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22.075 Message concernant l'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» du 9 décembre 2022

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre l'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

9 décembre 2022

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ignazio Cassis Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2022-4058

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Condensé L'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» demande que les atteintes à l'intégrité physique ou psychique d'une personne requièrent son consentement. Un refus de donner son consentement ne doit ni être puni ni entraîner des préjudices sociaux ou professionnels. Le Conseil fédéral estime que l'initiative va bien au-delà de l'autodétermination visée en matière de vaccination. En outre, la marge de manoeuvre des autorités dans la lutte contre la pandémie s'en trouve trop fortement restreinte. C'est pourquoi le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire au vote du peuple et des cantons et de recommander son rejet sans y opposer de contre-projet direct ou indirect.

Contexte Le virus SARS-CoV-2 a dominé la vie sociale en Suisse pendant deux ans. Différentes mesures, parfois radicales, ont été édictées afin de protéger la population contre le virus et d'éviter une surcharge des structures de soins. Le rapide développement de vaccins à travers le monde et leur disponibilité pour la population ont joué un rôle essentiel puisque la vaccination constitue le moyen de protection le plus efficace contre les maladies transmissibles. Alors qu'aucun vaccin n'était encore autorisé en Suisse, le Mouvement suisse pour la liberté a lancé l'initiative «Pour la liberté et l'intégrité physique» le 1er décembre 2020.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» a été déposée le 16 décembre 2021, dans le délai prévu, avec 125 015 signatures valables. Elle demande l'ajout d'un al. 2bis à l'art. 10 de la Constitution fédérale, qui traite du droit à la vie et de la liberté personnelle. Cet alinéa prévoit que les atteintes à l'intégrité physique ou psychique d'une personne requièrent son consentement. Si la personne concernée refuse de donner son consentement, elle ne doit ni se voir infliger une peine, ni subir de préjudices sociaux ou professionnels.

Avantages et inconvénients de l'initiative Le Conseil fédéral a conscience de l'importance de la liberté personnelle et, en particulier, de l'intégrité physique et psychique dans le contexte médical. Chaque intervention médicale suppose en principe un consentement valide de la personne concernée. Sans consentement, il s'agit d'un préjudice porté à l'intégrité
physique. Avec cette initiative, ce principe existant serait formulé explicitement dans la Constitution fédérale, sans toutefois limiter le champ d'application du consentement aux visées médicales. Le texte de l'initiative a une très vaste portée et affecte donc divers autres domaines de l'activité de l'État (p. ex. la police et les poursuites pénales, l'armée, les étrangers et l'asile, la protection de l'enfant et de l'adulte). Il va donc bien au-delà des sujets de la vaccination et du statut vaccinal que les auteurs de l'initiative cherchaient à inscrire dans le droit.

En fin de compte, l'exigence de consentement nécessaire pour toucher à l'intégrité physique et psychique est déjà prévue dans le droit fondamental existant, qui porte 2 / 24

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sur la liberté personnelle (art. 10, al. 2, Cst.). Les exceptions ne sont possibles qu'en vertu des critères généraux fixés pour la restriction des droits fondamentaux (art. 36 Cst.). D'après le droit en vigueur, une obligation vaccinale ne peut être édictée que dans le respect de conditions strictes, pour un cercle de personnes limité et pour une période limitée; la vaccination nécessite le consentement de la personne concernée, même en cas de vaccination obligatoire.

L'acceptation de l'initiative conduirait à une grave insécurité juridique, d'une part parce que le texte affecte des domaines du droit très divers, d'autre part parce qu'il ne se prononce pas sur les possibilités de restriction visées à l'art. 36 Cst.

Proposition du Conseil fédéral Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» sans y opposer de contre-projet direct ou indirect.

En outre, le Conseil fédéral ne veut pas anticiper les travaux actuels de révision de la loi sur les épidémies ni la discussion qui aura lieu dans ce contexte-là sur les mesures autorisées dans la lutte contre la pandémie.

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire fédérale «Pour la liberté et l'intégrité physique» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 10, al. 2bis Les atteintes à l'intégrité physique ou psychique d'une personne requièrent son consentement. Si la personne concernée refuse de donner son consentement, elle ne doit ni se voir infliger une peine, ni subir de préjudices sociaux ou professionnels.

2bis

Art. 197, ch. 122 12. Disposition transitoire ad art. 10, al. 2bis (Droit à l'intégrité physique et psychique) L'Assemblée fédérale édicte les dispositions d'exécution de l'art. 10, al. 2bis, un an au plus tard après l'acceptation dudit article par le peuple et les cantons. Si les dispositions d'exécution n'entrent pas en vigueur dans ce délai, le Conseil fédéral les édicte sous la forme d'une ordonnance et les met en vigueur à cette échéance. L'ordonnance a effet jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions édictées par l'Assemblée fédérale.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire fédérale «Pour la liberté et l'intégrité physique» a fait l'objet d'un examen préalable par la Chancellerie fédérale le 17 novembre 20203 et a été déposée le 16 décembre 2021 avec le nombre requis de signatures.

Par décision du 25 janvier 2022, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 125 015 signatures valables et qu'elle avait donc abouti4.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral a jusqu'au 16 décembre 2022 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné 1 2 3 4 5

RS 101 Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

FF 2020 8769 FF 2022 195 RS 171.10

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d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 16 juin 2024 pour adopter la recommandation de vote qu'elle adressera au peuple et aux cantons. Elle peut prolonger le délai de traitement d'une année si les conditions visées à l'art. 105 LParl sont remplies.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution fédérale (Cst.)6: a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

c.

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

2

Contexte

2.1

Portée de la protection de l'intégrité physique et psychique (art. 10, al. 2, Cst.)

L'art. 10, al. 2, Cst. garantit que tout être humain a droit à l'intégrité physique et psychique, en tant qu'élément du droit fondamental à la liberté personnelle7. La disposition fonde en premier lieu un droit de défense contre l'État.

Le droit à l'intégrité physique ­ aussi appelée intégrité corporelle ­ protège la condition du corps humain des atteintes de tout type, sans fixer de seuil limite. Que l'atteinte soit néfaste ou bénéfique, douloureuse ou indolore, durable ou temporaire, avec ou sans conséquence, n'a pas d'importance ici. La pratique et la doctrine considèrent comme atteintes à l'intégrité physique toute atteinte imputable à l'État qui est faite au corps, notamment: ­

6 7

8 9 10 11

les immissions (p. ex. tir de feux d'artifice et de pétards le 1er août8, bruit et pollution engendrés par les avions de combat FA-18 et Tiger9, bruit des tirs le Jour des Bans à Liestal10, fumée de tabac dans l'espace public11, rayonnement lors de l'examen radiologique obligatoire à des fins de lutte contre la tuber-

RS 101 Cf. ici et ensuite BIAGGINI, OFK BV, 2e édition, 2017, art. 10 n. 20 ss; TSCHENTSCHER, BSK BV, 2015, art. 10 n. 51 ss; SCHWEIZER, St. Galler Kommentar zur BV, 3e édition, 2014, art. 10 n. 23 ss.

Cf. TF arrêt 1C_601/2018 du 4.9.2019, consid. 8.3 s.

Cf. TAF arrêt A-101/2011 du 7.9.2011, consid. 4.3.

Cf. ATF 126 II 300, p. 311 consid. 4.e et p. 314 s. consid. 5.

Cf. ATF 133 I 110, p. 120 s. consid. 5.2.3 (ici: la protection contre la fumée passive fait partie du droit à la vie selon l'art. 10, al. 1, Cst.).

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culose12, basse fluoration de l'eau potable pour lutter contre les caries dentaires13, organismes pathogènes); ­

les contacts (p. ex. fouilles corporelles lors d'événements sportifs14, frottis de la muqueuse jugale pour établir un profil ADN15, prélèvement d'un échantillon de cheveux pour déterminer la consommation de drogues16, prélèvement d'empreintes digitales à des fins d'identification judiciaire);

­

la contrainte policière (p. ex. utilisation de canons à eau, de chiens policiers, de tasers et d'armes à feu, immobilisation, arrestation, comparution, assignation à résidence, usage de liens, exécution du renvoi de délinquants étrangers);

­

la poursuite pénale et l'exécution des peines (p. ex. injonction de se raser la barbe lors d'une confrontation entre un prévenu et des témoins17, prise de sang pour établir le taux d'alcool, prise de sang pour une analyse ADN visant à élucider des délits sexuels graves18, fouille corporelle des prisonniers à l'entrée19, punition corporelle);

­

les mesures régies par la législation sur l'asile et sur les étrangers (p. ex. relevé de données biométriques, fouille, interpellation, allocation et hébergement, détention en phase préparatoire, détention en vue du renvoi ou de l'expulsion, détention pour insoumission, renvoi forcé dans le pays d'origine);

­

les mesures à des fins d'assistance (p. ex. traitement médicamenteux forcé en clinique psychiatrique au cours de la privation de liberté à des fins d'assistance20, placement d'un patient toxicomane en chambre sécurisée dans le cadre de l'exécution d'une mesure de privation de liberté à des fins d'assistance21, alimentation forcée d'un détenu qui se livre à une grève de la faim)22;

­

les traitements médicaux (p. ex. électroencéphalogramme avec des capteurs placés sur la tête, contrôles dentaires obligatoires dans le cadre scolaire23, vaccination obligatoire des enfants contre la variole et la diphtérie24, examens pour le recrutement militaire, opération, aide médicale urgente, soins des personnes incapables de discernement).

Par ailleurs, le droit à l'intégrité psychique ­ aussi appelée intégrité mentale ­ est étroitement lié à l'intégrité physique. Il protège la faculté de libre arbitre et la liberté de choix de l'individu ­ mais pas la teneur ou les conséquences des décisions prises.

12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24

Cf. ATF 104 Ia 480, p. 486 consid. 4.a.

Cf. TF arrêt du 29.6.1990, in: ZBl 1991, p. 25 ss.

Cf. ATF 140 I 2, p. 30 ss. consid. 10.3 ss - Concordat instituant des mesures contre la violence lors de manifestations sportives.

Cf. ATF 128 II 259, p. 269 s. consid. 3.3.

Cf. TF arrêt 1P.528/1995 du 19.12.1995, consid. 2.b.

Cf. ATF 112 Ia 161, p. 162 ss. consid. 3.

Cf. ATF 124 I 80, p. 81 s. consid. 2.c.

Cf. ATF 123 I 221, p. 226 consid. I.4 et p. 235 s. consid. II.2.

Cf. ATF 130 I 16, p. 18 consid. 3; ATF 127 I 6, p. 10 s. consid. 5.a; ATF 126 I 112, p. 114 ss consid. 3.

Cf. ATF 134 I 209, p. 211 consid. 2.31.

Cf. ATF 136 IV 97, p. 113 consid. 6.3 - Rappaz.

Cf. ATF 118 Ia 427, p. 434 consid. 4.b.

Cf. ATF 99 Ia 747, p. 749 consid. 2.

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Ces libertés protégées sont notamment restreintes lorsque l'État, par la force ou en secret, administre des substances psychotropes. En pratique, ce droit fondamental s'applique surtout aux traitements médicamenteux forcés avec des substances psychotropes et des neuroleptiques qui portent atteinte à l'intégrité physique, mais aussi psychique25.

Les garanties de l'intégrité physique et psychique au sens de l'art. 10, al. 2, Cst. impliquent que le consentement de la personne concernée est exigé pour que l'État puisse agir dans le cadre de la protection garantie. Une telle renonciation à un droit fondamental est surtout pertinente en ce qui concerne les traitements médicaux. Ainsi, même un traitement médical qui vise le rétablissement de l'intégrité physique et psychique (acte thérapeutique) constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne concernée, dans la mesure où il est imputable à l'État26. Si la personne concernée ou son représentant donne son consentement après avoir reçu des explications suffisantes (consentement éclairé), alors il ne s'agit pas d'une atteinte au sens de la loi ni, par conséquent, d'une violation d'un droit fondamental27.

2.2

Restrictions autorisées (art. 36 Cst.)

Le droit à l'intégrité physique et psychique n'est cependant pas absolu, tout comme les autres droits relatifs à la liberté inscrits dans la Constitution. Des dérogations à l'exigence de consentement sont possibles dans le respect des conditions visées à l'art. 36 Cst. Ainsi, toute restriction des droits fondamentaux autorisée doit: ­

être fondée sur une base légale;

­

être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui;

­

être proportionnée au but visé, et

­

préserver l'essence des droits fondamentaux.

Dans les conditions décrites ci-dessus, de telles restrictions des droits fondamentaux sont parfois nécessaires pour garantir l'action de l'État, le fonctionnement de l'économie et la vie sociale en Suisse. Les restrictions suivantes peuvent être citées à titre d'exemple: ­

25 26 27 28

puissance publique: le monopole de la puissance publique est une condition nécessaire pour que la Confédération, les cantons et les communes soient en mesure de légiférer et d'appliquer la loi. Il se définit comme le droit et le devoir de l'État d'imposer le droit et l'ordre constitutionnels et de préserver la sécurité intérieure et extérieure contre une résistance illicite, en recourant dans certaines conditions également à la violence physique contre des personnes28.

Cf. l'ensemble de TSCHENTSCHER, BSK BV, 2015, n. 53 s.; cf. ATF 123 I 221, p. 226 consid. I.4 et p. 235 s. consid. II.2 pour la pratique du Tribunal fédéral.

Cf. ATF 118 Ia 427, p. 434 consid. 4.b entre autres références.

TSCHENTSCHER, BSK BV, 2015, art. 10, n. 55.

Cf. GSCHWEND, Monopole de la violence physique légitime, in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), www.hls-dhs-dss.ch > Articles de A à Z.

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En d'autres termes, la puissance publique se base, entre autres, sur le fait que l'État peut, dans le but d'accomplir ses tâches, porter atteinte à l'intégrité physique de la personne concernée (art. 10, al. 2, Cst.) même sans son consentement si les conditions visées à l'art. 36 Cst. sont respectées. Dans le cas contraire, une police ou une armée fonctionnelles et une exécution efficace des peines ou des procédures d'asile ne seraient guère envisageables.

­

économie et société: la plupart des activités humaines produisent, dans certaines conditions, des effets sur le corps d'autrui tels que des immissions sonores. Sont concernés les activités menées dans un but économique, mais également, dans une certaine mesure, les divertissements tels qu'événements sportifs, concerts en plein air, fêtes, manifestations de carnaval et autres cortèges populaires ou feux d'artifice29. La vie communautaire ne peut fonctionner que si la notion d'intégrité physique (art. 10, al. 2, Cst.) n'est pas absolue, mais peut être restreinte dans les conditions fixées à l'art. 36 Cst., même sans le consentement de la personne concernée. Si toute personne concernée avait un droit de veto contre les immissions sonores imputables notamment à l'État, une infrastructure qui fonctionne (p. ex. construction, exploitation et entretien des routes, réseau ferroviaire et aéroports) serait difficilement imaginable.

Les atteintes à l'essence des droits fondamentaux sont absolument interdites (art. 36, al. 4, Cst.). La liberté personnelle ne doit pas être entièrement supprimée ni vidée de sa substance en tant qu'institution fondamentale de l'ordre juridique. Sont considérés, par exemple, comme des violations de l'essence de l'intégrité physique et psychique l'usage sous contrainte d'un détecteur de mensonges, de narcoanalyses ou de sérums de vérité en tant que moyens d'obtenir des preuves, la médication forcée à des fins de recherches (art. 7 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques30 [Pacte II de l'ONU]), la stérilisation forcée des personnes incapables de discernement, les interruptions de grossesse forcées31, l'acceptation sous contrainte d'actes sexuels ou l'isolement dans une cellule individuelle nuisible à la santé psychique32. Par ailleurs, certaines garanties de l'essence de l'intégrité physique et psychique sont concrétisées dans l'interdiction de la torture et des traitements dégradants visée à l'art. 10, al. 3, Cst.

2.3

Lancement de l'initiative

L'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» est née dans le contexte des deux premières vagues de la pandémie de COVID-19. Au printemps 2020, le Conseil fédéral a décrété l'état de situation extraordinaire au sens de l'art. 7 de la loi du 28 septembre 2012 sur les épidémies33 (LEp) et ordonné des mesures nationales.

Parallèlement, le développement de vaccins innovants contre le COVID-19 battait son 29 30 31 32 33

Cf. ATF 126 II 300, p. 311 s. consid. 4.e.

RS 0.103.2 Cf. ATF 132 III 359, p. 371 consid. 4.3.3 concernant l'interruption de grossesse comme mesure visant à empêcher un dommage après une stérilisation omise.

TSCHENTSCHER, BSK BV, 2015, art. 10, n. 58 entre autres références.

RS 818.101

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plein; dès l'été 2020, le Conseil fédéral annonçait la conclusion de contrats d'approvisionnement. Durant les mois d'été et d'automne 2020, les questions sur les bénéfices et les risques liés à l'utilisation de ces nouveaux vaccins, encore en développement, ont notamment occupé la population. D'une part, il s'agissait de savoir si les personnes désirant se faire vacciner auraient accès au vaccin contre le COVID-19 assez rapidement. D'autre part, un certain scepticisme vis-à-vis des effets et de la sécurité de ces nouveaux vaccins s'est manifesté à différentes reprises.

Dans ce contexte politique et social, le comité d'initiative «STOPP Impfpflicht» du Mouvement suisse pour la liberté (MSL) a commencé à recueillir des signatures pour la présente initiative le 1er décembre 2020. Peu de temps après, les vaccins à ARNm (acide ribonucléique messager) de Pfizer/BioNTech et de Moderna ont été autorisés (respectivement le 19 décembre 2020 et le 12 janvier 2021) de manière temporaire par l'Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic), et la campagne de vaccination contre le COVID-19 a débuté.

Pendant la suite de la campagne de récolte des signatures, une éventuelle obligation de vaccination pour certains groupes de population et une éventuelle distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal ont notamment fait l'objet de débats sociaux et politiques en Suisse également, d'une part dans le contexte des bases légales du certificat COVID («document prouvant que son titulaire a été vacciné contre le COVID-19, qu'il en est guéri ou qu'il dispose d'un résultat de test du dépistage du COVID-19» selon l'art. 6a de la loi COVID-19 du 25 septembre 202034), approuvées par les Chambres fédérales lors de la session de printemps 2021 et acceptées par le peuple lors du référendum du 28 novembre 202135, d'autre part dans le contexte des obligations de vaccination ­ encore au stade de plans ou de discussions ­ qui se profilaient à l'étranger, notamment en France pour le personnel soignant (cf. ch. 4.1).

Pendant toute la durée de la pandémie, le débat public s'est, en outre, focalisé à maintes reprises sur la pertinence des mesures prises par la Confédération et les cantons pour lutter contre les vagues de la pandémie de COVID-19 en Suisse. Même si un taux relativement élevé d'acceptation des mesures
étatiques visant à protéger la santé publique a pu être observé dans les enquêtes auprès de la population, jusqu'à un quart des personnes interrogées se montraient critiques vis-à-vis de l'approche de la Confédération et des cantons36. Le recours au statut immunitaire au moyen du certificat COVID (règles des 3G [vacciné, guéri ou testé] et des 2G [vacciné ou guéri]) régissant, par exemple, l'accès aux manifestations a fait l'objet de débats à plusieurs reprises. La restriction de la liberté personnelle a conduit la société à une sensibilisation accrue aux questions relatives au rôle de l'État et aux limites de son activité.

34 35 36

RS 818.102 FF 2022 894 Cf. p. ex. les résultats du suivi du COVID-19 mené régulièrement sur demande de la SSR; rapport sur la dernière enquête auprès de la population réalisée en octobre 2021, disponible sur www.sotomo.ch > Liste des projets > Corona-Krise: Monitoring der Bevölkerung Oktober 2021 [en allemand] (consulté le 1.9.2022).

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2.4

Distinction conceptuelle: vaccination forcée, vaccination obligatoire et obligation de vaccination (ou obligation vaccinale)

Dans ce contexte, il convient de clarifier la manière dont les notions de «vaccination forcée», «vaccination obligatoire» et «obligation de vaccination (ou obligation vaccinale)» sont comprises, étant donné que les auteurs de l'initiative ne font aucune distinction entre ces termes, mais visent de manière générale le libre choix de se faire vacciner ou de s'y opposer (cf. ch. 3.1): ­

vaccination forcée: on peut parler de vaccination forcée si la vaccination est imposée par une contrainte directe. L'administration d'un médicament sous la contrainte physique (notamment l'immobilisation) porte atteinte ­ dans la mesure où elle est imputable à l'État ­ au domaine de protection de l'intégrité physique. Elle est certes admise pour soigner des personnes malades dans des limites très strictes, notamment dans le cadre d'une privation de liberté à des fins d'assistance ou d'un placement à des fins d'assistance (cf. ch. 2.1 et 2.2).

En revanche, l'administration d'un vaccin à titre prophylactique à des personnes en bonne santé en employant la contrainte physique est incontestablement exclue et ne constitue pas une possibilité d'action pour l'État. Ainsi, même les vaccinations définies comme obligatoires ne peuvent en aucun cas être exécutées par contrainte physique (art. 38, al. 3, de l'ordonnance du 29 avril 2015 sur les épidémies37).

­

vaccination obligatoire et obligation de vaccination (ou obligation vaccinale): les termes «vaccination obligatoire», «obligation de vaccination» et «obligation vaccinale» désignent tous trois une obligation légale de se faire vacciner.

Ils sont utilisés en complément l'un de l'autre.

La LEp prévoit que, sous certaines conditions strictes, la vaccination peut être déclarée obligatoire pendant une période limitée pour certains groupes de personnes (p. ex. celles qui exercent une activité dans les soins). Elle ne prévoit pas de conséquences juridiques si les personnes concernées n'effectuent pas une vaccination déclarée obligatoire. Toutefois, si un professionnel de la santé travaillant dans un service hospitalier à haut risque décide par exemple de ne pas se faire vacciner, alors qu'il s'agit d'une vaccination obligatoire, son employeur peut l'affecter à d'autres services. D'autres pays en revanche ont la possibilité de prescrire par la loi ou d'imposer par le biais des autorités des obligations de vaccination assorties de sanctions immédiates (p. ex.

amendes) ­ s'appliquant à la population en général ou à certains groupes de personnes (cf. ch. 4.1). Tous ces cas de figure ont en commun le fait que le non-respect de l'obligation de vaccination peut notamment entraîner des préjudices sociaux ou professionnels.

L'initiative s'oppose entre autres à toute forme de vaccination potentiellement obligatoire ou d'obligation de vaccination potentielle. Dans ce contexte, les notions de «vaccination obligatoire», d'«obligation de vaccination» et d'«obligation vaccinale»

37

RS 818.101.1

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sont utilisées ici comme synonymes et se distinguent de la «vaccination forcée» au sens décrit plus haut.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

Les auteurs de l'initiative populaire «Pour la liberté et l'intégrité physique» demandent que chacun puisse décider librement s'il souhaite se faire vacciner ou non. La personne concernée ne doit ni être punie ni subir de préjudices sociaux ou professionnels en raison de sa décision de refuser un vaccin.

Cette initiative protège le libre choix de se faire vacciner ou de se prononcer contre le vaccin selon les auteurs de l'initiative. De plus, comme aucun vaccin n'est exempt d'effets secondaires, chacun doit pouvoir estimer pour lui-même si c'est le vaccin ou l'absence de vaccin qui lui nuirait le plus. Chacun doit donc pouvoir décider librement, sans contrainte ni répression, s'il souhaite une injection et ce qu'elle contient.

Ni les instances politiques ni les entreprises pharmaceutiques ne doivent prendre cette décision38.

Les auteurs de l'initiative avancent les principaux arguments suivants39: ­

refuser une vaccination est un droit fondamental à l'intégrité physique;

­

les effets secondaires à long terme des composants du vaccin à ARNm ne sont pas étudiés;

­

le bénéfice d'une vaccination est une question de foi;

­

les secteurs économiques et politiques ne doivent jamais décider de ce qui est injecté dans le corps;

­

on peut espérer qu'une personne vaccinée est immunisée contre la maladie; une personne non vaccinée ne peut plus l'infecter;

­

le vaccin génétique est classé par de nombreux scientifiques et médecins comme cancérigène.

Pour justifier la nouvelle disposition constitutionnelle concernant l'interdiction d'infliger des peines ou des préjudices sociaux ou professionnels, les auteurs de l'initiative font valoir que chacun jouit du droit à l'intégrité physique. Lorsqu'un médicament nécessite une injection sous-cutanée, chacun doit pouvoir également refuser cette atteinte sans crainte des répercussions. Cependant, ce principe ne réglemente pas ce qui se passe si d'autres restrictions s'appliquent en raison de ce refus. Afin de les éviter, l'ajout proposé d'un al. 2bis à l'art. 10 Cst. est nécessaire.

38

39

Cf. la page de campagne du Mouvement suisse pour la liberté sous fbschweiz.ch/ index.php/fr/ > Campagnes > «Pour la liberté et l'intégrité (STOP à la vaccination obligatoire)» (consulté le 5.10.2022).

Cf. «Die wichtigsten Argumente», à l'adresse www.wirbestimmen.ch > Volksinitiativen > Sammlung Zustandegekommen > Eidgenössische Volksinitiative «Für Freiheit und körperliche Unversehrtheit» (consulté le 5.10.2022).

11 / 24

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3.2

Réglementation proposée

Présentant un certain contraste avec les buts visés par les auteurs de l'initiative (cf. ch 3.1), la teneur et la portée de la réglementation proposée sont les suivantes: L'initiative prévoit que toute atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'une personne requiert son consentement. Si la personne concernée refuse de donner son consentement, elle ne doit ni se voir infliger une peine, ni subir de préjudices sociaux ou professionnels.

D'après les auteurs de l'initiative, l'initiative cible la vaccination, en particulier celle contre le COVID-19. Pourtant, le texte et la systématique de l'initiative déposée ne contiennent ni un quelconque lien avec la lutte contre les maladies transmissibles (cf.

art. 118, al. 2, let. b, Cst.) ni une quelconque restriction à la vaccination. Si le nom du comité d'initiative («STOPP Impfpflicht») donne une indication, le texte de l'initiative déposée ne mentionne toutefois ni la vaccination ni l'obligation de vaccination.

Au contraire, l'initiative est rattachée à la protection fondamentale de l'intégrité physique et psychique visée à l'art. 10, al. 2, Cst., qui touche des domaines de la vie et du droit très variés (cf. ch. 2.1). D'un point de vue thématique, la formulation du texte de l'initiative est générale, c'est pourquoi des sujets sociétaux et politiques extrêmement divers sont affectés, allant de la protection contre les immissions sonores aux soins dentaires dans le cadre scolaire en passant par les mesures relatives au droit d'asile.

Apparemment, les auteurs de l'initiative n'ont pas pris en considération les thématiques relevant de l'art. 10, al. 2, Cst.40 qui dépassent le cadre de la vaccination. Peutêtre même qu'il n'était pas dans l'intention des auteurs de l'initiative d'inclure tous ces domaines de la vie et du droit. Toutefois, cela ne change rien au fait que ces thématiques font partie de la réglementation proposée et, par conséquent, sont également l'objet de la votation.

En parallèle, le contenu de l'initiative se limite aux atteintes à l'intégrité physique ou psychique d'une personne au sens de l'art. 10, al. 2, Cst. Ces droits fondamentaux sont en premier lieu des droits pour se défendre contre l'État. Seules les atteintes à l'intégrité physique ou psychique imputables à l'État constituent des atteintes à ces droits (cf. ch. 2.1). En
d'autres termes, l'initiative ne couvre en principe que les cas de figure dans lesquels l'État a la volonté de porter atteinte à l'intégrité physique ou mentale; elle prévoit une exigence de consentement de la part de la personne concernée uniquement dans ces situations; et c'est également uniquement dans ces situations que l'initiative exclut les peines et les préjudices sociaux ou professionnels. En ce sens, l'initiative s'applique sans aucun doute à l'action de l'État, mais elle omet les relations entre les particuliers. Il n'est pas possible de répondre clairement à la question de savoir dans quelle mesure l'initiative pourrait éventuellement déployer des effets entre particuliers. En l'absence d'intervention de l'État, on peut donc se demander comment l'initiative pourrait interdire d'éventuelles exigences en matière de vaccination ou d'éventuelles différenciations selon le statut vaccinal ou immunitaire, dans le domaine du droit privé.

40

Cf. la page de campagne du Mouvement suisse pour la liberté sous https://fbschweiz.ch/ index.php/fr/ > Campagnes > «Pour la liberté et l'intégrité (STOP à la vaccination obligatoire)» (consulté le 5.10.2022), qui ne fait référence qu'à la vaccination.

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3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Dans la doctrine et la pratique suisses, les dispositions constitutionnelles sont interprétées selon les mêmes règles méthodologiques que les normes juridiques simples.

Le but de l'interprétation est de déterminer le sens de la norme. Le texte est le point de départ, mais n'est pas le seul élément déterminant. En particulier lorsque le texte n'est pas clair ou permet diverses interprétations, il faut chercher sa véritable portée en tenant compte des autres éléments d'interprétation. Ces derniers comprennent notamment l'historique de la norme et son but; l'importance que revêt la norme dans le contexte des autres dispositions joue également un grand rôle. Dans ses interprétations, le Tribunal fédéral est toujours guidé par un pluralisme méthodologique souple et ne se fonde uniquement sur l'interprétation textuelle que si une solution correcte et objective s'impose sans laisser place au doute41.

Les auteurs de l'initiative proposent de compléter la Constitution fédérale par l'art. 10, al. 2bis. En outre, une disposition transitoire doit être introduite à l'art. 197, ch. 12: Art. 10, al. 2bis Tout d'abord, la disposition proposée prévoit que les atteintes au droit constitutionnel à l'intégrité physique et psychique d'une personne requièrent son consentement. Ensuite, si la personne concernée refuse de donner son consentement, elle ne doit ni se voir infliger une peine, ni subir de préjudices sociaux ou professionnels.

En vertu de la première phrase, par exemple, la police ne peut plus appréhender quelqu'un sans son consentement. La réglementation proposée confine parfois à l'absurde si on la considère de manière isolée. Il faut donc établir la véritable portée de cette disposition.

La question des limites thématiques des atteintes concernées doit tout d'abord être éclaircie. Le texte de l'initiative ne définit pas le type d'atteinte, c'est pourquoi la notion doit être comprise de manière globale et ne peut pas être limitée aux atteintes médicales en général ou aux vaccinations en particulier. Étant donné le lien avec le droit à l'intégrité physique et psychique et l'absence de restriction du champ d'application, l'initiative dépasse largement la thématique de l'obligation vaccinale et des distinctions selon le statut immunitaire ou vaccinal (cf. ch. 2.1). Pourtant, ce ne sont que ces deux points
concrets que les auteurs de l'initiative souhaitaient empêcher selon leurs déclarations. Comme toute mesure étatique qui comporte un effet sur le corps humain touche à l'intégrité physique, la manière dont la volonté des auteurs de l'initiative à ce sujet doit être mise en oeuvre n'est pas claire. Cependant, la question n'a pas besoin d'être clarifiée en détail dans le présent document.

Ensuite, l'exigence de consentement pour les atteintes à l'intégrité physique et psychique n'est incontestablement pas nouvelle: elle est, par principe, déjà inhérente au droit existant à l'intégrité physique et psychique au sens de l'art. 10, al. 2, Cst. (cf.

ch. 2.1). En vertu du droit en vigueur, les exceptions à cette exigence de consentement sont possibles dans les conditions fixées à l'art. 36 Cst. (restriction des droits 41

Cf. ATF 124 II 372, p. 372 s. consid. 5 entre autres références.

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fondamentaux; cf. ch. 2.2). Le texte de l'initiative ne prévoit pas que l'applicabilité de l'art. 36 Cst. peut être restreinte d'une quelconque manière. Même l'accent explicite mis sur l'exigence de consentement déjà existante pour les atteintes à l'intégrité physique et psychique n'implique pas une exception à l'applicabilité de l'art. 36 Cst.

Même si les auteurs de l'initiative avaient voulu conférer à l'exigence de consentement un caractère absolu, cette volonté n'est pas exprimée dans le texte de l'initiative et ne peut pas être déterminante. C'est pourquoi il faut partir du principe que l'initiative n'empêcherait pas la législation de prévoir d'autres restrictions de l'exigence de consentement pour les atteintes à l'intégrité physique et psychique ou à ses exceptions.

La deuxième phrase précise que le refus de donner son consentement à une atteinte ne doit entraîner pour la personne concernée ni une peine ni des préjudices sociaux ou professionnels. La formulation de cette disposition est similaire à celle d'autres dispositions constitutionnelles qui interdisent expressément certaines restrictions de droits fondamentaux et se rapportent directement à une partie de l'essence d'un droit fondamental, qui est inviolable et ne peut donc être sujet à aucune restriction (art. 36, al. 4, Cst.). Par exemple, l'interdiction de la torture et de tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants (art. 10, al. 3, Cst.) concrétise ainsi déjà une partie de l'essence de l'intégrité physique et psychique.

Il faut alors clarifier dans quelle mesure le champ de protection de l'intégrité physique et psychique au sens de l'art. 10, al. 2, Cst. couvre les torts mentionnés dans le texte de l'initiative (peine, préjudices sociaux et professionnels). Les auteurs de l'initiative partent du principe que le droit existant à l'intégrité physique et psychique ne protège pas contre les peines et les préjudices sociaux ou professionnels. Cependant ­ ou plutôt, c'est pourquoi ­ ils semblent vouloir inscrire l'interdiction des peines et des préjudices sociaux ou professionnels en cas de refus de consentir à une atteinte en quelque sorte en tant qu'essence inviolable de l'intégrité physique ou psychique (cf. ch. 3.1).

Les formulations utilisées, en particulier la notion de «préjudices sociaux ou professionnels»,
sont cependant si vagues qu'elles ne peuvent pas être comprises comme une partie de l'essence de la liberté personnelle. L'interdiction des peines et des préjudices sociaux ou professionnels en cas de refus de consentir à une atteinte doit donc être considérée comme une concrétisation de la liberté personnelle, qui peut être restreinte dans le respect des dispositions prévues à l'art. 36 Cst.

Art. 197, ch. 12 La disposition transitoire proposée prévoit que l'Assemblée fédérale édicte les dispositions d'exécution de l'art. 10, al. 2bis, un an au plus tard après l'acceptation dudit article par le peuple et les cantons. Si les dispositions d'exécution n'entrent pas en vigueur dans ce délai, le Conseil fédéral les édicte sous la forme d'une ordonnance et les met en vigueur à cette échéance. L'ordonnance a effet jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions édictées par l'Assemblée fédérale.

Or, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, l'initiative s'applique à toute mesure étatique qui implique une action sur le corps humain ­ ce qui concerne les domaines les plus divers de la vie et de la législation (cf. ch. 2.1). De telles dispositions d'exécution nécessiteraient une définition préalable de la manière dont il convient de concrétiser l'initiative et impliqueraient potentiellement des clarifications assez 14 / 24

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complexes, qui porteraient sur de vastes pans du système juridique. En ce qui concerne leur contenu, il faut tenir compte du fait que la Confédération ne dispose parfois d'aucune compétence législative ou uniquement de compétences ponctuelles dans les domaines juridiques concernés (p. ex. la police et la santé publique relèvent essentiellement de la souveraineté cantonale), ce qui implique que l'Assemblée fédérale ou le Conseil fédéral ne pourraient pas édicter les dispositions d'exécution dans tous les cas. Même lorsque la Confédération dispose des compétences législatives nécessaires, il ne semble guère réaliste, au vu de ce qui précède, que les dispositions d'exécution nécessaires puissent être édictées dans le délai imparti. Enfin, du point de vue de la séparation des pouvoirs, il faut encore noter que de telles dispositions d'exécution ­ si elles étaient éventuellement adoptées par le Conseil fédéral ­ ne pourraient pas se substituer aux règles légales formelles existantes concernant la restriction admissible du droit à l'intégrité physique et psychique (cf. ch. 2.2). Dans ce contexte, il est donc pour l'instant difficile de déterminer quel pourrait être le sens ou la portée réelle de la disposition d'exécution proposée.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des demandes de l'initiative

Apprécier les demandes de l'initiative s'avère difficile dans la mesure où la demande formulée par les auteurs de l'initiative s'écarte significativement de la teneur normative du texte proposé.

­

D'une part, les buts visés par les auteurs de l'initiative se limitent à la vaccination (cf. ch 3.1), alors que le texte de l'initiative déposée ne contient aucune restriction thématique et touche une large palette de sujets sociétaux et politiques extrêmement divers (cf. ch 3.2). Dans ce contexte, les demandes de l'initiative sont beaucoup plus restreintes d'un point de vue thématique que la teneur réelle de la réglementation constitutionnelle proposée, du moins au niveau de la communication, qui va bien au-delà du simple contexte de la vaccination et englobe toutes les atteintes de l'État à l'intégrité physique ou psychique.

­

D'autre part, les auteurs de l'initiative ciblent la liberté de choix (déjà garantie à l'art. 10, al. 2, Cst.) de se faire vacciner ou non, alors que l'initiative ne change rien au fait que l'État peut restreindre les droits garantis dans le respect des dispositions visées à l'art. 36 Cst. (cf. ch 3.3). Dans ce contexte, les demandes formulées dans l'initiative dépassent, in fine, largement la teneur de la réglementation proposée. L'initiative n'est pas en mesure de garantir l'exigence du consentement dans tous les cas et ne répond donc pas aux attentes suscitées. Elle ne tient pas compte des possibilités qu'a l'État de restreindre les droits à l'intégrité physique et psychique au sens de l'art. 36 Cst.

­

Il faut par ailleurs tenir compte du fait que l'initiative ne concerne en principe que les interventions de l'État (cf. ch. 3.3). On peut se demander dans quelle mesure elle pourrait interdire d'éventuelles exigences en matière de vaccina-

15 / 24

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tion ou d'éventuelles différenciations selon le statut vaccinal ou immunitaire dans le domaine du droit privé.

Par conséquent, les demandes de l'initiative sont considérées tout d'abord isolément, et appréciées comme elles sont formulées par les auteurs de l'initiative: cette initiative doit exclure d'une part la vaccination forcée, la vaccination obligatoire et l'obligation de vaccination (ou obligation vaccinale) et d'autre part les conséquences négatives en cas de refus de se faire vacciner. La mesure dans laquelle ces demandes seraient, ou pourraient être satisfaites si l'initiative était acceptée, sera examinée séparément dans un second temps (cf. ch. 4.2).

Obligation de vaccination selon la LEp La LEp prévoit la possibilité pour les cantons ou le Conseil fédéral de déclarer obligatoires des vaccinations pour les groupes de population en danger, les personnes particulièrement exposées et les personnes exerçant certaines activités (art. 22 LEp et art. 6, al. 2, let. d, et 7 LEp). Une obligation de vaccination pour certaines catégories de personnes (p. ex. celles qui exercent une activité dans les soins) pourrait s'imposer dans le cas d'une maladie infectieuse grave, qui se propage rapidement et dont l'issue est souvent fatale. Étant donnée l'atteinte au droit fondamental considérée qui va de pair avec une telle vaccination obligatoire, cette option stratégique est réservée au cas où l'intention visée ne peut être atteinte par d'autres mesures plus légères. Cette intention consisterait à augmenter substantiellement la couverture vaccinale dans le groupe de population concerné par l'obligation de vaccination et à atteindre les objectifs de santé publique ainsi fixés (p. ex. protection contre la transmission, diminution des cas graves et des décès, garantie des soins de santé). Pour justifier l'introduction d'une obligation vaccinale, uniquement en dernier recours, il faut que tous les autres moyens visant à augmenter la part de personnes vaccinées (p. ex. information, campagnes) soient déjà épuisés. Dans une telle situation, une vaccination obligatoire du personnel travaillant dans les services à haut risque des hôpitaux pourrait notamment être indiquée afin de protéger les patients des maladies infectieuses dangereuses. Si une personne refuse de se faire vacciner, elle peut être amenée à
travailler dans d'autres services.

Les cantons peuvent déclarer obligatoires des vaccinations pour autant qu'un «danger sérieux» soit établi (art. 22 LEp). Pour déterminer si un «danger sérieux» existe, les cantons doivent évaluer plusieurs critères répondant au principe de proportionnalité: le degré de gravité d'une éventuelle maladie, le risque de propagation de la maladie, le danger pour les personnes vulnérables, la situation épidémiologique au niveau cantonal, national et international en tenant compte de l'Office fédéral de la santé publique, l'efficacité escomptée d'une vaccination obligatoire ainsi que la pertinence et l'efficacité d'autres mesures (plus légères) pour maîtriser le risque sanitaire.

Le Conseil fédéral peut déclarer obligatoires des vaccinations dans deux cas: dans une «situation particulière», après avoir consulté les cantons (art. 6, al. 2, let. d, LEp) et dans une «situation extraordinaire» (art. 7 LEp). Les critères que les cantons doivent appliquer pour déterminer si les conditions pour une vaccination obligatoire sont réunies sont également valables pour le Conseil fédéral.

La Cour européenne des droits de l'homme a estimé dans l'arrêt 47621/13 du 8 avril 2021 que la vaccination obligatoire est en principe autorisée et conforme à l'art. 8 de 16 / 24

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la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 195042 (CEDH) si elle est proportionnelle et dans l'intérêt de la santé publique. L'arrêt de la cour confirme, comme d'autres arrêts du Tribunal fédéral à ce sujet, qu'une vaccination obligatoire peut être proportionnelle et dans l'intérêt public.

La proportionnalité doit cependant toujours être évaluée en fonction de la maladie transmissible en question et des groupes de personnes concernés.

Même en cas d'obligation, une vaccination ne doit en aucun cas se faire par la contrainte physique. Personne ne peut se faire administrer un vaccin par la force ou contre sa volonté. Chaque personne décide pour elle-même si elle se soumet à l'obligation et si elle veut se faire vacciner contre une maladie ou non. Cependant, la personne qui refuse de se faire vacciner malgré l'obligation de le faire accepte consciemment certaines restrictions. Il se peut, par exemple, qu'elle ne puisse pas accomplir ses activités professionnelles habituelles pour une durée déterminée ni exercer certaines activités si ces dernières ne sont accessibles qu'aux personnes vaccinées. En revanche, la LEp ne prévoit aucune peine en cas de non-respect d'une obligation de vaccination.

Pendant la pandémie de COVID-19, comme pendant la pandémie de grippe H1N1 en 2009, ni le Conseil fédéral ni les cantons n'ont envisagé de déclarer obligatoire la vaccination. Les nombreux décideurs aux différents niveaux de l'État suisse ont démontré leur grande sensibilité et leur sens des responsabilités en ne faisant pas usage des possibilités existantes de rendre la vaccination obligatoire. Ils ont ainsi examiné de manière critique les autres mesures visant à endiguer la pandémie et les ont jugées suffisantes. Par conséquent, la Suisse n'a jamais jugé nécessaire ­ dans aucune des phases de la pandémie de COVID-19 ­ d'employer cette solution de dernier recours et d'ordonner une obligation vaccinale, contrairement à d'autres pays (cf. ci-dessous «Situation dans les pays voisins»).

Distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal Parallèlement au consentement nécessaire pour toute atteinte à l'intégrité physique et psychique, l'initiative demande aussi qu'aucun préjudice social ou professionnel ne soit causé à la personne concernée en cas de refus. Or,
dans le contexte de la vaccination contre le COVID-19, le peuple s'est exprimé à ce sujet en votant pour la loi COVID-19 et pour l'introduction du certificat sanitaire. Les votants ont estimé qu'il était justifié de traiter différemment les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées dans certaines circonstances. Les restrictions basées sur le statut immunitaire ou vaccinal doivent toutefois toujours être appliquées de manière à ce que l'accès aux prestations étatiques et aux soins de base reste possible, par exemple sur la preuve du statut infectieux à un moment donné au moyen d'un test. Une mesure doit en outre toujours respecter les principes d'égalité de traitement et de proportionnalité. Si une différenciation en fonction du statut vaccinal ou immunitaire n'était plus autorisée, il ne serait plus possible d'effectuer des distinctions objectivement nécessaires. Il faudrait alors potentiellement recourir à des mesures d'endiguement plus sévères, notamment des fermetures, en cas d'interdiction de la différenciation. En fin de compte, les fermetures et autres mesures radicales comparables représenteraient une atteinte encore plus grande à la liberté personnelle, et concerneraient potentiellement davantage 42

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de personnes, raison pour laquelle une différenciation en fonction du statut vaccinal ou immunitaire constitue une mesure moins contraignante.

En fin de compte, il faut veiller à ce que des mesures puissent être appliquées en lien avec le statut vaccinal, indépendamment d'une obligation de vaccination: ainsi, des élèves non vaccinés peuvent être exclus temporairement de l'enseignement présentiel pour éviter une flambée des cas de rougeole43.

Situation dans les pays voisins Les pays voisins de la Suisse donnent des exemples d'obligation de vaccination ainsi que de distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal.

En Allemagne, une obligation légale de vaccination contre la rougeole est en vigueur au niveau national depuis le 1er mars 2020 pour les enfants et le personnel des établissements communautaires et de santé. En 2017, l'Italie a promulgué une loi sur la vaccination obligatoire des enfants. L'obligation concerne la vaccination contre dix maladies, dont la rougeole, la méningite, le tétanos, la poliomyélite, les oreillons, la coqueluche et la varicelle. En France, la vaccination est obligatoire depuis le 30 décembre 2017 pour les enfants âgés de moins de 14 ans contre onze maladies, dont la rougeole, les oreillons, la rubéole, la coqueluche, l'hépatite B, le tétanos et la poliomyélite.

Dans la lutte contre la pandémie de COVID-19, les pays voisins ont également introduit des vaccinations obligatoires et des distinctions selon le statut immunitaire ou vaccinal qui ont été, et sont encore, appliquées différemment.

L'Allemagne, la France et l'Italie ont introduit des obligations de vaccination selon les professions pour lutter contre la pandémie de COVID-19. En Allemagne, la vaccination contre le COVID-19 est obligatoire pour le personnel de santé dans les établissements médicaux et de soins depuis le 15 mars 2022. En France, une obligation de vaccination contre le COVID-19 liée à la profession est appliquée depuis le 15 septembre 2021 pour le personnel des établissements et des services médico-sociaux et de soins (accompagnants, personnel soignant, bénévoles, pompiers, etc.). En Italie, le personnel de santé est soumis à une obligation de vaccination contre le COVID-19 liée à la profession depuis avril 2021. Entre la mi-décembre 2021 et le 15 juin 2022, une obligation de vaccination
contre le COVID-19 liée à la profession a également été appliquée à d'autres groupes professionnels tels que le corps enseignant, l'armée, la police et l'administration publique. Dans tous ces pays, des exceptions à l'obligation de vaccination existent pour les personnes guéries et pour celles qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales. Dans le contexte de la crise du COVID-19, les obligations de vaccination non spécifiques à des groupes professionnels sont plus rares. En Italie, parallèlement à l'obligation liée à la profession, la vaccination a été rendue obligatoire pour les personnes âgées de plus de 50 ans entre le 15 février 2022 et le 15 juin 2022. La vaccination obligatoire générale contre le COVID-19 pour l'ensemble de la population n'a été introduite qu'en Autriche, bien que les autorités aient également prévu certaines exceptions à l'obligation de vaccination. Toutefois,

43

Cf. TF arrêt 2C_395/2019 du 8.6.2020, consid. 3.

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l'obligation générale, à partir de 14 ans, a été suspendue un mois après son entrée en vigueur et abrogée à la fin juillet 2022.

En plus, ou à la place, d'une obligation de vaccination, les pays voisins de la Suisse ont mis en oeuvre temporairement d'autres mesures de distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal pendant la pandémie de COVID-19. Il s'agit, par exemple, de la règle des 3G (vacciné/guéri/testé) sur le lieu de travail et dans les transports publics, de la règle des 2G (vacciné/guéri) pour l'entrée dans le pays et la vie publique ­ à l'exception des magasins de première nécessité ­ ou des restrictions de contact lors des réunions privées auxquelles participaient des personnes non vaccinées ou non guéries.

L'introduction d'obligations légales de vaccination contre les maladies (COVID-19, rougeole, etc.) et d'autres mesures de distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal a été analysée en détail d'un point de vue constitutionnel. Les tribunaux constitutionnels en France, en Italie, en Autriche et en Allemagne se sont penchés expressément sur la question: ils sont tous parvenus à la conclusion que la pesée des intérêts entre le gain escompté pour le bien général et les restrictions des droits fondamentaux du droit à la vie et à l'intégrité physique était proportionnelle et appropriée au moment du jugement. Entre-temps, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu d'autres arrêts selon lesquels une obligation de vaccination suffisamment fondée n'est pas contraire aux droits fondamentaux garantis par la CEDH.

L'introduction des obligations de vaccination et des mesures de distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal a fait, à chaque fois, l'objet de controverses, de manifestations et de contre-initiatives. En France, par exemple, une plainte collective a été déposée auprès de la Cour européenne des droits de l'homme par des pompiers. En Autriche, des initiatives populaires ont été lancées pour demander au législateur constitutionnel d'interdire la vaccination obligatoire et d'empêcher tout type de discrimination à l'encontre des personnes non vaccinées. Elles ont été, et sont encore, débattues au Conseil national autrichien, sans qu'aucune autre décision ou conséquence juridique ou politique ne soit connue à ce jour. Aucun des efforts déployés pour exclure une
obligation de vaccination et une distinction selon le statut immunitaire ou vaccinal de manière générale et constitutionnelle n'a actuellement abouti dans les pays voisins de la Suisse.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

Les auteurs de l'initiative veulent exclure une obligation de vaccination et une distinction selon le statut vaccinal. Il faut donc partir du principe que, selon leur volonté, une restriction de l'intégrité physique et psychique telle que visée à l'art. 36 Cst. doit être exclue dans ce domaine. Seule cette interprétation donne de la cohérence à leur demande visant à empêcher une obligation de vaccination ou une distinction selon le statut vaccinal ainsi que les conséquences sociales ou professionnelles qui y seraient liées. Cela concerne notamment la possibilité octroyée à l'État de prévoir une vaccination obligatoire pour des raisons sanitaires (loi sur les épidémies) ou de fixer des réglementations liées au statut vaccinal dans le domaine social et professionnel.

Ainsi, selon la volonté des auteurs de l'initiative, la possibilité d'une obligation de 19 / 24

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vaccination ou l'instauration de restrictions d'accès et d'entrée dans le pays liées à une preuve de vaccination (p. ex. certificat COVID pour les personnes vaccinées au sens de l'art. 6a de la loi COVID-19) ne seraient, par exemple, pas autorisées.

Le champ d'application de la norme prévue par l'initiative dépasse largement le sujet de la vaccination. Rien n'indique, toutefois, que les auteurs de l'initiative souhaitent mettre en oeuvre une réglementation si restrictive dans les nombreux autres domaines concernés, par exemple celui de la police. Étant donné le vaste domaine d'application de l'initiative, on ne peut pas raisonnablement penser que la nouvelle disposition puisse l'emporter sur la pesée des intérêts au sens de l'art. 36 Cst. dans tous les domaines où l'État porte atteinte au corps humain. Les atteintes à l'intégrité physique ou psychique (p. ex. portées par la police ou l'armée ou concernant les poursuites pénales, les étrangers et l'asile, la protection de l'enfant et de l'adulte ou la santé) doivent, au contraire, rester possibles dans la mesure où les conditions visées à l'art. 36 Cst. sont remplies. L'éventuelle volonté des auteurs de l'initiative ne peut pas prévaloir dans l'interprétation de la nouvelle disposition dans le domaine de la vaccination.

Comme le texte proposé ne se rapporte pas à la vaccination, il n'est pas possible de faire une distinction entre le domaine clairement visé par les auteurs de l'initiative et les autres domaines affectés par l'initiative.

Une nouvelle disposition constitutionnelle est intégrée dans un cadre normatif et doit être interprétée en accord avec le reste de la Constitution. Dans le cas présent, la norme prévue par l'initiative ne peut pas être interprétée indépendamment du reste du premier chapitre de la Cst., qui concerne les droits fondamentaux. La volonté supposée des auteurs de l'initiative s'y oppose: s'ils avaient voulu restreindre l'applicabilité de l'art. 36 Cst. (critères généraux pour la restriction des droits fondamentaux), ils auraient dû le formuler clairement dans le texte de l'initiative. La vaccination et les autres atteintes à la liberté personnelle liées à la lutte contre la pandémie ont déclenché cette initiative. Cependant, la formulation du texte de l'initiative va bien au-delà et affecte de nombreux autres domaines
du droit.

En fin de compte, c'est au législateur et, le cas échéant, aux tribunaux de déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure le nouvel art. 10, al. 2bis Cst. peut être restreint au sens des dispositions de l'art. 36 Cst. ou s'il est absolu. Si le débat public se concentre, selon les propos tenus jusqu'à présent par les auteurs de l'initiative, sur les questions de la vaccination obligatoire et de la distinction selon le statut vaccinal, on pourrait conclure d'un point de vue politique, en cas d'acceptation de l'initiative, que le peuple refuse la possibilité actuelle d'une vaccination obligatoire (cf. ch. 4.1), tout comme l'instauration de restrictions d'accès et d'entrée dans le pays liées à une preuve de vaccination (p. ex. certificat COVID pour les personnes vaccinées au sens de l'art. 6a de la loi COVID-19) et que le législateur doit procéder à des adaptations.

D'un point de vue juridique, en revanche, il faut imaginer s'attendre à un conflit dans la mise en oeuvre de la disposition. On peut certes partir du principe qu'un consensus plus large se mettrait rapidement en place selon lequel le nouvel art. 10, al. 2bis, Cst.

ne concerne pas uniquement la vaccination et doit être soumis aux conditions générales de restrictions visées à l'art. 36 Cst. La disposition n'a donc pas le caractère absolu que son texte pris isolément laisse présumer. La nouvelle disposition constitutionnelle entraîne néanmoins une grande insécurité juridique, car les effets concrets de son interprétation et de son application par les autorités d'application du droit, 20 / 24

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notamment l'administration et les tribunaux, ne sont pas prévisibles à l'heure actuelle.

Ainsi, toutes sortes de questions délicates seraient soulevées. Étant donné la formulation catégorique du nouvel art. 10, al. 2bis, Cst., le risque que les exceptions à l'exigence de consentement pour les atteintes à l'intégrité physique et à l'interdiction de peine et de préjudices en cas de refus de donner son consentement doivent être classées comme des restrictions strictes qui demandent une base légale formelle est considérable. Par conséquent, la Confédération et les cantons devraient vérifier dans de vastes domaines du droit si une base légale formelle suffisante existe pour de telles exceptions. Le cas échéant, ils devraient créer des réglementations supplémentaires pour satisfaire aux exigences de l'art. 36, al. 1, Cst. Parallèlement à la problématique posée par la nécessité d'avoir une base légale formelle, le nouvel art. 10, al. 2bis, Cst.

aurait en outre une influence sur l'examen de la proportionnalité des mesures. La réglementation expresse d'un aspect particulier de la liberté personnelle dans la Constitution est un signe de l'importance accordée à cet aspect par le pouvoir constituant.

Ce caractère essentiel entraîne un examen plus rigoureux de la proportionnalité.

Les conséquences de cet examen consciencieux dans les nombreux domaines qui seraient concernés par le nouvel art. 10, al. 2bis, Cst. ne peuvent pas être évaluées de prime abord.

Pour résumer, il semble que l'initiative crée des attentes qui ne peuvent pas être comblées de cette manière. Si le texte normatif est pris littéralement, une grave insécurité juridique en découle. S'il est interprété en accord avec les autres dispositions constitutionnelles, il entraîne, du moins d'un point de vue juridique, tout au plus des exigences de bases légales formelles plus strictes pour pouvoir restreindre l'exigence de consentement et une pesée des intérêts un peu plus restrictive.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

Un avantage de l'initiative est de relancer le débat sur le sujet de l'obligation de vaccination et de la distinction selon le statut vaccinal. L'intégrité physique et psychique est un droit fondamental essentiel. On ne peut porter atteinte à ce droit fondamental sans consentement que dans le respect des dispositions visées à l'art. 36 Cst. Cependant, comme l'initiative va au-delà d'une simple obligation de vaccination et de la distinction selon le statut vaccinal, elle semble être un instrument inadapté pour répondre aux demandes des auteurs de l'initiative. Il serait plus pertinent d'examiner cette thématique et d'en discuter dans le cadre des mesures de lutte contre la pandémie à l'occasion de la révision de la LEp au lieu de formuler des exigences de manière bien trop vague au niveau constitutionnel.

En outre, l'initiative néglige le fait qu'actuellement, en Suisse, il n'y a pas d'obligation de vaccination ni de base légale pour une vaccination forcée et que, dans ce contexte, une telle disposition constitutionnelle semble, de prime abord, superflue.

Le texte de l'initiative n'est pas suffisamment adapté à la structure normative du droit constitutionnel. Les conséquences d'une acceptation de l'initiative ne peuvent actuellement pas être évaluées de manière fiable. Le gros problème de l'initiative est l'insécurité juridique qu'elle entraîne puisqu'elle affecte de nombreux domaines du droit de natures très diverses.

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Pour terminer, en ce qui concerne l'exigence de ne pas opérer de distinction selon le statut vaccinal ou immunitaire, il faut noter que les auteurs de l'initiative souhaitent, pour autant que l'on puisse en juger, que cette distinction s'applique aux actions des personnes privées comme à celles des institutions publiques. Or, le durcissement proposé à l'art. 10, al. 2bis, Cst. ne s'applique en principe qu'à l'activité de l'État et ne peut pas empêcher une distinction selon le statut vaccinal ou immunitaire dans le domaine privé.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

L'art. 10, al. 2bis, Cst. prévu par l'initiative populaire touche des domaines de protection de diverses garanties réglementées par des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, telles que le droit à la vie (art. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 [CEDH]44; art. 6 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques45 [Pacte II de l'ONU]), l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé (art. 4 CEDH; art. 8 Pacte II de l'ONU), le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 CEDH; art. 9 Pacte II de l'ONU), l'interdiction de la torture (art. 3 CEDH; art. 7 Pacte II de l'ONU), le droit de circuler librement et de choisir librement sa résidence (art. 12 Pacte II de l'ONU) ou l'interdiction d'expulser une personne illégalement (art. 13 Pacte II de l'ONU). La Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant46, dont l'art. 3, al. 1, garantit en particulier que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale, et la Convention du 13 décembre 1996 relative aux droits des personnes handicapées47 sont également concernées.

Cette dernière évoque, à l'art. 3, let. a, «le respect [...] de l'autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix». Dans ces cas, l'initiative n'est guère problématique, car, étant donné son orientation, elle dépasse les droits individuels protégés ici en mettant l'exigence de consentement de la personne individuelle au centre. Les restrictions autorisées des droits garantis dans la CEDH et le Pacte II de l'ONU ne sont pas liées au consentement de la personne concernée, mais à l'intérêt public ou à la protection des droits d'autrui. Sont notamment autorisées les restrictions qui sont prévues par la loi et constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour le maintien de la sécurité publique, de la protection de l'ordre public, de la santé et de la moralité ou pour la préservation des droits et des libertés d'autrui (cf. p. ex. art. 9 et 10 CEDH). L'art. 5, al. 1, let. a à f, CEDH énumère les cas dans lesquels la privation de liberté est autorisée sans le consentement de la personne
concernée: condamnation par un tribunal compétent, détention pour investigation en cas d'infraction supposée, éducation surveillée d'un mineur, interdiction d'entrée irrégulière sur le territoire ou procédure d'expulsion ou d'extradition. Dans ces cas, la

44 45 46 47

RS 0.101, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974.

RS 0.103.2, entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992.

RS 0.107, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997.

RS 0.109, entrée en vigueur pour la Suisse le 15 mai 2014.

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CEDH et le Pacte II de l'ONU ont tendance à laisser une plus grande marge de manoeuvre que l'initiative.

Toutes les mesures énumérées ci-dessus peuvent être prises sans le consentement de la personne concernée. Une incompatibilité de l'art. 10, al. 2bis, Cst. prévu par l'initiative populaire avec les obligations internationales de la Suisse ne peut cependant pas être tolérée. En effet, comme expliqué en détail ci-dessus, l'initiative populaire ne doit pas être interprétée isolément des autres dispositions constitutionnelles centrales, qui concernent également les obligations conclues au niveau international. Le risque de conflit matériel ne concerne pas tous les sujets touchés par l'initiative pour lesquels la Suisse a des obligations contractuelles en vertu des accords internationaux. Le Conseil fédéral estime qu'il pourrait être évité là où il existe en donnant un peu plus de poids aux intérêts individuels des personnes concernées dans l'application des obligations internationales.

5

Conclusions

Le Conseil fédéral reconnaît que les atteintes médicales telles que la vaccination nécessitent un consentement. Toutefois, l'acceptation de l'initiative aurait des conséquences indésirables dépassant largement le sujet de la vaccination et de la santé. En outre, l'initiative n'est pas suffisamment adaptée à la structure normative du droit constitutionnel, ce qui entraînerait, si la nouvelle disposition était acceptée, une grave insécurité juridique.

Le Conseil fédéral estime donc que l'initiative va trop loin, puisqu'elle provoque des effets considérables sur la restriction de l'intégrité physique et psychique dans des domaines centraux de l'activité de l'État. En ce qui concerne l'obligation de vaccination, le peuple s'est déjà prononcé nettement, lors de la votation populaire du 22 septembre 201348 dans le cadre du référendum sur la LEp, pour la possibilité en vigueur d'instaurer une vaccination obligatoire restreinte pour des groupes de personnes déterminés et a ainsi affirmé que cet instrument devait être à disposition pour lutter contre les épidémies à l'avenir. Le Conseil fédéral considère également qu'il est raisonnable (et c'est également ce que le peuple a approuvé) que, dans un contexte de lutte contre la pandémie, les personnes sans certificat vaccinal ou immunitaire subissent certaines restrictions de participation à la vie publique.

C'est pourquoi le Conseil fédéral rejette cette initiative et estime qu'un contre-projet, direct ou indirect, n'est pas nécessaire. Comme précisé plus haut, les bases légales existantes permettent d'introduire une obligation de vaccination, mais seulement dans des conditions restrictives et comme mesure de dernier recours. Il convient également de noter que la différenciation selon le statut vaccinal ou immunitaire constituait une mesure ciblée dans la lutte contre la pandémie et qu'elle représente une atteinte moins importante aux droits fondamentaux que ne le serait la fermeture d'établissements.

Le Conseil fédéral considère qu'il est actuellement approprié de renvoyer à la révision agendée de la LEp pour ce qui est des dispositions légales sur la vaccination obliga48

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toire. Les travaux à ce sujet ont commencé, et les acteurs concernés ont été et sont mieux pris en compte même avant la procédure de consultation prévue pour le dernier trimestre 2023. D'éventuelles objections au droit en vigueur, au sujet non seulement de la vaccination obligatoire, mais aussi du certificat obligatoire, par exemple, seront examinées dans ce cadre. Ensuite, le Parlement pourra également se pencher de manière approfondie sur ces questions lors des débats parlementaires sur la révision.

Le Conseil fédéral propose donc aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter sans y opposer de contre-projet direct ou indirect.

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