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21.070 Rapport complémentaire au rapport sur la politique de sécurité 2021, sur les conséquences de la guerre en Ukraine Rapport du Conseil fédéral du 7 septembre 2022

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Table des matières 1

Introduction

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Guerre en Ukraine

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Réactions internationales

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Réactions de la Suisse 4.1 Décisions et mesures prises 4.2 Réactions dans l'opinion publique et le monde politique

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Un nouveau contexte politico-sécuritaire pour la Suisse

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Conséquences pour la politique de sécurité de la Suisse

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Coopération internationale 7.1 Contexte 7.2 Coopération avec l'OTAN 7.3 Coopération avec l'UE

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Conséquences pour l'orientation et les capacités de l'armée

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Enseignements pour d'autres domaines concernés 9.1 Détection précoce 9.2 Protection de la population 9.3 Gestion des crises 9.4 Criminalité, approvisionnement énergétique et régime de l'asile

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10 Conclusions

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Introduction

Contexte Le 24 février 2022, la Russie a attaqué militairement l'Ukraine. Par cette agression contraire au droit international, elle a détruit les fondements d'un ordre pour la paix en Europe basé sur des règles. Les États occidentaux ont réagi avec fermeté et de manière unie, en prenant des sanctions économiques, énergétiques et financières étendues et en livrant du matériel de guerre en grande quantité à l'Ukraine. La guerre aura des effets à long terme sur l'Europe et au-delà, lesquels ne se limitent pas à la politique de sécurité et de défense, mais touchent également à la politique étrangère, économique, financière, énergétique et environnementale.

La Suisse est attachée à des principes fondamentaux tels que la liberté et la démocratie, l'observation du droit international ainsi que le respect de la souveraineté et de l'intégrité des États. Elle a fermement condamné l'agression russe et s'est associée aux sanctions de l'Union européenne (UE). La guerre en Ukraine a soulevé une discussion intense dans l'opinion publique sur la manière dont la Suisse doit se positionner aujourd'hui et à long terme, notamment pour ce qui est de la coopération internationale dans le cadre de la politique de sécurité. À cet égard, la conception de la neutralité que la Suisse entend appliquer est déterminante.

Dans plusieurs avis consacrés à la guerre (notamment dans des réponses à différentes interventions parlementaires), le Conseil fédéral a souligné que le rapport du 24 novembre 2021 sur la politique de sécurité de la Suisse1 constituait une base solide pour la politique de sécurité de la Suisse, même au regard de la guerre en Ukraine. Le rapport met en effet déjà l'accent sur une situation sécuritaire très dégradée et signale le risque d'une escalade militaire sur le flanc est de l'Europe. Les objectifs et mesures en matière de politique de sécurité à mettre en oeuvre sont déjà définis en conséquence pour les années à venir. La guerre en Ukraine a toutefois rendu encore plus urgent le besoin d'agir dans certains domaines.

La guerre en Ukraine aura des conséquences durables sur la sécurité et la coopération internationale en Europe, sur les relations entre les États occidentaux et la Russie, et donc sur la Suisse également. L'armée, instrument-clé de la Suisse pour se défendre et résister en cas de conflit
armé, est plus particulièrement concernée mais d'autres domaines comme le service de renseignement et la protection de la population sont eux aussi touchés.

But et contenu du rapport complémentaire Afin de prendre pleinement la mesure de l'importance d'une guerre qui constitue un événement majeur ayant des conséquences durables sur la sécurité en Europe, le Conseil fédéral a annoncé la réalisation dans les meilleurs délais d'une analyse de cette guerre et de ses conséquences. C'est pourquoi, s'appuyant sur le rapport sur la politique de sécurité 2021, le présent rapport complémentaire examine la guerre en Ukraine et ses conséquences. Il s'intéresse aux leçons à tirer de la guerre sur le plan de la politique de sécurité, pour autant qu'il soit déjà possible de le faire, et se focalise

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avant tout sur la nouvelle dynamique résultant de la coopération européenne en matière de politique de sécurité et de défense. Le rapport expose les raisons pour lesquelles la coopération internationale est devenue un enjeu encore plus urgent pour la Suisse suite à la guerre en Ukraine et identifie des pistes concrètes qui permettraient d'intensifier cette coopération.

Le DDPS a par ailleurs chargé le Center for Security Studies (CSS) de l'EPFZ de réaliser une analyse de la coopération de la Suisse en Europe en matière de politique de sécurité et de défense, dont les résultats ont été intégrés au présent rapport. Le DDPS a enfin demandé à l'ancien ambassadeur de Suisse Jean-Jacques de Dardel de procéder à une analyse indépendante de la coopération politico-sécuritaire en Europe, que le présent rapport a également prise en compte.

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Guerre en Ukraine

Une situation qui s'est peu à peu aggravée L'Ukraine et la Géorgie avaient déjà fait part de leur volonté d'adhérer à l'OTAN en 2008. À l'époque, avant tout par égard pour la Russie, celle-ci n'avait pas offert aux deux pays de perspectives concrètes d'adhésion, mais sans pour autant fermer définitivement la porte à leur demande. Peu de temps après, un conflit armé a éclaté entre la Russie et la Géorgie, au cours duquel la Russie a de fait annexé les territoires géorgiens rebelles que sont l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. À la suite de cette annexion, la coopération entre l'Ukraine et les États membres de l'OTAN s'est intensifiée, avant tout dans les domaines de la formation et des exercices. Après la révolte contre le président ukrainien Ianoukovitch, la Russie a annexé la Crimée en 2014 et soutenu (y compris sur le plan militaire) des mouvements séparatistes dans les régions de Donetsk et Lougansk dans l'est de l'Ukraine. Plusieurs tentatives visant à résoudre politiquement le conflit, avec le soutien de pays européens, de l'UE et de l'OSCE, ont échoué.

Au cours de l'année 2021, la situation s'est aggravée. La Russie a exigé des ÉtatsUnis et de l'OTAN, en contradiction avec l'Acte final d'Helsinki et de nombreux documents consécutifs, un retour à la présence militaire de l'OTAN prévalant en 1997, incluant un retrait de troupes et la renonciation aux exercices dans les États membres ayant rejoint l'alliance depuis cette année-là. La Russie a aussi exigé de l'OTAN qu'elle n'accepte plus l'adhésion d'aucun autre pays ayant fait partie de l'Union soviétique. Les États-Unis et l'OTAN ont rejeté ces exigences, car elles auraient limité la souveraineté de l'Ukraine et de la Géorgie, affaibli la sécurité des pays membres de l'OTAN en Europe centrale et en Europe de l'Est tout en établissant une sphère d'influence russe contre la volonté explicite des États concernés.

La Russie a commencé fin 2021 à positionner d'importantes forces militaires au nord et à l'est de l'Ukraine, y compris en Biélorussie. Cette présence de troupes visait manifestement à exercer une pression sur l'Ukraine. Jusqu'en février 2022, Moscou a fermement démenti planifier une attaque contre l'Ukraine, prétendant que les troupes en question se trouvaient dans ces zones frontalières pour procéder des exercices et qu'elles seraient ensuite retirées.

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L'agression de l'Ukraine par la Russie Le 24 février 2022, la Russie a agressé l'Ukraine, avec un déploiement massif de moyens militaires. Pour justifier son attaque, la Russie a dit devoir empêcher, par une action préventive, que l'Ukraine devienne membre de l'OTAN et reprenne un jour la Crimée par les armes. Selon la Russie, l'Ukraine essaierait également d'acquérir des armes nucléaires. Elle devait donc renoncer durablement à devenir membre de l'OTAN, déclarer sa neutralité et abandonner toutes ses revendications territoriales vis-à-vis de la péninsule de Crimée. Toujours selon la Russie, il s'agissait par ailleurs de contraindre l'Ukraine à mettre fin au «génocide» de la population des «républiques populaires» de Donetsk et de Lougansk (reconnues par la Russie quelques jours avant l'agression). Elle devait en outre être «désarmée» et «dénazifiée» afin de ne plus pouvoir menacer la Russie. Enfin, le président russe a clairement dit que le but était de faire tomber ou d'éliminer le gouvernement élu de l'Ukraine, en déniant même à cette dernière tout droit à l'existence.

L'invasion menée à travers les frontières russe et biélorusse s'est accompagnée d'un blocus maritime des ports ukrainiens de la mer Noire ainsi que de campagnes dans le cyberespace, l'espace électromagnétique et l'espace informationnel. La guerre ne s'est manifestement pas déroulée jusqu'à présent comme prévu par la Russie. Celleci avait massivement sous-estimé la volonté de l'Ukraine de se défendre et surestimé ses propres capacités militaires. L'Ukraine s'est défendue avec plus de force qu'attendu et a reçu du soutien de nombreux États, avec du matériel militaire, des moyens de reconnaissance et des moyens financiers. Après un premier assaut jusqu'à la périphérie de Kiev, qui a dû être interrompu sans rencontrer le succès escompté, la Russie s'est par la suite efforcée d'obtenir le contrôle total des régions de Donetsk et de Lougansk et de sécuriser une liaison terrestre entre ces régions et la péninsule de Crimée.

Elle s'est attachée aussi à créer des conditions favorables à une éventuelle poussée ultérieure en direction d'Odessa pour contrôler la totalité de la côte de la mer Noire.

La guerre s'est depuis transformée en une guerre d'usure, les deux parties essayant de se mettre militairement dans une position aussi favorable
que possible dans la perspective de négociations ultérieures.

Aspects de droit international En agressant l'Ukraine, la Russie a commis de multiples violations graves du droit international. Elle viole notamment l'interdiction du recours à la force inscrite dans le droit international ainsi que l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine. La Russie s'était engagé en 1994, dans le mémorandum de Budapest, à respecter la souveraineté et les frontières de l'Ukraine et du Kazakhstan si, en contrepartie, ces deux pays renonçaient à l'arme nucléaire L'annexion de la Crimée en 2014 contrevient à cet engagement de même que la reconnaissance par la Russie en février 2022 de l'indépendance des «républiques populaires» de Donetsk et Lougansk. L'exigence d'une garantie contraignante qu'un État ne devienne jamais membre de l'OTAN viole le droit souverain des États à définir eux-mêmes leurs relations extérieures. Vouloir exercer un ascendant sur l'orientation politique des relations extérieures et de défense d'un autre État et donc restreindre sa souveraineté n'est pas acceptable.

De nombreux signaux semblent indiquer que l'armée russe a commis des crimes de guerre en Ukraine. En font partie le meurtre de civils non impliqués dans les combats 5 / 40

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et les attaques visant des objectifs civils ­ rappelons en effet que seule l'attaque d'ouvrages militaires est autorisée. À plusieurs reprises, la Russie a laissé entendre qu'elle pourrait recourir à des armes nucléaires. Cette violation du droit international est d'autant plus choquante que la Russie a une responsabilité particulière vis-à-vis du maintien de la paix internationale en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. De plus, le 3 janvier 2022, soit quelques semaines seulement avant l'agression de l'Ukraine, elle déclarait encore, de concert avec les autres membres permanents de ce conseil, qu'une guerre nucléaire ne pouvait pas se gagner et ne devait jamais être menée.

Les conséquences globales de la guerre La guerre en Ukraine a des conséquences multiples et importantes à l'échelle mondiale dans différents domaines politiques. Elle a notamment un impact planétaire sur la situation en matière d'approvisionnement et sur les chaînes de distribution. Les prix de l'énergie ont augmenté partout, parfois massivement, et contribuent à l'inflation, déjà assez forte au demeurant dans de nombreux pays. Les sévères perturbations de l'approvisionnement en aliments de base importants sont particulièrement graves, car l'Ukraine fait partie des principaux exportateurs de céréales dans le monde. La Russie use de ce blocus sur les exportations d'aliments comme moyen pour obtenir des concessions, par exemple l'assouplissement des sanctions appliquées par les États occidentaux. La guerre et les sanctions étendues prises à l'encontre de la Russie ont par ailleurs également accru la pression sur les places commerciales et financières, puisque le commerce et la vente d'une large palette de produits russes ont été interdits, tout comme les relations d'affaires avec un grand nombre de ressortissants russes, qui ont été sanctionnés.

La guerre a par ailleurs entraîné un afflux massif de réfugiés. Au total, plus de 15 millions de personne sont en fuite, plus de 7 millions à l'intérieur de l'Ukraine et environ 8 millions à l'extérieur (état: août 2022). Les mouvements migratoires ne menacent certes pas directement la sécurité de l'Europe et de la Suisse mais constituent une charge pour les pays d'accueil et peuvent également être utilisés comme un élément d'une guerre hybride, afin d'exercer
des pressions. La guerre en Ukraine aura probablement aussi des effets sur la criminalité, par exemple en matière de trafic d'armes et d'êtres humains, de fraude (p. ex. prétendue action caritative), de stupéfiants, de blanchiment d'argent et de cyberattaques.

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Réactions internationales

Réactions d'États L'agression de l'Ukraine par la Russie a été condamnée par presque tous les pays européens, par l'UE, les États-Unis, le Canada, la Corée du Sud, le Japon, Singapour, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. 141 États membres de l'Assemblée générale de l'ONU ont voté le 2 mars 2022 une résolution qualifiant l'intervention de la Russie d'agression, réaffirmant la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Ukraine et intimant à la Russie d'en retirer immédiatement ses troupes. Seules la Biélorussie, la Corée du Nord, l'Érythrée, et la Syrie se sont joints à la Russie pour 6 / 40

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rejeter la résolution, 35 États se sont abstenus, dont la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud, et 12 n'ont pas pris part au vote, dont l'Ouzbékistan et le Turkménistan.

La position de la Chine est ambiguë, car elle défend d'une part fermement le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des États, un principe auquel contrevient ouvertement l'agression russe commise contre l'Ukraine, mais soutient d'autre part officiellement diverses prises de position de la Russie. La Chine a ainsi évité jusqu'à présent de se ranger clairement d'un côté ou de l'autre, se contentant de regretter que la guerre ait été déclenchée et d'appeler les parties à la retenue et à la négociation.

La Finlande et la Suède, deux pays restés neutres et non alignés jusque dans les années 1990, ont pris un virage abrupt sur le plan de la politique de sécurité à la suite de la guerre et déposé une demande d'adhésion à l'OTAN. Lors de son sommet à Madrid en juin 2022, l'Alliance a invité les deux pays nordiques à devenir membres. En même temps, le Danemark a décidé par référendum de renoncer à sa réserve vis-à-vis de la politique commune de sécurité et de défense de l'UE, ce qui représente une rupture dans sa politique.

Un groupe de 50 États coordonné par les États-Unis soutient militairement l'Ukraine, financièrement et militairement, y compris avec des moyens militaires lourds comme des pièces d'artillerie2. Des informations issues du renseignement ont également été mises à la disposition de l'Ukraine, en particulier par les États-Unis. Afin d'éviter une nouvelle escalade des tensions entre l'OTAN et la Russie, plusieurs États font preuve de retenue dans la livraison de matériel de guerre à l'Ukraine.

La guerre de la Russie contre l'Ukraine a poussé de nombreux États en Europe à renforcer leur état de préparation à la défense. Plusieurs États, dont l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, ont ainsi décidé d'augmenter de manière substantielle leurs budgets de défense dans les années à venir. La guerre a également renforcé la tendance déjà observée auparavant à miser à nouveau davantage sur la capacité et la préparation à la défense territoriale.

Réactions d'organisations internationales Au sein de l'OTAN, la défense collective du territoire de l'alliance revêt à nouveau une priorité absolue. Déjà avant la guerre,
l'OTAN avait augmenté son degré de préparation et, après l'agression russe de l'Ukraine, elle a pris rapidement des mesures pour protéger les alliés. Le dispositif sur le flanc est de l'alliance a été massivement consolidé, par l'envoi accru de troupes dans les pays baltes ainsi que dans les pays d'Europe de l'Est et d'Europe du Sud-Est. En outre, un grand nombre d'avions de combat sont en permanence en état d'alerte maximale et des navires sous commandement de l'OTAN ont été stationnés dans l'Atlantique nord, dans la mer du Nord, dans la mer Baltique et en Méditerranée. Lors du sommet de Madrid de la fin juin 2022, l'OTAN a de plus adopté une nouvelle stratégie où la Russie est désignée comme la

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La Suisse ne fait pas partie de ce groupe, car, en tant qu'État neutre, elle est soumise aux obligations de droit international en matière d'exportation d'armes (notamment le principe de l'égalité de traitement lors d'exportations par des entreprises privées) et ne livre pas non plus d'armes à des parties impliquées dans un conflit, comme le prévoit la loi fédérale sur le matériel de guerre.

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menace principale pour la sécurité de l'Europe, et elle a pris des mesures supplémentaires pour renforcer le flanc est. Les États-Unis ont augmenté la présence de leurs troupes en Europe, la portant de 68 000 à plus de 100 000 soldats, et consolidé ainsi leur contribution et leur importance pour l'alliance et la sécurité de l'Europe. Au cours de ces dernières années, l'OTAN a par ailleurs soutenu le développement des capacités des forces armées ukrainiennes. Un appui occidental rapide et efficace n'est possible que parce que l'interopérabilité a été préalablement garantie. Le soutien militaire de l'Ukraine en guerre s'effectue toutefois hors du cadre de l'OTAN, qui veut éviter une confrontation militaire directe avec la Russie.

L'Union européenne (UE) a réagi rapidement à la guerre d'agression de la Russie.

Elle a fourni une aide humanitaire considérable et apporté une assistance macrofinancière extraordinaire allant jusqu'à 9 milliards d'euros pour stabiliser l'économie ukrainienne. Elle a par ailleurs adopté pour la première fois une directive permettant d'offrir rapidement une protection provisoire aux personnes en fuite. Elle a pris plusieurs paquets de sanctions contre la Russie et la Biélorussie, prévoyant des sanctions individuelles contre des personnes et des organisations, dont le président russe et le ministre des Affaires étrangères, ainsi que des mesures économiques et financières.

L'industrie aérienne et spatiale, les marchandises à double usage, les matières premières et le secteur énergétique, importations de pétrole incluses, sont aussi concernées. L'UE a en outre introduit des restrictions pour les visas, la presse et les transports. Des actions coordonnées ont par ailleurs été menées en vue d'expulser des officiers du renseignement russe accrédités comme personnel diplomatique. Des États européens non membres de l'UE se sont eux aussi alignés sur les sanctions prises par cette dernière, dont la Suisse. Hors de l'Europe, les États-Unis, le Canada, la Corée du Sud, le Japon, Singapour, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont également pris des sanctions. L'UE a octroyé en plus deux milliards et demi d'euros pour soutenir les forces armées ukrainiennes à travers le dispositif de facilité européenne pour la paix, utilisé pour la première fois à des fins de livraison de systèmes
d'armes. Comme conséquence de la guerre, l'UE vise, d'ici à 2030 au plus tard, à se passer complètement des énergies fossiles provenant de Russie. Avec sa «Boussole stratégique», l'UE a présenté le 21 mars 2022 un plan d'action ambitieux en vue de renforcer sa capacité d'action militaire et ses capacités de défense. Quant à Europol, elle a suspendu sa coopération policière avec la Russie3. Eurojust s'occupe pour sa part de la coopération judiciaire entre les pays qui ont ouvert des procédures pour des crimes de guerre commis en Ukraine. Lors du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, les dirigeants européens ont accordé à l'Ukraine le statut de candidat à l'adhésion4.

C'est l'OSCE qui aurait dû a priori devenir le forum de dialogue entre les États occidentaux et la Russie, en complément des mesures de dissuasion et de défense prises par l'OTAN vis-à-vis de la Russie. Depuis l'agression russe, toutefois, sa capacité d'action est encore plus limitée qu'elle ne l'était déjà auparavant, puisque Russie et Biélorussie peuvent bloquer toute décision. Le conflit en Ukraine était le principal 3

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L'organisation internationale de police criminelle INTERPOL a renoncé à exclure la Russie, mais a renforcé son régime de contrôle concernant les signalements russes (p. ex. pour les recherches de personnes), afin d'empêcher d'éventuels abus.

Lors de la même rencontre, il a été accordé à la Moldavie le statut de candidat, et à la Géorgie, une «perspective européenne».

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domaine d'activité de l'OSCE depuis 2014, mais sa mission d'observation en Ukraine a dû prendre fin en raison du refus russe de prolonger son mandat.

Quant à l'ONU, en raison du droit de veto de la Russie au sein du Conseil de sécurité, elle n'est pas en mesure de prendre des mesures juridiquement contraignantes. Mais les 141 États qui ont condamné l'agression russe à l'Assemblée générale ont, par ce geste, donné à l'Ukraine un signe de soutien politique.

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Réactions de la Suisse

4.1

Décisions et mesures prises

En date du 23 février 2022, le Conseil fédéral a condamné la reconnaissance par la Russie des deux régions ukrainiennes de Donetsk et Lougansk comme États indépendants, attendu qu'il s'agit d'un acte contraire au droit international et d'une atteinte à l'intégrité territoriale et à la souveraineté de l'Ukraine. La Suisse a également très fermement condamné l'agression russe qui s'en est suivie contre l'Ukraine et a exigé de la Russie qu'elle mette un terme immédiat à l'agression militaire et retire ses troupes du sol ukrainien.

Le Conseil fédéral a décidé le 28 février 2022 de reprendre les sanctions de l'UE contre la Russie. La Suisse a jusqu'à présent appliqué les paquets de sanctions de l'UE, à l'exception de l'interdiction des médias ainsi que de celle ­ sans objet pour elle ­ se rapportant aux transports routiers et maritimes. Ce choix a provoqué une discussion sur la politique de sanctions de la Suisse, comme en témoignent plusieurs interventions parlementaires5. Le Conseil fédéral a par ailleurs prononcé plusieurs interdictions d'entrée à l'encontre de différentes personnes.

Se référant à la neutralité et aux dispositions de la loi fédérale sur le matériel de guerre, la Suisse a clairement indiqué dès le début qu'elle ne pouvait pas autoriser et n'autorisera pas de livraison d'armes à une partie belligérante dans un conflit armé international. Elle a également rejeté les demandes d'autres États de pouvoir remettre à l'Ukraine du matériel de guerre acquis en Suisse.

La Suisse a réagi à la guerre en Ukraine en mettant rapidement à disposition de l'aide humanitaire, notamment en livrant du matériel de secours, en déployant des experts du Corps suisse d'aide humanitaire et en octroyant un soutien financier à des organisations humanitaires. L'armée a également mis à disposition du matériel pour l'aide humanitaire, dont des appareils médicaux et du matériel de protection civil. Comme à l'accoutumée, la Suisse a par ailleurs proposé ses bons offices pour des activités de médiation et a pu, notamment avec l'Ukraine, négocier un mandat de puissance protectrice, auquel la Russie n'a pas encore donné son approbation.

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22.3395 mo. CPE-CN «Pour une politique de sanctions cohérente, globale et indépendante», 22.3455 mo. Groupe socialiste «Créer les bases légales permettant d'utiliser les avoirs gelés pour reconstruire l'Ukraine» ou encore la modification en cours de la loi sur les embargos (19.085).

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La guerre entraîne des conséquences massives sur la migration. Jusqu'à présent, quelque 8 millions de personnes ont quitté l'Ukraine et plus de 7 millions ont été déplacées à l'intérieur du pays. Près de 60 000 personnes venant d'Ukraine ont demandé protection en Suisse (état: août 2022). En activant le statut de protection S, qui permet, sur la base de certains critères, de désigner des personnes comme ayant besoin de protection sans passer par une procédure d'asile, une surcharge du système suisse d'asile a pu être évitée. L'armée, la protection civile et le service civil ont également offert leur soutien pour l'hébergement et l'encadrement des réfugiés.

À la suite de la guerre en Ukraine, la Suisse a suspendu sa coopération avec la Russie en matière d'entraide judiciaire internationale. La coopération policière s'est limitée à quelques exceptions (comme la maltraitance d'enfants, le terrorisme, la mise en danger de la vie ou de l'intégrité corporelle). Les autorités de poursuite pénale de la Confédération appuient les efforts de la poursuite pénale internationale et se préparent à soutenir des enquêtes contre d'éventuelles violations du droit pénal international. Les preuves éventuelles fournies par les réfugiés entrants sont collectées afin de pouvoir répondre à des demandes d'entraide judiciaire ultérieures, par exemple de la Cour pénale internationale, ou ouvrir des procédures en Suisse.

En raison des obligations ressortissant au droit international public de protection des autorités et des bâtiments étrangers, la guerre entraîne également des conséquences sur la sûreté intérieure. L'Office fédéral de la police (fedpol) a renforcé les mesures de sécurité pour les représentations diplomatiques de la Russie, de l'Ukraine et de la Biélorussie. Les conférences internationales accueillant des personnes protégées du point de vue du droit international public exigent elles aussi des mesures de sécurité, à l'instar de la Ukraine Recovery Conference qui s'est tenue à Lugano en juillet 2022.

L'armée a fourni des engagements subsidiaires en vue de protéger des conférences internationales en Suisse ainsi que la représentation suisse à Kiev. Dans le domaine de la cybersécurité, la surveillance a été intensifiée par rapport à de possibles attaques directes ou indirectes contre des cibles en Suisse.
Dans le domaine de la protection de la population, l'Office fédéral de la protection de la population (OFPP) suit la situation de manière intensive depuis le début de la guerre, notamment en rapport avec de possibles risques radiologiques et des effets éventuels sur les conditions d'existence de la population. Il assure la disponibilité de base du Laboratoire de Spiez pour la maîtrise des événements NBC et soutient, dans le cadre de la gestion des ressources de la Confédération, les contributions de la Suisse à l'aide internationale. Dans les cantons, les services compétents mettent à jour les planifications concernant l'attribution des abris de protection. L'information de la population sur les réserves d'urgence et les abris de protection a également été renforcée.

Depuis le début de la guerre, les marchés de l'énergie européens se caractérisent par une nervosité due à l'incertitude, ce qui affecte aussi la Suisse. Concernant l'approvisionnement en gaz naturel, la Suisse dépend entièrement des importations. Le gaz provient surtout de Russie et la Suisse n'a pas de grandes installations de stockage propres. Aussi une limitation massive ou une suspension des importations auraientelles des conséquences majeures pour les entreprises et les ménages privés. Le Conseil fédéral a pris toutefois des mesures pour assurer l'approvisionnement énergétique, par

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exemple l'introduction d'une réserve hydroélectrique, la réservation de capacités supplémentaires pour le stockage du gaz à l'étranger ainsi que l'octroi d'aides financières aux producteurs d'électricité.

4.2

Réactions dans l'opinion publique et le monde politique

La guerre en Ukraine a entraîné en Suisse des discussions intenses au sein de la population et au Parlement. Celles-ci concernent essentiellement la question de savoir comment la Suisse doit se positionner par rapport à la guerre et aux futurs conflits armés et jusqu'où peut aller la solidarité avec l'Ukraine eu égard à la conception actuelle de la neutralité. Les débats se focalisent également sur ce que signifie la guerre pour la politique de sécurité de la Suisse et surtout pour l'armée, afin de savoir quelles leçons tirer concrètement pour son positionnement, ses moyens et ses coopérations internationales.

Neutralité et coopération internationale Une discussion a eu lieu sur la question de savoir jusqu'où la Suisse, État neutre, peut et doit aller dans son soutien à l'Ukraine, et comment trouver un équilibre entre neutralité et solidarité envers un État agressé et la communauté de valeurs occidentale6.

Le droit de la neutralité interdit à un État neutre de participer à un conflit armé international. Par ailleurs, un État neutre ne doit soutenir militairement aucune partie dans un conflit international armé. S'agissant de l'exportation de biens d'armement par des particuliers, un État neutre doit traiter toutes les parties belligérantes de la même façon, et l'exportation de biens d'armement venant des stocks de l'État est interdite7.

En temps de paix, l'État neutre ne peut contracter aucun engagement qui entraînerait une violation de sa neutralité en cas de guerre. Il ne peut par exemple adhérer à aucune alliance militaire, comme l'OTAN. En cas d'agression armée contre un État neutre, ses obligations découlant du droit de la neutralité tombent et il est libre d'organiser sa défense conjointement avec d'autres États. Le maintien de la neutralité au sens de l'accomplissement des devoirs découlant pour la Suisse du droit de la neutralité n'est que très peu remis en question dans le débat public.

La guerre a également provoqué un débat sur la question de savoir si conception de la neutralité que la Suisse pratique depuis 30 ans permet encore de maintenir un équilibre entre neutralité et solidarité avec la communauté de valeurs occidentale. L'agression de l'Ukraine par la Russie a été unanimement condamnée ou presque par l'opinion publique, et nombreux sont ceux qui sont d'avis que la Suisse,
même en sa qualité d'État neutre, doit coopérer plus étroitement avec ses partenaires pour défendre ces valeurs en cas de violations aussi graves et flagrantes et du droit international et des valeurs fondamentales de la Suisse. Certaines voix, il est vrai, appellent la Suisse à

6 7

Cf. p. ex. po. 22.3385 CPE-CE. «Clarté et orientation de la politique de neutralité».

Au-delà du droit de la neutralité, la Suisse a inscrit dans sa législation sur le matériel de guerre que les exportations de matériel de guerre ne sont pas autorisées si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé international.

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adopter une position strictement impartiale en restant à équidistance des parties au conflit et en ne s'associant à aucune sanction.

La guerre a enfin fait naître un débat sur les relations futures de la Suisse avec l'OTAN, qui va ressortir renforcée par les adhésions à venir de la Finlande et de la Suède. Si en Suisse, peu de voix plaident en faveur d'une adhésion à l'OTAN, nombreuses sont celles qui ont appelé à une intensification de la coopération militaire avec l'OTAN, y compris en ce qui concerne la préparation d'une défense commune. Il a par exemple été demandé que la Suisse participe à l'avenir à des exercices de l'OTAN en vue d'une telle défense commune.

Exportations de matériel de guerre Les pays occidentaux soutiennent l'Ukraine en lui envoyant du matériel de guerre.

Cet état de fait et diverses demandes adressées à la Suisse depuis l'étranger en rapport avec du matériel de guerre suisse ont conduit à un débat public sur les possibilités d'exportations directes ou indirectes de matériel de guerre depuis la Suisse vers l'Ukraine. Or, l'exportation directe de matériel de guerre vers l'Ukraine à partir de la Suisse n'est pas compatible avec la neutralité, et la loi sur le matériel de guerre l'exclut elle aussi.

Pour l'exportation de matériel de guerre, la Suisse exige que le destinataire (un gouvernement étranger ou une entreprise travaillant pour lui) s'engage par une déclaration de non-réexportation à ne pas réexporter le matériel vers un pays tiers sans l'accord de la Suisse. La Suisse a reçu des requêtes de pays européens lui demandant si du matériel de guerre acquis en Suisse pouvait être remis à l'Ukraine. Comme des exportations de la Suisse en Ukraine ne peuvent pas être autorisées en raison du principe d'égalité de traitement prévu par le droit de la neutralité et de la loi sur le matériel de guerre, la remise de matériel de guerre suisse par des pays européens à l'Ukraine a elle aussi été refusée.

La loi fédérale sur le matériel de guerre prévoit que des entreprises suisses peuvent participer aux chaines de création de valeurs internationales de l'industrie de l'armement. À cet effet, il est possible de renoncer à la déclaration de non-réexportation pour des pièces détachées ou des éléments d'assemblage de matériel de guerre lorsqu'il est établi qu'ils seront, à l'étranger,
intégrés dans un produit et qu'ils ne seront pas réexportés tels quels, et dont la valeur, par rapport à celle du produit fini, ne dépasse pas une valeur seuil définie, ou s'il s'agit de pièces anonymes dont la valeur est négligeable par rapport à celle du matériel de guerre fini8. Pareilles exportations sont conciliables avec le droit de la neutralité même si le matériel de guerre fabriqué à l'étranger au moyen des livraisons effectuées par la Suisse pourrait être destiné à une partie au conflit. Le Conseil fédéral a décidé pour cette raison de reconduire la pratique existante et de continuer à autoriser des fournitures de matériel de guerre à l'étranger sous la forme d'éléments d'assemblage et de pièces détachées malgré le conflit en Ukraine.

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RS 514.51 LFMG.

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Il y a aussi eu des demandes isolées provenant de l'étranger pour la vente de matériel militaire suisse excédentaire mis hors service9. Une remise de biens d'armement comme des armes ou des munitions à un État engagé dans un conflit armé est exclue pour des raisons liées à la neutralité et aussi en vertu de la législation sur le matériel de guerre.

Les décisions du Conseil fédéral ont conduit à des discussions au Parlement et dans l'opinion publique. Au niveau national, des réserves ont été exprimées quant à l'avenir de la base technologique et industrielle de la Suisse en matière de sécurité. Celle-ci pourrait en pâtir si des gouvernements étrangers ou des entreprises étrangères devaient craindre que leur liberté d'action ne soit restreinte en cas d'acquisition de matériel de guerre de fabrication suisse. Il a également été parfois exprimé une certaine incompréhension à l'international s'agissant du refus de la Suisse d'approuver la réexportation, car la Suisse entraverait ainsi d'autres États dans le soutien qu'ils souhaitaient apporter à l'Ukraine.

Dépenses de défense La guerre en Ukraine a entraîné des demandes d'augmentation des moyens financiers de l'armée10. Le Parlement a ainsi adopté plusieurs motions demandant une augmentation progressive des dépenses de l'armée à partir de 2023, de sorte qu'elles représentent au moins 1 % du produit intérieur brut d'ici à 203011. Lors de sa session d'été12, le Conseil des États a par ailleurs décidé des hausses à brève échéance du budget de l'armée, afin de permettre des acquisitions supplémentaires.

Protection de la population La guerre en Ukraine a conduit à des discussions et des activités additionnelles dans le domaine de la protection de la population, l'accent ayant été mis sur l'accueil des réfugiés, l'appui à l'aide internationale et de possibles risques radiologiques pour la Suisse, par exemple comme conséquence d'un incident nucléaire dans les territoires disputés de l'Ukraine. Se sont ajoutées à cela les allusions répétées de personnes faisant partie du pouvoir russe quant à un possible déploiement d'armes nucléaires. En conséquence, des planifications d'engagement pour la gestion de crise de la Confédération ont été entreprises en prévision d'un événement radiologique. Pour répondre à 9

10

11 12

Il y a trois options pour le matériel militaire mis hors service: vente ou remise au pays d'origine, sans charges liées à la réutilisation; vente ou remise à des États qui sont listés à l'annexe 2 de l'ordonnance sur le matériel de guerre (notamment avec déclaration de non-réexportation); stockage ou valorisation du matériel en Suisse.

Plusieurs interventions parlementaires portaient par ailleurs sur les bases, l'orientation et l'état de préparation de l'armée, notamment les interpellations urgentes suivantes: ip. UDC 22.3046 «Protéger la population. La Suisse a besoin de toute urgence d'une stratégie pour son armée, sa protection et sa défense»; ip. Groupe libéral-radical 22.3047 «Tirer les leçons du conflit en Ukraine pour la Suisse»; ip. Groupe du Centre/PEV 22.3050 «La guerre en Ukraine marque une rupture en matière de sécurité en Europe.

Quelles conséquences pour la Suisse?»; ip. Dittli 22.3040 «Renforcer la capacité de défense de l'armée suisse»; cf. également po. Binder 22.3061 «Menace terrestre et défense de la Suisse. Comment notre pays est-il préparé à ces éventualités? Quelles sont les lacunes à combler en fonction des derniers événements en date?» Mo. 22.3367 et 22.3374 «Augmentation progressive des dépenses de l'armée».

22.005 | Message sur l'armée 2022 | Bulletin officiel | Le Parlement suisse.

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un besoin d'information accru de la part du public sur la sécurité de l'approvisionnement et les possibles mesures de protection, englobant notamment la disponibilité et l'attribution des abris de protection dans la perspective d'un incident nucléaire, l'OFPP et les cantons ont renforcé leurs activités d'information et leurs échanges réciproques.

Conclusions Le débat public ainsi que les interventions parlementaires et des sondage actuels le montrent13, la guerre a influé sur le sentiment de sécurité de la population suisse. Le positionnement du Conseil fédéral recueille un large soutien, alors que la position visà-vis de la neutralité est un peu plus critique, et celle vis-à-vis de la coopération internationale, au contraire plus ouverte. On constate un soutien renforcé à la mise en avant de la défense et à l'augmentation des moyens financiers de l'armée. L'anticipation des menaces et des dangers et à la protection de la population, eu égard en particulier aux événements radiologiques, font l'objet d'un intérêt accru. Par ailleurs, la guerre a des répercussions immédiates et massives sur les domaines politiques comme les sanctions, l'asile et l'approvisionnement en biens et services critiques, principalement dans le domaine de l'énergie.

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Un nouveau contexte politico-sécuritaire pour la Suisse

Tendances La guerre renforce des tendances en matière de politique de sécurité qui sont perceptibles depuis longtemps déjà. Le fossé entre États démocratiques occidentaux d'un côté et États autoritaires comme la Chine et la Russie de l'autre ne cesse de se creuser.

Les relations commerciales dans les domaines de la technologie et de l'énergie suivent également de plus en plus une logique politico-sécuritaire de formation de blocs. La Russie essaie d'étendre sa sphère d'influence en référence à des modèles impériaux.

L'immixtion des États-Unis dans la sécurité européenne s'est accrue à la suite de la guerre en Ukraine, notamment en raison de l'appui militaire offert à l'Ukraine dans les domaines de la reconnaissance, de la formation et de l'armement, mais également de la présence militaire américaine significativement plus marquée sur le flanc est de l'OTAN. On constate que les États-Unis continueront de jouer un rôle central pour la sécurité de l'Europe et de constituer la colonne vertébrale de la défense sur le continent au sein de l'OTAN, même en cas de rééquilibrage des charges dans la répartition transatlantique. À plus long terme, la question reste toutefois ouverte de savoir si les États-Unis vont maintenir tel quel leur engagement en Europe malgré leur orientation stratégique vers la région Asie-Pacifique. Avec sa Boussole stratégique, l'UE montre qu'elle souhaite assumer davantage de responsabilités dans la sécurité européenne.

13

Sondage complémentaire «Sécurité 2022» réalisé en raison de la guerre en Ukraine, publié le 14 juillet 2022 par l'Académie militaire (ACAMIL) et le Center for Security Studies (CSS), rattachés tous deux à l'EPF Zurich.

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La guerre a aussi montré le rôle accru des entreprises technologiques. L'Ukraine a par exemple utilisé l'infrastructure satellitaire de Starlink et a été soutenue par Microsoft dans ses efforts visant à se protéger contre les cyberattaques.

La guerre entraîne une plus forte focalisation de l'OTAN sur la défense collective.

L'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN renforcera l'alliance. L'OTAN va dans un proche avenir constituer la colonne vertébrale de la défense commune en Europe, dissuasion comprise. Le fait que la Russie ne s'oppose pas activement jusqu'à présent à l'aide occidentale fournie à l'Ukraine en matière d'armement sur le territoire des pays limitrophes de l'OTAN montre précisément que la dissuasion fonctionne.

Cependant, les États occidentaux font aussi preuve de prudence, afin de ne pas provoquer d'escalade. Les forces armées en Europe seront à nouveau plus fortement axées sur la dissuasion et la défense contre une attaque militaire ainsi que sur la guerre conventionnelle. Le conflit ukrainien a certes été marqué depuis 2014 par l'utilisation de moyens hybrides par la Russie, mais il a finalement débouché sur une agression menée avec des moyens militaires conventionnels. Cette réalité sera prise en compte dans le développement des forces armées en Europe, y compris dans les projets d'armement.

Du point de vue de la défense militaire de l'Europe, l'UE ne constitue pas une alternative à l'OTAN. Elle peut toutefois contribuer au renforcement des capacités militaires et de l'industrie de défense en Europe. La promotion militaire de la paix devrait, à la suite de la guerre, perdre en priorité par rapport à la focalisation renforcée sur la défense, bien que le besoin de stabilité, en particulier dans les Balkans occidentaux, augmente à nouveau. Plusieurs pays membres de l'OTAN et de l'UE ont annoncé en réaction à la guerre une augmentation substantielle de leurs budgets de défense. Il faut donc s'attendre à assister ces prochaines années en Europe et dans d'autres parties du monde à un important réarmement, pour ne pas dire à un rattrapage ou même à une inversion de tendance par rapport à la réduction des dépenses de défense observée ces vingt à trente dernières années, ce qui se répercutera aussi sur la demande globale pour des biens d'armement.

Les relations entre les États
occidentaux et la Russie vont rester conflictuelles pour longtemps. Le but de la Russie n'est manifestement pas seulement de détruire l'Ukraine comme État autonome mais aussi de rétablir une sphère d'influence en Europe, comme c'était le cas à l'époque de l'Union soviétique. Paradoxalement, la guerre d'agression de la Russie a toutefois conduit, avec la Finlande et la Suède, à ce que d'autres pays veulent rejoindre l'OTAN et à ce que cette dernière renforce considérablement son dispositif de dissuasion et de défense. Le même constat vaut pour le rapprochement avec l'UE de l'Ukraine, qui, avec la Moldavie, est depuis 2022 candidate à l'adhésion.

L'état de la menace et des dangers pour la Suisse L'Europe et la Suisse elles aussi sont directement touchées par les conséquences de la guerre en Ukraine. Celle-ci conduit à une intensification de la coopération en matière de politique de défense en Europe. Grâce à sa situation géographique, la Suisse est moins exposée et une agression armée directe de la Russie contre la Suisse, notamment avec des troupes au sol, est improbable, même dans un avenir proche. On remarque aussi à quel point l'autre éventail des moyens de la guerre hybride est utilisé, des opérations de désinformation et de prise d'influence aux opérations clandestines 15 / 40

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et aux cyberattaques en passant par l'exercice de pressions et le chantage. Ces menaces peuvent aussi concerner la Suisse, étant donné qu'elles peuvent survenir à l'improviste ou quasiment.

Avec la guerre, les activités russes d'influence et les opérations de désinformation visà-vis de la Suisse ont elles aussi augmenté, du fait notamment que notre pays abrite le siège de nombreuses organisations internationales. Les cyberincidents observés en amont et au début de l'invasion montrent que les cybermoyens sont prioritairement engagés en appui aux actions militaires, avec un impact limité dans le temps et peu de dommages. Le but était avant tout d'essayer de limiter les capacités militaires de l'Ukraine mais également de nuire à l'économie ainsi qu'à la société, afin d'affaiblir la volonté de défense. L'interconnexion internationale croissante signifie que les cyberattaques ont des effets au-delà des frontières et qu'elles peuvent également toucher des équipements en Suisse. En cas d'escalade du conflit, il faut aussi s'attendre à des cyberattaques visant directement des cibles en Suisse. Les cyberacteurs non étatiques sont plus libres dans le choix du mode opératoire et des cibles visées, mais le plus souvent il s'agit d'incidents mineurs tels que des attaques par déni de service contre des sites web, l'interception et la publication de données ou leur altération par les assaillants.

La menace constituée par les activités d'espionnage, visant aussi des États tiers, va probablement s'accroître encore dans le contexte de la guerre, en particulier à Genève, place particulièrement exposée en temps de crise en raison de la présence d'organisations internationales, de représentations étrangères et d'organisations non gouvernementales.

En raison de la guerre, il est également possible que des armes et du matériel de guerre provenant d'Ukraine tombent entre les mains du crime organisé, ce qui peut influer sur le marché noir et accroître la disponibilité d'explosifs, d'armes et de munitions.

Des organisations criminelles, des réseaux terroristes mais aussi des milieux extrémistes peuvent en profiter. La guerre en Ukraine et les mouvements migratoires qui en découlent peuvent également avoir un impact sur d'autres aspects de la criminalité, comme le trafic d'êtres humains, la fraude, la drogue ou encore
le blanchiment d'argent. Jusqu'à présent, grâce aussi à une bonne collaboration nationale et internationale ainsi qu'aux mesures qui ont été prises, les conséquences sur la criminalité en Suisse restent faibles.

Les perturbations provoquées par la guerre dans l'approvisionnement énergétique de l'Europe touchent aussi la Suisse. Les incertitudes entourant l'approvisionnement en gaz russe en raison des menaces d'interruption de livraison, combinées à des périodes prolongées de sécheresse qui impactent négativement l'énergie hydraulique, peuvent également mener à une situation de pénurie de gaz et d'électricité en Suisse, en particulier en hiver. Cette situation ne concerne pas seulement les ménages privés et les entreprises, mais aussi potentiellement, des infrastructures critiques qui jouent un rôle important dans le domaine de la sécurité (p. ex. les systèmes d'alarme ou de communication de crise).

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Conséquences pour la politique de sécurité de la Suisse

Le rapport sur la politique de sécurité du Conseil fédéral du 28 novembre 2021 énumère les principes qui constituent le cadre de la politique de sécurité suisse. Ces principes sont la neutralité et la coopération, la démocratie, le respect du droit international et de l'état de droit, le fédéralisme et la subsidiarité ainsi que la milice et l'obligation de servir. Ils restent également valables après l'agression russe contre l'Ukraine. Le rapport précise toutefois aussi que leur interprétation doit toujours être réexaminée à la lumière des évolutions politiques et sociales.

Les intérêts en matière de politique de sécurité ­ renonciation à la violence et ordre réglementaire international, autodétermination et liberté d'action, sécurité de la population et des infrastructures critiques ­ n'ont, malgré la guerre, rien perdu en importance et en actualité. L'agression de l'Ukraine par la Russie heurte de plein fouet tous ces intérêts Le but supérieur de la politique suisse en matière de sécurité reste inchangé, à savoir protéger la capacité d'action, l'autodétermination et l'intégrité de la Suisse et de sa population ainsi que de ses conditions d'existence contre les menaces et les dangers tout en contribuant à la paix et à la stabilité par-delà les frontières.

Les neuf objectifs pour la politique de sécurité de la Suisse14 définis dans le rapport sur la politique de sécurité restent légitimes même si la situation en matière de sécurité est devenue plus critique. La guerre accentue toutefois plus concrètement encore l'urgence de mettre en oeuvre certains d'entre eux, notamment en lien avec le renforcement de la coopération internationale dans l'intérêt de la sécurité et de la stabilité.

Cela vaut aussi pour le renforcement de la détection précoce des menaces, dangers et crises, l'orientation plus marquée sur les conflits hybrides, conflit armé compris, la libre formation de l'opinion sans désinformation et la consolidation de la protection contre les cybermenaces. Enfin, le renforcement de la protection contre les catastrophes et les situations d'urgence, la consolidation de la résilience et de la sécurité de l'approvisionnement ainsi que la gestion de crise ont eux aussi gagné en importance.

Le rapport sur la politique de sécurité définit des mesures concrètes pour la mise en oeuvre de ces
objectifs. En font notamment partie l'amélioration des capacités de reconnaissance à des fins d'identification et d'appréciation autonome de développements et menaces revêtant de l'intérêt sur le plan de la sécurité, la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie cyber du DDPS visant à combler les lacunes dans le dispositif de défense et à renforcer encore davantage les moyens dans le domaine de la cyberdé-

14

1) Renforcer la détection précoce des menaces, des dangers et des crises. 2) Renforcer la coopération, la stabilité et la sécurité au niveau international. 3) Mettre davantage l'accent sur les conflits hybrides. 4) Garantir la libre formation de l'opinion et les informations non faussées. 5) Accroître la protection contre les cybermenaces. 6) Prévenir le terrorisme, l'extrémisme violent, le crime organisé et les autres formes de criminalité transnationale. 7) Renforcer la résilience et la sécurité d'approvisionnement. 8) Améliorer la protection contre les catastrophes, la préparation aux situations d'urgence et la capacité de régénération. 9) Renforcer la collaboration entre les autorités et les organes de la gestion de crise.

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fense, une orientation accrue des capacités de l'armée sur les menaces hybrides, justement dans le domaine cyber, ou encore la clarification du besoin en ouvrages de protection et la mise à jour des concepts de protection pour la population, par exemple s'agissant de la protection NBC. Depuis le début de la guerre, l'amélioration de la résilience des infrastructures critiques, la réduction de la dépendance concernant les biens et services critiques ainsi que le développement de la stratégie nationale de protection des infrastructures critiques sont en outre d'une actualité particulière.

Il faut s'attendre à ce que la guerre entraîne une détérioration durable du contexte politico-sécuritaire de la Suisse, qui va rester très volatil. Il est également prévisible que la coopération internationale en matière de politique de sécurité et de défense en Europe va être intensifiée et devenir encore plus importante qu'auparavant pour la sécurité et la stabilité de la Suisse. La Suisse est tout aussi exposée aux menaces transfrontalières que d'autres pays européens avec lesquels elle entretient de nombreuses relations du triple point de vue économique, technologique et sociétal et dont elle partage les valeurs.

En raison de sa position géographique favorable, la Suisse continue toutefois de se trouver dans une situation plutôt favorable. Mais une attaque armée pourrait aussi être exécutée à distance. En cas d'attaque de ce type, s'appuyant par exemple sur le déploiement ou la menace de déploiement de missiles balistiques, de missiles de croisière ou d'armes hypersoniques, la Suisse serait vulnérable et elle aurait besoin d'une coopération avec d'autres États. En cas d'attaque terrestre directe contre la Suisse, il faut supposer que les pays environnants seraient déjà impliqués dans le conflit. La guerre en Ukraine démontre par ailleurs clairement qu'une défense contre un adversaire puissant est plus efficace avec l'appui d'autres États ou organisations. Ces constats imposent comme une évidence la nécessité d'intensifier la coopération avec les organisations sécuritaires internationales, en particulier l'OTAN. En cas d'agression armée, un État neutre peut aussi se défendre avec l'aide d'autres États, puisque les devoirs de neutralité deviennent caducs dans un tel cas de figure15. La stratégie de la Suisse en
matière de politique de défense vise à acquérir la capacité à se protéger et à se défendre autant que possible de manière autonome, tout en se ménageant la possibilité de se défendre au besoin à travers une alliance avec d'autres États.

Au vu de la guerre en Ukraine, il est dans l'intérêt de la Suisse d'axer plus résolument à l'avenir sa politique de sécurité et de défense sur la coopération avec des partenaires.

La coopération militaire en cas de guerre doit être préparée et exercée au mieux avec les partenaires concernés, sans pour autant se lier par des obligations ou des contraintes. Dans un tel contexte, la Suisse doit être prête à contribuer de manière substantielle à la sécurité de ses partenaires. Il s'agira dès lors d'examiner jusqu'où la Suisse peut aller dans la coopération avec ces derniers. Pour conclure des partenariats, il faut être capable de fournir des prestations substantielles, et il faut s'attendre à ce qu'aucun partenaire ne s'engage dans une coopération avec la Suisse s'il doit porter seul l'entier de la charge. En conséquence, la Suisse doit disposer de toute l'étendue des capacités de défense pour entretenir une capacité crédible à se défendre elle15

Cf. notamment le rapport sur la politique de sécurité 2021: «Si la Suisse est la cible d'une attaque armée remettant en questions sa neutralité, elle doit avoir le choix, soit de se défendre de manière autonome, soit de collaborer avec d'autres États, en particulier les pays voisins» (rapport sur la politique de sécurité du 24 novembre 2021, p. 38).

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même, mais aussi pour pouvoir fournir des contributions substantielles au profit des partenaires, une fois prise la décision politique. Après tout, le principe de réciprocité s'applique toujours, même en matière de défense.

Une adhésion à l'OTAN, qui signifierait la fin de la neutralité, n'est pas une option pour la Suisse. Un tel pas signifierait certes que la Suisse bénéficierait du principe de défense collective de l'OTAN, mais aussi qu'elle se trouverait elle-même obligée d'agir en cas d'agression d'un autre membre de celle-ci. Il lui serait par ailleurs demander d'augmenter substantiellement ses dépenses en matière de défense. L'autre extrême, à savoir faire cavalier seul en matière de politique de sécurité et renoncer à toute coopération internationale tout en s'efforçant à l'autonomie complète en matière de défense, n'est pas praticable.

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Coopération internationale

7.1

Contexte

L'Armée suisse coopère depuis des décennies avec des forces armées étrangères et des organisations internationales dans la formation, le développement des forces armées et l'armement, mais également dans le cadre d'engagements de promotion militaire de la paix et d'aide en cas de catastrophe. La coopération dans le domaine cyber s'y est ajoutée ces dernières années.

Le système de milice conduit parfois à des difficultés. S'agissant des services d'instruction effectués à l'étranger, certaines caractéristiques du système de milice doivent être prises en compte, à savoir que l'instruction à l'étranger se fait sur une base volontaire pour les militaires, ce qui rend la participation de formations plus difficile.

Les cours de répétition sont de plus fixés longtemps à l'avance. Ce sont les raisons pour lesquelles, jusqu'à présent, ce sont principalement des officiers supérieurs et des militaires membres de formations professionnelles telles que la police militaire, les forces spéciales et les forces aériennes qui ont participé à des formations à l'étranger.

Cependant, s'il s'agit de faire examiner par l'OTAN l'interopérabilité et les capacités militaires des formations de l'Armée suisse, cela pourrait aussi se faire en Suisse.

L'Armée suisse a toutefois également des atouts à faire valoir comme partenaire de coopération, elle qui dispose de bonnes infrastructures d'instruction pour les troupes de combat, notamment avec des simulateurs. Ses offres en matière d'instruction ou d'exercices pour le combat en montagne et la médecine militaire suscitent depuis des années un fort intérêt auprès des États partenaires. Le domaine de la cyberdéfense possède également un certain potentiel, puisque la Suisse peut y proposer des possibilités de formation et d'entraînement pour les cyberspécialistes ainsi que des partenariats avec l'économie et la science16. L'OTAN est particulièrement intéressé par les contributions de la Suisse aux opérations dirigées par l'OTAN, surtout dans le cadre de la KFOR au Kosovo. L'acquisition de l'avion de combat F-35A et du système de défense sol-air Patriot ouvre enfin de nouvelles possibilités de coopération.

16

La Suisse est déjà un partenaire de contribution du Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence basé à Tallinn, accrédité en tant que centre de compétences international par l'OTAN.

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Jusqu'à présent, la Suisse n'a pris part à des exercices portant sur une défense commune de l'OTAN que comme observateur. Si une participation devait être envisagée à l'avenir, il faudrait tenir compte du fait que la plupart des armées européennes ne couvrent plus l'ensemble de l'éventail des tâches mais se spécialisent, via un partage international du travail17. Pour cette raison, certains États membres de l'OTAN sont réservés à l'idée d'une participation à de tels exercices d'États tiers qui, en cas de défense, pourraient ne pas mettre leurs capacités militaires à disposition.

7.2

Coopération avec l'OTAN

La coopération aujourd'hui La Suisse participe depuis 1996 au Partenariat pour la paix. Jusqu'à présent, l'accent était mis dans ce cadre sur le renforcement de l'interopérabilité militaire dans des opérations de soutien à la paix. Depuis octobre 1999, l'Armée suisse participe à l'engagement de soutien à la paix de la KFOR, dirigé par l'OTAN. L'actuel mandat national à cet effet court jusqu'à la fin de l'année 2023. Le Conseil fédéral va vraisemblablement demander sa prolongation pour les années 2024 à 2026.

L'interopérabilité est testée lors d'exercices. Actuellement, la Suisse participe chaque année en moyenne à sept exercices de l'OTAN, activement ou comme observatrice, dans les domaines des forces aériennes, des forces spéciales, de l'aide au commandement ou de la cyberdéfense.

Afin de renforcer l'interopérabilité, la Suisse participe depuis 1998 au Planning and Review Process (PARP). Dans ce cadre, des objectifs de partenariat sont convenus pour la capacité à coopérer. La Suisse s'est concentrée à ce jour sur les aspects liés à la disponibilité et à la doctrine ainsi que sur des domaines spéciaux tels que la communication, le déminage, la reconnaissance, le domaine sanitaire et la cyberdéfense.

Les objectifs reflètent en partie les capacités que la Suisse met à disposition pour des missions de promotion de la paix dirigées par l'OTAN.

La Suisse participe depuis 2015 à un groupement qui défend les intérêts de l'Australie, de l'Autriche, de la Finlande, de l'Irlande, de la Nouvelle-Zélande, de la Suède et de la Suisse vis-à-vis de l'OTAN et élabore des recommandations à l'intention de cette dernière pour améliorer l'interopérabilité entre l'OTAN et ces États partenaires. L'adhésion de la Finlande et de la Suède va toutefois modifier l'importance de ce groupement. À partir de 2023, avec le Programme individuel de partenariat et de coopération (PIPC) nouvellement créé, l'échelon politique aura à sa disposition un instrument lui permettant d'améliorer encore la flexibilité de la coopération.

S'agissant du développement des forces armées, la Suisse participe à plusieurs groupes de travail thématiques qui recouvrent déjà largement l'éventail des capacités de l'Armée suisse. L'interopérabilité, condition essentielle d'une coopération, joue 17

Afin de s'assurer que toutes les capacités nécessaires sont malgré tout disponibles au niveau multinational, l'OTAN et l'UE édictent des directives pour le développement et le maintien des capacités correspondantes (NATO Defence Planning Process, NDPP; Coordinated Annual Review of Defence, CARD).

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aussi un rôle important au-delà de la tâche de promotion de la paix. Elle est à la base d'une utilisation efficace des possibilités de coopération dans la doctrine, la conduite, l'engagement et dans l'acquisition d'armement.

L'armée utilise l'offre de cours des diverses écoles de l'OTAN pour former et perfectionner des employés civils, des militaires de carrière et des militaires de milice. Au cours des dernières années, environ 500 personnes de Suisse ont participé chaque année à des cours, exercices, groupes de travail et conférences. La Suisse organise ellemême chaque année une trentaine de cours de formation dans le cadre du Partenariat pour la paix, ouverts aux participants internationaux. Plus de 400 participants provenant de plus de 90 pays profitent ainsi chaque fois de cette offre. La Suisse accueille par ailleurs chaque année différentes réunions de l'OTAN, comme le symposium des partenaires, qui a eu lieu en juillet 2022 à Genève.

L'OTAN coopère avec 28 «centres d'excellence». Ceux-ci ne font pas partie de la structure de commandement de l'OTAN mais mettent leur expertise à la disposition de l'alliance. La Suisse soutient le Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence de Tallinn avec deux personnes. Une coopération renforcée avec d'autres centres, comme le Nato Centre of Excellence for Military Medicine ou le Military Engineering Centre of Excellence, est actuellement examinée.

La coopération avec l'OTAN porte également sur la politique de sécurité, la politique étrangère et la politique militaire, notamment par le biais de consultations régulières et la participation à des réunions d'organes politiques et militaires.

armasuisse et l'Office fédéral de la protection de la population (OFPP) coopèrent également avec l'OTAN dans leurs domaines d'activité respectifs. Depuis plusieurs années, l'OFPP propose, en coopération avec le GCSP, des cours dans le domaine de la gestion de crise et participe à des groupes de travail de l'OTAN sur la planification d'urgence civile et sur les questions de résilience. Les intérêts d'armasuisse dans le domaine de l'armement sont couverts par la participation à des groupes de travail et à des projets qui s'occupent par exemple d'essais communs et de l'élaboration de normes militaires. Ces dernières sont essentielles pour garantir la capacité de
coopération militaire avec les forces armées des pays membres de l'OTAN. armasuisse entretient également des relations avec l'Agence OTAN de soutien et d'acquisition (NATO Supply and Procurement Agency, NSPA) et l'Agence OTAN d'information et de communication (NATO Communication and Information Agency, NCIA). La Suisse participe en outre à des projets et forums de recherche dans le cadre de l'Organisation pour la science et la technologie (Science and Technology Organization, STO) de l'OTAN.

La Suisse met enfin du personnel à la disposition de différents services de l'OTAN pour des fonctions d'état-major et de liaison18.

18

Commandement allié Opérations, basé à Mons (Belgique); Centre de gestion globale des crises et des opérations, Mons; Federated Mission Networking Secretariat, Mons; Commandement allié Transformation, basé à Norfolk (États-Unis); État-major international de l'OTAN à Bruxelles; Collège de défense de l'OTAN, Rome (Italie); École de l'OTAN, Oberammergau (Allemagne).

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Développements possibles La coopération avec l'OTAN peut être intensifiée au sein du partenariat existant pour améliorer l'interopérabilité. La Suisse peut par exemple augmenter sa participation aux engagements de promotion de la paix et aux exercices correspondants. Elle pourrait également mettre du personnel additionnel à disposition et occuper un plus grand nombre de fonctions d'état-major importantes pour elle au sein de la structure de commandement de l'OTAN19. Un développement de la participation aux centres d'excellence certifiés par l'OTAN est possible également. L'intensification de la coopération existante va de pair avec le renforcement du dialogue politique aussi bien au niveau ministériel qu'au niveau technique.

Si la Suisse vise un nouvel échelon de coopération avec l'OTAN, le niveau des ambitions pourrait être relevé, avec une participation de l'Armée suisse à des exercices de l'OTAN sur toute l'étendue des compétences, dans un premier temps avec plus de formations professionnelles. Une participation à des exercices de défense commune pourrait être examinée au cas par cas avec l'OTAN. La condition préalable serait une invitation de cette dernière, ce qui ne n'est pas garanti: des exercices de défense commune, y compris avec des États partenaires, se fondent en effet de manière générale sur l'hypothèse que les combats se feraient en commun en cas d'agression armée, même si la Suisse n'était pas directement ciblée par une attaque militaire. Si des troupes de l'OTAN étaient invitées en Suisse pour des exercices, des troupes de milice pourraient également s'exercer avec elles. L'intérêt principal serait de créer, dans le respect de la neutralité, les conditions optimales pour pouvoir coopérer avec l'alliance et ses États membres en matière de défense en cas d'attaque commise contre la Suisse.

En outre, l'accès aux processus de suivi, de commandement et de planification de l'OTAN en ressortirait considérablement amélioré. Si l'Armée suisse veut également participer à des exercices de défense commune de l'OTAN avec des formations de milice, cela présupposerait une révision des bases légales, afin de rendre obligatoire le service d'instruction à l'étranger. Une éventuelle prolongation des cours de répétition et l'engagement de militaires en service long devraient également être prévus.
Afin d'améliorer l'interopérabilité pour la défense, une participation au Operational Capabilities Concept Evaluation and Feedback Programme (OCC E&F) pourrait être envisagée. Ce programme permet à l'OTAN d'examiner l'interopérabilité ainsi que les capacités militaires des formations de ses États partenaires avec un processus de certification. Afin de pouvoir coopérer sur le plan tactique ou sur celui des techniques de combat, l'OCC devrait au moins être mis en oeuvre pour les formations de l'armée participant aux exercices. Le cas échéant, l'OTAN pourrait éventuellement tester en Suisse même l'interopérabilité et les capacités militaires des formations de l'armée.

S'agissant de la coopération sur le plan sanitaire, une participation au NATO Multinational Medical Coordination Centre pourrait être envisagée. L'accent actuellement mis sur la coopération dans la planification des forces armées serait élargi à tous les 19

Grand Quartier général des puissances alliées en Europe (Supreme Headquarters Allied Powers Europe, SHAPE); Commandement des forces interarmées (Allied Joint Force Command, JFC), Naples (Italie); JFC Brunssum (Pays-Bas); Allied Air Command, Ramstein (Allemagne); Allied Land Command, Izmir (Turquie).

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sujets liés à la défense. Un approfondissement du partenariat, par exemple en tant que Enhanced Opportunities Partner (EOP) ou sous une autre forme, pourrait être visé aussi. De son côté, l'OTAN attend des partenaires EOP qu'ils fournissent, entre autres, des troupes pour au moins une opération de l'OTAN et qu'ils participent à des exercices avec elle, y compris ceux de défense collective. En outre, un accord définissant les prestations de soutien du partenaire aux forces armées de l'OTAN est nécessaire (p. ex. pour le transit de matériel et de personnel ou pour des exercices communs sur le territoire du pays partenaire). Un partenariat plus poussé faciliterait pour la Suisse l'accès aux exercices et programmes visant à renforcer l'interopérabilité ainsi qu'aux informations et aux connaissances qui en découlent. De plus, ces États partenaires sont en règle générale invités à des consultations portant sur la politique de sécurité et la politique militaire avec les alliés. En temps de crise, l'OTAN les associe plus étroitement et les consulte pour la préparation d'engagements. L'échange politique et politico-militaire gagnerait de cette manière en importance.

Une participation partielle de l'Armée suisse à des formations d'engagement de l'OTAN dites de High-Readiness20 pourrait être envisagée. Cette participation devrait toutefois être aménagée de sorte qu'elle soit compatible avec la neutralité, d'autant que ces formations rapidement disponibles sont destinées à couvrir tout l'éventail d'engagement.

Le nouveau concept stratégique de l'OTAN, récemment adopté, prévoit d'autres possibilités de coopération, par exemple dans les domaines cyber, des nouvelles technologies, de l'innovation, du climat et de l'environnement ainsi que de la protection de la population et de la résilience. L'OTAN est ouverte à des coopérations sur ces nouveaux thèmes. La Suisse pourrait par exemple prendre part au développement de principes normatifs dans les nouvelles technologies et y intégrer le potentiel de l'industrie et de la science. Elle pourrait aussi peser sur l'ouverture d'un Bureau de liaison de l'OTAN (Nato Liaison Office) à Genève afin d'encourager la coopération de l'OTAN avec la Genève internationale.

Conclusions La coopération avec l'OTAN est déjà bien établie. Elle pourrait être développée sur cette base
ou être amenée à un nouvel échelon qualitatif. Dans ses partenariats, l'OTAN a depuis toujours recherché une coopération sur mesure avec des États. Ces derniers temps, elle a encore davantage cherché à conclure des programmes de coopération individualisés, selon les intérêts et les possibilités de l'État partenaire concerné, même si les formats de coopération actuels comme le Partenariat pour la paix se poursuivent. Cela élargit la marge de manoeuvre et répond aux besoins de la Suisse.

Elle peut ainsi renoncer aux restrictions qu'elle a elle-même choisies sans pour autant violer la neutralité. En cas d'élargissement de la coopération à une participation à des exercices de défense collective, il faut non seulement prendre en compte les limitations découlant du système de milice mais aussi sonder les humeurs et intérêts de 20

Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (Very High Readiness Joint Task Force), Force de réaction de l'OTAN (NATO Response Force) ou formations similaires faisant partie du New Force Model décidé à la fin juin lors du sommet de Madrid. La Nato Response Force devra dans ce cadre être remplacée par la Allied Reaction Force, avec un accent mis désormais sur l'ensemble du territoire de l'alliance.

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l'OTAN. Jusqu'à présent, le partenariat était axé sur la sécurité coopérative, y compris l'interopérabilité, et non sur la défense.

Il convient aussi d'examiner comment la Suisse peut renforcer la coopération dans les domaines cyber, de la protection de la population et de la résilience des services et infrastructures critiques, où il existe un intérêt mutuel.

7.3

Coopération avec l'UE

La coopération aujourd'hui La Suisse participe à des engagements de gestion des crises civils et militaires de l'UE.

Elle participe avec un contingent à l'engagement militaire de promotion de la paix Eufor Althea en Bosnie-Herzégovine depuis 2004 et, depuis 2008, à la mission civile État de droit Eulex au Kosovo avec des experts.

La participation à des exercices se limite actuellement à des exercices cyber isolés, qui ont lieu dans le cadre de la coopération avec l'Agence européenne de défense.

Les projets de développement des capacités militaires menés dans le cadre de la Coopération structurée permanente (Permanent Structured Cooperation, Pesco) sont ouverts aux pays tiers à titre exceptionnel, s'ils apportent une valeur ajoutée significative. Pour l'instant, des pays tiers ne participent qu'au projet Military Mobility. À l'heure actuelle, une participation de la Suisse au projet Pesco Cyber Ranges Federation, qui sert à améliorer les exercices effectués en vue de lutter contre les cyberattaques, est préparée. L'UE soutient aussi les projets Pesco à l'aide de moyens issus du fonds européen de défense. Ce fonds pour la recherche et la coopération industrielle dans le domaine de la sécurité et de la défense dispose de 8 milliards d'euros pour la période financière 2021 à 2027. Des entreprises suisses peuvent sous certaines conditions participer à des consortiums, sans toutefois obtenir de moyens financiers.

Une coopération existe avec l'Agence européenne de défense depuis 2012 sur la base d'un cadre de coopération. S'agissant de la recherche et développement, la Suisse participe à sept Capability Technology Areas ainsi qu'à d'autres groupes de travail et projets. S'y ajoute la participation à trois programmes de formation de l'agence, notamment un programme d'exercice pour les équipages d'hélicoptères. La Suisse participe également à l'équipe de projet Cyber Defence.

Depuis 2017, une convention administrative a été conclue entre la Suisse et l'UE dans le domaine de l'aide civile en cas de catastrophe. La convention simplifie l'échange d'informations entre les centrales d'engagement de la Suisse et de l'UE. Le mécanisme de protection civile de l'UE améliore la prévention et la réaction face aux catastrophes, aux situations d'urgence et aux crises (notamment les conflits armés, les pandémies,
les pannes ou les pénuries de courant et les feux de forêt).

Au niveau administratif, un échange annuel sur la politique de sécurité a lieu entre le DFAE et le DDPS ainsi que le Service européen pour l'action extérieure. Il n'y a toutefois pas de dialogue régulier ou institutionnalisé sur le plan politique ou militaire sur les questions touchant à la sécurité et à la défense. Une possibilité d'échange po-

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litique existe vraisemblablement avec le Forum européen sur les partenariats en matière de sécurité et de défense (EU Security and Defence Partnerships Forum), auquel l'UE souhaite inviter tous les deux ans des représentants politiques de haut rang de ses partenaires. Au sein du Service européen pour l'action extérieure, dont l'état-major militaire de l'UE fait partie, un ressortissant suisse travaille dans le domaine de la médiation. La Suisse participe à côté de la Norvège au programme PIC de l'UE et peut échanger ses impressions sur des questions relatives à la conception et à la méthodologie avec la commission de l'UE et avec les États membres de l'UE.

Développements possibles Dans le cadre de la coopération existante, l'Armée suisse pourrait étendre la coopération avec l'Agence européenne de défense sur le plan de la formation et du développement des forces armées, utiliser davantage qu'aujourd'hui l'offre de formation et envoyer un plus grand nombre d'experts au sein d'organes de l'UE. Outre le projet Pesco Cyber Ranges Federation, la participation à d'autres projets pourrait être envisagée. La Suisse pourrait en outre participer aux missions de formation de l'UE et envoyer des officiers supérieurs au sein de l'état-major militaire de l'UE ainsi que plus d'experts civils au sein de missions de l'UE ou dans le Service européen pour l'action extérieure si l'UE le souhaite. La Suisse pourrait en outre proposer de formaliser les consultations avec l'UE sur le plan de la politique de sécurité et de les réaliser plus fréquemment ou d'organiser un symposium des partenaires de l'UE en Suisse.

Dans le domaine cyber, la Suisse pourrait suggérer la mise en place d'un dialogue cyber avec l'UE et examiner l'envoi de personnel auprès de l'Agence de l'Union européenne pour la cybersécurité (ENISA). Il serait également possible de contribuer financièrement à la Facilité européenne pour la paix (FEP).

Si la Suisse vise une coopération plus intensive avec l'UE, une participation au Hub pour l'innovation dans le domaine de la défense (Hub for Defence Innovation, HEDI), en cours de mise en place, pourrait par ailleurs être envisagée. L'UE entretient pour l'heure quatre missions de formation militaires et a à plusieurs reprises signalé son intérêt pour l'envoi de personnel instructeur militaire suisse. Une
participation suisse aux missions de formation de l'UE serait possible selon l'art. 66 de la loi sur l'armée après une analyse au cas par cas, pour autant que lesdites missions s'inscrivent dans le cadre d'un mandat de l'ONU. Une participation de l'armée à des formations de l'UE telles que la Capacité européenne de réaction rapide (EU Rapid Deployment Capacity) pourrait également être examinée. L'UE veut créer d'ici à 2025 des forces d'intervention de ce type, pouvant compter jusqu'à 5000 troupes. Ces forces interviendraient avant tout lors d'opérations de sauvetage, d'évacuation et de stabilisation.

L'UE veut par ailleurs élaborer d'ici à 2023 un concept pour les opérations aériennes (y compris pour l'appui aérien, le sauvetage et l'évacuation, la surveillance ainsi que les tâches d'aide en cas de catastrophe). La participation de la Suisse à ces forces d'intervention multinationales dépend du type d'engagements auquel elles sont destinées. Une participation à des opérations internationales de gestion de crise ou d'évacuation serait à concilier avec la neutralité. Seules les formations professionnelles de l'armée entreraient toutefois en ligne de compte pour ce faire.

Dans la protection de la population, la Suisse pourrait intensifier la coopération dans le cadre du mécanisme européen de protection civile dans l'analyse des risques et des 25 / 40

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dangers, dans la recherche et développement, dans la formation et les exercices et dans les engagements. À cet effet, elle pourrait examiner une adhésion en tant qu'État tiers dans cette procédure de l'UE. Elle pourrait aussi renforcer la coopération dans le domaine PIC au niveau opérationnel.

Conclusions S'agissant de la coopération ponctuelle actuelle avec l'UE, il y a moins d'instruments à disposition qu'avec l'OTAN, puisque l'UE ne bénéficie pas à ce jour de partenariats et de structures de coopération institutionnalisés. De telles structures pourraient toutefois être créées lors de la mise en oeuvre de la Boussole stratégique pour la sécurité et la défense de mars 2022. Pour le moment, l'UE réglemente la participation d'États tiers à chaque activité (promotion de la paix, Agence européenne de défense, Pesco) de manière séparée. Au contraire de ce qui se passe au sein de l'OTAN, les partenaires n'y ont pas le même statut, ce qui fait qu'il est plus compliqué pour un État tiers de participer. Des États tiers ne peuvent par exemple participer à des projets Pesco qu'à certaines conditions. De plus, jusqu'à présent, l'armée n'a identifié un besoin que pour quelques-uns des 60 projets Pesco en cours, parce qu'elle n'est pas concernée par la plupart d'entre eux (p. ex. les capacités de la marine). La solution la plus probable serait de détacher davantage de personnel dans des organes de l'UE et de renforcer la coopération avec l'Agence européenne de défense. La participation à des missions de formation militaires dirigées par l'UE ou à la EU Rapid Deployment Capacity recèle un potentiel particulier pour développer la coopération. Cette dernière peut également être étendue dans le mécanisme de protection civile de l'UE.

8

Conséquences pour l'orientation et les capacités de l'armée

Orientation de l'armée ces dernières années Au cours des trente dernières années, l'armée a été adaptée en permanence à l'évolution du contexte politico-sécuritaire. Si, pour l'essentiel, la mobilité des formations a été renforcée et les effectifs ont diminué, le budget de l'armée a été réduit continuellement. Ce n'est que ces dernières années que l'on a observé un renversement de tendance avec un budget de l'armée qui s'est élevé à 4,9 milliards de francs en 2021. En 1990, la Suisse consacrait environ 1,4 % de son PIB à la défense et aujourd'hui environ 0,7 %. Dans la conception d'Armée XXI, en 2004, on estimait, au vu de l'évolution favorable du contexte, que l'on pouvait miser sur un temps de préparation de plusieurs années pour augmenter la disponibilité opérationnelle de l'armée avant un engagement de défense. Depuis 2016, le développement de l'armée (DEVA) est mis en oeuvre. Il comprend une réduction de l'effectif réglementaire et une nouvelle structure de l'armée. Il se concentre sur l'appui aux autorités civiles. L'armée a ainsi été orientée vers les engagements les plus probables et moins sur la défense contre une agression armée ou sur la capacité de défense. Dans les années à venir, différents systèmes principaux de l'armée, qui déjà aujourd'hui ne répondent plus aux exigences d'un conflit armé moderne, arriveront au terme de leur durée d'utilisation. Le déve-

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loppement initié des capacités de l'armée est aussi une chance, celle de pouvoir adapter les capacités et les systèmes de l'armée aux spécificités et développements sur le plan militaire, technique et de la politique de sécurité.

Planification actuelle Au cours des dernières années, le DDPS a élaboré trois rapports posant certains fondamentaux pour l'orientation de l'armée ainsi que de ses capacités à moyen et long terme, à savoir Avenir de la défense aérienne (2017), Avenir des forces terrestres (2019) et Conception générale cyber (2022).

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Afin de protéger la Suisse contre les menaces aériennes et rendre possible l'engagement des troupes terrestres, l'armée a besoin à l'avenir également d'avions de combat performants ainsi que de systèmes de défense sol-air de différentes portées. Les acquisitions déjà lancées et planifiées vont dans ce sens (installations de radar et de conduite, avions de combat F-35A, défense sol-air de longue portée Patriot, puis plus tard en plus défense sol-air de courte et moyenne portées).

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En 2019, le Conseil fédéral a décidé d'axer davantage le développement de l'armée sur des formes de conflits hybrides. Les troupes terrestres doivent être en mesure d'aider, de protéger et de combattre en même temps et dans un même secteur, dans un environnement confus avec des petites formations aussi autonomes que possible. Elles ont pour ce faire besoin de capteurs interconnectés performants ainsi que de systèmes plus légers, mobiles, précis et polyvalents.

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La conception générale Cyber définit les capacités dont l'armée doit disposer dans le cyberespace et dans l'espace électromagnétique ainsi que sur le plan des technologies de l'information et de la communication. Dans le même temps, elle crée la base nécessaire à la transformation numérique de la troupe.

Les premiers enseignements de la guerre en Ukraine montrent que cette conception, en particulier l'acquisition d'un avion de combat moderne et la reconstitution de la défense sol-air de longue portée, est la bonne. L'armée a planifié ses projets d'armement au cours de ces dernières années à l'appui de ces trois rapports fondamentaux; planifications qu'elle a ensuite régulièrement affinées. La planification de l'armée ne se concentre pas sur des systèmes qui devront être remplacés à un moment donné, elle s'attache bien plus à savoir quelles sont les capacités militaires dont l'armée a besoin pour l'accomplissement de ses tâches et comment celles-ci doivent être réorientées ou développées. Ce développement de l'armée axé sur les capacités est un processus continu qui s'appuie sur une appréciation permanente de la situation en matière de politique de sécurité, sur les évolutions dans le contexte stratégique de la Suisse qui revêtent une importance sur le plan militaire, sur les leçons tirées des conflits armés ainsi que sur une évaluation en continu du progrès technologique.

Avec le message sur l'armée 2022, le Conseil fédéral a demandé des crédits pour l'acquisition des avions de combat F-35A et du système de défense sol-air de longue portée Patriot. Ces acquisitions importantes font qu'il y a moins de moyens disponibles à court terme pour couvrir d'autres domaines. À moyen terme, le but est toute-

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fois d'investir à nouveau plus fortement dans les capacités des troupes terrestres, notamment dans des systèmes pour l'appui de feu indirect et pour la recherche d'informations au sol.

Vers la fin des années 2020, il est prévu de poursuivre le développement des capacités en matière de défense sol-air, afin qu'il soit aussi possible de combattre efficacement des cibles dans l'espace aérien inférieur et intermédiaire. L'armée veut par ailleurs aussi évaluer le remplacement des hélicoptères de transport Super Puma et Cougar et examiner également dans quelle mesure les capacités de l'armée peuvent être complétées par de nouveaux moyens. La mise en place d'un système d'innovation pour la défense vise à permettre le développement et l'introduction de méthodes et moyens novateurs dans le cadre du droit international humanitaire (droit des conflits armés) directement auprès de la troupe, à travers ses utilisateurs. De la sorte, l'armée entend se doter de la capacité de procéder dans certains domaines de manière aussi peu conventionnelle que l'Ukraine le fait en engageant des drones en vente dans le commerce.

Premières leçons tirées de la guerre en Ukraine Les enseignements de la guerre en Ukraine pour l'armée sont tirés au fur et à mesure, pour autant qu'ils soient applicables à la Suisse. Différentes formes d'engagement et différents moyens peuvent être observés en parallèle. D'une part, un grand nombre de moyens militaires conventionnels, utilisés de manière plutôt conventionnelle, d'autre part, des moyens nouveaux, non conventionnels, comme des mini-drones armés et de la communication satellitaire en combinaison avec l'artillerie, utilisés en particulier par le côté ukrainien. Les travaux de mise en oeuvre en cours découlant des rapports posant les fondamentaux pour les capacités nécessaires de l'armée ont été réexaminés à la lueur de la guerre en Ukraine. Les observations faites jusqu'à présent permettent de conclure que la planification des capacités est globalement sur la bonne voie. Pour la défense, les principales leçons tirées à cet égard sont les suivantes.

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Conduite et logistique: une condition centrale à toute action militaire est que les formations soient reliées entre elles au sein d'un réseau pour échanger des informations sans délai et qu'elles puissent tenir le plus longtemps possible sur le plan logistique. Des moyens de communication robustes et protégés ainsi qu'une logistique fonctionnelle revêtent donc une importance existentielle.

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Défense aérienne: la défense doit être capable de neutraliser ou de limiter les attaques venant des airs à l'aide d'avions de combat et d'une défense sol-air, afin de permettre les actions des propres troupes et de protéger les infrastructures. La défense aérienne ukrainienne engage des systèmes de portée courte à longue. Les tirs air-sol permettent de combattre des cibles-clés, de désactiver des capteurs importants et d'arrêter les formations en approche. Des moyens aériens et terrestres de longue portée sont déployés depuis la Russie sur des infrastructures importantes ainsi que des cibles-clés dans l'arrière-pays ukrainien.

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Défense antichar: des missiles antichars modernes font partie des principaux moyens de défense. Ces armes sont faciles à utiliser et très efficaces contre les formations mécanisées. Dans la phase initiale de la guerre, elles ont avant tout

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servi à user les formations mécanisées russes en approche en terrain difficile et à limiter la capacité d'action des forces armées russes.

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Appui de feu indirect: l'artillerie à tube, l'artillerie à roquette, les mortiers et les drones armés sont d'une grande importance pour les deux camps. L'armée russe prépare presque chaque poussée à l'aide de tirs d'artillerie massifs.

Quant aux forces armées ukrainiennes, elles usent de leur artillerie pour regagner du terrain et combattre des cibles-clés dans la profondeur. Les drones armés et non armés jouent un rôle important pour le déploiement de l'artillerie et la lutte contre des cibles-clés.

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Mobilité: il s'avère que les petits véhicules de combat tout terrain sont plus difficiles à repérer et à combattre dans les zones bâties et boisées que les moyens lourds. Ces derniers sont en effet rapidement repérés des deux côtés, avant tout à l'aide de drones, et combattus avec succès. Le degré de protection et la capacité de pénétration des véhicules de combat jouent toutefois un rôle important dans les actions d'attaque visant à reconquérir du terrain.

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Capacité à durer: elle dépend fortement des réserves de matériel et de munitions, ce qui nécessite une infrastructure protégée et décentralisée. Les biens de remplacement et les munitions additionnelles peuvent dans le meilleur des cas être retirés auprès de pays partenaires.

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Guerre en milieu urbain: comme la guerre se déroule de plus en plus en zone urbaine, la population civile qui y vit et ses conditions d'existence sont durablement et considérablement altérées. Raison pour laquelle les moyens et les méthodes mentionnés de la guerre (notamment ceux de l'artillerie ou du feu indirect) doivent toujours être engagés dans le respect du droit international.

Cela présuppose une instruction correspondante de l'armée à l'échelon stratégique, opératif et tactique.

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Cyber comme moyen de guerre: les moyens cyber sont utilisés en premier lieu pour la préparation et l'appui des actions militaires avec un effet limité dans le temps et en termes de dégâts. Il s'agit surtout de limiter les capacités militaires de la partie adverse et de nuire à l'économie et à la société pour affaiblir la volonté de défense. Les entreprises technologiques jouent un rôle d'une importance grandissante dans ce domaine et elles coopèrent directement avec les États.

Ces observations confirment dans une large mesure l'orientation des capacités de l'armée présentée dans les rapports fondamentaux. La capacité de commandement n'est pas seulement augmentée par un réseau de conduite, par la télécommunication et des centres de calcul mais également par un commandement cyber. Un nouveau système d'information de planification et de suivi de la situation doit permettre d'améliorer la planification des actions et le suivi de la situation. Afin de protéger la population et l'armée contre les attaques aériennes, il faut à la fois des avions de combat et des moyens de défense sol-air. L'acquisition de systèmes de défense aérienne au sol de moyenne et petite portée est nécessaire pour pouvoir combattre les avions et les hélicoptères de combat volant à basse altitude, les missiles de croisière et les drones en approche. La capacité d'appui de feu indirect sur des distances pouvant aller jusqu'à

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quelques kilomètres peut être garantie à l'aide des mortiers 19 et 16. Un nouveau système est prévu pour l'artillerie, qui permet d'appuyer des formations de combat à travers un feu indirect précis, et ceci sur des distances bien plus grandes qu'avec les obusiers blindés M-109 actuels. Quant à la mobilité, il est prévu de l'améliorer dans les années à venir grâce à de nouveaux véhicules à roues protégés, se prêtant mieux aux missions en terrain bâti que les véhicules à chenilles.

Capacités manquantes et mesures immédiates Les enseignements tirés du déroulement de la guerre jusqu'à présent montrent cependant aussi des lacunes critiques en matière de capacités au sein de l'Armée suisse, concernant notamment la défense antichar de longue portée. Depuis la mise hors service du chasseur de chars 90, les troupes terrestres n'ont plus de moyens pour combattre des cibles blindées mobiles à une distance de plusieurs kilomètres. Il est prévu de reconstituer cette capacité avec l'acquisition d'un missile sol-sol de longue portée.

Tout aussi critique est la capacité à durer, notamment en ce qui concerne les réserves de munitions. Les quantités acquises sont aujourd'hui en premier lieu déterminées par les besoins de l'instruction. Des munitions de guerre coûteuses et des missiles n'ont été acquis qu'en petites quantités. En cas de hausse du budget de l'armée, il faudra, conformément aux enseignements de la guerre en Ukraine, augmenter les stocks de munitions et de missiles pour l'engagement. Il est d'ores et déjà prévu de demander plusieurs centaines de millions de francs pour de telles acquisitions dans le cadre du programme d'armement 2023.

Les projets d'investissement concrets et l'orientation à long terme de l'armée seront présentés au Parlement à partir de 2024 sous la forme d'un message sur l'armée orienté sur les capacités. Celui-ci contiendra des valeurs de référence pour l'orientation de l'armée et ses capacités, avec un horizon temps de douze ans, dans le but de mettre en oeuvre les leçons identifiées ainsi que de combler les lacunes de capacités constatées.

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Enseignements pour d'autres domaines concernés

9.1

Détection précoce

La guerre a des conséquences sur différents instruments et champs politiques relevant de la politique de sécurité, pas seulement sur l'orientation, la coopération et les moyens de l'armée. La guerre renforce ainsi la nécessité de poursuivre le développement des compétences en matière de détection précoce et d'anticipation sur le plan de la politique de sécurité et d'assumer cette tâche en coordination avec divers organes fédéraux de manière encore plus étendue et systématique. Cela confirme aussi l'importance d'une présentation intégrale de la situation. Il faudra à cet égard tenir compte des intérêts et contributions de différents organes aussi bien étatiques que non étatiques en Suisse et les intégrer. Cela permettra de mieux prendre en compte l'impact des conflits dans tous les domaines liés à la politique de sécurité, par exemple dans le secteur énergétique, pour pouvoir renforcer la résilience et la sécurité de l'approvisionnement.

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9.2

Protection de la population

La guerre montre brutalement toute la vulnérabilité de la population civile et nous rappelle par là même toute l'importance de la protection de la population, et de la protection civile qui en fait partie. Différents projets ont été mis sur les rails ces dernières années, dont l'intérêt apparaît encore plus évident aujourd'hui. Avant même la guerre en Ukraine, il était déjà clair que ces projets devaient être menés à bien le plus rapidement possible. Aujourd'hui, on en a la confirmation.

L'analyse nationale des risques «Catastrophes et situations d'urgence en Suisse» (CaSUS) a identifié comme risques les plus probables les pénuries d'approvisionnement, surtout dans le secteur de l'énergie, les dangers naturels tels que les intempéries, les inondations ou les vagues de chaleur, tout comme la défaillance de la téléphonie mobile et une pandémie. C'est ainsi qu'au cours des dernières décennies, la protection de la population a eu tendance à s'éloigner des scénarios de guerre pour se concentrer sur les catastrophes et les situations d'urgence causées par d'autres facteurs.

Dans quelques domaines, qui ont été traités de manière moins prioritaire ces dernières années, il convient désormais, à la lumière des enseignements tirés de la guerre en Ukraine, de procéder à des adaptations.

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Système coordonné de protection de la population: le système coordonné de protection de la population est aujourd'hui principalement axé sur les catastrophes et les situations d'urgence. Ses tâches, son organisation et ses compétences doivent désormais être adaptées dans la perspective d'un conflit armé.

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Profil de prestations de la protection civile: le profil des prestations de la protection civile porte aujourd'hui principalement sur les domaines de la gestion des dommages, du déblaiement et de la remise en état, de la sécurisation, de la logistique et de l'aide à la conduite. Pendant la pandémie déjà, mais aussi dès l'arrivée des réfugiés d'Ukraine, il s'est avéré que le domaine de l'assistance devait à nouveau être renforcé. La population doit notamment être prise en charge lorsque l'occupation des abris est ordonnée. Il convient de revoir le profil de la protection civile dans la perspective d'un conflit armé, tout comme l'instruction dans le domaine de la protection de la population et de la protection civile.

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Mise à disposition des ouvrages de protection: ces dernières années, la question de savoir dans quelle mesure il fallait encore investir dans les ouvrages de protection a donné lieu à de nombreuses discussions. L'entretien des installations a été en partie négligé. La guerre en Ukraine a mis en évidence la nécessité des ouvrages de protection, en ce qui concerne tant les abris pour la population que les postes de commandement et les postes d'attente. Le concept des ouvrages de protection en cours d'élaboration a été une nouvelle fois remanié dans la perspective d'un conflit armé. Il doit permettre de clarifier les besoins futurs en ouvrages de protection.

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Mise à disposition des constructions sanitaires protégées: la majorité des constructions sanitaires protégées sont obsolètes, voire inutilisables aujourd'hui. Dans la perspective d'un conflit armé, ces installations revêtent à

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nouveau une importance accrue. Il s'agit de clarifier le plus rapidement possible les besoins futurs en installations de ce type en collaboration avec les cantons, notamment les services responsables de la santé publique.

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Information de la population sur les abris et l'occupation des abris: jusqu'au début de cette année, l'occupation des abris semblait plutôt improbable. Par conséquent, au cours des dernières années, l'information de la population concernant les abris ne revêtait pas un caractère prioritaire. Or, la guerre en Ukraine a entraîné un besoin considérable d'information du public. Dès lors, du matériel d'information sur les abris et sur l'occupation des abris sera préparé et distribué. La répartition de la population dans les abris (planification d'attribution) sera aussi communiquée de façon plus efficace et plus transparente, avec l'aide des cantons et des communes.

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Développement des systèmes d'alarme et d'information de la population: la Suisse dispose aujourd'hui d'un système multicanal d'alarme et d'information de la population qui fonctionne bien et qui repose sur les sirènes, la radio et les canaux d'Alertswiss. Outre le maintien de la valeur de ces canaux, il convient aussi d'assurer le développement de l'ensemble du système pour l'adapter aux progrès technologiques, en tenant aussi compte du scénario d'un conflit armé.

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Renforcement de la protection NBC: l'OFPP dispose de deux éléments centraux pour la protection NBC, soit le Laboratoire de Spiez et la Centrale nationale d'alarme. Le projet d'état des lieux de la protection NBC en Suisse a permis de déterminer les possibilités d'améliorer la collaboration entre les différents acteurs et moyens. Les résultats de cet état des lieux doivent à présent être mis en oeuvre dans les plus brefs délais.

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Résilience: la capacité de résistance, d'adaptation et de régénération ou la capacité à surmonter des situations de crise concerne notamment la protection des infrastructures critiques, la sûreté intérieure, la cybersécurité, la protection en cas de catastrophe et l'aide humanitaire ainsi que la durabilité. En raison de la guerre en Ukraine, l'OTAN et l'UE adaptent leurs stratégies en matière de résilience, y compris la coopération avec des partenaires, ce qui offre de nouvelles possibilités à la Suisse.

9.3

Gestion des crises

La guerre en Ukraine et ses conséquences étendues ont une nouvelle fois montré, peu après la pandémie, à quel point il était important et urgent d'avoir une organisation et une préparation de crise efficaces, bien rodées et reposant sur des bases solides. Avec ses décisions du 22 juin 2022 portant sur la deuxième évaluation de la gestion de crise de l'administration fédérale durant la pandémie de COVID-19, le Conseil fédéral a déjà donné des mandats déterminants à cet égard, puisque la ChF et le DDPS ont été chargés d'élaborer avant la fin mars 2023 et conjointement avec les autres départements des variantes pour l'organisation de la gestion de crise de l'administration fédérale sur les plans stratégique et opérationnel. Il s'agit notamment de montrer com-

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ment une gestion de crise prévoyante et globale peut être assurée au niveau stratégique. Au niveau opérationnel, il s'agit notamment de montrer comment le soutien à la gestion de crise au profit des unités administratives responsables peut être amélioré.

L'examen déjà engagé des tâches, compétences et responsabilités de l'État-major fédéral Protection de la population (EMFP) poursuit également ce même objectif. Les réflexions sur la gestion de crise de la Confédération porteront également sur la nécessité d'une coopération internationale.

9.4

Criminalité, approvisionnement énergétique et régime de l'asile

Pour lutter contre les effets négatifs de la guerre en Ukraine sur la criminalité en Suisse, il est impératif d'échanger des informations policières et de dresser un tableau complet de la situation sur la base de ces informations avec les autorités partenaires nationales et internationales. À cet égard, la coopération au sein de l'espace Schengen ainsi que l'échange d'informations avec Europol et Interpol sont incontournables. La participation de la Suisse à EMPACT (European Multidisciplinary Platform Against Criminal Threats) joue un rôle-clé dans ce contexte.

Les défis inhérents à l'approvisionnement énergétique mettent en évidence la vulnérabilité d'un système d'approvisionnement qui est fortement tributaire des importations. S'agissant des énergies fossiles, la Suisse est en effet complètement dépendante de ces dernières. La réorganisation en cours de l'approvisionnement énergétique avec une amélioration de l'efficience énergétique et un développement des énergies renouvelables dans le pays améliore la sécurité d'approvisionnement et doit être accélérée.

À court terme, les mesures pertinentes consistent à créer une réserve de gaz hivernale, une réserve d'énergie hydraulique et à libérer des aides financières subsidiaires pour maintenir le fonctionnement des entreprises d'électricité critiques pour le système. Le Conseil fédéral a déjà soumis au Parlement les projets de loi nécessaires. Les dispositions des ordonnances correspondantes sont en partie décidées, en partie en préparation.

Le régime suisse de l'asile a également fait ses preuves face aux mouvements de fuite en provenance d'Ukraine et a démontré sa flexibilité. Aucune adaptation de fond ne s'impose. Une bonne coordination et concertation au niveau européen reste en revanche déterminante. Des progrès sont nécessaires à cet égard sur le plan de la réforme du système d'asile européen, en faveur desquels le Conseil fédéral s'engage.

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Conclusions

Les fondements, buts et priorités de la Suisse en matière de politique de sécurité existent. Ils ont été axés sur un environnement de sécurité fortement dégradé. Il s'agit à présent de mettre en oeuvre les objectifs fixés dans le rapport sur la politique de sécurité 2021, notamment là où la guerre en Ukraine a rendu le besoin d'agir plus urgent encore. Il s'agit en l'occurrence du renforcement de la détection précoce, de l'orien-

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tation plus marquée sur tout l'éventail des conflits hybrides, conflit armé, désinformation et cybermenaces compris, ainsi que du renforcement de la résilience et de la sécurité d'approvisionnement, de la protection contre les catastrophes et les situations d'urgence ainsi que de la gestion de crise.

Sur le plan stratégique, la guerre concerne avant tout le secteur-clé de la politique de sécurité, en l'occurrence la politique de défense. Afin que l'armée soit en mesure de combattre une attaque armée, elle doit pouvoir protéger et défendre la Suisse sur tout l'éventail des menaces hybrides. Le développement et la modernisation de l'armée s'appuient sur des bases solides, qui prennent en compte le conflit armé. La hausse des moyens financiers de l'armée permet concrètement ­

de combler plus rapidement les lacunes de capacités existantes constatées dans la planification actuelle;

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de maintenir les capacités existantes dans l'éventail complet des capacités de l'armée et de constituer des capacités pour repousser une attaque armée, tout en intégrant continuellement les enseignements militaires tirés de la guerre en Ukraine;

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d'accroître la capacité de défense contre une attaque armée et la capacité à durer par une augmentation des stocks de munitions et de missiles pour l'engagement.

La guerre a entraîné une nouvelle dynamique dans la coopération en matière de politique de sécurité et de défense en Europe. Au vu de la menace représentée par la Russie, celle-ci sera intensifiée, aussi bien dans le cadre de l'OTAN que de l'UE, même si l'OTAN reste centrale pour la sécurité et la défense de l'Europe. Or, pour renforcer sa sécurité au milieu de l'Europe, la Suisse doit être partie prenante de cette coopération.

En sa qualité d'État neutre, la Suisse doit pouvoir assurer l'inviolabilité de son territoire dans la limite du possible. La Suisse veut pouvoir se défendre de manière autonome, ce qui ne sera toutefois pas toujours possible. Selon la puissance de l'assaillant et les moyens dont il dispose, la Suisse aurait en effet besoin de l'appui d'autres États pour se défendre. C'est pourquoi elle s'efforce depuis longtemps déjà de disposer des deux options en cas d'agression armée, à savoir se défendre de manière autonome ou organiser sa défense avec d'autres États. Afin d'améliorer l'interopérabilité militaire et accroître ainsi la liberté d'action de la Suisse, l'armée doit préparer la coopération internationale à temps. Pour ce faire, les possibilités de coopération doivent être utilisées pour améliorer la capacité de défense tout en restant neutre.

Les possibilités ci-après existent à cet égard.

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Intensification de la coopération avec l'OTAN, notamment: ­ en développant les contributions dans les engagements de promotion de la paix; ­ en élargissant l'interopérabilité aux domaines pertinents pour la défense; ­ en occupant des fonctions d'état-major et de liaison au sein de la structure de commandement de l'OTAN, et

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en renforçant la participation de la Suisse aux centres d'excellence certifiés par l'OTAN.

Développement de la coopération avec l'OTAN sur le plan de la politique de sécurité, notamment: ­ en participant à des exercices sur l'ensemble de l'éventail (y compris en examinant les conditions et moyens permettant une participation à des exercices de défense commune); ­ en utilisant l'OCC (Operational Capabilities Concept Evaluation and Feedback Programme) pour garantir l'interopérabilité sur un large éventail de capacités, et ­ en sondant l'OTAN pour une intensification du statut de partenariat, p. ex. comme EOP.

Intensification de la coopération avec l'UE, notamment:


en formalisant et en intensifiant les consultations en matière de politique de sécurité;



en coopérant avec l'Agence européenne de défense pour ce qui est de la formation et du développement des forces armées;



en participant au projet Pesco Cyber Ranges Federation et en visant à participer à d'autres projets;



en participant à des missions de formation de l'UE et en examinant l'envoi d'officiers supérieurs au sein de l'état-major militaire de cette dernière.

Développement de la coopération avec l'UE sur le plan de la politique de sécurité, notamment:


au moyen d'un examen de la participation au Hub for EU Defence Innovation;



au moyen d'une participation de l'armée à des formations de l'UE comme la EU Rapid Deployment Capacity (pour des opérations de sauvetage, d'évacuation et de stabilisation).

Les enseignements tirés jusqu'à présent de la guerre en Ukraine montrent également qu'il est nécessaire d'agir au niveau de la protection de la population, afin que celleci puisse, dans la perspective d'un conflit armé, remplir ses tâches de protection de la population et des conditions d'existence. La coopération internationale et les mesures indigènes peuvent toutes deux contribuer au renforcement de la protection de la population. Plusieurs possibilités s'offrent ici: ­

intensifier la coopération avec l'OTAN, notamment en examinant comment et où la coopération pourrait être renforcée dans les domaines de la protection de la population, de la protection NBC et de la résilience des services et infrastructures critiques;

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intensifier la coopération avec l'UE, notamment par l'examen de l'adhésion au mécanisme de protection civile de l'UE en tant que pays tiers;

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examiner dans quelle mesure la protection de la population doit être davantage axée sur le conflit armé, notamment en développant l'image intégrale de la situation;

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vérifier le système coordonné de protection de la population et le profil de prestations de la protection civile ainsi que des formations correspondantes;

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établir un concept pour les besoins en ouvrages de protection (abris, postes de commandement, postes d'attente et installations sanitaires protégées), y compris le matériel d'information destiné à la population;

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développer les systèmes d'alerte et d'information de la population;

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renforcer la protection NBC en vue de la protéger la population, les forces d'intervention civiles et l'armée.

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Annexe Synthèse de l'analyse du CSS Dans son analyse du 24 août 202221, le Center for Security Studies (CSS) recommande que la Suisse intègre les objectifs de coopération qu'elle a définis en matière de politique de sécurité et de défense dans des lignes directrices politiques afin qu'ils puissent être clairement communiqués vis-à-vis de l'extérieur et représentés au niveau du gouvernement. Il propose de mentionner expressément dans le rapport complémentaire les raisons qui plaident en faveur d'un resserrement de la coopération. Il cite lui-même entre autres l'imbrication étroite des sociétés fortement intégrées sur les plans technologique et économique, l'accentuation des menaces internationales par-delà de vastes étendues géographiques (y compris les cybermenaces, les armes à distance) et aussi la complexité technique et les coûts des capacités militaires futures. Il recommande de profiter de la marge de manoeuvre laissée par la politique de neutralité pour élargir et approfondir la coopération en matière de sécurité et de défense et, à cet effet, de se servir des différents canaux de la coopération internationale (OTAN, UE, bilatérales), non pas en les opposant, mais en les mettant à profit de manière complémentaire.

Ensuite, il attire l'attention sur le fait que la coopération internationale doit toujours procurer un avantage réciproque et ne peut se substituer à la constitution de propres capacités nationales.

Concernant les possibilités d'une coopération renforcée avec l'OTAN, le CSS se prononce pour une intensification des contacts de haut rang et la création d'un cadre politique permettant une coopération plus étroite. Il recommande d'examiner si le statut de partenaire EOP (Enhanced Opportunities Partner) présente un intérêt pour la Suisse. Ensuite, le CSS propose d'assurer la capacité de coopération militaire par-delà l'éventail complet des capacités de l'armée pour renforcer la propre capacité de défense. Il considère, pour le renforcement de la coopération, qu'une priorité particulière doit être accordée à l'armement et au développement des capacités en raison du développement technologique de plus en plus dynamique, de la transformation numérique et de la spirale des coûts. Il voit d'ailleurs dans le nouveau commandement Cyber et le programme Air2030 des points de départ prometteurs
à ce sujet. Ensuite, il préconise une extension de la participation de la Suisse aux exercices, notamment de défense commune. Selon lui, le domaine technologique dans son ensemble offre un potentiel non négligeable pour une coopération future, notamment l'intelligence artificielle, la robotique, le cyber et les drones.

Concernant la coopération avec l'Union européenne, il prône l'établissement d'un dialogue permanent au niveau de la politique de sécurité ainsi que l'examen d'une participation à des projets dans le cadre de Pesco et du European Defence Fund (EDF) pour des raisons de politique industrielle. Ensuite, il faudrait selon lui que la Suisse approfondisse la coopération dans le domaine de la science, de la technologie et de l'innovation et envisage, dans le cadre de cette démarche, la possibilité d'une participation au HEDI.

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«Sicherheits- und verteidigungspolitische Kooperation der Schweiz in Europa: Politische Leitlinien, Optionen der Weiterentwicklung, inhaltliche Schwerpunkte, Koordination und Steuerung», 24 août 2022.

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Dans l'ensemble, le CSS se prononce en faveur d'une coopération élargie et approfondie en matière de politique de sécurité et de défense de la Suisse autour des trois axes essentiels suivants: coopération pour renforcer la capacité de défense; transformation numérique, science, technologie et innovation; promotion de la paix, résilience, sécurité coopérative. Les recommandations et les conclusions formulées dans l'analyse du CSS ont été intégrées dans le rapport complémentaire.

Synthèse de l'analyse de Jean-Jacques de Dardel Dans son analyse du 20 août 202222, l'auteur fait observer que la guerre en Ukraine va changer durablement la situation et l'ordre sécuritaires en Europe et au-delà. La politique de sécurité de la Suisse doit s'adapter à cette nouvelle donne. Cela nécessite des investissements supplémentaires et un changement de paradigme dans la coopération internationale, car la Suisse ne peut pas relever seule de manière efficace les défis en rapport avec une agression armée, un conflit hybride, des cyberattaques, des difficultés d'approvisionnement en énergie et des menaces nucléaires.

Le renforcement de la sécurité de la Suisse exige aussi une préparation minutieuse et une collaboration étroite entre les acteurs publics et privés. Au niveau militaire, il faut moderniser rapidement les moyens de l'armée et accroître l'interopérabilité avec l'OTAN et l'Union européenne sans abandonner le statut de neutralité. Il faut que la Suisse se montre comme un partenaire engagé et de qualité, par exemple par des contributions apportées dans des secteurs stratégiques comme la recherche, le développement et l'innovation.

En outre, l'auteur suggère que la Suisse, de la même façon que la Finlande et la Suède l'ont fait jusqu'à présent, envisage de participer à des exercices de défense collective et ce, avec des formations militaires. Il propose aussi que la Suisse envoie des officiers supérieurs et des experts en plus grand nombre dans les états-majors internationaux de l'OTAN et de l'Union européenne ­ un point qui, selon lui, devrait être mieux pris en compte dans la planification de la carrière. Le développement de partenariats, compte tenu des engagements et des capacités industrielles, doit être encouragé. Il préconise de favoriser des coopérations dans le domaine cyber, les services de renseignement,
l'approvisionnement, l'acquisition d'armement et les menaces nucléaires, de même qu'un dialogue politique au plus haut niveau avec l'OTAN et l'Union européenne. Pour conclure, il recommande de renforcer la participation de la Suisse à la promotion militaire de la paix de ces organisations.

Les recommandations concrètes coïncident à quelques détails près avec les réflexions et les propositions du rapport complémentaire pour un approfondissement de la coopération, notamment pour ce qui concerne les réflexions au sujet de la participation à des exercices de défense commune, l'examen du statut de partenaire EOP, le renforcement de l'interopérabilité et des capacités de l'armée dans la défense antichar et la défense contre avions ainsi que le développement de la robotique et des drones. Les conclusions de l'expert rejoignent celles du rapport qui propose également d'envoyer davantage de personnel dans les commissions de l'OTAN et de l'Union européenne,

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«Rapport sur la politique de sécurité de la Suisse dans un environnement sécuritaire altéré», 20 août 2022.

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de développer la coopération avec l'Agence européenne de Défense (AED) et la participation à des projets Pesco ainsi que d'encourager la coopération de l'industrie avec le EDF. Dans son analyse, l'auteur propose de se pencher sur des sujets que le DDPS traite déjà, comme la prise en compte des engagements à l'étranger dans la planification de la carrière militaire ou une information plus étayée de la population sur le renforcement de la coopération internationale dans le respect de la neutralité. Il met particulièrement l'accent sur le rôle des trois centres de Genève, sur des initiatives comme le Geneva Science and Diplomacy Anticipator, sur le renforcement des capacités de la Suisse et de sa coopération avec l'OTAN et l'UE dans le domaine cyber ainsi que sur la modernisation des abris antiatomiques en cas d'incidents nucléaires.

Enfin, il aborde aussi la question d'une facilitation des survols de la Suisse par les troupes de l'OTAN et l'acquisition d'avions de transport militaires. Ce n'est que sur ce dernier point que les évaluations diffèrent.

Pour l'essentiel, l'analyse indépendante aboutit aux mêmes résultats que le rapport complémentaire. Cela se vérifie tant pour l'analyse de la situation de la menace eu égard à la guerre que pour les répercussions sur l'Europe et pour les conséquences à tirer et les mesures à prendre pour la politique de sécurité de la Suisse, en particulier la coopération internationale.

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