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Appréciation annuelle de la menace Rapport du Conseil fédéral aux Chambres fédérales et au public du 9 novembre 2022

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent rapport, nous vous informons de notre appréciation de la menace conformément à l'art. 70, al. 1, let. d, de la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

9 novembre 2022

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ignazio Cassis Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

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Appréciation de la menace 1

Contexte

Conformément à l'art. 70, al. 1, let. d, de la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement (LRens)1, le Conseil fédéral évalue chaque année la menace pesant sur la Suisse et en informe les Chambres fédérales ainsi que le public. L'appréciation porte sur les menaces citées dans la LRens tout comme sur les événements importants en matière de politique de sécurité se produisant à l'étranger.

Une présentation plus exhaustive de la situation selon la perspective du renseignement figure dans le rapport de situation annuel du Service de renseignement de la Confédération (SRC) «La sécurité de la Suisse»2. La question de savoir si, et dans quelle mesure, la politique de sécurité et ses instruments doivent être adaptés en raison de l'évolution de la situation, de même que la fixation des priorités, restent du ressort des rapports réguliers sur la politique de sécurité de la Suisse.

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Vue d'ensemble

Le nouveau rapport sur la politique de sécurité de la Suisse a été approuvé et publié par le Conseil fédéral le 24 novembre 20213. Le 7 septembre 20224, le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) a présenté un rapport complémentaire qui évalue à nouveau la situation compte tenu de la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine et identifie les conséquences de la crise majeure qui en découle pour l'architecture de sécurité européenne. De ce fait, le présent rapport est principalement axé sur les menaces au sens de la LRens et sur les grandes lignes de l'environnement stratégique de la Suisse.

Le rapport complémentaire confirme en substance l'appréciation de la situation présentée dans le rapport sur la politique de sécurité. Se référant aux derniers développements, il établit le constat que la Russie, à travers son attaque contre l'Ukraine contraire au droit international, a détruit les fondements d'un ordre pour la paix en Europe basé sur des règles. Il met en évidence des répercussions diverses, profondes et globales dans de nombreux domaines politiques, mais identifie en particulier des conséquences durables pour la sécurité et la coopération internationale en Europe, les relations entre les États occidentaux et la Russie, ainsi que l'ordre mondial et le multilatéralisme ­ la Suisse s'en trouvant par là également affectée. Outre la déstabilisation 1 2

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RS 121 Le rapport peut être consulté gratuitement sur le site Internet du DDPS, à l'adresse suivante: www.ddps.admin.ch Portrait Organisation Unités administratives Service de renseignement Documents La sécurité de la Suisse.

FF 2021 2895 Le rapport complémentaire peut être consulté gratuitement sur le site Internet du DDPS, à l'adresse suivante: www.vbs.admin.ch > Sécurité > Politique de sécurité > Rapports sur la politique de sécurité > 2021 > Documents > 07.09.2022 / Rapport complémentaire du Conseil fédéral au rapport sur la politique de sécurité 2021, sur les conséquences de la guerre en Ukraine (version provisoire).

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massive de l'Europe, il relève qu'une rupture plus nette entre les États occidentaux, d'une part, et la Chine et la Russie, d'autre part, se profile, et en déduit que les relations commerciales dans les secteurs de la technologie et de l'énergie suivent elles aussi de plus en plus la logique de formation de blocs observée dans le domaine de la politique de sécurité. Le rapport complémentaire conclut que l'environnement politico-sécuritaire de la Suisse s'est durablement détérioré et reste volatile en raison de la guerre, que la coopération internationale en matière de politique de sécurité et de défense en Europe s'est intensifiée et que cette coopération gagnera encore en importance pour la sécurité et la stabilité de la Suisse.

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Événements importants en matière de politique de sécurité à l'étranger

La Russie poursuivant avant tout des objectifs impérialistes en Ukraine, sa volonté de conquête prime sur ses intérêts économiques. Plus largement, le président Vladimir Poutine cherche à rétablir la sphère d'influence soviétique en Europe de l'Est. Axée sur des objectifs maximaux, cette stratégie s'inscrit dans une mission considérée comme historique, qui se poursuivra malgré les revers militaires russes en Ukraine.

La déstabilisation de l'ordre de paix européen affaiblit également des institutions comme l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le Conseil de l'Europe. Dans le même temps, les agissements de la Russie ont renforcé la cohésion du camp occidental et libéral, déjà observée face à la Chine lors de la pandémie de COVID-19. Dans ce contexte, les États-Unis jouent un rôle central aux côtés des États occidentaux, demeurant indispensables pour assurer la sécurité de l'Europe.

Sous la présidence de Joe Biden, les États-Unis endossent à nouveau le rôle de leader mondial dans la rivalité stratégique qui oppose le camp occidental, libéral et démocratique aux puissances autocratiques, et se concentrent dès lors fortement sur l'espace Asie-Pacifique. Ils cherchent à coopérer avec des alliés et des partenaires, notamment avec le Japon, l'Australie et l'Inde dans le cadre du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) ou avec l'Australie et le Royaume-Uni, avec qui ils forment une alliance tripartite (AUKUS). Sous la présidence actuelle, les États-Unis adoptent également une orientation transatlantique. Si le maintien de celle-ci au-delà du mandat de Joe Biden n'est pas garanti, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) bénéficie quoi qu'il en soit d'un important soutien allant au-delà des partis au Congrès américain.

Depuis que la guerre a éclaté en Ukraine, l'OTAN s'est recentrée sur sa tâche prioritaire de dissuasion et de défense contre la Russie, qui porte sur l'intégralité de son territoire. L'attaque russe contre l'Ukraine a convaincu la Finlande et la Suède de rejoindre l'OTAN. À la clôture de la rédaction, tous les États membres, à deux exceptions près, avaient ratifié l'élargissement de l'OTAN vers le nord, convaincus que les deux États nordiques renforceraient la crédibilité, la légitimité et l'attractivité de l'OTAN en tant qu'alliance de
démocraties occidentales et joueraient un rôle central dans la défense de la région baltique, États baltes compris. Le nouveau concept stratégique sert de ligne directrice à l'OTAN pour les dix prochaines années. Un nouveau

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modèle de forces armées renforcera considérablement la présence militaire occidentale sur le flanc oriental de l'Alliance. Pour la première fois, des troupes américaines seront stationnées en permanence dans un État membre à l'Est (Pologne), tandis que l'effectif de la force de réaction rapide passera de 40 000 à 300 000 militaires.

D'entente avec ses partenaires internationaux, l'Union européenne (UE) a réagi à l'agression russe en imposant des sanctions étendues à la Russie, en promettant à l'Ukraine d'importantes sommes pour le financement d'armes de guerre, et en lui livrant certaines armes lourdes pour sa défense. L'UE a en outre imposé un embargo partiel sur les importations de pétrole russe et activé pour la première fois une directive visant à assurer une protection temporaire immédiate aux réfugiés. Les missions de stabilisation de l'UE et de l'OTAN dans les Balkans occidentaux ont par ailleurs pris de l'importance compte tenu des menaces russes. À travers sa boussole stratégique, l'UE affiche son ambition de jouer un rôle plus important en matière de politique de défense au sein de la communauté de sécurité occidentale. Les États membres de l'UE entendent augmenter considérablement et durablement leurs budgets de défense, ce qui leur permettrait d'assumer davantage de responsabilités militaires vis-àvis de la Russie dans le cadre ou en complément de l'OTAN.

Les membres de l'UE pourraient ainsi également alléger la charge des États-Unis qui, à long terme, souhaitent axer leur stratégie sur la Chine et l'Asie. En effet, la nouvelle stratégie de l'OTAN désigne pour la première fois la Chine comme un défi stratégique pour la sécurité euro-atlantique. Dans l'ensemble, la politique des États-Unis et celle de nombreux pays européens à l'égard de la Chine ont convergé. En septembre 2021, l'UE a adopté sa première stratégie pour la coopération dans l'espace Asie-Pacifique, et certains de ses membres, comme la France, l'Allemagne et les Pays-Bas, ont établi à leur tour des documents stratégiques nationaux concernant ce même espace. L'UE a toujours le potentiel nécessaire pour exercer une influence mondiale. Les dépenses militaires ont continué d'augmenter dans presque tous les États membres, tandis que la coopération dans le cadre de la sécurité et de la défense ne cesse de s'étendre. Si l'Europe
est loin d'exploiter pleinement son potentiel de puissance mondiale, y compris sur le plan militaire, elle s'attache cependant à renforcer sa capacité d'armement et de défense grâce au développement d'une politique commune en matière de sécurité et de défense.

Au sud de l'Europe, un vaste espace instable s'étend de la bande sahélo-saharienne jusqu'à la Corne de l'Afrique, et s'étire plus loin, jusqu'à la Syrie et à l'Afghanistan.

En outre, le continent africain est affecté par le fait que des acteurs internationaux disposant d'organisations de sécurité militaires et privées se servent de celles-ci comme instruments d'influence sur les gouvernements. Dans le conflit qui oppose la Russie aux États occidentaux, de nombreux pays concernés par ce phénomène cherchent à mener une politique pragmatique axée sur leurs propres intérêts. Dans ce contexte, les influences externes actuelles et les liens historiques jouent un rôle, de sorte qu'on ne peut pas attendre de ces pays qu'ils se montrent automatiquement solidaires des États occidentaux. L'échec des processus de transition politique en Afrique pourrait entraîner une pression migratoire accrue en direction de l'Europe. À l'échelle mondiale, l'instabilité pourrait préparer le terrain pour des grandes puissances et des puissances régionales comme la Russie, la Chine, la Turquie et les pays du Golfe, qui sont susceptibles de renforcer leur influence en Afrique ainsi qu'au Proche et au 4 / 10

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Moyen-Orient. L'influence de puissances étrangères sur les ressources naturelles de l'Afrique (pétrole, gaz naturel, minerais) constitue une menace potentielle pour l'approvisionnement de l'Europe en énergie et de l'industrie en matières premières. Les États-Unis tentent de se montrer à nouveau plus présents en Afrique grâce à une nouvelle stratégie pour le continent, tandis que la position de la France y est particulièrement mise sous pression en raison de l'influence russe.

La guerre en Ukraine a provoqué d'importantes difficultés d'approvisionnement et une augmentation du prix des aliments et de l'énergie. De nombreux pays d'Afrique et du Proche et Moyen-Orient dépendent fortement du blé et de l'énergie importés d'Ukraine et de Russie. Cette dépendance atteint 80 à 90 % pour certains pays. Si les importations de blé russe ne font jusqu'à présent pas l'objet de sanctions occidentales, les importateurs ont des difficultés à en obtenir, étant donné que les transactions financières avec des entreprises russes sont devenues plus compliquées et que de nombreuses compagnies maritimes boycottent la Russie. Les économies de certains pays de la région souffrent également de l'augmentation du prix du pétrole et du gaz naturel, ce qui pourrait entraîner des troubles sociaux, des conflits et une migration accrue.

La Chine et la Russie étant liées par un partenariat stratégique, la Chine n'a pas condamné l'attaque russe contre l'Ukraine. Elle ne se détournera probablement pas non plus de la Russie à l'avenir. De ce fait, et par son comportement durant la pandémie, la Chine a contribué elle-même à ce que les États occidentaux portent un regard plus unanime et plus critique sur sa montée en puissance. Elle se montre combative et intransigeante dans ses revendications territoriales envers l'Inde, le Japon et les États côtiers en mer de Chine méridionale. Elle renforce également ses menaces militaires à l'encontre de Taïwan. Enfin, elle poursuit résolument d'autres objectifs ambitieux sur les plans économique, technologique, politique et militaire, dans la perspective du centenaire de la République populaire qu'elle célébrera en 2049.

En octobre 2022, le président Xi Jinping a été réélu à la tête du Parti communiste et il le sera sans doute à la présidence de la Chine début 2023. Malgré son influence croissante
à l'étranger, il doit relever des défis domestiques considérables. La croissance démographique est tombée à un niveau historiquement bas, tandis que le vieillissement de la population est toujours plus marqué. En raison d'une croissance économique en berne, l'endettement global de la Chine augmente. Les crises de liquidité dans le secteur de l'immobilier mettent en exergue les déséquilibres structurels de l'économie chinoise. Au deuxième trimestre, la stratégie «zéro Covid» strictement appliquée par la Chine a freiné une croissance économique déjà ralentie. La réintroduction de restrictions drastiques réduirait davantage la production industrielle et la consommation, tout en provoquant une nouvelle hausse du chômage. De plus, les mesures répressives prises par la Chine pour contrôler Hong Kong ainsi que les minorités du Tibet et du Xinjiang vont accentuer les tensions diplomatiques avec les États-Unis et d'autres États occidentaux. La Chine veut toutefois éviter une rupture avec ces États qui, compte tenu des dépendances économiques, partagent cette volonté. Une rupture entraînerait en effet des difficultés économiques d'un côté comme de l'autre. Or le président Xi Jinping veut assurer l'accession de la Chine au rang de puissance mondiale économique et technologique à tout prix.

Quant à la Turquie, elle poursuit ses efforts pour s'imposer comme puissance régionale incontournable. Le président Recep Tayyip Erdogan axera toutefois sa politique 5 / 10

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sur son objectif de rester au pouvoir. Les élections, pour autant qu'elles ne soient pas anticipées, auront lieu en 2023, année qui marquera également le centenaire de la République. La Turquie s'efforcera d'améliorer ses relations avec les États occidentaux et l'UE, tout en continuant à entretenir de bonnes relations avec la Russie et la Chine.

En parallèle, elle maintient ses relations avec l'Ukraine et tente de jouer un rôle de médiateur entre cet État et la Russie. Il est probable qu'à la suite du processus d'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, la Turquie procède à un examen critique des garanties fournies par ces deux pays. Le potentiel de conflit avec les autres pays de la Méditerranée orientale persiste.

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Les menaces en détail

4.1

Terrorisme

La menace terroriste demeure élevée en Suisse. Elle continue d'être marquée par le mouvement djihadiste, dont les principaux représentants restent l'«État islamique» et Al-Qaïda. L'attentat terroriste d'Oslo en juin 2022 constituait le premier attentat à motivation djihadiste impliquant des armes à feu en Europe depuis celui de Vienne en novembre 2020. Dans l'ensemble, la menace terroriste en Europe, y compris en Suisse, est devenue plus diffuse. La guerre en Ukraine n'a pour le moment pas eu de répercussion immédiate en la matière.

L'«État islamique» et Al-Qaïda ne semblent actuellement guère en mesure de préparer ou de commettre des attentats en Europe par leur propres moyens. Bien que d'autres États dans le monde soient plus exposés que la Suisse, notre pays, ses intérêts à l'étranger ou des intérêts étrangers en Suisse pourraient être visés par un attentat à motivation djihadiste. Les attaques d'auteurs isolés ou de petits groupes ne nécessitant que peu de logistique et d'organisation constituent toujours la menace la plus probable et elles devraient concerner en premier lieu des cibles dites faciles. La propagande en ligne de l'«État islamique», en particulier, reste une source d'inspiration importante pour les potentiels auteurs d'actes violents.

Par ailleurs, des centaines de djihadistes sont toujours incarcérés dans des prisons européennes, de même que des personnes qui se sont radicalisées en détention. De plus, les personnes de retour du djihad représentent également une menace pour la sécurité de la Suisse, bien qu'elle doive être examinée cas par cas. L'utilisation des mouvements migratoires par les djihadistes pour atteindre l'Europe demeure une menace réelle, même si le nombre de cas suspectés enregistrés jusqu'à présent est très limité.

Le terrorisme fondé sur des motivations ethno-nationalistes reste une menace. Des activités telles que la propagande et l'endoctrinement, la collecte de fonds ou le recrutement et la formation de jeunes dans des camps spéciaux continuent d'être menées en Europe, y compris en Suisse. La menace représentée par le Hezbollah libanais pour la Suisse sera exposée par le Conseil fédéral dans un rapport spécifique.

Ces dernières années, on a observé dans différents pays d'Europe que des individus et des groupements issus tant de l'extrême gauche que de l'extrême droite entreprenaient des activités s'apparentant au terrorisme. En Suisse, l'exercice de la violence

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demeure jusqu'à présent en-dessous du seuil du terrorisme et les indices suggérant une évolution en ce sens sont rares.

4.2

Espionnage

La concurrence accrue entre les grandes puissances et certaines puissances régionales émergentes, de même que des guerres et conflits particuliers, entraînent une intensification globale des activités d'espionnage.

De telles activités sont recensées en permanence. Cela vaut autant pour les formes classiques d'espionnage que pour les activités apparentées menées dans le cyberespace, où la numérisation et la mise en réseau accélèrent le phénomène et les activités qui en découlent, telles que les opérations d'influence, la désinformation et le sabotage. Certains États continueront à faire usage de violence, parfois létale, à l'encontre de personnes jugées indésirables, cela dans leur propre pays comme en territoire étranger. Ils pourraient également recourir à de telles méthodes en Suisse. Aujourd'hui déjà, des services de renseignement étrangers prennent pour cible en Suisse des personnes critiques à l'encontre d'un régime, des opposants ou des membres de minorités ethniques ou religieuses. Ils espionnent et mettent ces personnes sous pression dans le but de les ramener sous leur contrôle.

Dans le cadre de leurs activités de renseignement contre la Suisse, certains services étrangers déploient leurs moyens sur le territoire national comme en dehors de notre pays pour s'en prendre à des ressortissants ou à des intérêts suisses. Genève reste un point névralgique des activités d'espionnage. En réaction à la guerre d'agression de la Russie, plusieurs États européens ont notamment expulsé des officiers de renseignement russes. Pour empêcher que de telles forces soient déployées en Suisse, comme dans d'autres États, notre pays utilisera les outils dont il dispose, et notamment les interdictions d'entrée, qui permettent d'éviter que ces officiers du renseignement pénètrent sur sol suisse.

4.3

Prolifération NBC5

En Suisse, des acteurs étrangers poursuivent leurs tentatives d'acquérir du matériel pour le compte de programmes d'armes de destruction massive ou en vue de fabriquer des vecteurs.

Les armes de destruction massive et leurs vecteurs gagnent à nouveau en importance parmi les grandes puissances. À titre d'exemple, la Russie et la Chine développent des technologies utilisant des missiles extrêmement rapides et manoeuvrables qui, en étant capables de déjouer les systèmes de défense antimissile, doivent pouvoir assurer une capacité de seconde frappe. Compte tenu de leurs caractéristiques, ces technologies

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Dissémination d'armes nucléaires, biologiques et chimiques, y compris de leurs vecteurs et tous les biens et technologies à des fins civiles ou militaires qui sont nécessaires à leur fabrication.

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pourraient, le cas échéant, aussi être déployées comme armes de première frappe. Certaines tentatives d'acquisition reflètent de nouvelles tendances en matière de développement d'armement, en ce sens qu'elles visent, par exemple, des technologies et des matériaux pouvant être utilisés dans le développement de ces armes dites hypersoniques.

Les sanctions adoptées en raison de la guerre en Ukraine obligent la Russie à recourir à des opérations de contournement pour acquérir les moyens nécessaires à la fabrication de vecteurs. Il devient donc plus ardu d'identifier ces tentatives d'acquisition.

L'Iran utilise désormais des centrifugeuses optimisées qu'il a mises au point pour enrichir l'uranium, contournant ainsi un point décisif de l'accord sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action). Ce gain de connaissances irréversible a une portée bien plus significative que les activités d'enrichissement menées jusqu'à présent. En effet, l'Iran est en passe de devenir un pays du seuil nucléaire. Il ne devrait toutefois pas, dans la situation actuelle, franchir le pas de la construction d'armes nucléaires. Cette dernière étape permet de déterminer un horizon temporel: les matières fissiles requises pour la fabrication d'une première bombe pourraient être préparées en l'espace de quelques semaines, mais la finalisation d'un modèle d'arme opérationnel durerait bien plus longtemps.

La Corée du Nord a pour sa part développé deux modèles d'armes. Le premier, à base de plutonium, pourrait servir de «détonateur» à une bombe à hydrogène installée sur un missile intercontinental; le deuxième, à base d'uranium, est conçu pour être utilisé au niveau régional. Après un moratoire de plusieurs années, le pays a réalisé plusieurs tests de missiles intercontinentaux en 2022, et procèdera vraisemblablement à un septième essai nucléaire cette année encore.

4.4

Attaques visant des infrastructures critiques

Depuis le printemps 2020, la numérisation a connu un nouvel essor dû aux mesures de lutte contre la pandémie de COVID-19, cela souvent au détriment de la sécurité.

Ces changements ont entraîné une multiplication des surfaces d'attaque, tandis que les risques liés à l'utilisation de solutions numériques ont augmenté. Ce constat s'applique de manière directe pour les infrastructures critiques et vaut aussi pour les chaînes d'approvisionnement.

L'exploitation systématique des failles dans des logiciels largement utilisés constitue une menace supplémentaire. On constate par conséquent une augmentation des offres d'accès initial dans les milieux criminels. Celles-ci consistent à vendre des accès à des réseaux qui ont déjà été infiltrés, notamment en exploitant des failles.

Dans le domaine cyber, la principale menace qui pèse sur les infrastructures critiques émane de groupements criminels, comme en témoigne la forte augmentation du nombre d'attaques perpétrées au moyen de rançongiciels en Suisse comme à l'étranger. Les outils nécessaires à de tels actes peuvent être acquis auprès de fournisseurs criminels spécialisés. Il existe dans ce domaine un marché concurrentiel de fournisseurs qui, soumis à une pression sur les prix, vont parfois jusqu'à faire ouvertement la promotion de leur offre.

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Si la plupart des cyberattaques constatées sont lancées pour des raisons financières, d'autres motifs ne doivent pas être exclus. L'extrémisme violent, le terrorisme, les activités de renseignement ou la politique de puissance peuvent également en être à l'origine. Poursuivant des objectifs d'une autre nature, les auteurs de ces actes peuvent aller jusqu'au sabotage.

Jusqu'à présent, la guerre en Ukraine a confirmé que dans le cadre de conflits armés, les moyens cyber sont avant tout utilisés dans une fonction de soutien. Ils visent à réduire les capacités militaires de l'adversaire et à porter atteinte aux infrastructures critiques. Compte tenu des interdépendances internationales, de telles cyberattaques peuvent aussi provoquer des dommages collatéraux et donc toucher indirectement des installations suisses.

Les menaces visant des infrastructures critiques ne proviennent pas uniquement de moyens cyber: des attaques physiques sont également possibles pour des motifs similaires. Du reste, toute guerre conventionnelle entre des pays industrialisés menace une multitude d'infrastructures critiques et peut avoir des répercussions directes sur la Suisse, comme l'illustre le cas de la centrale nucléaire de Zaporijjia en Ukraine.

4.5

Extrémisme violent

Les milieux d'extrême gauche et d'extrême droite violents continuent de marquer le domaine de l'extrémisme violent en Suisse. Un nouveau potentiel de violence est apparu avec l'extrémisme Corona, qui a vu le jour durant la pandémie de COVID-19 en réaction notamment aux mesures sanitaires des autorités. Cette forme d'extrémisme violent englobe des personnes, des groupements ou des organisations qui commettent, encouragent ou approuvent des actes de violence. Idéologiquement, elle se caractérise surtout par le rejet des mesures prises par les autorités pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Ces milieux se sont apaisés avec le retour à la situation normale au sens de la loi du 28 septembre 2012 sur les épidémies6 et la levée de l'ensemble des mesures, mais ils demeurent actifs. Il est en outre plutôt probable que des individus ou des sous-groupes isolés et radicalisés se tournent vers de nouvelles thématiques et poursuivent leurs activités violentes sur la base de nouvelles motivations. Les milieux extrémistes violents traitent par ailleurs l'actualité mondiale et la reprennent dans leur argumentation. Ils le font notamment avec la guerre en Ukraine, mais sans grande incidence en Suisse jusqu'ici. Pour l'heure, aucun membre suisse d'un milieu extrémiste violent n'a été identifié dans la guerre en Ukraine, ni d'un côté ni de l'autre.

L'évolution d'un phénomène tel que l'extrémisme Corona illustre les conséquences de la tendance à la polarisation sociale, qui intervient en réaction aux développements économiques, sociaux et politiques. En Suisse comme à l'étranger, on constate que le risque de radicalisation politique et d'extrémisme violent va de pair avec la fragmentation et la polarisation de la société. Cette évolution peut donner lieu à de nouvelles menaces pour la sûreté intérieure et extérieure de la Suisse et engendrer de nouveaux défis pour le monde politique et les autorités chargées de la sécurité.

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RS 818.101

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Conséquences pour la Suisse

L'évolution de la situation montre qu'un ordre international libéral fondé sur le droit et les règles, comme le sont notamment les solutions multilatérales et le droit international, fait face à des défis considérables. La Suisse n'engageant pas d'instruments de pouvoir pour défendre ses intérêts, elle est tributaire de mécanismes internationaux de résolution pacifique des conflits.

La guerre en Ukraine souligne la nécessité de développer les compétences de détection précoce et d'anticipation en matière de politique de sécurité, et d'assumer plus pleinement et systématiquement cette mission grâce à la coordination de multiples services fédéraux. Dans ce contexte, les intérêts et contributions de différents services, aussi bien gouvernementaux que non gouvernementaux, doivent être pris en compte et intégrés.

D'autres conséquences de la guerre en Ukraine sont décrites dans le rapport complémentaire au rapport sur la politique de sécurité du 7 septembre 2022.

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