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Analyse de la situation des indépendants en matière de prévoyance professionnelle Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 16.3908 de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique CSSS-N du 14 octobre 2016 du 22 juin 2022

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Condensé Des voix s'élèvent régulièrement pour demander que l'on examine les possibilités d'amélioration en matière de prévoyance professionnelle pour les indépendants, y compris l'introduction de l'obligation de s'assurer dans le domaine de la prévoyance professionnelle. La situation que connaissent certaines catégories d'indépendants apparaît en effet problématique. Comme les indépendants ne sont pas soumis à l'obligation de se constituer un 2e ou un 3e pilier en complément du 1er pilier, le risque existe qu'ils dépendent trop fortement du régime des prestations complémentaires en cas de lacune de leur prévoyance individuelle après le passage à la retraite.

Dans ce contexte, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a déposé un postulat 16.3908, accepté le 8 décembre 2016 par le Conseil national, qui charge le Conseil fédéral de présenter un rapport d'analyse portant sur la situation des travailleurs indépendants en matière de prévoyance professionnelle. Ce rapport doit se pencher en particulier sur les éventuelles lacunes au niveau de la prévoyance des personnes exerçant une activité indépendante et sur la situation des personnes qui cumulent, à temps partiel, un emploi salarié et une activité indépendante. Des modèles d'assurance possibles devront être examinés, de même que leurs conséquences sur les prestations complémentaires.

Pour répondre aux questions du postulat, le présent rapport est structuré en trois parties.

La première partie du rapport examine sous un angle historique comment a évolué la question d'une prévoyance professionnelle facultative ou obligatoire pour les indépendants.

La deuxième partie du rapport présente le résultat de deux études mandatées pour récolter le matériel scientifique nécessaire pour déterminer le degré de couverture en matière de prévoyance professionnelle et vieillesse des indépendants et des personnes cumulant activités salariée et indépendante.

La troisième partie du rapport passe en revue différentes pistes destinées à améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories d'indépendants «à risque», c'est-à-dire les individus que les deux études ont identifiés comme n'étant pas toujours en mesure de se constituer une prévoyance individuelle suffisante. Les pistes, dont certaines sont modulées sous
forme de variantes, cherchent toutes à apporter une réponse aux problèmes spécifiques relevés pour les différents groupes d'indépendants.

Situation juridique actuelle, évolution historique et environnement institutionnel Les indépendants ne sont pas soumis obligatoirement à la prévoyance professionnelle.

En effet, la Constitution fédérale ne prévoit d'assurance obligatoire que pour les salariés. Pour les indépendants, elle ne prévoit qu'une assurance facultative. Elle donne toutefois à la Confédération la compétence de déclarer la prévoyance professionnelle obligatoire pour certaines catégories de personnes exerçant une activité indépendante, d'une façon générale ou pour couvrir des risques particuliers. La législation sur la prévoyance professionnelle permet en effet de soumettre des indépendants à 2 / 46

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une obligation d'assurance à la requête d'organisations professionnelles, conformément à ce qui est prévu par la Constitution. C'est le Conseil fédéral qui doit alors soumettre à l'assurance l'ensemble des personnes indépendantes appartenant à cette organisation. L'assurance peut alors être complète (invalidité, décès, retraite) ou ne couvrir qu'un risque particulier. Cette possibilité législative n'a jamais été utilisée jusqu'à maintenant.

L'environnement institutionnel de la prévoyance professionnelle pour les indépendants se composent de trois groupes distincts de prestataires. Le premier groupe auquel peuvent s'adresser les indépendants seuls ou avec des employés est constitué d'un éventail de fondations communes liées de près ou de loin à des associations professionnelles. Ces dernières jouent parfois un rôle moteur pour apporter une réponse adéquate en matière de prévoyance professionnelle. Ce rôle moteur s'est par exemple manifesté dans le domaine de la culture et de l'agriculture. Le second groupe de prestataires est constitué des assureurs privés dont l'offre en matière de prévoyance professionnelle se matérialise sous forme de fondations collectives. De manière schématique, les fondations collectives sont des institutions de prévoyance auxquelles des employeurs et des indépendants peuvent s'affilier pour appliquer le régime de la prévoyance professionnelle obligatoire, surobligatoire ou facultative. La Fondation institution supplétive LPP constitue à elle seule le troisième groupe de prestataire en matière de prévoyance professionnelle pour les indépendants. Elle est la seule institution de prévoyance en Suisse à devoir accueillir sans exception toutes les entreprises et tous les particuliers souhaitant s'affilier à la prévoyance professionnelle, dès lors qu'ils satisfont aux conditions légales. Elle constitue donc une solution pour tous les indépendants qui souhaitent s'assurer facultativement dans le 2e pilier, à condition que leur revenu annuel dépasse le seuil d'accès LPP.

Couverture effective des indépendants en matière de prévoyance professionnelle et vieillesse En ce qui concerne le niveau des rentes de vieillesse de l'AVS, quasiment aucune différence n'est observable entre anciens indépendants, anciens salariés et personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée. Les
anciens indépendants sont en revanche nettement moins susceptibles que les anciens salariés de percevoir des prestations des 2e et 3e piliers à la retraite. La couverture plus faible des indépendants à la retraite en matière de prévoyance professionnelle est cependant contrebalancée par la perception d'autres sources de revenus, telles que les revenus de la fortune et les revenus de l'activité lucrative.

Un risque de lacune de prévoyance est observé chez les anciens indépendants lorsque le lancement de l'activité indépendante n'est pas le résultat d'un choix délibéré et qu'il s'est réalisé tardivement dans la vie professionnelle. Les indépendants qui n'occupent aucun employé et réalisent de petits mandats, faiblement rémunérés, sont également exposés au risque de ne pas disposer de revenus suffisants à la retraite.

Les deux études mandatées dans le cadre de ce postulat aboutissent au constat que l'élément déterminant pour la constitution d'une prévoyance vieillesse adéquate ne tient pas tellement au caractère obligatoire ou facultatif de l'accès à la prévoyance professionnelle, mais plutôt à l'acquisition de revenus suffisants pendant toute la durée de la vie active nécessaire au financement d'une prévoyance professionnelle ou 3 / 46

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individuelle adéquate. Si les revenus sont faibles sur une longue période, alors le risque de lacunes dans la prévoyance sociale ou privée s'accroît, quel que soit le statut d'activité.

Pistes d'amélioration possible Du fait des lacunes de prévoyance individuelle qui peuvent découler du statut d'indépendant et des charges financières que doivent alors supporter les collectivités publiques pour les combler, différentes pistes pour améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories d'indépendants «à risque» ont été examinées.

Améliorer l'information sur les possibilités d'assurance dans la prévoyance professionnelle ou encore accroître l'offre de prévoyance professionnelle pour les personnes indépendantes travaillant seules constituent deux pistes dont pourraient bénéficier un large éventail d'indépendants. Du fait de leur caractère non contraignant, ces deux pistes s'inscrivent dans la continuité historique de la liberté individuelle dont jouissent les indépendants pour se prémunir contre le risque vieillesse de manière adéquate.

Pour le groupe spécifique des personnes qui débutent une activité indépendante après avoir exercé pendant plusieurs années une activité salariée, la conservation de la prestation de sortie dans la prévoyance professionnelle permettrait de maintenir le niveau de couverture acquis avant le démarrage de l'activité indépendante. Trois variantes de cette piste ont été analysées: l'application des règles pour l'encouragement à la propriété du logement au paiement de la prestation de sortie, le «gel» de la prestation de sortie dans les circuits de la prévoyance, et l'assouplissement du paiement en espèces. Chaque variante présente des avantages et inconvénients, ainsi qu'un degré d'atteinte plus ou moins important à la liberté économique.

Trois pistes de prévoyance professionnelle obligatoire spécifiques au statut d'indépendants ont aussi été examinées. Rendre la prévoyance professionnelle obligatoire nécessiterait la création d'une base constitutionnelle. La mise en oeuvre d'une telle assurance obligatoire semble en outre difficile. Du fait de la forte atteinte à la liberté économique que présente cette piste, deux autres pistes moins contraignantes ont été examinées.

La situation spécifique des personnes qui cumulent activités indépendante et salariée a
aussi fait l'objet de l'élaboration d'une piste destinée à améliorer la couverture de ce groupe pouvant se retrouver, sous certaines conditions, dans une situation moins favorable que les personnes uniquement indépendantes ou uniquement salariées.

Cette piste consisterait à élargir pour cette catégorie de personnes le plafond fiscalement déductible au pilier 3a appliqué aux indépendants après prise en compte des cotisations versées à la prévoyance professionnelle.

Le rapport aboutit finalement à la conclusion qu'adapter la prévoyance professionnelle aux situations individuelles des indépendants constitue un objectif séduisant, mais que sa mise en oeuvre représente de nombreux défis. Étendre aux indépendants, même partiellement, la prévoyance professionnelle dont bénéficient actuellement les salariés ne neutraliserait pas tous les risques de précarité auxquels ils peuvent être exposés à la retraite. C'est en effet d'abord le niveau du revenu de l'activité ­ peu

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importe que ce revenu soit tiré d'une activité indépendante ou salariée ou d'une combinaison des deux ­ qui influe en premier lieu sur le niveau de protection sociale.

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Table des matières Condensé

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Situation initiale

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Situation juridique actuelle et évolution historique de la couverture en matière de prévoyance professionnelle des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée 2.1 Règles juridiques actuelles 2.2 Environnement institutionnel actuel 2.2.1 Fondations liées aux associations professionnelles 2.2.2 Les autres types de fondation 2.2.3 La Fondation institution supplétive LPP 2.3 Évolution historique 2.3.1 Création d'une base constitutionnelle permettant la mise en place d'une prévoyance professionnelle 2.3.2 Agriculteurs 2.3.3 1re révision partielle de la prévoyance professionnelle 2.3.4 Loi sur l'encouragement de la culture 2.3.5 Réforme de la prévoyance vieillesse 2020 2.3.6 Réforme des prestations complémentaires 2.3.7 Réforme LPP 21 2.4 Interventions parlementaires en faveur d'une extension du pilier 3a

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Couverture effective des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée en matière de prévoyance professionnelle 3.1 Niveau de revenu global des indépendants et des personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée à la retraite par rapport aux salariés après 64/65 ans 3.2 Poids relatif des prestations de l'AVS, du 2e et du 3e pilier touchées par les anciens indépendants à la retraite 3.3 La fortune et le travail, substitut du 2e pilier ou du pilier 3a pour les anciens indépendants à la retraite?

3.4 Activité indépendante et prestations complémentaires à l'AVS 3.5 Auto-évaluation de la prévoyance vieillesse par les indépendants Pistes pour améliorer la prévoyance professionnelle des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée 4.1 Améliorer l'information des indépendants sur les possibilités d'assurance dans la prévoyance professionnelle 4.2 Maintenir dans le circuit du 2e pilier l'avoir de prévoyance des personnes qui passent du statut de salarié à celui d'indépendant

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4.2.1

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Conserver la prestation de sortie dans la prévoyance professionnelle 4.2.2 Appliquer les règles pour l'encouragement à la propriété du logement au paiement en espèces de la prestation de sortie pour les indépendants 4.2.3 Assouplir le paiement en espèces de la prestation de sortie pour les indépendants Accroître l'offre de prévoyance professionnelle pour les personnes indépendantes travaillant seules Améliorer la couverture du pilier 3a des personnes cumulant activités salariée et indépendante Rendre obligatoire la prévoyance professionnelle pour l'activité indépendante 4.5.1 Prévoyance professionnelle obligatoire pour les indépendants 4.5.2 Prévoyance professionnelle obligatoire «light» spécifique au statut d'indépendant 4.5.3 Prévoyance professionnelle obligatoire limitée à la couverture des risques décès et invalidité

Conclusions

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Annexes Texte du postulat 16.3908 «Analyser la situation des indépendants en matière de prévoyance professionnelle» Rapports de recherche

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Rapport 1

Situation initiale

Depuis quelques années, des voix s'élèvent pour demander que l'on examine des possibilités d'amélioration en matière de prévoyance professionnelle pour les indépendants, y compris l'introduction de l'obligation de s'assurer dans le domaine de la prévoyance professionnelle. La situation que connaissent certaines catégories d'indépendants en matière de prévoyance professionnelle apparaît en effet problématique.

Comme les indépendants ne sont pas soumis à l'obligation de se constituer un 2e ou un 3e pilier de prévoyance vieillesse, invalidité et survivants, en complément du 1er pilier (AVS/AI), le risque existe qu'ils dépendent trop fortement du régime des prestations complémentaire (PC), financé par l'impôt, en cas de lacune de leur prévoyance individuelle après le passage à la retraite.

Dans ce contexte, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a déposé un postulat 16.3908, accepté le 8 décembre 2016 par le Conseil national, qui charge le Conseil fédéral de présenter un rapport d'analyse portant sur la situation des travailleurs indépendants en matière de prévoyance professionnelle. Ce rapport doit se pencher en particulier sur les éventuelles lacunes au niveau de la prévoyance des personnes exerçant une activité indépendante et sur la situation des personnes qui cumulent, à temps partiel, un emploi salarié et une activité indépendante. Le rapport doit examiner des modèles d'assurance possibles, de même que leurs conséquences sur les prestations complémentaires.

Avec le présent rapport, le Conseil fédéral répond au postulat de CSSS-N.

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Situation juridique actuelle et évolution historique de la couverture en matière de prévoyance professionnelle des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée

2.1

Règles juridiques actuelles

Les indépendants ne sont pas soumis obligatoirement à la prévoyance professionnelle.

En effet, l'art. 113 de la Constitution fédérale (Cst.)1 ne prévoit pas d'assurance obligatoire pour les indépendants, mais uniquement pour les salariés. Elle ne prévoit qu'une assurance facultative pour les indépendants. Elle donne en outre la compétence à la Confédération de déclarer la prévoyance professionnelle obligatoire pour certaines catégories de personnes exerçant une activité indépendante, d'une façon générale ou pour couvrir des risques particuliers.

La législation sur la prévoyance professionnelle contient une base juridique (art. 3, 42 et 43 de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse,

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survivants et invalidité [LPP]2) qui permet de soumettre des indépendants à une obligation d'assurance, à la requête d'organisations professionnelles, conformément à ce qui est prévu par la Cst. C'est le Conseil fédéral qui doit alors soumettre à l'assurance l'ensemble des personnes indépendantes appartenant à cette organisation. L'assurance peut être complète (invalidité, décès, retraite) ou ne couvrir qu'un risque particulier.

Cette possibilité législative n'a jamais été utilisée.

Les indépendants peuvent s'affilier facultativement à une institution de prévoyance, à des conditions équivalentes à celles qui sont offertes aux salariés (art. 4 et 44 LPP).

S'ils ont des salariés, ils peuvent alors s'affilier à l'institution de prévoyance qui assure ceux-ci. Si la profession à laquelle ils appartiennent offre une institution de prévoyance dédiée, ils peuvent alors s'assurer auprès de celle-ci (par ex. les médecins ou les avocats). Ils peuvent aussi s'assurer auprès de la Fondation institution supplétive LPP. Enfin, ils peuvent aussi s'assurer uniquement dans le domaine de la prévoyance étendue, ce qui leur donne une plus grande liberté (art. 4, al. 3, LPP). Cela leur permet alors de ne s'affilier que pour la partie surobligatoire, ou pour l'ensemble de leur revenu, ou ne couvrir que le risque vieillesse. Les principes de base de la prévoyance professionnelle (planification, adéquation, collectivité) s'appliquent également à cette solution.

Si les indépendants ne veulent ou ne peuvent pas financièrement s'affilier auprès d'une institution de prévoyance, ils ont la possibilité de se constituer une prévoyance liée (pilier 3a), encouragée sur le plan fiscal, en application du principe des trois piliers ancré dans la Cst. L'art. 7 de l'ordonnance du 13 novembre 1985 sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance (OPP 3)3 prévoit que les personnes sans affiliation à une institution de prévoyance (ce qui est le cas des indépendants sans caisse de pension) peuvent déduire par année 20 % de leur revenu provenant de l'activité lucrative, mais au maximum 40 % du montant-limite supérieur fixé par la LPP, ce qui représente en 2022 un montant maximal de 34 416 francs. En cas d'affiliation à une institution de prévoyance, les indépendants, tout comme les
salariés, peuvent alors déduire par année 8 % du montant-limite supérieur fixé par la LPP, à savoir en 6883 francs au maximum en 2022. Seules les cotisations attestées peuvent être reconnues comme déductibles fiscalement. Cette disposition tient compte du fait que les indépendants peuvent choisir entre une prévoyance du 2e ou du 3e pilier. Un plafond de cotisations plus élevé se justifie pour permettre aux indépendants sans affiliation à une institution de prévoyance de se constituer également une prévoyance-vieillesse suffisante.

La loi du 17 décembre 1993 sur le libre passage (LFLP)4 donne la possibilité aux personnes ayant eu une activité salariée qui deviennent indépendantes de retirer en espèces leur avoir de prévoyance professionnelle constitué si elles ne sont plus soumises à l'assurance obligatoire (art. 5). Cette possibilité doit permettre aux nouveaux indépendants de disposer d'un financement afin de faire démarrer leur entreprise. Par la suite, il faut considérer que la personne, une fois établie à son compte, pourra trouver dans son entreprise les bases d'une prévoyance vieillesse-individuelle suffisante.

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RS 831.40 RS 831.461.3 RS 831.42

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La pratique fixe depuis longtemps un délai d'une année à partir du moment où la personne n'est plus assurée obligatoirement pour solliciter un paiement en espèces.

Il faut encore souligner que cette possibilité a été octroyée dès la création de la prévoyance professionnelle (d'abord dans la LPP, puis dans la LFLP depuis 1995).

La prévoyance professionnelle ne prévoit pas de dispositions particulières concernant les personnes cumulant activités salariée et indépendante. Apparemment, aucune discussion n'a eu lieu historiquement concernant cette catégorie de personnes, que ce soit au moment de la création d'une prévoyance professionnelle ou ultérieurement lors de débats pour réviser la prévoyance. Si ces personnes perçoivent pour la partie salariée un salaire annuel supérieur à 21 510 francs (ce qui correspond au seuil d'accès LPP), elles sont alors en principe obligatoirement affiliées à une institution de prévoyance. Pour la partie indépendante de leur activité, elles peuvent s'affilier de façon facultative à une autre institution de prévoyance. Si elles ne le font pas, elles peuvent cotiser au 3e pilier; mais, du fait de leur affiliation à une institution de prévoyance, elles ne peuvent cotiser que 8 % du montant-limite supérieur LPP, à savoir 6883 francs par an. Si elles souhaitent cotiser jusqu'à 20 % de leur revenu provenant de l'activité lucrative indépendante, mais au maximum 34 416 francs par an (40 % du montant limite-supérieur LPP), elles doivent alors faire usage de la possibilité légale existante (art. 1j, al. 1, let. c, de l'ordonnance du 18 avril 1984 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité [OPP 2]5) qui permet à une personne salariée de façon accessoire de pouvoir renoncer à une affiliation auprès d'une institution de prévoyance si elle exerce une activité lucrative indépendante à titre principal.

Si la partie salariée ne constitue pas une activité accessoire, la personne ne peut faire usage de cette possibilité et restera affiliée à une institution de prévoyance et ne pourra cotiser au 3e pilier que jusqu'à hauteur de 6883 francs par an. Cette notion d'activité principale peut se définir par exemple selon le temps consacré ou le revenu généré.

2.2

Environnement institutionnel actuel

L'environnement institutionnel de la prévoyance professionnelle pour les indépendants se composent de trois groupes distincts de prestataires. On observe des divergences entre régions linguistiques sur l'importance et le poids respectif de chacun de ces groupes. Les institutions de prévoyance mentionnées dans les paragraphes suivants sont données à titre d'exemples et ne constituent pas une liste exhaustive.

2.2.1

Fondations liées aux associations professionnelles

Le premier groupe de prestataires auquel peuvent s'adresser les indépendants, seuls ou avec des employés, est constitué d'un éventail de fondations communes liées de près ou de loin à des associations professionnelles. Les fondations communes évitent aux membres affiliés à une association professionnelle de devoir créer leur propre

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RS 831.441.1

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infrastructure en matière de prévoyance professionnelle. Si plusieurs associations professionnelles s'unissent pour créer une fondation commune, un règlement commun existe pour tous les assurés et les employeurs de la fondation. Néanmoins ce règlement commun peut comprendre plusieurs plans de prévoyance6.

Un acteur de premier plan est la fondation proparis créée par l'Union suisse des arts et métiers (USAM), qui regroupe environ 11 000 entreprises et 73 000 assurés actifs dans l'une des 13 caisses de pensions fondées par les 52 associations professionnelles membres de l'union7. On peut aussi mentionner la fondation commune Asga Pensionskasse qui est un autre acteur important pour les petites et moyennes entreprises.

En Suisse romande, deux fondations communes liées à des associations professionnelles représentent, à l'image de proparis et d'Asga Pensionskasse, des acteurs de poids: la Caisse Inter-Entreprises de Prévoyance Professionnelle (CIEPP) et le Fonds interprofessionnel de prévoyance (FIP). La CIEPP est au service des entrepreneurs romands depuis plus de cinquante ans et regroupe aujourd'hui 10 000 PME et indépendants affiliés et quelque 45 000 assurés8. Le FIP compte de son côté 5000 PME et indépendants affiliés et un peu plus de 34 000 assurés9. Tant la CIEPP que le FIP offrent, sous certaines conditions, des possibilités d'affiliation à la prévoyance professionnelle novatrices pour les indépendants, par exemple en n'appliquant aucune déduction de coordination, ce qui permet d'assurer un revenu inférieur à 21 510 francs. Il convient de préciser qu'à l'exception de ces deux institutions romandes, la plupart des fondations communes effectuent une distinction, au niveau de leurs règlements, entre indépendants avec salariés et indépendants seuls. Plusieurs règlements accessibles sur Internet indiquent que les conditions d'affiliation pour les indépendants seuls sont souvent plus restrictives que celles pour les indépendants avec employés: l'affiliation des indépendants sans employés n'est autorisée que si l'association professionnelle dont ils dépendent reconnaît la caisse à laquelle ils souhaiteraient s'affilier.

Les associations professionnelles jouent parfois un rôle moteur pour apporter une réponse adéquate en matière de prévoyance professionnelle à leurs adhérents qui exercent une
activité indépendante. C'est par exemple le cas du Syndicat Suisse romand du spectacle qui a contribué, via la fondation de prévoyance artes & comoedia, à développer pour les personnes indépendantes exerçant une profession dans les milieux de la culture des solutions de prévoyance professionnelle spécifiques aux besoins dans ces métiers (succession de contrats de durée déterminée, cumul d'une activité indépendante et salariée). Ces solutions spécifiques présentent parfois un caractère innovant, par exemple en permettant d'assurer à la fois une activité salariée et une activité indépendante auprès de la même institution (Caisse de pension Musique et Formation). La caisse de pension Freelance du syndicat de la communication Syndicom

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Proparis Vorsorgestiftung: Geschäftsbericht 2020.

455 indépendants sans personnel et 207 entreprises individuelles avec du personnel étaient affiliés à Asga Pensionskasse en 2021.

CIEPP (2021): Rapport annuel 2020. 1151 indépendants avec ou sans employé étaient affiliés en 2020 à la CIEPP.

Centre patronal vaudois ­ Fonds interprofessionnel de prévoyance (2021): Rapport de gestion 2020. En 2020, 285 indépendants avec ou sans employé sont affiliés au FIP.

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fournit un autre exemple de solution adaptée aux besoins des personnes cumulant plusieurs mandats de faible ampleur ou cumulant activités salariée et indépendante: pour les personnes assurées, aucune déduction de coordination n'est appliquée et les employeurs ont l'obligation de contribuer pour moitié à la prévoyance professionnelle, mais sous condition que le salaire annuel global projeté des personnes affiliées dépasse 21 510 francs, ce qui correspond au seuil d'entrée de la prévoyance professionnelle.

Il convient de mentionner que les agriculteurs disposent de leur propre caisse de pension: la fondation collective Agrisano Pencas, mise sur pied par l'Union suisse des paysans, qui propose trois plans de prévoyance spécifiquement destinés aux agriculteurs et à leurs employés. Des professions typiquement indépendantes ont aussi une caisse de pension qui leur est propre, par exemple celle de la Fédération Suisse des Avocats, la Caisse de Prévoyance des Associations Techniques (architectes) ou Pro Medico Stiftung (Fondation Pro Medico, l'institution de prévoyance des professions médicales), la fondation collective VSM pour le personnel médical ou la Fondation de prévoyance pour le personnel des médecins et vétérinaires PAT-BVG.

2.2.2

Les autres types de fondation

Le second groupe de prestataires auxquels peuvent s'adresser les indépendants est constitué par les assureurs privés dont l'offre en matière de prévoyance professionnelle se matérialise sous forme de fondations collectives. De manière schématique, les fondations collectives sont des institutions de prévoyance auxquelles des employeurs et des indépendants peuvent s'affilier pour appliquer le régime de la prévoyance professionnelle obligatoire, surobligatoire ou facultative. Chaque employeur signe un contrat d'affiliation et constitue dès lors, au sein de la fondation collective, une caisse de prévoyance (collectif d'assurés) qui peut à son tour contenir plusieurs plans de prévoyance, par exemple un plan pour les prestations minimales et un second pour des prestations complémentaires. Les fondations collectives sont créées par une assurance ou une banque et fournissent une solution en matière de prévoyance professionnelle à plusieurs entreprises n'ayant aucun lien entre elles.

Cinq compagnies d'assurance, Allianz Vie, Bâloise Vie, Helvetia Vie, PAX et Swiss Life, offrent à ce jour des solutions d'assurance complète, tant aux entreprises avec employés qu'aux indépendants sans employés.

A côté de ces cinq principaux acteurs, il existe plusieurs autres fondations collectives de taille plus ou moins importante. La fondation Vita par exemple, proche de Zurich Assurance, est un acteur de poids en Suisse. Elle regroupait en 2020 près de 139 000 assurés et un peu moins de 23 000 entreprises10. Parmi les plus grands acteurs appartenant au groupe des fondations collectives «indépendantes», on trouve Swisscanto, PK Pro, PKG, Nest.

Il convient aussi de mentionner l'existence d'une exception romande qui offre des solutions de prévoyance aux indépendants et qui a un statut d'établissement de droit 10

Fondation collective Vita (2021): Rapport de gestion 2020. En septembre 2021, 444 entreprises individuelles avec du personnel étaient affiliées à la fondation Vita.

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public: Les Rentes genevoises est une fondation collective de droit public avec garantie d'État auxquelles peuvent s'affilier les indépendants pour une couverture en matière de prévoyance professionnelle ou pour un pilier 3a. Dans cette fondation, les conditions d'affiliation sont différentes selon que les indépendants ont des employés ou qu'ils sont seuls (conditions restrictives).

2.2.3

La Fondation institution supplétive LPP

La Fondation institution supplétive LPP (institution supplétive) constitue à elle seule le troisième groupe de prestataire en matière de prévoyance professionnelle pour les indépendants. L'institution supplétive est une institution de prévoyance de droit privé dirigée par les partenaires sociaux. Elle est mandatée par la Confédération depuis 1983 pour servir de solution d'affiliation d'ultime recours dans le 2e pilier. L'institution supplétive est la seule institution de prévoyance en Suisse à devoir accueillir sans exception toutes les entreprises et tous les particuliers souhaitant s'affilier à la prévoyance professionnelle, dès lors qu'ils satisfont aux conditions légales. Elle constitue donc une solution pour tous les indépendants qui souhaitent s'assurer facultativement dans le 2e pilier, à condition que leur revenu annuel dépasse le seuil d'accès LPP de 21 510 francs. Le plan de prévoyance pour les indépendants assure un salaire coordonné selon l'art. 8 LPP, soit la part du salaire comprises entre 25 095 et 86 040 francs. Ce plan de prévoyance permet également d'assurer la part du revenu comprise entre 86 040 francs et le salaire assuré maximal de l'assurance-accidents, ce plafond correspondant actuellement à 148 200 francs11.

L'offre de l'institution supplétive demeure néanmoins peu utilisée par les personnes exerçant une activité indépendante: au 31 décembre 2020, on dénombrait seulement 537 indépendants (art. 44 LPP) et 312 salariés au service de plusieurs employeurs (art. 46 LPP) affiliés.

Des formes innovantes de collaboration entre l'institution supplétive et des associations professionnelles ou spécialisées ont néanmoins vu le jour récemment. Par exemple, en Suisse alémanique, Verband Frauenunternehmen, association spécialisée dans l'aide à la création d'entreprises par des femmes, a mis sur pied en 2017 impavida. Cette solution offre différents plans dans le régime obligatoire LPP pour des personnes exerçant une activité indépendante à la recherche d'une solution de prévoyance simple, tant au niveau des prestations qu'au niveau de la gestion administrative. Impavida n'est pas une institution de prévoyance au sens strict, mais constitue un «canal» par lequel les personnes ayant le statut d'indépendant et souhaitant s'affilier à la prévoyance professionnelle sont dirigées par leur association professionnelle vers l'institution supplétive.

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Art. 3, al. 2, Plan de prévoyance indépendants (SE), Fondation institution supplétive LPP.

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2.3

Évolution historique

2.3.1

Création d'une base constitutionnelle permettant la mise en place d'une prévoyance professionnelle

La base constitutionnelle qui introduit le système des trois piliers est énoncée à l'art. 111, al. 1, Cst.: «La Confédération prend des mesures afin d'assurer une prévoyance vieillesse, survivants et invalidité suffisante. Cette prévoyance repose sur les trois piliers que sont l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité fédérale, la prévoyance professionnelle et la prévoyance individuelle.» L'art. 113 Cst., qui donne le mandat au législateur de légiférer en matière de prévoyance professionnelle, met en place le principe de la prévoyance professionnelle facultative pour les indépendants à l'al. 2, let. d: «les personnes exerçant une activité indépendante peuvent s'assurer auprès d'une institution de prévoyance à titre facultatif». Enfin, l'art. 111, al. 4, Cst.

concrétise le 3e pilier: «En collaboration avec les cantons, elle encourage la prévoyance individuelle, notamment par des mesures fiscales et par une politique facilitant l'accession à la propriété.» Cette base constitutionnelle a permis au législateur de légiférer, ce qui a été concrétisé par la LPP, entrée en vigueur en 1985. Cette dernière contient certaines dispositions concernant les indépendants (cf. ch. 3.1).

Cette structure légale est l'aboutissement d'un processus qui a débuté dans les années 60. C'est en effet lors de sixième révision de l'AVS, entrée en vigueur le 1er janvier 1964, que le principe des trois piliers destiné à couvrir les risques vieillesse, invalidité et décès a été énoncé pour la première fois par le Conseil fédéral. La couverture de ces risques par le 2e pilier devait se concrétiser à travers une assurance collective professionnelle12.

Lors des premières discussions sur la mise en place d'une prévoyance professionnelle, une commission d'experts créée en 1968 a considéré que la base constitutionnelle de l'époque n'était pas suffisante pour créer un régime de prévoyance professionnelle obligatoire. Elle soutenait la création d'une base constitutionnelle pour un système à trois piliers. En 1969, le Parti suisse du Travail lança une initiative intitulée «Pour une véritable retraite populaire». L'initiative proposait l'intégration du 2e pilier (prévoyance professionnelle) dans le 1er pilier (assurance d'État). En 1970, deux autres initiatives furent déposées, par le Parti socialiste et par un comité hors
parti. La première demandait la création de pensions populaires (sorte de prévoyance professionnelle) et la deuxième un régime moderne de prévoyance vieillesse, survivants et invalidité. L'initiative hors parti proposait d'ancrer dans la Cst. le principe dit des trois piliers. La prévoyance professionnelle aurait été rendue obligatoire pour les salariés.

Des mesures analogues auraient pu être prises en faveur des indépendants.

C'est en réaction à l'initiative du Parti du travail et en s'inspirant des principes des deux autres initiatives que l'Assemblée fédérale a adopté un contre-projet, basé sur le système des trois piliers13. Ce contre-projet visait à mettre en place une assurance

12 13

FF 1970 II 571 FF 1971 II 1609

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professionnelle facultative pour les personnes indépendantes. Le but de cette disposition a été de pouvoir offrir à cette catégorie de personnes la possibilité de s'assurer à des conditions équivalentes à celles qui étaient proposées aux personnes salariées.

L'éventualité de prévoir un régime obligatoire pour les personnes indépendantes a été directement écartée avec l'argument que la grande variété des professions intéressées ne permettait pas d'envisager l'établissement d'un régime général obligatoire, même conçu de façon très souple. La prévoyance ne pouvait pas être abordée de la même manière dans la paysannerie, dans le petit commerce ou dans les professions libérales.

Mais la Confédération devait garder la possibilité d'intervenir en faveur de telle ou telle catégories d'indépendants si l'organisation professionnelle intéressée devait en faire la demande. Les indépendants concernés pourraient alors se voir imposer une couverture complète ou une couverture des risques décès et invalidité uniquement14.

Le contenu du contre-projet a permis à la Confédération de disposer de la compétence constitutionnelle nécessaire pour pouvoir légiférer, par exemple en donnant la possibilité à un employeur indépendant de s'affilier à la même institution de prévoyance que son personnel15.

Dans le cadre de l'examen de la mise en place d'une assurance facultative pour les indépendants s'est posée la question du financement des cotisations par l'indépendant.

L'idée d'un financement par la Confédération de la part «employeur» des cotisations a rapidement été écartée, arguant du fait que le 2e pilier devait être financé sans l'apport des pouvoirs publics16.

Le contre-projet a également prévu d'encourager la prévoyance individuelle en tant que 3e pilier de la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité. Il ne s'est pas agi, toutefois, de créer ainsi un privilège fiscal en faveur des hauts revenus, mais d'offrir aux indépendants une couverture équivalente aux salariés soumis au régime obligatoire. Le législateur a reconnu que de nombreux indépendants avaient un niveau social comparable à celui des salariés soumis au régime obligatoire et que beaucoup d'entre eux ne pouvaient pas s'assurer, même facultativement, auprès d'une institution de prévoyance professionnelle parce qu'ils étaient obligés d'investir
toutes leurs ressources financières dans l'entreprise. Or si l'on avait voulu accorder aux salariés des dégrèvements fiscaux à raison des cotisations payées à une institution de prévoyance professionnelle, il aurait fallu, par équité, que le fisc ne traite pas moins favorablement les indépendants.

C'est à la suite de la création du contre-projet que les initiatives du Parti socialiste et hors parti ont été retirées. En décembre 1972, l'initiative du Parti du Travail a été refusée et le contre-projet de l'Assemblée fédérale a été accepté par le peuple suisse.

Ce texte constitue toujours la base constitutionnelle de la prévoyance professionnelle (notamment les art. 111 et 113 Cst.).

14 15 16

FF 1971 II 1634 FF 1971 II 1634 FF 1971 II 1635

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2.3.2

Agriculteurs

À bien des égards, la paysannerie diffère des autres corps de métiers. C'est pourquoi les organisations professionnelles de l'agriculture se proposèrent d'instituer un régime de prévoyance professionnelle agricole adapté aux besoins particuliers de cette profession (art. 83 projet LPP prévoyance professionnelle dans l'agriculture)17. Ces préoccupations apparaissaient déjà dans le postulat Junod du 26 janvier 1971. Pour atteindre le but visé, les milieux agricoles auraient voulu créer leur propre institution de prévoyance. Or, à la différence de la plupart des autres corps de métiers, la paysannerie ne disposait pas de sa propre caisse de compensation AVS, à laquelle elle aurait pu confier la gestion d'une telle institution de prévoyance. En raison de la nature des entreprises agricoles ainsi que leur grande dispersion, les agriculteurs avaient intérêt à demeurer dans les caisses cantonales de compensation, qui possédaient un vaste réseau d'agences locales et qui appliquaient aussi la loi fédérale fixant le régime des allocations familiales aux travailleurs agricoles et aux petits paysans. C'est pourquoi les milieux agricoles estimaient que la collaboration des caisses cantonales de compensation AVS était nécessaire à la réalisation des mesures de prévoyance prévues notamment pour la perception des cotisations. L'art. 83 du projet devait permettre de réaliser sur le plan suisse la prévoyance professionnelle auxquels les agriculteurs aspiraient.

Cette disposition a finalement été introduite à l'art. 88 LPP.

L'art. 88 n'a jamais été appliqué. Il a donc été abrogé avec effet au 1er août 2008 dans le cadre de la mise à jour formelle du droit fédéral18. Cette mise à jour a eu pour but d'abroger un certain nombre d'actes juridiques de l'Assemblée fédérale, ainsi que certaines dispositions obsolètes ou non utilisées, comme l'art. 88.

Les agriculteurs peuvent également s'assurer contre les risques vieillesse, décès et invalidité de façon facultative dans la prévoyance professionnelle.

À plusieurs reprises, des interventions ont été déposées pour mettre en place une Caisse fédérale de pensions pour l'agriculture. Deux motions au contenu identique ont été déposées au Conseil national par Josef Zisyadis (00.3293 et 02.3501). Le but de ces motions était de créer une caisse fédérale de pensions obligatoire
dans l'agriculture avec des cotisations financées à parts égales entre les agriculteurs et la Confédération. Dans les deux cas, les motions ont été classées sans suite. Des initiatives cantonales similaires déposées par le Jura en 2002 (02.304) et par Neuchâtel en 2003 (03.316) ont connu le même sort.

2.3.3

1re révision partielle de la prévoyance professionnelle

La 1re révision LPP a porté sur l'art. 4, al. 3 et 4, LPP. Ces dispositions n'étaient pas prévues à l'origine dans le message relatif à la révision de la LPP du 1er mars 2000.

L'al. 3, qui prévoit la possibilité pour les indépendants de s'assurer uniquement auprès d'une institution de prévoyance active dans le domaine de prévoyance étendue, auprès 17 18

FF 1976 I 241 s.

FF 2007 5829

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d'institutions de prévoyance non enregistrées, a été créé suite à la proposition Engelberger. Cette forme d'assurance doit évidemment respecter les principes de prévoyance (voir art. 1, al. 3, LPP). L'al. 4 a été ajouté à la suite de la proposition Bortoluzzi19. Il prévoit que les cotisations versées auprès d'une institution de prévoyance doivent être affectées durablement à la prévoyance professionnelle.

La 1re révision LPP a également permis de classer le postulat Carobbio 91.3062 concernant le 2e pilier pour les indépendants à revenu modeste alors même que le message énonçait que la requête n'avait pas été satisfaite. Ce postulat demandait au Conseil fédéral de présenter un rapport sur la situation en matière de prévoyance professionnelle des indépendants à revenu modeste, à savoir artisans, musiciens, peintres, acteurs, danseurs.

2.3.4

Loi sur l'encouragement de la culture

La loi du 11 décembre 2009 sur l'encouragement de la culture (LEC)20 a été adaptée afin d'améliorer la prévoyance professionnelle des acteurs culturels.

Conformément à l'art. 9 LEC, l'Office fédéral de la culture (OFC) et Pro Helvetia, la fondation suisse de promotion de la culture, versent pour la prévoyance professionnelle des acteurs culturels (institution de prévoyance ou pilier 3a) un pourcentage (12 %) du montant des aides financières qu'ils allouent. Les cotisations sont financées à parts égales par les acteurs culturels et par l'OFC ou Pro Helvetia.

Concrètement, ces 12 % sont calculés de la manière suivante: si Pro Helvetia décide par exemple d'attribuer une contribution de 10 000 francs à la création musicale, elle inscrira 10 600 francs à son budget à cet effet. Les 6 % restants du total de 12 % sont directement déduits de l'aide financière. Cela signifie que l'acteur culturel touche en réalité 9400 francs, tandis que 1200 francs sont versés pour sa prévoyance professionnelle. Contrairement aux dispositions de l'art. 6 du règlement du 31 octobre 1947 sur l'assurance-vieillesse et survivants (RAVS)21, la cotisation de prévoyance professionnelle versée par l'OFC ou Pro Helvetia n'est pas assimilée à un salaire au sens de la prévoyance professionnelle dans la mesure où l'OFC et Pro Helvetia n'ont pas le statut d'employeur envers les bénéficiaires de l'aide. Le versement des contributions d'encouragement et des prix aux acteurs culturels ne se fait qu'une fois que l'OFC ou Pro Helvetia disposent des données nécessaires sur l'institution de prévoyance ou le pilier 3a des acteurs culturels. La loi ainsi que les dispositions d'exécution afférentes (art. 2a de l'ordonnance du 23 novembre 2011 sur l'encouragement de la culture22) sont entrées en vigueur sur décision du Conseil fédéral le 1er janvier 2013.

Cette solution simple, qui ne relève pas de la LPP, permet d'éviter les questions relatives au statut des personnes concernées, indépendantes ou salariées, au seuil d'accès ou à la déduction de coordination. Si la personne n'est affiliée à aucune institution de 19 20 21 22

Bulletin officiel, Conseil national, session spéciale mai 2003, troisième séance, 6 mai 2003.

RS 442.1 RS 831.101 RS 442.11

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prévoyance professionnelle, elle peut ouvrir un compte 3a et faire verser les contributions sur ce compte (les fonds du pilier 3a peuvent aussi être transférés ultérieurement dans une institution de prévoyance).

Il existe des caisses de pension spécifiques à certaines branches (film, musique, littérature, art visuel, théâtre, danse), qui permettent la mise en oeuvre de cette réglementation. Certaines associations professionnelles gèrent elles-mêmes une institution de prévoyance ou permettent à ses membres de s'affilier à d'autres institutions de ce type.

Ainsi, l'association professionnelle des artistes visuels (Visarte) permet à ses membres actifs d'assurer leur revenu auprès de la caisse de pension Musique et Formation ou de l'institution de prévoyance CAST. La caisse de pension Musique et Formation n'a prévu aucun seuil d'accès. De même, l'institution de prévoyance CAST permet d'assurer de petits revenus.

2.3.5

Réforme de la prévoyance vieillesse 2020

Le projet prévoyance vieillesse 2020 du 19 novembre 2014 prévoyait de modifier l'art. 44 LPP afin d'octroyer une nouvelle possibilité d'assujettissement à la prévoyance professionnelle pour les indépendants23. En effet, cette modification visait à permettre aux indépendants de s'assurer auprès des institutions de prévoyance, et en particulier des fondations collectives, dont le règlement aurait prévu cette possibilité.

Cette disposition aurait permis d'étendre le catalogue de possibilités ouvertes aux indépendants, pour lesquels, en l'absence d'une institution de prévoyance dédiée à une profession déterminée, seule une affiliation à l'institution supplétive était possible.

Cette nouvelle possibilité devait concrétiser le postulat «Deuxième pilier pour les indépendants travaillant seuls» (12.3981), qui avait été accepté par le Conseil national en 2013. Évidemment il convenait de respecter les principes fondamentaux liés à la prévoyance professionnelle, en particulier le principe de collectivité. Cela signifiait que le même plan de prévoyance aurait dû être appliqué pour plusieurs indépendants affiliés à la même institution de prévoyance. En aucun cas, il n'aurait été possible de constituer un contrat de prévoyance individuelle «à la carte».

Cette réforme a été rejetée en votation populaire le 24 septembre 2017.

2.3.6

Réforme des prestations complémentaires

Le projet de modification de la loi sur les prestations complémentaires du 16 septembre 2016 prévoyait une interdiction du paiement en espèces de la part obligatoire du capital de prévoyance professionnelle pour démarrer une activité lucrative indépendante24.

Cette volonté d'exclure la possibilité de prélever sa prévoyance professionnelle obligatoire en capital pour devenir indépendant était motivée par le fait qu'en cas de dépôt 23 24

FF 2015 182 FF 2016 7274

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de bilan de l'entreprise créée, une partie ou la totalité des avoirs prélevés risque d'être perdue. Ce risque est statistiquement élevé, puisqu'on estime à un tiers le nombre de sociétés créées qui disparaissent après trois ans et même la moitié après cinq ans d'activité. À cet argument, il faut ajouter le fait que le risque de pauvreté est plus important chez les indépendants et que ce risque augmente encore à l'âge de la retraite en cas de perte de l'avoir de prévoyance professionnelle.

Le Conseil des États a proposé de ne pas interdire complètement la prise du 2e pilier obligatoire pour devenir indépendant, mais de restreindre les possibilités de retrait à partir de 50 ans (interdire de retirer plus que le montant de la prestation de sortie à 50 ans).

Mais ni la proposition initiale du Conseil fédéral, ni la variante soutenue par le Conseil des États n'ont reçu le soutien du Conseil National qui a décidé de maintenir le statu quo et de ne pas introduire de limite ni d'interdiction de prélever le capital du 2e pilier pour démarrer une activité lucrative indépendante. Le Conseil des États s'est rallié à la position du Conseil National et a voté pour le statu quo. Les règles qui étaient alors en vigueur n'ont toujours pas été modifiées.

2.3.7

Réforme LPP 21

La réforme LPP 21 est en cours. Le projet du Conseil fédéral ne prévoyait aucune mesure qui concernait les indépendants. La CSSS-N a proposé de permettre aux indépendants de pouvoir se faire assurer également auprès de n'importe quelle institution de prévoyance, pour autant que les dispositions réglementaires de celle-ci le permettent. Le Conseil national a accepté sans vote cette proposition de la CSSS-N. Cette extension reprend ce qui avait été proposé dans le cadre du projet Prévoyance vieillesse 2020. La CSSS-E a commencé à discuter de cette réforme en début d'année 2022.

2.4

Interventions parlementaires en faveur d'une extension du pilier 3a

La motion Hess 18.3836, déposée en septembre 2018, visait à augmenter le plafond de cotisations pouvant être versé sur le pilier 3a. Elle concerne tant les salariés que les personnes indépendantes (sans prévoyance professionnelle). Le montant maximal pour cette dernière catégorie serait augmenté à 45 000 francs. Cette motion a été classée sans suite. Depuis, le conseiller national Hess a déposé une initiative parlementaire proposant une extension du pilier 3a du même montant. Cette initiative parlementaire a été étudiée en début d'année 2022 par la CSSS-N, qui a proposé de ne pas y donner suite. Le Conseil national la traitera lors d'une prochaine session. En outre, la motion Ettlin 19.3702, déposée en juin 2019, demande que les personnes disposant d'un revenu soumis à l' AVS qui n'ont pas pu faire de versements dans le pilier 3a par le passé, ou qui n'ont pu faire que des versements partiels, aient la possibilité d'effectuer ces versements a posteriori et de les déduire intégralement du revenu imposable pour

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l'année pendant laquelle elles effectuent ce rachat (rachat 3a). Cette motion a été adoptée par le parlement le 2 juin 2020 et sa mise en oeuvre est en préparation.

Ce thème a déjà fait l'objet de motions par le passé: la 12.3519 Pezzatti, en 2012, qui prévoyait une augmentation de cotisations à 40 000 francs en l'absence de prévoyance professionnelle, qui reprenait en termes plus précis la motion 09.3082 de 2009 du groupe libéral-radical, qui visait le même but, à savoir le renforcement de la responsabilité individuelle en matière de prévoyance vieillesse. L'une et l'autre motion ont été acceptées par le Conseil National avant d'être rejetées par le Conseil des États. Le refus de ces motions avait été justifié par le fait que seule une minorité des contribuables auraient eu une capacité financière qui leur aurait permis d'effectuer ces versements et donc de bénéficier de l'extension des montants déductibles. En outre, l'impact en termes de prévoyance aurait été faible pour les personnes ayant un réel besoin d'améliorer celle-ci.

3

Couverture effective des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée en matière de prévoyance professionnelle

Il n'existe pas de statistique portant spécifiquement sur la couverture en matière de prévoyance professionnelle ou vieillesse des indépendants et des personnes qui cumulent emploi salarié et activité indépendante. Des informations partielles sur la prévoyance vieillesse et sur le niveau de revenu de ces deux groupes peuvent être tirées de l'Enquête suisse sur la population active (ESPA) ou à partir de registres administratifs, tels que le Registre des entreprises et des établissements (REE) ou à partir des comptes individuels de l'AVS (CI AVS), mais aucune source n'est à même de répondre aux questions du postulat.

Pour pouvoir répondre aux questions du postulat, deux projets de recherche ont été réalisés. Le premier, mené par le Büro für Arbeit und Sozialpolitische Studien BASS AG (BASS), a consisté en une enquête représentative écrite auprès d'un échantillon représentatif de personnes âgées de 55 à 77 ans exerçant ou ayant exercé une activité indépendante et cumulant ou ayant cumulé activités indépendante et salariée. Les questions de l'enquête portaient sur différents thèmes comme le poids relatif des trois piliers après le passage à la retraite, la perception anticipée des avoirs de prévoyance, le niveau et les revenus de la fortune, l'exercice d'une activité lucrative après le passage à la retraite et l'auto-évaluation de sa propre situation financière à la retraite. Une analyse portant en outre sur les bénéficiaires de prestations complémentaires (PC) jusqu'à 75 ans a été effectuée à l'aide du registre des CI AVS et fournit des informations complémentaires à l'enquête. Le second projet de recherche, mené par la Berner Fachhochschule (BFH), a reçu pour mandat d'analyser les revenus et la fortune de la totalité des contribuables du canton de Berne âgés de 69/70 ans en 2012 en tenant compte de leur statut d'activité (anciens indépendants, anciens salariés, personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée).

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3.1

Niveau de revenu global des indépendants et des personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée à la retraite par rapport aux salariés après 64/65 ans

Sans tenir compte d'une éventuelle consommation de la fortune, le revenu global moyen annuel sans les prestations complémentaires (PC) ou sans l'aide sociale des anciens indépendants de 69/70 ans dans le canton de Berne est légèrement plus élevé (53 963 fr.)25 que le revenu des anciens salariés (51 654 fr.), mais plus faible que celui des personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée (56 512 fr.)26. L'enquête réalisée par le BASS aboutit à des montants d'un niveau comparable: en tenant compte de l'ensemble des revenus (perception des PC et de l'aide sociale et consommation effective de la fortune incluses), le revenu moyen des anciens indépendants (hommes) à l'âge de la retraite s'élève en moyenne à 54 000 francs27.

D'autres résultats tirés des données fiscales fournissent une vision plus nuancée du niveau global de revenu pour les anciens indépendants: la médiane du revenu global annuel des anciens indépendants (33 602 fr.) est nettement inférieure à la médiane des personnes ayant exercé une activité salariée (42 278 fr.), tandis que la médiane du revenu global des personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée (37 535 fr.)

se situe à mi-chemin de celle des deux autres groupes. Cela signifie que, passé l'âge de la retraite, la situation financière des travailleurs indépendants est plus favorable dans la tranche des revenus supérieurs par rapport à celle des salariés, tandis qu'elle est moins favorable dans la tranche des revenus inférieurs. Cette situation moins favorable des anciens indépendants est particulièrement visible dans le groupe des personnes disposant des revenus les plus faibles: le revenu moyen annuel global de 40 % des anciens salariés disposant des revenus les plus faibles ne dépasse pas 29 707 francs, alors que le revenu global de 40 % des anciens indépendants aux revenus les plus faibles est plus bas, puisqu'il se situe en dessous de 25 472 francs28.

L'étude du BASS fournit les premiers éléments d'explication à cette situation en comparant la répartition des revenus durant la vie active des indépendants par rapport à celle des salariés et à celle des agriculteurs. De manière générale, les données montrent que les revenus des indépendants sont en moyenne plus faibles que les revenus des salariés pour une majorité de personnes, mais plus polarisés aux deux extrémités de la répartition, soit dans le segment des revenus les plus faibles et dans celui des revenus les plus élevés (cf. Figure 1).

25

26 27 28

Les montants mentionnés dans ce paragraphe concernent l'année 2012 et sont tirés de Fluder, R.; Oesch, T. (2018): Situation des indépendants en matière de prévoyance. Étude approfondie de la situation de prévoyance des indépendants, sur la base des données fiscales du canton de Berne 2002­2012, Aspects de la sécurité sociales. 10/20, Berne, Tab. 7, p. 14. Le détail des composants du revenu global pour chacun des trois groupes se trouvent au Tab. 23 p. 48.

Ibid. Personnes dont 20 à 80 % du revenu de l'activité provient de l'activité indépendante.

Guggisberg, J. et al. (2018): Analyse de la situation des indépendants en matière de prévoyance, Aspects de la sécurité sociales. 9/20, Berne, p. 59 ss.

Fluder et al., Fig. 4, p. 21.

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Figure 1 Répartition des revenus moyens selon la trajectoire professionnelle pour les rentiers AVS selon le statut d'activité29

Nombre d'indépendants (groupe cible 1 et 2): 14 353 dans l'agriculture, 42 083 hors agriculture.

Nombre de salariés: 260 107.

Remarque: le revenu total de l'activité lucrative entre 45 et 63/64 ans est divisé par le nombre d'années (19 ou 20).

Source: Registre CDC (2016). Calculs BASS.

Cette polarisation des revenus, plus marquée pour le groupe des indépendants, se retrouve naturellement après le passage à la retraite et s'explique par différents facteurs.

Tout d'abord, les indépendants constituent un groupe très hétérogène auquel appartiennent des médecins, des artisans, des paysans, des personnes cumulant activités salariée et indépendante ou encore des personnes actives dans l'économie digitale émergente. Ensuite, les indépendants perçoivent globalement durant leur carrière professionnelle des revenus nettement inférieurs à ceux perçus par les salariés, cette caractéristique étant encore plus marquée pour le groupe des agriculteurs (cf. Figure 1).

Enfin, les trajectoires professionnelles propres à l'activité indépendante ont bien évidemment aussi une influence sur les revenus après la retraite: les personnes qui se lancent dans une activité indépendante relativement tard dans leur carrière professionnelle, par exemple entre 46 et 57 ans, obtiennent en moyenne des revenus nettement inférieurs aux revenus des salariés appartenant à la même tranche d'âge ou des personnes qui étaient déjà indépendantes avant 46 ans. Enfin, il convient de relever que les femmes exerçant une activité indépendante ont un niveau de revenu sensiblement inférieur aux hommes exerçant ce type d'activité.

29

Guggisberg, J. et al., Fig. 15, p. 27. La répartition des revenus pour les femmes, de même que la répartition des revenus pour les hommes et femmes agrégés ont aussi été estimées, mais ne sont pas présentées dans l'étude. D'une part, les courbes sont plus plates chez les femmes, d'autre part la répartition des rôles au sein des couples mariés s'accompagne d'interruptions de carrière plus fréquentes chez les femmes. La conjonction de ces deux facteurs rend les résultats plus difficiles à interpréter.

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3.2

Poids relatif des prestations de l'AVS, du 2e et du 3e pilier touchées par les anciens indépendants à la retraite

Peu de différences sont observables entre anciens indépendants et salariés à la retraite en ce qui concerne le niveau de la rente AVS: la rente mensuelle moyenne oscille entre 1821 francs (anciens indépendants) et 1860 francs (anciens salariés)30.

Pour ce qui concerne les 2e et 3e piliers, il convient de relever que les anciens indépendants, après le passage à la retraite, sont beaucoup moins susceptibles que les anciens salariés de bénéficier de ce type de prestations. C'est ce que montrent les données tirées des statistiques de l'Office fédéral de la statistique (OFS31 qui se recoupent avec les résultats de l'enquête BASS. Alors que les trois quarts des anciens salariés en âge de la retraite peuvent recourir au 2e pilier ou au pilier 3a, seule la moitié environ des anciens indépendants perçoivent l'un ou l'autre ou la combinaison de ces piliers.

Les différences s'expliquent principalement par une couverture plus faible des indépendants en matière de prévoyance professionnelle durant la phase active. En d'autres termes, les anciens indépendants sont beaucoup plus susceptibles de dépendre d'autres sources de revenus, telles que la prévoyance libre, les revenus de la fortune ou la consommation de celle-ci, pour compléter leur rente AVS.

D'importantes différences peuvent d'ailleurs être observées à l'intérieur même du groupe des anciens indépendants en matière de 2e et 3e pilier: les personnes qui se sont lancées dans une activité indépendante entre 47 et 57 ans doivent se passer plus fréquemment de la prévoyance professionnelle ou de la prévoyance du pilier 3a que les personnes devenues indépendantes plus jeunes ou qui le sont devenues après 57 ans.

En outre, les personnes titulaires d'une formation de niveau I ou II se retrouvent plus souvent sans prestation du 2e ou 3e pilier que les personnes au bénéfice d'une formation de l'enseignement supérieur. Ceci montre l'influence directe du revenu du travail sur l'affiliation au 2e pilier. La Suisse romande compte plus de rentiers sans prévoyance professionnelle ni pilier 3a que la Suisse alémanique.

La proportion plus faible d'indépendants percevant des prestations du 2e pilier au moment du passage à la retraite est à mettre en perspective avec le fait qu'un peu moins d'un quart des anciens indépendants ont retiré leur capital de manière anticipée,
soit pour financer leur activité indépendante, soit pour acquérir un logement. Chez les hommes, en particulier les personnes ayant entrepris une activité indépendante sur le tard et durant une courte période, la proportion de perceptions anticipées est presque toujours plus élevée. En revanche, les retraits du pilier 3a restent peu élevés, ce type de retraits concernant environ 9 % des indépendants.

30 31

Ibid., Tab. 4, p. 37.

OFS (2015): Statistique des nouvelles rentes.

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3.3

La fortune et le travail, substitut du 2e pilier ou du pilier 3a pour les anciens indépendants à la retraite?

Les rendements et/ou la consommation de la fortune représentent une part importante du revenu global des anciens indépendants ayant atteint l'âge de la retraite AVS. Les données de l'enquête indiquent qu'environ 41 % des personnes interrogées touchent un revenu de leur fortune. En outre, 30 % des personnes interrogées mentionnent consommer leur fortune32.

Au total, le revenu médian de la fortune s'élève à environ 25 000 francs par an33. La consommation de la fortune se rencontre le plus fréquemment chez les personnes qui ont pu bénéficier des prestations du 2e ou du pilier 3a. La consommation de la fortune s'élève en moyenne à 15 000 francs par an, ce qui représente une part de 27 % du revenu global. Les personnes ayant appartenu à des branches économiques telles que la médecine, les soins de santé, les services bancaires ou les services de conseil, semblent plus susceptibles de recourir à la consommation de leur patrimoine à l'âge de la retraite que d'autres groupes d'anciens indépendants. La consommation de la fortune est beaucoup plus fréquente chez les personnes qui pendant les dix dernières années avant la retraite figuraient dans la classe des revenus élevés (revenu médian à 64 000 francs) que chez les personnes qui figuraient dans la classe des revenus faibles (revenu médian à 37 000 francs).

Les revenus provenant du travail constituent une autre source financière substantielle pour une part importante des indépendants à la retraite. En moyenne, un tiers des personnes interrogées entre 64/65 et 77 ans au bénéfice d'une rente AVS déclare continuer à exercer une activité lucrative34. Les jeunes retraités jusqu'à 70 ans sont nettement plus susceptibles de travailler que les retraités plus âgés (44 % contre 26 %). Le revenu annuel moyen de l'activité lucrative s'élève à 25 000 francs pour tous les retraités actifs auparavant indépendants. Les revenus du travail des femmes (médiane à 18 000 francs) sont nettement inférieurs à ceux des hommes (30 000 francs). Le niveau de formation est déterminant pour le niveau des revenus du travail à l'âge de la retraite AVS, en ce sens que les personnes ayant une formation tertiaire disposent après 64/65 ans des revenus de l'activité lucrative les plus élevés. Il convient aussi de relever que les anciens indépendants qui exercent encore une activité lucrative au-delà de l'âge de la retraite AVS ont un niveau de revenu global nettement supérieur à celui des personnes n'exerçant plus aucune activité lucrative.

32

33 34

Guggisberg, J. et al., p. 67 et ss. L'étude Fluder, R.; Oesch, T. indique (Tab. 6, p. 14) une proportion nettement plus importante d'anciens indépendants touchant un revenu de leur fortune (87,9 %), proportion qui se situe à un niveau comparable à celle des anciens salariés (86,2 %).

Ibid. p. 68 ss.

Ibid., p.64 à 66.

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3.4

Activité indépendante et prestations complémentaires à l'AVS

L'étude a analysé les conséquences éventuelles de l'activité indépendante sur la perception de prestations complémentaires à l'AVS. La principale question qui se pose à cet égard est celle de savoir dans quelle mesure, une fois à la retraite, les personnes auparavant indépendantes présentent un plus grand risque d'être tributaires de PC à l'AVS que celles qui n'ont jamais exercé d'activité indépendante.

En 2016, sur un total de 794 000 rentiers AVS âgés de 75 ans et moins (les âges plus élevés n'ont pas pu être considérés dans le cadre de la présente étude), une proportion de 7,8 % des rentiers AVS percevait des prestations complémentaires (cf. Figure 2)35.

Dans le cas des anciens indépendants touchant une rente AVS jusqu'à 75 ans, le taux de bénéficiaires de PC s'élevait à 10,1 % et donc était sensiblement supérieur à la moyenne. Si l'on compare la proportion d'anciens indépendants percevant des PC avec celle des anciens salariés et que l'on écarte les personnes sans activité, la différence est encore plus marquée.

Le revenu de l'activité pendant l'ensemble de la carrière professionnelle de la population observée est le principal facteur explicatif de l'octroi ou non de prestations complémentaires AVS, tant pour les anciens indépendants que pour les anciens salariés.

Le revenu moyen des indépendants étant inférieur à celui des salariés, il est logique que cette catégorie soit plus susceptible que les salariés de percevoir des PC. Si l'on tient compte d'autres facteurs, par exemple la trajectoire professionnelle, en particulier le moment du début de l'activité indépendante, alors ces autres facteurs exercent également un effet important sur les risques de percevoir des PC. Ainsi, les personnes qui démarrent une activité indépendante entre 51 et 57 ans courent un plus grand risque de dépendre des PC que les personnes ayant des caractéristiques similaires, mais une autre trajectoire professionnelle36. Ce groupe comprend un nombre supérieur à la moyenne de personnes ayant abouti à une activité indépendante de manière «plutôt involontaire» et connaît des périodes de chômage plus fréquentes que les autres groupes.

Des études montrent qu'en Suisse, les fondations d'entreprises par nécessité sont extrêmement rares en comparaison internationale37. Cette situation s'explique principalement par un taux
d'activité élevé, un taux de chômage relativement bas et de bonnes possibilités de revenu dans la plupart des professions. En Suisse, les personnes les plus enclines à fonder une entreprise sont celles présentant des coûts d'opportunité élevés, c'est-à-dire les personnes à haut revenu.

35 36

37

Ibid., p. 77 ss. Pour des raisons de coûts et de praticabilité, les enquêtes représentatives standardisées ne ciblent pas les personnes âgées de plus de 75 ans.

L'étude du BASS montre en particulier que les personnes qui ont démarré une activité indépendante entre l'âge de 51 et 57 ans et qui ont exercé cette activité pendant une courte période seulement (moins de cinq ans) présentent un taux de perception des PC nettement supérieur à la moyenne.

Conseil fédéral (2017): «Jeunes entreprises à forte croissance en Suisse», rapport donnant suite au postulat 13.4237 Derder du 12 décembre 2013.

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Le fait d'exercer une activité indépendante dans des secteurs économiques où les revenus sont bas, comme les soins corporels, la restauration, le nettoyage ou le commerce de détail, accroît nettement les risques de dépendre des PC.

Figure 2 Taux de bénéficiaires de PC à l'AVS en 2016, selon la biographie professionnelle

N=794 263 rentiers/ères AVS depuis l'âge ordinaire de la retraite jusqu'à 75 ans en 2016.

Source: Registres CdC (2016). Calculs BASS.

Les anciens indépendants percevant des PC se caractérisent aussi par le fait qu'ils comptent une proportion plus élevée de personnes ayant effectué un retrait anticipé de leurs avoirs dans la prévoyance professionnelle. Un retrait du capital du 2e pilier des travailleurs indépendants multiplie par deux les risques de percevoir ultérieurement des PC, toutes choses égales par ailleurs. La raison la plus fréquemment invoquée par les anciens indépendants pour le retrait et l'utilisation des avoirs de la prévoyance professionnelle est liée au financement de l'activité indépendante. Dans la plupart des cas, les lacunes de la prévoyance vieillesse résultant d'un versement anticipé en capital ne peuvent évidemment plus être comblées avant le moment de la retraite. Les résultats de l'enquête ne permettent pas de connaître comment l'intégration dans le marché du travail et l'évolution des revenus de ces personnes auraient évolué si elles n'avaient pas entrepris leur activité indépendante. Les données indiquent toutefois que, pour certaines personnes devenues indépendantes entre 46 et 57 ans, une proportion importante a également rencontré des problèmes en tant que salariées sur le marché du travail (par ex. des périodes de chômage ou l'enchaînement d'emplois à 26 / 46

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durée déterminée). Ces trajectoires professionnelles discontinues peuvent entraîner des ruptures dans la couverture de la prévoyance vieillesse, notamment dans les 2e et 3e piliers.

3.5

Auto-évaluation de la prévoyance vieillesse par les indépendants

L'enquête réalisée par le BASS montre qu'environ un tiers des anciens indépendants entre 64/65 et 75 ans sont d'avis que leur sécurité financière à la retraite est plutôt insuffisante, les femmes (39 %) étant plus concernées par ce problème que les hommes (30 %). Indépendamment du sexe, les analyses montrent que, premièrement, les personnes divorcées jugent beaucoup plus souvent leur sécurité financière insuffisante que les personnes mariées ou célibataires. Deuxièmement, le niveau de formation influence aussi l'appréciation de la situation financière après le passage à la retraite. Troisièmement, des différences peuvent être observées entre les branches économiques: les personnes ayant exercé une activité indépendante dans des secteurs tels que les soins personnels, l'hôtellerie, le nettoyage, la vente au détail, les arts ou les services sociaux jugent insuffisante leur situation financière à la retraite. Les agriculteurs sont moins souvent insatisfaits de leur situation en dépit de leur faible niveau de revenu pendant la phase active, de même qu'après la retraite. Les personnes ayant démarré leur activité indépendante entre 46 et 57 ans jugent leur sécurité financière moins bonne que les personnes qui ont démarré leur activité plus tôt ou à partir de 58 ans.

Parmi les raisons invoquées pour expliquer une sécurité financière insuffisante à la retraite, le manque de ressources financières à disposition durant la période pendant laquelle a été exercée l'activité indépendante arrive en tête (56 %). Une seconde raison invoquée est la faible valeur de l'entreprise au moment de sa remise ou de sa vente (25 % des hommes), soit parce que l'entreprise ne s'est pas développée comme prévu, soit parce que le prix de vente de l'entreprise était surestimé. Une troisième raison invoquée est la prise en compte insuffisante de l'importance de la prévoyance vieillesse pendant la phase d'activité. Enfin, le versement anticipé des avoirs de la prévoyance professionnelle ou du troisième pilier est également mentionné comme une cause de sécurité financière insuffisante à la retraite.

Concernant les mesures qui pourraient être envisagées, 61 % des personnes interrogées sont plutôt d'accord avec l'affirmation selon laquelle il serait nécessaire d'offrir aux indépendants de meilleures possibilités de s'assurer auprès
d'une forme de 2e pilier. Toutefois, la moitié seulement des personnes interrogées est d'avis que l'obligation pour les indépendants de s'affilier au 2e pilier serait judicieuse. Même si elle est souhaitable, l'affiliation au 2e pilier est estimée trop coûteuse pour 58 % des personnes interrogées.

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4

Pistes pour améliorer la prévoyance professionnelle des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée

Comme le demande le postulat, des mesures destinées à améliorer la prévoyance professionnelle des indépendants et des personnes cumulant activités indépendante et salariée ont été élaborées et présentées sous forme d'options. Les effets des différentes options sur les groupes cibles, moyennant l'adaptation des bases légales idoines, de même que leurs éventuelles conséquences sur le système des PC sont analysés de manière théorique.

4.1

Améliorer l'information des indépendants sur les possibilités d'assurance dans la prévoyance professionnelle

Des efforts accrus et systématiques pourraient être entrepris par les caisses de compensation AVS, en collaboration avec l'OFAS, et avec les associations professionnelles pour la mise sur pied de canaux et de contenus d'information ciblés sur les personnes exerçant une activité indépendante afin de les sensibiliser aux possibilités d'assurance dans la prévoyance professionnelle.

Cette piste part de l'idée que la prévoyance professionnelle restera volontaire pour les indépendants qui peuvent s'y soumettre à titre facultatif ou contracter une des formes de prévoyance relevant du 3e pilier. En outre, pour les personnes qui passent d'une activité salariée à une activité indépendante, le capital de prévoyance professionnelle pourra continuer à être versé sous forme de paiement en espèces de la prestation de sortie, comme c'est actuellement le cas.

En termes d'effets concrets sur les groupes cibles, l'amélioration de l'information implique que la proportion d'indépendants ne disposant que de l'AVS comme prévoyance vieillesse va diminuer, la proportion d'indépendants au bénéfice d'une couverture en matière de 3e pilier ou d'une prévoyance professionnelle tendant à s'accroître, du fait que les informations reçues les auront sensibilisés aux risques encourus en cas de couverture vieillesse insuffisante. Il faudrait non seulement que des informations soient fournies sur les risques d'une couverture insuffisante, mais aussi que les risques liés à la perte de la prestation de sortie investie dans l'entreprise soient communiqués de manière systématique aux personnes qui passent du statut de salarié à celui d'indépendant.

4.2

Maintenir dans le circuit du 2e pilier l'avoir de prévoyance des personnes qui passent du statut de salarié à celui d'indépendant

Une personne assurée à la prévoyance professionnelle, lorsqu'elle s'établit à son compte et qu'elle n'est plus soumise à la prévoyance professionnelle obligatoire, peut exiger le paiement en espèces de sa prestation de sortie.

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La prestation de sortie peut ainsi être investie dans l'activité indépendante et constituer un capital-risque. Dans le cas où l'entreprise n'atteint pas la rentabilité prévue et qu'elle doit déposer le bilan, la totalité ou une partie des avoirs de prévoyance risque d'être perdue si la personne ne parvient pas par la suite à reconstituer une forme de prévoyance.

Maintenir dans le circuit du 2e pilier les personnes qui passent du statut de salarié à celui d'indépendant pourrait prendre plusieurs formes. Les quatre variantes présentées ci-dessous permettraient de réduire, à des degrés divers, les risques de perte de l'avoir de prévoyance investi dans l'entreprise et garantir le maintien d'une forme de prévoyance professionnelle aux personnes passant du statut de salarié à celui d'indépendant. Un des effets serait que la proportion d'indépendants ne disposant que de l'AVS comme prévoyance vieillesse diminuerait de manière sensible, étant donné que les personnes passant du statut de salarié à celui d'indépendant seraient toutes concernées.

La proportion des bénéficiaires de PC ou de l'aide sociale pourrait elle aussi diminuer à l'avenir. Par contre, ces mesures ne permettraient pas, à elles seules, d'augmenter les avoirs de prévoyance des personnes qui passent du statut de salarié à celui d'indépendant.

En termes d'adaptation du droit existant, les variantes présentées requerraient des modifications de la LPP, de la LFLP ainsi que du droit fiscal pour la variante présentée sous 4.2.3.

4.2.1

Conserver la prestation de sortie dans la prévoyance professionnelle

Cette piste ciblerait principalement les personnes qui passent d'une activité salariée à une activité indépendante, mais ne ciblerait pas les indépendants établis depuis toujours, de même que les personnes cumulant activités indépendante et salariée, qui ne peuvent pas prélever de prestation de sortie pour leur activité indépendante.

Le paiement en espèces de la prestation de sortie ne serait plus admis. Les personnes ciblées verraient leur avoir de prévoyance transféré au moment du démarrage de l'activité indépendante sur un compte ou une police de libre passage. En d'autres termes, la prévoyance professionnelle de ces personnes serait «gelée» après le démarrage de l'activité indépendante, ce gel se prolongeant jusqu'au moment de la retraite ou jusqu'au moment où la personne ciblée serait à nouveau affiliée à une institution de prévoyance (par ex. en cas de passage du statut d'indépendant à celui de salarié). Il convient de préciser que, dans le droit actuel, les avoirs individuels de la prévoyance professionnelle déposés auprès d'une fondation de libre passage ne peuvent être retirés que sous forme de capital. Ces avoirs peuvent être «transformés» en rente viagère uniquement après avoir été retirés du circuit de la prévoyance professionnelle et après que l'assuré s'est acquitté de ses obligations fiscales. À partir de là, ce dernier a la possibilité de conclure une rente viagère avec un assureur privé.

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4.2.2

Appliquer les règles pour l'encouragement à la propriété du logement au paiement en espèces de la prestation de sortie pour les indépendants

Avec cette variante de maintien de la prestation de sortie dans le circuit du 2e pilier, le paiement en espèces serait versé aux mêmes conditions que celles figurant dans l'ordonnance du 3 octobre 1994 sur l'encouragement à la propriété du logement au moyen de la prévoyance professionnelle38. Les modalités de versement anticipé en cas d'accession à la propriété du logement prévoient trois conditions cumulées: le montant minimal versé s'élève à 20 000 francs (1); un versement anticipé ne peut être demandé que tous les cinq ans (2); pour les personnes âgées de plus de 50 ans, le montant perçu est limité (3). Avec cette option, la part du capital de prévoyance non perçue resterait dans le circuit de la prévoyance professionnelle sous forme d'un compte ou d'une police de libre passage.

Cette option cible un groupe restreint: les personnes ayant exercé une activité salariée pendant plusieurs années et qui entreprennent une activité indépendante dans une phase ultérieure de leur carrière professionnelle. Les personnes ciblées ne pourraient plus disposer entièrement de leur avoir de prévoyance au moment du démarrage de l'activité indépendante si elles sont âgées de 50 ans ou plus. Comme pour la variante précédente (4.2.1), la part de l'avoir de prévoyance non perçue serait transférée au moment du démarrage de l'activité indépendante sur un compte ou une police de libre passage. En d'autres termes, une partie de la prévoyance professionnelle accumulée par ces personnes pendant leur affiliation auprès d'une institution de prévoyance se retrouverait «gelée» après le démarrage de l'activité indépendante et cela jusqu'au moment du passage à la retraite (transfert des avoirs dans une fondation de libre passage). Il convient de préciser que dans le droit actuel, les avoirs individuels de la prévoyance professionnelle déposés auprès d'une fondation de libre passage ne peuvent être retirés que sous forme de capital. Ces avoirs peuvent être «transformés» en rente viagère uniquement après avoir été retirés du circuit de la prévoyance professionnelle et après que l'assuré s'est acquitté de ses obligations fiscales. À partir de là, ce dernier a la possibilité de conclure une rente viagère avec un assureur privé.

Dans le cadre de la réforme des PC, le projet du Conseil fédéral contenait une proposition quelque peu
différente et qui constituait une alternative à l'idée qui sous-tend cette variante (exclusion du paiement en espèces pour la partie obligatoire de l'avoir de vieillesse en cas de passage d'une activité salariée à indépendante). Cette alternative n'a pas eu de suite, étant donné que les deux chambres ne sont pas parvenues à s'accorder39.

38 39

RS 831.411 Ch. 2.3.6 Réforme des prestations complémentaires.

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4.2.3

Assouplir le paiement en espèces de la prestation de sortie pour les indépendants

Dans le droit actuel, les personnes qui deviennent indépendantes et qui retirent leur avoir du 2e pilier ont l'obligation de prendre l'entier du capital ou de le verser sur un ou au maximum deux comptes ou polices de libre passage.

Un assouplissement des règles du paiement en espèces de la prestation de sortie pour les personnes passant du statut de salarié à celui d'indépendant impliquerait que seule une partie de l'avoir de prévoyance pourrait être versée lorsque la personne se met à son compte, ce versement intervenant dès que l'intention d'entamer une activité indépendante est reconnue par la caisse de compensation AVS. Avec cette variante, la partie non utilisée de l'avoir de prévoyance soit resterait dans le circuit du 2e pilier sous forme d'un compte de libre passage, soit pourrait être retirée dans un second temps, par exemple après un délai de trois à quatre ans, à fixer, après le premier versement.

Cette forme de versement échelonné ne serait applicable que pour des personnes dont l'avoir de prévoyance dépasse un seuil déterminé, par exemple 20 000 francs, montant qui correspond au montant minimum en cas de retrait dans le cadre de l'encouragement à la propriété du logement. Les montants inférieurs seraient versés dans leur intégralité au moment du démarrage de l'activité indépendante comme c'est actuellement le cas.

L'assouplissement du paiement en espèces de la prestation de sortie pour les indépendants cible le même groupe que celui des deux variantes précédentes: les personnes qui ont exercé une activité salariée pendant plusieurs années au début de leur carrière, puis une activité indépendante dans la dernière phase de leur parcours professionnel.

Les personnes cumulant activités indépendante et salariée devraient en revanche être exclues, en raison des risques d'abus (par ex. licenciements de salariés par l'employeur pour les réengager à temps partiel et les mandater parallèlement comme indépendants) et des difficultés de mise en oeuvre, du fait des nombreuses trajectoires pouvant déboucher sur le cumul d'activités indépendante et salariée. Les travaux de recherche ont par ailleurs montré que le groupe des personnes ayant entrepris une activité indépendante entre 51 et 57 ans, puis interrompu cette activité dans les cinq ans, présentent un risque plus élevé que les autres
catégories d'indépendants de disposer d'une couverture vieillesse insuffisante. Assouplir le paiement en espèces de la prestation de sortie ferait disparaître l'obligation de retirer une plus grande part du capital de prévoyance que n'en requiert la création de l'entreprise, d'où une diminution du risque de perdre l'entier du capital en cas d'échec.

Cette variante pourrait être difficile à mettre en oeuvre. Un versement partiel implique une imposition partielle, d'où l'application d'un taux d'imposition qui devrait être calculé à partir de la totalité de l'avoir de prévoyance et non pas sur le montant du versement partiel. Le taux d'imposition pourrait par conséquent être soumis à des règles fiscales analogues à l'imposition du versement anticipé servant à encourager la propriété du logement. D'autres problèmes apparaîtraient pour les personnes disposant de plusieurs comptes ou polices de libre passage. En outre, il serait presque impossible d'exclure les personnes qui sont simultanément employées et indépendantes, étant donné qu'elles sont généralement affiliées à différentes caisses de compensation AVS et qu'aucune vue d'ensemble en temps réel n'existe sur ces affiliations.

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Par rapport à la variante précédente (4.2.2), l'assouplissement du paiement en espèces de la prestation de sortie pour les indépendants offrirait un plus faible degré de maintien de couverture en matière de prévoyance professionnelle.

4.3

Accroître l'offre de prévoyance professionnelle pour les personnes indépendantes travaillant seules

Trois possibilités pour cotiser au 2e pilier s'offrent actuellement aux indépendants qui n'ont pas de collaborateurs. La première consiste à s'affilier à l'institution de prévoyance de leur association professionnelle ou de branche. Mais beaucoup de ces organisations n'ont pas d'institution de prévoyance et plusieurs professions n'ont simplement aucune association pour les représenter. La deuxième possibilité passe par une affiliation auprès d'un assureur privé via une fondation collective. La troisième consiste à s'affilier auprès de l'institution supplétive, tenue d'accueillir tous les indépendants. Des formes innovantes de collaboration entre l'institution supplétive et des associations professionnelles ont récemment été mises sur pied (cf. ch. 2.2.3). Ces nouvelles formes de collaboration sont la preuve que des solutions flexibles et adaptées aux indépendants sont possibles.

Concrètement, l'accroissement de l'offre des prestataires de prévoyance professionnelle destinée aux indépendants travaillant seuls permettrait à cette catégorie de s'affilier à n'importe quelle institution de prévoyance, si les dispositions réglementaires de l'institution le prévoient. Cette possibilité avait été adoptée par le Parlement dans le cadre de la réforme de la Prévoyance vieillesse 2020 (art. 44, al. 1, LPP de la réforme). Une nouvelle réforme est actuellement en discussion (Réforme LPP 21). Le projet du Conseil fédéral ne prévoyait aucune modification concernant les indépendants. Mais la CSSS-N a proposé que les indépendants puissent s'affilier à n'importe quelle institution de prévoyance, si les dispositions réglementaires de celle-ci le permettent. Le Conseil national a accepté sans vote cette proposition. Il convient de préciser que les dispositions légales actuellement en vigueur offrent une certaine flexibilité aux indépendants, du fait qu'ils peuvent s'assurer aussi auprès d'une institution de prévoyance qui est active uniquement dans le domaine de la prévoyance étendue (art. 4, al. 3, LPP). De tels plans de prévoyance présentent une plus grande flexibilité que le régime obligatoire de la prévoyance professionnelle.

La décision d'accroître l'offre des prestataires de prévoyance professionnelle pour les indépendants travaillant seuls continuerait à relever de la liberté de choix des institutions de
prévoyance, ce qui ne modifierait pas fondamentalement les règles actuelles: s'affilier à la prévoyance professionnelle resterait volontaire pour les indépendants, élargir l'offre de prévoyance étendue relèverait de la stratégie de chaque institution de prévoyance. L'augmentation du choix et des possibilités rendrait simplement plus attrayante la prévoyance professionnelle pour une partie des indépendants, même si on ne peut pas garantir que toutes les institutions de prévoyance ont un intérêt commercial à élargir leur offre de prévoyance. Pour sensibiliser les institutions de prévoyance à élargir leur offre de prévoyance aux indépendants, il faudrait mener un dialogue avec elles, par le biais de leur association de branche et de l'Association suisse des institutions de prévoyance ASIP.

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Cette piste s'appliquerait à toutes les catégories du groupe cible: tant les personnes ayant toujours exercé une activité indépendante que celles qui ont entrepris une activité indépendante après avoir exercé une activité salariée. Les personnes exerçant en parallèle des activités indépendante et salariée seraient aussi concernées, mais l'effet escompté de l'accroissement de l'offre reste plus limité pour elles. Cette catégorie de personnes est en principe déjà assurée pour son activité salariée auprès de l'institution de prévoyance de l'employeur. Elle peut demander à assurer la partie indépendante, à condition que le règlement de cette institution accepte d'assurer cette partie. Il est cependant difficile de prédire l'effet qu'aurait un accroissement de l'offre de prévoyance sur la situation des indépendants.

Cette variante exigerait des modifications de la LPP.

4.4

Améliorer la couverture du pilier 3a des personnes cumulant activités salariée et indépendante

Les personnes cumulant activités indépendante et salariées peuvent, du fait de leur statut socioprofessionnel mixte, se retrouver dans une situation moins favorable que si elles étaient uniquement indépendantes ou salariées (cf. ch. 2.1). Pour rappel, le montant maximum déductible fiscalement pour les personnes affiliées à une institution de prévoyance est nettement inférieur au montant autorisé pour les indépendants non affiliés à la prévoyance professionnelle fixé à 40 % du montant-limite supérieur, soit 34 416 francs (2022). Dans le cas de figure où une personne réalise une part importante de ses revenus avec son activité indépendante tout en étant assurée dans la prévoyance professionnelle, ses éventuelles cotisations à un pilier 3a dépassant 6883 francs ne peuvent pas être déduites fiscalement.

La prévoyance des personnes cumulant activités salariée et indépendante pourrait être améliorée en autorisant, pour le pilier 3a, un plafond fiscalement déductible plus élevé que celui qui est appliqué aux salariés. Concrètement, les cotisations à la prévoyance professionnelle additionnées aux cotisations du pilier 3a déductibles fiscalement ne pourraient pas dépasser 40 % du montant-limite supérieur fixé à l'art. 8, al. 1, LPP, soit 34 416 francs (2022). Cette piste équivaut à appliquer aux personnes cumulant activités salariée et indépendante des règles analogues en matière de déductibilité fiscale du pilier 3a à celles appliquées aux indépendants. La différence pour cette catégorie par rapport aux indépendants ou aux salariés résiderait dans le fait que le calcul du versement maximal déductible fiscalement pour le pilier 3a pourrait s'élever au maximum à 34 416 francs et que le montant exact admissible serait déterminé en fonction des cotisations versées à la prévoyance professionnelle durant l'année en cours.

Pour éviter que cette nouvelle possibilité conduise à une surassurance, des ajustements seraient nécessaires. La cotisation au 2e pilier figurant sur le certificat de salaire annuel transmis avec la déclaration d'impôt pourrait, par exemple, être multipliée par deux par l'autorité fiscale afin de tenir compte de la part «employeur» aux cotisations au 2e pilier. Une autre solution pourrait consister à fixer un plafond aux cotisations du pilier 3a équivalant, par exemple, au double du maximum déductible fiscalement admis pour les salariés (6883 fr. x 2 = 13 766 fr.).

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Cette piste impliquerait une nouvelle tâche pour les autorités fiscales: contrôler que la somme totale des cotisations à la prévoyance professionnelle, de celles destinées à un rachat dans la prévoyance professionnelle et des versements au pilier 3a déductibles fiscalement ne dépassent pas le plafond maximal annuel admis pour les personnes exerçant une activité indépendante qui ne sont pas affiliées à une institution de prévoyance.

Cette piste exigerait des modifications de l'OPP 2 et de l'OPP 3.

4.5

Rendre obligatoire la prévoyance professionnelle pour l'activité indépendante

La prévoyance professionnelle deviendrait obligatoire pour les personnes exerçant une activité indépendante sous condition que les revenus tirés de l'activité lucrative dépassent le seuil d'accès LPP. Cette piste peut prendre la forme de différentes variantes.

4.5.1

Prévoyance professionnelle obligatoire pour les indépendants

Avec cette option, la prévoyance professionnelle deviendrait obligatoire non seulement pour les salariés, mais aussi pour les indépendants. Toutes les personnes exerçant ou sur le point d'exercer une activité indépendante et dont le revenu dépasse le seuil d'entrée LPP (21 510 francs) devraient s'affilier à une institution de prévoyance, puis fournir la preuve de leur affiliation à leur caisse de compensation AVS.

Selon les règles en vigueur, les institutions de prévoyance sont libres de proposer ou non des plans de prévoyance aux indépendants. Le régime de prévoyance professionnelle obligatoire pour les indépendants décrit ici n'entraînerait aucun changement pour les institutions de prévoyance. Même dans le régime existant de la prévoyance professionnelle pour les salariés, il n'existe aucune obligation d'admission, à l'exception de l'institution supplétive, et aucune attribution claire et objective d'indépendants à des institutions de prévoyance définies. L'affiliation auprès de l'institution supplétive demeurerait une alternative pour toutes les configurations d'activités indépendantes et constituerait la solution par défaut pour toutes les personnes n'ayant pas transmis la preuve de leur affiliation à une institution de prévoyance à leur caisse de compensation AVS. Le cas échéant, l'institution supplétive devrait affilier d'office toutes les personnes non encore affiliées sur décision de la caisse de compensation AVS.

Pour les personnes cumulant activités salariée et indépendante, deux cas de figure se présentent. Les personnes déjà affiliées auprès de l'institution de prévoyance d'un employeur pour la partie salariée de leur activité pourraient assurer le revenu de leur activité indépendante également auprès de l'institution de leur employeur, si le règlement de l'institution l'autorise. Dans le cas contraire, une affiliation à l'institution supplétive ou à une autre institution de prévoyance resterait possible. Les personnes

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cumulant activités salariée et indépendante, mais non encore assurées dans la prévoyance professionnelle se verraient appliquer les mêmes règles qu'aux indépendants si le cumul des deux revenus dépasse le seuil d'accès.

Cette piste présente de sérieuses difficultés dans la mise en oeuvre. Les caisses de compensation AVS devraient vérifier l'affiliation de tous les indépendants auprès d'une institution de prévoyance et faire affilier d'office auprès de l'institution supplétive des indépendants n'ayant pas attesté leur affiliation auprès d'une autre caisse de pension. À cette fin, elles devraient déterminer le revenu des indépendants devant être assurés dans la prévoyance professionnelle. Le revenu AVS des indépendants peut varier fortement d'une année à l'autre et peut connaître des variations en fonction des déductions (individuelles, selon la situation). Le calcul définitif des cotisations AVS pour les indépendants est effectué sur la base de la taxation fiscale, c'est-à-dire longtemps après la fin de l'année civile considérée. Tant que les caisses de compensation ne disposent pas de la taxation fiscale définitive, elles prélèvent des acomptes de cotisations AVS/AI/APG et demandent plus tard, le cas échéant, des cotisations arriérées. Elles sont dépendantes de la collaboration des indépendants pour fixer le montant des acomptes de cotisations, car ceux-ci sont les seuls à connaître leur situation en matière de revenu. Les indépendants doivent donc communiquer aux caisses de compensation toute modification significative de leurs revenus afin que les acomptes de cotisation soient le plus proche possible de la réalité. L'expérience montre toutefois que des indépendants ne prennent pas toujours au sérieux leur obligation de collaborer. Cela a pour conséquence d'allonger considérablement le laps de temps avant que le salaire annuel définitif assuré ne soit connu. Dans l'AVS/AI/APG, cela n'a en règle générale aucun impact significatif tant qu'aucun cas d'assurance ne survient; à cela s'ajoute le fait que, pour ces assurances, le taux de cotisation ne change pas (au-delà de la limite supérieure du barème dégressif).

Une prévoyance professionnelle obligatoire, dans laquelle il faut déterminer, sur la base du revenu AVS et après application de la déduction de coordination, s'il existe ou non une obligation
d'assurance et quelle part du salaire doit être éventuellement assurée, puis prélever sur celle-ci des cotisations, pourrait s'avérer très problématiques en raison des retards inhérent au système. Concrètement, ce n'est (la plupart du temps) qu'après un certain délai, pouvant aller jusqu'à plusieurs années, qu'il serait décidé si la personne en question doit être assurée; les cotisations ne pourraient donc être prélevées qu'avec du retard. Il faudrait, pour chaque année, réviser les calculs au moins deux fois sur la base des cotisations arriérées et des restitutions de cotisations.

On pourrait donc s'attendre à d'importantes pertes en matière de cotisations. Les institutions de prévoyance devraient rémunérer des avoirs de vieillesse qu'elles n'auraient pas à leur disposition et qu'elles ne pourraient donc pas placer. Elles devraient traiter avec plusieurs années de retard des procédures administratives telles que des entrées et des sorties et seraient confrontées à des cas de prestations (partage de prévoyance à la suite d'un divorce, versements dans le cadre de l'encouragement à la propriété du logement, rachats, rentes de survivants et rentes d'invalidité) pour lesquelles les cotisations n'ont pas encore été perçues ou ne l'ont été que partiellement et pour lesquelles il ne serait même pas clair si et pour quelles années il y a un assujettissement à l'assurance et une obligation de payer des cotisations. Par conséquent, elles ne sauraient pas quels sont leurs engagements en matière de prestations et leur droit à des cotisations et ne pourraient dès lors pas prendre de décisions concernant 35 / 46

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d'éventuelles adaptations en matière de provisions, de réserves de fluctuation de valeur ou de mesures d'assainissement. De même, une tarification correcte pour les prestations en cas de décès et d'invalidité serait à peine possible. Dans ces conditions, une éventuelle coordination pour les personnes assujetties à l'assurance à la fois en tant qu'indépendantes et en tant que salariées ne serait que très difficilement réalisable.

Toutes ces difficultés de mise en oeuvre se traduiraient notamment par des frais administratifs élevés. Certaines adaptations simplifiant l'exécution sont certes envisageables: par exemple une assurance dès le premier franc de revenu (c'est-à-dire la suppression de la déduction de coordination) et des taux de bonification de vieillesse indépendants de l'âge. De telles adaptations ne feraient toutefois que réduire légèrement les problèmes d'exécution, sans pour autant les éliminer. L'exécution générerait dans tous les cas des charges considérables pour les caisses de compensation et pour les institutions de prévoyance.

Cette piste améliorerait la prévoyance des indépendants à long terme. Cependant, les contraintes de l'activité indépendante vis-à-vis de la prévoyance professionnelle ne disparaîtraient pas pour autant. Les travaux de recherche ont montré que pour la majorité des personnes exerçant une activité indépendante, l'affiliation au 2e pilier est estimée trop coûteuse. De plus, ces personnes doivent supporter seules des frais administratifs élevés induits par des modèles d'assurance taillés «sur mesure» qui s'adressent à des collectifs d'assurés dont la taille est par définition restreinte. En outre, au vu de la manière dont l'environnement institutionnel actuel a évolué (cf.

ch. 2.2), rien ne garantirait que l'offre en matière de prévoyance répondrait de manière adéquate aux besoins des indépendants, étant donné que la liberté contractuelle est l'une des conditions d'existence de la prévoyance étendue. La liberté contractuelle se manifeste notamment par des réserves de diverses natures prises par les prestataires avant la conclusion d'un contrat d'assurance. À la lumière des besoins spécifiques des indépendants, des solutions de prévoyance facultatives semblent plus adéquates qu'une prévoyance obligatoire régie par la LPP.

Étant donné qu'il n'existe actuellement,
pour les indépendants, aucune base constitutionnelle pour l'instauration d'une obligation générale de s'assurer dans la prévoyance professionnelle, l'art. 113 Cst. devrait être révisé en conséquence. Ensuite, il s'agirait de procéder aux modifications nécessaires de la LPP et des ordonnances afférentes.

Rendre obligatoire la prévoyance professionnelle pour l'activité indépendante aurait aussi des conséquences sur le traitement fiscal appliqué aux versements des indépendants aux formes reconnues de prévoyance (pilier 3a). Les indépendants avant l'âge ordinaire de la retraite seraient traités de la même manière que les salariés: les cotisations pouvant être déduites ne devraient plus dépasser 8 % du montant-limite supérieur fixé à l'art. 8, al. 1, LPP.

4.5.2

Prévoyance professionnelle obligatoire «light» spécifique au statut d'indépendant

La conjugaison des particularités de l'activité indépendante, par exemple la fluctuation des revenus dans le temps, et le cadre relativement rigide de la prévoyance professionnelle avec l'existence d'un seuil d'entrée et d'une déduction de coordination 36 / 46

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fixes ou l'existence de bonifications de vieillesse échelonnées selon l'âge, limitent les solutions adaptées à l'intérieur du cadre légal actuel.

Pour prendre en compte au mieux les spécificités propres à l'exercice d'une activité indépendante, une prévoyance professionnelle obligatoire «light» ne s'appliquant qu'aux indépendants garantirait à ces personnes une couverture minimale. Il s'agirait d'une assurance nouvelle qui serait un complément à la prévoyance professionnelle actuelle. Cette proposition a été développée dans le rapport du Conseil fédéral «Numérisation ­ Examen d'une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (FlexiTest)». Ce rapport examine la nécessité et les avantages et inconvénients d'une flexibilisation dans le domaine du droit des assurances sociales pour répondre de manière adéquate aux conséquences du développement de la numérisation croissante dans le monde du travail. Il analyse par conséquent plusieurs options de flexibilisation et montre comment éviter les risques de précarisation et de reports de charge financière sur l'aide sociale et sur le régime des PC qui pourraient découler de la numérisation de l'économie. Les réflexions faites dans le rapport sont aussi, de manière plus générale, intéressantes pour la prévoyance des indépendants avec de faibles revenus.

La proposition d'une prévoyance professionnelle obligatoire «light» développée dans le rapport mentionné plus haut s'adresse aux travailleurs de plateforme qui exercent leur activité sous forme salariée ou indépendante auprès d'un ou de plusieurs employeurs et qui touchent de faibles revenus. Elle prévoit que la part du revenu comprise entre 2300 et 21 510 francs serait couverte par une assurance obligatoire «light» qui n'assurerait que le risque vieillesse. Le montant inférieur à 2300 francs correspond au revenu pour lequel la cotisation AVS n'est pas exigible en cas d'activité indépendante40, tandis que le montant supérieur correspond au seuil d'entrée LPP. Au-delà du montant correspondant au seuil d'entrée LPP, l'affiliation à la prévoyance professionnelle resterait facultative pour les indépendants. Aucun montant de coordination ne serait déduit du salaire assuré et le taux de cotisation serait fixé suffisamment bas afin d'éviter que les assurés concernés se retrouvent dans une situation moins
bonne que les personnes salariées, du fait de l'application de la déduction de coordination dans la LPP actuelle (prévention des effets de seuil). Un taux de cotisation fixé à 2 % du salaire AVS éviterait tout effet de seuil. Sur une carrière complète de 40 ans, l'avoir de vieillesse se situerait entre 1840 francs (avec un revenu annuel de 2300 francs pendant le processus d'épargne) et 17 208 francs (avec un revenu annuel de 21 510 francs). Une solution de ce type ne contribuerait donc pas significativement à une prévoyance suffisante.

Pour l'exécution, seule une institution de prévoyance dédiée à cette mission pourrait être chargée de ces nouvelles tâches. Il incomberait aux caisses de compensation AVS d'annoncer les indépendants à l'institution supplétive ainsi que de prélever la cotisation de la prévoyance professionnelle obligatoire «light» selon les mêmes modalités que celles du prélèvement des cotisations AVS (prélèvement trimestriels, puis décompte final annuel) et de les verser à l'institution supplétive. Les difficultés en matière d'exécution mentionnées dans le ch. 4.5.1 se retrouveraient toutefois aussi ici.

Du fait du faible volume des cotisations et de la charge administrative induite, la relation coûts-utilité de cette option requiert des analyses plus approfondies. Comme le 40

Art. 19, RAVS.

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relève le rapport du Conseil fédéral «Numérisation ­ Examen d'une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)», aux charges mentionnées ci-dessus, qui incomberaient aux caisses de compensation et à l'institution supplétive, s'ajouteraient les charges des plateformes en tant qu'employeurs ou en tant qu'intermédiaires. Sans la participation des plateformes, les charges liées au traitement des cotisations seraient supportées par les indépendants seraient dans l'ensemble trop lourdes.

Aux difficultés pratiques de mise en oeuvre d'une prévoyance professionnelle obligatoire «light» s'ajoutent plusieurs défis d'ordre juridique. Selon l'art. 113, al. 2, let. e, Cst., la Confédération peut déclarer la prévoyance professionnelle obligatoire pour certaines catégories de personnes exerçant une activité indépendante, d'une façon générale ou pour couvrir des risques particuliers. Il existerait donc en principe, avec cette disposition, une base constitutionnelle pour l'instauration d'une obligation d'assurance pour les indépendants à faibles revenus. L'ajout de nouvelles dispositions dans la LPP serait néanmoins nécessaire. Comme pour la piste décrite sous 4.4.1, cette proposition aurait aussi pour conséquence qu'il faudrait adapter le traitement fiscal appliqué aux versements des indépendants aux formes reconnues de prévoyance (pilier 3a). Les indépendants avant l'âge ordinaire de la retraite seraient traités de la même manière que les salariés: les cotisations pouvant être déduites ne devraient plus dépasser 8 % du montant-limite supérieur fixé à l'art. 8, al. 1, LPP.

4.5.3

Prévoyance professionnelle obligatoire limitée à la couverture des risques décès et invalidité

La prévention des lacunes de prévoyance chez les indépendants peut aussi passer par la couverture obligatoire des risques décès et invalidité dans la prévoyance professionnelle. Elle consisterait en une assurance de capital qui présente l'avantage d'être administrativement plus simple et moins coûteuse à mettre en oeuvre qu'une assurance pension. Cette piste est développée dans le rapport du Conseil fédéral «Numérisation ­ Examen d'une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)» en ce qui concerne les travailleurs de plateforme indépendants à faibles revenus. Les réflexions à ce sujet sont, de manière plus générale, intéressantes pour la prévoyance des indépendants à faibles revenus.

Les indépendants dont les revenus dépassent le seuil d'entrée LPP (21 510 fr.) seraient obligatoirement assurés auprès de l'institution supplétive contre les risques décès et invalidité. Le choix de cette unique institution réside dans le fait qu'avec un fonds géré de manière centralisée, un nombre suffisant d'assurés peut être atteint, ce qui est indispensable pour la mise en oeuvre d'une solution qui soit la moins coûteuse possible par assuré (économies d'échelle).

La cotisation pour la couverture des risques décès et invalidité prendrait la forme d'un montant forfaitaire versé par les indépendants. Un montant de prestation serait défini, par exemple 50 000 francs, et ce montant serait versé à la personne assurée ou aux ayants droit en cas d'invalidité ou de décès. Par conséquent les cotisations seraient les mêmes pour tous les revenus afin de simplifier l'administration autant que possible.

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Une solution de ce type ne contribuerait pas significativement à une prévoyance suffisante, mais pourrait compléter d'autres solutions de prévoyance.

Comme pour les pistes décrites sous 4.4.1 et 4.4.2, il incomberait aux caisses de compensation AVS d'annoncer les indépendants à l'institution supplétive pour que celleci les affilie d'office. Les caisses de compensation AVS se verraient attribuer une seconde tâche, qui serait de prélever la cotisation de la prévoyance professionnelle obligatoire limitée à la couverture des risques décès et invalidité selon les mêmes modalités que pour le prélèvement des cotisations AVS (prélèvements trimestriels, puis décompte final annuel) et de la reverser à l'institution supplétive. Les difficultés en matière d'exécution mentionnées dans le ch. 4.5.1 se retrouveraient toutefois aussi ici, mais dans une moindre mesure, car il n'y aurait pas la constitution d'un capital-vieillesse.

Selon l'art. 113, al. 2, let. e. Cst., la Confédération peut déclarer la prévoyance professionnelle obligatoire pour certaines catégories de personnes exerçant une activité indépendante, d'une façon générale ou pour couvrir des risques particuliers. Il existerait donc en principe, avec cette disposition, une base constitutionnelle pour l'instauration d'une obligation d'assurance limitée aux risques décès et invalidité pour les indépendants à faibles revenus. L'ajout de nouvelles dispositions dans la LPP serait néanmoins nécessaire. Cette piste n'implique pas d'adapter le traitement fiscal appliqué aux versements des indépendants aux formes reconnues de prévoyance (pilier 3a), les éventuels cas de surassurance pour la couverture des risques décès et invalidité nécessitant toutefois d'être réglés au cas par cas par les établissements d'assurance (polices d'assurance 3a).

5

Conclusions

Lorsque les premières discussions sur une prévoyance professionnelle obligatoire pour les salariés ont démarré il y a une cinquantaine d'années, la mise sur pied d'une assurance professionnelle facultative pour les indépendants avait aussi été abordée.

Le but recherché était de pouvoir offrir aux indépendants la possibilité de s'assurer à des conditions équivalentes à celles qui étaient proposées aux personnes salariées. À partir de ce moment, l'éventualité de prévoir un régime obligatoire pour les indépendants a toujours été écartée avec l'argument que la grande variété des professions indépendantes ne permettait pas d'envisager l'établissement d'un régime général obligatoire, même conçu de façon très souple.

Sous cette perspective historique, le postulat CSSS-N 16.3908 «Analyser la situation des indépendants en matière de prévoyance professionnelle» repose la question d'établir si le caractère facultatif de la prévoyance professionnelle pour les indépendants n'est pas devenu problématique, en ce sens que ce groupe serait actuellement plus susceptible que les anciens salariés ou les personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée de devoir recourir aux prestations complémentaires à la retraite. Pour répondre à cette question, deux études ont été mandatées afin de fournir un aperçu statistique de la situation à la retraite de personnes ayant exercé une activité indépen-

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dante, de même que celle des personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée. La situation à la retraite de ces deux groupes spécifiques a ainsi pu être comparée au groupe de référence constitué par les anciens salariés.

Les conséquences économiques de la fondation d'une entreprise ne concernent pas uniquement la situation de prévoyance de la fondatrice ou du fondateur. Les activités entrepreneuriales conduisent en effet à des investissements et à la création de places de travail, ce qui influe à son tour sur les revenus des pouvoirs publics et des assurances sociales, y compris les PC. Ces répercussions sur le plan macroéconomique ne font toutefois pas l'objet du présent rapport, ni les éventuels effets négatifs des mesures présentées sur l'activité entrepreneuriale.

Éventuelles lacunes au niveau de la prévoyance Les données statistiques montrent qu'il existe peu de différences en ce qui concerne le niveau des rentes AVS entre anciens indépendants, anciens salariés et les personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée. Il convient en revanche de relever que les anciens indépendants, après le passage à la retraite, sont beaucoup moins susceptibles que les anciens salariés de percevoir des prestations du 2e ou 3e pilier. Alors que les trois quarts des anciens salariés en âge de retraite peuvent recourir à la prévoyance professionnelle ou au 3e pilier, seule la moitié environ des anciens indépendants bénéficient de l'un ou de l'autre ou de la combinaison des 2e et 3e piliers. La couverture plus faible des indépendants à la retraite en matière de prévoyance professionnelle est cependant contrebalancée par la perception d'autres sources de revenus, telles que les revenus de la fortune ou les revenus de l'activité lucrative.

Un risque de lacune de prévoyance apparaît chez les anciens indépendants lorsque le lancement de l'activité indépendante n'est pas le résultat d'un choix délibéré et qu'il s'est réalisé tardivement dans la vie professionnelle. Les indépendants qui n'occupent aucun employé et réalisent de petits mandats, faiblement rémunérés, sont également exposés à ce risque.

A contrario, les indépendants «traditionnels» disposent d'un niveau global de revenu à la retraite qui est comparable à celui des salariés. Pour une minorité d'indépendants, le niveau de revenu disponible
à la retraite est supérieur, voire nettement supérieur à celui des salariés. Le fait que les indépendants ne sont soumis obligatoirement ni à la prévoyance professionnelle, ni à l'assurance-chômage, ni à l'assurance-accident constitue plutôt une chance sur plan économique: ils peuvent ainsi se lancer et développer leurs affaires sans avoir à supporter des coûts élevés de cotisation aux assurances sociales lors de la phase initiale de leur activité indépendante, cruciale pour la survie de leur entreprise. S'ils ne sont pas déjà âgés, ils auront le temps de consolider progressivement leur prévoyance privée grâce aux revenus croissants liés au développement de leur entreprise et aux incitations de nature fiscale. La revente de leur affaire au moment de quitter le marché du travail peut aussi constituer une source importante de financement à la retraite.

Conséquences sur les prestations complémentaires Les données statistiques montrent que le revenu de l'activité des indépendants sur l'ensemble de la carrière est en moyenne inférieur à celui des salariés. Il est donc compréhensible que la proportion d'anciens indépendants percevant des PC (10,1 % 40 / 46

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des anciens indépendants) soit plus élevée que la proportion des anciens salariés (6,5 %). D'autres facteurs, par exemple la trajectoire professionnelle ou encore l'utilisation ou non des avoirs de prévoyance au moment du démarrage de l'activité indépendante, exercent également un effet important sur les risques de percevoir des PC.

C'est le cas pour les personnes qui démarrent une activité indépendante entre 51 et 57 ans, groupe qui concentre, plus souvent que la moyenne, un double facteur de risque: aboutir à l'activité indépendante de manière «plutôt involontaire» et faire appel aux avoirs de prévoyance professionnelle pour démarrer l'activité indépendante. Ces deux conditions, lorsqu'elles sont associées à l'exercice de l'activité indépendante dans des secteurs économiques où les revenus sont bas, comme les soins corporels, la restauration, le nettoyage ou le commerce de détail, accroît nettement les risques de dépendre plus tard des PC. Cela étant, si les personnes concentrant ces facteurs de risque avaient été intégrées dans le marché du travail avec une activité salariée, elles auraient aussi peut-être dû recourir aux PC une fois à la retraite.

Situation des personnes qui cumulent un emploi salarié et une activité indépendante En termes de niveau de revenu global à la retraite, avec un revenu moyen de 57 000 francs, les personnes ayant cumulé activités indépendante et salariée sont légèrement mieux loties que les anciens salariés (54 000 fr.) ou les anciens indépendants (52 000 fr.). Ce groupe ne constitue pas à proprement parler un groupe exposé au risque de disposer de revenus insuffisants à la retraite.

Les données récoltées dans le cadre du traitement du présent postulat montrent qu'un peu moins de trois quarts des indépendants exerçant en parallèle une activité salariée réalisent 80 % ou plus de leur revenu avec leur activité indépendante, ce qui signifie que la part de l'activité salariée est faible.

Modèles d'assurance possibles Du fait des lacunes de prévoyance individuelle qui peuvent découler du statut d'indépendant et des charges financières que doivent alors supporter les collectivités publiques pour les combler, notamment par l'octroi de PC, différentes pistes pour améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories d'indépendants «à risque», c'est-à-dire
les individus dont on peut supposer qu'ils ne seront pas en mesure de se constituer une prévoyance individuelle suffisante à la retraite, ont été examinées.

Chaque piste ­ certaines sont modulées sous forme de variantes ­ cherche à apporter une réponse aux problèmes spécifiques relevés pour différents groupes d'indépendants.

Améliorer l'information des indépendants sur les possibilités d'assurance dans la prévoyance professionnelle ou encore accroître l'offre de prévoyance professionnelle pour les personnes indépendantes travaillant seules constituent deux pistes dont pourraient bénéficier un large éventail d'indépendants. Du fait de leur caractère non contraignant, ces deux pistes s'inscrivent dans la continuité historique de la liberté individuelle dont jouissent les indépendants sur la façon la plus adéquate de se prémunir contre le risque vieillesse.

Les personnes qui débutent leur activité indépendante après avoir exercé au préalable une activité salariale, par exemple entre 46 et 57 ans, sont plus souvent exposées que 41 / 46

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les autres indépendants au risque de disposer de revenus insuffisants à la retraite et donc de devoir recourir aux PC. Pour ce groupe spécifique, conserver leur prestation de sortie dans la prévoyance professionnelle permettrait de maintenir le niveau de couverture acquis avant le démarrage de l'activité indépendante. Trois variantes de cette piste, qui vont de l'application des règles pour l'encouragement à la propriété du logement au paiement de la prestation de sortie au «gel» de la prestation de sortie dans les circuits de la prévoyance en passant par un assouplissement du paiement en espèces, ont été analysées. Chaque variante présente des avantages et inconvénients, ainsi qu'un degré d'atteinte plus ou moins important à la liberté économique.

Trois pistes de prévoyance professionnelle obligatoire spécifiques au statut d'indépendants ont aussi été examinées. Rendre la prévoyance professionnelle obligatoire nécessiterait la création d'une base constitutionnelle. La mise en oeuvre d'une telle assurance obligatoire semble en outre difficile. Du fait de la forte atteinte à la liberté économique que présente cette piste, deux autres pistes moins contraignantes ont été examinées: une forme de prévoyance obligatoire «light», destinée uniquement aux indépendants à faible revenu. Avec cette piste, seule une faible part du revenu serait couverte et uniquement pour le risque vieillesse. Une troisième piste prendrait la forme d'une assurance capital obligatoire limitée à la couverture des seuls risques décès et invalidité., destinée également uniquement aux indépendants à faible revenu La situation spécifique des personnes qui cumulent activités indépendante et salariée a aussi fait l'objet de l'élaboration d'une piste destinée à améliorer la couverture de ce groupe pouvant se retrouver, sous certaines conditions, dans une situation moins favorable que les personnes uniquement indépendantes ou uniquement salariées. Cette piste consisterait à élargir pour cette catégorie de personnes le plafond fiscalement déductible au pilier 3a appliqué aux indépendants après prise en compte des cotisations versées à la prévoyance professionnelle.

En résumé, adapter la prévoyance professionnelle aux situations individuelles des indépendants constitue un objectif séduisant, mais sa concrétisation doit relever de nombreux
défis liés à la mise en oeuvre. Étendre aux indépendants, même partiellement, la prévoyance professionnelle dont bénéficient actuellement les salariés ne neutraliserait pas tous les risques de précarité auxquels peuvent être exposés les indépendants à la retraite. C'est en effet d'abord le niveau du revenu de l'activité ­ peu importe que ce revenu soit tiré d'une activité indépendante, salariée ou d'une combinaison des deux ­ qui influe en premier lieu sur le niveau de protection sociale.

Les données statistiques récoltées pour traiter le postulat montrent que l'élément déterminant pour la constitution d'une prévoyance vieillesse adéquate ne tient pas tellement au caractère obligatoire ou facultatif de l'accès à la prévoyance professionnelle (selon que l'activité professionnelle est exercée en tant que salarié ou indépendant), mais plutôt à l'acquisition de revenus suffisants pendant toute la durée de la vie active nécessaire au financement d'une prévoyance professionnelle ou individuelle adéquate au moment du passage à la retraite. Si les revenus sont faibles sur une longue période, le risque de lacunes dans la prévoyance vieillesse ou privée est élevé, quel que soit le statut d'activité. Cette contrainte s'applique aussi aux indépendants qui cumulent une activité indépendante avec une activité salariée: le cumul de plusieurs activités faiblement rémunérées ne constitue pas un bouclier absolu contre le risque de lacune de prévoyance si le revenu cumulé des activités reste sous le montant de la déduction de 42 / 46

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coordination ou est insuffisant pour envisager un versement à un pilier 3a. Il convient donc de garder à l'esprit qu'il existe dans la prévoyance professionnelle un seuil d'accès pour l'assurance obligatoire de l'activité salariée. Le législateur a fixé ce seuil, car il n'estimait pas judicieux d'assurer des revenus trop faibles, du fait des contraintes inhérentes à la manière dont fonctionne la prévoyance professionnelle. Il importe donc de tenir compte du niveau de protection effectif qu'on cherche à atteindre avant de corriger des aspects techniques liés au revenu assurable dans la prévoyance professionnelle ou de rendre obligatoire le 2e pilier à l'ensemble des personnes exerçant une activité lucrative.

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Annexe 1

Texte du postulat 16.3908 «Analyser la situation des indépendants en matière de prévoyance professionnelle» Texte déposé Le Conseil fédéral est chargé de présenter un rapport d'analyse qui portera sur la situation des travailleurs indépendants en matière de prévoyance professionnelle. Devront être étudiés en particulier les points suivants: 1.

éventuelles lacunes au niveau de la prévoyance;

2.

modèles d'assurance possibles (examiner également l'affiliation obligatoire à la LPP et la mise en oeuvre de mesures ponctuelles, notamment);

3.

conséquences sur les prestations complémentaires;

4.

situation des personnes qui cumulent, à temps partiel, un emploi salarié et une activité indépendante.

Une minorité (Brunner, Clottu, Brand, de Courten, Frehner, Giezendanner, Herzog, Steinemann) propose de rejeter le postulat.

Développement La situation que connaissent certaines catégories d'indépendants en matière de prévoyance professionnelle est souvent problématique. Les indépendants n'étant soumis à aucune obligation d'être assurés, le risque existe qu'ils ne se constituent pas de prévoyance adéquate et que, à l'âge de la retraite, ils aient «automatiquement» droit à des prestations complémentaires. Or, eu égard à la dynamique des coûts qui se dessine dans le domaine des prestations complémentaires, il convient de prêter une attention accrue à ce problème.

Dans le cadre de la procédure de consultation relative à la révision partielle de la loi sur les prestations complémentaires (LPC), plusieurs voix se sont élevées pour demander que l'on examine l'introduction, pour les indépendants, de l'obligation de s'assurer dans le domaine de la prévoyance professionnelle. En raison de l'importance de cette question par rapport aux prestations complémentaires, il convient toutefois de commencer par faire le point sur la situation, avant de charger le Conseil fédéral de fournir les évaluations et les bases nécessaires et de présenter plusieurs pistes afin de trouver une solution. Il est temps d'analyser différentes options concernant l'assurance des indépendants et d'en comparer les avantages et les inconvénients.

À supposer que les bases nécessaires soient disponibles d'ici à l'examen du message relatif à la LPC, il serait par exemple possible d'intégrer dans ce projet ­ où est leur place, du reste ­ des solutions adéquates pour améliorer la situation des indépendants en matière de prévoyance.

Proposition du Conseil fédéral du 2 décembre 2016 Le Conseil fédéral propose d'accepter le postulat.

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Annexe 2

Rapports de recherche Fluder, Robert / Oesch, Thomas (2018): Situation des indépendants en matière de prévoyance. Étude approfondie de la situation de prévoyance des indépendants, sur la base des données fiscales du canton de Berne 2002­2012, Aspects de la sécurité sociale, 10/20, Berne (en allemand avec un résumé en français).

Guggisberg, Jürg / Rudin, Melania / Bischof, Severin / Morger, Mario (2018): Analyse de la situation des indépendants en matière de prévoyance, Aspects de la sécurité sociale, 9/20, Berne (en allemand avec un résumé en français).

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