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ad 16.498 Initiative parlementaire Soumettre les infrastructures stratégiques du secteur énergétique à la lex Koller Rapport du 28 mars 2023 de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 2 juin 2023

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement, nous nous prononçons comme suit sur le rapport de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national du 28 mars 2023 concernant l'initiative parlementaire 16.498 «Soumettre les infrastructures stratégiques du secteur énergétique à la lex Koller»1.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

2 juin 2023

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

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2023-1680

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Avis 1

Contexte

Le 16 décembre 2016, la conseillère nationale Jacqueline Badran a déposé l'initiative parlementaire 16.4982, qui demande que les infrastructures stratégiques du secteur énergétique, notamment les centrales hydrauliques, les réseaux électriques et les réseaux de gaz, soient soumises à la loi fédérale du 16 décembre 1983 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger (LFAIE ou lex Koller)3. Elle a justifié sa demande en faisant notamment valoir que les infrastructures de réseau du secteur énergétique sont des infrastructures de monopole et qu'elles bénéficient à ce titre d'une rente, et que les équipements hydrauliques et les réseaux revêtent une importance stratégique pour l'indépendance et la sécurité de l'approvisionnement. Selon elle, la vente de ces infrastructures à des personnes à l'étranger au sens de la lex Koller doit donc être exclue pour des raisons d'intérêt général. Elle précise que des exceptions pourront toutefois être consenties dans le cadre de la lex Koller, dont l'adaptation est nécessaire.

La Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national (CEATE-N) a décidé, le 23 janvier 2018, à l'issue de l'examen préalable, de donner suite à l'initiative par 13 voix contre 9 et une abstention. Elle a estimé qu'il était légitime de réfléchir au danger que pourrait représenter une mainmise étrangère sur des infrastructures d'une importance capitale pour l'approvisionnement de la Suisse en énergie et qu'il convenait d'analyser dans un premier temps la situation pour ensuite examiner quels sont les instruments juridiques qui pourraient permettre d'assurer une protection contre les investissements étrangers indésirables.

La question s'est posée de savoir si la lex Koller, qui a pour vocation première de réglementer la vente de biens fonciers (en particulier de logements) à des personnes à l'étranger, représentait le moyen adéquat pour y parvenir.

Son homologue du Conseil des États (CEATE-E) a approuvé à l'unanimité cette décision le 20 mars 2018. Constatant que les investissements étrangers dans le domaine de l'énergie étaient en constante augmentation, la CEATE-E a jugé qu'il était nécessaire d'analyser la situation dans le détail, et notamment d'examiner si le système actuel des concessions était encore à même de préserver les
intérêts du pays ou s'il convenait de créer des instruments permettant de contrôler la participation étrangère dans le secteur de l'énergie, en particulier en prévision d'une ouverture du marché de l'électricité. Relevant que la Suisse tirait également des bénéfices des investissements étrangers, elle a estimé que la question était suffisamment complexe pour devoir être soumise à une analyse approfondie, incluant éventuellement d'autres domaines stratégiques.

La CEATE-N a d'abord consacré entre 2018 et 2020 quatre séances au projet, lors desquelles elle a analysé plusieurs possibilités de réglementations (ajouts dans plu2 3

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Initiative parlementaire 16.498 Badran Jacqueline ­ Soumettre les infrastructures stratégiques du secteur énergétique à la lex Koller.

RS 211.412.41

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sieurs lois sur l'énergie) et l'inclusion d'autres secteurs stratégiques comme le domaine des TIC4. Lors des délibérations qui ont eu lieu en mai 2020, elle a une nouvelle fois constaté la nécessité de protéger les infrastructures critiques du secteur énergétique d'une acquisition par des repreneurs étrangers. Elle a toutefois décidé qu'il valait mieux chercher à atteindre cet objectif au moyen d'une motion. Elle a ainsi déposé la motion 20.3461 «Protection des infrastructures critiques»5, qui charge le Conseil fédéral d'élaborer les bases légales pour le contrôle des investissements dans les infrastructures critiques, et suspendu ensuite ses travaux relatifs à l'initiative parlementaire 16.498. Le Conseil national a décidé le 19 juin 2020 de prolonger de deux ans, soit jusqu'à la session de printemps 2022, le délai imparti pour le traitement de l'initiative (art. 111, al. 1, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement [LParl]6).

Le Conseil fédéral a proposé le 12 août 2020 d'adopter la motion de commission 20.3461, faisant valoir qu'elle coïncidait largement avec la motion 18.3021 Rieder 7, qui chargeait déjà en mars 2020 le Conseil fédéral de créer les bases légales pour le contrôle des investissements étrangers. Le Conseil national a renvoyé la motion de commission à la CEATE-N le 16 décembre 2020, en demandant à celle-ci de réexaminer son objectif dans le cadre des travaux menés sur l'avant-projet relatif à l'initiative parlementaire 16.498. Le 25 janvier 2021, la CEATE-N a finalement décidé de retirer sa motion 20.3461 et de reprendre les travaux relatifs à l'initiative parlementaire 16.498.

La CEATE-N a par la suite consacré trois séances à l'élaboration de l'avant-projet de modification de la lex Koller. Le 11 octobre 2021, elle a adopté ce dernier par 15 voix contre 9 et l'a envoyé en consultation. Une minorité de la commission (Jauslin, Bourgeois, Bäumle, Bulliard, Chevalley, Müller-Altermatt, Paganini, Vincenz, Wismer Priska) a proposé de ne pas entrer en matière sur l'initiative parlementaire 16.498.

Elle souhaitait certes elle aussi protéger les infrastructures stratégiques, mais considérait que l'approche choisie, consistant à agir via la lex Koller, n'était pas de nature à permettre à atteindre l'objectif visé, notamment parce qu'elle débordait les problèmes effectifs en matière
de protection des infrastructures stratégiques, qu'elle entraînait une grave atteinte à la liberté économique et qu'elle risquait d'être inefficace en raison des possibilités de contournement liées aux obligations internationales de la Suisse.

La minorité de la commission voyait sa position confortée par les résultats de l'analyse d'impact de la réglementation du 6 octobre 20218 (ci-après: AIR), qui considère que les préoccupations de l'initiative parlementaire 16.498 sont déjà largement prises en compte par le droit en vigueur et que le projet de loi aurait un impact plutôt négatif sur l'attractivité de la place économique suisse et sur la qualité de ses infrastructures.

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Technologies de l'information et de la communication.

Motion 20.3461 de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national, «Protection des infrastructures critiques».

RS 171.10 Motion 18.3021 Rieder Beat «Protéger l'économie suisse en contrôlant les investissements».

Disponible sous www.parlement.ch > Organes > Commissions thématiques > CEATE > Rapports et procédures de consultation > 16.498.

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Après avoir analysé les avis exprimés lors de la consultation9, la CEATE-N a décidé de ne pas modifier son avant-projet. Elle a ainsi adopté le projet à la séance du 28 mars 2023 par 15 voix contre 8. Une minorité (Jauslin, Bäumle, Flach, Paganini, Roduit, Vincenz, Wismer Priska) propose à nouveau de ne pas entrer en matière.

Par lettre du 5 avril 2023 signée par le président de la commission, le projet d'acte (P-LAIIE) et le rapport de commission10 ont été soumis au Conseil fédéral pour avis, conformément à l'art. 112, al. 3, LParl, le délai de réponse ayant été fixé au 2 juin 2023.

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Avis du Conseil fédéral

2.1

Ne pas entrer en matière

Le Conseil fédéral propose de ne pas entrer en matière sur le projet de modification de la lex Koller. Il considère lui aussi que la question de la sécurité de l'approvisionnement est importante, mais estime qu'elle est traitée de façon plus ciblée par les réglementations existantes et d'autres projets législatifs (ch. 2.2). Le choix de modifier la lex Koller ne semble pas une voie adaptée pour atteindre les objectifs visés (ch. 2.3).

Non seulement le projet n'est pas nécessaire pour garantir la sécurité de l'approvisionnement, mais il n'est pas non plus judicieux du point de vue matériel puisqu'il sera facile d'éluder les nouvelles dispositions (ch. 2.4). Il crée de nombreux problèmes juridiques: il risque notamment de constituer une atteinte disproportionnée à la garantie de la propriété et à la liberté économique et il viole l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)11 (ch. 2.7 à 2.9); de plus, il sera difficile à mettre en oeuvre (ch. 2.10). Tant les résultats de la consultation que les conclusions de l'AIR plaident également pour un abandon du projet (ch. 2.5 et 2.2). Enfin, celui-ci n'est pas coordonné avec les travaux relatifs à la loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers, pourtant censée régler des questions connexes (ch. 2.6).

En cas d'entrée en matière, le Conseil fédéral estime qu'il sera indispensable d'examiner des alternatives à la Lex Koller comme base juridique pour les motifs exposés ci-après.

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Voir le rapport de la CEATE-N du 5 juillet 2022 présentant la synthèse des résultats de la consultation concernant l'initiative parlementaire 16.498 Badran Jacqueline, sous www.parlement.ch > Organes > Commissions thématiques > CEATE > Rapports et procédures de consultation des CEATE > 16.498.

FF 2023 1095 Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, RS 0.101.

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2.2

La modification proposée n'est pas nécessaire

L'AIR12 conclut qu'en pointant les rentes de monopole potentielles et la sauvegarde de la sécurité de l'approvisionnement, l'initiative parlementaire aborde des préoccupations justifiées d'un point de vue économique. Les auteurs de l'AIR rappellent qu'il existe déjà en Suisse un large éventail de réglementations qui répondent à ces préoccupations et estiment que ces réglementations et les exigences en matière de propriété suffisent. Selon eux, la mise en oeuvre de l'initiative parlementaire entraînerait une plus grande concentration du marché et une réduction de la concurrence. Les experts estiment que les effets sur la sécurité de l'approvisionnement et sur la concurrence seront faibles voire nuls, aucune des personnes interrogées ne voyant d'effets positifs dans ces deux domaines. L'impact sur l'attractivité de la place économique suisse et les effets sur la qualité des infrastructures sont eux aussi jugés plutôt négatifs. L'AIR conclut par ailleurs que la distinction voulue entre investisseurs suisses et investisseurs étrangers est difficile à justifier en ce qui concerne la sécurité de l'approvisionnement et les rentes de monopole. Les auteurs jugent qu'il vaudrait mieux laisser la propriété des infrastructures énergétiques critiques entièrement entre les mains de l'État. Cette solution risquerait cependant d'entraîner une dégradation de l'efficacité dynamique et constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté économique. Considérant qu'il n'est pas exclu qu'une mise en oeuvre via la lex Koller puisse être contournée assez facilement par le biais des accords de libre-échange, les auteurs de l'AIR concluent que le statu quo serait préférable à l'adaptation de la lex Koller.

La CEATE-N ne s'est pas prononcée sur les résultats de l'AIR et n'a pas expliqué pourquoi elle tenait malgré tout à maintenir son projet de modification de la lex Koller.

Le Conseil fédéral a réaffirmé à sa séance du 27 septembre 2019 son souhait d'ouvrir complètement le marché de l'électricité. Dans son message du 18 juin 2021 concernant la loi relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables13, il a en outre soumis au Parlement une proposition pour garantir que Swissgrid, la société nationale responsable du réseau de transport de l'électricité, reste majoritairement en
mains suisses (au moyen d'une participation majoritaire, directe ou indirecte, des cantons et des communes). Il est donc manifeste que le Conseil fédéral reconnaît lui aussi l'importance de la sécurité de l'approvisionnement, surtout à l'époque actuelle. Pour autant, il juge qu'il n'est pas nécessaire de restreindre les investissements en modifiant la lex Koller dans le but de garantir cette sécurité. La question, connexe, de l'examen des investissements devra être étudiée plus à fond dans le cadre de la motion 18.3021 Rieder (ch. 2.6).

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Disponible sous www.parlement.ch > Organes > Commissions thématiques > CEATE > Rapports et procédures de consultation > 16.498.

FF 2021 1666, p. 57 s., disponible sous www.parlement.ch > 21.047.

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2.3

Le choix de l'acte à modifier est inadéquat

La lex Koller a pour seul objet de limiter l'acquisition d'immeubles dans le but de prévenir l'emprise étrangère sur le sol suisse. De plus, la procédure d'autorisation qu'elle instaure est réglée à l'échelon cantonal. Le simple fait que le projet impliquerait la mise en place d'une procédure fédérale spécifique montre que soumettre les infrastructures du secteur énergétique à la lex Koller serait contraire tant à l'objet qu'à la systématique de la loi. Adapter la lex Koller dans le sens prévu consisterait en réalité à insérer une nouvelle loi dans la loi en vigueur, en lui donnant un but différent. Or la lex Koller actuelle est le résultat d'un processus législatif complexe, qui a débuté dans les années 1960 par des arrêtés fédéraux urgents; elle est entrée en vigueur en 1985 et a évolué au cours des décennies qui ont suivi pour atteindre sa forme actuelle. Étendre la loi à des secteurs qui n'ont rien à voir avec son but original revient non seulement à la dénaturer, mais pourrait aussi entraîner des modifications difficilement prévisibles dans son application. Le Conseil fédéral estime qu'il y a lieu de renoncer à modifier la LFAIE, pour des raisons d'abord de clarté, ensuite de sécurité du droit. Si le projet devait néanmoins être poursuivi, il conviendrait d'examiner d'autres options pour sa mise en oeuvre.

Modifier la LFAIE semble d'autant plus inadéquat que des doutes sérieux subsistent quant à la capacité des nouvelles dispositions à atteindre les objectifs visés (ch. 2.2 et 2.4).

2.4

Les mesures seraient faciles à éluder

Le Conseil fédéral approuve l'exemption du régime de l'autorisation prévue à l'art. 7, let. l, P-LAIIEpour éviter un conflit de normes entre le droit interne et les traités internationaux. Cette exception en faveur des engagements internationaux de la Suisse crée cependant aussi un risque de contournement du régime de l'autorisation mis en place. Pour les accords de libre-échange ici visés, c'est le siège étranger d'une société et son lieu principal d'activité économique qui est déterminant, et non les véritables ayants droit économiques. On ne cherche pas à savoir qui a une position dominante dans la société en question, c'est-à-dire qui peut, en raison de l'importance de sa participation financière, de l'étendue de son droit de vote ou pour d'autres raisons, exercer seul ou avec d'autres personnes une influence prépondérante sur l'administration ou la gestion de la société. Ces accords se distinguent donc de la lex Koller, qui prévoit qu'il est déterminant de savoir, pour une acquisition par une personne morale, quelles sont les personnes physiques qui en sont les ayants droit économiques. En raison des différences entre les deux approches, il sera facile de contourner la lex Koller: toute personne soumise au régime de l'autorisation qui fonde une société dans un État avec lequel la Suisse a conclu un accord de libre-échange et envers lequel la Suisse a pris des engagements en matière d'énergie, pourrait ­ si la société en question déploie son activité économique principale dans ledit État ­ invoquer l'art. 7, let. l, P-LAIIE, échapper ainsi au régime de l'autorisation et contourner de ce fait la lex Koller.

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Il serait par exemple possible que des ressortissants chinois fondent une société soumise au droit de Hong Kong et qu'ils acquièrent des infrastructures suisses du secteur énergétique si la nouvelle société, en tant qu'acquéreur, se prévaut de l'accord de libre-échange conclu entre la Suisse et Hong Kong et de l'exemption prévue à l'art. 7, let. l, P-LAIIE. Le régime de l'autorisation ne serait maintenu que si les dispositions d'exception figurant dans l'accord de libre-échange et portant sur les menaces graves pour l'ordre et de la sécurité publics étaient applicables. On peut se demander si l'exception à l'exception prévue dans le projet, à savoir le fait d'invoquer les dispositions dérogatoires figurant dans la convention internationale, permettrait réellement d'atteindre le but visé par le projet.

Le projet prévoit en outre que le Conseil fédéral dresse la liste des engagements internationaux de la Suisse qui sont pertinents. Le Conseil fédéral doute qu'une telle liste garantisse suffisamment la sécurité juridique et permette de réduire le nombre de procédures visant à obtenir une autorisation ou à faire constater le non-assujettissement au régime de l'autorisation.

Précisons enfin que n'a pas été étudiée à fond la question de savoir si l'assujettissement au régime de l'autorisation, qui interdit par principe la vente d'une société à des personnes à l'étranger ou le déplacement du siège de la société à l'étranger, influerait sur la valeur des investissements et si cela pourrait contrevenir aux engagements internationaux de la Suisse (notamment les accords de protection des investissements et le traité sur la Charte de l'énergie).

2.5

Les résultats de la consultation ne sont pas favorables au choix de la lex Koller

Sur les 91 avis reçus (dont 13 abstentions), 68 rejettent le projet tel que présenté, ce qui correspond à 75 % de tous les participants. Seuls 10 participants (dont 2 cantons, 2 partis, l'Association suisse des institutions de prévoyance et l'Union syndicale suisse), c'est-à-dire à peine 11 % des participants, approuvent le projet. Mais certains partisans du projet émettent eux aussi des réserves quant au choix de la lex Koller et proposent que le Parlement profite de la révision en cours de la loi sur l'énergie et de la loi sur l'approvisionnement en électricité pour régler la question.

Ils y a tout de même 28 participants, soit près d'un tiers (dont 18 cantons, un parti, la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie, la Conférence gouvernementale des cantons alpins, le Groupement suisse pour les régions de montagne), à approuver l'orientation donnée au projet, à savoir la volonté de protéger les infrastructures contre les rachats étrangers afin de garantir la sécurité de l'approvisionnement, mais à rejeter le recours à la lex Koller pour y parvenir. Ils proposent notamment les solutions ou approches suivantes: -

renforcer la sécurité de l'approvisionnement en améliorant le cadre général pour les investissements dans les énergies renouvelables, la rentabilité des installations, l'efficience énergétique et le stockage de l'énergie;

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-

clarifier la question de la propriété des infrastructures d'importance nationale de façon plus générale, dans une loi séparée ou en adaptant le droit sur l'énergie, certains participants souhaitant à cet égard une coordination avec la motion 18.3021 Rieder;

-

étendre la participation de l'État dans les infrastructures énergétiques;

-

renforcer l'indépendance de Swissgrid par rapport aux investissements étrangers.

Les 40 autres opposants (dont 6 cantons, 2 partis, 3 associations faîtières de l'économie, des représentants du secteur du gaz et de l'électricité, de l'industrie et des services, la Commission fédérale de l'électricité et la Commission de la concurrence) rejettent le projet en bloc. Ils avancent notamment les arguments suivants: ­

la lex Koller n'est pas l'instrument adapté pour atteindre les objectifs visés et implique une atteinte massive et disproportionnée à la garantie de la propriété et à la liberté économique;

­

il n'y a pas lieu d'agir car les infrastructures concernées sont en grande partie détenues par l'État et ne peuvent être soustraites au contrôle des pouvoirs publics;

­

la baisse du volume des investissements étrangers peut avoir des conséquences néfastes pour la sécurité de l'approvisionnement, l'attrait de la place économique suisse et la qualité des infrastructures;

­

les nouvelles dispositions entraîneront des charges administratives élevées mais seront faciles à contourner;

­

il y un risque de surréglementation sans garantie de réalisation des objectifs politiques visés, d'autant que le risque de voir les rentes de monopole ou les dividendes partir à l'étranger est nié ou jugé faible;

­

l'AIR elle-même conclut au caractère disproportionné de la réglementation proposée et recommande le statu quo.

Les résultats de la consultation témoignent d'un rejet clair et net de l'avant-projet, les critiques ciblant en particulier le choix de passer par la lex Koller.

La CEATE-N ne s'exprime pas dans son rapport du 28 mars 2023 sur les critiques formulées lors de la consultation contre le projet et notamment contre l'approche lex Koller. Elle considère que le projet qu'elle présente est cohérent et permettra d'atteindre les objectifs visés, et qu'il n'y a donc pas lieu de le modifier.

2.6

Il n'y a pas de coordination avec les travaux relatifs à une loi sur l'examen des investissements

En adoptant la motion 18.3021 Rieder «Protéger l'économie suisse en contrôlant les investissements», le Parlement a chargé le Conseil fédéral de créer les bases légales pour contrôler les investissements directs depuis l'étranger et en particulier pour mettre en place une autorité d'approbation chargée de contrôler les transactions vi-

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sées. Par suite, le Conseil fédéral a envoyé en consultation le 18 mai 2022 un avantprojet de loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers (AP-LEIE)14.

Le Conseil fédéral continue de penser qu'il vaudrait mieux renoncer à instaurer un examen des investissements étrangers. Selon son analyse, le dispositif législatif suffit et le rapport coût-avantage de cet examen serait défavorable. Comme il l'a déjà fait remarquer dans son rapport «Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements» du 13 février 2019 donnant suite aux postulats 18.3376 Bischof et 18.3233 Stöckli15, la participation majoritaire de l'État dans la plupart des infrastructures critiques et la législation en vigueur offrent déjà une protection appropriée contre les menaces pour l'ordre public et la sécurité de la Suisse16.

Lors de la consultation sur l'AP-LEIE, de nombreux participants se sont déclarés opposés à l'idée d'instaurer un examen des investissements. Ils ont demandé subsidiairement d'en restreindre le champ d'application. Une forte minorité était toutefois d'avis qu'il fallait au contraire légiférer et instaurer un tel examen des investissements.

Le Conseil fédéral a décidé le 10 mai 2023 de remettre l'ouvrage sur le métier en tenant compte des avis exprimés lors de la consultation. Estimant lui aussi qu'un examen des investissements fragiliserait l'économie, il préparera à cet égard un projet aussi ciblé que possible. Ledit examen ne devra s'appliquer que dans le cas où un investisseur public étranger reprendrait une entreprise suisse active dans un domaine particulièrement critique, comprenant l'essentiel de la production d'électricité et les réseaux électriques. Il présentera son message d'ici fin 2023.

Même si les deux projets ne se recouvrent pas tout à fait, ils traitent de questions connexes et il est tout à fait possible que l'examen des investissements contribue également à la sécurité de l'approvisionnement.

Pour que les compétences soient clairement définies, il est important que s'applique au secteur de l'énergie soit l'examen des investissements soit la lex Koller modifiée, mais non les deux projets à la fois. Il s'agira de ne pas perdre de vue cet impératif au cours des délibérations parlementaires.

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15 16

Voir le ch. 1.2 du rapport explicatif sur l'avant-projet de loi fédérale sur l'examen des investissement étrangers, disponible sous www.fedlex.admin.ch > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2022 > DEFR > Procédure de consultation 2022/29.

Disponible sous www.parlement.ch > 18.3376 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

Voir le ch. 1.1 du rapport explicatif sur l'avant-projet de loi fédérale sur l'examen des investissement étrangers, disponible sous www.fedlex.admin.ch > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2022 > DEFR > Procédure de consultation 2022/29. Voir aussi l'avis du Conseil fédéral du 16 mai 2018 sur la motion 18.3021 Rieder Beat «Protéger l'économie suisse en contrôlant les investissements», disponible sous www.parlament.ch > 18.3021.

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2.7

Les droits constitutionnels ne sont pas respectés

Le projet restreint gravement les droits de propriété des personnes qui possèdent déjà des droits tels qu'ils sont définis à l'art. 4b P-LAIIE. On peut se demander si l'intérêt public est suffisant pour justifier cette restriction et si les mesures prévues peuvent en conséquence être considérées comme proportionnées. On peut également se demander si le projet ne restreint pas de manière excessive la liberté économique de ressortissants et d'entreprises étrangers. L'intérêt public poursuivi (rente de monopole, protection des infrastructures stratégiques) est décrit de façon vague dans le rapport de commission; le degré de précision serait notamment insuffisant si l'objectif était uniquement de protéger l'économie suisse ou des intérêts fiscaux. S'agissant de la constitutionnalité du projet, la commission se limite à constater dans son rapport une atteinte aux droits fondamentaux précités, sans toutefois analyser plus à fond la question de sa proportionnalité.

2.8

La compatibilité avec le principe de légalité reste à vérifier

Le projet prévoit que l'acquisition d'une infrastructure stratégique du secteur énergétique par une personne à l'étranger sera autorisée uniquement si «elle sert les intérêts économiques de la Suisse ou ses intérêts en matière d'approvisionnement énergétique et qu'aucun intérêt supérieur du pays ne s'y oppose», élément qui est également repris dans le rapport de commission. Les intérêts économiques ou d'approvisionnement de la Suisse seraient un critère nouveau en droit constitutionnel et en droit administratif suisses, qu'il faudrait interpréter à différents égards en vérifiant notamment que ce critère, et avec lui le régime de l'autorisation, est compatible avec le principe de légalité. Si le projet de loi est adopté, il conviendra d'élaborer lors des délibérations parlementaires une définition plus précise des motifs d'autorisation, en tenant compte des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution (ch. 2.7).

2.9

Les voies de droit ne sont pas garanties

Le projet de loi proposé par la CEATE-N prévoit que le Conseil fédéral pourra prendre toutes les décisions pertinentes en lien avec l'acquisition d'infrastructures stratégiques du secteur énergétique et que ces décisions seront définitives.

Les décisions du Conseil fédéral à caractère éminemment politique ne peuvent être portées devant un tribunal (voir l'art. 189, al. 4, de la Constitution fédérale17). Selon la lex Koller, et en dérogation aux voies de droit usuelles, le Conseil fédéral constate, après avoir consulté le gouvernement cantonal intéressé, s'il s'agit d'une acquisition pour laquelle l'acquéreur est dispensé d'une autorisation en raison de l'intérêt supérieur de la Confédération, ou si l'autorisation doit être refusée parce que l'acquisition est contraire aux intérêts supérieurs du pays (voir l'art. 16 LFAIE).

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RS 101

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Le Conseil fédéral estime que les décisions qu'il prendra en application des nouvelles dispositions ne seront pas toutes, loin de là, des décisions ayant un caractère politique suffisant. Il pense notamment aux cas où il devra simplement constater si le régime de l'autorisation est applicable selon qu'il s'agit d'une infrastructure entrant dans le champ d'application de l'art. 4a, al. 1, P-LAIIEou que l'acquéreur est une personne à l'étranger au sens de l'art. 5 LFAIE. Des décisions de ce type devraient selon lui pouvoir faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

Le régime de l'autorisation et l'autorisation elle-même, de même que sa révocation, ont un effet direct sur des prétentions de droit civil (notamment sur la propriété). Conformément aux art. 6, al. 1, CEDH et 14, al. 1, du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques18, la personne concernée a droit dans ce cas à ce que sa cause soit entendue par un tribunal. La CEATE-N renvoie dans son rapport à l'art. 32, al. 1, let. a et e, de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF)19, or la let. a prévoit certes l'irrecevabilité du recours, mais uniquement «à moins que le droit international ne confère un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal», tandis que la let. e concerne des situations qui n'ont pas d'effet direct sur des droits concrets. L'art. 24a, al. 2, du projet de loi («Les décisions du Conseil fédéral sont définitives.») viole par conséquent les art. 6 CEDH et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Si le Conseil national devait adopter le projet, il conviendrait notamment encore de mener une réflexion sur la procédure d'autorisation en vue des débats parlementaires ultérieurs. La charge administrative pour l'administration fédérale dépendra en effet des modalités du régime de l'autorisation et de la répartition des tâches au sein de la Confédération. Or, cette question n'a pas encore été abordée, même si certaines tâches pourront être dévolues à l'Office fédéral de l'énergie. Quels que soient les services sollicités, la mise en oeuvre requerra des ressources supplémentaires, notamment humaines. Si l'on tient compte, en plus, des tâches administratives liées à la procédure de constatation mentionnée plus haut (voir aussi le ch. 2.10) et à l'obligation de communiquer au sens de l'art. 24i P-LAIIE, plusieurs postes à plein temps devront être créés.

2.10

La mise en oeuvre serait possiblement inadéquate

Autre point à prendre en considération: le nombre des procédures d'autorisation dans lesquelles le Conseil fédéral est censé intervenir pourrait être très élevé. Selon le projet, le Conseil fédéral ne devra pas seulement statuer sur la délivrance d'une autorisation ­ ou son refus ­ en cas d'acquisition d'infrastructures stratégiques du secteur énergétique, mais il devra également traiter de nombreuses demandes visant à faire constater que l'acquisition n'est pas soumise au régime de l'autorisation (art. 17, al. 1, P-LAIIE). Ces demandes seront déposées par les parties, qui voudront exclure tout risque administratif, civil ou pénal. Il serait peu judicieux de faire endosser ces compétences au Conseil fédéral.

18 19

RS 0.103.2 RS 172.32

11

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L'obligation de communiquer visée à l'art. 24i P-LAIIEsemble compliquée et entraînera une charge inutile tant pour les entreprises concernées que pour l'administration.

Au cas où il serait entré en matière sur le projet, il conviendrait de limiter l'obligation de communiquer aux cas d'aliénation pertinents. La définition de l'acquisition d'infrastructures stratégiques à l'art. 4b P-LAIIEet le rétablissement de l'état antérieur au sens de l'art. 27a P-LAIIEsont eux aussi sujets à une surréglementation qu'il y aurait lieu d'élaguer lors des débats parlementaires.

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Proposition du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de ne pas entrer en matière sur le projet de loi présenté par la CEATE-N.

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