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Procédure d'évaluation du nouvel avion de combat Rapport de la Commission de gestion du Conseil national du 9 septembre 2022

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L'essentiel en bref Le 16 novembre 2021, la CdG-N a décidé d'examiner la légalité et l'opportunité de certains aspects de la procédure d'évaluation suivie pour le choix du nouvel avion de combat (NAC) de l'armée suisse. Elle est parvenue aux conclusions suivantes: L'évaluation technique était conforme au droit L'évaluation technique s'est déroulée conformément au droit et Armasuisse a pris les mesures nécessaires pour garantir l'égalité de traitement des soumissionnaires et une procédure objective et compréhensible. La nouvelle méthode d'évaluation qui a été choisie (méthode AHP) était, elle aussi, conforme au droit. Toutefois, le fait que cette méthode était appliquée pour la première fois à un projet d'armement aussi important comportait certains risques. En outre, la commission a du mal à comprendre pourquoi Armasuisse a renoncé à s'appuyer autant que possible sur les expériences réalisées par d'autres pays dans lesquels les avions soumis à l'évaluation étaient déjà opérationnels.

Les conditions-cadres n'étaient pas opportunes et n'ont laissé aucune marge de manoeuvre au Conseil fédéral au moment de choisir l'avion La CdG-N constate que, lors de la procédure, le Conseil fédéral s'est fondé sur les dispositions légales ainsi que sur les exigences politiques qu'il avait lui-même définies. Le droit des marchés publics lui laisse globalement une grande marge de manoeuvre s'agissant des acquisitions d'armement. Ainsi, en fonction de la définition des conditions-cadres, il aurait pu intégrer des réflexions politiques de portée supérieure lors du choix de l'avion de combat. Toutefois, en raison des conditions qu'il avait luimême définies au début de la procédure, il a constaté, lorsqu'il a fallu arrêter son choix, qu'il lui était impossible de prendre en considération des réflexions de politique extérieure. Aux yeux de la CdG-N, le principal problème de cette procédure d'acquisition réside dans le fait que le Conseil fédéral a restreint d'emblée ­ et, de l'avis de la CdG-N, inutilement ­ sa marge de manoeuvre.

La commission estime que le Conseil fédéral devrait définir les conditions-cadres applicables à des acquisitions d'armement de sorte qu'il conserve la marge de manoeuvre que lui confèrent les dispositions légales relatives à ce genre d'acquisitions et qu'il puisse intégrer des réflexions
politiques de portée supérieure lors de sa prise de décision. Dans un premier temps, l'évaluation technique doit permettre d'examiner et d'apprécier les offres du point de vue militaire; dans un deuxième temps, le Conseil fédéral devrait pouvoir prendre en considération des réflexions politiques et économiques sur la base de l'évaluation technique pour finalement déterminer quelle offre répond au mieux à l'intérêt général de la Suisse. En l'occurrence, cette procédure d'acquisition aurait été une bonne occasion d'opérer de la sorte, car tous les avions évalués répondaient aux exigences et la Suisse avait eu l'assurance d'obtenir des «affaires compensatoires» substantielles.

Pour ces raisons, la commission estime préoccupant que le Conseil fédéral, au début de la procédure, n'ait pas discuté de la marge de manoeuvre dont il disposerait concernant le choix de l'avion après l'évaluation effectuée par Armasuisse, ou qu'il ait 2 / 56

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mandaté de plus amples clarifications à ce sujet. Au lieu de cela, ce n'est qu'au moment de choisir l'appareil qu'il a réalisé qu'il ne pouvait que confirmer la proposition émanant de l'évaluation technique, eu égard au résultat sans équivoque de cette dernière. Sur ce point, il y a lieu de porter un regard critique sur le travail du DDPS, compétent en la matière: les investigations de la CdG-N ont montré que le département n'avait probablement, pendant longtemps, pas lui-même été au clair en ce qui concerne la marge de manoeuvre du Conseil fédéral et qu'il avait fourni à ce dernier des informations contradictoires à ce sujet.

Aux yeux de la CdG-N, la façon dont le DDPS a traité les résultats de l'évaluation technique n'était pas non plus adéquate. Alors que la cheffe du DDPS connaissait ces résultats depuis la mi-mars 2021, elle n'en a informé les autres membres du Conseil fédéral qu'à la mi-mai (cheffe du DFJP et chef du DFAE) ou à la première moitié du mois de juin 2021 (autres chefs de département). Cette information tardive et le manque de clarté susmentionné concernant la marge de manoeuvre du Conseil fédéral ont eu pour conséquence que plusieurs départements ont continué à mener des négociations avec des pays constructeurs pour trouver des solutions dans d'autres dossiers liés au choix de l'avion jusqu'à peu avant la décision finale du Conseil fédéral, le 30 juin 2021. Ce faisant, on a apparemment accepté l'idée que des pays tiers puissent s'irriter de la façon dont la procédure a été menée.

Appréciation globale La CdG-N est d'avis que la procédure d'évaluation relative au nouvel avion de combat s'est déroulée en toute légalité. Elle se montre toutefois critique s'agissant de l'opportunité de la procédure, notamment en ce qui concerne les conditions-cadres et les exigences relatives à l'acquisition, le traitement des résultats de l'évaluation par le DDPS et par le Conseil fédéral ainsi que la manière dont les choses se sont déroulées avec les pays constructeurs. Sur cette base, elle a formulé cinq recommandations: elle invite en particulier le Conseil fédéral à examiner attentivement, en amont, dans quelle mesure il souhaite intégrer des considérations politiques de portée supérieure dans ses réflexions lors de futures acquisitions de matériel militaire, et à veiller ensuite à conserver sa marge de manoeuvre. La CdG-N a invité le Conseil fédéral à prendre position sur ses constatations et sur ses recommandations d'ici au 15 décembre 2022.

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Table des matières L'essentiel en bref

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Introduction

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Étapes clés de l'acquisition du nouvel avion de combat 2.1 Processus politique précédant l'évaluation technique 2.2 Évaluation technique 2.3 Analyse des résultats de l'évaluation technique au niveau du département et du Conseil fédéral 2.4 Aperçu

7 7 8 8 9

3

Règles relatives à l'acquisition 3.1 Dispositions légales relatives aux marchés publics 3.1.1 Procédure et principes 3.1.2 Décision d'adjudication et calcul du prix 3.2 Exigences politiques 3.2.1 Critères d'adjudication 3.2.2 Aspects liés à la politique extérieure 3.3 Appréciation de la CdG-N

11 12 12 13 14 14 15 19

4

Évaluation technique 4.1 Méthode retenue 4.2 Égalité de traitement des soumissionnaires 4.3 Prise en considération de références d'autres pays et de leurs expériences 4.4 Appréciation de la CdG-N

22 22 25

Clôture de la procédure: phase politique 5.1 Procédure suivie par le DDPS après la présentation des résultats de l'évaluation (à partir de la mi-mars 2021) 5.2 Traitement du résultat de l'évaluation à l'échelon du Conseil fédéral (à partir du 17 mai 2021) 5.3 Négociations avec d'autres États et coordination des pourparlers 5.4 Communication publique concernant le choix de l'avion et les coûts d'acquisition 5.5 Entretiens de clôture et prétendue destruction de documents 5.6 Appréciation de la CdG-N

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6

Synthèse de l'évaluation 6.1 Légalité 6.2 Opportunité 6.3 Transparence

49 49 50 52

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Suite de la procédure

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Abréviations

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Liste des personnes auditionnées

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Rapport 1

Introduction

Le 30 juin 2021, le Conseil fédéral a décidé d'acquérir 36 avions de combat de type F-35A du constructeur Lockheed Martin. Cette décision a suscité des critiques de la part de la classe politique et des médias. Outre les réserves (de nature politique) émises quant à l'appareil choisi, la procédure d'évaluation a été remise en cause et des vices présumés dans la procédure ont été signalés.

C'est pourquoi la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a décidé, le 16 novembre 2021, d'examiner en détail la légalité et l'opportunité de certains aspects de la procédure d'évaluation suivie pour le choix du nouvel avion de combat (NAC) de l'armée suisse1. La commission a clarifié certaines questions relatives au déroulement de la procédure d'évaluation et à la méthode d'évaluation choisie, ainsi qu'à la prise en considération d'aspects politiques (et de politique extérieure) dans la procédure. Par contre, les investigations n'avaient pas pour but de vérifier ou d'apprécier l'évaluation dans son ensemble ou ses résultats, ni de se prononcer sur la pertinence de l'avion de combat choisi. Les questions relatives aux (futures) affaires compensatoires ainsi que celles concernant le calcul des coûts d'acquisition et d'exploitation et les risques financiers de l'acquisition ont également été exclues du champ des investigations. Ces sujets sont traités respectivement par la Commission de gestion du Conseil des États (CdG-E; affaires compensatoires) et par le Contrôle fédéral des finances (CDF; calcul des coûts et risques financiers).

Dans le cadre des investigations, la sous-commission compétente de la CdG-N a non seulement entendu les personnes compétentes du DDPS, de la cheffe du département aux responsables de projet d'Armasuisse, mais aussi le président de la Confédération et chef du DFAE, le chef du DFF, la secrétaire d'État du DFAE, ainsi que deux experts sur des questions juridiques (liées au marchés publics) 2. En outre, la sous-commission a analysé différents documents relatifs à la procédure d'évaluation, y compris certains documents classés secrets, tels que le rapport d'évaluation complet et les propositions, ainsi que des notes d'information à l'intention du Conseil fédéral. Enfin, la Délégation des Commissions de gestion (DélCdG) a analysé, sur mandat de la CdG-N, les procèsverbaux élargis
des séances du Conseil fédéral au cours desquelles l'acquisition du NAC a été traitée et a transmis à la CdG-N les principales conclusions de cette analyse.

Le chapitre (chap.) suivant du rapport décrit brièvement la genèse et les étapes clés de la procédure d'évaluation du NAC. Les chap. 3 à 5 exposent les conclusions et les évaluations de la CdG-N. Le chap. 3 décrit les règles qui avaient été définies pour l'acquisition et évalue s'il a été respecté et s'il était approprié. Le chap. 4 décrit et évalue l'évaluation technique. Le chap. 5 détaille la manière dont le DDPS et le Conseil fédéral ont traité les résultats de l'évaluation. Le chap. 6 présente un résumé de

1 2

La procédure d'évaluation relative aux nouveaux moyens de défense sol-air (DAS), qui faisait également partie du programme Air2030, n'a pas été examinée.

Une liste des personnes auditionnées est annexée au présent rapport.

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l'évaluation et les conclusions de la CdG-N et, enfin, le chap. 7 décrit la suite de la procédure.

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Étapes clés de l'acquisition du nouvel avion de combat

Le présent chapitre résume les dates et les décisions les plus importantes dans le déroulement de la procédure d'acquisition du nouvel avion de combat. Les différentes étapes de cette procédure sont détaillées et évaluées au chap. 3.

2.1

Processus politique précédant l'évaluation technique

L'achat de 22 avions de combat Saab Gripen, qui devaient remplacer la flotte d'avions Tigre, ayant été rejeté par les urnes en mai 20143, le chef du DDPS de l'époque, le conseiller fédéral Guy Parmelin, avait surpris en suspendant abruptement, en février 2016, la procédure d'évaluation en vue de l'achat d'un nouveau système DSA4: le DDPS avait ensuite lancé de nouvelles investigations en vue de procéder au renouvellement des systèmes de défense aériens (avions de combat et systèmes de défense solair). Le chef du DDPS alors en place avait chargé un groupe d'experts interne de répondre aux questions concernant les besoins, la procédure et les aspects industriels.

Se fondant sur le rapport rendu par ce groupe d'experts le 30 mai 20175, le Conseil fédéral a pris, le 8 novembre 20176, des décisions de principe concernant le renouvellement des moyens de défense de l'espace aérien suisse: prévoyant d'accorder un budget de 8 milliards de francs au plus à la sélection d'un nouvel avion de combat (NAC) et d'un nouveau système DSA, il a chargé le DDPS de présenter différentes options quant à la procédure à suivre dans le cadre de cette sélection (acquisition selon la «procédure usuelle» via le message sur l'armée, via un arrêté de planification, une révision de la loi sur l'armée ou autres). Le 9 mars 2018, le Conseil fédéral a décidé de soumettre au Parlement un arrêté de planification de portée majeure7 et de permettre ainsi au peuple et aux cantons de s'exprimer la question lors d'une votation populaire8. Dans la foulée, le DDPS a lancé la procédure d'évaluation à la fin du mois de mars 2018.

Après le changement opéré à la tête du DDPS en 2019, la nouvelle cheffe a assigné différents mandats qui devaient donner lieu à des rapports complémentaires: elle a 3 4 5 6 7 8

Votation du 18 mai 2014: la loi fédérale du 27 septembre 2013 sur le fonds d'acquisition de l'avion de combat Gripen (loi sur le fonds Gripen) a été rejetée à 53,4 %.

Suspension du projet de défense sol-air 2020 (DSA), rapports de la CdG-E du 26 janvier 2017 et 25 septembre 2017.

Rapport du groupe d'experts Prochain avion de combat «Avenir de la défense aérienne», mai 2017 (publié).

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 8 novembre 2017: «Décisions de principe concernant le renouvellement des moyens de protection de l'espace aérien».

Art. 28, al. 3, de la loi sur le Parlement, RS 171.10.

L'arrêté de planification est soumis au référendum facultatif: si un nombre suffisant de signatures est réuni, le peuple peut se prononcer.

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demandé un deuxième avis sur le rapport du groupe d'experts sur l'avenir de la défense aérienne à Claude Nicollier, une évaluation des affaires compensatoires (offsets) à l'ancien directeur du CDF, Kurt Grüter, et une analyse de la situation en termes de menace, qui a été réalisée en interne par le DDPS. Ces rapports ont été présentés en mai 2019.

En juin 2019, le Conseil fédéral a approuvé le message concernant un arrêté de planification relatif à l'acquisition d'avions de combat.9 Celui-ci a ensuite été adopté par le Parlement en décembre 2019. Un référendum a été lancé contre l'arrêté, qui a finalement été accepté par la population le 27 septembre 2020, à 50,1 % des voix.

2.2

Évaluation technique

La procédure d'évaluation a formellement commencé le 6 juillet 2018, avec le dépôt de la première demande d'offres adressée aux cinq soumissionnaires choisis. Après réception des premières offres, à la fin janvier 2019, les avions de combat ont été testés au printemps 2019, d'abord sur place auprès des fabricants, puis en Suisse. Ces tests visaient en premier lieu à vérifier les données fournies par les fabricants dans le cadre de leurs premières offres. Au cours de cette phase, un soumissionnaire (Saab, qui proposait le Gripen E) s'est retiré de la procédure.

Le 10 janvier 2020, Armasuisse a, en se fondant sur les premières offres et, surtout, sur les résultats des tests, demandé une seconde offre aux quatre soumissionnaires restants. Ces derniers ont donc présenté leurs nouvelles offres en novembre 2020. Les évaluations ont ensuite été closes et le rapport d'évaluation a été élaboré. Une première esquisse a été soumise à la cheffe du DDPS le 10 mars 2021; le 16 mars, les responsables d'Armasuisse lui ont présenté les résultats de l'évaluation. Le rapport a ensuite été retravaillé pour satisfaire aux exigences rédactionnelles du DDPS: sa version définitive du 7 juin 2021 a été transmise à la cheffe du département le 9 juin 2021.

2.3

Analyse des résultats de l'évaluation technique au niveau du département et du Conseil fédéral

Lors d'un entretien avec le DDPS en octobre 2020, le Conseil fédéral avait demandé au département de charger la Délséc de la préparation des décisions à prendre dans le cadre du programme Air2030 et de l'élaboration des bases nécessaires à la décision concernant le type d'avion. Pour des raisons de confidentialité, la Délséc a décidé, en novembre 2020, d'instaurer une Délséc spécialement consacrée au programme Air2030 (Délséc spéciale) comptant un nombre de membres plus restreint (cheffe du DDPS, chef du DFA, cheffe du DFJP, accompagnés des secrétaires généraux, chancelier ou vice-chancelier de la Confédération) pour étudier ce dossier.

Cette Délséc spéciale a siégé au total quatre fois: les 18 janvier, 15 mars, 21 avril et 17 mai 2021. À la séance du 15 mars, à laquelle participait également le Département 9

Message du Conseil fédéral du 26 juin 2019 concernant un arrêté de planification relatif à l'acquisition d'avions de combat, FF 2019 4861.

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fédéral des finances (DFF) et plus particulièrement le Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI), il a été question de potentielles compensations de nature politique avec les pays constructeurs ainsi que de questions de politique de sécurité. Le DFAE a été chargé de mener des «entretiens exploratoires» avec les pays constructeurs. À la séance du 21 avril, le DFAE a reçu pour mandat d'analyser le rapport global Air2030 sous l'angle de la politique extérieure. Enfin, à la séance du 17 mai, la cheffe du DDPS a présenté à la Délséc spéciale les résultats de l'évaluation, dont elle avait connaissance depuis la mi-mars.

Les 9, 10 et 11 juin, la cheffe du DDPS a informé les autres membres du Conseil fédéral, individuellement, des résultats de l'évaluation.

Le 18 juin 2021, le Conseil fédéral a eu une première discussion sur choix de l'appareil: plusieurs questions ayant émergé concernant la possibilité de prendre considération des aspects de politique extérieure dans la décision, le Conseil fédéral a convenu de remettre la sélection du type d'avion au 30 juin 2021 (au lieu du 23 juin). Les discussions sur le type d'appareil se sont donc poursuivies les 23 et 30 juin 2021 et le Conseil fédéral a finalement opté pour le F-35A.

Il est à noter que, au cours de cette phase, le DDPS a confié deux mandats, l'un concernant le contrôle de la procédure d'évaluation, l'autre visant à clarifier des questions de droit liées à cette procédure. Le 27 avril, un mandat a été confié (par oral) au cabinet d'avocats Homburger. Selon le DDPS, ce cabinet a été chargé «de fournir une étude de plausibilité portant sur la méthodologie d'évaluation, les critères d'adjudication ainsi que l'évaluation financière des offres, en tenant compte de l'arrêté de planification arrêté par le peuple». Le 18 juin 2021, à l'issue des discussions au sein du Conseil fédéral, le DDPS a chargé l'Office fédéral de la justice (OFJ) de vérifier la plausibilité de l'avis de droit rendu par Homburger et de clarifier le cadre de l'état de droit pour l'acquisition d'avions de combat. L'OFJ a remis son avis de droit le 28 juin 2021.

2.4

Aperçu

Principales étapes de la procédure d'évaluation NAC Février 2016

Le chef du DDPS (le conseiller fédéral Guy Parmelin) charge un groupe d'experts interne de clarifier la situation concernant la défense aérienne (besoins, procédure et aspects industriels).

Mai 2017

Le groupe d'experts Prochain avion de combat remet son rapport «Avenir de la défense aérienne».

8 novembre 2017

Le Conseil fédéral décide que la Suisse doit investir au maximum 8 milliards de francs pour renouveler sa flotte d'avions de combat et ses systèmes de défense sol-air.

9 mars 2018

Le Conseil fédéral décide de proposer l'acquisition des nouveaux systèmes au Parlement au moyen d'un arrêté de planification de portée majeure.

23 mars 2018

Le DDPS publie ses exigences et ses critères d'évaluation.

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Du 23 mai au 22 septembre 2019

Une procédure de consultation est lancée sur l'arrêté de planification.

6 juillet 2018

Le DDPS adresse la première demande d'offres à cinq soumissionnaires (Airbus: Eurofighter; Boeing: F/A-18 Super Hornet; Lockheed Martin: F-35A; Dassault: Rafale; Saab: Gripen E)

1er janvier2019

Le DDPS est désormais dirigé par Mme Viola Amherd, qui succède à M. Parmelin.

25 janvier 2019

Le DDPS reçoit les premières offres

Février 2019

La nouvelle cheffe du DDPS commande des rapports complémentaires à celui du groupe d'experts de mai 2017.

De février à mars 2019

Les avions sélectionnés sont testés sur place, chez le constructeur.

D'avril à juin 2019

Les avions sélectionnés sont testés en Suisse.

13 juin 2019

Saab se retire de la procédure d'évaluation.

Mai 2019

Les rapports complémentaires (relatifs à l'état de la menace, les affaires compensatoires et la procédure) sont remis.

26 juin 2019

Le Conseil fédéral approuve le message concernant un arrêté de planification relatif à l'acquisition d'avions de combat (sans DSA).

20 décembre 2019

Le Parlement adopte l'arrêt de planification.

10 janvier 2020

Le DDPS adresse sa deuxième demande d'offres NAC aux quatre soumissionnaires restants, demande fondée sur l'analyse de la première offre, des résultats des tests et des audits.

27 septembre 2020

L'arrêté de planification est soumis au vote populaire et est accepté à 50,1 % des voix.

18 novembre 2020

Le DDPS reçoit les nouvelles offres.

18 novembre 2020

Lors de la séance de la Délséc spéciale, la cheffe du DDPS communique le calendrier et détaille le processus d'évaluation en cours.

De novembre 2020 à mars 2021

Élaboration du rapport d'évaluation NAC

18 janvier 2021

La Délséc spéciale tient sa première séance sur le programme Air2030: la cheffe du DDPS informe les participants de ses contacts avec les ministres de la défense des pays constructeurs.

10 mars 2021

La cheffe du DDPS reçoit la première version du projet de rapport d'évaluation.

15 mars 2021

La Délséc spéciale tient sa deuxième séance sur le programme Air2030: les participants et participantes discutent des possibles compensations de nature politique avec les pays constructeurs (informations du SFI) et des aspects de politique de sécurité en lien avec ces pays.

16 mars 2021

La cheffe du DDPS est informée oralement par le responsable du programme Air2030 et par le chef de projet des résultats de l'évaluation.

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Fin mars 2021

Dans la perspective des discussions de la Délséc spéciale, le DFAE identifie, pour tous les départements, les dossiers ayant un lien avec des aspects de politique extérieure.

Avril 2021

La cheffe du DDPS décide de faire contrôler la procédure d'adjudication par un cabinet d'avocats (décision définitive prise le 26 avril).

De mars à avril 2021

La cheffe du DDPS discute avec les ministres de la défense des pays constructeurs des éventuelles compensations politiques.

21 avril 2021

La Délséc spéciale tient sa troisième séance: la cheffe du DDPS communique sur sa rencontre avec les ministres de la défense des pays constructeurs. Le DFAE est chargé d'analyser les aspects de politique extérieure en vue du rapport sur le programme Air2030.

27 avril 2021

Le cabinet d'avocats Homburger reçoit oralement le mandat de fournir une étude de plausibilité portant sur la méthodologie d'évaluation, les critères d'adjudication ainsi que l'évaluation financière des offres.

17 mai 2021

La Délséc spéciale tient sa quatrième séance: les résultats de l'évaluation sont présentés à ses membres et la délégation conclut qu'aucune marge de manoeuvre ne permet d'intégrer des considérations politiques.

7 juin 2021

Le rapport d'évaluation définitif est disponible.

9 juin 2021

La cheffe du DDPS reçoit le rapport d'évaluation définitif.

9, 10 et 11 juin 2021

La cheffe du DDPS informe les autres membres du Conseil fédéral personnellement des résultats de l'évaluation.

18 juin 2021

Le Conseil fédéral discute pour la première fois de la sélection du type d'appareil voulu.

18 juin 2021

Le DDPS charge l'OFJ de vérifier la plausibilité de l'avis de droit de Homburger.

23 juin 2021

Le Conseil fédéral poursuit ses discussions sur le choix de l'appareil (1re lecture de la proposition du DDPS du 16.6.2021).

28 juin 2021

L'avis de droit de l'OFJ présentant le cadre juridique applicable à l'achat d'avions de combat par l'État est remis.

30 juin 2021

Le Conseil fédéral choisit l'avion à acquérir.

De juillet à septembre 2021

Le DDPS procède à des entretiens de clôture avec les soumissionnaires.

3

Règles relatives à l'acquisition

Les chapitres suivants ont pour but de clarifier les règles qui s'appliquait à la procédure d'évaluation du NAC ainsi que de déterminer s'il a été respecté et s'il était approprié.

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3.1

Dispositions légales relatives aux marchés publics

3.1.1

Procédure et principes

La procédure d'acquisition du NAC se fonde sur l'ancienne loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (aLMP)10 ainsi que sur l'ancienne ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (aOMP)11 12. Toutefois, la loi précise explicitement que l'acquisition d'armement ou de certains autres biens n'est pas soumise aux dispositions légales (art. 3, al. 1, let. e aLMP13); ces acquisitions doivent uniquement respecter les dispositions relatives aux «autres marchés» inscrites dans l'ordonnance (art. 32 à 39 aOMP).14 Les acquisitions d'armement font explicitement partie de ces «autres marchés» (art. 32 aOMP). Les marchés concernés peuvent être adjugés selon la procédure ouverte ou sélective ou, sous certaines conditions, selon la procédure invitant à soumissionner ou selon la procédure de gré à gré (art. 34, al. 1, aOMP). S'agissant des biens d'armement, l'art. 35, al. 3, let. a, aOMP précise explicitement que les marchés ne faisant l'objet d'aucune mise au concours peuvent être adjugés selon la procédure invitant à soumissionner. En dérogation à ce principe, l'acquisition de biens d'armement peut être effectuée de gré à gré «s'il s'agit d'un marché indispensable pour le maintien, dans le pays, d'entreprises importantes pour la défense nationale» (art. 36, al. 2, let. f, aOMP). En l'espèce, cette condition n'est pas remplie. Toutefois, l'acquisition de biens d'armement selon la procédure de gré à gré est aussi autorisée si une adjudication dans le cadre d'une mise au concours ou selon la procédure invitant à soumissionner «met en danger l'ordre et la sécurité publics» (art. 36, al. 2, let. a, aOMP, en relation avec l'art. 3, al. 2, let. a, aLMP; cf. art. 10, al. 4, let. a, LMP [2019] et message relatif à la LMP [FF 2017 1695, en l'occurrence 1752 f.]). De l'avis des spécialistes auditionnés, cette exception peut être appliquée à l'acquisition d'avions de combat, argumentation à l'appui; selon eux, c'est la raison pour laquelle l'acquisition du NAC aurait pu être adjugée de gré à gré sur la base de cette disposition d'exception.

Dans le cas de l'acquisition du NAC, le DDPS a décidé, le 23 mars 2018, d'opter pour une procédure invitant à soumissionner (art. 35 aOMP). En conséquence, les dispositions des art. 37 à 39 aOMP s'appliquaient. L'art. 39 aOMP précise entre autres que les décisions
prises dans le cadre des procédures d'adjudication ne sont pas sujettes à recours et l'art. 37 aOMP que le marché doit être adjugé au soumissionnaire ayant présenté «l'offre la plus avantageuse économiquement» (cf. ci-après).

10 11 12 13

14

(ancienne) loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (LMP), RO 1996 508; abrogée depuis le 1er janvier 2021.

(ancienne) ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP), RO 1996 518; abrogée depuis le 1er janvier 2021.

La loi et l'ordonnance ont été totalement révisées pour le 1er janvier 2021.

«La présente loi n'est pas applicable: [...] e. à l'acquisition d'armes, de munitions ou de matériel de guerre et à la réalisation d'infrastructures de combat et de commandement pour la défense générale et l'armée.» Cette exception est justifiée par des motifs liés à la politique de sécurité et se retrouve également dans les règlementations internationales d'ordre supérieur (General Procurement Agreement, GPA). Elle vise à permettre aux États de tenir compte, lors de l'acquisition d'armement, des circonstances spécifiques liées à la sécurité nationale et de considérations relevant de la politique de sécurité.

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Outre certaines dispositions spécifiques, l'aLMP contient également, notamment aux art. 1 et 8, des dispositions et des principes généraux, notamment en matière d'économie, d'égalité de traitement et de transparence. Comme ces principes se recoupent pour l'essentiel avec ceux inscrits dans la Constitution fédérale (Cst.)15, ils s'appliquent aussi, selon les experts auditionnés par la sous-commission compétente, aux «autres marchés» et aux marchés relatifs à l'acquisition d'armement adjugés selon la procédure invitant à soumissionner16. Un avis de droit commandé par le DDPS parvient à la même conclusion17. Cet avis relève que la procédure de marché peut être adaptée à l'objet spécifique du marché et aux conditions du marché dans le cadre des dispositions de l'aOMP, mais dans les limites des principes du droit des marchés publics et en tenant compte notamment des impératifs d'économie et d'égalité de traitement.

Les experts en marchés publics entendus ont souligné qu'en dehors de ces principes généraux et de quelques dispositions de l'aOMP, les marchés relatifs à l'acquisition d'armement selon une procédure invitant à soumissionner ne sont soumis à aucune autre prescription. C'est pourquoi l'autorité adjudicatrice dispose d'une large marge d'appréciation pour ces marchés, d'autant plus que le marché aurait aussi pu être adjugé de gré à gré18.

Outre les dispositions légales relatives aux marchés publics, l'ordonnance du DDPS sur l'acquisition, l'utilisation et la mise hors service du matériel (OMat)19 contient d'autres dispositions relatives à l'acquisition de matériel de l'armée (art. 7 à 12).

L'art. 8 OMat précise notamment que les acquisitions complexes, comme celles du NAC, doivent se dérouler sous forme de projets gérés selon la méthode de gestion de projet HERMES. Armasuisse s'est conformée à cette exigence et a planifié et réalisé la procédure d'évaluation selon les directives HERMES.

3.1.2

Décision d'adjudication et calcul du prix

Comme cela a déjà été mentionné, les marchés relatifs à l'acquisition d'armement en procédure invitant à soumissionner sont également adjugés au soumissionnaire ayant présenté «l'offre la plus avantageuse économiquement» (art. 37 aOMP). S'agissant de l'évaluation de cette offre, l'art. 37 aOMP renvoie à l'art. 21, al. 1, aLMP. Ce dernier précise que l'offre la plus avantageuse économiquement est évaluée dans le cadre

15 16

17

18 19

Principes de l'intérêt public et de la proportionnalité (art. 5, al. 2, Cst.), principe de la bonne foi (art. 5, al. 3, Cst.), principe de l'égalité devant la loi (art. 8, al. 1, Cst.).

L'aOMP ne précise pas si les principes du droit des marchés publics s'appliquent également à la procédure invitant à soumissionner visée au chap. 3 de l'aOMP. Ces principes s'appliquent explicitement à la procédure d'appel d'offres visée au chap. 3 aOMP (art. 34, al. 2, aOMP), mais l'art. 35 aOMP ne contient pas de disposition explicite à ce sujet concernant la procédure invitant à soumissionner.

Avis de droit de Homburger SA du 23 juin 2021 «Projekt Volare: Rechtliche Verbindlichkeit des Ergebnisses der Evaluation NKF» (uniquement en allemand, confidentiel, non publié).

Cf. ci-dessus (chap. 3.1.1, 2e paragraphe).

Ordonnance du DDPS du 26 mars 2018 sur l'acquisition, l'utilisation et la mise hors service du matériel (ordonnance du DDPS sur le matériel, OMat), RS 514.20.

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d'une analyse coût-utilité en fonction de différents critères, notamment la qualité, le prix et la rentabilité.

L'obligation d'attribuer le marché au soumissionnaire qui présente l'offre la plus avantageuse économiquement s'applique également aux marchés relatifs à l'acquisition d'armement selon la procédure invitant à soumissionner, ce qui a été confirmé par un avis de droit commandé par le DDPS20. Selon cet avis, la jurisprudence en la matière est donc directement applicable.

Il ressort des dispositions légales et de cette jurisprudence que «l'offre économiquement la plus avantageuse» ne se définit pas exclusivement par le prix le plus bas, mais qu'elle doit se fonder sur les critères d'adjudication (cf. ci-dessous, chap. 3.2.1). Ce point de vue a été confirmé tant par les experts en marchés publics auditionnés par la sous-commission que par les spécialistes externes mandatés par le DDPS. L'avis de droit établi par ces derniers précise qu'une offre doit être retenue en particulier si elle est la meilleure en matière de coûts globaux et d'utilité globale. Selon le résultat de la procédure d'évaluation, c'était le cas du F-35A, raison pour laquelle, d'après l'avis de droit, le Conseil fédéral était tenu d'adjuger le marché au soumissionnaire concerné.

3.2

Exigences politiques

Outre les prescriptions du droit des marchés publics, d'autres exigences ont été définies dans le cadre du processus politique lié à l'acquisition du NAC. À cet égard, les explications concernant les critères d'adjudication et les règles relatives à la prise en considération des aspects de politique extérieure lors du choix de l'avion revêtent une importance particulière.

3.2.1

Critères d'adjudication

Dans son message du 26 juin 2019 concernant un arrêté de planification relatif à l'acquisition d'avions de combat21, le Conseil fédéral indique que l'utilité des avions de combat en lice doit être évaluée sur la base des quatre critères suivants22:

20 21 22

­

efficacité (efficacité opérationnelle, autonomie lors de l'engagement), pondération de 55 %;

­

support de produit (facilité de maintenance, autonomie du support), pondération de 25 %;

Cf. note de bas de page 18.

FF 2019 4861. Les exigences relatives à l'acquisition d'un nouvel avion de combat avaient déjà été fixées par le DDPS le 23 mars 2018.

L'obligation de publier les critères d'adjudication et leur pondération figure à l'art. 21, al. 2, aLMP. Bien que cet article ne s'applique pas aux marchés relatifs à l'acquisition d'armement, selon les experts en marchés publics auditionnés, les critères, leur pondération et la méthode d'évaluation doivent être communiqués aux soumissionnaires en vertu du principe de transparence.

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­

coopération (collaboration militaire pour l'instruction et coopération avec le fournisseur), pondération de 10 %;

­

participation directe de l'industrie (étendue et qualité des affaires compensatoires directes), pondération de 10 %.

L'équipe de projet23 a ensuite précisé ces quatre critères principaux au moyen de souscritères (cf. à ce sujet chap. 4.1).

Par ailleurs, le calcul des coûts doit inclure non seulement les coûts d'acquisition des systèmes, mais aussi «l'ensemble des coûts prévisibles pendant toute la durée d'utilisation, y compris pour l'entretien, la maintenance et la remise en état». Par contre, les coûts des éventuels programmes d'amélioration de la valeur combative et de maintien de la valeur ainsi que les coûts liés au retrait du service ne doivent pas être pris en compte, car ils ne peuvent pas être évalués de manière fiable.

3.2.2

Aspects liés à la politique extérieure

Dans son message concernant l'arrêté de planification, le Conseil fédéral a souligné que l'acquisition d'avions de combat était une affaire impliquant un volume de financement considérable et que, partant, les gouvernements de tous les États constructeurs étaient intéressés à ce que des constructeurs de leur pays remportent l'appel d'offres.

Dans ce contexte, il convient de se demander dans quelle mesure le choix de l'appareil laissait place à des considérations relevant de la politique extérieure.

Appréciation juridique Comme la CdG-N l'a expliqué au chap. 3.1, les acquisitions d'armement ne sont soumises qu'à un petit nombre de prescriptions relatives aux marchés publics, si bien que les autorités d'adjudication disposent d'une grande marge de manoeuvre. Les experts en marchés publics auditionnés par la sous-commission compétente ont par conséquent estimé que, pour l'acquisition du NAC, il aurait été légalement possible de définir aussi des critères d'adjudication politiques et de prévoir que l'on opterait pour l'appareil dont le pays de fabrication satisferait aux intérêts de la Suisse dans d'autres dossiers et proposerait les affaires compensatoires les plus intéressantes. De l'avis d'un des spécialistes auditionnés24, il aurait fallu opter, en l'occurrence, pour une adjudication de gré à gré. Dans le cadre de la procédure invitant à soumissionner, ces critères auraient au moins dû être définis au début de la procédure, le 8 novembre 2017, soit au moment de la décision du Conseil fédéral, et exposés de manière trans-

23

24

L'équipe de projet NAC (équipe de base) était composée de dix-huit personnes. Il s'agissait du chef de projet, de douze responsables de sous-projet, d'un responsable technologique, de deux responsables des compensations, d'une gestionnaire de portefeuille systèmes et d'une personne chargée de soutenir le projet. Ces personnes étaient pour la plupart des collaboratrices et collaborateurs d'Armasuisse, mais les Forces aériennes, la Base logistique et la Base d'aide au commandement de l'armée ainsi que l'état-major de l'armée étaient également représentés. Les responsables de sous-projet dirigeaient eux aussi leur propre équipe.

Prof. Nicolas Diebold (cf. liste des personnes auditionnées en annexe).

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parente. Les experts ont toutefois fait remarquer que de tels critères pouvaient entraîner des différences de traitement entre les soumissionnaires et avoir des conséquences indésirables sur le plan de la politique extérieure.

Selon la cheffe du DDPS, le droit des marchés publics ne permet généralement pas de tenir compte de considérations politiques: la LMP, en vertu de laquelle les offres ne peuvent être évaluées qu'à partir de critères qui se rapportent directement aux biens à acquérir, s'applique aussi aux acquisitions d'armement. La cheffe du DDPS a indiqué que le Conseil fédéral avait discuté d'aspects liés à la politique extérieure et de considérations géopolitiques au moment de déterminer quels constructeurs et quels pays inviter à soumettre une offre. Elle a précisé que ces considérations avaient été intégrées à la procédure d'évaluation sous le critère «coopération» (cf. chap. 3.2.1). Et de conclure que, parmi les offres reçues, on avait retenu celle qui portait sur l'avion présentant le meilleur rapport coût-utilité pour la Suisse.

Règles précises dans le message concernant l'arrêté de planification Au cours de ses investigations, la CdG-N a constaté que le message concernant l'arrêté de planification comportait des indications importantes relatives à la prise en considération d'aspects liés à la politique extérieure. Ces indications sont donc explicitées ci-après.

Le message en question dit: «De façon générale, les exigences (performances, adéquation pour la Suisse, coûts, offres de coopération sur le plan militaire et industriel) doivent être remplies et les critères factuels sont prépondérants. Les décisions quant aux acquisitions ne doivent pas être dominées par des considérations d'une autre nature, dont pourrait pâtir la valeur utile pour l'armée. Reste que le Conseil fédéral a toute liberté dans le choix des systèmes. Des aspects de politique extérieure peuvent jouer un rôle dans la prise de décision.»25 La notion d'offres équivalentes ­ l'allemand dit en effet «En présence d'offres équivalentes, des aspects de politique extérieure peuvent jouer un rôle dans la prise de décision», ­ a été intégrée au message après la procédure de consultation. Dans la version allemande du rapport explicatif du 23 mai 201826 mis en consultation, la phrase en question était formulée de manière
moins restrictive: «Aussenpolitische Aspekte können eine Rolle spielen.» ­ «Des aspects de politique extérieure peuvent jouer un rôle dans la prise de décision». Cette phrase a été reprise telle quelle dans la version française du message; visiblement, on a oublié d'y insérer la mention de la présence d'offres équivalentes)27.

25

26 27

FF 2019 4861, p. 31. Il manque, dans la dernière phrase de ce passage en français, la mention de la présence d'offres équivalentes, qui figure dans la version allemande («Bei gleichwertigen Angeboten können aussenpolitische Aspekte eine Rolle spielen.») et dans la version italienne.

Rapport explicatif du 23 mai 2018 concernant un arrêté de planification pour le renouvellement des moyens de protection de l'espace aérien.

La version française du rapport explicatif mis en consultation et celle du message présentent une formulation strictement identique: «Reste que le Conseil fédéral a toute liberté dans le choix des systèmes. Des aspects de politique extérieure peuvent jouer un rôle dans la prise de décision.»

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La cheffe du DDPS a expliqué à la commission que cette mention avait été ajoutée au message à la suite de la consultation et de la discussion interne: on tenait à ce que le message soit «propre» et transparent, d'où l'adaptation effectuée. La conseillère fédérale a toutefois estimé qu'il s'agissait là d'une simple précision et non d'une nouvelle condition. Le message n'a donné lieu à aucune question ni à aucun corapport de la part des autres départements, a-t-elle ajouté.

La commission a voulu savoir si le Conseil fédéral avait été avisé de cette modification qui, avec du recul, peut être qualifiée d'essentielle. Le secrétaire général du DDPS a indiqué à ce propos que la version originale avait subi de nombreux changements et que le Conseil fédéral avait approuvé le rapport mis en consultation; il a précisé qu'on ne pouvait évidemment pas commenter chaque modification linguistique. Le secrétaire général du DFF s'est déclaré quelque peu surpris, devant la commission, que l'ajout de la modification en question dans le projet de message n'ait pas été signalé.

Le 26 juin 2019, le Conseil fédéral a adopté l'arrêté de planification et le message sans discussion, d'après son procès-verbal élargi des décisions; les aspects liés à la politique extérieure, en particulier, n'ont suscité aucune réserve ni donné lieu à aucune prise de parole.

Éclaircissements relatifs à la marge de manoeuvre Les instructions du message relatives aux aspects de politique extérieure ne sont revenues sur le devant de la scène qu'à l'approche du choix de l'avion.

Dans un document de travail28 destiné au Conseil fédéral, le DDPS avait indiqué à la mi-octobre 2020 que les résultats de l'évaluation technique constituaient certes une base de décision importante concernant l'avion à acquérir, mais que le Conseil fédéral pouvait prendre sa décision librement, sans forcément suivre le rapport d'évaluation.

Le document précisait que, pour faire son choix, le gouvernement pouvait tenir compte d'autres éléments et les inclure dans son évaluation globale. Le DDPS partait du principe que plus les candidats obtiendraient des résultats proches lors de l'évaluation technique, plus le Conseil fédéral disposerait d'une marge de manoeuvre politique importante lui permettant d'inclure d'autres éléments dans sa décision. Le cas échéant, ce serait
au Conseil fédéral de décider si et comment il intègrerait ces considérations dans son appréciation globale, avant d'arrêter son choix.

Au mois d'avril 2021, le DDPS a chargé le cabinet d'avocats Homburger de fournir une étude de plausibilité (cf. chap. 3.3.1). Dans son avis de droit du 23 juin 202129, celui-ci s'est intéressé au caractère juridiquement contraignant du résultat de l'évaluation. Il est arrivé à la conclusion que le mandat devait être adjugé au constructeur dont l'offre était la plus avantageuse économiquement. Selon Homburger et les experts en marchés publics auditionnés, il est bien clair que l'offre la plus avantageuse économiquement n'est pas forcément celle dont le prix est le plus bas; c'est celle qui répond

28 29

Programm Air2030: Vorgehen nach der Evaluation vom 12. Oktober 2020; document de travail (uniquement en allemand).

Rechtliche Verbindlichkeit des Ergebnisses der Evaluation NKF, avis de droit du 23 juin 2021 (document confidentiel, uniquement en allemand, non publié).

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le mieux aux critères d'adjudication et obtient les meilleurs résultats lors de l'analyse coût-utilité.

L'avis de droit de Homburger indique que le Conseil fédéral s'est réservé la possibilité de tenir également compte d'aspects liés à la politique extérieure en présence d'offres équivalentes. Par «offres équivalentes», il faut logiquement comprendre des offres dont les résultats relatifs à l'analyse coût-utilité sont très proches, souligne le cabinet.

Celui-ci conclut que, lors de l'évaluation, un candidat a clairement obtenu le meilleur résultat ­ tant du point de vue de l'utilité que de celui du coût ­ et qu'aucun autre candidat n'a obtenu de résultat approchant qui suggèrerait la présence d'offres équivalentes. Selon le cabinet, le Conseil fédéral était légalement tenu, eu égard à l'art. 37 aOMP, en relation avec l'art. 21, al. 1, aLMP, d'adjuger le marché au constructeur dont l'offre était la plus avantageuse économiquement.

Le 18 juin 2021, lorsque le Conseil fédéral a discuté pour la première fois du choix imminent de l'appareil en ayant connaissance du résultat de l'évaluation, il est rapidement apparu que les avis divergeaient sur la possibilité d'inclure dans ce choix des considérations relevant de la politique extérieure, et que des points devaient encore être éclaircis à ce propos. Le gouvernement a donc chargé l'OFJ d'examiner plus avant la marge de manoeuvre légale en la matière. Dans son avis de droit30, l'OFJ est parvenu à la conclusion que les conditions légales étaient claires, ce qui signifiait que les considérations relevant de la politique extérieure n'avaient aucun rôle à jouer en l'absence d'offres équivalentes. Se référant à la jurisprudence pour ce qui est de la notion d'équivalence, l'office a constaté que, vu le résultat de la procédure d'évaluation du nouvel avion de combat, on ne pouvait établir aucune équivalence entre le F-35A, vainqueur de l'évaluation, et les appareils concurrents; par conséquent, les aspects liés à la politique extérieure ne pouvaient pas être pris en considération, selon l'OFJ. Et d'ajouter qu'il n'était pas possible, à ce moment-là, de procéder à la (nouvelle) évaluation d'une offre en raison d'affaires compensatoires politiques sans donner la possibilité à d'autres soumissionnaires de présenter eux aussi des offres.

Les chefs du DFAE et du
DFF ont expliqué à la commission que l'avis de droit de l'OFJ ­ qualifié de «conscience juridique du Conseil fédéral» ­ avait joué un rôle déterminant pour le Conseil fédéral. Il a en effet éclairci les zones d'ombre et permis au gouvernement de conclure qu'il ne disposait d'aucune marge de manoeuvre pour inclure dans le choix de l'appareil des considérations relevant de la politique extérieure.

Le chef du DFF a déclaré à la CdG-N qu'il regrettait que le Conseil fédéral n'ait en fin de compte pas discuté sérieusement de l'opportunité de tenir compte ou non de telles considérations pour le choix à effectuer. Cela ne signifie pas, a-t-il ajouté, qu'il eût fallu accorder plus de poids aux intérêts de politique extérieure qu'aux résultats de l'évaluation technique, mais le Conseil fédéral aurait au moins dû en discuter. Pour le chef du DFF, il est clair que l'armée souhaitait acquérir le meilleur avion et que la procédure d'évaluation a été menée correctement; néanmoins, selon lui, le choix de l'appareil revenait au Conseil fédéral, qui devait considérer l'ensemble des intérêts de la Suisse et, si nécessaire, tenir compte d'autres aspects ­ ce qu'il n'a pas pu faire compte tenu de l'exigence figurant dans le message et de l'avis de droit de l'OFJ.

30

Cadre de l'État de droit pour l'acquisition d'avions de combat. Avis de droit de l'Office fédéral de la justice du 28 juin 2021, ch. 2.1.2.

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Les chefs du DFF et du DFAE ont reconnu devant la commission que, en l'occurrence, le Conseil fédéral avait inutilement restreint sa marge de manoeuvre. Il faudra en tirer les enseignements qui s'imposent, ont-ils affirmé. Les deux conseillers fédéraux n'ont pas pu expliquer à la CdG-N de manière convaincante pourquoi, lorsque le gouvernement avait examiné l'arrêté de planification en juin 2019, ils n'étaient pas intervenus pour réclamer une marge de manoeuvre en matière de politique extérieure même en l'absence d'offres équivalentes.

3.3

Appréciation de la CdG-N

Les prescriptions légales ont été respectées Lors de ses investigations, la CdG-N a constaté que les acquisitions d'armement étaient elles aussi généralement soumises à certaines prescriptions. Du point de vue juridique, il est clair que l'acquisition du NAC et la procédure d'évaluation étaient exclues du champ d'application de la LMP alors en vigueur et ne devaient satisfaire qu'à quelques dispositions de l'aOMP. Il est également évident qu'une procédure invitant à soumissionner pour vendre du matériel de guerre doit aussi respecter, dans la mesure du possible ­ c'est-à-dire en tenant compte des intérêts sécuritaires ­ les principes du droit des marchés publics et les principes constitutionnels.

La CdG-N est d'avis que, en l'occurrence, les prescriptions en vigueur ont été respectées. Elle ne dispose d'aucun élément laissant penser que les dispositions du droit des marchés publics ou les principes constitutionnels n'auraient pas été respectés (cf. chap. 4.2.)31.

La marge de manoeuvre du Conseil fédéral était inutilement restreinte Les faits décrits plus haut montrent que, pour la procédure d'acquisition, le Conseil fédéral a également respecté le cadre légal et le cadre politique: il s'est appuyé sur le résultat de l'évaluation pour effectuer son choix et n'a pas tenu compte d'aspects relevant de la politique extérieure.

La CdG-N estime que, pour des affaires importantes telles que l'acquisition du NAC, le Conseil fédéral devrait effectuer une pesée des intérêts et, lorsque cela est judicieux et possible, tenir compte aussi de considérations relevant de la politique extérieure et des offres des pays constructeurs présentant des avantages financiers potentiels. Dans ce contexte, la commission ne comprend pas que le Conseil fédéral ait d'emblée, et sans procéder à un examen approfondi, restreint sa marge de manoeuvre, d'une part 31

En ce qui concerne l'opportunité des prescriptions relatives aux marchés publics, on pourrait se demander s'il est approprié que les acquisitions d'armement soient exclues du champ d'application de la LMP en raison des intérêts sécuritaires. Le législateur a cependant déjà répondu à cette question il y a peu, dans le cadre de la révision de la LMP: le 21 juin 2019, les Chambres fédérales ont adopté la révision totale de la LMP à l'unanimité (moins deux abstentions, au Conseil national). Elles ont ainsi notamment décidé que les aspects sécuritaires devaient rester prééminents par rapport aux objectifs du droit des marchés publics et que, par conséquent, certaines dispositions relatives aux marchés publics ne s'appliqueraient pas aux acquisitions d'armement.

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en se fixant un cadre strict dans son message et, d'autre part, en optant pour la procédure invitant à soumissionner32. Il convient toutefois de noter que ce sujet n'a pas non plus fait l'objet de discussions lors des débats sur l'arrêté de planification au sein des conseils.

La CdG-N conçoit que, se fondant sur un avis de droit de l'OFJ et ayant à l'esprit que l'action de l'État doit respecter le principe de la bonne foi, le Conseil fédéral ait voulu respecter ses propres règles, ainsi que le cadre légal, pour effectuer son choix. En juin 2021, le gouvernement est parvenu à la conclusion qu'il ne disposait d'aucune marge de manoeuvre. Les investigations de la CdG-N ont montré que le Conseil fédéral avait déjà inutilement restreint sa marge de manoeuvre au début de la procédure d'acquisition, en 2018 et 2019, vraisemblablement sans avoir conscience de la portée de cette action.

Il convient de relever à ce propos que les personnes du DDPS interrogées, et en particulier la cheffe du DDPS, ont affirmé à la CdG-N que le Conseil fédéral n'avait eu aucune marge de manoeuvre parce qu'il n'y avait aucune offre équivalente. En octobre 2020, le DDPS avait pourtant déclaré au Conseil fédéral que, lors de la phase qui suivrait la conclusion de l'évaluation technique, des réflexions d'ordre politique pouvaient également être prises en considération et que le Conseil fédéral était globalement libre de choisir l'avion, sans se sentir lié par le rapport d'évaluation technique.

La commission doit en conclure que même le DDPS ne savait pas exactement, en octobre 2020, quelle était la marge de manoeuvre du Conseil fédéral.

Devant la CdG-N, le DDPS a considéré que, en ajoutant la notion d'offres équivalentes à l'issue de la procédure de consultation, le Conseil fédéral a opéré une simple précision33. La commission ne comprend pas que le DDPS n'ait pas attiré l'attention du Conseil fédéral sur ce changement et n'ait pas déterminé et clairement expliqué, dans ce contexte, quelle serait la marge de manoeuvre du Conseil fédéral à l'issue de l'évaluation. Quoi qu'il en soit, pour elle, le fait que le Conseil fédéral ait adopté sans discussion l'arrêté de planification et le message portant sur le dossier qui est sans doute le plus important de ces dernières années en matière d'armement laisse dubitatif quant à la
culture du débat et de la conduite au sein du gouvernement.

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que le Conseil fédéral n'ait pris conscience des limites de sa marge de manoeuvre qu'au moment de choisir l'appareil. À ce momentlà, quelques membres au moins du Conseil fédéral ont remis en question ces limites ­ notamment eu égard à la rupture, fin mai, des négociations avec l'UE relatives à l'accord institutionnel ­ et ont estimé que, en dépit de la mention des offres équivalentes dans le message, le Conseil fédéral devait tenir compte d'aspects liés à la politique extérieure. C'est seulement alors que l'OFJ a été chargé de fournir un avis de droit sur la question, dont les conclusions sont mentionnées plus haut.

32

33

C'est le DDPS qui a opté pour la procédure invitant à soumissionner, en se fondant sur la stratégie du Conseil fédéral en matière d'armement. Le Conseil fédéral en a été informé et les exigences ont ensuite été publiées (cf. communiqué de presse du DDPS du 23.3.2018 intitulé «Prochain avion de combat et nouvelle défense sol-air: le DDPS pose ses exigences»).

La cheffe du DDPS, mais aussi les chefs du DFF et du DFAE ont confirmé que la notion d'offres équivalentes avait joué un rôle décisif dans la discussion au sein du Conseil fédéral.

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Selon la CdG-N, le fait que, pour des acquisitions importantes telles que l'achat du NAC, la décision d'adjudication appartient au Conseil fédéral montre que ce type d'acquisition doit faire l'objet d'une décision politique, autrement dit que des considérations de nature politique peuvent également jouer un rôle dans une telle décision.

Le Conseil fédéral doit bien entendu veiller à ce que les intérêts militaires et sécuritaires soient pris en considération. Il doit cependant aussi faire en sorte que ces intérêts ne soient pas considérés isolément, en effectuant, au moment de sa décision, une pesée des intérêts et donc en incluant dans son évaluation globale d'autres intérêts de la Suisse, en particulier de nature économique ou politique. Si les intérêts militaires étaient à eux seuls déterminants, l'évaluation technique serait décisive et la décision concernant l'avion à acquérir pourrait aussi être prise par le DDPS ou par Armasuisse.

Il est compréhensible et légitime que l'armée souhaite que la Suisse acquière le meilleur matériel d'armement possible. L'évaluation technique doit donc notamment servir à déterminer l'offre présentant le meilleur rapport coût-utilité pour l'armée. Néanmoins, la CdG-N estime que le Conseil fédéral devrait se demander, dans un deuxième temps, si l'offre en question est également la meilleure eu égard aux intérêts généraux de la Suisse. Les intérêts économiques et politiques devraient alors aussi pouvoir être pris en considération.

L'équipe de projet NAC a confirmé que les quatre avions évalués étaient conformes aux exigences de la troupe34 et répondaient aux exigences techniques. En d'autres termes, un avion a certes obtenu de meilleurs résultats lors de l'évaluation technique, mais les autres avions avaient eux aussi rempli les exigences essentielles. Un tel résultat aurait permis au Conseil fédéral d'envisager de tenir également compte de considérations relevant de la politique extérieure pour prendre sa décision ­ à condition qu'il ait, pour ce faire, pris les mesures et créé les conditions nécessaires.

La CdG-N estime que le Conseil fédéral devrait tirer les enseignements qui s'imposent de l'expérience faite lors de l'acquisition du NAC et veiller à l'avenir, lors de grandes acquisitions d'armement, à ne pas restreindre inutilement sa marge de manoeuvre.

Recommandation 1:

Maintenir la marge de manoeuvre pour les grandes acquisitions d'armement

La CdG-N demande au Conseil fédéral de prendre les mesures nécessaires afin que sa marge de manoeuvre soit préservée pour de futures acquisitions d'armement et que les questions qui se poseraient à ce sujet soient examinées suffisamment tôt; il pourrait par exemple prévoir que l'OFJ lui remette systématiquement une appréciation, dans le cadre de la consultation des offices ou de la procédure de corapport.

34

Cf. Prochain avion de combat, rapport succinct d'évaluation, chap. 4.1: «L'évaluation des offres révèle que tous les candidats sont aptes à l'utilisation par la troupe.»

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4

Évaluation technique

Le chap. 4 porte sur la question de savoir si le déroulement de la procédure d'évaluation et, en particulier, la méthode d'évaluation choisie étaient conformes au cadre légal et appropriés. Il s'agit également de déterminer dans quelle mesure des références ou des expériences faites par d'autres pays avec les avions concernés ont été prises en considération dans l'évaluation. Comme la commission l'a déjà mentionné dans l'introduction, l'objectif n'était pas de retracer en détail l'application de la méthode d'évaluation choisie, ni de vérifier et d'apprécier les résultats de l'évaluation.

4.1

Méthode retenue

Comme la CdG-N l'a déjà annoncé au chap. 3.1.2, la décision d'acquisition doit se baser sur une analyse coûts/utilité. Pour déterminer l'utilité, Armasuisse a utilisé pour la première fois la méthode AHP (Analytic Hierarchy Process [procédure d'analyse hiérarchique])35. Il s'agit d'une analyse de l'utilité au moyen de critères pondérés. La différence avec les analyses de l'utilité traditionnelles réside dans le fait que l'on détermine la valeur d'utilité par des comparaisons relatives entre les candidats, au lieu d'attribuer des notes ou des points selon des critères absolus.

Les responsables d'Armasuisse ont justifié l'utilisation encore inédite de cette nouvelle méthode d'évaluation en expliquant notamment que la Commission de la politique de sécurité du Conseil national (CPS-N) avait critiqué la méthode d'évaluation traditionnelle (c'est-à-dire le système de notation) lors de l'évaluation relative au remplacement partiel des Tiger36. En outre, selon eux, la méthode choisie est particulièrement indiquée pour les décisions et les procédures d'acquisition complexes.

Selon Armasuisse37, les éclaircissements visant à déterminer s'il y avait lieu d'appliquer la méthode AHP pour l'évaluation NAC ont eu lieu entre l'automne 2017 et le printemps 2018. Armasuisse s'est informé des méthodes d'évaluation appliquées par d'autres pays38. La méthode AHP a ensuite été analysée de manière scientifique et on a vérifié si elle respectait les principes de la législation sur les marchés publics concernant l'égalité de traitement, la transparence et l'économicité. Cette vérification a 35

36

37 38

La méthode AHP a été développée à la fin des années 1970 par le mathématicien Thomas Saaty et publiée en 1980. Depuis, elle a fait l'objet de nombreux travaux scientifiques qui, selon Armasuisse, ont été analysés par l'équipe de projet et ont été validés au moyen, entre autres, de simulations développées pour l'occasion avec le logiciel Matlab.

Cf. rapport de la sous-commission TTE de la CPS-N du 20 août 2012: «[...] en utilisant deux barèmes différents et des appréciations divergeant nettement de l'usage courant, armasuisse et les Forces aériennes se sont elles-mêmes compliqué la tâche. La sous-commission estime ce procédé, qui prête à confusion et qui est difficile à présenter à des tiers, explique en partie les critiques dont ont fait l'objet non seulement le choix du Gripen E/F, mais aussi toute la procédure d'évaluation. [...]».

Note d'information d'Armasuisse à l'intention de la sous-commission DFAE/DDPS de la CdG-N du 14 février 2022.

Selon le commandant des Forces aériennes, des échanges ont eu lieu avec d'autres pays tels que la Finlande, la Belgique et le Danemark en vue de définir la méthode d'évaluation. Il en est ressorti qu'aussi bien la méthode AHP que d'autres méthodes ont été utilisées. Indépendamment de la méthode retenue, tous ces pays sont arrivés au même résultat: ils ont choisi le F-35A.

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été directement effectuée par l'équipe de projet39, sans que le service juridique d'Armasuisse, celui du DDPS ou des spécialistes de la Confédération en matière de marchés publics aient été impliqués.

L'équipe de projet est parvenue à la conclusion que ni le droit des marchés publics ni les règles HERMES relatives à la gestion de projet suivies par le DDPS ne prescrivaient une méthode précise d'évaluation de l'utilité s'agissant des acquisitions d'armement complexes, et a estimé que la méthode AHP était appropriée en l'espèce.

Armasuisse a alors décidé de l'appliquer. Selon la cheffe du DDPS, son département et le Conseil fédéral n'ont pas été informés au préalable de la méthode choisie; elle a toutefois précisé qu'il n'appartenait pas au Conseil fédéral d'approuver des méthodes d'évaluation. En février 2021, la cheffe du DDPS a malgré tout organisé une réunion particulière lors de laquelle les spécialistes d'Armasuisse ont présenté la procédure d'évaluation au Conseil fédéral et ont répondu à ses questions40.

Le plan de gestion de projet41 et les documents relatifs à l'appel d'offres remis aux soumissionnaires42 contenaient l'information selon laquelle la méthode AHP serait appliquée.

Les spécialistes en matière de marchés publics ont déclaré à la sous-commission compétente que, dans le domaine de l'armement comme ailleurs, l'acquéreur était globalement libre de choisir la méthode d'évaluation, tant que celle-ci pouvait garantir une procédure objective et non discriminatoire. D'une part, cela signifie que les critères choisis et la méthode ne doivent pas être définis de manière à ce qu'un seul soumissionnaire puisse entrer en ligne de compte. D'autre part, en raison du principe de transparence, il est également clair que les soumissionnaires doivent être informés de la méthode, des critères d'évaluation et de leur pondération.

Le responsable du CCMP n'a connaissance d'aucune autre procédure d'acquisition de la Confédération ayant opté pour cette méthode, expliquant cette situation notamment par le fait que la méthode AHP était très complexe et onéreuse. Toutefois, il a précisé que l'acquisition du NAC répondait à un objectif à si long terme, coûtait si cher et était si importante pour le pays que l'effort à fournir dans le cadre de l'application de la méthode se justifiait.

Selon la cheffe
du DDPS, la légalité de la méthode a été vérifiée en interne et une instance neutre ­ le cabinet d'avocats Homburger mandaté par elle ­ a confirmé cette légalité. Toutefois, la CdG-N estime que les rapports de Homburger ne permettent pas de savoir dans quelle mesure la méthode en tant que telle a été examinée; le cabinet écrit que ses examens de la plausibilité portaient sur la méthode d'évaluation, les critères d'adjudication et la présentation financière des offres et il conclut que les soumissionnaires ont été classés de manière plausible dans le rapport d'évaluation, conformément à l'analyse coûts/utilité d'Armasuisse.

39 40 41 42

Cf. note 23.

Selon le procès-verbal de la séance de la Délséc spéciale du 18 janvier 2021, cette présentation était prévue le 3 février 2021.

Projet «Prochain Avion de Combat», plan de gestion de projet (état au 10 août 2020, non publié).

New Fighter Aircraft (NFA), Part 1: Project Requirements du 24 juin 2020 (interne, non publié).

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Approfondissement: Analytic Hierarchy Process (AHP) A) Explications complémentaires concernant la méthode43 Avec la méthode AHP, les offres ne sont pas évaluées sur la base d'un système de notes défini au préalable, mais comparées entre elles (selon un processus mathématique complexe). Autrement dit, «avec AHP, ce sont les différences qui sont évaluées, indépendamment du fait qu'une offre soit bonne, très bonne ou suffisante44. Si deux offres sont équivalentes, elles obtiennent un nombre de points identique. Si l'une est meilleure, elle obtient plus de points, en fonction de la différence de qualité».

Ce procédé permet de mettre en évidence les différences et de créer un effet de contraste. Pour compenser cet effet, Armasuisse a introduit un compensateur. Celui-ci veillait à ce que les avions obtiennent pratiquement le même nombre de points lorsqu'ils se distinguaient peu sur l'une des caractéristiques. En d'autres termes, les candidats devaient se distinguer nettement pour que cela se reflète dans le nombre de points. Comme l'a expliqué Armasuisse, cent points pouvaient être attribués au total pour chaque critère d'évaluation. Si un candidat était extrêmement bon, il pouvait obtenir au maximum 75 points, ce qui n'a été le cas que pour un seul critère. Pour les autres, l'attribution des points a plutôt été équilibrée.

Selon les responsables d'Armasuisse, une analyse est arrivée à la conclusion que, sans la méthode AHP, le résultat aurait été encore plus net. Le secrétaire général du DDPS a en outre indiqué que la Finlande était arrivée au même résultat que la Suisse en se fondant sur une autre méthode.

B) Application en l'espèce45 Dans le cadre de la première demande d'offres, les soumissionnaires ont été informés de la méthode ainsi que des quatre critères principaux, des 20 sous-critères et de leur pondération. En outre, ils ont reçu une liste de quelque 2000 questions détaillées auxquelles ils devaient répondre.

En interne, les 20 sous-critères communiqués ont été subdivisés en 79 sous-critères supplémentaires, et pondérés. Cette pondération a été effectuée par les Forces aériennes ­ destinataires des futurs avions de combat ­ et a eu lieu avant

43

44 45

Lors de la consultation de l'administration, le DDPS a déclaré: «Dans le cadre de la méthode AHP (processus d'analyse hiérarchique), les propriétés des critères d'évaluation des candidats sont comparées entre elles par paires. Avec quatre candidats, il y a donc six comparaisons par paires. Sur cette base, les points à distribuer sont déterminés au moyen de la méthode de calcul. Cette manière de procéder a un grand avantage, car elle permet de découper l'évaluation en petites étapes. En outre, la méthode ne se contente pas de calculer un score: elle permet également de déceler des incohérences dans l'évaluation lors d'un processus de sélection avec plusieurs candidats».

Propos tenus en allemand lors de l'émission HeuteMorgen du 17 août 2021, SRF.

Armasuisse présente lui-même la méthode et la procédure suivie lors de l'évaluation: www.ar.admin.ch > Documents et publications > armasuisse Insights > Programme Air2030 > Détermination de l'utilité globale dans les projets Nouvel avion de combat (NAC) et Défense sol-air de longue portée (DSA LP) [état au 29 avril 2022].

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la première soumission d'offre. À ce moment-là, Armasuisse ne disposait encore d'aucune information sur les avions évalués.

Pour pouvoir évaluer exhaustivement chaque avion, il fallait procéder à une appréciation pour chacun des 79 critères. Armasuisse était donc tributaire de réponses complètes à chacune des questions de la liste susmentionnée. Afin d'éviter que les soumissionnaires ne tentent de relier les 2000 questions aux 79 sous-critères et ne fixent de leur propre chef des priorités, ces 79 critères et leur pondération ont été volontairement tenus secrets. Selon le chef du projet NAC, les soumissionnaires ont toutefois été informés que le niveau de critères le plus bas ne leur avait pas été communiqué et que les questions auxquelles ils n'avaient pas répondu entraîneraient une appréciation moins bonne.

Pour élaborer la base d'évaluation, les 79 critères d'évaluation ont été répartis entre des équipes spécialisées, qui se sont chargées des différentes questions à chaque fois pour les quatre candidats. Après la première soumission d'offres, elles ont rédigé un rapport par question d'évaluation et par avion, qui a ensuite été «validé» après les essais et dans le cadre de la deuxième offre. Chaque rapport décrit un candidat. Les équipes étaient tenues de ne pas comparer leurs résultats jusqu'à ce que la procédure soit terminée fin 2020.

À la fin, un rapport a été rédigé pour chacun des 79 critères d'évaluation, lesquels ont ensuite été comparés et évalués à l'aide de la méthode AHP.

Des calculs de coûts ont été effectués en parallèle de l'appréciation des aspects techniques ou de l'utilité à l'aide de la méthode AHP. Selon la cheffe du DDPS, on a veillé à ce que toutes les données factuelles soient strictement séparées des prix et que les spécialistes qui s'occupaient des aspects techniques n'aient pas accès aux coûts et vice versa. Cela a permis de garantir que l'utilité et les coûts ont été déterminés séparément.

Conformément aux directives du DDPS, le calcul des coûts totaux a pris en compte non seulement les coûts d'acquisition, mais aussi les coûts d'exploitation sur 30 ans (cf. chap. 3.2.1). Le CDF a examiné certains aspects de ces calculs de coûts et des risques financiers liés à l'acquisition et à l'utilisation46.

Pour conclure, il faut ajouter que les représentants d'Armasuisse
ont confirmé à la sous-commission que les quatre avions évalués étaient tous conformes aux exigences de la troupe47 et qu'ils auraient apporté l'utilité visée à l'armée suisse.

4.2

Égalité de traitement des soumissionnaires

Généralités Le principe de l'égalité de traitement exige que tous les soumissionnaires soient traités de la même manière et que les conditions soient identiques pour tous. Selon ses propres indications, Armasuisse a tenu compte de ce principe en remettant à tous les 46 47

Audit de la gestion des risques du programme Air2030, rapport du CDF du 18 mai 2022.

Cf. note de bas de page 33.

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soumissionnaires invités les mêmes documents d'appel d'offres, les mêmes directives et les mêmes renseignements. Dans le cadre de la première demande d'offres, les soumissionnaires ont été informés de la procédure d'évaluation, de la méthode d'évaluation, des quatre critères principaux et des 20 sous-critères d'adjudication ainsi que de leur pondération. En outre, tous ont reçu la même liste comprenant 2000 questions.

Comme mentionné plus haut, les 79 sous-critères ont été délibérément tenus secrets.

Les soumissionnaires en ont été informés, de même qu'ils ont été avertis que les questions laissées sans réponse entraîneraient une évaluation moins bonne.

Les essais se sont déroulés de la même manière pour tous les fournisseurs, ce qui a permis d'assurer l'égalité de traitement. Les avions ont d'abord été testés dans des simulateurs directement auprès des fournisseurs; parallèlement, des audits d'assistance produit ont été menés. Les forces aériennes des pays constructeurs ont ainsi présenté l'utilisation et l'entretien des avions et ont montré comment la formation était dispensée. Par la suite, les avions de combat ont été testés les uns après les autres à Payerne, en Suisse, d'avril à juin 2019. L'objectif de ces essais était de vérifier les données des constructeurs. Pour ce faire, ceux-ci ont dû mettre à la disposition de la Suisse un avion pleinement opérationnel.

Le constructeur suédois Saab n'a pas été en mesure de répondre à cette exigence.

L'entreprise a présenté plusieurs options, a proposé de tester plus tard le modèle visé (Gripen-E) et a offert de mettre à disposition un Gripen C entièrement opérationnel pour les essais de juin 2019, en plus d'un avion d'essai Gripen-E. Selon Armasuisse, cela aurait toutefois été contraire au principe de l'égalité de traitement: ces propositions ont donc été rejetées et le Gripen-E a été éliminé de la procédure d'évaluation.

Les quatre candidats restants se sont présentés aux essais et ont effectué les huit missions.

Émissions de bruit Le Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (Empa) a effectué des mesures de bruit en marge des essais. Selon l'équipe d'évaluation, des informations provenant d'autres pays étaient également disponibles; toutefois, afin de ne pas enfreindre le principe de l'égalité de traitement et de garantir les
mêmes conditions pour tous les candidats, Armasuisse a décidé de procéder à ses propres mesures.

Calculs des heures de vol Dans son communiqué de presse concernant le choix de l'avion, le Conseil fédéral a indiqué que le F-35A nécessitait environ 20 % d'heures de vol en moins que les autres candidats. Certains médias et des membres de la sous-commission de la CdG-N compétente en la matière ont ensuite soulevé des questions concernant le calcul des heures de vol; il s'agissait notamment de savoir si, sur ce point, les fournisseurs avaient été traités de la même manière lors du choix. Dans ce contexte, il a notamment été affirmé que le F-35A nécessitait moins d'heures de vol parce qu'il était possible de s'entraîner davantage sur simulateur.

Armasuisse a précisé que le même nombre d'heures de vol avait été demandé à tous les candidats, à savoir 6480 heures ou 180 heures par an. Sur la base de ces valeurs, les coûts d'exploitation ont été calculés une première fois, ce qui a déjà montré que le 26 / 56

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F-35A était l'avion le moins onéreux. Dans un deuxième temps, Armasuisse a déterminé le nombre d'heures de vol effectivement nécessaires à l'engagement des avions.

Pour ce faire, les données des constructeurs ont été comparées aux conclusions de l'évaluation. L'analyse a par exemple porté sur la façon dont les pilotes des pays constructeurs sont formés (et, surtout, sur le nombre d'heures de formation et le nombre d'engagements), puis ces résultats ont été comparés avec les expériences faites dans le domaine de l'instruction des Forces aériennes suisses. Cette analyse a révélé un nombre d'heures de vol nettement inférieur pour le F-35A que pour les trois autres candidats (alors que le nombre d'heures de simulateur était comparable pour tous les avions). En d'autres termes, selon Armasuisse, aucune heure de vol n'a été remplacée par des heures de simulateur.

La sous-commission a pu prendre connaissance du rapport d'évaluation, du calcul des heures de vol et des coûts d'exploitation. Elle a pu confirmer que, à nombre d'heures de vol égal, les coûts d'exploitation des quatre avions étaient relativement proches, le F-35A présentant déjà les coûts les plus bas lors de cette comparaison. Compte tenu du nombre d'heures de vol estimées, les coûts d'exploitation du F-35A sont en revanche nettement plus bas que ceux des trois autres avions (environ 20 %).

Rapports officiels et «listes de défauts» concernant les avions évalués En ce qui concerne le principe de l'égalité de traitement, la question du traitement que l'équipe d'évaluation a réservé aux rapports officiels et publics et aux «listes de défauts» des avions évalués a également été soulevée. Par exemple, une enquête officielle du Congrès américain énumère de nombreux problèmes du F-3548. Les responsables d'Armasuisse et du DDPS ont indiqué que de telles informations n'avaient pas été directement intégrées dans l'évaluation en raison du principe de l'égalité de traitement. Selon eux, cela s'explique aussi par le fait qu'il n'existe pas de rapports et de «listes de défauts» publics pour tous les avions évalués. Certains pays constructeurs et leurs organismes d'enquête rendent leurs conclusions publiques, d'autres non (bien qu'il existe probablement des rapports ou des listes de défauts comparables pour tous les avions). Les responsables estiment que
la transparence ne doit pas porter préjudice aux États qui publient leurs résultats: ceux-ci ne doivent pas être traités différemment de ceux qui ne publient pas les «défauts» de leurs avions.

48

US Government Accountability Office (GAO), Report to the Committee on Armed Services, House of Representation, F-35 Sustainment: DoD Needs to Cut Billions in Estimated Costs to Achieve Affordability, Washington, juillet 2021 (GAO-21-439).

https://www.gao.gov/assets/gao-21-439.pdf.

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L'équipe d'évaluation a également indiqué qu'elle avait quand même pris connaissance de ces rapports. Elle a intégré les critiques qui y sont soulevées dans les questions de son évaluation et les a examinées dans le cadre de ses propres relevés49.

Par contre, les rapports des médias ou de sources non officielles n'ont pas du tout été analysés ni pris en considération. De tels comptes rendus étant rarement vérifiables, leur prise en considération n'est ni judicieuse ni sérieuse.

4.3

Prise en considération de références d'autres pays et de leurs expériences

Étant donné que plusieurs autres pays européens évaluent ou ont évalué de nouveaux avions de combat, ou que certains des avions évalués sont déjà en service, la commission s'est demandé dans quelle mesure les expériences réalisées par ces pays avaient été prises en considération lors de la procédure d'évaluation.

Selon les juristes interrogés, le droit des marchés publics permet de demander des références à un autre État. Dans ce cadre, il y a lieu de tenir compte des principes de l'égalité de traitement (des références sont demandées à tous les soumissionnaires et sur la base des mêmes critères) et de la transparence (les soumissionnaires sont informés que des références sont demandées et en connaissent les critères). Lorsque les références sont négatives, le soumissionnaire concerné doit se voir accorder le droit d'être entendu avant que les références ne soient prises en considération dans l'évaluation. Du point de vue des spécialistes en marchés publics, les références sont surtout utiles pour évaluer les éléments de la prestation qui ne peuvent pas être mesurés autrement. En principe, il faut toujours réfléchir à la pertinence des renseignements, et donc à leur utilité.

Les responsables du projet auprès d'Armasuisse et des Forces aériennes ont précisé à ce sujet que des échanges avaient eu lieu avec d'autres pays, notamment avec la Finlande, la Belgique et le Danemark, mais uniquement en ce qui concerne le déroulement de l'évaluation. Il s'agissait notamment de savoir comment ces pays procédaient aux évaluations et quelles méthodes d'évaluation ils utilisaient (cf. chap. 4.2.1).

S'agissant des caractéristiques des avions évalués, l'équipe d'évaluation s'est entretenue exclusivement avec les forces aériennes des pays constructeurs. Lors des essais effectués sur place, celles-ci ont expliqué comment elles utilisaient et entretenaient les avions et comment le personnel était formé à cet effet.

49

Le commandant des Forces aériennes a indiqué que la liste des défauts publiée annuellement par les États-Unis a été examinée et discutée avec le constructeur. Leurs conclusions ont été que tout se déroulait dans le cadre du normal: il est habituel que de nouveaux avions ou systèmes aient certains défauts de jeunesse. Selon eux, les États-Unis publient cette liste à des fins de transparence, mais également pour inciter le constructeur à prendre position et à résoudre les erreurs. Ils ont rappelé que, en dépit des critiques, le F-35A était en service partout dans le monde. Il a ajouté qu'il existait une liste contenant plus de mille erreurs de logiciel concernant le F/A-18, qui est en service depuis 25 ans; selon lui, ces défauts n'ont toutefois aucune importance pour la sécurité ou pour l'utilisation, raison pour laquelle il ne vaut pas la peine d'investir de l'argent pour les corriger.

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Les personnes du DDPS, des Forces aériennes et d'Armasuisse auditionnées ont souligné que l'évaluation devait se fonder sur leurs propres relevés et leurs propres appréciations. Selon elles, les informations obtenues auprès de références sont délicates, car les avions sont utilisés de façon totalement différente à l'étranger, en particulier en raison de la topographie et des infrastructures, car les avions ne sont pas configurés exactement de la même manière et, car les bases de calcul sont différentes. En outre, sur de nombreux aspects ­ notamment les capacités des avions, mais également leurs configurations et leurs prix ­, il n'était même pas possible de se renseigner auprès d'autres pays en raison d'accords bilatéraux relatifs à la protection des informations et d'accords de non-divulgation50. Certains pays n'avaient même pas le droit de partager des informations avec la Suisse (et inversement). En conséquence, seules les informations provenant des pays des constructeurs et des constructeurs eux-mêmes ont été prises en considération.

Contrairement aux juristes interrogés, les responsables du projet estimaient en outre que la prise en considération de références ou d'informations fournies par des pays tiers aurait été contraire aux principes contraignants de l'égalité de traitement et de la transparence. Ils ont toutefois précisé que ces restrictions liées au droit des marchés publics n'étaient plus d'actualité une fois l'avion choisi et ont souligné que l'équipe d'évaluation s'était alors entretenue à plusieurs reprises avec des pays ayant acquis le F-35A.

4.4

Appréciation de la CdG-N

Dans le présent rapport, la CdG-N a déjà constaté qu'il n'existait que peu de prescriptions légales applicables aux acquisitions d'armement. En effet, la grande marge d'appréciation dont disposent le Conseil fédéral et l'autorité adjudicatrice afin de tenir compte des circonstances spécifiques à la sécurité du pays et des considérations de politique de sécurité relève de la volonté politique.

Indépendamment de ce qui précède, il est non seulement nécessaire, en vertu des principes généraux du droit (transparence, égalité de traitement, bonne foi), mais également dans l'intérêt d'Armasuisse en tant qu'entité acheteuse de biens d'armement, de concevoir une procédure d'évaluation aussi objective et transparente que possible. La CdG-N est d'avis qu'Armasuisse a pris les mesures nécessaires pour garantir l'égalité de traitement des soumissionnaires et une procédure objective et compréhensible. Les investigations de la commission n'ont révélé aucun indice de graves lacunes à cet égard. Certaines questions de la CdG-N sont toutefois restées partiellement en suspens, notamment en ce qui concerne la prise en considération des expériences d'autres pays.

50

Ces accords de non-divulgation (non-disclosure agreements) sont des conventions de maintien du secret dans lesquelles un soumissionnaire s'engage auprès d'un acheteur potentiel à lui fournir des informations confidentielles sur son produit et, à l'inverse, l'acheteur potentiel s'engage auprès du soumissionnaire à ne pas transmettre ces informations à des tiers.

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La méthode d'évaluation choisie était conforme au droit La CdG-N estime que rien ne porte à croire que la méthode d'évaluation choisie (la méthode AHP) n'était pas légale ou posait un problème. Il n'existe aucune disposition réglementant une éventuelle procédure d'évaluation. Toutefois, la procédure doit être transparente et ne doit entraîner aucune inégalité de traitement. Même si la méthode AHP est peu usitée en Suisse, les spécialistes pensent qu'elle est judicieuse pour les acquisitions complexes. Armasuisse a pu expliquer à la commission de façon convaincante les raisons qui l'ont mené au choix de cette méthode et la façon dont il a garanti une évaluation transparente et objective. La commission n'est toutefois pas en mesure de juger si la pondération des critères par l'équipe de projet était adéquate. De plus, le fait que la méthode était appliquée pour la première fois à un projet d'armement aussi important comportait certains risques.

Selon la CdG-N, il est néanmoins judicieux que la méthode ne soit pas choisie par le département, et encore moins par le Conseil fédéral, mais par le service d'achat central compétent. Toutefois, la CdG-N se serait attendue à ce que, avant de choisir la méthode AHP, Armasuisse examine de manière approfondie, avec le concours de juristes de l'administration fédérale, si la méthode envisagée respecte les principes de l'égalité de traitement, de la transparence et de l'économicité, énoncés par le droit des marchés publics. Même si le DDPS a souligné que Homburger avait confirmé la légalité de la méthode, force est de constater que les expertises et les rapports de ce cabinet ne permettent pas de savoir si l'admissibilité légale de la nouvelle méthode en elle-même avait été vérifiée et, le cas échéant, quel avait été le résultat de cette vérification. En outre, comme la CdG-N l'a expliqué précédemment, un tel examen devrait avoir lieu avant que la méthode ne soit appliquée, et non a posteriori. En effet, si la méthode avait été jugée contraire au droit, cela aurait pu considérablement retarder toute la procédure d'évaluation; dans le pire des cas, il aurait fallu relancer une procédure.

Pas de signe d'inégalité de traitement entre les soumissionnaires, mais certaines questions sont encore en suspens concernant la prise en considération de références et d'expériences
d'autres pays Aux yeux de la CdG-N, il ne semble pas que les soumissionnaires aient été traités différemment: ils ont reçu les mêmes informations et, pour autant qu'elle puisse juger, ils ont dû remplir les mêmes conditions. En outre, la commission estime que les critiques portant sur une prétendue inégalité de traitement concernant le calcul des heures de vol sont infondées. Les forces aériennes étaient convaincues que, grâce à la combinaison du mode d'entraînement prévu et du simulateur, elles parviendraient à garantir une bonne disponibilité des équipages. La commission a pu consulter à ce propos un document des forces aériennes dans lequel celles-ci confirment à la cheffe du DDPS que, au vu d'une analyse réalisée après la remise de la deuxième offre du 18 novembre 2020, le F-35A nécessite un moindre nombre annuel d'heures de vol pour l'entraînement.

Quant à savoir si des références ont été demandées lors de la procédure d'évaluation et si les expériences réalisées par d'autres pays qui exploitaient déjà les avions ont été prises en considération, les réponses d'Armasuisse laissent la commission plus critique. Selon les spécialistes juridiques interrogés, il serait possible de recueillir de 30 / 56

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telles références. Armasuisse estime quant à lui que cela lui était impossible, car des pays tiers n'étaient pas autorisés à transmettre ce type d'informations à la Suisse et inversement. Aux yeux de la commission, cela peut bien être le cas de certaines données qui concernent directement les avions. Sur d'autres points en revanche, comme le nombre d'heures de vol nécessaires, les coûts qui en découlent ou les coûts inhérents aux adaptations d'infrastructure, Armasuisse aurait probablement pu obtenir des renseignements. Peu importe que ceux-ci n'eussent pas permis d'effectuer des comparaisons rigoureuses: il aurait fallu vérifier s'ils n'auraient pas été utiles malgré tout et s'ils n'auraient pas pu être pris en considération de manière appropriée dans l'évaluation. L'équipe de projet a considéré que cela était impossible et a souhaité se fonder exclusivement sur ses propres relevés. De l'avis de la CdG-N, Armasuisse n'a pas suffisamment clarifié la question de la prise en considération des expériences réalisées par d'autres pays et de leur plus-value potentielle. La commission estime qu'il faut, dans la mesure du possible et de manière appropriée, tenir compte des expériences et des appréciations d'autres pays, en particulier en ce qui concerne les rapports émis par des organes (de contrôle) étatiques ou parlementaires.

Recommandation 2:

Prise en considération de références

La CdG-N invite le Conseil fédéral à examiner comment il, ou en l'occurrence Armasuisse, peut, pour les projets d'acquisition d'armement, non seulement s'appuyer sur les données des pays constructeurs et sur ses propres relevés et appréciations, mais aussi, dans la mesure du possible, demander des références à d'autres utilisateurs et les évaluer.

En dépit de la critique mentionnée ci-dessus et des questions en suspens, la commission constate qu'Armasuisse a globalement mené la procédure d'évaluation technique de manière professionnelle.

5

Clôture de la procédure: phase politique

Ce chapitre présente une analyse de la phase qui a suivi la clôture de l'évaluation technique, lorsque les résultats de l'évaluation étaient disponibles. La commission a étudié en particulier si le DDPS avait poursuivi la procédure d'acquisition de manière adéquate et rapide une fois que les résultats de l'évaluation technique étaient disponibles (cf. chap. 5.1). Le chap. 5.2 traite de la manière dont les autres responsables de département ont été informés des résultats de l'évaluation et du traitement de ces derniers par le Conseil fédéral. Les négociations engagées avec les pays constructeurs dans le cadre de l'acquisition du NAC font l'objet du chap. 5.3.

L'information fournie au public et aux soumissionnaires est abordée aux chap. 5.4 et 5.5, et avec elle, les questions portant sur la communication (notamment concernant le renchérissement), sur la clôture de la procédure par Armasuisse (et les «entretiens de clôture») ainsi que sur la destruction éventuelle de documents.

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5.1

Procédure suivie par le DDPS après la présentation des résultats de l'évaluation (à partir de la mi-mars 2021)

La cheffe du DDPS a reçu la première version du projet de rapport d'évaluation le 10 mars 2021. Le 16 mars, les résultats de l'évaluation lui ont été présentés oralement par le responsable du programme Air2030 et le chef de projet NAC. Le DDPS a ensuite demandé à Armasuisse de retravailler le rapport: le département a toutefois souligné qu'il ne s'agissait-là que de modifications rédactionnelles51 en vue de l'examen par le Conseil fédéral et que ces modifications n'avaient aucune influence sur le classement des offres et les écarts entre ces dernières. Dès le 10 mars 2021, le secrétariat général du DDPS et la cheffe du département avaient donc connaissance des résultats définitifs de l'évaluation.

Peu de temps après, le 15 mars 2021, la Délséc spéciale52 a discuté pour la première fois concrètement des possibles compensations politiques avec les pays constructeurs et les aspects de politique budgétaire ont pour la première fois été abordés. Dans ce contexte, le SFI a présenté les dossiers liés à la politique extérieure particulièrement pertinents pour la Suisse aux yeux du DFF.

Par la suite, des entretiens ont eu lieu entre la cheffe du DDPS et les ministres de la défense des pays constructeurs53: les discussions ont porté entre autres sur les possibilités de collaboration bilatérale en matière de politique militaire et de politique de sécurité et sur d'autres aspects. La cheffe du département a affirmé à la CdG-N qu'elle avait bien signifié à ses interlocuteurs et interlocutrices des pays constructeurs que, s'agissant du programme Air2030, les aspects politiques ne pouvaient être pris en considération que pour départager des offres proches. Le DDPS avait, selon sa cheffe, adopté une position officielle pour les contacts avec les pays constructeurs à laquelle toutes les personnes impliquées s'étaient conformées.

Le DFAE a lui aussi poursuivi ses clarifications et a informé les représentations suisses à Paris, Berlin et Washington des résultats de ses démarches.

Le 21 avril, la Délséc spéciale a tenu sa troisième séance au cours de laquelle le DFAE a présenté un aperçu des objectifs principaux de la Suisse en matière de politique extérieure vis-à-vis des pays constructeurs. Lors de cette même séance, le DFAE a été chargé d'analyser les aspects de politique extérieure en vue du rapport sur le
programme Air203054. À ce moment-là, la cheffe du DDPS avait déjà connaissance des résultats de l'évaluation depuis plus d'un mois, mais elle n'en avait toujours pas informé les membres de la Délséc spéciale. Dans le cadre de son audition, le chef du DFAE a reconnu que son département aurait procédé autrement en mars et en avril 51

52 53 54

Selon le DDPS, des modifications rédactionnelles avaient été apportées afin que le rapport soit rédigé dans une langue compréhensible, y compris des profanes en défense aérienne.

Concernant les tâches et la composition de la Délséc spéciale, cf. chap. 2.3.

France: 22 mars 2021, États-Unis: 8 avril 2021, Allemagne: 15 avril 2021.

Il s'agit d'une partie, ou d'un chapitre, traitant des considérations de politique extérieure dans le rapport sur le programme Air2030 (ce rapport contient, outre les rapports sur l'évaluation NAC et DSA proprement dite, une partie introductive et une partie traitant des aspects politiques). Selon la décision de la Délséc spéciale du 17.5.2021, le DFAE n'a pas livré sa contribution; le chapitre correspondant a donc été rédigé par le DDPS.

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dans le cadre des clarifications entreprises s'il avait eu connaissance des résultats de l'évaluation technique.

Le 27 avril 2021, la cheffe du DDPS a chargé le grand cabinet d'avocats Homburger SA, spécialisé en droit économique, de contrôler la plausibilité de la procédure d'adjudication dans la perspective de la décision d'adjudication. Ce contrôle externe portait, selon la cheffe du DDPS, sur la méthode de l'évaluation, sur les critères d'adjudication et sur l'évaluation financière des offres compte tenu de l'arrêté de planification accepté par le peuple. Le contrôle n'était pas effectué par défiance envers Armasuisse, mais parce que le choix des moyens de défense représentait une dépense publique élevée; par conséquent, elle avait considéré qu'un contrôle effectué par un organe externe, indépendant et neutre, était une solution pertinente pour étendre encore la base de décision. Le cabinet Homburger avait été choisi en raison de son expérience en matière de procédures d'adjudication au niveau international. Le mandat de contrôle lui avait été confié, oralement, par le secrétaire général du DDPS, le 27 avril 2021, et le contrat correspondant avait été finalisé et signé le 15 juin 202255.

Le contrôle externe de la procédure d'évaluation n'était pas prévu dans la planification initiale des acquisitions. Il n'a pas été possible de déterminer si le DDPS a fait contrôler la plausibilité de la procédure parce qu'il n'était pas tout à fait certain de la marge de manoeuvre relative aux considérations de politique extérieure ou s'il l'a fait parce qu'il était en quête d'éléments supplémentaires pour pouvoir défendre devant le Conseil fédéral sa position selon laquelle il n'y avait justement pas de marge de manoeuvre en la matière, au vu des résultats56.

Étude de la plausibilité de la procédure d'adjudication menée par Homburger dans la perspective de la décision d'adjudication A) Attribution du ou des mandats Le mandat confié à Homburger a été attribué de gré à gré, malgré son volume (un plafond de dépense de 550 000 francs avait été fixé). Le DDPS est d'avis que la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) ne s'applique pas pour ce qui est du conseil juridique destiné au secrétaire général du DDPS à ce sujet. Il se fonde pour cela sur l'art. 10, al. 4, aLMP, qui prévoit que la loi ne s'applique pas aux marchés

55

56

Le DDPS justifie ce décalage en avançant que, en raison de la confidentialité du programme Air2030 et du calendrier serré, peu de personnes ont été impliquées dans ce dossier, et que ces dernières ont, dans le même temps, préparé le dossier pour le Conseil fédéral, d'où la finalisation tardive du contrat avec Homburger.

Dans le cadre de la consultation de l'administration, le DDPS a déclaré que «le résultat de l'évaluation a montré qu'on ne pouvait pas parler d'offres équivalentes. Ce résultat, les documents mentionnés [rapport explicatif du 23.5.2018 destiné à l'ouverture de la procédure de consultation, message du 26.6.2019 concernant un arrêté de planification relatif à l'acquisition d'avions de combat, note de discussion du 12.10.2020 adressée par le DDPS au Conseil fédéral] et la loi fédérale [...] sur les marchés publics empêchent les considérations de politique extérieure de jouer un rôle dans cette affaire. En vertu de son obligation de diligence, le DDPS a fait examiner cet aspect juridique précis par un cabinet d'avocats externe.»

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publics «dont l'exemption est jugée nécessaire pour la protection et le maintien de la sécurité extérieure ou intérieure ou de l'ordre public»57.

Le mandat a été confié oralement au cabinet d'avocats, le 27 avril 2021, l'objet du mandat tel que défini par le DDPS ayant toutefois été consigné par écrit le même jour; il a ensuite été repris et détaillé dans le contrat, le 15 juin 2021. Selon ce dernier, le mandataire devait contrôler les résultats de l'évaluation des offres reçues et donner une appréciation des résultats afin de pouvoir apporter au mandant un conseil juridique quant à la plausibilité de la procédure. Il devait en outre répondre à différentes questions ou analyser différents documents et présentations des résultats selon les instructions données. Par la suite, le mandataire devait rester à disposition du mandant pour l'aider dans sa correspondance ou dans les négociations avec le fournisseur potentiel, un plafond des coûts spécifique pouvant être fixé pour cette dernière tâche.

Cette possibilité a d'ailleurs été utilisée: le DDPS a ultérieurement consulté Homburger sur des questions de protection de l'information dans le cadre des relations interétatiques et des contrats. Après que le Conseil fédéral a choisi le type d'avion à acquérir, le 30 juin 2021, le DDPS et Armasuisse ont discuté avec des représentants des autorités américaines pour régler contractuellement d'autres points importants pour le département, tels que l'interprétation de la notion de «prix ferme» ou la production de 28 avions de combat du type F-35A en Italie. Là aussi, le département a pu bénéficier des conseils de Homburger: le plafond des dépenses fixé pour ce mandat était de 200 000 francs.

Répondant à une question de la commission, qui souhaitait savoir pourquoi ce mandat n'avait pas été confié à un service interne à l'administration, le DDPS a déclaré qu'aucun des services entrant en ligne de compte ne disposait des ressources nécessaires et que, de surcroît, il souhaitait avoir l'avis d'un organe externe et indépendant58.

B) Protection de l'information D'après le DDPS, les clauses de confidentialité59 et les accords relatifs à la protection des informations n'ont pas été violés par la procédure de contrôle. La partie 57

58

59

Dans le cadre de la consultation de l'administration, le DDPS a ajouté: «Par ailleurs, l'acquisition en question mettait en jeu des intérêts publics importants pour le pays et comportait des particularités techniques, sans compter qu'une étude de plausibilité devait être réalisée d'urgence. Autant de raisons qui rendaient aussi une adjudication de gré à gré admissible. Les conditions d'une procédure de gré à gré étaient remplies même dans le seul champ d'application de la LMP (cf. art. 21, al. 2, let. c et d et al. 3, let. b).» Dans le cadre de la consultation de l'administration, le DDPS a indiqué ce qui suit: «Les délais auraient été de toute façon insuffisants. [...] En effet, pour ce type de mandat, il est essentiel de disposer à la fois d'une solide expérience en négociations et transactions internationales et d'un statut indépendant. Enfin, dans l'économie tant privée que publique, il est d'usage de consulter un cabinet d'avocats externe spécialisé dans les affaires d'une grande complexité et portée financière, afin de respecter l'obligation usuelle de diligence». En admettant que le recours à des experts externes soit effectivement usuel, la CdG-N se serait attendue à ce que l'engagement de ces experts ait été planifié en temps voulu. Ce qui n'a visiblement pas été le cas, le DDPS indiquant que l'adjudication de gré à gré du mandat aurait été admissible au vu de l'urgence (cf. note de bas de page 57).

Cf. note de bas de page 50.

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technique de l'évaluation n'étant pas concernée par le contrôle de la plausibilité, Homburger n'a pas pu accéder à des données militaires classifiées. En outre, les personnes concernées au sein du cabinet d'avocats étaient soumises au secret professionnel.

La CdG-N a constaté que la question de la protection des données dans le cadre de l'engagement par la Confédération de Homburger a aussi été débattue lors des entretiens de clôture. Armasuisse a assuré aux fournisseurs que les membres de Homburger avaient uniquement accès aux données classifiées «non militaires».

En outre, Homburger ayant un accord avec le DDPS, il n'était pas considéré comme un tiers. Il ressort de la note de discussion d'un soumissionnaire sur l'entretien de clôture que le mandat lui a également posé question: il considérait en effet que soit le cabinet d'avocats était considéré comme un tiers et son implication violait la convention de protection de l'information, soit il n'était pas considéré comme un tiers et il ne pouvait pas être indépendant.

C) Prestations, résultats et coûts du contrôle externe Outre la confirmation de la plausibilité de la procédure publiée le 16 juin 2021 (volume: 1 p.), Homburger a établi deux autres avis de droit à l'intention du DDPS: dans son avis du 4 mai 2021, il s'est prononcé sur des questions concernant la publication de la décision d'adjudication (10 p.) et dans celui du 23 juin 2021, sur le degré de contrainte juridique des résultats de l'évaluation du NAC (4 p.).

Parallèlement à l'établissement de ces trois documents écrits, les personnes compétentes de Homburger ont, selon les indications du département, conseillé oralement la cheffe du DDPS ainsi que certains collaborateurs et collaboratrices du secrétariat général sur d'autres questions de droit, dont des questions portant sur le cadre financier et l'arrêté de planification. La cheffe du département a indiqué à la sous-commission qu'elle avait par trois fois eu des contacts avec Homburger pour être conseillée.

Le DDPS a affirmé que le recours à Homburger s'était révélé utile et, pour certaines questions, particulièrement fructueux, notamment pour négocier le contrat avec le gouvernement états-unien.

La cheffe du DDPS a souligné que le cabinet d'avocats avait confirmé la plausibilité du classement des soumissionnaires figurant dans
le rapport d'évaluation, fondé sur l'analyse coûts-bénéfices effectuée par Armasuisse. Étant donné, toutefois, que ce type de mandat rémunéré est souvent qualifié de partial, car réalisé à la demande d'une des parties, elle avait également demandé à l'OFJ de procéder à un contrôle (cf. plus bas).

La commission a demandé au DDPS un complément d'information sur les coûts engendrés par l'engagement de Homburger et sur le travail effectivement facturé.

Sur ce point, le DDPS a indiqué que le cabinet avait consacré 1033 heures de travail au mandat initial (étude de la plausibilité des résultats de l'évaluation), pour

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un montant d'environ 617 000 francs60. Le secrétariat général du DDPS n'a cependant versé, pour ce mandat, que la somme prévue conformément au plafond des dépenses, soit 550 000 francs. Les informations liées aux prestations effectives et aux coûts manquent pour les deux mandats subséquents; le plafond des dépenses est, pour l'un, de 125 000 francs et pour l'autre, de 200 000 francs. En tout, l'engagement de Homburger devrait avoir coûté environ 875 000 francs.

(Pour l'appréciation du mandat par les CdG, cf. chap. 3.3.4.)

5.2

Traitement du résultat de l'évaluation à l'échelon du Conseil fédéral (à partir du 17 mai 2021)

Le 17 mai 2021, la cheffe du DDPS a communiqué le résultat de l'évaluation à la Délséc spéciale. Selon la conseillère fédérale ­ et ces propos ont été confirmés par le chef du DFAE ­, les membres de la délégation étaient d'accord pour reconnaître que, en raison de l'écart considérable entre le F-35A et le deuxième meilleur candidat, on ne pouvait pas parler d'offres équivalentes. Ce constat essentiel ne figure toutefois pas au procès-verbal de la séance. De même, il n'est pas clair si la cheffe du DDPS a informé les membres de la Délséc spéciale que Homburger avait été chargé d'examiner la procédure d'évaluation et de clarifier des points juridiques.

Du 9 au 11 juin 2021, la cheffe du DDPS a informé les autres membres du Conseil fédéral, lors d'entretiens bilatéraux, du résultat de l'évaluation et de l'absence d'offres équivalentes. Selon elle, il était ainsi clair que les aspects liés à la politique extérieure ne pouvaient jouer aucun rôle dans le choix de l'appareil. On ne dispose d'aucune information écrite sur la teneur exacte de ces entretiens. Les auditions effectuées par la sous-commission compétente ont cependant montré clairement que les membres du Conseil fédéral n'étaient alors pas tous conscients de l'absence de marge de manoeuvre s'agissant des aspects liés à la politique extérieure.

Le 18 juin 2021, le Conseil fédéral a discuté une première fois de la décision à prendre concernant le NAC. Il a alors été informé de l'offre du pays d'un constructeur: celuici proposait de soutenir la Suisse lors de négociations multilatérales et laissait entendre qu'il était désormais disposé à faire des concessions majeures sur des dossiers importants pour la Suisse, au sujet desquels les négociations étaient bloquées depuis longtemps. Cette offre aurait généré des recettes substantielles pour la Suisse, ce que l'un des membres du Conseil fédéral a qualifié d'opportunité historique. Selon ses propres déclarations, le chef du département concerné a été chargé par le Conseil fédéral, à la demande du DDPS, de prier le pays concerné de fournir une garantie écrite. Le Conseil fédéral s'est demandé si cet élément pouvait et devait être pris en considération dans l'évaluation coût-utilité. C'était la première fois ­ d'après ce qu'a pu comprendre la commission ­ que le gouvernement discutait de la définition
de l'équivalence des offres. Étant donné l'incertitude qui prévalait chez certains de ses membres quant à la marge de manoeuvre relative aux considérations relevant de la politique (extérieure), 60

Selon le DDPS, ce montant ne comprenait «pas uniquement les honoraires de Homburger, mais aussi ceux de son sous-traitant Gut Corporate Finance, d'autres frais assumés par Homburger et un taux de TVA de 7,7 %.»

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il a décidé de faire éclaircir ce point avant de se prononcer sur l'appareil à acquérir.

La CdG-N ne sait pas si, le 18 juin 2021, le DDPS a informé le Conseil fédéral des mandats confiés à au cabinet d'avocats et de leurs résultats. Le même jour, le DDPS a chargé l'OFJ d'examiner l'avis de droit rendu par Homburger (au sujet du caractère juridiquement contraignant du résultat de l'évaluation du NAC)61.

Lors de sa séance du 23 juin 2021, au cours de laquelle il avait initialement prévu d'arrêter son choix, le Conseil fédéral a établi qu'il devait opter soit pour une approche qui s'en tenait aux critères définis pour la procédure d'acquisition et aboutissait à un résultat technique net, soit pour une approche politique. Il a repoussé la discussion à sa séance suivante, considérant qu'il disposerait alors de l'avis de droit de l'OFJ ainsi que d'une confirmation écrite de l'offre précitée soumise par le pays de l'un des constructeurs.

Le 30 juin 2021, le Conseil fédéral a pris connaissance de l'avis de droit de l'OFJ du 28 juin 2021, qui indiquait que, en l'occurrence, la différence entre la meilleure offre et les offres suivantes était si grande qu'il ne restait aucune marge de manoeuvre pour la prise en considération d'aspects liés à la politique extérieure (cf. chap. 3.2.2). Constatant que la procédure avait été conduite dès le départ selon les règles du droit des marchés publics et non d'après des critères politiques, le gouvernement a estimé qu'il n'avait pas d'autre choix que de retenir l'offre qui était la meilleure au vu de l'évaluation technique.

Selon les personnes auditionnées, le fait que le Conseil fédéral ait discuté de la possibilité de tenir compte d'aspects relatifs à la politique extérieure pour le choix de l'appareil est très clairement lié à la décision prise par le gouvernement le 26 mai 2021 d'interrompre les négociations avec l'UE sur un accord-cadre institutionnel. Cette décision, intervenue entre la dernière séance de la Délséc spéciale, le 17 mai 2021, et le choix de l'appareil, a considérablement modifié le contexte de la politique extérieure, ont expliqué ces personnes. Le DFAE et le DFF, en particulier, étaient d'avis que, eu égard au changement de situation avec l'UE et aux propositions sans équivoque du pays de l'un des constructeurs concernant des concessions majeures
sur des dossiers importants pour la Suisse, il convenait de tenir également compte, pour le choix de l'appareil, d'aspects liés à la politique extérieure. Visiblement, tous les membres du Conseil fédéral ne partageaient pas ce point de vue (cf. chap. 3.2.2).

En raison du caractère très sommaire des procès-verbaux du Conseil fédéral, la CdG-N n'a toutefois pas pu saisir en détail la discussion du gouvernement sur la question de l'équivalence des offres ou de la marge de manoeuvre relative aux considérations relevant de la politique extérieure.

61

Il convient de relever que cet avis de Homburger date du 23 juin 2021. Il a donc été soumis à l'OFJ ­ si tel a bien été le cas ­ sous la forme d'un projet. Le 18 juin 2021, le DDPS a toutefois transmis à l'OFJ une note interne concernant des questions relatives au droit des marchés publics qui reflète le point de vue du cabinet d'avocats.

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5.3

Négociations avec d'autres États et coordination des pourparlers

Parallèlement au traitement des résultats de l'évaluation par le DDPS, la Délséc spéciale et le Conseil fédéral, il a fallu déterminer quels pays constructeurs étaient le plus à même d'offrir des possibilités de coopération optimales, et si ces pays seraient prêts à s'engager formellement sur les dossiers de politique extérieure revêtant une importance particulière pour la Suisse avant, que la décision sur le type d'avion ne soit prise.

C'est notamment le DFAE qui était chargé de ces clarifications. Dans le même temps, au printemps 2021, les pays constructeurs ont eux aussi réagi et contacté le DFAE, les ambassades ou les départements avec lesquels ils étaient en négociation depuis un certain temps. L'acquisition a également fait l'objet de contacts gouvernementaux de haut niveau du président de la Confédération de l'époque. Selon les personnes interrogées, ces contacts ont amené à reprendre des dossiers qui n'avaient plus avancé depuis longtemps.

Concernant ces entretiens et ces négociations, le Conseil fédéral distingue deux phases avec des conditions différentes: ­

Pendant la période où les résultats de l'évaluation n'étaient pas encore connus, le dialogue ­ dans le cadre des négociations également ­ avec les pays constructeurs a activement été recherché.

­

Une fois que les résultats de l'évaluation ont été connus, il est clairement apparu, selon le Conseil fédéral, que, en raison de ces résultats et surtout de l'écart important entre le F-35A et les candidats les plus proches, la marge de manoeuvre permettant d'intégrer des considérations politiques était inexistante. Il était donc évident que la Suisse ne devait pas poursuivre activement les entretiens sur les aspects de politique extérieure avec les États qui n'entraient pas en ligne de compte dans la procédure d'adjudication62.

Pour le Conseil fédéral, la première phase a duré jusqu'au 17 mai 2021, soit jusqu'à ce que la cheffe du DDPS ait informé la Délséc spéciale des résultats de l'évaluation.

Si la CdG-N ne peut adhérer à cette conception des choses (cf. chap. 5.6), elle l'emprunte toutefois au Conseil fédéral pour structurer les événements dans la description ci-après.

Avant le 17 mai 2021 Le 15 mars 2021, la cheffe du DDPS a informé la Délséc spéciale des entretiens prévus avec les ministres de la défense des pays constructeurs (France, Allemagne, ÉtatsUnis). Lors de la même séance, la secrétaire d'État aux questions financières internationales a présenté des dossiers qui, aux yeux du DFF, pouvaient être liés à l'acquisition des avions de combat et être avantageux, pour la Suisse, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan financier. S'en est suivie une première discussion sur la conclusion éventuelle d'accords avec les pays constructeurs.

Après cette séance, et avant celle de la Délséc spéciale, des entretiens ont eu lieu entre la cheffe du DDPS et les ministres de la défense française et allemande, ainsi qu'avec 62

Lettre du Conseil fédéral à la CdG-N du 4.3.2022 (confidentielle, non publiée).

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le ministre de la défense américain63. La possibilité d'une collaboration bilatérale (plus étroite) dans les domaines de la politique militaire et de la politique de sécurité, ainsi que dans d'autres domaines, a été discutée. La cheffe du DDPS, qui connaissait déjà les résultats de l'évaluation à ce moment-là, a affirmé à la CdG-N qu'elle avait toujours signifié à ses interlocuteurs et interlocutrices des pays constructeurs que, s'agissant du programme Air2030, les aspects politiques ne pouvaient être pris en considération que pour départager des offres proches. Selon elle, le DDPS avait adopté pour les contacts avec les pays constructeurs une position officielle stricte à laquelle toutes les personnes impliquées s'étaient conformées.

Parallèlement, le DFAE a poursuivi ses efforts de clarification à l'issue de la séance du 15 mars 2021, dans un premier temps, à l'interne. Dans la perspective des discussions ultérieures avec la Délséc spéciale, prévues le 21 avril 2021, il a identifié pour l'ensemble des départements les dossiers pouvant porter sur des aspects de politique extérieure et les a présentés lors de ladite séance. La cheffe du DDPS a informé la délégation des entretiens qu'elle avait eus avec les pays constructeurs, sans toutefois lui faire part des résultats de l'évaluation, alors qu'elle en avait connaissance depuis plus d'un mois. Le DFAE a ensuite reçu pour mandat d'analyser le rapport global Air2030 sous l'angle de la politique extérieure64 et a informé les représentations suisses à Paris, Berlin et Washington des résultats de cette analyse.

Le chef du DFAE et la secrétaire d'État du département ont indiqué à la CdG-N que les pays constructeurs avaient toujours été clairement informés du fait que les aspects politiques (notamment de politique extérieure) ne pouvaient être pris en considération que pour départager les offres proches. La CdG-N n'était pas en mesure de vérifier ces affirmations, étant donné qu'il n'existait pas d'instructions écrites et qu'il était difficile de déterminer comment le DFAE et, en particulier, les ambassadeurs auprès des pays constructeurs avaient communiqué. Lors de son audition devant la commission, le chef du DFAE a toutefois indiqué que son département aurait procédé différemment dans le cadre des clarifications entreprises en mars et en avril 2021
s'il avait eu connaissance des résultats de l'évaluation technique.

Après le 17 mai 2021 Le 17 mai 2021, la cheffe du DDPS a communiqué les résultats de l'évaluation lors de la séance avec la Délséc spéciale. Selon elle, il était clair à ce moment-là pour toutes les personnes présentes que des compensations de nature politique ne pouvaient plus être déterminantes et qu'il ne fallait pas poursuivre les négociations65. Les personnes du DFAE qui étaient auditionnées ont admis que le département et les ambassades compétentes avaient alors «mis la pédale douce» sur les clarifications et les négociations: ils avaient bien entendu réagi et répondu aux pays constructeurs lorsque ceux-ci avaient pris contact, mais ils n'étaient pas eux-mêmes intervenus activement 63 64

65

Entretiens avec la ministre française, le 22 mars 2021, avec le ministre américain, le 8 avril 2021 et avec la ministre allemande, le 15 avril 2021.

Il s'agit d'une partie, ou d'un chapitre, traitant des considérations de politique extérieure dans le rapport sur le programme Air2030 (ce rapport contient, outre les rapports sur l'évaluation NAC et DSA proprement dite, une partie introductive et une partie traitant des aspects politiques).

Procès-verbal de la sous-commission DFAE/DDPS de la CdG-N du 17 février 2022.

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dans ce sens. Suspendre intégralement les négociations n'avait toutefois pas été possible, car les résultats de l'évaluation ne devaient pas être communiqués: le Conseil fédéral n'ayant pas encore rendu sa décision quant au type d'appareil à acquérir, ils ne devaient en effet pas anticiper sur le choix qui serait fait.

Le DFF était également impliqué dans la question des dossiers que l'on souhaitait lier à l'acquisition de l'avion de combat. Le chef du département a ainsi déclaré à la CdG-N qu'il avait été contacté par un pays constructeur en mars 2021: celui-ci était prêt, après des années de négociations plus ou moins infructueuses, à faire des concessions et à faire progresser les négociations sur un certain dossier. Bien que cette offre n'ait pas été directement rattachée à la procédure du NAC, le lien était implicitement clair, ce qu'a révélé par la suite le désintérêt manifesté par le pays en question, après l'annonce du type d'avion choisi, pour les améliorations envisagées au printemps 2021. Le chef du DFF a déclaré avoir informé le Conseil fédéral de cette offre en mars 2021. Par la suite, en juin 2021, le DFF a poursuivi les négociations sur le dossier en question. Le DFAE a confirmé qu'il était également au courant de ces contacts, mais que le DFF avait mené seul les négociations.

Le chef du DFF a été informé directement par la cheffe du DDPS, le 10 juin 2021, des résultats de l'évaluation. Il a indiqué à la CdG-N que, même après cet entretien, le fait que le Conseil fédéral ne disposait d'aucune marge de manoeuvre pour prendre sa décision ne lui était pas apparu clairement. Pour lui, le choix du type d'avion relevait exclusivement du Conseil fédéral et il revenait au gouvernement de décider de prendre ou non en considération les aspects politiques lors de sa décision.

Le chef du DFF a ajouté qu'il avait reçu des engagements clairs, mais uniquement oraux, sur une offre de négociation de la part d'un pays constructeur. Il avait fait part, au cours de la séance du 18 juin 2021, de l'offre que ce pays lui avait présentée; le Conseil fédéral avait alors chargé le département, sur l'insistance de la cheffe du DDPS, de demander une offre concrète et des garanties écrites au pays concerné. Ce dernier avait satisfait à la demande, dans une lettre adressée au DFF datée, selon le chef du DFF,
du 28 juin 202166.

Il ressort donc clairement des faits exposés ci-dessus que la Suisse (par l'intermédiaire du DFF) a continué à négocier avec d'autres États sur d'éventuelles compensations bien après la communication des résultats de l'évaluation et jusqu'à peu de temps avant le choix de l'avion. Le chef du DFF et le chef du DFAE justifient la poursuite de ces négociations par le fait que le Conseil fédéral ne connaissait pas clairement la marge de manoeuvre dont il disposait pour prendre sa décision, cette question n'ayant été éclaircie qu'après la présentation de l'avis de droit de l'OFJ à la séance du 30 juin 2021 (cf. chap. 3.2.2).

66

La sous-commission compétente n'a pas consulté le document en question.

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5.4

Communication publique concernant le choix de l'avion et les coûts d'acquisition

Le Conseil fédéral a pris sa décision le 30 juin 2021; le même jour, le DDPS en a informé les médias et le public. Dans ses déclarations, il a indiqué que le F-35A non seulement affiche l'utilité globale la plus élevée pour la Suisse, mais «a également obtenu de loin le meilleur résultat en termes de coûts», aussi bien sur le plan de l'acquisition que sur celui de l'exploitation. Selon le DDPS, «[l]es coûts d'acquisition au moment des offres en février 2021 s'élèvent à 5,068 milliards de francs». Ils restent donc dans les limites de l'arrêté de planification même si le renchérissement est ajouté jusqu'au moment du paiement67, ce qu'un cabinet externe a également confirmé dans le cadre d'un contrôle de plausibilité68. Le prix calculé, renchérissement inclus, n'a pas été précisé.

Par la suite, différentes questions relatives aux coûts et au caractère contraignant des prix indiqués dans l'offre ont été soulevées dans les milieux politiques et dans les médias. Le DDPS et Armasuisse ont réagi en procédant à certaines «mises au point et clarifications»69, dont l'une a même fait l'objet d'un communiqué de presse70.

Lors de son audition, la cheffe du DDPS a souligné que, pour pouvoir comparer les offres, le 21 février 2021 avait été désigné comme jour de référence pour le calcul, car c'est à cette date que les offres ont été reçues. Selon elle, le fait que le renchérissement n'était pas inclus dans le montant concerné avait été clairement communiqué. La situation était la même pour les autres avions évalués, pour lesquels le renchérissement devait aussi être calculé en sus. En d'autres termes, selon la cheffe du DDPS, il est faux d'affirmer que le renchérissement était inclus pour un soumissionnaire, mais pas pour son concurrent.

La cheffe du DDPS a en outre déclaré que le renchérissement n'avait été calculé qu'après la fin des négociations avec les États-Unis et qu'il faisait partie du prix contraignant. Les États-Unis ont présenté au DDPS une offre de prix contraignante sur dix ans, dans laquelle le renchérissement était compris. Ce n'est qu'à partir de la onzième année que le renchérissement devait être ajouté; la cheffe du DDPS a cependant précisé qu'il était difficile de le chiffrer à si long terme. Le secrétaire général du DDPS a indiqué que le renchérissement avait été pris en considération pour
le crédit d'engagement, car l'objectif est de proposer un crédit qui inclue le renchérissement.

En ce qui concerne le caractère contraignant des offres, le DDPS a déclaré à la commission, comme il l'avait fait à plusieurs reprises à l'intention du public, que les prix 67 68

69 70

Air2030: le Conseil fédéral décide de l'acquisition de 36 avions de combat de type F-35A, communiqué de presse du DDPS du 30 juin 2021.

Dans une note d'information du DDPS datant du 10 juin 2021, qui se fonde sur les conclusions du cabinet d'avocats susmentionné, il est toutefois indiqué que, en extrapolant les chiffres au moment du paiement en tenant compte du renchérissement estimé par les soumissionnaires et des taux de change estimés par l'AFF, toutes les offres n'entrent plus dans le cadre financier prévu (lui aussi extrapolé au moment du paiement). La note ne mentionne cependant pas quelles offres sont concernées.

www.vbs.admin.ch > Actualités > Mises au point et clarifications (état au 31 janvier 2022) Air2030: caractère contraignant de l'offre pour le F-35A comme nouvel avion de combat, communiqué de presse du DDPS du 11 juillet 2021.

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convenus étaient fixes, c'est-à-dire contraignants71. La commission n'a pas étudié plus avant ces questions, car celles-ci sont examinées par le CDF dans le cadre de son enquête relative aux risques financiers d'Air203072. Les résultats de cette enquête et les aspects financiers de l'acquisition sont du ressort de la haute surveillance parlementaire sur les finances de la Confédération. Par conséquent, la CdG-N n'a pas traité ces éléments et part du principe qu'ils seront examinés par la DélFin et les Commissions des finances.

5.5

Entretiens de clôture et prétendue destruction de documents

Après l'annonce de la décision du Conseil fédéral, Armasuisse a invité les soumissionnaires dont les offres n'avaient pas été retenues à un entretien de clôture (closing meeting). Selon l'ordre du jour de ces entretiens, Armasuisse souhaitait, lors de ces entretiens, remercier les soumissionnaires pour leur participation et leur collaboration constructive tout au long de la procédure, recueillir leurs impressions concernant la procédure d'évaluation, clarifier les éventuelles questions à ce sujet et discuter du traitement ultérieur des documents remis pendant la procédure d'évaluation. Armasuisse a déclaré à la CdG-N qu'il est d'usage de proposer un entretien de clôture au terme d'une procédure d'évaluation, mais qu'il arrive que certains soumissionnaires déclinent cette proposition. Lors d'un tel entretien, le soumissionnaire reçoit habituellement des informations concernant le résultat de l'examen de son offre, mais aucune comparaison n'est faite avec les autres offres.

Côté suisse, le responsable du programme Air2030, le chef du projet NAC et son suppléant (tous trois d'Armasuisse) ont participé aux entretiens de clôture consacrés à l'acquisition du NAC; ni le Secrétariat général du DDPS ni le DFAE n'y étaient représentés. Les délégations des soumissionnaires non retenus étaient composées de représentants de l'entreprise, de chargés de programme du pays de fabrication et, dans certains cas, de membres du ministère de la défense ou de l'ambassade (attaché de défense).

Lors de ces rencontres, plusieurs soumissionnaires ont posé de nombreuses questions détaillées auxquelles Armasuisse n'a pas pu répondre, invoquant ses obligations en matière de maintien du secret. Deux soumissionnaires, irrités par ce refus, l'ont critiqué. La commission a pu consulter les avis écrits de soumissionnaires non retenus concernant le procès-verbal des entretiens de clôture73. Les soumissionnaires y indiquent notamment qu'Armasuisse n'avait donné aucune réponse, ou du moins aucune réponse détaillée, aux questions qu'ils lui avaient soumises, et qu'il n'avait pas non plus répondu à leurs questions relatives aux résultats de la procédure d'évaluation et à la procédure elle-même. Selon eux, Armasuisse n'est pas non plus entré dans les 71

72 73

Un communiqué de presse de l'ambassade des États-Unis en Suisse du 2 juin 2022 fait aussi état de «fixed price contracts» (https://ch.usembassy.gov/press-release-americasmost-advanced-multi-role-fighter/, état au 3.6.2022).

Cf. note de bas de page 46.

Les investigations de la CdG-N ont montré qu'il n'existe pas de procès-verbaux de ces entretiens de clôture signés par les deux parties.

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détails concernant le choix de l'avion, le prix et les points obtenus dans le cadre de l'analyse coûts/utilité.

En outre, il ressort des notes d'entretien des soumissionnaires non retenus lors de l'adjudication que la question abordée par Armasuisse concernant le traitement des documents d'offre et des données fournies par les soumissionnaires avait pris de court au moins un soumissionnaire; un autre soumissionnaire a invoqué les accords existants pour y répondre. Le chef de l'armement a précisé qu'Armasuisse n'avait pas posé cette question parce qu'il avait lui-même des doutes, mais simplement parce qu'il voulait clarifier suffisamment tôt si les documents devaient être détruits ou restitués en temps voulu.

En automne 2021, plusieurs médias ont cependant affirmé qu'Armasuisse souhaitait détruire ou restituer prématurément des documents de la procédure d'évaluation et avait pris contact avec les soumissionnaires non retenus à ce sujet. Le DDPS a démenti ces allégations sur son site Internet74, soulignant que les données classifiées du point de vue militaire ne seraient pas restituées avant la signature du contrat pour l'acquisition du F-35A, ce qui signifie que cela n'interviendrait qu'après les délibérations parlementaires et après une votation populaire éventuelle. Le Conseil fédéral a fourni les mêmes informations à la CdG-N dans une lettre qu'il lui a adressée.

Par ailleurs, le Conseil fédéral a rappelé que l'échange d'informations classifiées avec d'autres États était réglé dans des conventions internationales appelées «accords relatifs à la protection des informations». Les accords conclus avec les pays de provenance des constructeurs non retenus75 prévoient que les documents classifiés du point de vue militaire ne peuvent être utilisés que dans le but prédéterminé, en l'occurrence, pour l'évaluation et l'acquisition de nouveaux avions de combat. Les données restent la propriété de l'État qui les a fournies. Par conséquent, selon le Conseil fédéral, la Suisse est tenue de restituer ou de détruire les données et les documents, d'entente avec les pays de provenance des candidats non retenus76. En outre, le Conseil fédéral a démenti l'allégation selon laquelle Armasuisse aurait pris contact avec les soumissionnaires non retenus pour préparer la destruction des documents: selon lui, Armasuisse
a évoqué le traitement des données classifiées du point de vue militaire lors des entretiens de clôture menés avec les candidats non retenus afin de déterminer la suite de la procédure suffisamment tôt et de manière consensuelle. Parallèlement, il a également été établi, comme il ressort des procès-verbaux relatifs aux entretiens de clôture, qu'Armasuisse conserverait les données classifiées qui lui ont été remises au moins jusqu'à la signature du contrat d'acquisition des F-35A.

74 75

76

Cf. Mises au point et clarifications du DDPS, https://www.vbs.admin.ch/fr/actualites/mises-au-point.html (accès le 4 octobre 2021).

Les accords de ce type conclus avec les États-Unis (1961 et 1981), la France (2006) et l'Allemagne (1996) indiquent les documents qui doivent être traités comme des «informations classifiées».

Lettre du Conseil fédéral du 3 novembre 2021 à l'intention de la CdG-N.

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5.6

Appréciation de la CdG-N

Association du Conseil fédéral et clarification de sa marge de manoeuvre trop tardives Le DDPS et le Conseil fédéral ont déclaré que la première phase de l'évaluation (la phase technique) n'avait été conclue que le 17 mai 2021, avec la communication des résultats au sein de la Délséc spéciale; la deuxième phase ­ politique ­ a alors pris le relais et s'est conclue par le choix de l'avion. Ils ont précisé que, après la communication des résultats à la Délséc spéciale et la discussion qui s'en est suivie, il était clair qu'il n'y avait aucune marge de manoeuvre pour des réflexions d'ordre politique.

La CdG-N a un autre avis sur la question: premièrement, elle estime que la phase politique avait déjà commencé à la mi-mars, lorsque la cheffe du DDPS a été informée des résultats. À partir de ce moment-là, la cheffe du DDPS portait la responsabilité des étapes suivantes de la procédure. Deuxièmement, les investigations de la commission montrent que, même après la communication des résultats à la Délséc spéciale le 17 mai 2021, il n'était toujours pas clair que les réflexions politiques ne pouvaient jouer aucun rôle sur le choix de l'avion, d'autant moins que les membres du Conseil fédéral non représentés au sein de la Délséc spéciale (dont le président de la Confédération de l'époque [c'est-à-dire le chef du DEFR] et le chef du DFF) n'ont été informés que plusieurs semaines plus tard des résultats de l'évaluation.

Les passages qui suivent examinent en détail les deux éléments susmentionnés (l'information tardive du Conseil fédéral et les imprécisions concernant sa marge de manoeuvre).

La CdG-N ne comprend pas pourquoi la cheffe du DDPS a attendu la mi-mai pour informer les autres membres de la Délséc spéciale des résultats de l'évaluation, puis a attendu encore trois semaines pour en informer les autres membres du Conseil fédéral.

La cheffe du DDPS a déclaré à la CdG-N que les résultats de l'évaluation n'étaient disponibles qu'avec le rapport d'évaluation définitif. La CdG-N n'est pas convaincue par cette argumentation, car, premièrement, le rapport définitif n'a été disponible que début juin (c'est-à-dire après la communication des résultats de l'évaluation à la Délséc spéciale, le 17 mai 2021) et, deuxièmement, le DDPS a lui-même confirmé à la CdG-N que le rapport n'avait été remanié que sur le
plan rédactionnel après la première présentation, en mars 2021.

Aux yeux de la commission, il est particulièrement incompréhensible que la cheffe du DDPS n'ait pas déjà signalé à la séance de la Délséc spéciale du 21 avril 2021 que les résultats de l'évaluation étaient sans équivoque et que l'on n'était pas en présence d'offres équivalentes. Comme elle l'avait fait le 15 mars 2021, la Délséc spéciale y a discuté des affaires compensatoires potentielles; elle était consciente que les ambassades suisses dans les pays de provenance des soumissionnaires avaient pu être chargées de sonder le terrain en vue d'affaires compensatoires et que le DFF était aussi actif en la matière. Vu que la cheffe du DDPS n'a pas informé ses collègues que les offres n'étaient pas équivalentes, les négociations se sont poursuivies avec la même intensité, ce qui a non seulement engendré une charge de travail inutile, mais également suscité des attentes irréalistes de la part des pays concernés.

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Comme elle l'a déjà mentionné, la CdG-N n'arrive pas à déterminer dans quelle mesure le DDPS était au clair concernant l'absence de marge de manoeuvre en matière de politique extérieure. On ne sait pas si Homburger a été mandaté parce que le DDPS lui-même avait des questions sur la procédure d'évaluation ou parce que l'avis de droit devait conférer une légitimité supplémentaire à son point de vue lors de la suite de la procédure (décision du Conseil fédéral, publication, examen parlementaire). Toutefois, la CdG-N ne peut pas comprendre pourquoi ce mandat n'a été confié qu'à la fin avril (soit plus d'un mois après la présentation des résultats de l'évaluation par Armasuisse). Elle ne comprend pas non plus pourquoi le DDPS n'a pas évoqué ses investigations juridiques au sein de la Délséc spéciale, d'autant moins que la cheffe du DFJP, qui assume la direction suprême de l'OFJ, y siégeait. La commission en conclut que d'importantes questions liées à la marge de manoeuvre du Conseil fédéral quant au choix de l'avion ont été clarifiées bien trop tard.

Indépendamment de ces considérations, la CdG-N estime que le traitement préliminaire du choix de l'avion au sein de la Délséc spéciale n'a apporté aucune plus-value, au contraire. Manifestement, la Délséc spéciale n'a reçu que tardivement des informations de la part du DDPS et l'examen préalable effectué par la délégation a encore retardé le traitement par le Conseil fédéral. En outre, selon la CdG-N, la Délséc spéciale n'a contribué en rien à la clarification de questions essentielles, en particulier du caractère contraignant des résultats de l'évaluation et de la marge d'appréciation dont disposait le Conseil fédéral concernant l'intégration de réflexions de politique extérieure. Le DDPS a plutôt vu la Délséc comme un organe d'information que comme une véritable instance chargée de procéder à un examen préalable77.

Globalement, la CdG-N a l'impression que si l'évaluation technique effectuée par Armasuisse a été soigneusement planifiée, cela n'a pas été le cas de la suite du traitement des résultats de l'évaluation au niveau du département et du Conseil fédéral. C'est étonnant, d'autant plus que l'acquisition du NAC est l'un des projets les plus importants de ces dernières années non seulement pour le DDPS, mais aussi pour le Conseil fédéral; à cela
s'ajoute le fait que le remplacement des avions de combat est très controversé sur le plan politique, comme l'ont montré l'échec du remplacement partiel du Tiger et le oui timide à l'arrêté de planification. Par conséquent, la CdG-N estime que le DDPS aurait dû accorder une grande importance à ce que la phase politique soit elle aussi bien planifiée et que le cadre légal soit clair dès le début.

Eu égard aux indiscrétions répétées qui ont lieu après des séances du Conseil fédéral, la CdG-N peut comprendre que le département souhaitait restreindre le plus longtemps possible le cercle des personnes informées. Toutefois, cela suppose que les questions légales liées à la procédure d'évaluation et à la marge de manoeuvre du Conseil fédéral soient clarifiées suffisamment tôt (et non à peine quelques semaines avant que les résultats de l'évaluation technique ne soient disponibles), de sorte que les résultats soient rapidement communiqués au Conseil fédéral, qui pourra ainsi prendre les décisions nécessaires en conformité avec le cadre légal. Par conséquent, la CdG-N 77

De manière générale, la CdG-N se demande si l'examen préalable d'une acquisition est réellement du ressort de la Délséc et, partant, s'il y avait lieu d'instituer une Délséc ad hoc. Plutôt que le DFJP, la CdG-N estime qu'il aurait fallu associer le DFF au traitement préliminaire du dossier, vu qu'il a déjà des contacts étroits avec les pays de construction sur d'importants dossiers.

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juge incompréhensible que presque deux mois se soient écoulés entre les conclusions claires de l'évaluation et le traitement de l'objet au sein de la Délséc spéciale et que le DDPS ait attendu plus de trois mois avant de présenter cet objet au Conseil fédéral.

S'il était effectivement clair, pour le DDPS, que le Conseil fédéral ne disposait d'aucune marge de manoeuvre concernant le choix de l'avion, il aurait dû veiller à ce que la décision puisse être prise rapidement.

La lenteur du DDPS a également posé des problèmes en ce qui concerne les entretiens et les négociations avec les pays constructeurs à propos d'affaires compensatoires.

Dès qu'il était clair qu'un seul avion entrait en ligne de compte, le DDPS aurait dû veiller à ce que le Conseil fédéral prenne rapidement sa décision. Il est inacceptable que des partenaires de la Suisse soient laissés dans le flou ou que le Conseil fédéral continue de négocier avec eux alors qu'il ne disposait d'aucune marge de manoeuvre.

N'ayant reçu aucune information de la part du DDPS, le DFAE et, en particulier, le DFF ont poursuivi leurs entretiens, lesquels étaient sans aucun doute implicitement liés à l'acquisition du NAC. Peu avant la décision concernant le choix de l'avion, on a même demandé des engagements écrits à l'un des pays constructeurs, et la CdG-N peut aisément comprendre que ce pays ait réagi assez violemment à l'annonce du choix.

Par ailleurs, la commission n'est pas satisfaite de la façon dont les négociations ont été coordonnées. Elle voit plusieurs manquements: premièrement de la part du DFF, du DFAE et du président de la Confédération de l'époque, qui n'ont pas suffisamment informé le DDPS des négociations en cours (DFF et DFAE) et de leurs contacts gouvernementaux (président de la Confédération) en lien avec l'acquisition de l'avion de combat; et deuxièmement de la part du DDPS, qui n'a prévu aucune position officielle pour ces négociations et n'a pas fait preuve de la clarté et de la rapidité nécessaires lorsqu'il a informé le Conseil fédéral des résultats de l'évaluation.

Pour ces raisons, la CdG-N attend des futures acquisitions d'armement d'une importance similaire qu'elles soient soumises à une procédure garantissant que le Conseil fédéral dispose le plus rapidement possible des informations nécessaires, lesquelles doivent lui
permettre de prendre une décision fondée. En particulier, il y a lieu, en temps voulu, d'informer le Conseil fédéral des développements importants dans le dossier et de clarifier les questions juridiques concernant sa marge de manoeuvre (cf. recommandation 1).

S'agissant des dossiers d'armement significatifs auxquels des aspects de politique extérieure peuvent être associés, la CdG-N estime qu'il faut prévoir suffisamment tôt une stratégie de négociation claire. Celui-ci doit notamment définir les responsabilités et prévoir des règles applicables à l'information mutuelle et à la communication à l'extérieur («position officielle»).

Recommandation 3:

Clarifier et régler suffisamment tôt la prise en considération d'aspects de politique extérieure

La CdG-N recommande au Conseil fédéral d'examiner suffisamment tôt dans quelle mesure des aspects de politique extérieure doivent être pris en considéra-

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tion dans les dossiers d'armement importants et, le cas échéant, de définir clairement les objectifs et la teneur des négociations menées avec d'autres États ainsi que les compétences en la matière.

Recommandation 4:

Améliorer la coordination et la communication

La CdG-N recommande au Conseil fédéral, pour les acquisitions d'armement importantes, de définir plus clairement les modalités de la coordination et de l'échange d'informations en son sein mais aussi des négociations et de la communication avec les représentations des pays impliqués.

Problème du mandat confié à Homburger La CdG-N estime que l'implication du cabinet d'avocats Homburger soulève différentes questions auxquelles elle n'a pas pu entièrement répondre. En particulier, elle ne sait pas pourquoi exactement la cheffe du DDPS a demandé à un organe externe de procéder à la vérification concernée alors que cela n'était pas prévu par la procédure et qu'il n'y avait aucune raison de croire qu'il y avait des manquements. La cheffe du DDPS a justifié sa décision par la volonté de disposer d'un examen indépendant, tout en reconnaissant que ce genre d'expertises étaient souvent perçues comme étant réalisées à la demande d'une des parties et, donc, partiales (raison pour laquelle l'OFJ a ensuite été chargé de réexaminer l'examen effectué par le cabinet externe).

On peut aussi se demander si des intérêts de sécurité peuvent effectivement justifier le fait qu'un mandat aussi onéreux a été adjugé de gré à gré, d'autant plus que, selon le DDPS, Homburger n'a pas eu accès aux données classifiées sur le plan militaire.

En fin de compte, la CdG-N estime qu'il n'était ni justifié ni opportun de confier cet examen à un cabinet d'avocats. À ses yeux, s'il s'avère effectivement nécessaire de commander de tels contrôles, il est clair que ceux-ci doivent être planifiés dès le début.

En outre, la commission constate qu'une grande partie des questions clarifiées par Homburger auraient dû d'abord être examinées par le service juridique du département puis, si nécessaire, par des services de l'administration fédérale extérieurs au département (notamment l'OFJ ou l'Office fédéral des constructions et de la logistique, OFCL). Par ailleurs, les investigations de la CdG-N ont clairement montré que le Conseil fédéral a surtout tenu compte de l'avis de droit émis par l'OFJ (et non de l'avis du cabinet externe).

Enfin, la commission ne comprend pas pourquoi le DDPS n'a publié qu'une «confirmation de la plausibilité» très générale mais n'a pas publié les deux autres avis plus détaillés. Les publier aurait permis non seulement de mieux comprendre certaines décisions, mais aussi de renforcer la transparence.

Problèmes dans la communication du choix de l'avion au public et aux soumissionnaires La CdG-N estime que la façon dont le choix de l'avion a été communiqué au public et, surtout, aux soumissionnaires n'était pas idéale.

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Elle constate que de nombreuses questions liées aux coûts de l'acquisition ont été soulevées après l'annonce du choix de l'avion faite au public. Dans la mesure du possible, ces questions ont été traitées au moyen de «mises au point et clarifications»; toutefois, la nature même de ces explications les rend moins visibles que l'information originale et, partant, des incertitudes subsistent. La CdG-N estime qu'une communication plus transparente et des informations claires concernant les coûts d'acquisition, renchérissement compris, auraient contribué à éviter certains malentendus.

Davantage que l'annonce du choix de l'avion faite au public, c'est la communication faite aux soumissionnaires non retenus lors des entretiens de clôture qui a posé un problème, selon la CdG-N. Comme l'a déclaré Armasuisse à la CdG-N, de tels entretiens sont proposés par l'office, sans pour autant être obligatoires; ils servent à traiter des questions liées à la procédure, mais pas à l'évaluation ou au résultat obtenu par tel ou tel soumissionnaire. Les procès-verbaux montrent toutefois que les soumissionnaires espéraient recevoir des réponses précisément à ces questions et que, à l'issue des entretiens, ils étaient parfois déçus, voire irrités.

Par conséquent, la CdG-N se demande s'il est judicieux de mener ce genre d'entretiens de clôture dans le cadre d'acquisitions d'une telle ampleur, qui comprennent également des éléments de politique extérieure, et si ces entretiens ne suscitent pas plutôt de vaines attentes de la part des soumissionnaires. En effet, si Armasuisse estime que ces entretiens sont d'ordre technique (raison pour laquelle le DDPS et le DFAE n'y sont pas représentés), aucun détail ni appréciation technique ne peuvent y être communiqué en raison des accords relatifs à la protection des informations. En outre, il faut relever que des membres de ministères et d'ambassades des pays de provenance des soumissionnaires ont parfois accompagné ces derniers lors des entretiens, alors que, côté suisse, seules les trois principaux responsables d'Armasuisse étaient présents. Eu égard aux différentes négociations qui ont lieu dans d'autres dossiers et aux suppositions du DFAE quant à l'accueil des résultats dans les quatre pays concernés, il aurait été judicieux, selon la commission, que le DFAE intervienne sur le
plan diplomatique lors de la communication de la décision aux pays de provenance des soumissionnaires non retenus, soit avant les entretiens de clôture, soit lors de ces entretiens, en y envoyant une délégation appropriée (en fonction des personnes représentant le pays constructeur).

Recommandation 5:

Améliorer la communication

La CdG-N recommande au Conseil fédéral d'examiner comment impliquer le DFAE lors de la communication d'importantes décisions en matière d'acquisitions qui comprennent des aspects de politique extérieure. Dans ce contexte, elle l'invite en outre à porter un regard critique sur la pratique des entretiens de clôture.

Selon Armasuisse, le sort à réserver aux documents fournis par les soumissionnaires devrait également être clarifié lors des entretiens de clôture. La CdG-N estime quant à elle que ces entretiens ne constituent ni le lieu ni le moment pour aborder cette question: cette dernière non seulement a provoqué des incertitudes auprès de certains soumissionnaires, mais elle a soulevé d'autres questions et engendrés des malentendus en Suisse.

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Le Conseil fédéral et Armasuisse ont déclaré à la commission que leur intention n'avait jamais été de restituer ou de détruire des documents avant la fin des débats parlementaires et la signature du contrat. Le chef de l'armement a en outre déclaré qu'Armasuisse n'avait jamais eu de doute quant à la façon de gérer les documents des soumissionnaires. La CdG-N a constaté que les accords relatifs à la protection des informations passés avec les pays constructeurs réglaient de manière définitive la question de la restitution (ou de la destruction) des documents.

Dans ce contexte, la CdG-N n'estime pas judicieux d'aborder la question du traitement de ces documents lors des entretiens de clôture. En effet, elle se demande si les personnes qui représentent le constructeur sont les interlocutrices idéales pour parler de la gestion de documents classifiés sur le plan militaire et si cette question ne devrait pas plutôt être discutée au niveau gouvernemental, pour dissiper d'éventuelles incertitudes. En l'occurrence, le moment semble en outre mal choisi (peu après le choix de l'avion, mais encore avant la signature du contrat). Par conséquent, il faudrait probablement se demander si la question du traitement des documents et informations classifiées ne devrait pas être abordée et réglée dans le cadre de la demande d'offres.

6

Synthèse de l'évaluation

L'enquête de la CdG-N faisant l'objet du présent rapport portait sur certains aspects de la procédure d'évaluation relative au NAC. Il s'agissait de déterminer si les critiques formulées par les milieux politiques et les médias à l'encontre de la procédure d'évaluation étaient fondées et si celle-ci était légale, opportune et transparente. Le chapitre suivant résume les conclusions dégagées par rapport à ces trois questions principales.

6.1

Légalité

La CdG-N est d'avis que la procédure d'évaluation relative au NAC s'est déroulée en toute légalité. Au cours de ses investigations, elle n'a trouvé aucun indice permettant de conclure à une violation des prescriptions du droit des marchés publics ou des principes constitutionnels. La CdG-N estime également que les étapes suivantes de la procédure, jusqu'au choix de l'appareil par le Conseil fédéral, sont conformes au droit.

La commission salue en particulier le fait que le Conseil fédéral se soit fondé sur le résultat de l'évaluation pour choisir l'avion, l'OFJ ayant établi que le Conseil fédéral ne disposait d'aucune marge de manoeuvre sur le plan juridique à cet égard (cf. cidessous, chap. 6.2).

En ce qui concerne la destruction présumée de documents, le Conseil fédéral a confirmé à la CdG-N qu'aucune donnée ne serait détruite avant la clôture de l'examen politique. La commission ne peut donc pas non plus constater de violation du droit dans ce domaine.

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6.2

Opportunité

S'agissant de l'évaluation de l'opportunité, il convient de distinguer plusieurs aspects: si la CdG-N estime que l'évaluation technique est globalement adéquate, elle considère cependant que le traitement ultérieur des résultats de l'évaluation par le DDPS et le Conseil fédéral n'est pas adéquat. La principale critique concernant l'opportunité porte toutefois sur les conditions-cadres de l'acquisition, que le Conseil fédéral a luimême définies et moyennant lesquelles il a inutilement limité sa marge de manoeuvre.

Ces trois éléments sont brièvement expliqués ci-après Opportunité de l'évaluation technique La CdG-N estime que, de manière générale, l'évaluation technique effectuée par Armasuisse était opportune. La procédure a été planifiée avec précision et, selon ce que la commission a pu observer, elle était appropriée. Les représentantes d'Armasuisse, des Forces aériennes et de l'équipe de projet NAC entendus ont pu justifier de manière plausible le choix de la méthode, le processus et ses étapes. Les questions de la commission au sujet des critiques soulevées par les milieux politiques et les médias ont été clarifiées et l'existence de vices de procédure n'a pu être établie. La commission estime néanmoins que le recours inédit à cette méthode pour un projet d'armement aussi important comportait des risques. Par ailleurs, la CdG-N n'est pas en mesure de juger si la pondération des critères réalisée par l'équipe de projet était appropriée.

Les entretiens de clôture menés par Armasuisse avec les pays constructeurs et le fait que l'équipe de projet ait clarifié elle-même, sans faire appel à des juristes, l'admissibilité de la méthode d'évaluation ont été jugés inappropriés par la commission. En outre, la CdG-N est d'avis qu'il faudrait examiner comment, lors d'acquisitions d'armement, les références et les expériences d'autres pays avec les biens évalués pourraient être prises en compte.

Opportunité du traitement ultérieur des résultats de l'évaluation par le DDPS et le Conseil fédéral La CdG-N se montre par contre plus critique à l'encontre du traitement que le DDPS a ensuite réservé aux résultats de l'évaluation: elle le juge inopportun, contrairement à l'évaluation technique effectuée par Armasuisse. En effet, la commission ne comprend pas pourquoi la cheffe du DDPS a attendu plus de trois mois
avant d'informer le Conseil fédéral des résultats de l'évaluation. En raison de ce délai, des questions centrales concernant la marge de manoeuvre du Conseil fédéral ne sont «apparues» et n'ont pu être clarifiées que tardivement (cf. ci-dessous). Mais surtout, le DDPS ­ puis le DFAE à partir de la mi-mai ­ a accepté que des négociations soient menées avec des pays constructeurs pour trouver des solutions dans d'autres dossiers liés au choix de l'avion sur le plan de la politique étrangère, ce alors même que le résultat de l'évaluation ne laissait aucune marge de manoeuvre pour d'éventuelles négociations.

Dans le cadre de ses investigations, la commission n'a pas obtenu d'explications concluantes de la part du DDPS concernant l'information tardive du Conseil fédéral. En outre, la commission estime qu'il est à tout le moins permis de se demander si le

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DFAE a assumé de manière adéquate sa fonction de coordination en vue des négociations sur d'éventuelles affaires compensatoires de nature politique. En effet, dès la mimai 2021, le chef et la secrétaire d'État du DFAE connaissaient le résultat de l'évaluation et ils étaient informés du fait que le DFF avait engagé des négociations avec un pays constructeur. Toutefois, il n'apparaît pas que le DFAE ait rempli sa fonction de coordination en l'espèce78.

En ce qui concerne le mandat confié par le DDPS à Homburger, la CdG-N conclut en outre qu'il n'est pas approprié que des questions centrales relatives à des marchés publics et à la marge de manoeuvre des autorités sur le plan juridique doivent être clarifiées en externe. Elle est d'avis qu'il existe, au sein de l'administration fédérale, différents services disposant de l'expertise juridique, des ressources et de l'indépendance nécessaires pour clarifier de telles questions, par exemple l'OFJ et l'OFCL.

Opportunité des conditions-cadres et des exigences relatives à l'acquisition La limitation de la marge de manoeuvre du Conseil fédéral, intervenue très tôt et inutilement selon la CdG-N, est le principal problème de la procédure d'acquisition selon la commission. Les conditions-cadres et les critères qu'il a lui-même définis ont considérablement réduit la marge de manoeuvre laissée par les dispositions du droit des marchés publics au Conseil fédéral dans le cadre de l'acquisition d'armement. Le Conseil fédéral s'est ainsi privé, dès le départ et sans en débattre, d'une possibilité de choisir finalement un avion de combat qui à la fois remplisse les exigences de la défense aérienne et aurait permis d'obtenir une plus-value dans l'intérêt du pays.

D'un point de vue institutionnel, la commission s'inquiète de voir que le Conseil fédéral n'ait pas discuté des conditions-cadres et des critères susmentionnés lors de son examen du message et, en particulier, n'ait pas cherché à savoir quelle marge de manoeuvre ceux-ci lui laisseraient après l'évaluation effectuée par Armasuisse. De l'avis de la CdG-N, le DDPS, compétent en la matière, aurait dû clarifier cette question dans le message, voire plus tôt, lorsque le Conseil fédéral s'était penché sur la question de l'acquisition. Cela ne s'étant pas produit, il aurait alors été du devoir des autres membres du
Conseil fédéral d'intervenir afin d'obtenir des informations claires.

Les clarifications de la CdG-N ont montré qu'après la présentation des résultats de l'évaluation, le DDPS, peut-être, et le Conseil fédéral, en tout cas, n'étaient pas au clair en ce qui concerne la marge de manoeuvre politique de ce dernier. Le Conseil fédéral ne s'est posé la question primordiale de la latitude dont il disposait pour intégrer des aspects de politique extérieure à sa décision qu'au moment de choisir le type d'appareil. Or, aux yeux de la CdG-N, cette question fondamentale aurait dû être résolue bien plus tôt, dès le début de la procédure d'acquisition, lorsque le DDPS a défini les exigences relatives à l'acquisition, en mars 2018, ou alors au plus tard lorsque le Conseil fédéral a adopté l'arrêté de planification et le message qui s'y rapporte.

78

Dans le cadre de la consultation de l'administration, le DFAE a indiqué que, «selon la Délséc du 21 avril 2021», ses compétences étaient limitées à la coordination des aspects de politique extérieure pour le rapport général Air2030. «À la suite de la Délséc spéciale du 17 mai 2021, le DFAE ne disposait d'aucun mandat pour coordonner d'éventuelles contreparties.»

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La commission ne comprend pas qu'une question aussi importante n'ait été traitée qu'au moment de choisir l'avion. De ce fait, le Conseil fédéral n'a pu se rendre compte que très tardivement qu'il ne disposait d'aucune marge de manoeuvre étant donné les critères et les conditions-cadres qu'il avait lui-même définis, qu'il ne pouvait plus que valider les résultats de l'évaluation effectuée par Armasuisse et qu'il ne lui était plus possible d'apprécier les offres sur la base de considérations politiques afin de satisfaire aux intérêts de la Suisse.

Une décision aussi importante aurait exigé du Conseil fédéral non seulement qu'il prenne en considération les résultats de l'évaluation et les intérêts la Suisse dans le domaine militaire et dans celui de la politique de sécurité, mais qu'il intègre également d'autres aspects lors de la pesée des intérêts. Il avait en l'occurrence l'occasion de le faire, puisque tous les avions de combat évalués auraient rempli les conditions requises et que la Suisse avait reçu des garanties solides en matière de compensations.

La commission peut comprendre que le Conseil fédéral ait finalement, et comme on pouvait s'y attendre, décidé de s'en tenir aux critères et aux conditions-cadres qu'il avait lui-même fixés. Il lui semble d'autant plus primordial que le Conseil fédéral veille, lors de prochaines acquisitions d'armement, à ne pas restreindre dès le départ inutilement sa marge de manoeuvre (recommandation 1, cf. ch. 3.3).

Lors d'importants achats d'armement, le Conseil fédéral devrait utiliser cette marge de manoeuvre pour intégrer à ses exigences des critères décisionnels liés non seulement aux intérêts militaires et à la sécurité du pays, mais également d'autres intérêts, économiques ou politiques. Ce n'est cependant possible que si le Conseil fédéral définit suffisamment tôt la marche à suivre (objectifs, teneur des négociations et répartition des compétences) dans le cadre des contacts et des négociations avec les pays constructeurs (recommandation 2, cf. ch. 5.6). En outre, il faudrait optimiser la communication pour ce qui est de l'annonce des décisions en matière d'acquisitions qui comprennent des aspects de politique extérieure (recommandation 3, cf. ch. 5.6).

La commission juge problématique la manière dont les relations avec les pays constructeurs ont
été gérées par le Conseil fédéral. Le fait que des engagements écrits aient été exigés d'un pays constructeur peu avant la décision sur une affaire importante de politique étrangère, alors que le Conseil fédéral n'avait aucune marge de manoeuvre, fait apparaître la Suisse comme un partenaire peu fiable.

6.3

Transparence

En ce qui concerne la transparence de la procédure d'acquisition, la CdG-N n'a relevé aucun manquement majeur; toutefois, elle estime que certains éléments peuvent être améliorés.

La commission souligne que l'évaluation technique et, notamment, la décision du Conseil fédéral ont suscité plusieurs questions dans les médias et au sein du monde politique et estime que ces questions auraient pu être clarifiées si des documents et des informations supplémentaires avaient été publiés. Elle pense en particulier aux informations concernant les mesures de bruit et le calcul des heures de vol ainsi qu'aux

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avis fournis par Homburger; sur ce dernier point, seule une «confirmation de la plausibilité» peu parlante a été publiée, alors que les deux autres avis bien plus informatifs présentés par le cabinet n'ont pas été publiés.

La CdG-N regrette en outre que les décisions du Conseil fédéral n'aient pas été suffisamment limpides. Bien que la DélCdG lui ait permis de consulter les procès-verbaux élargis des décisions du Conseil fédéral et qu'elle-même ait analysé les procès-verbaux de la Délséc spéciale, elle n'a pas été en mesure de répondre à certaines questions. La CdG-N a constaté que les procès-verbaux n'étaient pas rédigés de façon à ce que, en l'espèce, les décisions importantes et leur justification soient totalement accessibles; en outre, des sujets et des points de discussion essentiels, pourtant mentionnés par les membres du Conseil fédéral lors de leur audition, ne figuraient pas dans les procès-verbaux.

7

Suite de la procédure

La CdG-N invite le Conseil fédéral à prendre position sur les indications et demandes formulées ci-dessus d'ici au 15 décembre 2022 au plus tard.

9 septembre 2022

Au nom la Commission de gestion du Conseil national: La présidente, Prisca Birrer-Heimo La secrétaire, Ursina Jud Huwiler Le président de la sous-commission DFAE/DDPS, Nicolo Paganini La secrétaire de la sous-commission DFAE/DDPS, Céline Andereggen

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Abréviations Air2030

Programme d'acquisition du DDPS portant sur quatre projets visant à renouveler les moyens de défense aérienne

aLMP

(ancienne) loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (RO 1996 508): abrogée depuis le 1er janvier 2021

aOMP

(ancienne) ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (RO 1996 518); abrogée depuis le 1er janvier 2021

Armasuisse

Office fédéral de l'armement

CCMP

Centre de compétence des marchés publics de la Confédération

CDF

Contrôle fédéral des finances

CdG

Commissions de gestion des Chambres fédérales

CdG-N

Commission de gestion du Conseil national

CPS-N

Commission de la politique de sécurité du Conseil national

DDPS

Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports

DélCdG

Délégation des Commissions de gestion

DélFin

Délégation des finances

Délséc

Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité

DFAE

Département fédéral des affaires étrangères

DFF

Département fédéral des finances

DFI

Département fédéral de l'intérieur

DSA

Système de défense sol-air de longue portée

NAC

Nouvel avion de combat

OFCL

Office fédéral des constructions et de la logistique

SFI

Secrétariat d'État aux questions financières internationales

SG

Secrétariat général

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Liste des personnes auditionnées Amherd, Viola

Cheffe du DDPS

Benesch, Rebekka

Cheffe de l'État-major, Secrétariat d'État du DFAE

Berset, Bernhard

Chef suppléant du projet NAC

Cassis, Ignazio

Chef du DFAE, président de la Confédération en 2022

Christ, Brigitte

Directrice suppléante du CDF

Diebold, Nicolas

Professeur ordinaire de droit public et de droit économique, Université de Lucerne

Eder, Toni

Secrétaire général du DDPS

Götschmann, Rolf

Secrétaire général du DFF

Gygi, Bruno

Responsable du Centre de compétence des marchés publics de la Confédération et service juridique, Office fédéral des constructions et de la logistique

Haederli, Alexandre

Expert du CDF

Huissoud, Michel

Directeur du CDF

Leu, Livia

Secrétaire d'État du DFAE

Ludin, Martin

Juriste, Service juridique du CDF

Maurer, Ueli

Chef du DFF

Merz, Peter

Divisionnaire, commandant des Forces aériennes (depuis juillet 2021), ancien chef du projet NAC des Forces aériennes

Müller, Bernhard

Divisionnaire, ancien commandant des Forces aériennes (jusqu'à juin 2021)

Perina-Werz, Alexandra

Conseillère spécialisée Air2030, SG DDPS

Savic, Darko

Chef du projet NAC

Schöll, Michael

Directeur de l'Office fédéral de la justice

Sonderegger, Martin

Directeur général de l'armement, directeur d'Armasuisse

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