez importante pour que les autres héritiers réservataires puissent être dédommagés. Selon les résultats des enquêtes réalisées auprès des chefs d'entreprise, les difficultés de financement sont en effet le premier motif d'empêchement des transmissions par succession11. Souvent, dans ce cas, l'entreprise n'est pas vendue, mais fait l'objet d'un avancement d'hoirie à un descendant, éventuellement d'une donation mixte. Au décès du de cujus, la part de la libéralité donnée sans contrepartie doit être rapportée dans la succession et les parts réservataires des autres héritiers (conjoint, partenaire enregistré, descendants, parents) doivent être prises en compte dans le partage successoral. Cela oblige le repreneur de l'entreprise à faire des paiements compensatoires qu'il a souvent des difficultés à prendre en charge. Si ni l'entreprise ni la succession n'offrent de biens disponibles
suffisants pour satisfaire aux prétentions des héritiers réservataires, il peut arriver, dans le pire des cas, que l'entreprise ne puisse rester au sein de la famille et doive être liquidée. Enfin, il faut rappeler que la transmission de l'entreprise n'est pas une affaire uniquement successorale: outre le droit 7 8 9

10 11

Message du 29 août 2018 concernant la révision du code civil suisse (Droit des successions), FF 2018 5865 5878.

Bergmann/Halter/Zellweger, p. 12 s.

Bergmann Heiko/Halter Frank/Zellweger Thomas, Regulierungsfolgenabschätzung Revision Erbrecht, Forschungsbericht KMU-HSG, Universität St. Gallen, 2018; l'étude peut être consultée à l'adresse suivante: www.ofj.admin.ch > Société > Projets législatifs en cours > Droit successoral > Expertise.

Bergmann/Halter/Zellweger, p. 14.

Frey/Halter/Zellweger, p. 21 s.

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des successions, il faut avant tout tenir compte des aspects de droit de la famille (notamment de droit matrimonial). Le de cujus peut par ailleurs planifier la succession en prenant des mesures relevant du droit des obligations et du droit des sociétés (par ex.

une convention d'actionnaires liant les membres de la famille détenteurs d'actions de l'entreprise, des clauses concernant la succession ou l'indemnisation dans le contrat de société, ou encore une restructuration de l'entreprise), ou en créant une fondation à caractère d'entreprise ou un trust12.

Il ressort de ce qui précède, en particulier du nombre important d'entreprises concernées et des obstacles rencontrés au moment de leur transmission par succession, qu'une révision du droit successoral qui éliminerait ou du moins atténuerait les difficultés pratiques auxquelles se heurte la transmission d'entreprises par succession pourrait avoir un impact économique important. Toutefois, si cela justifie une révision législative, il faut souligner que simplifier la transmission d'entreprises par la voie du droit successoral a un prix: les mesures sont au détriment des droits des héritiers réservataires et de l'égalité entre héritiers. Elles sont donc susceptibles d'entraîner des litiges successoraux. Certes, des normes légales claires peuvent, selon les circonstances, empêcher que ces litiges soient portés devant les tribunaux, mais une atteinte sensible aux droits actuels des héritiers nécessite une justification particulière. Cette justification ne saurait être fondée sur la prétention subjective d'un héritier à reprendre une entreprise parce qu'il est par exemple le plus apte à la diriger ou parce qu'il a avec cette entreprise des liens plus étroits que les autres. Elle doit résider dans l'intérêt général à la préservation de l'entreprise13, car il est toujours plus facile de maintenir des emplois que d'en créer.

En d'autres termes, ce n'est pas le chef d'entreprise ou ses héritiers qui seront protégés en premier lieu par la révision, mais l'entreprise elle-même, pour préserver l'emploi et favoriser l'économie, dans l'intérêt général.

1.3

Consultation d'experts

Vu la complexité de la matière et dans le but d'élaborer des solutions législatives aussi simples que possible et aptes à atteindre les objectifs poursuivis par la révision, de même qu'à satisfaire les besoins des praticiens du droit des successions, une consultation des experts ayant contribué au projet de révision du droit des successions de 2018 ainsi qu'à l'avant-projet relatif à la transmission d'entreprises par succession a eu lieu. Les experts consultés, reconnus et issus des milieux universitaires, de la justice, du barreau et du notariat, se sont réunis à plusieurs reprises en 2021. Il s'agit, dans l'ordre alphabétique, de:

12 13

­

Mme Jacqueline Burckhardt Bertossa, LL.M., avocate et notaire, spécialiste FSA en droit des successions, Bâle;

­

M. Paul Eitel, docteur en droit, avocat, spécialiste FSA en droit des successions, professeur ordinaire, Université de Lucerne;

Somary/Vasella, p. 291 ss.

Eitel, KMU, 77 s.; Kipfer-Berger, N 297 s.; Hösly/Ferhat, p. 103; Leuba, p. 49.

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­

Mme Marion Erhardt, greffière-cheffe et juge suppléante, tribunal de district de Zurich;

­

M. Andreas Flückiger, docteur en droit, avocat et notaire, Bâle;

­

M. Balz Hösly, docteur en droit, avocat, spécialiste FSA en droit des successions, Zurich;

­

Mme Ingrid Iselin Zellweger, LL.M., avocate, spécialiste FSA en droit des successions, Genève

­

Mme Audrey Leuba, docteure en droit, LL.M., avocate, professeure ordinaire, Université de Genève;

­

Mme Nora Lichti Aschwanden, juge cantonale, tribunal cantonal de Zurich;

­

Feu M. Paul-Henri Steinauer, docteur en droit, professeur émérite, Université de Fribourg.

1.4

Relation avec les deux autres volets de la révision du droit des successions en cours

Le présent projet constitue la deuxième partie de la révision du droit des successions en cours, initiée par la motion Gutzwiler14. Il est indépendant de la première partie de la révision (augmentation de la liberté de disposer), adoptée par le Parlement le 18 décembre 202015 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 202316, et de la troisième partie de la révision, en cours de travaux, qui doit encore régler différentes questions spécifiques. Aucun conflit n'a été relevé entre les différentes parties de la révision. S'il devait contre toute attente en apparaître, ils pourront être traités dans le cadre des travaux relatifs à la troisième partie.

1.5

Relation avec le programme de la législature

Le présent projet est annoncé dans le message du 29 janvier 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202317 au chapitre relatif à l'objectif 3 («La Suisse crée l'environnement économique le plus stable possible et le plus propice à l'innovation à l'ère numérique et encourage le potentiel qu'offre la main-d'oeuvre en Suisse») et figure dans l'arrêté fédéral du 21 septembre 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202318. Il doit contribuer à renforcer la stabilité des entreprises et à préserver l'emploi.

14 15 16 17 18

Mo. Gutzwiler 10.3524 «Moderniser le droit des successions » du 17 juin 2010, disponible sur www.parlement.ch, objet Curia no 10.3524.

FF 2020 9617 RO 2021 312 FF 2020 1709, p. 1770.

FF 2020 8087, p. 8088.

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1.6

Classement d'interventions parlementaires

Le Conseil fédéral a décidé de traiter de la transmission d'entreprises par succession dans une révision distincte de la modification du code civil (Droit des successions) du 18 décembre 2020, et la motion à l'origine de cette révision19 a déjà été classée dans le cadre de l'examen de cet objet.

2

Procédure préliminaire, consultation comprise

2.1

Avant-projet envoyé en consultation

L'avant-projet élaboré par l'administration fédérale, assistée et conseillée par le groupe d'experts mandaté à cet effet (voir point 1.3), proposait principalement quatre mesures. Premièrement, il proposait d'accorder aux héritiers un droit à l'attribution intégrale d'une entreprise dans le cadre du partage de la succession si le de cujus n'a pas pris de disposition à ce sujet, dans le but notamment d'éviter le morcellement ou la fermeture d'entreprises. Deuxièmement, il instituait en faveur de l'héritier repreneur la possibilité d'obtenir des délais de paiement à l'égard des autres héritiers, dans le but notamment de lui éviter des problèmes de liquidités souvent cruciaux au moment de la reprise d'une entreprise. Troisièmement, il établissait des règles spécifiques en matière de valeur d'imputation des entreprises, en distinguant les éléments patrimoniaux nécessaires à leur exploitation et les éléments patrimoniaux qui ne le sont pas, permettant de tenir compte du risque entrepreneurial assumé par le repreneur sans défavoriser les autres héritiers concernant des biens qui pourraient aisément être distraits de l'entreprise. Quatrièmement, enfin, il instituait une protection renforcée des héritiers réservataires, en excluant que la réserve puisse leur être attribuée contre leur gré sous forme de part minoritaire dans une entreprise dont un autre héritier aurait le contrôle. Cette dernière mesure équilibrait plus l'avant-projet sur le plan de l'égalité entre héritiers qu'elle ne favorisait en soi la transmission d'entreprises.

Le 10 avril 2019, le Conseil fédéral a ouvert la consultation20, qui s'est terminée le 30 août 2019. Dans le cadre de cette dernière, 23 cantons, 5 partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale, 27 organisations et autres participants ont pris position (55 prises de position)21.

19 20

21

Mo. Gutzwiler 10.3524 «Moderniser le droit des successions » du 17 juin 2010, disponible sur www.parlement.ch, objet Curia no 10.3524.

L'avant-projet du 10 avril 2019 de révision du code civil (Transmission d'entreprises par succession) et le rapport explicatif peuvent être consultés à l'adresse suivante: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultations terminées > 2019 > DFJP > Procédure de consultation 2019/22.

Synthèse du 26 février 2020 des résultats de la procédure de consultation, p. 4, disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultations terminées > 2019 > DFJP > Procédure de consultation 2019/22.

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2.2

Aperçu des résultats de la procédure de consultation

L'avant-projet a été bien accueilli par la très grande majorité des participants à la consultation. 18 cantons sur 23 l'ont salué expressément22 et 3 ont approuvé les objectifs poursuivis23; un seul canton a semblé s'y opposer24, au motif que la transmission de fortune par succession est une affaire privée, et un ne s'est pas prononcé et n'a pas eu de remarque particulière à formuler25; 4 partis politiques ont salué l'avant-projet26 contre un qui l'a rejeté27; 17 organisations sur 27 ont salué l'avant-projet et 3 en ont approuvé l'orientation générale, tandis que 6 ne se sont pas exprimées sur l'avantprojet en général ou sur son orientation et qu'une seule s'y est opposée expressément.

Pour la majorité des participants, les solutions proposées dans l'avant-projet permettront effectivement de faciliter la transmission d'entreprises et atténueront les problèmes rencontrés. Elles sont cohérentes, équilibrées et effectives. Les mesures proposées sont considérées non seulement comme adéquates, mais nécessaires, en particulier dans les cas où la succession n'a pas été préparée à l'avance ou n'a pas pu l'être en raison du décès subit ou accidentel du propriétaire de l'entreprise, voire urgentes.

Pour les opposants à l'avant-projet, les possibilités existantes en droit civil offrent en principe une marge de manoeuvre suffisante à la transmission d'entreprises. Les mesures proposées sont sans exception au détriment des héritiers réservataires, constituent une atteinte injustifiée aux droits des héritiers et provoqueront des litiges successoraux.

Dans le détail, les mesures proposées dans l'avant-projet ont reçu l'accueil suivant:

22 23 24 25 26 27

­

La disposition prévoyant la possibilité d'attribution intégrale de l'entreprise à une seule personne est soutenue par la grande majorité des participants à la consultation (28 pour, 2 contre).

­

La possibilité pour le repreneur de l'entreprise d'obtenir un sursis à l'obligation de rapport est également soutenue par la grande majorité des participants (29 pour, 3 contre).

­

L'obligation pour le repreneur de l'entreprise de fournir des sûretés et de verser des intérêts divise, certains participants saluant la mesure (8), d'autres s'y opposant (2) ou demandant soit une solution plus flexible soit à défaut de renoncer à la mesure (8).

­

La disposition fixant la valeur de l'entreprise au moment de la libéralité faite du vivant du de cujus est très largement soutenue (32 pour, 1 contre).

AG, AI, AR, BE, GE, GL, GR, JU, LU, NW, SG, SH, SO, TG, TI, UR, VD et ZG.

BS, NE et ZH.

BL FR PDC, PLR, PS et pvl.

UDC

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­

La disposition visant à protéger la réserve des héritiers non repreneurs de l'entreprise en prévoyant la nécessité d'obtenir leur accord pour pouvoir leur attribuer une part minoritaire dans une entreprise en imputation sur leur réserve est également largement soutenue (23 pour, 2 contre).

­

La norme prévoyant la nécessité d'obtenir l'accord des autres héritiers pour que le repreneur puisse rapporter en nature une entreprise dans la succession a été soutenue (5 pour, 0 contre).

­

La proposition de supprimer le recours à des experts officiels pour l'estimation des immeubles et de les soumettre aux mêmes règles que les autres biens de la succession a de son côté été majoritairement refusée (1 pour, 4 contre).

­

La notion d'entreprise en droit successoral et le champ d'application des nouvelles normes envisagées ont fait l'objet de différents commentaires.

Au vu des résultats de la consultation, le Conseil fédéral maintient ses propositions visant à faciliter la transmission d'entreprises. Les critiques et les demandes d'adaptation formulées ont été en grande partie prises en compte et le projet adapté en conséquence.

2.3

Aspects fiscaux

Des aspects fiscaux doivent immanquablement être pris en considération dans la planification d'une succession. Si l'entreprise doit être transmise à un descendant, au conjoint ou au partenaire enregistré, la question fiscale n'a que rarement d'importance, car les conjoints et partenaires enregistrés sont exonérés de l'impôt sur les successions et de l'impôt sur les donations dans tous les cantons et les descendants directs dans la plupart d'entre eux. Si l'entreprise va à un frère ou une soeur, au partenaire de vie de fait ou à une personne qui ne fait pas partie de la famille, les deux impôts cités revêtent une grande importance dans la planification de la succession. L'impôt peut parfois être si élevé que la transmission de l'entreprise est de fait rendue impossible.

Comme la Confédération n'est pas habilitée à légiférer sur l'impôt sur les successions, ni sur l'impôt sur les donations, ces questions ne peuvent pas être résolues par le droit fédéral à moins d'une révision de la Constitution. Or, cette démarche ne semble pas opportune actuellement sur le plan politique. La présente révision ne traite donc pas les aspects fiscaux.

3

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

Le besoin de protection et de pérennité des entreprises au moment de leur transmission à la génération suivante pour cause de décès a été reconnu et fait l'objet d'une législation spéciale dans certains pays. Tous n'ont cependant pas la même approche pour appréhender ce besoin. Les quelques exemples qui suivent visent à apporter un éclairage sur les solutions choisies dans quelques pays proches.

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En Allemagne, l'héritier peut exiger du juge qu'il ordonne un sursis à la réalisation du droit réservataire au cas où le paiement représenterait une rigueur inéquitable, par exemple parce qu'il devrait vendre un bien dont il vit ainsi que sa famille28. De plus, la loi ou le contrat de société peut prévoir un privilège successoral pour les sociétés de personnes29. Une clause spéciale, dite Nachfolgeklausel ou Eintrittsklausel, peut prévoir que la société revient à tous les héritiers ou à certains d'entre eux, ou accorder à certains héritiers un droit d'entrée («Eintrittsrecht») dans cette société30. Une clause de perpétuation («Fortsetzungsklausel») peut prévoir que la part de l'associé décédé revient aux autres associés31. Le contrat de société peut régler la compensation en faveur des héritiers en dérogation à la loi, voire l'exclure32.

En Autriche, depuis le 1er janvier 2017, le droit réservataire peut être reporté de cinq ans, ou même de dix dans certains cas33. L'objectif de cette règlementation est d'empêcher la fermeture d'entreprises suite à la succession34. Des parts d'une entreprise familiale peuvent en outre être transférées dans une fondation pour éviter que cette entreprise ne perde sa substance. Les parts réservataires sont alors réduites, du fait que l'obligation de rapporter en cas d'apport de fonds à la fondation privée (dans ce cas le don de l'entreprise) s'éteint au bout de deux ans. Si un héritier réservataire a une position privilégiée dans la fondation, cela est en outre imputé sur son droit réservataire35.

En Belgique existe l'institution de la «tontine», une association dans laquelle plusieurs personnes peuvent détenir ensemble une part d'entreprise. La part d'un associé qui meurt n'entre pas dans la succession mais elle est répartie entre les associés survivants36.

En France enfin, il existe un mécanisme d'attribution préférentielle en faveur du conjoint survivant et de tout héritier, qui peut demander l'attribution de toute entreprise, ou partie d'entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, à l'exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement37. Cette demande peut également porter sur des droits sociaux, donc sur des parts dans des sociétés par actions38. En cas de demandes concurrentes de plusieurs héritiers, le tribunal
tient compte de l'aptitude des différents postulants à gérer les biens en cause et à s'y maintenir, et, pour une entreprise, en particulier de la durée de la participation personnelle à l'activité39. De plus, il est possible de surseoir au partage de l'indivision successorale lorsqu'elle porte sur une telle entreprise, dont l'exploitation était assurée par le défunt

28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39

§ 2331a, al. 1, du code civil allemand.

Tersteegen/Reich, N 6.

Tersteegen/Reich, N 157.

Tersteegen/Reich, N 156.

Tersteegen/Reich, N 156.

§ 766 du code civil autrichien.

Explications du Ministère fédéral de la justice (no 688, Beilagen XXV. Gesetzgebungsperiode), § 766 et 767.

Hügel/Aschauer, p. 229 s. et 285 s.; explications du Ministère fédéral de la justice (no 688, Beilagen XXV. Gesetzgebungsperiode), § 780 et 781.

Hustedt/Schür, N 84.

Art. 831 du code civil français.

Bollon, p. 371.

Art. 832-3 du code civil français.

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ou par son conjoint40. Le but est d'assurer la pérennité de l'entreprise en maintenant les droits sociaux dans l'indivision et en évitant ainsi leur fragmentation41. Enfin, l'institution de la donation-partage42 offre la possibilité de transmettre contractuellement de son vivant ses biens ou une partie de ses biens (une entreprise par exemple) à ses héritiers présomptifs43. Les biens donnés sont, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage (et non au jour du décès) pour l'imputation et le calcul de la réserve, à condition notamment que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l'ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l'aient expressément accepté44.

Dans de nombreux pays, comme en Suisse jusqu'à aujourd'hui, il n'existe pas de normes spécifiques à la transmission d'entreprises par succession. Ce sont alors les règles ordinaires du droit des successions qui s'appliquent.

4

Présentation du projet

4.1

Réglementation proposée

4.1.1

Grandes lignes du projet

Sur la base d'un examen détaillé par le groupe d'experts consultés des difficultés susceptibles d'entraver la dévolution d'une entreprise dans une succession identifiées par la doctrine45 et des résultats de la consultation intervenue sur son avant-projet, le Conseil fédéral propose trois mesures phares pour faciliter la transmission d'entreprises par succession: 1.

un droit à l'attribution intégrale d'une entreprise dans le cadre du partage de la succession si le de cujus n'a pas pris de dispositions à ce sujet (ch. 4.2.1);

2.

la possibilité d'obtenir des délais de paiement pour l'héritier repreneur à l'égard des autres héritiers (ch. 4.2.2), et

3.

des règles spécifiques en matière de valeur d'imputation des entreprises entre héritiers (ch. 4.2.3).

Ces trois mesures s'ajoutent à la réduction de la réserve héréditaire des descendants intervenue dans le cadre de la révision du code civil du 18 décembre 2020 (des trois quarts à la moitié de leur part successorale), réserve qui était considérée en Suisse comme le principal obstacle, ou du moins un des principaux obstacles, à la transmission d'une entreprise au sein de la famille46.

Elles sont contrebalancées en particulier par une protection renforcée octroyée notamment aux héritiers réservataires non repreneurs, en excluant que leur réserve puisse 40 41 42 43 44 45 46

Art. 821 du code civil français.

Bollon, p. 372.

Art. 1076 ss du code civil français.

Döbereiner, No 154.

Art. 1078 du code civil français.

Hösly/Ferhat, p. 106 ss; Leuba, p. 17 ss.

Eitel, KMU, p. 48 avec une référence à Druey; Guillaume, p. 334; Bader/Seiler, p. 148; Hösly/Ferhat, p. 117 s. avec d'autres références; Leuba, p. 17 ss.

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leur être attribuée contre leur gré sous forme de part minoritaire dans une entreprise dont un autre héritier aurait le contrôle (ch. 4.2.4).

4.1.2

Attribution intégrale d'une entreprise à un héritier

Selon le droit en vigueur, le disposant peut, par disposition pour cause de mort, prescrire à ses héritiers certaines règles ­ obligatoires ­ pour le partage et la formation des lots («règles de partage»; art. 608, al. 1 et 2, CC). En principe, une entreprise peut donc revenir dans son intégralité à un des héritiers par règle de partage. Il en va autrement lorsque le de cujus n'a pas pris de dispositions et que, les héritiers ne s'étant pas mis d'accord, le juge doit procéder à une attribution des biens de la succession. Même s'il existe de bonnes raisons pour confier la totalité de l'entreprise à un héritier, les possibilités du droit actuel sont très restreintes. La règle des 10 %, selon laquelle l'attribution intégrale d'un bien de la succession n'est possible que si elle n'entraîne pas des versements entre héritiers d'un montant excessif au titre du rapport successoral, empêche notamment souvent de procéder à l'attribution intégrale de l'entreprise47. La situation actuelle est ainsi insatisfaisante et représente dans certains cas un obstacle injustifié à la transmission de l'entreprise et donc à son maintien.

Le Conseil fédéral propose d'y remédier et de créer la possibilité d'attribuer à un seul et unique héritier l'intégralité de l'entreprise ou l'ensemble des participations se trouvant dans la succession, si celles-ci lui octroient le contrôle sur l'entreprise ou s'il détient déjà le contrôle de l'entreprise (art. 617, al. 1, P-CC). Cela aura notamment pour avantage de faciliter la gouvernance de l'entreprise, en concentrant les participations dans celle-ci entre les mains d'un seul héritier. Chaque héritier pourra en faire la demande, au besoin au juge. Si plusieurs héritiers se mettent sur les rangs, le juge devra attribuer l'entreprise ou les participations à celui d'entre eux qui paraît le plus apte à la conduite de l'entreprise (art. 617, al. 2, P-CC), le but poursuivi étant le maintien de l'activité de l'entreprise pour préserver les emplois et le savoir-faire qui y sont liés. Si plusieurs héritiers s'entendent pour reprendre en commun l'entreprise, cela leur sera également possible aux mêmes conditions (art. 617, al. 3, P-CC).

Cette mesure ayant été soutenue très largement dans le cadre de la procédure de consultation, elle est reprise sans modification de fond dans le projet.

4.1.3

Sursis au paiement des dettes résultant du partage successoral

En droit actuel, l'héritier qui reprend une entreprise à titre gratuit ou en partie gratuit doit s'acquitter immédiatement après le décès du de cujus des montants dus aux autres héritiers au titre de leurs créances en rapport, ce qui peut rendre la reprise intégrale de l'entreprise très difficile voire impossible. C'est pourquoi plusieurs législations étran-

47

Pour une vue détaillée du droit actuel, voir Hösly/Ferhat, p. 106 ss et Leuba, p. 29 ss.

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gères prévoient une possibilité de report de la réalisation des droits des héritiers réservataires48. En Suisse, en droit matrimonial, le code civil permet au juge, en diverses dispositions, d'octroyer des délais de paiement pour le règlement des créances de compensation, lorsque «le règlement immédiat [...] expose l'époux débiteur à des difficultés graves» (par ex. art. 218, al. 1, CC).

Le projet s'inspire de ces dispositions pour instaurer un droit au sursis à l'obligation de rapport en matière de succession d'entreprises (art. 619 P-CC)49, mesure très largement soutenue dans le cadre de la consultation publique. L'héritier repreneur pourra obtenir des délais de paiement, d'une durée totale de dix ans au plus, si le règlement des créances des autres héritiers l'expose à de graves difficultés, qui risqueraient d'empêcher une reprise de l'entreprise. Pour fixer si un sursis est dû ou non, et les modalités du sursis (durée, plan de remboursement obligatoire, fixation d'objectifs entrepreneuriaux à atteindre, conditions, etc.), il devra être tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, et en particulier de l'intérêt des autres héritiers. Le sursis au paiement devra ainsi porter uniquement sur les montants nécessaires et n'être octroyé que pour la durée nécessaire à la reprise de l'entreprise. Une durée de 10 ans ne devrait ainsi être accordée qu'exceptionnellement et si les modalités fixées limitent autant que possible l'atteinte faite aux droits des autres héritiers.

À moins que les circonstances l'excluent, il est prévu que l'héritier repreneur fournisse des sûretés pour les montants dont le versement fait l'objet d'un sursis et verse un intérêt équitable. Cette règle, en particulier l'obligation de fournir des sûretés, réduira peut-être la marge d'application de ce nouvel article, mais elle est indispensable pour préserver les intérêts des autres héritiers. On ne saurait garantir autrement que le sacrifice demandé aux (autres) héritiers dans l'intérêt des entreprises, de l'emploi et de l'économie en général, en particulier s'ils sont réservataires, soit limité uniquement à un retard dans la jouissance pleine et entière de leur part de succession. Le délai de paiement ne doit en effet en aucun cas entraîner une diminution du montant de la part réservataire ou légale.

S'il est vrai que,
comme cela ressort de la consultation, il risque d'être difficile de fournir des sûretés précisément dans les cas qui le nécessiteraient le plus, soit lorsqu'il manque de moyens financiers, le fait de prévoir une obligation tout en prévoyant la possibilité d'une exception en fonction des circonstances oblige à étudier en détail la question des sûretés. Cela permettra de protéger les droits des autres héritiers dans les cas où c'est en effet possible, sans que la fourniture de sûretés soit élevée au rang de condition incontournable qui empêcherait une reprise d'entreprises dans les autres cas.

48

49

Voir Hösly/Ferhat, p. 120, avec des références aux législations espagnole, allemande et autrichienne; Kipfer-Berger, p. 218 ss, avec une présentation de la situation juridique en Allemagne et en Autriche.

Pour des explications détaillées, voir Kipfer-Berger, N 326 ss avec d'autres références à la doctrine.

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4.1.4

Valeur d'imputation des entreprises tenant compte du risque entrepreneurial

Autre nouveauté du projet, centrale pour beaucoup de transmissions d'entreprises: une nouvelle règle concernant la valeur d'imputation de l'entreprise et surtout le moment déterminant pour évaluer cette dernière50. En droit actuel, la date déterminante pour calculer la valeur des libéralités est le jour du décès (art. 474, al. 1, 537 et 630, al. 1, CC)51 lorsqu'une entreprise a été transmise intégralement ou en partie à un successeur du vivant du de cujus et qu'elle est rapportée à la succession lors du partage.

Si sa valeur s'est modifiée entre son changement de propriétaires et la date du décès, la différence, qu'elle soit positive ou négative, est supportée par la communauté des héritiers. Le Tribunal fédéral, dans un arrêt de 2007, a jeté les bases d'une distinction entre la valeur ajoutée conjoncturelle et la valeur ajoutée industrielle52, qualifiant de contraire à l'équité («unbillig») le fait que l'héritier tenu de rapporter le bien doive partager avec ses cohéritiers le gain de son activité entrepreneuriale (par opposition à l'évolution économique générale). À l'inverse, il serait tout aussi inéquitable que les cohéritiers ayant droit au rapport doivent supporter les pertes subies par l'entreprise ­ sur lesquelles ils n'ont pu avoir aucune influence53. En d'autres termes, la répartition au sein de l'hoirie des écarts de valeur d'une entreprise transmise du vivant du de cujus n'est pas satisfaisante en droit actuel.

La présente révision tient compte de ces considérations et vise avant tout à créer la sécurité et la prévisibilité juridiques nécessaires. Le principe demeurera que le rapport a lieu d'après la valeur des libéralités au jour de l'ouverture de la succession (art. 630, al. 1, CC), mais une exception, largement soutenue dans le cadre de la consultation, sera faite pour le rapport d'entreprises: une entreprise pourra être imputée à sa valeur au moment de la libéralité (art. 630a P-CC). Pour pouvoir profiter de cette nouveauté, une évaluation de la valeur de l'entreprise au moment de la libéralité devra être réalisée et remise, justificatifs y relatifs compris, à l'autorité compétente désignée par le droit cantonal dans un délai d'un an. La remise de ces documents sera irrévocable afin de sauvegarder les droits des autres héritiers, qui pourraient sinon être privés d'éléments de
preuve nécessaires pour faire valoir leurs droits. Cette norme augmentera la sécurité juridique et permettra d'éviter des doutes, très gênants pour la planification de la succession54, quant à la valeur qu'aura l'entreprise au moment déterminant, et de mieux évaluer le risque d'atteinte à la réserve des autres héritiers afin d'y parer. La possibilité de déterminer à l'avance la valeur de l'entreprise qui sera prise en compte dans le partage successoral permettra aux personnes concernées une planification successorale à long terme.

La nouvelle norme ne s'appliquera pas aux éléments patrimoniaux en mains de l'entreprise qui ne sont pas nécessaires à son exploitation, comme pourraient l'être par 50

51 52 53 54

Le Conseil fédéral ne fait pas de propositions concernant la méthode de calcul de la valeur de l'entreprise. Cette question difficile, très disputée dans la doctrine (voir Eitel, KMU, p. 50 ss; Hösly/Ferhat, p. 111; Leuba, p. 40 ss, et les références citées) devrait être laissée à la pratique, comme c'est habituellement le cas en droit civil.

À ce sujet, voir Eitel, KMU, p. 64 s.; Kipfer-Berger, N 62 ss.

À ce sujet, voir von Sury, p. 11.

ATF 133 III 416, 420.

À ce sujet, voir Guillaume, p. 336 s.

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exemple, suivant le domaine d'activité concerné, un terrain à bâtir inutilisé ou un tableau de valeur. Ils seront quant à eux imputés à leur valeur au moment du partage, selon la règle actuelle. Une augmentation ou une perte de valeur de tels biens ne dépend en effet pas de l'activité entrepreneuriale de l'héritier repreneur. De plus, rien ne justifie que la valeur de tels biens soit estimée différemment suivant que le de cujus les ait détenus directement ou par l'intermédiaire d'une entreprise.

Il convient finalement encore de mentionner qu'afin de mieux protéger les autres héritiers contre une éventuelle perte de valeur de l'entreprise dont ils ne sauraient être tenus pour responsables, demande justifiée effectuée dans le cadre de la consultation, la nécessité de procéder au moment de la libéralité à une évaluation de valeur selon des principes reconnus et de déposer l'évaluation et les justificatifs y relatifs auprès de l'autorité compétente à l'attention des héritiers réservataires, a été élevée au rang de condition pour pouvoir se prévaloir de la nouvelle règle prenant en compte le risque entrepreneurial. Sans cette condition, la position des autres héritiers aurait en effet été trop défavorable par rapport à celle de l'héritier repreneur, seul en possession des documents nécessaires pour prouver ses prétentions.

4.1.5

Protection des héritiers non repreneurs

Les trois mesures prévues pour faciliter la transmission d'entreprises (droit à l'attribution, sursis au paiement, valeur d'imputation spécifique), malgré les garde-fous qu'elles comprennent pour limiter les atteintes faites aux droits des autres héritiers (fourniture de sûretés, versement d'intérêts, dépôt d'une évaluation auprès de l'autorité compétente), sont sensibles du point de vue de l'égalité entre héritiers. Le Conseil fédéral en est conscient et il a ainsi décidé de proposer des améliorations de la position des cohéritiers réservataires par rapport au droit actuel, afin de présenter un projet de révision aussi équilibré que possible.

Il est ainsi prévu que les héritiers réservataires auront la possibilité de refuser qu'une participation minoritaire dans une entreprise, en règle générale difficilement négociable et à la valeur pouvant être réduite, ne leur soit attribuée contre leur volonté en imputation sur leur réserve dans le cadre du partage (art. 618 P-CC). Cette règle codifie une jurisprudence du Tribunal fédéral déjà ancienne relative aux «biens aisément négociables»55 dans l'intérêt d'une plus grande sécurité juridique. Elle a été largement soutenue dans le cadre de la consultation.

Un héritier réservataire pourra en outre restituer en nature à la succession les participations minoritaires reçues entre vifs et dont il serait encore titulaire au moment du décès, lorsque le de cujus disposait du contrôle de l'entreprise à son décès (art. 522a, al. 2, P-CC). Il pourra également exiger d'un héritier disposant du contrôle de l'entreprise qu'il reprenne les parts minoritaires restant dans la succession ou restitue en nature celles reçues et dont il est encore titulaire au moment du décès du de cujus, si ce dernier avait détenu le contrôle de l'entreprise de son vivant (art. 522a, al. 3, P-CC). Les légataires de participations également seront poussés à reprendre les participations minoritaires restant dans la succession, sous peine de voir leur legs être 55

ATF 70 II 147

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remplacé par une créance pécuniaire (art. 522a, al. 1, P-CC). Ces règles, tout en protégeant les droits des réservataires, visent à rassembler les participations minoritaires et majoritaires entre les mains des mêmes détenteurs, dans l'intérêt d'une gestion facilitée de l'entreprise, et à éviter la problématique dite des «biens aisément négociables».

Finalement, afin d'éviter que la règle attribuant le risque entrepreneurial au repreneur (art. 630a P-CC) ne puisse être contournée et qu'une perte de valeur puisse être reportée sur les autres héritiers sans qu'ils n'en soient responsables, il est prévu une restriction à la possibilité de rapporter en nature dans la succession les biens reçus du vivant du disposant (art. 628, al. 1, CC). Lorsqu'une entreprise a été transmise par libéralité entre vifs, la personne qui a succédé au de cujus à la tête de l'entreprise du vivant de ce dernier ne pourra la rapporter en nature dans la succession qu'avec l'accord des autres héritiers (art. 628, al. 1bis, P-CC). Cette règle n'a fait l'objet d'aucune opposition lors de la consultation.

4.1.6

Entreprises concernées

La révision vise en particulier à améliorer la transmission successorale d'entreprises familiales et de PME. Les nouvelles normes sont toutefois vouées à bénéficier au plus grand nombre possible d'entreprises, quels que soient la forme juridique choisie pour l'exercer, leur domaine d'activité, leur taille, le nombre d'emplois concernés ou le fait d'être inscrit ou non au registre du commerce. Seront donc uniquement exclues du champ d'application de la loi: ­

les sociétés cotées en bourse et les coopératives (art. 616, al. 1, P-CC), car elles ne présentent pas les mêmes risques et problématiques que les entreprises au moment du décès du chef d'entreprise,

­

les entreprises gérant uniquement leur patrimoine (art. 616, al. 2, P-CC), car elles ne nécessitent en règle générale pas de protection particulière dans le cadre du droit successoral, et

­

les entreprises agricoles (art. 623 P-CC), dont la reprise et l'imputation sont déjà régies spécifiquement par une loi spéciale (LDFR).

4.1.7

Droit transitoire

Le droit transitoire en matière successorale est régi par deux dispositions spéciales du titre final du code civil (art. 15 et 16 tit. fin. CC), ainsi que par les principes généraux du droit civil transitoire (art. 1 à 4 tit. fin. CC). Le critère déterminant est le moment du décès du de cujus: en cas de décès avant l'entrée en vigueur du nouveau droit, l'ancien droit s'applique; en cas de décès après l'entrée en vigueur du nouveau droit, c'est ce dernier qui s'applique. Cela vaut aussi bien dans les cas de succession légale que dans les cas où une disposition pour cause de mort ou un pacte successoral aurait

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été signé avant l'entrée en vigueur de la révision. Ce principe conduit à une réglementation claire, dont les conséquences sont prévisibles pour les praticiens. De plus, il évite dans la plupart des cas de difficiles questions d'interprétation.

Les nouvelles règles relatives à la transmission d'entreprises, en particulier en matière d'attribution, de sursis au paiement et de participations minoritaires, s'appliqueront ainsi aux décès intervenus après l'entrée en vigueur du nouveau droit. Afin cependant de permettre de tenir compte dès que possible d'une valeur d'imputation des entreprises prenant en compte le risque entrepreneurial (voir ch. 4.2.3), il est prévu une règle spéciale de droit transitoire rendant possible une application future de cette valeur d'imputation déjà pour les transmissions intervenues avant l'entrée en vigueur du nouveau droit, à condition que les conditions relatives à la preuve et au moment de l'évaluation, exigées en la matière par le nouveau droit, soient bien remplies (art. 16a tit. fin. P-CC).

4.2

Abandon de dispositions de l'avant-projet

Au vu des résultats de la consultation56, le Conseil fédéral renonce à la suppression de la règle de l'art. 618 CC actuel, selon laquelle le prix d'attribution des immeubles est fixé par des experts officiels lorsque les héritiers ne peuvent se mettre d'accord (voir ch. 5, commentaire de l'art. 621 P-CC).

4.3

Mise en oeuvre et adéquation des moyens requis

En principe, les modifications proposées du code civil ne requièrent pas de mesures supplémentaires de mise en oeuvre par voie d'ordonnance, ni de modification du droit cantonal. Les cantons devront toutefois s'assurer que l'autorité chargée de recevoir le dépôt des testaments au sens de l'art. 505, al. 2, CC soit en mesure de recevoir et conserver la documentation mentionnée à l'art. 630a, al. 2, P-CC, et au besoin procéder à une modeste adaptation de leur législation. Au surplus, les héritiers et au besoin les tribunaux joueront un rôle central dans l'application du nouveau droit. Aucun moyen financier n'est requis.

56

Synthèse du 26 février 2020 des résultats de la procédure de consultation, p. 35, disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultations terminées > 2019 > DFJP > Procédure de consultation 2019/22.

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Commentaire des dispositions

5.1

Code civil

Remplacement d'une expression Le sigle de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural57, LDFR, est introduit à l'art. 623. Les art. 654a, 682a et 798a sont modifiés en conséquence.

Art. 218, al. 3 Dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial de la participation aux acquêts (art. 196 ss CC), l'époux débiteur peut solliciter des délais de paiement lorsque le règlement immédiat de la créance de participation et de la part à la plus-value l'expose à des difficultés graves (art. 218, al. 1, CC). Les graves difficultés rencontrées par le débiteur sont notamment celles qui l'obligeraient à vendre des actifs nécessaires à l'exploitation de son entreprise ou à l'exercice de sa profession58. Dans un tel cas, l'époux débiteur doit des intérêts, sauf convention contraire, et il peut en outre être tenu de fournir des sûretés si les circonstances le justifient (art. 218, al. 2, CC).

En droit actuel, seul l'époux a droit à l'obtention de délais de paiement59. Les héritiers de l'époux décédé ne peuvent donc s'en prévaloir à l'encontre du conjoint survivant en cas de dissolution du régime matrimonial consécutif à un décès. Lorsque les acquêts du conjoint décédé comprennent une entreprise, cela est susceptible de nuire à sa reprise par les héritiers, voire à l'empêcher.

Afin que l'un ou plusieurs héritiers de l'époux débiteur puissent reprendre une entreprise au sens de l'art. 616 P-CC ou des participations octroyant le contrôle d'une telle entreprise, il est ajouté un nouvel alinéa 3 à l'art. 218 CC, qui octroie aux héritiers les mêmes droits qu'aurait eus l'époux de son vivant dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial. Il devra donc lui ou leur être accordé des délais de paiement à l'encontre du conjoint survivant si le règlement immédiat de la créance de participation et de la part à la plus-value du défunt l'exposerait ou les exposerait à des difficultés graves; c'est par exemple le cas si d'importants problèmes de liquidités remettent en question le maintien de l'entreprise reprise du défunt. Dans un tel cas, des intérêts seront également dus et les héritiers pourront aussi être tenus de fournir des sûretés si les circonstances le justifient (voir art. 218, al. 2, CC).

Pour simplifier la procédure et éviter d'éventuels blocages dus à des désaccords entre héritiers,
tenus en principe d'agir conjointement dans le cadre d'une communauté héréditaire, il est prévu qu'un héritier reprenant l'entreprise puisse aussi demander seul au juge des délais de paiement. Ces délais pourront bénéficier à tous les héritiers concernés par la reprise.

57 58 59

RS 211.412.11 Montavon, p. 351.

BK-Hausheer/Reusser/Geiser, art. 218 N 15.

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Art. 522a

1a. À l'égard d'entreprises

Titre marginal: Lorsqu'un héritier fait valoir son droit à la réserve héréditaire, soit son droit à une part intangible de la succession60, on considère comme suffisant qu'il reçoive le «montant» de sa réserve ­ c'est-à-dire la contre-valeur de celle-ci (art. 522, al. 1, CC)61. Le Tribunal fédéral comprend cette notion de «montant» comme l'équivalent d'une part «en propriété»; cela suppose que les libéralités imputées sur la réserve consistent en biens aisément négociables62, soit des biens aisément convertibles en espèces. La doctrine en conclut qu'un héritier ne doit pas, par exemple, se laisser imputer sur sa réserve un paquet minoritaire d'actions dont la transmissibilité est restreinte et dont la valeur peut s'en trouver diminuée, de telles actions n'étant pas aisément négociables63, bien que selon certains un pacte d'actionnaires puisse contribuer à protéger les héritiers réservataires (p. ex. par au moyen de droits à des dividendes préférentiels ou minimaux, de droits à une représentation au conseil d'administration ou de droits de vente)64.

Ce nouvel art. 522a P-CC apporte dans la mesure du possible, conjointement avec l'art. 618 P-CC (voir ci-après), une solution législative à la question des «biens aisément négociables» et protège la réserve des héritiers réservataires lorsque des participations dans une entreprise ont été cédées par libéralité entre vifs ou par disposition pour cause de mort. La nouvelle disposition trouve ainsi place au sein des règles sur l'action en réduction, qui permet de reconstituer les réserves lésées65, et contient un renvoi aux nouvelles règles prévues pour les entreprises en matière de partage (art. 616 ss P-CC).

Pour atteindre l'objectif de protection des droits des héritiers réservataires et éviter la problématique susmentionnée des participations minoritaires, il est proposé de réunir participations minoritaires et majoritaires en une seule main lorsque cela permet d'éviter que des participations minoritaires ne restent ou ne soient imputées à la réserve de l'héritier réservataire. Cette réunion permet en outre de donner aux participations minoritaires une valeur qui peut être calculée proportionnellement à la valeur de l'entreprise ou de l'ensemble des participations octroyant le contrôle, et s'écarte ainsi de la valeur du marché, qui sera souvent beaucoup
plus basse lorsque ces participations minoritaires doivent être vendues séparément. Les al. 2 et 3, qui visent le cas de la libéralité entre vifs (pour l'attribution pour cause de mort, c'est l'art. 618 P-CC qui s'applique par un renvoi de l'al. 4), réalisent cet objectif de réunir participations minoritaires et majoritaires entre les mêmes mains, celles d'un héritier ou de la succession. L'al. 1, quant à lui, le réalise partiellement dans le cas du legs de participations à un bénéficiaire non héritier qui détient ou peut ainsi détenir le contrôle de l'entreprise. Le légataire non héritier se trouve en effet dans une position différente de celle de l'héritier, qui participe au partage de la succession, et l'on ne peut lui imposer de restituer à la succession les participations qu'il a reçues entre vifs à titre gratuit et dont il est encore titulaire, ni de reprendre contre sa volonté les participations minoritaires 60 61 62 63 64 65

Steinauer, N 354.

ZK-Escher, Art. 522 N 4.

ATF 70 II 147, consid. 2.

Eitel, Probleme, p. 499; Hösly/Ferhat, N 78.

Bader/Seiler, p. 148; Leuba, p. 26 s.

Guinand/Stettler/Leuba, N 150.

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de la succession qui ne feraient pas partie du legs. L'al. 1 prévoit donc que le legs est en principe remplacé par une créance pécuniaire si le légataire détient déjà le contrôle de l'entreprise ou l'acquerrait du fait du legs. Cela ne vaut toutefois pas, et les participations sont délivrées au légataire, si la réunion des participations minoritaires de la succession à des participations octroyant ou permettant d'octroyer le contrôle de l'entreprise a été organisée par le de cujus (legs, art. 522a, al. 1, ch. 1, P-CC) ou qu'elle a été acceptée par le légataire (art. 522a, al. 1, ch. 2, P-CC).

Quant au legs de participations minoritaires à un héritier (legs préciputaire), il est régi par l'art. 618 P-CC (sur renvoi de l'al. 4) lorsque la succession comprend des participations octroyant le contrôle et par l'art. 522a, al. 3, P-CC lorsque le contrôle de l'entreprise a été cédé par le de cujus de son vivant et qu'un héritier détient ce contrôle au jour de l'ouverture de la succession.

L'art. 522 CC, qui traite de l'action en réduction, reste réservé; les legs et les libéralités entre vifs portant sur une entreprise ou des participations peuvent en effet léser en valeur les droits des héritiers réservataires. La réserve n'est cependant en principe pas lésée si l'héritier bénéficiaire choisit de restituer à la succession les participations reçues entre vifs dont il est encore titulaire (voir al. 2 et 3).

Al. 1: Cet alinéa vise le cas où le de cujus a octroyé des participations dans une entreprise au moyen d'un legs (art. 484 CC) à un non héritier. Il s'applique également à l'héritier bénéficiaire d'un legs qui a répudié la succession mais demande l'exécution du legs, ou à celui qui a renoncé par pacte de renonciation à sa qualité d'héritier et a reçu, en contrepartie ou non, un legs portant sur l'entreprise. En cas de legs à un héritier qui accepte la succession, c'est l'art. 618 P-CC qui s'applique par le renvoi de l'al. 4 lorsque la succession comprend des participations octroyant le contrôle de l'entreprise ou l'al. 3 lorsque le de cujus a cédé le contrôle de l'entreprise de son vivant et qu'un héritier détient ce contrôle au jour de l'ouverture de la succession.

Afin d'éviter que suite à un legs portant sur des participations dans une entreprise, des participations minoritaires ne restent dans
la succession alors que le légataire aurait déjà le contrôle de l'entreprise ou l'obtiendrait au moyen du legs, un legs portant sur des participations dans l'entreprise est dans ce cas en principe remplacé par une créance pécuniaire à l'encontre de la succession. Il en va ainsi si le legs ne porte pas sur l'ensemble des participations présentes dans la succession, ou alors si le légataire refuse de reprendre l'ensemble des participations présentes dans la succession (y compris celles attribuées à certains héritiers par règle de partage ou legs), sur demande d'un héritier réservataire (demande valant pour tous, héritiers comme bénéficiaires d'un legs).

En cas de reprise des participations restant dans la succession par le légataire, leur valeur de reprise est calculée en application des art. 621, al. 2, et 630a P-CC (par renvoi de l'al. 4) si le légataire a le contrôle de l'entreprise ou l'acquiert du fait du legs. En cas de refus de reprise de ces participations, la valeur de la créance pécuniaire que le légataire reçoit en remplacement équivaut par contre à celle des participations minoritaires sur le marché, telle qu'évaluée par un expert si nécessaire, le renvoi de l'al. 4 ne devant pas s'appliquer ici puisque le légataire s'écarte par son choix du but de réunion des participations majoritaires et minoritaires poursuivi par la norme. Le légataire se verra ainsi octroyer un avantage d'une valeur en règle générale plus basse 22 / 44

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que celle qu'il tirerait du legs s'il acceptait de reprendre également les participations restantes, ce qui tend à protéger les réserves. Par cette disposition, le disposant devrait être incité soit à attribuer à un non héritier toutes les participations, soit à n'en attribuer aucune.

Si le légataire n'a pas le contrôle de l'entreprise et ne l'obtiendrait pas avec les participations comprises dans le legs, le legs sera délivré. Une répudiation du legs par le légataire est réservée.

Al. 2: Pour protéger l'héritier réservataire contre une imputation sur sa réserve de participations minoritaires qu'il aurait reçues du de cujus par libéralité entre vifs, il lui est octroyé la possibilité, si des participations octroyant le contrôle de l'entreprise font partie de la succession, de restituer en nature les participations minoritaires dont il est encore titulaire. En cas de participations reçues par donation mixte, la restitution en nature est également possible, car cela favorise aussi la réunion des participations minoritaires et majoritaires.

Si l'héritier choisit de ne pas faire usage du droit que lui confère l'al. 2 et de conserver les participations minoritaires reçues, c'est leur valeur sur le marché au jour de l'ouverture de la succession qui sera retenue pour établir la masse de calcul des réserves.

Il n'y a pas lieu d'appliquer les art. 621, al. 2, et 630a P-CC par renvoi de l'al. 4, l'héritier renonçant aux droits qu'il peut déduire de l'art. 522a.

Al. 3: Lorsque des participations minoritaires dans une entreprise dont le de cujus a détenu le contrôle de son vivant sont dans la succession et que le de cujus a disposé entre vifs de participations en faveur d'un héritier qui a le contrôle de l'entreprise au jour de l'ouverture de la succession, tout héritier réservataire (à l'exception de celui disposant du contrôle) pourra demander que celui-ci reprenne à leur valeur ces participations minoritaires, ou qu'il restitue en nature celles qu'il a reçues et dont il est encore titulaire au moment du décès. La demande de l'héritier réservataire vaut pour tous et peut être formulée même si le de cujus a attribué les participations minoritaires restant dans la succession par dispositions pour cause de mort (règle de partage ou legs, préciputaire ou non). Elle écarte alors sur ce point les volontés du
de cujus; en cas de legs, une créance pécuniaire subsiste cependant en faveur du légataire.

Si l'héritier choisit de reprendre les participations minoritaires de la succession, l'al. 4 renvoie aux art. 621, al. 2, et 630a P-CC pour le calcul de leur valeur.

Une répudiation de la succession par l'héritier qui détient le contrôle au jour de l'ouverture de la succession est réservée. L'al. 4 ne s'applique cependant pas le cas échéant; un éventuel paiement dû en raison d'une lésion de la réserve en valeur (art. 522 CC) ne bénéficiera ainsi pas d'un sursis au sens de l'art. 619 P-CC.

Al. 4: Les nouvelles règles sur le sort des participations dans le cadre du partage successoral s'appliquent au surplus par analogie dans le cadre de l'action en réduction.

Ce renvoi concerne aussi bien les cas de libéralités pour cause de mort que les libéralités entre vifs. Il est renvoyé aux règles sur le droit des héritiers réservataires de refuser l'attribution de participations minoritaires et de demander la vente (art. 618 P-CC), sur le droit pour le repreneur (y compris le légataire selon l'art. 522a, al. 1, ch. 2, P-CC) d'obtenir un sursis au paiement (art. 619 P-CC), et sur la valeur d'imputation (art. 621, al. 1 et 2, et art. 630a P-CC). Ainsi l'on retiendra de manière non exhaustive que: 23 / 44

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­

des participations minoritaires que le disposant attribuerait par règle de partage ou par legs dans une succession qui comprend une entreprise ou des participations majoritaires ne peuvent être imputées sur la réserve, et que leur vente peut être exigée par tout héritier réservataire (en application de l'art. 618 P-CC; voir le commentaire relatif à cet article ci-après); cette règle vaut aussi bien dans le cadre du partage de la succession par le juge que par les héritiers eux-mêmes; il s'agit d'une exception au principe de l'art. 608, al. 2, CC, qui prescrit que les règles de partage établies par le de cujus sont obligatoires;

­

l'héritier ou le légataire qui choisit ou accepte de reprendre l'ensemble des participations minoritaires de la succession sur demande d'un héritier réservataire (voir art. 522a, al. 3, P-CC, respectivement art. 522a, al. 1, ch. 2, P-CC) pourra bénéficier d'un sursis au paiement au sens de l'art. 619 P-CC;

­

la valeur des participations minoritaires en cas de restitution ou de reprise (art. 522a, al. 2, ch. 2, et al. 3, P-CC) sera calculée conformément aux art. 621, al. 1 et 2, et 630a P-CC.

L'applicabilité de ce renvoi est également traitée plus haut dans le présent commentaire de l'art. 522a ainsi que dans les commentaires des articles suivants.

Art. 616

IV. Entreprises. 1. Notions

Titre marginal: Ce nouvel article définit la notion d'entreprise et celle de participation, spécifiquement pour la transmission d'entreprises en droit des successions.

Al. 1: Les nouvelles règles ont vocation à s'appliquer à toute entreprise, quelle que soit la forme juridique choisie, indépendamment de son secteur économique (primaire, secondaire ou tertiaire), de son secteur d'activité ou de sa taille, qu'elle soit inscrite ou non au registre du commerce, pour peu qu'elle exerce une activité économique. Sont exceptées 1) les sociétés cotées en bourse, 2) les sociétés coopératives, 3) les entreprises gérant uniquement leur patrimoine (al. 2) et 4) les entreprises agricoles (art. 623 P-CC). La notion d'entreprise choisie est ainsi large et comprend, outre les entreprises individuelles, l'intégralité des types de sociétés du code des obligations (CO)66, à savoir la société simple67, la société en nom collectif68, la société en commandite69, la société anonyme70, la société en commandite par action71, la société à responsabilité limitée72, à l'exception de la société coopérative73 (qui est séparée des sociétés commerciales dans le CO selon le titre de sa troisième partie «Des sociétés commerciales et de la société coopérative»). Il a en revanche été renoncé à la condition de l'inscription au registre du commerce (pour autant que cette inscription ne soit pas obligatoire en vertu de la loi), notamment pour ne pas exclure du champ d'application 66 67 68 69 70 71 72 73

Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Livre cinquième: Droit des obligations); RS 220.

Art. 530 ss CO Art. 552 ss CO Art. 594 ss CO Art. 620 ss CO Art. 764 ss CO Art. 772 ss CO Art. 828 ss CO

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les professions libérales (médecins, avocats, ingénieurs), qui ne sont en principe pas tenues de s'inscrire74.

Contrairement à l'avant-projet, la société holding, dont le but principal est de prendre des participations dans d'autres entreprises (art. 671, al. 4, CO), ne sera pas automatiquement exclue du champ d'application de la norme. De nombreuses sociétés, familiales notamment, sont en effet actuellement organisées en holdings et des sociétés opérationnelles sont fréquemment détenues en tout ou partie par des holdings qui exercent une activité dépassant de loin la seule détention de participations (holding mixte ou active). Cela justifie de les inclure dans le champ d'application, à moins que l'activité de la holding ne se limite uniquement à la gestion de son propre patrimoine (holding passive; al. 2).

Il est précisé que l'activité économique de l'entreprise peut être exercée directement ou indirectement, soit par l'intermédiaire d'une société dont elle détient le contrôle.

Une approche en transparence est ainsi prévue. Deux holdings ou sociétés en mains de la même personne pourront tomber dans le champ d'application de la norme, pour l'une, et en être exclue, pour l'autre. Du moment que ce sont les participations dans une holding ou dans une société qui font partie de la succession, et non les sociétés détenues par celle-ci (qui sont seulement indirectement dans la succession), ces participations seront intégralement soumises aux nouvelles normes ou ne le seront pas, la holding ou la société n'étant pas splittée en fonction de l'activité des sociétés contrôlées. Si un entrepreneur met l'intégralité de sa fortune (biens immobiliers, commerciaux, etc.) dans son entreprise, les nouvelles normes s'appliqueront à l'entier de sa fortune.

Les sociétés cotées en bourse, qui ne connaissent pas les mêmes risques ou problématiques que les entreprises familiales au moment du décès du chef d'entreprise et de leur reprise par un ou plusieurs héritiers, et dont les participations sont par définition aisément négociables, sont quant à elles exclues du champ d'application.

Par ailleurs, le juge compétent pourrait également être appelé à appliquer les nouvelles normes dans une succession régie par le droit suisse et comprenant des entreprises étrangères ou des participations dans des entreprises
étrangères. Dans un tel cas, pour déterminer si une activité économique exercée à l'étranger ou par une entité de droit étranger tombe sous la notion d'entreprise telle que définie à l'art. 616 P-CC, avec pour effet l'application des nouvelles normes, les critères d'interprétation du Code civil notamment exposés dans le présent message sont déterminants. Vu le faible degré d'organisation requis par le droit suisse pour être qualifié d'entreprise individuelle, peu d'activités économiques étrangères ne devraient pas pouvoir être qualifiées d'entreprise en raison d'organisation insuffisante.

Al. 2: Sont exclues du champ d'application des règles sur la transmission d'entreprises les entreprises dont l'unique activité est la gestion de leur propre patrimoine. Parmi celles-ci sont notamment à compter en règle générale les single family offices, qui ont pour but la gestion de la fortune privée d'une famille, les sociétés dont le but unique est la gestion collective de capitaux au sens de la loi du 23 juin 2006 sur les placements

74

OFK/HRegV-Vogel, art. 2 N 3.

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collectifs de capitaux75, les sociétés immobilières avec pour seule activité la prise de participations dans des biens immobiliers, et les holdings passives détenant uniquement des titres financiers. Ces entités ne nécessitent en règle générale pas de protection particulière dans le cadre du droit successoral. Une société anonyme détenant et gérant uniquement une maison de vacances, plusieurs biens immobiliers, des oeuvres d'art ou des produits financiers courants serait par exemple également exclue. Il en va de même de la gestion de son propre patrimoine par une personne physique.

Al. 3: Afin de simplifier le texte de loi des nouveaux articles, les termes de parts sociales et de droits de sociétariat sont regroupés sous la notion de participations dans une entreprise. Les termes de parts sociales et de droits de sociétariat dans une entreprise sont repris de la loi du 3 octobre 2003 sur la fusion76, ce qui permet de se rattacher à une terminologie connue. La notion de part sociale qualifie le sociétariat qui est incorporé dans une part sociale, soit les actions, les bons de participation, les bons de jouissance et les parts sociales de la société à responsabilité limitée; la notion de droits de sociétariat qualifie les droits et obligations des associés qui ne sont pas incorporés dans une part sociale77.

Il est précisé que des participations sont minoritaires si elles ne donnent pas le contrôle d'une entreprise, afin de clarifier le terme de participations minoritaires utilisé aux art. 522a, 618 et 621 P-CC. La notion de contrôle d'une entreprise doit être comprise dans le sens du contrôle employé à l'art. 963 CO. Il y a contrôle d'une entreprise si une personne ou une société dispose directement ou indirectement de la majorité des voix au sein de l'organe suprême, dispose directement ou indirectement du droit de désigner ou de révoquer la majorité des membres de l'organe supérieur de direction ou d'administration, ou exerce une influence dominante en vertu des statuts, d'un contrat ou d'instruments analogues (art. 963, al. 2, CO).

Art. 617

2. Attribution

Titre marginal: L'art. 617 P-CC crée un nouveau droit d'attribution en faveur des héritiers.

Al. 1, ch. 1: Chaque héritier a la possibilité de demander l'attribution d'une entreprise qui se trouve dans la succession, dans son intégralité, lorsque le défunt n'en a pas disposé. Ce droit à l'attribution est indépendant de l'aptitude de l'héritier à la gestion de l'entreprise concernée.

Le droit à l'attribution existe également en présence de participations octroyant le contrôle d'une entreprise. Dans un tel cas, chaque héritier a la possibilité de demander l'attribution de l'ensemble des participations. Le but est que le contrôle effectif sur l'entreprise puisse être transmis à un seul héritier, afin qu'il puisse l'exercer seul, comme le faisait le de cujus, et éviter ainsi des problèmes de gouvernance et de morcellement d'entreprises.

75 76 77

RS 951.31 RS 221.301 Message du 13 juin 2000 concernant la loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine (Loi sur la fusion; LFus), FF 2000 3995, 4055.

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Si le défunt a fixé lui-même une règle de partage dans une disposition pour cause de mort déterminant quel héritier doit ou quels héritiers doivent recevoir l'entreprise ou les participations dans une entreprise, les autres héritiers n'ont pas de droit à en demander l'attribution. Cela vaut également si les participations leur octroieraient le contrôle de l'entreprise ou s'ils semblent aptes à la diriger, voire plus aptes que l'héritier déterminé par le de cujus. Dans un tel cas, le respect des dernières volontés du de cujus est prépondérant et exclut le droit d'attribution des héritiers (art. 608, al. 2, CC). Il en va de même si le de cujus a désigné comme légataire de l'entreprise l'un de ses héritiers en sus de sa part légale (legs préciputaire, art. 486, al. 3, CC). En présence d'un accord unanime des héritiers, y compris de l'héritier désigné par le de cujus, il reste néanmoins toujours possible de partager la succession de manière différente78, et par exemple d'attribuer l'entreprise à un autre héritier, de la partager ou de la vendre.

En cas de répudiation de la succession et du legs par l'héritier ayant reçu l'entreprise par règle de partage (art. 566 CC) ou par legs préciputaire (art. 577 CC), les autres héritiers peuvent demander l'attribution de ladite entreprise. Si toutefois seule la succession est répudiée et que le legs est accepté, l'alinéa 1 s'applique.

Al. 1, ch. 2: Ce chiffre règle le cas où la succession comprend des participations dans une entreprise qui ne donnent pas à elles seules le contrôle de l'entreprise. Dans un tel cas, un héritier a uniquement un droit d'attribution si l'attribution des participations du défunt, ajoutées à celles dont il dispose déjà, permet de lui octroyer le contrôle de l'entreprise, ou s'il dispose déjà du contrôle de l'entreprise.

Dans cette constellation, il est justifié que cet héritier ait un tel droit préférentiel, car il obtiendra ainsi à lui seul le contrôle de l'entreprise, lui permettant de la diriger dans les meilleures conditions. On peut en outre supposer que cela corresponde aussi à l'intérêt du de cujus. Finalement, un héritier qui dispose déjà lui-même de participations dans une entreprise sera en règle générale déjà actif au sein de celle-ci, disposera de connaissances et de compétences qui lui permettront de la diriger ou du
moins qui l'aideront à le faire, et aura un intérêt personnel direct à sa reprise et à son maintien.

Le but primordial poursuivi est encore une fois de maintenir l'entreprise en activité et de sauvegarder les postes de travail (voir ch. 1.2), et non de favoriser un héritier en particulier, ce dernier point en étant une conséquence indirecte.

Si aucun héritier n'obtenait le contrôle de l'entreprise par l'attribution des participations présentes dans la succession ou n'en dispose déjà, l'art. 617, al. 1, ch. 2, P-CC ne s'applique pas. Il n'est pas prévu d'octroyer un droit d'attribution à l'héritier qui disposerait déjà du plus grand nombre de participations par rapport aux autres héritiers.

Al. 2: Si plusieurs héritiers sont en concurrence pour reprendre une entreprise ou des participations octroyant le contrôle d'une entreprise dans le cadre du partage, et à défaut d'accord entre eux, chacun d'eux aura la possibilité de déposer une demande d'attribution auprès du juge compétent.

Dans un tel cas, le critère déterminant pour définir lequel des héritiers obtiendra l'entreprise dans son entier ou les participations dans le cadre du partage est en principe 78

Steinauer, N 1251.

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celui de l'aptitude à la conduite de l'entreprise en question. Le critère de l'aptitude à la conduite de l'entreprise comprend notamment l'expérience professionnelle et l'expérience de direction dans l'entreprise en question, l'expérience dans le domaine concerné, l'expérience de gestion et de conduite d'entreprises et la formation professionnelle. Ce critère est choisi afin de favoriser l'héritier jugé le plus à même de faire prospérer l'entreprise, dans le but de maintenir et développer le savoir-faire dont elle dispose et les emplois qu'elle génère.

Lorsque la succession comprend uniquement des participations qui n'octroient pas à elles seules le contrôle de l'entreprise, l'al. 1, ch. 2, prévoit qu'elles doivent être attribuées à l'héritier qui détient déjà le contrôle de l'entreprise ou auquel elles octroieraient le contrôle. Lorsqu'il existe plusieurs héritiers auxquels l'octroi des participations présentes dans la succession donnerait le contrôle de l'entreprise, c'est le critère de l'aptitude à la conduite de l'entreprise en question (al. 2) qui est déterminant. En l'absence d'héritiers auxquels l'attribution des participations octroierait le contrôle de l'entreprise, aucun d'entre eux ne bénéficie d'un droit à l'attribution.

Al. 3: Cette règle vise à permettre également une reprise conjointe d'une entreprise ou de participations par deux héritiers ou plus. Plusieurs héritiers pourront ainsi demander en commun l'attribution d'une entreprise ou de l'ensemble des participations octroyant le contrôle d'une entreprise (al. 1, ch. 1). Ils pourront également demander l'attribution de participations si celles-ci leur octroieraient en commun le contrôle de l'entreprise (al. 1, ch. 2), et, s'ils sont en concurrence avec un ou d'autres héritiers pour l'obtention d'une entreprise ou de participations, se les voir attribuer s'ils paraissent, ensemble, les plus aptes à la conduite de l'entreprise (al. 2).

Art. 618

3. Participations minoritaires

Ce nouvel article vise à éviter, lorsque la succession comprend une entreprise ou des participations octroyant le contrôle d'une entreprise, que des participations minoritaires, en règle générale difficilement négociables, ne soient attribuées dans le cadre du partage à un héritier réservataire contre sa volonté en imputation sur sa réserve (voir commentaire de l'art. 522a P-CC concernant la problématique des biens aisément négociables).

Dans un tel cas, si un héritier réservataire n'a pas déjà reçu du vivant du de cujus (libéralité entre vifs) le montant de sa réserve ou ne la reçoit pas d'une autre manière, par exemple par legs ou au moyen de biens de la succession, il peut éviter que des participations minoritaires lui soient attribuées (lors du tirage au sort des lots selon l'art. 611 CC en particulier)79 et exiger du juge, y compris hors action en partage, qu'il ordonne la vente de l'entreprise ou des participations présentes dans la succession (en procédure sommaire selon l'art. 249, let. c, ch. 4 P-CPC); la demande vaut pour tous, héritiers comme légataires. Cette règle a pour but de permettre au réservataire d'obtenir le montant de sa réserve en liquide ou sous forme de «biens aisément négociables».

79

Selon l'art. 611 CC, faute d'accord entre les héritiers dans le cadre du partage successoral, chacun d'eux peut demander que l'autorité compétente forme des lots, qui seront tirés au sort si les héritiers ne s'entendent pas sur leur attribution (ou sur une autre façon de procéder). Le tribunal chargé de procéder au partage n'est pas autorisé à attribuer les lots selon sa propre appréciation (ATF 143 III 425).

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Si d'autres héritiers demandent seuls ou conjointement l'attribution au sens de l'art. 617 P-CC de l'entreprise ou des participations, l'entreprise ne doit pas être vendue, car les droits du réservataire seront alors soit honorés, soit garantis par l'art. 619 P-CC.

Si les participations attribuées en imputation sur la réserve octroient le contrôle de l'entreprise, l'héritier réservataire concerné doit l'accepter et il ne peut en exiger la vente par le juge. Il pourra par contre les vendre lui-même par la suite s'il le souhaite.

Une fois l'entreprise ou les participations vendues suite à la demande d'un héritier réservataire, le résultat de la vente est ajouté aux biens existants pour le calcul des réserves et le partage.

Le champ d'application de cette règle est limité aux cas où le contrôle de l'entreprise appartient au de cujus au jour de son décès. Ainsi, si le de cujus détenait de son vivant uniquement des participations minoritaires, celles-ci seront en principe transmises sous cette forme; les héritiers ne peuvent en effet être placés dans une situation juridique plus favorable que celle dans laquelle se trouvait lui-même le de cujus. De même, les participations minoritaires attribuées par legs ou règle de partage suivront les règles posées par l'art. 522a, al. 3, P-CC si le de cujus a, de son vivant, cédé le contrôle de l'entreprise et qu'un héritier détient ce contrôle au jour du décès (voir commentaire ad art. 522a, al. 3, P-CC). En revanche, lorsque les participations octroyant le contrôle de l'entreprise sont présentes dans la succession, le sort des participations minoritaires attribuées par legs ou règle de partage relève de l'art. 618 P-CC appliqué par analogie par un renvoi de l'art. 522a, al. 4, P-CC (voir commentaire ad art. 522a, al. 4, P-CC). Le cas échéant, en cas de vente de l'entreprise, le droit du légataire à la délivrance des participations minoritaires que le de cujus lui a attribuées est remplacé par une créance pécuniaire.

Art. 619

4. Sursis au paiement

Titre marginal: Ce nouvel article crée la possibilité, pour l'héritier ayant reçu, par libéralité du de cujus ou dans le partage, notamment par attribution du juge (art. 617 P-CC), une entreprise ou des participations qui lui octroient le contrôle d'une entreprise, d'obtenir des délais de paiement pour le règlement de ses dettes envers ses cohéritiers résultant du partage de la succession. Il s'agit donc d'une nouveauté en droit successoral, déjà existante en droit matrimonial à l'art. 218 CC.

Al. 1: L'héritier qui, du vivant du de cujus ou lors du partage de sa succession, a reçu une entreprise ou des participations lui octroyant le contrôle d'une entreprise (à elles seules ou ajoutées à celles dont il disposait déjà) et qui est exposé à de graves difficultés par le règlement des créances qu'ont les autres héritiers à son encontre dans le cadre du partage de la succession, a le droit de demander et d'obtenir des délais de paiement, au besoin en justice. Ces délais de paiement peuvent être demandés à l'égard des prétentions des héritiers réservataires comme des héritiers non réservataires.

Un sursis peut notamment être obtenu par l'héritier concerné pour le paiement d'une soulte résultant de l'attribution de participations selon l'art. 617, al. 1, P-CC, ou d'une contreprestation en cas de reprise de participations minoritaires au sens de l'art. 522a, al. 3 et 4, P-CC. Il bénéficie également au légataire qui accepterait de reprendre 29 / 44

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l'ensemble des participations restant dans la succession (art. 522a, al. 1, ch. 2, et al. 4, P-CC). Le sursis au paiement s'applique enfin aussi à la situation du légataire dont les avantages reçus sous la forme de participations dans une entreprise lèsent en valeur la réserve des héritiers réservataires (art. 522ss CC); l'on se situe en effet ici dans le prolongement des buts de protection de la réserve des héritiers réservataires et de favorisation de la concentration de l'ensemble des participations tels que concrétisés par l'art. 522a P-CC.

La notion de graves difficultés est déjà connue en droit civil (art. 218 CC notamment).

Il s'agit de difficultés d'ordre économique80. Dans le contexte spécifique de la transmission d'entreprises, peut notamment être évoquée la nécessité de vendre ses participations ou certaines participations de l'entreprise, ou des biens indispensables à l'exploitation de l'entreprise ou à l'exercice d'une profession. Comme c'est le cas dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial, une pesée des intérêts en présence doit être effectuée et montrer qu'un paiement immédiat présenterait pour l'héritier débiteur des inconvénients graves qu'il ne peut raisonnablement éviter, par exemple en empruntant l'argent nécessaire à un tiers81.

Ces délais de paiement ont pour but de laisser à l'héritier repreneur le temps de lui permettre de réunir les fonds nécessaires au paiement des créances des autres héritiers, par exemple par les gains tirés de l'exploitation de l'entreprise. Un ou plusieurs délais peuvent être accordés, pour une durée maximale de dix ans au total. En règle générale, la durée octroyée ne devrait pas atteindre ce maximum. La durée de cinq ans telle que prévue dans l'avant-projet devrait suffire dans la plupart des cas et permettre de limiter l'atteinte faite aux droits des cohéritiers. Si le but poursuivi par la présente révision justifie une atteinte au principe d'égalité entre les héritiers et au droit des héritiers réservataires à toucher leur réserve, il convient en effet de limiter l'atteinte au minimum nécessaire82. Afin de tenir compte de cas particuliers dans lesquels une durée plus longue serait nécessaire, la durée du sursis peut toutefois être portée à dix ans.

Plus la durée du sursis sera longue, plus il devra être tenu compte des intérêts
des autres héritiers au moyen des modalités (al. 2), voire du taux d'intérêt à fixer (al. 3).

Al. 2: Le juge, dans le cadre de sa décision d'octroi d'un sursis au paiement et des modalités du sursis, devra tenir compte de manière appropriée des intérêts des autres héritiers. Dans ce cadre, il bénéficiera d'un large pouvoir d'appréciation. Il pourra, outre la fourniture de sûretés et le versement d'intérêts (al. 3), par exemple fixer un plan de remboursement obligatoire et l'atteinte d'objectifs entrepreneuriaux ou toute autre condition ou modalité adaptée à la situation. Le but poursuivi est d'offrir dans la mesure du possible et du raisonnable une garantie aux autres héritiers que les créances concernées par le délai seront honorées dans le futur, en particulier si le sursis accordé touche à leur réserve, et de limiter au maximum les atteintes à leurs droits. À titre de modalité du sursis, il est par exemple envisageable d'interdire à l'héritier bénéficiaire du sursis d'aliéner des participations dans l'entreprise sans l'accord des autres héritiers ou sans avoir au préalable honoré ses dettes envers eux résultant du partage. Il pourrait aussi être prévu qu'en cas de non-respect des conditions posées, le 80 81 82

BSK-Hausheer/Aebi-Müller, art. 218 N 10.

Deschenaux/Steinauer/Baddeley, N 1382.

Kipfer-Berger, N 377.

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sursis tombe et les créances des héritiers soient immédiatement exigibles, afin de leur permettre de faire valoir leurs droits.

Al. 3: Un intérêt devra être versé aux héritiers dont le paiement de la créance est suspendu. L'intérêt doit être équitable, et donc tenir compte aussi bien des intérêts de l'héritier débiteur que de ceux des héritiers créanciers. La notion d'intérêt équitable est déjà connue en droit privé (art. 4 de l'ordonnance du 1er octobre 1984 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger83). En cas de litige, le juge fixe l'intérêt équitable.

En outre, les créances des autres héritiers dont le paiement est différé font en principe l'objet de sûretés, comme c'est aussi le cas pour des créances de droit de la famille (voir par ex. art. 132, 324 CC), car, à défaut de sûretés, le risque entrepreneurial serait intégralement réparti sur l'ensemble des héritiers, sans qu'ils n'aient aucune influence sur les résultats de l'entreprise, ce qui ne saurait être envisagé qu'avec la plus grande retenue. Si les parties ne s'entendent pas, le juge tranchera. Les sûretés pourront prendre toute forme qu'il estimera appropriée dans le cas d'espèce. Il ne pourra être renoncé aux sûretés que si les circonstances ne permettent pas à l'héritier repreneur d'en fournir.

Art. 620

E. Valeur d'imputation des biens. I. Principe

Cette disposition règle nouvellement de manière générale la valeur d'imputation des biens dans le partage de la succession et reprend l'art. 617 CC actuel. Le titre marginal est modifié en raison de l'élargissement du champ d'application de la règle des seuls immeubles à l'ensemble des biens de la succession.

Selon le texte en vigueur, seuls les «immeubles» doivent être imputés sur les parts héréditaires à leur valeur vénale au moment du partage. Cette règle s'applique pourtant en pratique à tous les éléments composant la masse successorale, soit pour tous les biens et les droits84. Le terme «immeubles» est ainsi remplacé par celui de «biens», pour que tous les biens existants soient imputés à leur valeur vénale au moment du partage, à moins d'un accord entre les héritiers, d'une règle de partage spéciale prévue par le de cujus, ou d'une disposition particulière du droit foncier rural85 (voir les explications relatives à l'art. 623 P-CC). Cette modification était déjà prévue dans l'avant-projet de révision du droit des successions du 4 mars 2016 et avait reçu un accueil favorable dans le cadre de la consultation86.

83 84 85 86

RS 211.412.411 PraxKomm Erbrecht-Weibel, N 10 ad art. 617 et références citées.

Guinand/Stettler/Leuba, N 559 et références citées.

Synthèse du 10 mai 2017 des résultats de la procédure de consultation (Droit des successions), p. 64, disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultations terminées > 2016 > DFJP > Procédure de consultation 2014/33.

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Art. 621

II. Entreprises et participations dans une entreprise

Titre marginal: Ce nouvel article règle les modalités de fixation de la valeur d'attribution d'entreprises et de participations dans une entreprise dans le partage successoral, comme le fait l'art. 618 CC respectivement l'art. 622 P-CC en matière d'immeubles.

Al. 1: En cas de désaccord entre les héritiers sur le prix d'attribution à prendre en considération dans le partage, chaque héritier a la possibilité de demander au juge (voir art. 249, let. c, ch. 5, P-CPC) qu'un expert soit nommé pour fixer ce prix. Il s'agit d'un expert judiciaire, et non d'un expert officiel comme c'est le cas pour les immeubles (art. 622 P-CC). L'expert mandaté doit évaluer l'entreprise ou les participations dans une entreprise selon des principes reconnus en matière d'évaluation d'entreprise. Son évaluation doit notamment distinguer les éléments patrimoniaux nécessaires de ceux non nécessaires à l'exploitation de l'entreprise et fixer leur valeur (voir art. 630a P-CC). Elle doit notamment prendre en considération les charges latentes87.

Al. 2: Dans les cas où un héritier demande l'attribution de participations minoritaires dans une entreprise (notamment en application de l'art. 617, al. 1, ch. 2, P-CC), il ne doit pas être tenu compte dans leur évaluation de l'éventuelle moins-value résultant de leur caractère minoritaire. Pour l'héritier repreneur, elles sont en effet ajoutées à ses propres participations et soit lui octroient le contrôle, soit s'ajoutent à des participations qui lui octroyaient déjà le contrôle. Elles ne sont donc pas à considérer comme minoritaires pour lui et leur valeur doit être calculée de manière proportionnelle à la valeur de l'entreprise dans son ensemble, afin de ne pas prétériter les autres héritiers.

Cet alinéa s'applique également par analogie à la reprise par le légataire ou l'héritier de participations minoritaires dans la succession sur demande d'un héritier réservataire (art. 522a, al. 1, ch. 2, et al. 3 et 4, P-CC).

Art. 622

III. Immeubles

Titre marginal: Cet article reprend la règle de l'art. 618 CC actuel, selon lequel lorsque des héritiers ne peuvent se mettre d'accord sur le prix d'attribution d'un immeuble, son prix est fixé par des experts officiels. Il est déplacé en raison de la nouvelle systématique des art. 616 à 623 P-CC. Le titre marginal est modifié en conséquence.

Par rapport au texte de l'art. 618 CC actuel, les termes «valeur d'imputation» et «valore d'imputazione» remplacent ceux de «prix d'attribution» et «valore d'attribuzione» en français et italien, sans influence sur le fond, pour correspondre au texte de loi en allemand et au titre marginal de l'art. 620 P-CC (art. 617 CC) sur le plan rédactionnel. En allemand, «sich verständigen» est remplacé par «sich einigen», plus précis, et déjà utilisé aux art. 612, al. 2, et 613, al. 3, CC.

La fixation de la valeur d'imputation par des experts officiels n'a vocation à s'appliquer qu'aux immeubles, comme c'est le cas actuellement. Contrairement à ce que

87

ATF 125 III 50

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prévoyait l'avant-projet, l'autorité compétente, judiciaire ou administrative, actuellement en charge de l'estimation officielle des immeubles, autorité déterminée par le droit cantonal et désignée ad hoc ou de manière permanente suivant les cantons88, est donc maintenue. Il a été avancé à raison dans la consultation que la solution actuelle permet, en cas de désaccord entre les héritiers, d'éviter une longue et coûteuse procédure judiciaire et de garantir que l'autorité cantonale compétente nomme un expert dans une procédure simple afin d'estimer la valeur d'imputation d'un bien89. Les cantons dans lesquels ce système ne donne pas satisfaction ont la possibilité d'adapter sa mise en oeuvre.

Art. 623

F. Entreprises et immeubles agricoles

Cet article reprend le texte, le contenu et le titre marginal de l'art. 619 CC. Le déplacement de cette règle est la conséquence de la nouvelle systématique des art. 616 à 623 P-CC. La reprise et l'imputation d'entreprises et d'immeubles agricoles dans le cadre successoral sont réglées sans modification dans la LDFR.

Art. 628, al. 1bis

(Exclusion du rapport en nature pour les entreprises)

L'art. 628, al. 1, CC actuel prévoit que l'héritier soumis au rapport, soit celui tenu de rapporter dans la succession certaines libéralités qui lui ont été faites par le de cujus du vivant de celui-ci (avancement d'hoirie)90, a le choix entre deux manières de rapporter: soit en nature, soit par imputation de la valeur sur sa part successorale91.

L'art. 628, al. 2, CC prévoit une réserve en faveur des autres dispositions du défunt et des droits dérivant de l'action en réduction.

À ces deux réserves en est ajoutée une supplémentaire à l'al. 1bis nouveau: à défaut d'accord entre les héritiers, accord devant intervenir après l'ouverture de la succession vu la nullité (en l'absence d'accord du de cujus) des contrats entre héritiers au sujet d'une succession non ouverte passés auparavant (art. 636 CC), l'héritier ayant bénéficié d'une libéralité portant sur une entreprise au sens de l'art. 616 P-CC ou sur des participations dans une telle entreprise ne peut les rapporter en nature. Cette disposition vise donc à protéger les autres héritiers d'un rapport en nature contre leur gré. Il est en effet justifié de limiter la possibilité, pour le repreneur d'une entreprise ou de participations dans une entreprise, qui a accepté de se les voir céder du vivant du de cujus et d'en supporter ainsi le risque, notamment entrepreneurial, de pouvoir les rapporter dans la succession pour remplir son obligation de rapport.

Cette protection des droits des autres héritiers cède toutefois le pas à la nécessaire protection de la réserve des héritiers réservataires au sens de l'art. 522a, al. 3, P-CC.

Ainsi, lorsque la succession comprend des participations minoritaires et que le de cujus, après avoir détenu le contrôle de l'entreprise, a cédé entre vifs des participations à un héritier, ce dernier, s'il détient le contrôle au jour de l'ouverture de la succession, 88 89

90 91

CS-Couchepin/Maire, art. 618 N 6 à 8.

Synthèse du 26 février 2020 des résultats de la procédure de consultation, p. 35, disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultations terminées > 2019 > DFJP > Procédure de consultation 2019/22.

Guinand/Stettler/Leuba, N 200.

CS-Eigenmann, art. 628 N 1.

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pourra, en cas de demande d'un héritier réservataire, et ce même s'il est soumis au rapport, restituer en nature les participations reçues dont il est encore titulaire à ce moment. La règle de l'art. 522a, al. 3, P-CC, qui l'emporte sur celle de l'art. 618 PCC, autorise ce faisant une restitution qui équivaut à un rapport en nature, dans le but de favoriser la réunion des participations majoritaires et minoritaires en une seule main et ainsi de mieux protéger les droits des héritiers réservataires.

Art. 630

III. Mode de calcul. 1. En général

Titre marginal: L'art. 630 CC traite du mode de calcul de la valeur des libéralités à rapporter dans la succession. Le contenu de cet article est inchangé, seul le titre marginal est complété d'un chiffre 1 intitulé «En général», afin de marquer le fait qu'il fixe la règle générale, alors que le nouvel art. 630a P-CC traitera spécifiquement du calcul de la valeur à rapporter en matière d'entreprises.

Art. 630a

2. Entreprises

Titre marginal: Ce nouvel article fixe le mode de calcul des libéralités portant sur une entreprise au sens de l'art. 616 P-CC ou des participations dans une telle entreprise lorsque ces libéralités doivent être rapportées dans la succession. Il reprend et condense en un seul article les art. 633a (qui traitait du rapport portant sur une entreprise dans son entier) et 633b (qui traitait du rapport portant sur des participations dans une entreprise) de l'avant-projet.

Al. 1: Contrairement à la règle de l'art. 630, al. 1, CC, qui prévoit que le rapport par imputation a lieu d'après la valeur des libéralités au jour de l'ouverture de la succession, et à la règle de l'art. 617 CC, reprise à l'art. 620 P-CC, qui prévoit que la valeur au jour du partage de la succession est déterminante pour le rapport en nature92, ce nouvel article instaure une règle différente en matière de rapports relatifs aux entreprises.

En présence d'une obligation de rapport d'une entreprise ou de participations dans une entreprise, il sera tout d'abord effectué une distinction entre les éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise et les éléments patrimoniaux non nécessaires à son exploitation. Les premiers seront imputés selon le nouvel art. 630a, al. 1, P-CC, soit à leur valeur au moment de la libéralité (ch. 1), c'est à dire à la valeur au moment où l'héritier repreneur en est devenu propriétaire, soit au moment où celuici a pris le contrôle de l'entreprise (ch. 2). Les seconds, par exemple un tableau de valeur ou un terrain à bâtir inutilisé propriété d'une société, seront par contre imputés à leur valeur au jour de l'ouverture de la succession, conformément à la règle de l'art. 630 CC. Le moment déterminant pour fixer la valeur prise en compte dans le partage sera ainsi différent suivant que les éléments patrimoniaux sont ou non nécessaires à l'exploitation de l'entreprise. Une éventuelle plus-value des éléments non nécessaires à l'exploitation bénéficie ainsi également aux autres héritiers. Il ne se justifie pas en effet d'estimer un tel bien de manière différente si le de cujus le détenait directement ou par l'intermédiaire d'une entreprise. Cette distinction permet de tenir compte du risque entrepreneurial assumé par le repreneur. En sa qualité de chef 92

Leuba, p. 27 et note de bas de page no 82.

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d'entreprise, en mesure de prendre seul les décisions adaptées à la bonne marche des affaires, il paraît justifié de lui en attribuer les gains comme les pertes. En effet, l'évolution de la valeur de ces éléments résultera en règle générale de ses propres décisions.

Il devra également assumer, comme tout chef d'entreprise, les risques résultant de la conjoncture ou d'autres facteurs.

Concernant le choix de la méthode d'estimation de la valeur des entreprises, il est laissé à la pratique, mieux à même d'apporter des solutions équilibrées et adaptées aux cas individuels. Il est toutefois précisé que, comme c'est souvent le cas dans l'agriculture (qui n'est pas concernée par la présente révision), la valeur de continuation peut être inférieure à la valeur de liquidation, en particulier pour les entreprises à faible rentabilité; il pourrait éventuellement en être plus tenu compte dans l'estimation d'entreprises qu'actuellement93 dans le but de maintenir en activité des entreprises peu ou pas rentables, ce qui serait cependant au détriment des droits des héritiers réservataires.

Ch. 1: Les éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise seront imputés à leur valeur à la date de la libéralité en cas de rapport dans la succession dans les cas où l'héritier dispose du contrôle (voir commentaire ad art. 616, al. 3, P-CC) de l'entreprise (et qu'il lui appartient donc d'en supporter les risques et les profits dès ce moment). Cela est le cas si la libéralité porte sur: 1)

une entreprise dans son entier;

2)

des participations qui octroient à elles seules (par exemple lorsqu'elles représentent plus de 50 % des participations ou qu'elles permettent d'exercer une influence dominante en vertu des statuts) ou confèrent à l'héritier, ajoutées à celles dont il disposait déjà, le contrôle de l'entreprise;

3)

des participations dans une entreprise dont l'héritier avait déjà le contrôle au moment de la libéralité.

Ch. 2: Les éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise seront par contre imputés à leur valeur à la date de la prise de contrôle de l'entreprise par l'héritier pour toutes les libéralités portant sur des participations dans une entreprise intervenues avant la prise de contrôle par l'héritier.

L'augmentation ou la perte de valeur de ces participations entre le moment de la libéralité et celui de la prise de contrôle de l'entreprise par le bénéficiaire ne résulte pas de sa gestion propre de l'entreprise, mais de celle du de cujus ou de celui qui avait le contrôle de l'entreprise. Elles doivent ainsi bénéficier ou être supportées par tous les héritiers.

Quant à la valeur de participations dans une entreprise qu'un héritier aurait acquises à titre onéreux, elle ne doit pas être imputée sur sa part.

Exemple 1: X, héritier de A, rachète le 1er janvier 2021 au prix du marché 10 % des actions de l'entreprise A SA, qui comprend uniquement des éléments patrimoniaux 93

Le Tribunal fédéral semble actuellement considérer la valeur de liquidation comme la valeur limite inférieure pour la fixation de la valeur réelle de l'entreprise à prendre en considération (ATF 136 III 209). Cela protège les cohéritiers d'une sous-évaluation de leurs droits successoraux.

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nécessaires à son exploitation, pour une valeur de 100 000 francs. Le 1er janvier 2025, A donne à X 30 % des actions de A SA à titre d'avancement d'hoirie. Cela représente une valeur de 330 000 francs à cette date. L'entreprise a alors une valeur totale de 1 100 000 francs. Le 1er janvier 2028, A lui en donne 15 % supplémentaires, dont la valeur à cette date est de 195 000 francs, toujours à titre d'avancement d'hoirie. X acquiert à ce moment le contrôle de l'entreprise avec 55 % des actions. L'entreprise a alors une valeur totale de 1 300 000 francs. Il reçoit ensuite encore le solde de 45 % des actions de A SA, d'une valeur de 700 000 francs à titre d'avancement d'hoirie de A, le 1er janvier 2031 (l'entreprise a à ce moment une valeur de 1 555 555 francs). Au décès de A, le 1er juillet 2035, l'entreprise vaut 2 000 000 francs, sans qu'il ait été procédé à une augmentation du capital-actions. X doit rapporter en valeur dans la succession les libéralités entre vifs reçues à titre d'avancement d'hoirie (art. 626 CC). Il doit donc rapporter la valeur de 90 % (30 % + 15 % + 45 %) de l'entreprise. En application de l'art. 630a, al. 1, ch. 2, P-CC, l'ensemble des participations qu'il a acquises par libéralité avant la prise de contrôle est imputable à la valeur au moment de la prise de contrôle de l'entreprise, le 1er janvier 2028. À ce moment, il dispose de 55 % des participations (10 % achetées le 1er janvier 2021, 30 % reçues le 1er janvier 2025 et 15 % reçues le 1er janvier 2028), dont 45 % reçues à titre d'avancement d'hoirie. Ces participations ont une valeur totale de 585 000 francs (45 % x 1 300 000).

Elles lui seront donc imputées à raison de 585 000 francs. Le solde des actions reçues à titre d'avancement d'hoirie après avoir pris le contrôle lui est imputé à la valeur au moment de la libéralité, le 1er janvier 2031, soit à hauteur de 700 000 francs, en application de l'art. 630a, al. 1, ch. 1, P-CC. Au total, X se verra ainsi imputer la valeur de 1 285 000 francs sur sa part héréditaire.

Si les valeurs au moment de la prise de contrôle et au moment de la libéralité ne pouvaient être établies, le rapport aurait lieu à la valeur au jour de l'ouverture de la succession (al. 3). L'héritier se verrait ainsi imputer 1 800 000 francs (2 000 000 ­ 10 % achetés), soit une différence de 515 000 francs
(1 800 000 ­ 1285 000) en sa défaveur alors qu'il a contribué par sa bonne gestion à réaliser cette plus-value.

Exemple 2: Même donnée, mais A SA est propriétaire d'une parcelle de terrain à bâtir non nécessaire à son exploitation représentant 10 % de la valeur de l'entreprise et dont la valeur a par hypothèse augmenté avec le temps dans la même proportion que celle de l'entreprise. La valeur de la parcelle est ainsi passée de 100 000 francs au 1er janvier 2021 à 200 000 francs au 1er juillet 2035, jour du décès du de cujus. X doit rapporter en valeur dans la succession les libéralités entre vifs reçues à titre d'avancement d'hoirie (art. 626 CC).

Le rapport des libéralités portant sur la parcelle aura lieu d'après leur valeur au jour de l'ouverture de la succession (art. 630, al. 1, CC). À ce titre, X devra donc rapporter 180 000 francs dans la succession, soit 200 000 francs moins 20 000 francs (part de 10 % que X a acheté et non reçue).

Pour le solde, soit les éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise, le calcul s'effectuera de la même manière que dans l'exemple 1, en déduisant du calcul la valeur de la parcelle. X doit donc rapporter la valeur de 90 % (30 % + 15 % + 45 %) de l'entreprise après déduction de la valeur de la parcelle. En application de l'art. 630a, al. 1, ch. 2, P-CC, l'ensemble des participations qu'il a acquises par libéralité avant la prise de contrôle est imputable à la valeur au moment de la prise 36 / 44

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de contrôle de l'entreprise, le 1er janvier 2028. À ce moment, il dispose de 55 % des participations (10 % achetées le 1er janvier 2021, 30 % reçues le 1er janvier 2025 et 15 % reçues le 1er janvier 2028), dont 45 % reçues à titre d'avancement d'hoirie. Ces participations reçues ont une valeur totale de 585 000 francs (45 % x 1 300 000).

Après déduction de la valeur de la parcelle à ce moment (la parcelle est imputée séparément car non essentielle à l'exploitation; 10 % ont été achetés), soit 130 000 francs (10 % x 1 300 000), elles lui seront donc imputées à hauteur de 526 500 francs (45 % x (1 300 000 ­ 130 000)). Le solde des actions reçues à titre d'avancement d'hoirie après avoir pris le contrôle lui est imputé à leur valeur au moment de la libéralité, le 1er janvier 2031. Ces participations ont une valeur totale de 700 000 francs (45 % x 1 555 555). Après déduction de la valeur de la parcelle à ce moment, soit 155 555 francs (10 % x 1 555 555), elles lui seront donc imputées à hauteur de 630 000 francs (45 % x (1 555 555 ­ 155 555)), en application de l'art. 630a, al. 1, ch. 1, P-CC.

Au total, X se verra ainsi imputer la valeur de 1 336 500 francs (180 000 + 526 500 + 630 000) sur sa part héréditaire. Ce montant est supérieur à celui de l'exemple 1 (1 285 000 francs) ci-dessus, les cohéritiers profitant de l'augmentation de valeur de la parcelle.

Al. 2: Il sera possible de prendre en compte comme valeur d'imputation des éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise la valeur au moment de la libéralité (al. 1, ch. 1) ou de la prise de contrôle de l'entreprise par l'héritier (al. 1, ch. 2) uniquement si des conditions précises sont remplies:

94

­

Une évaluation de la valeur de l'entreprise à ce moment effectuée selon des principes reconnus devra avoir été réalisée. Cette évaluation devra distinguer les éléments nécessaires des éléments non nécessaires à l'exploitation et les documents justificatifs usuels devront être annexés. Ces documents doivent en effet permettre de fixer avec certitude la valeur de l'entreprise et des libéralités à rapporter au moment déterminant.

­

La preuve de la valeur de la libéralité devra être apportée par l'héritier qui se prévaut de cette règle. À défaut, la règle de l'art. 630 CC s'appliquera et les biens seront imputés à leur valeur au jour de l'ouverture de la succession, soit au jour du décès94 (al. 3). L'héritier repreneur aura ainsi intérêt à amener cette preuve en cas d'augmentation de valeur entre la libéralité et le décès, pour bénéficier seul de la plus-value, tandis que les autres héritiers auront intérêt à l'apporter en cas de perte de valeur, pour ne pas avoir à la supporter.

­

Le caractère irrévocable de la remise de l'évaluation est ainsi nécessaire pour protéger les autres héritiers en cas de perte de valeur de l'entreprise. En effet, pour éviter d'avoir à assumer seul la perte de valeur de l'entreprise, et donc dans le but de la partager avec les héritiers, l'héritier repreneur pourrait, si la remise n'était pas irrévocable, demander la restitution de l'évaluation et les empêcher ainsi de prouver la valeur de l'entreprise au moment de la libéralité ou de la prise de contrôle, et donc la perte réalisée.

CS-Eigenmann, art. 630 N 1.

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­

L'autorité de dépôt de l'évaluation de la valeur de l'entreprise et des justificatifs y relatifs est celle déjà désignée compétente par les cantons pour recevoir le dépôt des testaments (art. 504 et 505, al. 2, CC). Cela permet de se rattacher à une structure existante et qui donne satisfaction. Il s'agit de l'autorité compétente au moment de la libéralité, soit celle du domicile du disposant à ce moment. L'autorité aura pour tâche la conservation des documents et leur remise, au décès du disposant, aux héritiers réservataires. Dans le cas où le disposant aurait changé de domicile et l'autorité n'aurait pas eu connaissance de son décès, les héritiers réservataires pourront s'adresser d'eux-mêmes à cette autorité afin de les obtenir.

Ces documents devront avoir été remis, par le disposant ou le bénéficiaire de la libéralité, dans un délai d'un an à compter de la libéralité (al. 1, ch. 1) ou de la prise de contrôle (al. 1, ch. 2).

Le dépôt d'une évaluation de l'entreprise sera possible également si celle-ci a été achetée au de cujus à la valeur du marché; cela permettra au repreneur de prouver au moment du décès l'absence de toute libéralité.

Pour le repreneur, le fait de devoir procéder à une évaluation de la valeur de l'entreprise et de devoir déposer l'évaluation auprès d'une autorité afin de pouvoir bénéficier seul d'une future plus-value constitue une charge supplémentaire qui pourrait l'inciter à renoncer à reprendre l'entreprise vu que cela implique aussi le risque de devoir supporter d'éventuelles pertes de valeur futures. Cela fait toutefois partie du risque entrepreneurial. S'il ne dépose par les documents requis, une plus-value ou une perte future sera partagée avec les autres héritiers. Exiger la remise de l'évaluation et des pièces justificatives est indispensable pour sauvegarder les droits des autres héritiers, car l'héritier repreneur disposerait sinon seul des éléments de preuve, qu'il pourrait utiliser ou dissimuler à sa guise, suivant son intérêt personnel.

Al. 3: Il est précisé par mesure de clarté que si la valeur des éléments patrimoniaux nécessaires à l'exploitation de l'entreprise (al. 1) ne peut être établie, le rapport a lieu à la valeur au jour de l'ouverture de la succession, conformément à la règle générale de l'art. 630 CC. C'est d'ailleurs également cette valeur au jour de l'ouverture de la succession qui est déterminante pour les éléments patrimoniaux non nécessaires à l'exploitation de l'entreprise.

Art. 16a tit. fin.

III. Transmission d'entreprises

Cet article ne s'applique qu'aux libéralités portant sur une entreprise ou des participations dans une entreprise intervenant avant l'entrée en vigueur du nouveau droit et permettra qu'il soit tenu compte dans le futur partage de leur valeur d'imputation au moment de la libéralité ou de la prise de contrôle (art. 630a, al. 1, P-CC), à condition qu'une évaluation ait été réalisée à ce moment. Le repreneur devra pour cela remplir les conditions requises à l'art. 630a, al. 2, P-CC; il pourra cependant remettre l'évaluation effectuée au moment prévu par cette disposition dans le délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur du nouveau droit. Cela permet aux entrepreneurs qui auront repris une entreprise ou des participations avant l'entrée en vigueur de la révision de bénéficier de la révision pour ce qui concerne leur future valeur d'imputation.

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5.2

Code de procédure civile

Art. 249, let. c, ch. 4 et 5 Il est prévu que la procédure sommaire s'applique dans deux nouveaux cas de figure relevant de la transmission d'entreprises par succession, afin de permettre de régler d'éventuels litiges en la matière dans le cadre d'une procédure sommaire, en dehors d'une procédure en partage successoral. Ces deux nouveaux cas viennent compléter la liste des affaires relevant du code civil pour lesquels la procédure sommaire s'applique en droit des successions (art. 249, let. c, CPC).

Ch. 4: L'héritier réservataire qui n'a pas déjà reçu ou ne reçoit pas d'une autre manière le montant de sa réserve pourra refuser l'attribution de participations minoritaires en imputation sur sa réserve et exiger du juge dans le cadre d'une procédure sommaire qu'il ordonne la vente de l'entreprise ou des participations minoritaires si d'autres héritiers n'en demandent pas l'attribution (art. 618 P-CC).

Ch. 5: En cas de désaccord entre les héritiers sur le prix d'attribution d'une entreprise ou de participations dans une entreprise dans le cadre du partage, chaque héritier aura la possibilité de demander au juge en procédure sommaire qu'il désigne un expert pour fixer ce prix (art. 621 P-CC).

6

Conséquences

6.1

Conséquences pour la Confédération

La révision du droit de successions n'aura pas de conséquences sur les finances et l'état du personnel de la Confédération.

6.2

Conséquences pour les cantons et les communes

Les modifications envisagées n'auront que peu de conséquences directes pour les cantons et les communes.

En matière fiscale, les bénéfices escomptés pour l'économie (voir chapitre 6.3) pourraient avoir un léger effet positif pour les cantons et les communes du siège des entreprises faisant partie d'une succession, en matière d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu des employés de ces entreprises. Aucun effet n'est par contre attendu en matière d'impôt sur les successions et les donations. Les donations, y compris celles portant sur des entreprises, sont en effet en principe taxées au moment de la libéralité, et non de la succession. En outre, les donations et successions entre parents en ligne directe (ascendants et descendants) et entre époux sont exemptées de tous droits dans la grande majorité des cantons.

Dans l'ensemble, il peut être estimé que les répercussions financières de la présente révision pour les cantons et les communes seront plutôt positives, mais d'ampleur limitée.

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6.3

Conséquences pour l'économie

L'étude externe mandatée par l'Office fédéral de la justice à l'Université de St-Gall (Schweizerisches Institut für KMU und Unternehmertum, KMU-HSG)95 concernant les conséquences économiques de la révision (analyse d'impact de la règlementation) a porté sur les trois mesures principales visant à faciliter la transmission d'entreprises: la réduction de la réserve (déjà réalisée avec la révision du droit des successions du 18 décembre 2020), la possibilité de surseoir l'obligation de rapport, et l'évaluation de l'entreprise au moment de la libéralité. Ces mesures n'ont pu faire l'objet que d'une évaluation qualitative, seule une estimation grossière étant possible sur le plan quantitatif.

L'étude conclut que les mesures augmentent la marge de manoeuvre du disposant et du repreneur et qu'elles sont de nature à avoir des effets positifs sur la transmission d'entreprises au sein de la famille. Les normes proposées permettent de concentrer davantage la propriété de l'entreprise entre les mains d'un seul successeur, ce qui est sensé du point de vue économique, et d'éviter des incitations inopportunes et des problèmes principal-agent, c'est-à-dire de problèmes résultant d'une information asymétrique entre le mandataire (principal) et le mandant (agent). Le sursis à l'obligation de rapporter et la prise en compte de la valeur de l'entreprise au moment de la libéralité faciliteront la transmission d'entreprises avant tout du point de vue du repreneur, qui pourra mieux planifier le processus de reprise et les compensations à prévoir et mieux utiliser l'entreprise pour garantir les paiements compensatoires si nécessaire. Là aussi, la mesure n'engendrera pas d'incitations inopportunes. Selon l'étude, ces mesures auront des effets indirects positifs sur la croissance, mais il n'est pas possible de les quantifier.

En conclusion, il ressort de l'étude que les mesures examinées répondent à des problèmes centraux de la transmission d'entreprises au sein de la famille au moment de la succession, et qu'elles sont de nature à augmenter la marge de manoeuvre du de cujus. Les effets attendus sur le maintien des entreprises dans la famille sont positifs.

Les auteurs estiment que les mesures auront un impact direct positif sur la croissance, car au lieu de devoir restreindre les investissements en raison d'une succession
imminente ou récente au sein de la famille, il sera possible d'en faire dès lors qu'ils sont utiles. Enfin, ils concluent que les nouvelles dispositions contribueront à assurer une plus grande stabilité des entreprises et donc des emplois96.

6.4

Conséquences pour la société

Avec la présente révision, il est tenu compte dans le droit des successions de l'importance de la pérennité des entreprises pour l'économie et la société en général, et pour les chefs d'entreprise en particulier. Il s'agit aussi d'octroyer une certaine reconnaissance aux efforts consentis par ces derniers pour créer ou gérer leur entreprise, en 95 96

L'étude peut être consultée à l'adresse suivante: www.ofj.admin.ch > Société > Projets législatifs en cours > Droit successoral > Expertise.

Bergmann/Halter/Zellweger, p. 3 et 5 s.

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tenant compte de la volonté présumée de ceux-ci qu'elle soit reprise par leurs héritiers dans des conditions permettant une poursuite de son activité, grâce à des normes successorales adaptées. Au surplus, les grands principes et les buts du droit suisse des successions sont maintenus: la sauvegarde de la paix intergénérationnelle, la préservation par-delà la mort du patrimoine constitué par le défunt et la distribution juste et économiquement raisonnable des biens laissés par ce dernier en fonction de ses plans97.

6.5

Conséquences sous l'angle de l'égalité entre hommes et femmes

Le projet traite formellement de manière égale les femmes et les hommes. En pratique toutefois, des facteurs sociétaux, comme le fait que statistiquement il pourrait y avoir plus d'hommes que de femmes à la tête d'entreprises en Suisse, pourraient avoir pour conséquence que les propositions du projet concernent les femmes et les hommes de manière différente. Les mécanismes proposés pour limiter les atteintes à l'égalité de traitement entre héritiers (voir commentaires relatifs à l'art. 619, al. 2 et 3, P-CC) limiteront cependant dans une large mesure d'éventuelles inégalités engendrées par la révision.

7

Aspects juridiques

7.1

Constitutionnalité

La révision proposée se fonde sur l'art. 122, al. 1, de la Constitution (Cst.)98, qui attribue à la Confédération la compétence législative en matière de droit civil.

7.2

Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse

La Suisse n'est liée par aucun engagement international réduisant sa liberté de manoeuvre en matière de droit interne des successions. Le projet est ainsi conforme au droit international public contraignant pour la Suisse, et notamment aux obligations qui découlent pour elle de l'adhésion à des organisations internationales et aux accords internationaux bilatéraux ou multilatéraux qu'elle a conclus.

97 98

Huber 1914, ch. 822.

RS 101

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7.3

Forme de l'acte à adopter

La modification du code civil, qui traite de dispositions fondamentales relatives aux droits et aux obligations des personnes, doit être édictée sous la forme d'une loi fédérale (art. 164, al. 1, let. c, Cst.).

7.4

Frein aux dépenses

Le projet n'est pas soumis au frein aux dépenses au sens de l'art. 159, al. 3, let. b, Cst.

car il ne contient pas de dispositions relatives aux subventions et ne fonde ni crédit d'engagement ni plafond de dépenses.

7.5

Délégation de compétences législatives

Le projet ne délègue aucune compétence législative nouvelle au Conseil fédéral.

7.6

Protection des données

Le projet ne traite pas de questions en lien avec la protection des données.

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Bibliographie Bader Daniel/Seiler Corinna, Unternehmensnachfolge bei Familienunternehmen, in Expert Focus 3/2017, p. 146 ss (cit. Bader/Seiler) Bergmann Heiko/Halter Frank/Zellweger Thomas, Regulierungsfolgenabschätzung Revision Erbrecht, Forschungsbericht KMU-HSG, Universität St. Gallen, 2018 (cit. Bergmann/Halter/Zellweger) Bollon Nicolas, La succession du chef d'entreprise, in: Revue du notariat, Volume 111, Numéro 2, La protection du patrimoine, p. 367 ss (cit. Bollon) Couchepin Gaspard/Maire Laurent, Commentaire des art. 611 à 619 CC, in: Eigenmann Antoine/Rouiller Nicolas (édit.), Commentaire du droit des successions, Berne 2012 (cit. CS-Couchepin /Maire) Deschenaux Henri/Steinauer Paul-Henri/Baddeley Margareta, Les effets du mariage, Berne 2017 (cit. Deschenaux/Steinauer/Baddeley) Döbereiner Christoph, Frankreich, in: Süss Rembert (édit.), Erbrecht in Europa, 3e éd., Bonn 2015, p. 491 ss (cit. Döbereiner) Eigenmann Antoine, Commentaire des art. 626 à 632 CC, in: Eigenmann Antoine/Rouiller Nicolas (édit.), Commentaire du droit des successions, Berne 2012 (cit.

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