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23.047 Message concernant la révision partielle de la loi sur les cartels du 24 mai 2023

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet d'une modification de la loi sur les cartels et autres restrictions à la concurrence, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous proposons simultanément de classer les interventions parlementaires suivantes: 2018

M 16.4094

Améliorer la situation des PME dans les procédures de concurrence (E 27.9.17, Fournier; N 5.3.18)

2021

M 18.4282

La révision de la loi sur les cartels doit prendre en compte des critères tant qualitatifs que quantitatifs pour juger de l'illicéité d'un accord (E 15.12.20, Français; N 1.6.21)

2022

M 21.4189

Préserver le principe de l'instruction. Le fardeau de la preuve ne doit pas être renversé dans la loi sur les cartels (E 15.12.21, Wicki; N 9.6.22)

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

24 mai 2023

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2023-1572

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Condensé Le projet de révision partielle de la loi sur les cartels vise à améliorer l'efficacité de cette dernière. Il prévoit une modernisation du contrôle des concentrations, le renforcement du droit civil des cartels et l'amélioration de la procédure d'opposition.

Il permet par ailleurs de répondre à plusieurs interventions parlementaires transmises au Conseil fédéral.

Contexte La loi sur les cartels (LCart) préserve et promeut l'efficacité de la concurrence. Sur le plan matériel, la LCart repose sur trois piliers: la lutte contre les accords illicites entre entreprises (art. 5 LCart), la lutte contre les pratiques abusives d'entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif (art. 7 LCart) et le contrôle des opérations de concentration potentiellement nuisibles à la concurrence (art. 9 LCart). La révision partielle de la LCart, entrée en vigueur le 1er avril 2004, avait pour but d'améliorer l'application de la LCart, notamment par l'instauration de sanctions directes, la mise en place d'un programme de clémence et la possibilité de mener des perquisitions. En 2012, le Conseil fédéral a proposé une révision de la LCart sur la base de l'évaluation de la loi prévue par le législateur à l'art. 59a LCart.

Cette révision a toutefois échoué au Parlement en 2014.

Contenu du projet La révision proposée comprend, d'une part, des éléments techniques peu contestés de la révision de la LCart de 2012, qui visent à rapprocher la législation suisse des normes internationales et à améliorer l'efficience des procédures administratives.

Elle intègre, d'autre part, des propositions de mise en oeuvre avancées dans des interventions parlementaires transmises au Conseil fédéral.

La modernisation du contrôle des concentrations en Suisse est au coeur du projet de révision. En passant du test de dominance qualifiée en vigueur au test SIEC (Significant Impediment to Effective Competition), appliqué par tous les États membres de l'UE, la norme de contrôle de la Commission de la concurrence (COMCO) sera alignée sur la pratique internationale. La différence fondamentale entre le test de dominance qualifiée, appliqué jusqu'ici en Suisse, et le test SIEC prévu tient au seuil d'intervention. Le test SIEC permet d'interdire des concentrations de manière plus ciblée ou de les soumettre à des charges
ou à des conditions appropriées lorsqu'elles entravent de manière significative une concurrence efficace. Le projet prévoit également une simplification de l'obligation de notifier les concentrations au niveau européen et une réglementation des prolongations de délai lors de l'ouverture de la procédure d'examen.

Le renforcement du droit civil des cartels constitue un autre volet du projet. La légitimation active (qualité pour agir) est étendue à toutes les personnes touchées par une restriction illicite à la concurrence, en particulier aux consommateurs et aux pouvoirs publics. Le projet inclut en outre la suspension de la prescription applicable aux actions civiles découlant d'une restriction illicite à la concurrence jusqu'à ce que la décision de la COMCO soit entrée en force, et le droit de faire constater l'illicéité 2 / 60

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d'une restriction à la concurrence. Enfin, il crée la possibilité de réduire a posteriori la sanction administrative ­ ou d'en restituer une partie ­ lorsque des prestations ont été versées spontanément à la personne lésée à titre de réparation.

Le projet vise par ailleurs à améliorer la procédure d'opposition en l'adaptant mieux à la pratique. Tout d'abord, l'entreprise n'encourt plus aucun risque de sanction directe pour une pratique annoncée si les autorités en matière de concurrence n'ouvrent pas d'enquête dans le délai imparti. Ensuite, ce délai est raccourci à deux mois, au lieu de cinq.

Conformément à la décision du Parlement du 5 mars 2018, deux demandes formulées dans la motion Fournier 16.4094 («Améliorer la situation des PME dans les procédures de concurrence») sont prises en considération dans le projet. Elles concernent les procédures administrative et judiciaire relatives au droit des cartels. Il s'agit, premièrement, d'accélérer ces procédures grâce à l'introduction de délais d'ordre et, deuxièmement, de prévoir une allocation de dépens pour la procédure administrative de première instance devant la COMCO.

Le 1er juin 2021, le Parlement a également adopté la motion Français 18.4282 («La révision de la loi sur les cartels doit prendre en compte des critères tant qualitatifs que quantitatifs pour juger de l'illicéité d'un accord»). Trois modifications ont été apportées à la loi pour exécuter ce mandat: premièrement, le projet précise que les conventions de consortiums ne sont pas considérées comme des accords en matière de concurrence. Deuxièmement, il précise que l'appréciation du caractère notable de l'accord en matière de concurrence doit reposer à la fois sur des critères qualitatifs et sur des critères quantitatifs. Troisièmement, les autorités en matière de concurrence ont la possibilité de renoncer à une enquête ou de mettre fin à une enquête en cours si les faits semblent indiquer une infraction légère, ce qui inscrit expressément dans la loi le principe de l'opportunité des poursuites pour les infractions légères.

Enfin, le projet de LCart prévoit des règles relatives à la maxime de l'instruction, à la présomption d'innocence et au fardeau de la preuve, et met ainsi en oeuvre la motion Wicki 21.4189 («Préserver le principe de l'instruction. Le fardeau de la preuve ne doit pas être renversé dans la loi sur les cartels»), transmise au Conseil fédéral le 9 juin 2022.

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Table des matières Condensé

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1

6 6 6 7 7

2

Contexte 1.1 Nécessité d'agir et objectifs visés 1.1.1 Évaluation de la loi sur les cartels et révision de 2012 1.1.2 Développements depuis 2012 1.1.2.1 Évolution des marchés vers le numérique 1.1.2.2 Accord de coopération avec l'Union européenne et l'Allemagne 1.1.2.3 Initiative pour des prix équitables 1.1.3 Objets de la présente révision 1.1.3.1 Propositions du Conseil fédéral 1.1.3.2 Mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094 1.1.3.3 Mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 1.1.3.4 Mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189 1.1.4 Interventions parlementaires pendantes 1.2 Solutions étudiées et solution retenue 1.3 Relation avec le programme de la législature et avec les stratégies du Conseil fédéral 1.4 Classement d'interventions parlementaires

8 8 9 9 10 10 10 11 11 12 12

Procédure de consultation 2.1 Projet envoyé en consultation 2.2 Aperçu des résultats de la procédure de consultation 2.3 Modification découlant de la procédure de consultation 2.4 Demandes issues de la consultation non retenues dans le projet 2.5 Motion Wicki 21.4189 2.6 Réforme des autorités en matière de concurrence (réforme institutionnelle)

12 12 13 13 14 17

3

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

18

4

Présentation du projet 4.1 Réglementation proposée 4.1.1 Modernisation du contrôle des concentrations 4.1.2 Renforcement du droit civil des cartels 4.1.3 Amélioration de la procédure d'opposition 4.1.4 Introduction de délais d'ordre dans les procédures administratives (mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094) 4.1.5 Allocation de dépens dans les procédures administratives (mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094) 4.1.6 Révision des art. 4, 5 et 27 LCart (mise en oeuvre de la motion Français 18.4282)

20 20 20 22 24

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17

25 25 26

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4.1.7

4.2 4.3

Inscription dans la LCart de la maxime de l'instruction, de la présomption d'innocence et du fardeau de la preuve (mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189) Adéquation des moyens requis Mise en oeuvre

30 32 32

5

Commentaire des dispositions

33

6

Conséquences 6.1 Conséquences pour la Confédération 6.2 Conséquences pour les cantons, les communes, les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne 6.3 Conséquences économiques 6.3.1 Conséquences pour les différents acteurs économiques 6.3.2 Conséquences pour l'économie dans son ensemble 6.4 Conséquences sociales 6.5 Conséquences environnementales 6.6 Autres conséquences

53 53

Aspects juridiques 7.1 Constitutionnalité 7.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 7.3 Forme de l'acte à adopter 7.4 Frein aux dépenses 7.5 Conformité aux principes de subsidiarité et d'équivalence fiscale 7.6 Conformité à la loi sur les subventions 7.7 Délégation de compétences législatives 7.8 Protection des données

59 59 60 60 60 60 60 60 60

7

55 55 55 59 59 59 59

Loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (Loi sur les cartels, LCart) (Projet) FF 2023 1464

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Message 1

Contexte

1.1

Nécessité d'agir et objectifs visés

1.1.1

Évaluation de la loi sur les cartels et révision de 2012

La loi du 6 octobre 1995 sur les cartels (LCart)1 trouve notamment son origine dans le programme de «régénération de l'économie de marché» lancé par le Conseil fédéral suite au refus de la Suisse d'entrer dans l'Espace économique européen (EEE) en 19922. L'objectif était d'améliorer les conditions-cadre de la place économique suisse en instaurant une LCart renforcée3. La révision totale de la LCart en 1995 a redéfini fondamentalement l'orientation du droit suisse de la concurrence, afin de stimuler une concurrence efficace. Sur le plan matériel, la LCart de 1995 repose sur trois piliers: la lutte contre les accords illicites entre entreprises (art. 5 LCart), la lutte contre les pratiques illicites d'entreprises ayant une position dominante (art. 7 LCart) et le contrôle des concentrations (art. 10 LCart).

La révision partielle de la LCart, entrée en vigueur le 1er avril 2004, avait pour but de parfaire le changement de paradigme annoncé dans la révision de 1995, notamment par l'instauration de sanctions directes, la mise en place d'un programme de clémence et la possibilité de mener des perquisitions.

En 2012, le Conseil fédéral a proposé une révision de la LCart4 sur la base de l'évaluation de la loi prévue par le législateur à l'art. 59a LCart5. L'évaluation concluait que les nouveaux instruments créés en 2004 avaient fait leurs preuves, mais elle soulignait également la nécessité d'une nouvelle révision à plusieurs égards. Le Conseil fédéral a donc soumis au Parlement un projet de loi comprenant la modification de plusieurs dispositions, comme l'interdiction légale prévue à l'art 5 LCart de cinq types d'accords particulièrement nuisibles, avec possibilité de justification (dernier élément ajouté au projet de révision de l'époque), la modernisation du contrôle des concentrations, le développement modéré du droit civil des cartels, l'amélioration de la procédure d'opposition et la prise en compte de programmes de conformité mis en place par les entreprises dans la détermination de la sanction6. La proposition de réforme 1 2 3 4

5 6

RS 251 Message du 24 février 1993 sur le programme consécutif au rejet de l'Accord EEE (FF 1993 I 757).

Message du 23 novembre 1994 concernant la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (FF 1995 I 472) (ci-après «message de 1995 sur la LCart»).

Cf. notamment rapport du 25 mars 2009 fondé sur l'art. 59a de la loi sur les cartels concernant l'évaluation de la loi sur les cartels et propositions concernant la suite à donner au dossier, disponible sur www.comco.admin.ch > Législation et documentation > Évaluation de la loi sur les cartels.

Message du 22 février 2012 relatif à la révision de la loi sur les cartels et à une loi sur l'organisation de l'autorité de la concurrence (FF 2012 3631).

Ce dernier point était une exigence de la motion 07.3856 Schweiger «Droit des cartels.

Équilibrer le dispositif des sanctions et le rendre plus efficace», transmise par le Parlement le 21 septembre 2010.

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institutionnelle des autorités en matière de concurrence, soit de la Commission de la concurrence (COMCO) et de son secrétariat (réforme institutionnelle), était l'un des principaux éléments du projet de loi. Alors que le Conseil des États avait décidé d'entrer en matière sur ce projet de révision le 21 mars 2013, le 17 septembre 2014, le Conseil national a confirmé sa décision initiale du 6 mars 2014 de ne pas entrer en matière. La révision n'a ainsi pas abouti. L'échec de la révision s'explique en partie par le fait qu'elle était trop ambitieuse. La réforme institutionnelle et la révision de l'art. 5 LCart ont été parmi les points les plus controversés.

1.1.2

Développements depuis 2012

1.1.2.1

Évolution des marchés vers le numérique

La numérisation rapide de l'économie a un impact potentiel majeur sur la concurrence et pose de nouveaux défis pour la réglementation ou son application. Plusieurs facteurs, comme les effets de réseau importants, les coûts variables faibles, les coûts fixes élevés et l'importance des données utilisateurs pour l'offre de prestations, sont susceptibles de favoriser une forte concentration du marché.

Le Conseil fédéral s'est penché sur les défis qui en découlent pour la politique de la concurrence dans un rapport publié en 20177. Il concluait que les principes fondamentaux du droit de la concurrence en Suisse restaient valables dans un monde toujours plus numérisé et soulignait que les dispositions de la LCart étaient formulées de manière suffisamment ouverte pour s'adapter à l'évolution des marchés, une appréciation qu'il a récemment confirmée8. La question du contrôle des concentrations a néanmoins été pointée en 2017 comme étant sujette à discussion. En particulier, l'examen de la nécessité de modifier les seuils d'intervention afin que les autorités en matière de concurrence puissent contrôler les concentrations et acquisitions de plateformes ou d'entreprises en ligne encore «jeunes», et la modernisation du test appliqué pour le contrôle des concentrations semblaient pertinents.

Après avoir examiné ces questions, le Conseil fédéral est d'avis que le passage à un test plus moderne pour le contrôle des concentrations est judicieux, notamment dans le contexte de la numérisation. Cela permettra également d'interdire ou d'autoriser, à certaines conditions, des concentrations qui n'ont pas pour effet de créer ou de renforcer une position dominante mais qui sont susceptibles d'entraver de manière notable la concurrence efficace, sans apporter de gains d'efficacité en contrepartie (cf. ch. 4.1.1). Par ailleurs, un test plus moderne donnerait la possibilité de mieux prendre en considération les particularités des marchés numériques. Cependant, le Conseil fédéral ne voit pas de nécessité pour la Suisse de modifier ses dispositions légales spécifiquement pour les plateformes et entreprises en ligne.

7

8

Rapport du Conseil fédéral du 11 janvier 2017 sur les principales conditions-cadre pour l'économie numérique, p. 158 ss; disponible sur www.seco.admin.ch > Situation économique & politique économique > Politique économique > Numérisation.

Rapport du Conseil fédéral du 9 décembre 2022 «Numérisation: champs d'action de la politique économique»; disponible sur www.seco.admin.ch > Situation économique & politique économique > Politique économique > Numérisation.

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1.1.2.2

Accord de coopération avec l'Union européenne et l'Allemagne

L'accord du 17 mai 2013 entre la Confédération suisse et l'UE concernant la coopération en matière d'application de leurs droits de la concurrence9 (ci-après «accord de coopération CH-UE») est entré en vigueur le 1er décembre 2014. Il permet une coopération plus étroite entre la COMCO et l'autorité de la concurrence de l'Union européenne. Les deux autorités ont ainsi la possibilité de se notifier et de coordonner leurs mesures d'application et d'échanger des informations. À des conditions strictes, elles peuvent également échanger des informations confidentielles nécessaires à la conduite d'une enquête10. Parallèlement à l'entrée en vigueur de l'accord, un nouvel art. 42b a dû être inscrit dans la LCart au sujet de l'échange d'informations confidentielles.

La Suisse et l'Allemagne ont signé un accord sur la coopération des autorités de concurrence le 1er novembre 202211. À l'instar de l'accord entre la Suisse et l'UE, il permet à la COMCO et à son secrétariat ainsi qu'à l'Office fédéral des ententes allemand (Bundeskartellamt) d'appliquer efficacement le droit de la concurrence dans les affaires transfrontalières, ce qui contribue à une meilleure protection de la concurrence dans les deux pays. Le Parlement a approuvé l'accord le 17 mars 202312. Le délai référendaire court jusqu'au 6 juillet 2023. Si aucun référendum n'est lancé, l'accord entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date de la dernière notification (cf. art. 16, al. 1), soit au plus tôt le 1er septembre 2023.

1.1.2.3

Initiative pour des prix équitables

La LCart a été modifiée le 1er janvier 2022 à la suite de l'initiative populaire fédérale «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)», déposée le 12 décembre 2017. Cette initiative visait à renforcer la compétitivité internationale des entreprises établies en Suisse et à lutter contre l'îlot de cherté suisse, ce pour quoi le concept de «pouvoir de marché relatif» a été introduit dans la LCart, tout comme une obligation de livraison pour certaines entreprises13. Les possibilités d'intervention au titre du deuxième pilier de la LCart, soit le contrôle des abus, ont été adaptées en conséquence. Les règles relatives à l'abus de position dominante s'appliquent depuis aussi aux cas de pouvoir de marché relatif. Le libellé de l'art. 7 LCart a été modifié dans ce sens. L'abus d'un pouvoir de marché relatif n'est toutefois pas passible de sanction directe.

9 10

11

12 13

RS 0.251.268.1 Cf. message du 22 mai 2013 relatif à l'approbation de l'accord entre la Suisse et l'Union européenne concernant la coopération en matière d'application de leurs droits de la concurrence (FF 2013 3477).

Cf. Communiqué du Conseil fédéral du 1er novembre 2022, disponible sur www.admin.ch > Documentation > Communiqués > «La Suisse et l'Allemagne souhaitent coopérer plus étroitement en matière de concurrence».

FF 2023 60 p. 794 L'initiative pour des prix équitables souhaite en outre garantir un commerce en ligne non discriminatoire en instaurant une interdiction de principe du blocage géographique privé.

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Jugeant que les mesures proposées par l'initiative allaient trop loin, le Conseil fédéral avait élaboré un contre-projet indirect à cette initiative14. Il prévoyait une modification de la LCart intégrant la notion de «pouvoir de marché relatif» proposée par l'initiative, mais limitait son champ d'application aux cas de cloisonnement du marché suisse.

Le Parlement a quant à lui élaboré un contre-projet indirect qui reprenait en grande partie les exigences de l'initiative. Les deux conseils l'ont adopté le 19 mars 202115.

Après le retrait conditionnel de l'initiative le 25 mars 202116, le délai référendaire s'appliquant au contre-projet indirect n'a pas été utilisé. Le texte révisé est entré en vigueur le 1er janvier 2022.

1.1.3

Objets de la présente révision

1.1.3.1

Propositions du Conseil fédéral

Après l'échec de la révision de la LCart en 2012, le Conseil fédéral reste d'avis qu'une révision partielle de la loi dans certains domaines serait nécessaire pour renforcer l'efficacité et la mise en oeuvre des dispositions du droit des cartels. Il avait déjà proposé de procéder à une révision du contrôle des concentrations dans le cadre du projet de 2012; le Conseil des États et la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) y étaient favorables. Rien n'a changé depuis: le système de contrôle en vigueur tient trop peu compte des effets des concentrations, que ceux-ci soient positifs ou négatifs. Il serait donc judicieux de remplacer le test de dominance qualifiée appliqué actuellement par la COMCO par le test SIEC (Significant Impediment to Effective Competition), internationalement reconnu. Le test SIEC permet d'interdire des concentrations de manière plus ciblée ou de les soumettre à des charges ou à des conditions appropriées lorsqu'elles entravent notablement la concurrence, en particulier si elles créent ou renforcent une position dominante. Il tient également mieux compte des gains d'efficacité souhaités que les règles en vigueur en matière de contrôle des concentrations. Outre la modernisation du contrôle des concentrations, le projet inclut deux éléments de réforme peu controversés lors de la révision de la LCart de 2012, à savoir le renforcement du volet civil du droit des cartels et l'amélioration de la procédure d'opposition. Le renforcement du volet civil du droit des cartels permet d'améliorer l'efficacité et l'application de la LCart. Les modifications apportées à la procédure d'opposition réduisent le risque qu'il soit renoncé à des pratiques qui n'auraient pas d'incidences néfastes sur la concurrence seulement par crainte de procédures et de sanctions au titre du droit des cartels.

14

15 16

Message du 29 mai 2019 relatif à l'initiative populaire «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» et au contre-projet indirect (modification de la loi sur les cartels) (FF 2019 4665).

Arrêté fédéral du 19 mars 2021 relatif à l'initiative populaire «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» (FF 2021 49 p. 663).

FF 2021 55 p. 758

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1.1.3.2

Mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094

Le 5 mars 2018, le Parlement a adopté partiellement la motion Fournier 16.4094 «Améliorer la situation des PME dans les procédures de concurrence». Celle-ci formule quatre exigences: (1) simplifier et accélérer les procédures judiciaires par l'inscription de délais dans la législation; (2) réglementer la communication d'informations en cours de procédure et ne publier les décisions de la COMCO qu'après leur entrée en force; (3) garantir la proportionnalité des sanctions en cas d'accords illicites, en tenant compte de façon adéquate de la taille de l'entreprise et de sa capacité à assumer les sanctions; (4) prévoir le droit à une allocation de dépens pour les parties à toutes les étapes de la procédure administrative. Alors que le Conseil fédéral proposait le rejet de la motion, le Conseil des États l'a adoptée le 27 septembre 2017.

Le 5 mars 2018, le Conseil national a quant à lui voté séparément sur les quatre exigences de la motion. Il a adopté le premier et le quatrième point, à savoir l'introduction de délais au niveau légal et l'allocation de dépens dans le cadre des procédures administratives, et rejeté les deux autres points. Le projet de révision de la LCart intègre une proposition visant à répondre aux exigences formulées dans la partie de la motion qui a été transmise.

1.1.3.3

Mise en oeuvre de la motion Français 18.4282

La motion Français 18.4282 «La révision de la loi sur les cartels doit prendre en compte des critères tant qualitatifs que quantitatifs pour juger de l'illicéité d'un accord» demande de «clarifier» l'art. 5 LCart afin de garantir que ces deux types de critères soient pris en compte dans l'examen de l'illicéité d'un accord. Son dépôt fait suite à l'arrêt du Tribunal fédéral (TF) du 28 juin 2016 dans la cause Gaba17. Le Conseil fédéral avait proposé le rejet de la motion. Cette dernière a été adoptée par le Conseil des États le 15 décembre 2020 et par le Conseil national le 1er juin 2021. Une proposition de mise en oeuvre a été intégrée au présent projet de révision.

1.1.3.4

Mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189

La motion Wicki 21.4189 «Préserver le principe de l'instruction. Le fardeau de la preuve ne doit pas être renversé dans la loi sur les cartels» demande que la LCart soit modifiée de sorte que le principe de la présomption d'innocence garanti par la Constitution soit également respecté dans ce domaine, et ce notamment par le renforcement de la maxime de l'instruction. Le Conseil fédéral avait proposé le rejet de la motion, laquelle a néanmoins été adoptée par le Conseil des États le 15 décembre 2021 et par le Conseil national le 9 juin 2022. Une proposition de mise en oeuvre a été intégrée au projet de révision à l'issue de la procédure de consultation (cf. ch. 2.5).

17

ATF 143 II 297

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1.1.4

Interventions parlementaires pendantes

Trois interventions parlementaires en lien avec le droit des cartels sont pendantes au Parlement et n'ont pas encore été traitées. En fonction des délibérations parlementaires, celles-ci pourraient également exiger une révision de la LCart.

La motion Gugger 22.3838 «Protection contre l'introduction unilatérale du modèle de l'agence sur le marché automobile» a été déposée au Conseil national le 17 juin 2022.

Son auteur demande une modification de la LCart afin de rendre plus difficile la résiliation par le constructeur de contrats de vendeur ou de contrats d'atelier. Il demande en outre des adaptations dans l'application des dispositions de la LCart afin qu'elle continue de s'appliquer aux rapports entre les constructeurs/importateurs de voitures automobiles et les garagistes en cas d'introduction du modèle de l'agence ou de la distribution directe. Le Conseil fédéral propose le rejet de la motion. Cette dernière n'a pas encore été traitée par le Parlement.

La motion Rechsteiner 22.4404 «Accélérer les procédures pour accroître la sécurité juridique» a été déposée au Conseil national le 14 décembre 2022. L'auteur demande une modification de la LCart pour que les enquêtes menées dans les procédures de droit cartellaire ne durent pas plus d'un an, autrement dit que la phase de décision de la COMCO débute un an au plus tard après la date de l'ouverture de l'enquête par son secrétariat. Sur demande de son secrétariat, la COMCO devrait pouvoir prolonger ce délai d'une année au plus. Le Conseil fédéral propose le rejet de la motion. Cette dernière n'a pas encore été traitée par le Parlement.

La motion Français 23.3224 «Réforme institutionnelle de la commission de la concurrence» a été déposée au Conseil des États le 16 mars 2023. L'auteur de la motion demande une révision des autorités en matière de concurrence. Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion, car le lendemain du dépôt de la motion, le 17 mars 2023, il a chargé le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) de lui soumettre un projet de réforme correspondant au premier trimestre 2024 (cf. ch. 2.6). Le Parlement n'a pas encore traité la motion.

1.2

Solutions étudiées et solution retenue

La modernisation du contrôle des concentrations, le renforcement du volet civil du droit des cartels et l'amélioration de la procédure d'opposition constituent des modifications techniques de réglementations existantes de la LCart. Il n'y a pas d'autre solution pour atteindre ces buts.

Les motions transmises ont été mises en oeuvre de manière très proche du texte des motions. La motion Français 18.4282 et la motion Wicki 21.4189 demandaient explicitement une modification de la LCart. Dans la motion Fournier 16.4094, il est question de la modification des bases juridiques en matière de concurrence. Il est donc indiqué de mettre en oeuvre ces trois motions dans la LCart.

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1.3

Relation avec le programme de la législature et avec les stratégies du Conseil fédéral

Le présent projet est annoncé dans le message du 29 janvier 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202318. La réglementation proposée n'affecte ni le plan financier ni les stratégies du Conseil fédéral.

1.4

Classement d'interventions parlementaires

Le projet répond entièrement aux exigences énoncées dans la partie de la motion Fournier 16.4094 qui a été transmise, d'une part, en établissant des délais d'ordre dans la LCart et, d'autre part, en instaurant l'allocation de dépens dans les procédures administratives de première instance devant la COMCO. La demande formulée dans la motion Français 18.4282 est entièrement satisfaite par la modification de la notion de «caractère notable» et par les nouvelles règles relatives aux consortiums et aux infractions légères. Enfin, l'exigence énoncée dans la motion Wicki 21.4189 est elle aussi entièrement satisfaite par l'inscription explicite de principes procéduraux dans la LCart. Le Conseil fédéral demande donc le classement de ces trois motions.

2

Procédure de consultation

Le Conseil fédéral a chargé le DEFR de mener la procédure de consultation relative à la révision partielle de la LCart du 24 novembre 2021 au 11 mars 2022. L'invitation à prendre part à la consultation a été adressée aux gouvernements des 26 cantons, à 11 partis politiques, à 3 associations faîtières des communes, des villes et des régions de montagne, à 8 associations économiques faîtières et à 17 autres milieux et organisations intéressés.

2.1

Projet envoyé en consultation

Le projet envoyé en consultation comprenait des propositions visant à moderniser le contrôle des concentrations, à renforcer le volet civil du droit des cartels et à améliorer la procédure d'opposition. Il intégrait également des propositions pour la mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094 et de la motion Français 18.4282 ainsi que des propositions de modifications mineures concernant la possibilité de fouilles de personnes et la future évaluation de la LCart.

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2.2

Aperçu des résultats de la procédure de consultation

Au total, 79 prises de position ont été reçues dans le cadre de la consultation19. Certes, seules quelques prises de position étaient explicitement et sans réserve favorables au projet. Une majorité d'entre elles l'ont toutefois approuvé sur le fond ou ont renoncé à une évaluation globale. Le projet a été explicitement rejeté par 9 participants; le PLR.Les libéraux-radicaux a été le seul parti à s'y opposer.

La modernisation du contrôle des concentrations, le renforcement du volet civil du droit des cartels et l'amélioration de la procédure d'opposition sont des éléments qui ont été peu controversés. Les modifications proposées n'ont été rejetées que par quelques participants, dont un seul parti politique, l'UDC. La nécessité d'améliorer la procédure d'opposition a fait l'unanimité. Plusieurs participants ont toutefois rejeté les améliorations proposées, les jugeant insuffisantes.

La mise en oeuvre proposée de la motion Français 18.4282 a en revanche été controversée. Certains participants ont rejeté la proposition consistant à prendre en considération des critères à la fois qualitatifs et quantitatifs dans l'évaluation du caractère notable de l'atteinte. Ils préconisent de mettre en oeuvre la motion par une formulation précisant que les consortiums nécessaires pour faire face à la concurrence ne constituent pas des accords en matière de concurrence. Certains participants à la consultation ont suggéré qu'une telle réglementation pourrait être complétée en prévoyant à l'art. 27 LCart la possibilité pour la COMCO de renoncer à ouvrir une enquête en cas d'infraction légère. De nombreux participants ont en revanche demandé une mise en oeuvre plus proche du texte de la motion.

Enfin, 21 participants se sont dits favorables à une réforme institutionnelle et 9 participants ont demandé l'inclusion d'une base légale prévoyant que le respect des mesures de conformité permette de réduire les sanctions.

2.3

Modification découlant de la procédure de consultation

Mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 Afin de répondre aux préoccupations relatives à la constitution de consortiums et au traitement des infractions légères par la COMCO, trois modifications sont apportées par rapport au projet mis en consultation. Premièrement, le libellé de l'art. 5, al. 1bis, AP-LCart est modifié (remplacement de «et» par «tant... que»). Cette modification, qui fait suite à certaines demandes formulées lors de la consultation (en particulier par l'Union suisse des arts et métiers [USAM]), vise à préciser que l'examen du caractère notable de l'atteinte pour les accords en matière de concurrence tient compte d'aspects quantitatifs en plus des aspects qualitatifs. Cette nouvelle formulation n'implique toutefois pas de changement matériel par rapport au projet mis en consultation. Deuxièmement, une disposition est introduite à l'art. 4, al. 1bis, P-LCart, afin d'indiquer clairement au niveau de la loi que les consortiums qui permettent ou renforcent la 19

Rapport disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2021 > DEFR.

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concurrence efficace ne constituent pas des accords en matière de concurrence. Le Centre, le PS, la Fondation pour la protection des consommateurs et la COMCO avaient demandé une telle précision dans le cadre de la procédure de consultation.

Troisièmement, un nouvel art. 27, al. 1bis, P-LCart est créé, afin d'inscrire dans la loi le principe de l'opportunité en cas d'infraction légère (comme l'avaient proposé le PS et la COMCO) et éviter ainsi que les autorités en matière de concurrence ne doivent se saisir de cas insignifiants (aussi bien au titre de l'art. 5 que de l'art. 7 LCart).

Amélioration de la procédure d'opposition La procédure d'opposition (art. 49a, al. 4, P-LCart) a été rendue plus favorable à l'innovation qu'elle ne l'était dans le projet mis en consultation. Selon le P­LCart, une pratique annoncée n'est passible de sanction que si la COMCO ouvre une enquête au titre de l'art. 27 LCart dans le délai imparti (inchangé par rapport au projet mis en consultation). Dans le projet mis en consultation, il était encore prévu qu'outre l'ouverture d'une enquête dans le délai imparti, l'ouverture d'une enquête préalable selon l'art. 26 LCart dans le délai imparti pouvait également faire renaître le risque de sanction. En d'autres termes, le risque de sanction aurait été réactivé dès lors que la COMCO, après l'ouverture d'une enquête préalable (dans le délai imparti), aurait ouvert une enquête (potentiellement après le délai imparti). Plusieurs participants ont formulé la critique que le seul risque de voir le risque de sanction réactivé suffirait à dissuader les entreprises de mettre en oeuvre une pratique annoncée, dès lors que des investissements seraient impliqués. C'est la raison pour laquelle le projet prévoit que dans tous les cas où la COMCO n'aura pas ouvert d'enquête dans le délai imparti, la pratique annoncée ne sera ­ définitivement ­ plus passible de sanction directe.

2.4

Demandes issues de la consultation non retenues dans le projet

Demandes relatives à la définition d'un accord en matière de concurrence Certains participants ont demandé une mise en oeuvre bien plus stricte de la motion Français 18.4282. Ils ont par exemple demandé que la définition d'un accord en matière de concurrence selon l'art. 4, al. 1, LCart soit modifiée, de sorte que, premièrement, seuls les accords effectivement mis en oeuvre soient considérés comme des accords en matière de concurrence et que, deuxièmement, les éléments constitutifs d'un accord en matière de concurrence soient limités aux accords qui, à la lumière des circonstances juridiques et factuelles, ont effectivement pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence.

S'agissant de la première proposition de modification: d'après le libellé des dispositions légales en vigueur (tout comme d'après le droit de l'UE et de ses États membres), il n'est pas nécessaire, pour prouver l'existence d'un accord en matière de concurrence, que celui-ci soit mis en oeuvre. Il apparaît peu plausible que des entreprises concluent un accord en matière de concurrence sans avoir l'intention de l'appliquer.

Il n'est donc guère probable que limiter dans ce sens la qualification d'un accord en matière de concurrence apporte une quelconque valeur ajoutée en pratique. Au contraire, cela donnerait aux entreprises concernées un argument supplémentaire pour 14 / 60

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justifier que les autorités n'interviennent pas en cas de pratiques anticoncurrentielles, et risquerait de se traduire par une augmentation de la charge procédurale et un rallongement des procédures (tant devant les autorités en matière de concurrence que devant les tribunaux). Les entreprises concernées pourraient notamment contester le lien de causalité entre l'accord et leur pratique effective (mise en oeuvre). En outre, comme quasiment chaque pratique a plusieurs causes, il est parfois difficile d'apporter la preuve du lien de causalité dans un cas d'espèce, si bien que certains cartels nuisibles passeraient entre les mailles du filet. Cela serait dommageable pour la concurrence en Suisse et tendrait à faire augmenter les prix pour les consommateurs.

S'agissant de la deuxième proposition de modification: un examen approfondi dans le cadre de l'art. 4 LCart qui, selon les explications accompagnant la proposition, porterait sur toute une série de facteurs (p. ex. le but de l'accord, son contexte juridique et économique, les conditions régnant sur le marché, la structure du marché), estomperait les limites entre l'examen des éléments constitutifs d'un accord en matière de concurrence conformément à l'art. 4, al. 1, LCart, et l'examen du caractère notable et de l'admissibilité pour des motifs d'efficacité économique au sens de l'art. 5 LCart.

La sécurité juridique en souffrirait considérablement. Il faudrait par exemple déterminer à partir de quel seuil la pratique limitant un facteur de concurrence comme le prix serait, dans les faits, assimilable à une restriction de la concurrence. Ce point devrait en outre être délimité par rapport à la question d'une restriction notable de la concurrence, puisque c'est là l'un des points à examiner pour établir l'illicéité d'un accord en matière de concurrence au sens de l'art. 5, al. 1, LCart. Enfin, il faudrait déterminer si les motifs d'efficacité économique devraient être pris en considération dès l'examen d'une restriction de la concurrence effective et, dans l'affirmative, dans quelle mesure.

Il convient donc de faire une distinction claire entre le but et l'application d'un accord en matière de concurrence, éléments visés à l'art. 4, al. 1, LCart, et l'appréciation de son (in)admissibilité, visée à l'art. 5 LCart.

Demandes relatives à l'introduction
du critère de la «double notabilité» Certains participants ont demandé la modification de l'art. 5 LCart, de sorte à traiter de la même manière tous les accords en matière de concurrence, qu'il s'agisse d'accords durs ou non, et d'examiner systématiquement le caractère notable sous l'angle de critères à la fois qualitatifs et quantitatifs (cf. ch. 4.1.6 concernant les notions de «qualitatif» et «quantitatif»). Par accords «durs» en matière de concurrence, on entend les cinq types d'accords visés à l'art. 5, al. 3 et 4, LCart. Conformément à la LCart en vigueur, ils sont présumés entraîner la suppression de la concurrence en raison même de leur objet.

Cela signifierait qu'à l'avenir, les accords qui ne sont pas considérés comme des accords durs seraient pratiquement toujours admissibles, même en cas de parts de marché très élevées. Inversement, les cartels durs seraient autorisés en cas de parts de marché faibles. L'introduction du critère de la «double notabilité» rendrait la LCart nettement moins efficace, notamment dans la protection de la concurrence. Le système actuel, qui mise sur une évaluation des critères qualitatifs et quantitatifs dans une approche globale, a fait ses preuves. Il permet une appréciation objective et ciblée du cas d'espèce replacé dans un contexte général.

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Demande portant sur la preuve d'effets réels Certains participants ont demandé que le caractère notable selon l'art. 5, al. 1, LCart ne puisse être retenu que si la preuve d'un effet réel est établie. Cela impliquerait de s'écarter du principe éprouvé et internationalement reconnu selon lequel la potentialité d'effets anticoncurrentiels est suffisante, et aurait pour conséquence un grave affaiblissement de la LCart, notamment dans le domaine de la lutte contre les accords illicites en matière de concurrence.

En pratique, il est très difficile, voire impossible, de prouver les effets réels, ne seraitce que parce que les données nécessaires à une analyse d'impact fiable font souvent défaut. Il faudrait en outre comparer la situation résultant de l'accord avec la situation hypothétique qui prévaudrait en l'absence d'accord. Or, les données hypothétiques sont, par nature, inexistantes. À titre d'exemple, les autorités en matière de concurrence seraient fréquemment dans l'impossibilité de prouver que les prix auraient potentiellement été inférieurs en l'absence d'accord. De leur côté, les parties à l'accord pourraient simplement affirmer que les prix auraient été les mêmes sans accord.

En définitive, bon nombre d'accords nuisibles seraient légalisés, y compris des accords durs, comme les cartels. Il convient en outre de souligner que les effets réels, si tant est qu'ils puissent être prouvés, ne peuvent être constatés qu'a posteriori et moyennant des analyses complexes. Au moment de trancher en faveur ou en défaveur d'une pratique donnée, les entreprises ne seraient ainsi pas en mesure d'anticiper si celle-ci est autorisée ou non, ce qui serait préjudiciable à la sécurité juridique. Par ailleurs, dans le cas d'un cartel qui n'aurait pas encore mis en oeuvre ses accords, les autorités en matière de concurrence seraient, dans un premier temps, condamnées à une simple observation. Leur intervention serait toujours trop tardive, puisqu'elles ne pourraient agir qu'une fois les dommages occasionnés. C'est donc à juste titre que le droit de l'UE en matière d'accords verticaux et horizontaux durs et les normes internationales en matière d'accords horizontaux durs (recommandations de l'OCDE)20 se fondent sur la potentialité d'effets anticoncurrentiels et non sur les effets réels.

Les propositions avancées
par certains participants intègrent en outre des critères d'examen qui, vu la révision de l'art. 4, al. 1, LCart également proposée et esquissée plus haut, entraîneraient certaines redondances et ambiguïtés lors de l'examen (en effet, l'appréciation des parts de marché des entreprises participantes serait pertinente tant pour l'examen selon l'art. 4, al. 1, LCart que pour l'examen selon l'art. 5, al. 1bis, P-LCart). Enfin, cette nouvelle construction ainsi que l'utilisation de nouvelles notions juridiques indéterminées accroîtraient considérablement l'insécurité juridique.

En somme, les propositions de mise en oeuvre nettement plus strictes de la motion Français 18.4282 ne sont guère judicieuses: le durcissement général des critères constitutifs d'un accord en matière de concurrence selon l'art. 4, al. 1, LCart et du caractère notable selon l'art. 5, al. 1bis, P-LCart irait bien au-delà de la demande de la motion (modification de l'art. 5 LCart). Le «Swiss Finish» détonnerait fortement par rapport au droit de l'UE et aux recommandations de l'OCDE et entraverait, dans bon 20

Cf. OCDE, Recommandation du Conseil concernant une action efficace contre les ententes injustifiables du 2 juillet 2019, disponible sur www.oecd.org > Direction des affaires financières et des entreprises > Concurrence > Recommandations > Recommendation concerning Effective Action against Hard Core Cartels.

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nombre de cas, l'application efficace de la LCart, cela au détriment de la concurrence et aux dépens des consommateurs, des contribuables et des PME.

2.5

Motion Wicki 21.4189

Le projet mis en consultation ne contenait pas de proposition de mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189, puisque celle-ci a été transmise par le Parlement le 9 juin 2022, soit après la clôture de la consultation. Comme la mise en oeuvre de l'intervention concerne uniquement la procédure devant la COMCO en sa qualité d'autorité fédérale, il est possible de renoncer à une procédure de consultation, en vertu de l'art. 3a, al. 1, let. a, de la loi du 18 mars 2005 sur la procédure de consultation21.

Qui plus est, les nouvelles dispositions mettant en oeuvre la motion ont un caractère purement déclaratoire (c.-à-d. de clarification), de sorte que leur mise en oeuvre n'entraîne aucun changement matériel pour les entreprises concernées ou la COMCO (cf. ch. 4.1.7).

2.6

Réforme des autorités en matière de concurrence (réforme institutionnelle)

Dans le cadre de la procédure de consultation, il a été demandé à plusieurs reprises d'inclure une réforme des autorités en matière de concurrence (réforme institutionnelle) dans le projet. Le Conseil fédéral avait proposé une réforme institutionnelle comme l'un des éléments centraux dans le cadre de la révision avortée de la LCart en 2012. Celle-ci avait toutefois été fortement contestée à l'époque et était l'une des principales raisons pour lesquelles le Conseil national avait refusé à deux reprises d'entrer en matière sur le projet.

Le Conseil fédéral prend cette demande au sérieux; il a par conséquent chargé le DEFR de lui soumettre un projet de réforme correspondant au premier trimestre 202422. Le DEFR procédera donc à un examen approfondi de diverses possibilités de réforme et a institué à cet effet une commission d'experts indépendante laquelle évaluera plusieurs options jusqu'à fin 2023 et consultera de larges cercles à ce sujet.

21 22

RS 172.061 Cf. Communiqué du Conseil fédéral du 17 mars 2023, disponible sur www.admin.ch > Documentation > Communiqués > «Loi sur les cartels: le Conseil fédéral lance les travaux en vue de la réforme des autorités en matière de concurrence».

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3

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

Remarques générales Les éléments repris dans le présent projet induisent un rapprochement avec le droit de la concurrence de l'UE. Seule la mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 crée de nouvelles divergences par rapport au droit européen.

Contrôle des concentrations Concernant le contrôle des concentrations, les tests tels que le test SIEC sont devenus la norme au plan international. Depuis la révision du règlement (CE) no 139/200423 (règlement CE sur les concentrations) en 2004, la Commission européenne applique explicitement le test SIEC pour analyser les concentrations d'entreprises. Suite à ce changement, de plus en plus d'États membres de l'UE ont révisé leur test pour harmoniser leur législation avec celle de l'UE. Depuis août 2022, tous les États membres de l'UE appliquent un test reposant sur la notion d'entrave significative à la concurrence. Dans certains pays, la transition a été plus rapide que dans d'autres. En Allemagne, par exemple, où le test de dominance était la norme de contrôle, certains ajustements ont été apportés en 2005 aux réglementations du droit des cartels visant les concentrations, avant l'adoption du test SIEC en 2013. Le traitement des concentrations d'entreprises qui, outre la Suisse, touchent aussi le marché de l'EEE, devrait s'en trouver largement simplifié en Suisse, dans la mesure où ces concentrations auront déjà été examinées par les autorités de l'UE. Dans ce cas de figure, les jugements européens seront repris en Suisse.

Droit civil des cartels Le renforcement du droit civil des cartels est une préoccupation partagée à l'échelle internationale. L'UE accorde une grande importance à ce volet du droit et l'a durablement consolidé au cours des vingt dernières années. Outre divers arrêts importants de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)24, la directive 2014/104 de l'UE sur les dommages-intérêts25 adoptée en 2014 constitue une étape importante; elle énonce un large éventail de mesures visant à harmoniser autant que possible les dénominateurs communs des régimes nationaux de droit civil des cartels. Les États membres de l'UE avaient jusqu'à fin 2016 pour transposer la directive dans leur droit interne. Les expériences réalisées depuis lors dans ce domaine semblent positives, et la crainte, souvent exprimée, d'une multiplication des procédures judiciaires ne s'est pas matérialisée. Même aux États-Unis, où la culture en matière d'actions civiles est très mar23

24

25

Règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises («le règlement CE sur les concentrations»), JO L 24 du 29 janvier 2004, p. 1.

Cf. en particulier arrêt du 20 septembre 2001 C-453/99, Courage contre Crehan, ECLI:EU:C:2001:465; arrêt du 13 juillet 2006 C-295/04, Manfredi, ECLI:EU:C:2006:461.

Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages-intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne, JO L 349 du 5 décembre 2014, p. 1 (ci-après «directive de l'UE sur les dommages-intérêts»).

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quée, le droit civil des cartels est depuis longtemps considéré comme essentiel à une mise en oeuvre efficace du droit des cartels.

La présente révision renforce le droit civil des cartels en Suisse, même si les éléments prévus restent bien en deçà de la réglementation européenne. Par ailleurs, contrairement au droit de l'UE, elle prévoit expressément d'inscrire dans la loi la possibilité de réduire la sanction administrative en cas de versement spontané de dommages-intérêts aux lésés.

Mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 Avec la mise en oeuvre de la motion Français 18.4282, la modification de l'art. 5 LCart crée une divergence par rapport au droit de l'UE. Selon la législation européenne, les accords horizontaux ou verticaux durs en matière de concurrence sont toujours considérés comme entraînant une restriction notable à la concurrence (le droit de l'UE parle d'accords restreignant «sensiblement» la concurrence) et sont donc autorisés uniquement s'ils peuvent être justifiés par des motifs d'efficacité économique. Cette législation inclut un cercle beaucoup plus large d'accords durs (accords contenant des «restrictions caractérisées») que la législation suisse, à l'instar, semble-t-il, du droit interne des États membres26. En ce sens, le droit suisse des cartels en vigueur va déjà moins loin que le droit européen, et la modification de l'art. 5 LCart exigée par la motion ne fait que creuser cet écart.

La mise en oeuvre de la motion va en outre à l'encontre des recommandations de l'OCDE. Selon ces recommandations, les accords horizontaux durs (au sens de l'art. 5, al. 3, LCart) constituent les infractions les plus graves au droit des cartels. Ils sont fortement susceptibles d'entraver de manière notable la concurrence, pour le moins entre concurrents directs. D'un point de vue économique, il est donc fondé de considérer que de tels accords affectent a priori la concurrence de manière notable, bien qu'ils soient parfois justifiables par des motifs d'efficacité économique27. Détecter ce type de cartels, mener l'enquête et ouvrir des poursuites le cas échéant est donc un objectif politique majeur de l'OCDE et une priorité de mise en oeuvre pour les autorités en matière de concurrence dans la zone OCDE et au-delà. Avec la mise en oeuvre de la motion, la compétitivité de la Suisse risque dès
lors de pâtir d'une appréciation clémente, en comparaison internationale, des accords durs en matière de concurrence.

Il existe, enfin, un risque que la modification ait un impact sur la coopération internationale dans le cadre de l'accord de coopération CH-UE, qui repose sur l'équivalence des règles des deux parties en matière de concurrence (cf. consid. 3 du préambule de l'accord de coopération CH-UE). Il n'est pas exclu que la collaboration de la COMCO avec la Commission européenne soit rendue plus difficile par une réglementation nettement plus permissive en Suisse que dans l'UE des accords en matière de concurrence.

26

27

Cf. à ce sujet notamment l'«harmonisation totale» (factice) à grande échelle des règles cartellaires applicables aux accords en matière de concurrence conformément à l'art. 3, par. 1 et 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux art. 81 et 82 du traité, JO L 1 du 4 janvier 2003, p. 1.

Cf. Motta M., 2004, Competition Policy ­ Theory and Practice, Cambridge, p. 191.

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La clarification légale concernant l'innocuité de principe des consortiums (art. 4, al. 1bis, P-LCart) ainsi que la nouvelle règle relative aux infractions légères (art. 27, al. 1bis, P-LCart) ne sont, en revanche, pas contraires au droit de l'UE. Dans l'UE également, les consortiums ne sont en principe pas considérés comme des accords en matière de concurrence. La nouvelle règle relative au seuil d'intervention (infractions légères) est comparable au principe de l'opportunité appliqué en droit européen.

4

Présentation du projet

4.1

Réglementation proposée

4.1.1

Modernisation du contrôle des concentrations

Passage au test SIEC Le contrôle des concentrations prévu par la LCart a un but préventif et entend empêcher de futures restrictions à la concurrence. Aujourd'hui, la COMCO peut intervenir en cas de concentration d'entreprises si l'opération crée ou renforce une position dominante capable de supprimer une concurrence efficace (art. 10, al. 2, let. a, LCart).

On parle dans ce cas de position dominante «qualifiée». En outre, l'intervention de la COMCO n'est possible que si la concentration ne provoque pas une amélioration des conditions de concurrence sur un autre marché, qui l'emporte sur les inconvénients de la position dominante (art. 10, al. 2, let. b, LCart). Les nouvelles dispositions permettront à la COMCO d'agir lorsque la concentration entrave de manière significative la concurrence, en particulier en créant ou en renforçant une position dominante, et que les inconvénients causés par cette entrave ne sont pas compensés par des gains d'efficacité spécifiques à la concentration (art. 10, al. 2, P-LCart). Le contrôle des concentrations sera ainsi davantage axé sur des principes économiques et deviendra plus ciblé, puisqu'il s'attaquera plus directement à l'affaiblissement de la concurrence.

Le test SIEC permettra premièrement d'interdire une concentration ou de l'autoriser moyennant des charges ou des conditions lorsque celle-ci entrave la concurrence de manière significative, même en l'absence de position dominante. Sur les marchés oligopolistiques, la disparition d'un concurrent suite à une fusion peut parfois entraîner des hausses de prix, même si aucune entreprise n'occupe une position dominante (cf. ch. 5.3). Il est par conséquent reconnu, au niveau international, que le contrôle des concentrations doit fournir les instruments nécessaires pour intervenir dans toute concentration affectant la concurrence de manière significative28. La création ou le renforcement d'une position dominante doit toujours être considéré comme pouvant être particulièrement problématique. Une telle position permet à l'entreprise issue de la fusion de se comporter de manière indépendante des autres acteurs du marché et, de ce fait, d'entraver la concurrence de manière significative. Le projet de loi souligne

28

Cf. OCDE, 2020, Merger Control in the Time of COVID-19; OCDE, 2020, Merger Control in Dynamic Markets; International Competition Network (ICN), 2017, Recommended Practices for Merger Analysis; OCDE, 2016, Executive Summary of the Roundtable on Jurisdictional Nexus in Merger Control Regimes; OCDE, 2013, Report on Country Experiences with the 2005 OECD Recommendation on Merger Review.

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ainsi que la concurrence efficace peut être entravée de manière significative par la création ou le renforcement d'une position dominante.

Le test SIEC permettra deuxièmement une bien meilleure prise en considération des gains d'efficacité liés à une concentration d'entreprises. Les concentrations peuvent générer des gains d'efficacité considérables, notamment en raison des économies d'échelle et des synergies réalisées. Grâce au test SIEC, le nouveau droit permettra d'intégrer tous les gains d'efficacité d'une concentration dans l'évaluation, pour autant qu'ils soient justifiés et vérifiables et qu'ils résultent spécifiquement de la concentration. Selon le droit en vigueur, seules pouvaient être prises en considération les améliorations des conditions de concurrence sur un autre marché qui l'emportaient sur les inconvénients de la position dominante.

Avec l'instauration du test SIEC, tant les effets indésirables sur la concurrence que les gains d'efficacité souhaités seront intégralement pris en compte dans le contrôle des concentrations d'entreprises. C'est aussi la conclusion que tirent deux études qui analysent le passage de la Suisse au test SIEC. La première étude29 donne un aperçu des règles en vigueur relatives au contrôle des concentrations en Suisse et dans l'UE. Elle montre que le passage au test SIEC est économiquement pertinent. Elle conclut en outre que l'introduction d'un contrôle des concentrations équivalent à celui du droit européen pourrait infléchir la tendance à la formation, en Suisse, de marchés concentrés, c'est-à-dire caractérisés par un petit nombre de concurrents de grande taille. La seconde étude30 analyse, sous forme d'hypothèses, de quelle manière les cas examinés en Suisse auraient pu être évalués différemment, en effectuant une comparaison avec la pratique dans l'UE. Dans certains cas, l'application du test SIEC aurait pu conduire à des décisions plus strictes, voire à des interdictions, en raison du préjudice potentiel que certaines concentrations représentaient31. L'étude estime également qu'un test comme le test SIEC est plus adapté et plus efficace dans le contexte de l'économie numérique, parce qu'il accorde moins de poids aux données structurelles (comme les parts de marché) que le test de dominance qualifiée.

Éviter un double examen des concentrations
internationales et faciliter la collaboration avec l'UE et l'Allemagne Le régime actuel de contrôle des concentrations mobilise inutilement des ressources dans le cas de concentrations prenant effet sur le plan international. De nos jours, les concentrations transfrontalières d'entreprises d'une certaine taille actives au niveau international sont souvent notifiées et examinées parallèlement dans plusieurs États.

Il s'ensuit un surplus de travail et de frais, notamment pour les entreprises, et ce souvent sans que la procédure menée en Suisse n'ait ensuite la moindre incidence sur 29

30

31

Swiss Economics, 2017, Einführung des SIEC-Tests: Auswirkungen auf die Schweizer Fusionskontrolle (ci-après «étude Swiss Economics»), disponible sur www.seco.admin.ch > Situation économique & politique économique > Concurrence > Loi sur les cartels > Révision partielle de la loi sur les cartels (2023).

Polynomics / Prager Dreifuss, 2020, Juristisch-ökonomisches Gutachten zum Einfluss des SIEC-Tests auf die Fusionspraxis der Wettbewerbsbehörden (ci-après «étude Polynomics et Prager Dreifuss»), disponible sur www.seco.admin.ch > Services et publications > Concurrence et Service public > Loi sur les cartels Cf. étude Polynomics et Prager Dreifuss, p. 11 ss (rachat de Steffen-Ris Holding AG par Fenaco) et p. 17 (rachat de Denner par Migros).

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lesdites entreprises32. C'est pourquoi la présente révision prévoit une simplification de l'obligation de notification des concentrations transfrontalières. Ces dernières ne doivent plus être annoncées à la COMCO si tous les marchés de produits concernés par le projet de concentration comprennent la Suisse et au moins l'EEE, et que le projet de concentration est évalué par la Commission européenne. Il a été souligné à plusieurs reprises lors de la consultation qu'il pouvait être difficile de répondre dans chaque cas à la question de savoir si tous les marchés de produits concernés comprennent aussi l'EEE. L'objectif de la présente réglementation est justement d'éviter un double examen dans les cas qui sont clairs.

Harmonisation des prolongations de délai Il est prévu d'harmoniser les prolongations de délai applicables à la procédure d'examen avec celles de l'UE, afin de faciliter les procédures internationales quand un examen du projet de concentration est également nécessaire en Suisse en raison d'une délimitation nationale du marché.

4.1.2

Renforcement du droit civil des cartels

Le renforcement du volet civil du droit des cartels, jusqu'ici très peu appliqué dans la pratique, est un bon moyen de garantir une protection efficace de la concurrence. Le droit civil des cartels permet non seulement à toutes les parties touchées par des restrictions à la concurrence d'élever des prétentions en dommages-intérêts, mais il joue aussi un rôle important dans la mise en oeuvre effective du droit de la concurrence en général. Avec le renforcement du droit civil des cartels, la COMCO pourra se concentrer encore mieux sur les cas qui présentent un intérêt public prépondérant.

Les procédures civiles pour violation du droit des cartels restent exceptionnelles en Suisse. Les acteurs concernés par des restrictions illicites à la concurrence préfèrent en général engager une procédure administrative, en principe gratuite, même si cette voie ne leur donne pas la possibilité de réclamer des dommages-intérêts, une réparation morale ou une remise du gain. La présente révision prévoit, dans le cadre légal existant, des modifications visant à supprimer les obstacles au recours à la procédure de droit civil; à cet effet, le Conseil fédéral reprend les éléments de la révision avortée de 2012. On relèvera à cet égard que le volet civil du droit suisse des cartels est assez rudimentaire en comparaison internationale. En particulier, les expériences réalisées dans l'UE, qui a durablement renforcé le droit civil des cartels ces dernières années, notamment en adoptant la directive de l'UE sur les dommages- intérêts, sont très positives33.

32

33

Cf. groupe d'évaluation Loi sur les cartels, 2008, Zusammenschlusskontrolle: Überprüfung der Notwendigkeit einer Revision, Projektbericht P17 der KG-Evaluation gemäss Art. 59a KG, p. 38 ss.

Cf. Communiqué de la Commission européenne du 14 décembre 2020 «Pratiques anticoncurrentielles: la Commission publie un rapport sur la mise en oeuvre de la directive relative aux actions en dommages et intérêts», disponible sur. www.ec.europa.eu > français > actualité > recherche avancée > mots-clés > «Pratiques anticoncurrentielles: la Commission publie un rapport sur la mise en oeuvre de la directive relative aux actions en dommages et intérêts».

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Le projet inclut les éléments de révision suivants en matière de droit civil des cartels: ­

La légitimation active (qualité pour agir) est étendue à toutes les parties touchées par des restrictions illicites à la concurrence ­ donc aussi aux consommateurs et aux pouvoirs publics (adjudicateurs de marchés publics, p. ex.). En vertu de l'art. 12, al. 1, LCart, seules les personnes qu'une restriction illicite à la concurrence entrave dans l'accès à la concurrence ou l'exercice de celle-ci ont qualité pour intenter une action civile. Avec la révision, les personnes indirectement affectées seront aussi prises en considération, ce qui inclut notamment les clients qui se trouvent deux échelons plus en aval sur le marché.

L'extension de la légitimation active n'est pas liée au projet du Conseil fédéral sur l'exercice collectif des droits, comme certains l'ont supposé lors de la procédure de consultation34.

­

Le projet prévoit une disposition permettant de suspendre la prescription applicable aux actions civiles découlant d'une restriction illicite à la concurrence entre l'ouverture d'une enquête par la COMCO et l'entrée en force de la décision. Cette disposition revient à accorder plus de temps aux parties concernées pour faire valoir des prétentions civiles.

­

Les trois actions prévues par le droit en vigueur en relation avec des restrictions illicites à la concurrence (art. 12, al. 1, LCart) sont complétées par un droit à faire constater l'illicéité d'une restriction à la concurrence (déjà prévu dans la LCart de 1985), par analogie avec l'art. 9, al. 1, let. c, de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD)35 et avec l'art. 28a, al. 1, ch. 3, du code civil (CC)36.

­

Les dommages-intérêts versés spontanément pourront être pris en considération même après la décision de la COMCO, en vue de réduire une éventuelle sanction administrative.

­

Enfin, deux modifications formelles sont apportées au droit civil des cartels (suppression de l'art. 12, al. 3, LCart et modification de l'art. 13, let. a, LCart).

S'agissant du droit civil des cartels, il convient de tenir compte également de l'art. 15 LCart: en vertu de son al. 1, lorsque la licéité d'une restriction à la concurrence au sens de l'art. 5 ou 7 LCart est mise en cause au cours d'une procédure civile, l'affaire est transmise pour avis à la COMCO. Si le volet civil du droit des cartels est renforcé, la question de la nécessité d'adapter cette disposition se pose, car le nombre de demandes d'expertise adressées à la COMCO devrait augmenter en conséquence. Ce 34

35 36

Cf. message du 10 décembre 2021 sur une modification du code de procédure civile (Action des organisations et transaction collective) (FF 2021 241 p. 3048). La Commission des affaires juridiques du Conseil national chargée de l'examen préalable a suspendu sa décision d'entrée en matière jusqu'à l'été 2023 vraisemblablement et a demandé à l'administration de répondre à une série de questions supplémentaires concernant les conséquences économiques du projet et la situation juridique dans certains États membres de l'UE. Le dossier «exercice collectif des droits» ne devrait pas avoir de répercussions importantes sur la présente extension de la légitimation active dans les procédures civiles de droit des cartels.

RS 241 RS 210

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nombre pourrait en outre s'accroître davantage avec l'entrée en vigueur récente, le 1er janvier 2022, de la réglementation sur le pouvoir de marché relatif, adoptée par le Parlement à titre de contre-projet indirect à l'initiative pour des prix équitables37. La COMCO risque de se retrouver surchargée, notamment parce qu'elle ne peut pas refuser les demandes émanant des tribunaux civils. À l'heure actuelle, on ne sait pas encore dans quelle mesure les procédures civiles relevant du droit des cartels se multiplieront et conduiront les instances civiles à solliciter la COMCO. Compte tenu de ces incertitudes, le Conseil fédéral renonce pour l'instant à modifier l'art. 15 LCart, sans exclure toutefois de remettre ce sujet sur la table suivant l'évolution de la pratique.

4.1.3

Amélioration de la procédure d'opposition

La procédure d'opposition (art. 49a, al. 3, let. a, LCart) prévoit qu'une entreprise peut annoncer préalablement aux autorités en matière de concurrence les pratiques qu'elle envisage d'adopter et qui sont susceptibles d'être qualifiées de restrictions illicites à la concurrence et passibles d'une sanction directe. Si les autorités en matière de concurrence n'interviennent pas dans le délai imparti, l'entreprise n'encourt plus de sanction pour la pratique concernée. La procédure d'opposition, instaurée en 2004, a été très utilisée jusqu'en 2011, à raison d'une bonne vingtaine de cas par an en moyenne, avant d'être délaissée depuis 2012, avec deux procédures par an au maximum.

Le besoin d'une procédure d'opposition adaptée à la pratique reste toutefois avéré et pourrait devenir encore plus marqué à l'avenir dans différents domaines. On pense notamment à certaines formes de coopération en matière de données ou de développement durable qui, à l'heure actuelle, pourraient parfois s'accompagner d'insécurité juridique. Partant, le Conseil fédéral souhaite apporter deux modifications à la procédure d'opposition en vigueur, afin de la rendre plus favorable à l'innovation et mieux adaptée à la pratique.

Premièrement, le risque de sanction directe après une annonce n'existera que si une enquête au sens de l'art. 27 LCart est ouverte dans le délai imparti. Si le Secrétariat de la COMCO mène uniquement une enquête préalable selon l'art. 26 LCart, sans ouvrir d'enquête formelle dans le délai légal, le risque de sanction directe pour la pratique annoncée s'éteindra définitivement. Si la pratique s'avère ultérieurement contraire au droit des cartels, elle ne pourra être interdite que pour l'avenir, et une sanction directe selon l'art. 49a, al. 1, LCart sera exclue. Dans les cas peu clairs, où une restriction à la concurrence ne saurait être exclue, mais sans qu'il y ait d'indices permettant d'ouvrir une enquête, la pratique concernée ne doit pas être empêchée par la menace d'une sanction. La réglementation proposée est ainsi favorable à l'innovation, puisqu'elle exclut toute sanction directe en cas de doute.

Deuxièmement, la procédure d'opposition est raccourcie. Le délai légal de la procédure d'opposition passe de cinq à deux mois. Selon le nouveau droit, les autorités en matière de concurrence devront donc décider dans un délai de deux mois s'il convient ou non d'ouvrir une enquête. À défaut, le risque de sanction pour la pratique annoncée 37

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tombe définitivement. Les entreprises sont ainsi davantage incitées à recourir à la procédure d'opposition.

4.1.4

Introduction de délais d'ordre dans les procédures administratives (mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094)

Pour donner suite à la motion Fournier 16.4094, des délais d'ordre pour les procédures administratives devant les autorités en matière de concurrence et les tribunaux sont inscrits dans la LCart. Les procédures administratives peuvent durer plusieurs années, ce qui entraîne des coûts importants pour les entreprises et les tribunaux. La longueur des procédures constitue également l'une des principales critiques adressées au droit de la concurrence au niveau international, notamment face au dynamisme des marchés numériques. Il convient donc de prévoir des délais d'ordre qui se traduisent par une accélération effective des procédures. Toutefois, la fixation de délais peut induire une baisse de la qualité des investigations et des décisions et, partant, de la sécurité juridique. Elle est en outre susceptible de susciter des questionnements quant à l'indépendance de la justice et à l'égalité de traitement. Aucun motif objectif ne justifie que les procédures fondées sur la LCart soient favorisées au détriment de la durée d'autres procédures (de droit administratif). La motion Fournier 16.4094 ne s'exprime pas sur une durée maximale de la procédure de droit des cartels. Actuellement, une procédure qui passe par toutes les instances, de l'ouverture de l'enquête par les autorités en matière de concurrence jusqu'à l'arrêt du TF en dernière instance, dure en moyenne huit ans38.

Il est prévu de réduire cette durée. Des délais d'ordre sont institués pour toutes les instances sur la base du principe «se conformer ou s'expliquer» (comply or explain).

Un délai de 60 mois au total (à compter de l'ouverture d'une enquête formelle) est réparti à raison de 30 mois pour la COMCO, 18 mois pour le Tribunal administratif fédéral (TAF) et 12 mois pour le TF. Un délai plus long est accordé à la COMCO en raison de la charge de travail plus importante qu'implique l'établissement des faits (délimitation du marché, analyse du marché, analyse de la concurrence, etc.). En cas de renvoi à l'instance précédente, le délai d'ordre est fixé à chaque fois à 12 mois, sachant que la grande partie des clarifications nécessaires ont en principe déjà été menées dans la première appréciation. En conclusion, les autorités et les tribunaux sont tenus de se conformer à des délais d'ordre à toutes les étapes de la procédure.

4.1.5

Allocation de dépens dans les procédures administratives (mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094)

La deuxième exigence adoptée de la motion Fournier 16.4094 concerne l'allocation de dépens aux parties à une procédure administrative. Les procédures administratives 38

Calculs du Conseil fédéral

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en matière de droit des cartels sont souvent complexes, longues et onéreuses. C'est pourquoi le nouveau droit permettra aux entreprises concernées de bénéficier d'une indemnisation selon l'issue de la procédure.

La LCart en vigueur ne contient pas de règle spécifique prévoyant un dédommagement dans les procédures de droit administratif. Selon le principe fixé à l'art. 39 LCart, c'est la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)39 qui s'applique aux procédures administratives de droit des cartels. L'allocation de dépens n'est ni régie par un principe général de procédure ni usuelle, en particulier dans les procédures administratives de première instance, raison pour laquelle elle doit reposer sur une base légale explicite40. Le droit en vigueur définit les modalités d'une allocation de dépens uniquement dans la procédure de recours (devant le TAF: art. 64 PA en relation avec l'art. 37 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral [LTAF]41; devant le TF: art. 68 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF]42). Par conséquent, l'exigence de la motion implique une modification de la LCart afin que la possibilité d'allouer des dépens aux entreprises dès la première instance y soit réglée. Concrètement, la réglementation proposée permettra d'accorder une indemnité aux entreprises concernées si tout ou partie de la procédure d'enquête ouverte conformément à l'art. 27 LCart a été classée sans suite par les autorités en matière de concurrence. Les entreprises auront ainsi la possibilité d'être dédommagées pour leurs dépenses en matière de procédures administratives, en fonction de l'issue de ces dernières.

4.1.6

Révision des art. 4, 5 et 27 LCart (mise en oeuvre de la motion Français 18.4282)

Demande de la motion Français 18.4282 La motion Français 18.4282, transmise par le Parlement, demande au Conseil fédéral de clarifier l'art. 5 LCart. Elle fait suite à l'arrêt du TF dans l'affaire Gaba.

Arrêt du TF dans l'affaire Gaba Le TF a retenu que les cinq accords particulièrement nuisibles en matière de concurrence énoncés à l'art. 5, al. 3 et 4, LCart (accords horizontaux sur le prix, la quantité et le territoire et accords verticaux sur les prix et la protection territoriale absolue) atteignent en règle générale le seuil de notabilité43, c'est-à-dire qu'ils satisfont en principe au critère de l'atteinte notable44 au sens de l'art. 5, al. 1, LCart. Le législateur est lui-même même parti du principe que ces cinq types d'accords sont présumés entraîner la suppression d'une concurrence efficace. Par conséquent, ces types d'accords, 39 40 41 42 43 44

RS 172.021 ATF 132 II 47 consid. 5.2 RS 173.32 RS 173.110 ATF 143 II 297 (arrêt Gaba) consid. 5.2.5 ATF 143 II 297 (arrêt Gaba) consid. 5.6; cf. aussi à ce sujet la procédure parallèle Gebro Pharma Sàrl contre Commission de la concurrence, arrêt du TF 2C_172/2014 du 4 avril 2017 consid. 2.3.

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c'est-à-dire les accords de cette qualité-là, sont particulièrement dommageables et, en raison même de leur objet, remplissent le critère du caractère notable45. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'arrêt Gaba n'entraîne pas de changements en ce qui concerne le fardeau de la preuve. La COMCO doit, comme auparavant, apporter la preuve de l'existence d'un accord illicite en matière de concurrence conformément aux art. 4, al. 1, et 5 LCart.

Les cinq types d'accords durs énoncés entraînent certes une atteinte notable à la concurrence, mais ne sont pas systématiquement illicites pour autant. Une fois la notabilité constatée, il s'agit d'examiner l'efficacité économique de l'accord en question. Ce n'est qu'en l'absence de motifs d'efficacité économique au sens de l'art. 5, al. 2, LCart, qu'un accord affectant de manière notable la concurrence est illicite en vertu de l'art. 5 LCart. Une évaluation distincte sous l'angle économique n'est effectuée que dans le cadre de l'examen des motifs d'efficacité économique (de même, l'art. 6 LCart porte uniquement sur l'efficacité économique et non sur le caractère notable de l'atteinte46). Il convient en l'occurrence de déterminer si un accord restreignant la concurrence produit ou non des effets économiques positifs47.

Traitement des consortiums dans le cadre de la LCart Lors des délibérations parlementaires relatives à la motion Français 18.4282, le traitement des consortiums en droit des cartels (principalement dans le secteur de la construction) a été le principal point de discussion. D'aucuns craignaient que la jurisprudence du TF ne rende de facto illicite la constitution de consortiums, ou du moins que cette constitution ne soit entachée d'une grande insécurité juridique.

En l'espèce, la question centrale sous l'angle du droit des cartels est de savoir si un consortium constitue effectivement un «accord en matière de concurrence» au sens de l'art. 4, al. 1, LCart. Il est vrai qu'un consortium repose le plus souvent sur un contrat (et donc sur une convention au sens de l'art. 4, al. 1, LCart), mais il ne constitue généralement pas un accord en matière de concurrence au sens de la LCart. Pour être considéré comme tel, l'accord doit viser ou entraîner une restriction à la concurrence (art. 4, al. 1, LCart), ce qui n'est en principe pas le cas des consortiums. Au
contraire, la coopération dans le cadre de consortiums favorise en général la concurrence, dans la mesure où elle permet aux entreprises ­ et notamment aux PME ­ de soumettre une offre pour un projet et de mener celui-ci à terme. Par conséquent, la question de la notabilité au sens de l'art. 5, al. 1, LCart ne se pose pas pour eux.

Les consortiums peuvent être illicites selon le droit des cartels s'ils restreignent la concurrence, notamment en limitant le nombre de soumissionnaires (p. ex. lorsque les entreprises de construction participant à une procédure sur invitation se réunissent en consortium pour ne pas se faire concurrence, alors qu'elles seraient chacune en mesure d'exécuter seules le mandat). De tels consortiums peuvent constituer des accords en matière de concurrence au sens de la LCart. Il incombe toutefois aux autorités en matière de concurrence de prouver l'existence d'un tel accord restrictif de la concurrence.

45 46 47

ATF 143 II 297 (arrêt Gaba) consid. 5.2.4 s.

ATF 143 II 297 (arrêt Gaba) consid. 5.1.4 ATF 143 II 297 (arrêt Gaba) consid. 5.3.2

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La clarification apportée par l'arrêt Gaba concerne seulement la question du «caractère notable» dans le cadre de la licéité ou de l'illicéité des accords en matière de concurrence au sens de l'art. 5 LCart. Or, s'agissant des accords de soumission, cette question ne jouait déjà guère de rôle dans la pratique avant cet arrêt: de telles ententes étaient déjà généralement réputées affecter de manière notable la concurrence du fait qu'elles allaient typiquement de pair avec une occupation importante du marché concerné par les parties prenantes. Il s'ensuit que l'arrêt Gaba n'entraîne pas de durcissement dans l'appréciation des consortiums, comme le montre la pratique des autorités en matière de concurrence depuis lors.

Création de l'art. 4, al. 1bis, P-LCart (premier élément visant à mettre en oeuvre la motion Français 18.4282) À la suite des discussions parlementaires évoquées précédemment et des avis exprimés par les différents participants à la procédure de consultation relative à la motion Français 18.4282, il apparaît que l'art. 4, al. 1bis, P-LCart satisfait la demande de garantir la sécurité juridique concernant la constitution de consortiums. La LCart disposera expressément que les consortiums qui permettent ou renforcent une concurrence efficace ne constituent pas un accord en matière de concurrence.

Création de l'art. 5, al. 1bis, P-LCart (deuxième élément visant à mettre en oeuvre la motion Français 18.4282) La motion demande de «clarifier» l'art. 5 LCart afin d'accroître la sécurité juridique pour les entreprises. Les débats parlementaires ont mis en évidence le fait que les craintes d'une sécurité juridique insuffisante concernaient surtout la création de consortiums48. Même si la pratique relative à l'art. 5 LCart n'est pas liée à la thématique des consortiums, le projet inclut, en réponse au souhait explicite du Parlement, outre un nouvel art. 4, al. 1bis, P-LCart et un nouvel art. 27, al. 1bis, P-LCart, une révision de l'art. 5, al. 1, LCart prévoyant la prise en compte de critères quantitatifs pour juger de l'impact des accords verticaux ou horizontaux durs en matière de concurrence (p. ex. parts de marché, chiffre d'affaires, entrées sur le marché et sorties du marché).

Il renonce cependant à fixer des valeurs limites pour ces facteurs pertinents du point de vue de la concurrence,
en raison principalement de la diversité et de la complexité de la vie économique et de la grande marge d'interprétation inhérente à la délimitation du marché. Il opte donc pour une solution flexible, à savoir une détermination au cas par cas de l'intensité requise des critères quantitatifs propres à établir le caractère notable.

L'art. 5, al. 1bis, P-LCart, permettra d'examiner les aspects économiques de chaque accord horizontal ou vertical dur pour lequel la présomption de suppression d'une concurrence efficace peut être réfutée, sous l'angle tant du caractère notable que, comme jusqu'ici, de la justification par des motifs d'efficacité économique. Cette modification et la création des art. 4, al. 1bis, et 27, al. 1bis, P-LCart permettent de satisfaire à l'exigence de la motion Français 18.4282.

48

Cf. p. ex. interventions des conseillers aux États Feller et Noser lors de la discussion du 15 décembre 2020 (BO 2020 E 1374 ss).

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Le nouvel art. 5, al. 1bis, P-LCart présente cependant des inconvénients considérables pour les entreprises et les autorités (autorités en matière de concurrence et tribunaux).

Outre une plus grande insécurité juridique et un surplus de travail pour les autorités en matière de concurrence et les tribunaux, la nouvelle disposition réduit à néant les efforts déployés par le Parlement pour simplifier les procédures administratives fondées sur la LCart conformément à la motion Fournier 16.4094, de même que ceux du Conseil fédéral en matière de droit civil des cartels. En outre, elle éloigne le droit suisse des cartels des normes internationales en ce qui concerne les accords en matière de concurrence durs et va à l'encontre des recommandations de l'OCDE.

Enfin, elle induit également une certaine contradiction avec les nouvelles dispositions relatives au pouvoir de marché relatif (art. 4, al. 2bis, et art. 7 LCart) entrées en vigueur le 1er janvier 2022, par lesquelles le Parlement entend lutter contre l'îlot suisse de cherté. L'analyse quantitative des accords en matière de concurrence visés à l'art. 5, al. 4, LCart, prévue à la suite de la motion Français 18.4282, est susceptible de favoriser le cloisonnement du marché suisse dans certains cas, étant donné que le caractère notable de l'atteinte à la concurrence n'est plus présumé dans le cas des accords verticaux durs conclus entre des entreprises suisses et des entreprises étrangères: par des montages contractuels, ces entreprises pourraient empêcher des importations en Suisse, alors que les nouvelles dispositions relatives au pouvoir de marché relatif visent précisément à éviter ce type de situation lié au comportement unilatéral d'entreprises ayant un pouvoir de marché relatif. Cela pourrait réduire la pression concurrentielle en Suisse et entraîner une hausse des prix dans notre pays.

Création de l'art. 27, al. 1bis, P-LCart (troisième élément visant à mettre en oeuvre la motion Français 18.4282) En sus des modifications opérées aux art. 4 et 5 LCart, le principe de l'opportunité est expressément inscrit dans la loi pour les infractions légères à la concurrence (en vertu du principe de proportionnalité), pour éviter que la COMCO n'ait à se saisir de telles infractions. La formulation s'inspire d'une part des exigences correspondantes formulées
lors de la consultation (cf. ch. 2.3) et, d'autre part, de la révision de la LCart qui avait échoué en 2012. Lors des délibérations parlementaires qui ont eu lieu à l'époque, le Conseil des États a décidé d'instaurer une règle prévoyant que la COMCO n'ouvre pas d'enquête si une restriction à la concurrence (au sens des art. 5 et 7 LCart) a une «influence négligeable sur la concurrence». Compte tenu notamment de l'introduction, effectuée dans l'intervalle, de l'instrument du pouvoir de marché relatif, qui concerne en premier lieu les litiges bilatéraux, une formulation potestative s'impose, qui ne se fonde pas sur une «influence négligeable sur la concurrence», mais sur des infractions légères. La nouvelle disposition permet en outre, pour les infractions légères, de ne pas ouvrir de procédure ou de classer la procédure en cours.

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4.1.7

Inscription dans la LCart de la maxime de l'instruction, de la présomption d'innocence et du fardeau de la preuve (mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189)

Exigence de la motion Wicki 21.4189 La motion Wicki 21.4189 demande que la LCart soit modifiée de sorte que le principe de la présomption d'innocence garanti par la Constitution soit également respecté en droit des cartels. Cela passe notamment par le renforcement de la maxime de l'instruction. Pour l'auteur de la motion, les autorités en matière de concurrence tiennent insuffisamment compte des circonstances à décharge dans leurs décisions. Le principe de l'instruction serait ainsi bafoué. De surcroît, les autorités en matière de concurrence ne prouveraient pas qu'une entreprise a participé à une pratique illicite au sens du droit des cartels, mais se contenteraient d'«impressions», comme le montre par exemple le recours à la notion d'accord global. Enfin, les autorités en matière de concurrence n'examineraient pas d'elles-mêmes la possibilité qu'un accord soit justifié pour des motifs d'efficacité selon l'art. 5, al. 2, LCart.

Délibérations parlementaires Lors des délibérations parlementaires, l'auteur de la motion a résumé sa demande en citant les trois points suivants49: 1.

Absence de séparation institutionnelle entre la COMCO et son secrétariat: du fait de cette situation, l'équilibre entre les éléments à charge et les éléments à décharge ne peut pas toujours être maintenu.

2.

Présomption du caractère notable dans les procédures de droit cartellaire: la COMCO part du principe qu'un accord entre entreprises nuit automatiquement à l'économie. Sur la base de cette hypothèse, la COMCO n'examine même pas si la pratique d'une entreprise est effectivement nuisible. Les éléments à décharge ne sont donc pas du tout pris en considération, ce qui est incompatible avec la présomption d'innocence.

3.

Accord global: le recours à la notion d'accord global permet de sanctionner une entreprise sans avoir à prouver sa participation à des accords de soumission et à leur mise en oeuvre. Il suffit de disposer d'«indices» selon lesquels l'entreprise peut avoir pris part à un accord.

Cette situation pourrait conduire, dans certains cas, à une violation de la maxime de l'instruction. L'auteur de la motion n'a pas développé la question de la violation de la présomption d'innocence.

Avis du Conseil fédéral Le Conseil fédéral a proposé au Parlement de rejeter la motion. Il a notamment argué que les déficits pointés par l'auteur de la motion n'existent pas dans la pratique. La LCart et la PA disposent que chaque état de fait doit être examiné d'office. Les auto49

Cf. intervention du conseiller aux États Wicki lors de la discussion du 15 décembre 2021, BO 2021 E 1404 s.

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rités en matière de concurrence sont tenues de clarifier les faits de manière correcte, complète et de leur propre initiative (fardeau de la preuve). Cela vaut pour toute forme de restriction à la concurrence, donc aussi pour les accords globaux, et pour les circonstances à charge et à décharge, comme les motifs justificatifs visés à l'art. 5, al. 2, LCart. Le principe de l'instruction est par conséquent déjà inscrit dans le droit en vigueur et n'est pas contesté. Si une décision rendue par la COMCO dans un cas d'espèce devait effectivement contrevenir aux règles décrites ci-dessus, les tribunaux ne manqueraient pas de la rectifier. Toutes les décisions des autorités en matière de concurrence sont soumises au contrôle du TAF et du TF. Or, on ne trouve aucune décision de justice constatant une violation de la maxime de l'instruction ou de la présomption d'innocence par les autorités en matière de concurrence; l'auteur de la motion n'en cite du reste pas. Au contraire, les tribunaux confirment régulièrement et expressément que les autorités en matière de concurrence respectent les principes procéduraux, les règles de l'état de droit et les droits des parties50. Les violations des principes susmentionnés par la COMCO, qui seraient «flagrantes» selon les termes de la motion, n'apparaissent pas dans la jurisprudence des tribunaux. Le rapport sur les sanctions administratives pécuniaires51 récemment adopté par le Conseil fédéral ne fait pas non plus état de violations des principes mentionnés, ni dans la structure ni dans l'application des dispositions actuelles du droit des cartels.

Mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189 La motion Wicki 21.4189 vise à renforcer dans la LCart différents principes de droit procédural et de droit matériel qui sont déjà en vigueur, en partie en raison de prescriptions de droit international et de droit constitutionnel, en partie en raison de dispositions légales auxquelles la LCart renvoie. Elle met l'accent sur le principe de l'instruction, la présomption d'innocence et le fardeau de la preuve à la charge de l'État.

Ces trois principes sont explicitement abordés dans la motion.

Le texte de la motion aborde en outre la question du degré de preuve. Il convient toutefois de renoncer à sa codification dans la LCart. Les lois de procédure suisses ne définissent
traditionnellement pas le degré de preuve de manière générale, explicite et exacte; c'est plutôt le TF qui, dans une jurisprudence constante et minutieuse, précise le degré de preuve pertinent pour les autorités et les procédures concernées, et le fixe de manière contraignante, y compris pour les autorités en matière de concurrence.

Ainsi, la majorité des faits en matière de droit des cartels peuvent être vérifiés et doivent donc être strictement prouvés par l'autorité (comme la question de savoir si une entreprise donnée a participé ou non à un accord en matière de concurrence ou quelle a été la durée de l'infraction). Il arrive exceptionnellement, en droit des cartels comme dans d'autres domaines juridiques, qu'une preuve stricte ne soit pas possible ou pas raisonnable, de par la nature même de l'affaire. Il s'agit en l'occurrence de configurations qui impliquent de nombreux acteurs et facteurs et nécessitent des prévisions (économiques), requérant en d'autres termes d'évaluer de «multiples interdépen50

51

Pour la Suisse: cf. ATF 139 I 72, Publigroupe, et CEDH, arrêt du 27 septembre 2011, Menarini Diagnostics S.R.L. contre Italie, 43509/08; pour l'UE: cf. CJUE, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor et KME, C-389/10 P; pour l'EEE: cf. Cour de justice de l'AELE, arrêt du 18 avril 2012, Posten Norge, E-15/10.

Sanctions administratives pécuniaires, rapport du Conseil fédéral du 23 février 2022 donnant suite au postulat 18.4100 de la CIP-N du 1er novembre 2018 (FF 2022 67 p. 776).

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dances». Dans des cas aussi spécifiques, le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante s'applique, selon la jurisprudence du TF et du TAF. Formuler dans la loi une règle générale, mais néanmoins suffisamment concrète, du degré de preuve qui tienne compte de ces différentes circonstances n'est donc pas possible, et n'est pas non plus nécessaire à la lumière de la jurisprudence du TF.

La mise en oeuvre de la motion repose par conséquent sur les trois principes évoqués, à savoir la maxime de l'instruction, la présomption d'innocence et le fardeau de la preuve. Les nouvelles dispositions de la LCart s'appliquent à toutes les restrictions à la concurrence, donc aussi aux accords globaux mentionnés par l'auteur de la motion, ce qui rend superflues des normes spécifiques à ce sujet. Comme indiqué précédemment (cf. ch. 2.5), elles n'ont qu'un caractère déclaratoire. Certes, il est recommandé, pour des raisons de politique juridique, de renoncer à poser des principes généraux dans des lois spécifiques. Toutefois, le Conseil fédéral a rédigé les dispositions mettant en oeuvre la motion Wicki pour remplir le mandat clair que lui a confié le Parlement.

4.2

Adéquation des moyens requis

Le projet ne devrait pas entraîner de dépenses supplémentaires importantes, à l'exception de l'instauration de l'allocation de dépens. La modernisation du contrôle des concentrations devrait induire une légère hausse des charges pour les autorités en matière de concurrence, notamment durant la phase d'introduction. Le renforcement du droit civil des cartels pourrait quant à lui entraîner une charge accrue pour les tribunaux cantonaux s'il y a effectivement plus de procédures civiles en matière de droit des cartels, conformément à l'objectif des modifications prévues. La procédure d'opposition pourrait occasionner un surplus de charges pour le secrétariat de la COMCO si les entreprises venaient à y recourir plus fréquemment dans le sillage des améliorations décrites. La mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 entraînera aussi un surcroît de dépenses pour les autorités en matière de concurrence. En revanche, l'introduction de délais d'ordre et la mise en oeuvre de la motion Wicki 21.4189 ne devraient pas avoir d'impact financier pour la Confédération. Globalement, la portée financière des modifications proposées n'est pas significative.

L'introduction d'une allocation de dépens dans les procédures administratives de première instance devrait, quant à elle, engendrer une charge financière additionnelle pour la Confédération inférieure à 10 millions de francs (cf. ch. 6.1). L'allégement administratif qui en résulte pour les entreprises en cas d'issue positive de la procédure les concernant devrait particulièrement bénéficier aux petites PME.

4.3

Mise en oeuvre

Les dispositions de droit matériel révisées ne semblent poser aucun problème fondamental de mise en oeuvre. Plusieurs États européens connaissent des dispositions similaires (à l'exception de celles mettant en oeuvre la motion Français 18.4282), sans que leur contenu ait laissé apparaître des difficultés d'application. Seule l'introduction 32 / 60

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du test SIEC pourrait générer une charge de travail accrue dans le cadre de concentrations d'entreprises problématiques exigeant un examen approfondi (en moyenne 1,2 sur les quelque 30 opérations notifiées chaque année52). La modernisation du contrôle des concentrations requiert d'adapter l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises53; la prise en compte des dommages-intérêts dans le calcul des sanctions et l'amélioration de la procédure d'opposition appellent une modification de l'ordonnance du 12 mars 2004 sur les sanctions LCart (OS LCart)54.

Les deux exigences adoptées de la motion Fournier 16.4094 ne devraient pas non plus poser de problème. Leur mise en oeuvre entraînera simplement une certaine pression sur les autorités en matière de concurrence et les tribunaux (délais d'ordre) ainsi que des dépenses supplémentaires à la charge de la Confédération (allocation de dépens dans les procédures administratives de première instance). L'octroi d'allocations de dépens dans les procédures administratives de première instance implique de réviser l'ordonnance du 25 février 1998 sur les émoluments LCart (OEmol-LCart)55.

La mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 induira un surcroît de travail pour les autorités en matière de concurrence et les tribunaux, de même qu'un allongement des procédures (à tous les échelons). En outre, une détermination au cas par cas de l'intensité requise des critères quantitatifs propres à établir le caractère notable de l'atteinte selon l'art. 5, al. 1, LCart s'accompagnera en toute logique d'une plus grande insécurité juridique.

5

Commentaire des dispositions

Art. 4, al. 1bis Le premier élément visant à mettre en oeuvre la motion Français 18.4282 (le deuxième élément fait l'objet du nouvel art. 5, al. 1bis, P-LCart, et le troisième, du nouvel art. 27, al. 1bis, P-LCart) concerne le traitement des consortiums en droit des cartels. Le terme consortium désigne généralement la coopération entre plusieurs entreprises indépendantes en vue de la réalisation conjointe d'un projet (de construction, p. ex.). Les entreprises qui se réunissent en consortium peuvent être actives au même échelon du marché ou à des échelons différents. La demande de clarification formulée dans la motion Français 18.4282 est satisfaite par l'art. 4, al. 1bis, P-LCart, qui pose l'admissibilité de principe des consortiums permettant ou renforçant une concurrence efficace. La loi énonce ainsi clairement que les consortiums sont foncièrement favorables à la concurrence, ce que considèrent déjà les autorités en matière de concurrence dans l'application du droit. Jusqu'à présent, la COMCO n'a encore jamais ouvert de procédure visant un consortium classique (c.-à-d. non «abusif»), et encore moins prononcé une interdiction ou une sanction à l'encontre d'un tel consortium.

52 53 54 55

Cf. statistiques dans les rapports annuels 2010 à 2021 de la COMCO, disponibles sur www.comco.admin.ch > Jurisprudence > Rapports annuels.

RS 251.4 RS 251.5 RS 251.2

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La création d'un consortium peut servir toutes sortes d'objectifs, dont voici quelques exemples: réunir toutes les compétences nécessaires à un projet d'acquisition, qu'une entreprise seule ne peut posséder; permettre la réalisation d'un projet lorsqu'une entreprise ne dispose pas à elle seule des ressources suffisantes (personnel, machines, etc.) pour l'exécuter; satisfaire les garanties financières requises pour un projet; mutualiser les risques liés à un projet, lorsque ceux-ci ne sont pas supportables pour une entreprise seule; remplir les critères de qualification d'un appel d'offres, ou permettre de présenter une offre plus avantageuse. Les consortiums sont formés pour faire face à une situation concrète; ils sont pertinents sous l'angle économique et justifiés du point de vue commercial. Ils rendent possible la participation à des marchés publics ou à des appels d'offres privés, ou encore contribuent à l'amélioration de l'offre proposée, ce qui permet ou renforce le jeu de la concurrence. Il est exceptionnel que les consortiums restreignent la concurrence et doivent être qualifiés d'accords en matière de concurrence au sens de l'art. 4, al. 1, LCart. Tel est le cas, par exemple, lorsqu'un consortium est créé dans le seul but d'éliminer la pression concurrentielle exercée par un partenaire du consortium.

Art. 5, al. 1bis Le deuxième élément visant à mettre en oeuvre la motion Français 18.4282 (le premier élément fait l'objet du nouvel art. 4, al. 1bis, P-LCart, et le troisième, du nouvel art. 27, al. 1bis, P-LCart) concerne la question de l'atteinte notable résultant d'un accord en matière de concurrence. La réglementation proposée pour donner suite à cette motion clarifie au niveau légal que, pour tout accord en matière de concurrence ­ autrement dit même s'il s'agit d'un accord «dur» (visé à l'art. 5, al. 3 ou 4, LCart) ­, le caractère notable doit être examiné sur la base de critères tant qualitatifs que quantitatifs, si la présomption de suppression de la concurrence efficace est renversée. La pondération de ces deux critères s'effectue au cas par cas, dans le cadre d'une évaluation globale. Ainsi, il se peut qu'une entrave grave sous l'angle qualitatif soit notable même si elle est peu importante d'un point de vue quantitatif. Inversement, une entrave ayant une portée considérable d'un
point de vue quantitatif peut être notable même si elle n'est pas grave sous l'angle qualitatif. À l'instar du texte de la motion, la formulation de la disposition proposée est délibérément ouverte, en particulier parce que la fixation de valeurs limites - comme des seuils de part de marché - représenterait un carcan trop étroit compte tenu de la diversité et de la complexité de la vie économique. La révision de l'art. 5 LCart vise à rétablir, en ce qui concerne les critères quantitatifs, la situation juridique de fait qui prévalait avant l'arrêt du TF dans l'affaire Gaba.

Art. 9, al. 1bis, 1ter et 5 Al. 1bis Les concentrations d'entreprises actives au niveau international doivent aujourd'hui être évaluées en parallèle par les autorités en matière de concurrence de plusieurs États, ce qui entraîne des redondances pour les entreprises et les autorités concernées.

L'art. 9, al. 1bis, P-LCart vise à réduire la charge liée aux procédures multiples.

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Dans l'UE56 et l'EEE57, les concentrations réputées «de dimension communautaire» sont examinées par la seule Commission européenne. Autrement dit, dans ces cas-là, aucun examen n'est effectué par les autorités des États membres de l'UE ou de l'EEE.

Si, pour la Suisse, tous les marchés de produits concernés par une opération de concentration comprennent la Suisse et au moins l'ensemble de l'EEE, il ne sera plus nécessaire de soumettre l'opération à l'appréciation de la COMCO. Dans la mesure où les autorités appliquent un processus d'évaluation commun (le test SIEC), on peut supposer qu'elles évaluent les concentrations de la même manière. Aussi, lorsqu'une opération de concentration lui est notifiée, la Suisse peut choisir unilatéralement de se placer dans la position d'un État membre de l'EEE et renoncer à examiner elle-même ladite opération. Par ailleurs, la simplification résultant de la réglementation proposée profite aussi aux entreprises. Il incombera aux entreprises concernées de vérifier si les conditions permettant de renoncer à la notification sont remplies.

Al. 1ter Il est prévu de simplifier l'obligation de notifier les concentrations d'entreprises dont les produits ou les services concernent ­ sous l'angle du droit des cartels ­ des marchés comprenant la Suisse et au moins l'EEE. Dès lors que les instances de l'UE interdisent les concentrations ou ne les autorisent qu'à certaines conditions ou charges sur ces marchés, leur décision déploie ses effets dans l'UE et l'EEE, indépendamment du pays. Une appréciation par les autorités suisses sera inutile dans ces cas-là. Le risque théoriquement envisageable qu'une entreprise s'engage à adopter un comportement dans l'EEE, mais ne le respecte pas en Suisse, semble acceptable, d'autant plus que les autorités suisses en matière de concurrence auront toujours la possibilité de s'appuyer sur les art. 5 et 7 LCart pour intervenir a posteriori contre des restrictions à la concurrence. Il suffira que la COMCO soit informée par les entreprises du processus de concentration en cours et de la décision de l'UE. L'art. 9, al. 1ter, P-LCart prévoit l'obligation de transmettre à la COMCO, dans un délai de dix jours, une copie complète de toute opération de concentration notifiée à la Commission européenne. Les autorités en matière de concurrence pourront
ainsi vérifier de façon simple et rapide la vraisemblance des conditions d'exemption de l'obligation de notifier la concentration en Suisse. Dans les cas où les autorités estiment qu'une telle notification est néanmoins nécessaire, on peut s'attendre, en vertu du principe de la confiance, à ce qu'elles en informent rapidement les entreprises participantes. Si, au moment de la notification à la Commission européenne, les entreprises font erreur en estimant que les conditions prévues à l'art. 9, al. 1bis, P-LCart sont réunies, autrement dit si l'évaluation de la concentration par la Commission européenne révèle ensuite que tel n'est pas le cas (p. ex. parce qu'il apparaît que certains des marchés se limitent géographiquement à la Suisse), elles devront notifier immédiatement la concentration aux autorités suisses.

Al. 5 En vertu de l'art. 9, al. 5, LCart en vigueur, l'Assemblée fédérale peut, par voie d'arrêté de portée générale non soumis au référendum, adapter aux circonstances les montants fixés à l'art. 9, al. 1 à 3, et assortir de conditions spéciales l'obligation de notifier 56 57

Cf. règlement CE sur les concentrations.

Cf. art. 57, par. 2, point a, de l'Accord EEE.

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des concentrations d'entreprises dans certaines branches de l'économie. Le législateur a entre autres justifié l'instauration de cette prérogative par la possibilité d'une intervention rapide. Or, depuis son entrée en vigueur, cette disposition n'a jamais été utilisée par l'Assemblée fédérale. Son principal avantage réside dans le fait que l'adaptation des montants en question ne requiert aucune modification au niveau légal, autrement dit qu'il n'est pas nécessaire de passer par le processus législatif ordinaire.

Son utilité n'ayant pas été démontrée, le Conseil fédéral est d'avis que cette disposition peut être abrogée, d'autant que le Parlement peut modifier à tout moment l'ensemble des dispositions du droit des cartels, y compris les seuils fixés à l'art. 9 LCart.

Art. 10, al. 1 et 2 Les opérations de concentration ayant pour effet de supprimer la pression concurrentielle (fusion de deux concurrents, p. ex.) peuvent entraver de manière significative une concurrence efficace. Le régime actuel de contrôle des concentrations d'entreprises ne tient pas suffisamment compte de leurs effets anticoncurrentiels. L'art. 10, al. 1 et 2, P-LCart permettra en revanche un examen complet des effets tant négatifs que positifs d'une concentration d'entreprises.

Le libellé de l'art. 10, al. 1 et 2, P-LCart, en particulier l'emploi du verbe «entraver», s'appuie sur la formulation utilisée par l'UE plutôt que sur l'art. 7 LCart. Il en va de même pour l'adjectif «signifikant», qui doit être assimilé au terme «erheblich» utilisé dans la version allemande du Règlement CE sur les concentrations. Si le choix lexical est identique dans les versions française et italienne du Règlement CE sur les concentrations et du P-LCart ­ «significatif» en français et «significativo» en italien ­, ce n'est pas le cas en allemand: la réglementation proposée emploie «signifikant» au lieu de reprendre l'adjectif «erheblich» utilisé dans le droit de l'UE. Cette divergence linguistique vise à marquer la distinction par rapport au terme «Erheblichkeit» («caractère notable») figurant à l'art. 5, al. 1, LCart (dans le droit de l'UE, c'est «spürbar» qui est utilisé dans le contexte de l'examen des accords en matière de concurrence selon l'art. 101 du Traité sur le fonctionnement de l'UE58). Si la jurisprudence du TF a clarifié ce qu'il faut
comprendre par «caractère notable» à l'art. 5, al. 1, LCart, l'appréciation de l'entrave «significative» dans le cadre du contrôle des concentrations d'entreprises tiendra compte de la pratique européenne, qui a produit une jurisprudence abondante à ce sujet sur près de 20 ans.

Avec le test SIEC, une interdiction ou une autorisation sous conditions ou charges sera ponctuellement possible en cas d'entrave significative à la concurrence, même s'il n'y a pas création ou renforcement d'une position dominante. De fait, la perte de concurrence et la pression à la hausse sur les prix découlant d'une concentration d'entreprises peuvent, dans certains cas, être plus importantes que si cette concentration avait pour effet de créer ou de renforcer une position dominante. Il peut par exemple en être ainsi lorsque des entreprises qui se livrent une concurrence acharnée fusionnent, mais que l'entité issue de la concentration n'a pas une taille suffisante pour qu'il y ait création ou renforcement d'une position dominante. Des cas comme celui-là (que l'on appelle «gap cases») ne feraient pas l'objet d'un examen approfondi selon le 58

Version consolidée du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, JO C 326 du 26 octobre 2012, p. 47.

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régime actuel de contrôle des concentrations. Il convient toutefois de relever que la création ou le renforcement d'une position dominante par la concentration doit toujours être considéré comme potentiellement très problématique, car il en résulte un pouvoir de marché particulièrement élevé pour les parties à la concentration, ce qui leur permet d'influer sur les prix ou sur d'autres variables concurrentielles (comme la qualité des biens ou des services, ou l'innovation) indépendamment de leurs concurrents et d'obtenir ainsi un avantage décisif. Le texte normatif cite d'ailleurs expressément l'exemple de la création ou du renforcement d'une position dominante.

Les effets nuisibles des concentrations du point de vue économique ou social sont susceptibles, dans certains cas, d'être compensés, voire supplantés, par des retombées positives, parfois sur la concurrence elle-même. Ainsi, l'association d'un producteur et d'un distributeur peut déboucher sur une chaîne de distribution moins onéreuse et plus efficiente. Le critère de l'efficacité économique permet de déterminer si des effets positifs découlent spécifiquement de l'atteinte59. Le droit suisse des cartels, et plus précisément l'art. 5, al. 2, LCart, prévoit déjà qu'un accord en matière de concurrence puisse être justifié par des motifs d'efficacité économique, à condition qu'il ne conduise pas à la suppression d'une concurrence efficace, c'est-à-dire une concurrence qui remplit suffisamment ses fonctions statiques et dynamiques60.

Le passage au test SIEC implique, dans le contrôle des concentrations, la prise en compte des gains d'efficacité d'une concentration (art. 10, al. 2, let. b, P-LCart), comme le prévoit la réglementation éprouvée de l'UE. Il permet ainsi de corriger un défaut majeur du régime actuel. Dès lors que les gains d'efficacité compensent ou dépassent les effets négatifs de la concentration, les autorités en matière de concurrence devront autoriser l'opération.

Les gains d'efficacité résultant des concentrations peuvent profiter aux acheteurs (souvent les consommateurs) ou aux producteurs. Une fois l'opération de concentration réalisée, il faut parfois attendre quelque temps pour les observer. Ainsi, une opération de concentration peut contribuer à abaisser les coûts de production, ce qui profite d'abord aux producteurs. Or
il se peut que les économies d'échelle réalisées permettent par exemple d'investir dans la recherche et le développement, et donc dans de nouveaux produits de meilleure qualité, ce qui, dans une perspective dynamique, profite en fin de compte aussi aux acheteurs dans leurs échanges commerciaux avec les parties à la concentration.

Dans le régime européen de contrôle des concentrations, une participation adéquate des acheteurs, toujours dans une perspective dynamique, est nécessaire à la prise en compte des gains d'efficacité. Il en sera de même pour la Suisse. Dans l'espace économique fortement intégré que forment la Suisse et l'UE, il est très important pour les entreprises de pouvoir se référer à des règles uniformes lorsqu'il s'agit de prendre des décisions entrepreneuriales aussi cruciales et stratégiques que des concentrations.

C'est pourquoi le texte normatif précise que les gains d'efficacité liés à la concentration doivent profiter aux acheteurs pour pouvoir être pris en considération. Les acheteurs doivent bénéficier de ces avantages de manière équitable.

59 60

Message de 1995 sur la LCart, p. 554.

Message de 1995 sur la LCart, p. 514 s.

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Il convient par ailleurs de déterminer quels gains d'efficacité concrets peuvent être pris en compte dans l'examen d'une opération de concentration. Il n'est pas possible d'en dresser une liste exhaustive, puisque chaque concentration d'entreprises a ses spécificités. Comme évoqué, les concentrations peuvent déboucher sur différents types de gains d'efficacité. Elles peuvent par exemple conduire à une diminution des coûts de production ou de distribution avec, à la clé, une baisse des prix. À cet égard, les économies découlant uniquement de limitations de la production ayant pour effet d'entraver la concurrence ne sauraient être considérées comme des gains d'efficacité.

Des gains d'efficacité peuvent également résulter d'une amélioration des méthodes de production ou de l'innovation. Les parties à la concentration sont susceptibles d'obtenir les synergies, les réductions de coûts et le potentiel d'innovation nécessaires à cet effet en mettant leurs ressources en commun.

Ce sont avant tout les entreprises concernées qui savent quels gains d'efficacité elles peuvent tirer de la concentration, raison pour laquelle il leur incombe un devoir de coopération et de motivation accru. Les gains d'efficacité doivent être démontrés par les entreprises notifiantes et être vérifiables. Cette exigence signifie, d'une part, qu'ils doivent être exposés de manière aussi précise, complète et convaincante que possible.

Elle implique, d'autre part, que les gains d'efficacité ne doivent pas être vagues ni hypothétiques et qu'ils puissent être vérifiés avec des ressources raisonnables. Il est nécessaire à cet effet que les autorités en matière de concurrence puissent compter sur la coopération des parties à la concentration.

Les gains d'efficacité doivent en outre être propres à la concentration et être générés par elle. En d'autres termes, ils doivent être attribuables à l'opération de concentration notifiée et ne doivent pas pouvoir être obtenus dans une mesure similaire par un autre moyen qui entraverait moins la concurrence.

Enfin, les gains d'efficacité doivent avoir une portée suffisante pour compenser les inconvénients d'une entrave significative à la concurrence.

Art. 12 La formulation actuelle de l'art. 12, al. 1, LCart restreint aux personnes entravées dans l'accès à la concurrence ou l'exercice de celle-ci
le droit d'intenter une action devant un tribunal civil. Cette limitation pose problème, car le préjudice résultant d'une restriction illicite à la concurrence est souvent reporté en aval du marché par le biais d'une majoration des prix et répercuté, au bout du compte, sur les clients finaux, lesquels, selon l'actuel art. 12, al. 1, LCart, n'ont pas qualité pour agir. Il est dès lors judicieux d'étendre expressément la légitimation active à toutes les personnes touchées par une restriction illicite à la concurrence, en particulier aux consommateurs et aux pouvoirs publics (adjudicateurs de marchés publics, p. ex.). Les organisations de consommateurs qui ne sont pas elles-mêmes directement lésées pourront intenter une action si les consommateurs leur cèdent leurs prétentions conformément aux règles générales applicables en droit civil. Les dispositions relatives à l'action collective sont réservées, pour autant que les conditions correspondantes soient remplies61. Dans le 61

Les organisations de consommateurs peuvent en outre s'annoncer afin de participer à une enquête ouverte par la COMCO, conformément à l'art. 43, al. 1, let. c, LCart.

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nouveau droit, c'est la menace ou la violation des intérêts économiques des personnes concernées qui sera prise en compte, et non plus l'entrave à la concurrence. Cette nouvelle approche exige de modifier le titre de l'art. 12 LCart et la formulation de l'art. 12, al. 1, let. a, LCart, et de supprimer l'al. 2, qui n'a plus de raison d'être. Le critère de l'«intérêt économique» vise à restreindre la qualité pour agir aux personnes directement affectées ou menacées par la restriction à la concurrence en cause. La même condition figure à l'art. 9, al. 1, LCD, selon lequel celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général, ou celui qui en est menacé, peut faire valoir différentes prétentions civiles. Le TF comprend cette condition de la LCD comme impliquant une participation propre à la concurrence économique et exigeant du demandeur un intérêt immédiat à préserver ou à améliorer sa position concurrentielle grâce au succès de l'action intentée62. Une relation de concurrence n'est en revanche pas requise63. Une activité économique n'est pas non plus nécessaire, si bien que les consommateurs peuvent eux aussi faire valoir des prétentions. Cela étant, des intérêts abstraits, par exemple, ne sont pas suffisants pour fonder la légitimation active. De même, les personnes touchées indirectement, comme les actionnaires, n'ont pas qualité pour agir64.

Aux trois actions civiles prévues par le droit en vigueur en cas de restriction illicite à la concurrence vient s'ajouter une action en constatation de l'illicéité qui s'inspire de l'art. 9, al. 1, let. c, LCD et de l'art. 28a, al. 1, ch. 3, CC et qui rappelle la LCart de 1985. Cette action en constatation figure à l'art. 12, let. b, P-LCart.

L'actuel art. 12, al. 3, LCart est abrogé. Cette disposition, qui remonte à la LCart de 1985, est contraire au système actuel dans la mesure où elle fonde une responsabilité civile du fait d'un comportement licite sous l'angle du droit administratif des cartels.

Art. 12a Les actions prévues à l'art. 12, let. a et b, P-LCart, à savoir la cessation, la suppression et la constatation, ne se prescrivent pas. Par contre, selon l'opinion dominante, le délai de prescription relatif visé à l'art. 60
du code des obligations (CO)65 s'applique aux prétentions (non contractuelles) découlant d'une restriction illicite à la concurrence fixées à l'art. 12, let. c et d, P-LCart. Le nouveau droit de la prescription66 entré en vigueur le 1er janvier 2020 prévoit, à l'art. 60 CO, un délai de prescription relatif de trois ans (contre un an auparavant) pour les actions (civiles) découlant d'actes illicites.

Cela étant, dans bien des cas, ce délai plus généreux ne suffit pas pour garantir dans les faits la possibilité d'engager des actions consécutives en vertu du droit des cartels (à savoir des actions civiles intentées à la suite d'une décision des autorités en matière de concurrence), car les procédures administratives durent souvent plus de trois ans.

62 63 64 65 66

ATF 126 II 239 consid. 1a ATF 121 III 168 consid. 3b Cf. ATF 90 IV 39 s'agissant de la qualité pour déposer plainte pénale en vertu de l'actuel art. 23 LCD.

RS 220 Des informations complémentaires concernant le projet de révision sont disponibles sur www.parlement.ch > Travail parlementaire > Curia Vista > Recherche > 13.100.

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Même si l'instauration de délais d'ordre devrait accélérer les procédures, il ne faut pas s'attendre à ce que l'ensemble du processus soit ramené à moins de trois ans. Il est dès lors judicieux de prévoir une suspension de la prescription des actions en dommages-intérêts (droit civil) pendant la durée de la procédure d'enquête (droit administratif). Concrètement, la prescription est suspendue entre l'ouverture d'une enquête par les autorités en matière de concurrence conformément à l'art. 27 LCart (ou par la Commission européenne, dans le cas d'une enquête ouverte en vertu de l'accord sur le transport aérien) et la décision entrée en force, ou ne commence à courir qu'après celle-ci. Cette règle s'applique aussi bien au délai de prescription relatif qu'au délai de prescription absolu. Peu importe si l'enquête débouche sur une condamnation ou un classement. Conformément à l'art. 134, al. 2, CO, la prescription commence à courir ou reprend son cours ultérieurement. La formulation choisie couvre aussi bien les créances des lésés directs que celles des lésés indirects. Elle comprend également les prétentions qu'une personne ou entité lésée fait valoir à l'encontre d'une entreprise impliquée dans une infraction à la LCart et qui n'est pas partie à l'enquête. De la même manière, la prétention éventuelle d'un lésé à l'encontre d'une autre société du groupe que celle visée par l'enquête est comprise si cette autre société est présumée appartenir à l'«entreprise» au sens de l'art. 2, al. 1bis, LCart ayant commis l'infraction au droit des cartels. La possibilité d'attendre désormais la fin de la procédure menée devant les autorités compétentes en matière de concurrence protège les entreprises impliquées dans une procédure administrative contre des actions civiles précipitées, et permet en outre aux lésés de faire valoir plus facilement leurs prétentions civiles, ce qui renforce le volet civil du droit des cartels dans son ensemble. Enfin, la réglementation proposée permet d'éviter que des entreprises qui enfreignent le droit des cartels soient tentées de porter la décision de la COMCO devant les tribunaux dans le seul but d'échapper à des actions en dommages-intérêts.

Art. 13 La modification de l'art. 13 LCart s'inspire de la formulation proposée dans la révision avortée de 2012. Le TF part du principe que
les pratiques relevant du droit des cartels sont nulles ex tunc («dès le départ») au plus tard à compter de l'application des sanctions directes67. C'est pourquoi, à l'art. 13, let. a, P-LCart, il convient de remplacer la formulation «[décider que] des contrats sont nuls» (ex nunc, autrement dit à compter de la décision) par «constater que des contrats sont nuls» (ex tunc). Les modifications formelles de la let. b découlent de la modification de l'art. 12 P-LCart, qui règle la qualité pour agir. Elles n'ont aucune incidence sur le plan matériel.

Art. 22 Une modification rédactionnelle est apportée à l'art. 22 P-LCart. En reprenant l'abréviation de la PA dans la loi, il est possible de renoncer à la mention complète de la loi dans les articles suivants et d'utiliser à la place son abréviation officielle.

67

ATF 134 III 438 consid. 2.1 f.

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Art. 27, al. 1, 2e phrase, et 1bis Al. 1, 2ème phrase L'al. 1, 2e phrase, est reformulé pour clarifier que le DEFR et la COMCO ne peuvent charger le Secrétariat de la COMCO d'ouvrir une enquête que s'il existe des indices d'une restriction illicite à la concurrence. La formulation actuelle de l'art. 27, al. 1, 2e phrase, LCart («[le secrétariat ouvre une enquête] dans tous les cas [...]») implique que cette condition ne s'appliquerait qu'à l'ouverture de procédures par le Secrétariat de la COMCO d'entente avec un membre de la présidence, conformément à l'al. 1, 1re phrase. Or l'existence d'indices est généralement une condition nécessaire à l'ouverture d'une enquête, sans quoi cette dernière s'apparenterait alors à une recherche indéterminée de moyens de preuve (fishing expedition).

Al. 1bis Le troisième élément visant à mettre en oeuvre la motion Français 18.4282 (le premier élément fait l'objet du nouvel art. 4, al. 1bis, P-LCart, et le deuxième, du nouvel art. 5, al. 1bis, P-LCart) concerne le traitement des infractions légères par la COMCO.

Le principe de l'opportunité inscrit explicitement à l'art. 27, al. 1bis, P-LCart permet d'éviter que les autorités en matière de concurrence ne soient tenues de se pencher sur des infractions légères au droit de la concurrence. Certes, les autorités en matière de concurrence s'abstiennent déjà d'intervenir en cas d'infraction légère. Toutefois, la formulation de l'art. 27, al. 1, LCart («[...] le secrétariat ouvre une enquête [...]») et l'obligation d'engager des poursuites, applicable dans la procédure (de sanction) administrative, leur imposent de s'appuyer sur le principe général de proportionnalité.

L'introduction d'une disposition explicite dans la loi permet de clarifier le pouvoir d'appréciation des autorités quant à l'opportunité d'ouvrir une procédure.

Pour déterminer si une infraction peut être qualifiée de légère selon la nouvelle disposition, il convient d'abord d'évaluer le préjudice potentiel induit par la restriction à la concurrence. Il y a également lieu de tenir compte de l'ampleur et de la durée de cette restriction. En règle générale, les infractions visées à l'art. 5, al. 1, LCart devraient plus souvent être qualifiées de mineures que les accords «durs» énumérés à l'art. 5, al. 3 et 4, LCart. Toutefois, dans certaines circonstances,
même les accords visés à l'art. 5, al. 1, LCart peuvent potentiellement donner lieu à un préjudice si important qu'on ne saurait les considérer comme des infractions légères. À l'inverse, il n'est pas exclu que certains accords durs puissent entrer dans la catégorie des infractions légères à la concurrence selon l'art. 27, al. 1bis, P-LCart.

En vertu de leur pouvoir d'appréciation s'agissant de l'ouverture et du classement de procédures relatives aux infractions légères, les autorités en matière de concurrence peuvent, entre autres, se pencher sur les éléments suivants: l'importance des questions qui se posent en fait et en droit; la possibilité de rendre une décision de principe dans le cas d'espèce; le coût estimé de la procédure; la praticabilité et la complexité de la procédure; l'existence de moyens de preuve; le pronostic de la décision; la coopération des entreprises concernées; la volonté des entreprises d'abandonner la pratique illicite; les éventuelles prestations versées aux lésés à titre de réparation. Les autorités en matière de concurrence peuvent également prendre en considération les ressources dont elles disposent et les priorités stratégiques qu'elles se sont fixées. Elles ne sau41 / 60

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raient toutefois s'appuyer sur l'art. 27, al. 1bis, P-LCart pour s'abstenir d'ouvrir une enquête alors qu'elles en sont chargées par le DEFR ou la COMCO en application de l'art. 27, al. 1, P-LCart.

L'instauration du principe de l'opportunité pour les infractions légères ne signifie pas que les autorités doivent ouvrir systématiquement une enquête dès qu'elles ont connaissance d'indices d'infractions moyennement graves ou graves. Au contraire, le principe de proportionnalité pourra toujours s'opposer à la poursuite de telles infractions. De même, la nouvelle disposition n'étend pas les voies de droit contre l'ouverture d'une enquête. Comme à l'heure actuelle, la décision d'ouvrir une enquête n'est pas séparément susceptible de recours selon la PA.

Art. 32, al. 3 Dans le cas de concentrations transnationales d'entreprises, les différences de réglementation entre la Suisse et l'UE posent des problèmes de coordination tant aux entreprises qu'aux autorités en matière de concurrence, ce qui occasionne des frais administratifs. Dans l'UE, les délais prévus sont plus longs (nombre de jours supérieur, avec prise en compte des jours fériés) et peuvent en outre être prolongés (p. ex. lors de l'examen de charges et de conditions, ou à la demande des entreprises). La modification proposée maintient le délai principal, mais aménage la possibilité de compenser les différences de délai entre la Suisse et l'UE par le biais de prolongations, afin d'éviter des décisions contradictoires. Pour que la COMCO ne puisse pas prolonger le délai de son propre chef, une telle prolongation suppose l'accord des entreprises notifiantes. Les «motifs importants» exigés par la loi pour prolonger le délai (notamment l'examen de charges ou de conditions, l'harmonisation avec la procédure européenne relative à la concentration) devront être précisés après la présente révision partielle dans l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises68. La prolongation du délai est du ressort de la COMCO ou de sa chambre pour les concentrations d'entreprises. Compte tenu des délais plus longs en vigueur dans l'UE, il est prévu qu'une prolongation de délai d'un mois au maximum puisse être accordée.

Art. 33, al. 2 et 4 Al. 2 Par analogie avec l'actuel art. 32, al. 2, LCart, l'ajout de la précision «à la demande des
entreprises notifiantes» souligne que l'initiative d'une réalisation provisoire de la concentration (avant la décision de la COMCO) doit venir des entreprises. Cela correspond par ailleurs à la pratique actuelle. Les autres modifications sont d'ordre linguistique et n'entraînent aucune modification matérielle.

Al. 4 Par analogie avec l'art. 32 P-LCart et pour les mêmes motifs, une prolongation de délai sera également possible pour l'examen approfondi des concentrations d'entreprises selon l'art. 33 P-LCart. Le nouvel art. 33, al. 4, P-LCart prévoit que le délai 68

RS 251.4

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puisse, en Suisse, être prolongé de deux mois au plus. La prolongation du délai est du ressort de la COMCO ou de sa chambre pour les concentrations d'entreprises.

Art. 34 En raison de la possibilité de prolonger les délais (art. 32, al. 3, et 33, al. 4, P-LCart), un renvoi aux deux nouvelles dispositions est ajouté à l'art. 34 P-LCart.

Art. 35 Des modifications linguistiques sont apportées à l'art. 35, qui ne concernent que le texte français de la loi. L'expression «l'autorité de concurrence est» est remplacée par «les autorités en matière de concurrence sont».

Art. 39, al. 1 et 2 Al. 1 Une modification rédactionnelle est apportée à l'art. 39, al. 1, P-LCart. Au lieu de mentionner la PA dans son titre complet, seule son abréviation est désormais utilisée.

Al. 2 Le nouvel al. 2 transfère du DEFR à la COMCO la qualité pour recourir devant le TF contre les décisions du TAF (cf. art. 42, al. 3, P-LCart). Cette disposition tient compte tant de l'exigence d'une base légale formelle que de la volonté du Conseil fédéral de préserver l'indépendance de la COMCO dans le cadre des procédures de recours devant le TF.

Art. 39a Le premier élément visant à mettre en oeuvre la motion Wicki 21.4189 (les deuxième et troisième éléments font l'objet de l'art. 53, al. 3 et 4, P-LCart) concerne la maxime de l'instruction. L'auteur de la motion demande tout d'abord le renforcement du principe de l'instruction dans le droit des cartels. Ce principe impose aux autorités de clarifier les faits d'office. En vertu de l'art. 39 LCart, la PA s'applique aux procédures administratives relevant du droit des cartels. L'art. 12 PA prévoit que l'autorité constate les faits d'office. La maxime de l'instruction s'applique donc déjà selon le droit en vigueur. En conséquence, le fardeau de la preuve incombe aux autorités en matière de concurrence pour toutes les circonstances à charge ou à décharge. Dans certains cas, une entreprise peut être tenue de coopérer. Pour donner suite à la motion Wicki 21.4189, la maxime de l'instruction est expressément inscrite dans le P-LCart, qui précise que les autorités en matière de concurrence doivent instruire les circonstances à décharge avec le même soin que les circonstances à charge. Dans la systématique de la LCart, cette nouvelle disposition doit être insérée dans la section 4 (Procédure et voies de droit), juste après le renvoi aux dispositions de la PA (art. 39 LCart). La formulation de la disposition s'inspire de l'art. 6 du code de procédure

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pénale (CPP)69, qui régit la maxime de l'instruction en droit pénal. Les procédures de sanction relevant du droit des cartels sont assimilées à des accusations en matière pénale au sens de l'art. 6 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)70. C'est pourquoi les autorités en matière de concurrence doivent appliquer diverses garanties de procédure pénale dans les procédures de sanction, dont le principe de non-incrimination (nemo tenetur se ipsum accusare: nul n'est tenu de s'incriminer soi-même). Comme ces procédures ne relèvent toutefois pas ici du noyau dur du droit pénal, des modulations de la portée de ces garanties sont admissibles71. L'entreprise en cause est tenue de coopérer lorsqu'elle fait valoir des circonstances qui relèvent de sa sphère d'influence, par exemple lorsqu'elle invoque l'existence de motifs d'efficacité économique.

Art. 40, 2e phrase Une modification rédactionnelle est apportée à l'art. 40 P-LCart. Au lieu de mentionner la PA dans son titre complet, seule son abréviation est désormais utilisée.

Art. 42, al. 2 et 3 Al. 2 L'extension modérée des mesures d'enquête aux fouilles de personnes prévue à l'art. 42, al. 2, P-LCart est nécessaire, car l'expérience a montré que les collaborateurs d'une entreprise visée par une perquisition pouvaient être tentés de cacher sur eux d'éventuels moyens de preuve. À défaut de base légale permettant de procéder à une fouille, effectuée en général par des représentants de la police cantonale, de tels objets (ainsi que d'autres moyens de preuve que les personnes portent sur elles en temps normal, comme les téléphones portables) ne pourraient être ni recherchés ni saisis. Par ailleurs, la réglementation proposée prévoit explicitement que même les objets de l'entreprise qui ne sont pas clairement affectés aux locaux commerciaux, comme les véhicules, peuvent être fouillés par les autorités en matière de concurrence. Ces mesures peuvent être utilisées par tous les organes d'enquête qui effectuent des perquisitions en application des art. 45 à 50 de la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (DPA)72. La fouille de personnes ou d'objets doit, comme les perquisitions et les saisies, être ordonnée par un membre de la présidence, sur proposition du secrétariat. Sur
la base de la délégation de pouvoir octroyée par un membre de la présidence, le Secrétariat de la COMCO peut décider, une fois sur place, quelles personnes et quels objets doivent être fouillés.

69 70 71

72

RS 312.0 RS 0.101 Concernant l'applicabilité des garanties de procédure pénale et la modulation de leur portée dans les «domaines périphériques» du droit pénal, cf. rapport du Conseil fédéral du 23 février 2022 donnant suite au postulat 18.4100 de la CIP-N du 1er novembre 2018.

(FF 2022 67 p. 776), ch. 3.1 ss.

RS 313.0

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Al. 3 À la différence du principe prévu à l'art. 39 LCart, l'art. 42, al. 3, P-LCart prévoit que les recours formés contre les décisions relatives aux mesures de contrainte visées à l'art. 42, al. 2, P-LCart (perquisitions, fouilles et saisies) doivent être adressés à la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF), qui statue aussi dans d'autres domaines sur de tels recours. Le fait que le TAF ne participe pas dès la phase de l'enquête à la vérification de la licéité de certaines mesures de contrainte (notamment l'examen de la condition liée au caractère suffisant des charges) permet d'éviter toute partialité potentiellement problématique sous l'angle du droit ainsi que des redondances dans la procédure judiciaire (entre le TPF et le TAF). Les dispositions de la DPA s'appliquent à la procédure de recours devant le TPF. Tout comme celles du TAF, les décisions sur recours rendues par le TPF peuvent être attaquées par la COMCO devant le TF. La réglementation proposée donne une base juridique claire à la qualité pour recourir et garantit l'indépendance de la COMCO dans le cadre des procédures de recours devant le TF.

Art. 42a L'art. 42a LCart fait l'objet d'une modification formelle. Avec l'entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne73, la dénomination officielle «Communauté européenne» a été remplacée par «Union européenne».

Art. 43, al. 2 Une modification rédactionnelle est apportée à l'art. 43, al. 2, P-LCart. Au lieu de mentionner la PA dans son titre complet, seule son abréviation est désormais utilisée.

Art. 44a La motion Fournier 16.4094 demande de fixer des délais pour les tribunaux dans les procédures administratives. Dans un souci de cohérence, le projet du Conseil fédéral fixe des délais à toutes les étapes de la procédure, y compris celles impliquant les autorités en matière de concurrence. La réglementation proposée pourrait mettre davantage sous pression les autorités en matière de concurrence et les tribunaux. Afin que la sécurité juridique demeure garantie, les droits des parties à la procédure et la qualité des décisions doivent rester intacts malgré les contraintes de temps supplémentaires. C'est pourquoi des délais d'ordre sont préférables à des délais immuables.

Il convient de relever que, si les tribunaux donnent la priorité aux procédures fondées sur
la LCart, ce sera au détriment de la durée d'autres procédures (de droit administratif). Or aucun motif objectif ne justifie une telle inégalité de traitement.

Al. 1 La motion ne s'exprime pas sur la durée précise des délais d'ordre. Le Conseil fédéral est d'avis que la durée maximale de l'ensemble de la procédure (toutes instances con73

Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, JO C 306 du 17 décembre 2007.

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fondues) ne devrait en principe pas dépasser 5 ans. Aussi propose-t-il de fixer à un total de 60 mois, sur la base du principe «se conformer ou s'expliquer», le délai d'ordre entre l'ouverture d'une enquête et l'entrée en force de la décision de la dernière instance, et de le répartir comme suit: 30 mois pour la COMCO (al. 1, let. b), 18 mois pour le TAF (al. 1, let. c) et 12 mois pour le TF (al. 1, let. e). Le projet prévoit un délai de 12 mois pour mener une enquête préalable (al. 1, let. a); le TAF et le TF ont chacun 4 mois pour se prononcer sur les recours contre les décisions de procédure (al. 1, let. c et e). Ainsi, des délais d'ordre sont instaurés pour toutes les étapes de la procédure, laquelle gagnera en rapidité et en prévisibilité. Même si la motion Fournier 16.4094 ne le demande pas, le Conseil fédéral propose, s'agissant du contrôle des concentrations, de fixer un délai de traitement des recours devant le TAF (al. 1, let. d). Les concentrations sont soumises à d'importantes contraintes de temps.

Les entreprises concurrentes devant pouvoir compter sur des décisions claires et rapides, des délais sont impartis à la COMCO pour examiner les opérations qui lui sont notifiées. Si les entreprises ne sont pas d'accord avec la décision de la COMCO d'interdire la concentration ou d'assortir son autorisation de charges ou de conditions, elles doivent pouvoir la contester rapidement par voie judiciaire. Une procédure de recours trop longue dissuade, dans certains cas, les entreprises de recourir. Il est donc imparti au TAF un délai de 3 mois pour statuer sur les recours, délai qui commence à courir dès le dépôt du recours. De l'art. 34 P-LCart, il ressort a contrario qu'il s'agit d'un délai d'ordre (et non d'un délai de péremption comme pour la COMCO), dans le sens d'un appel à l'instance de recours de statuer de manière rapide. L'art. 44a, al. 1, let. e P-LCart, s'applique également aux procédures de recours devant le TF contre une décision relevant du contrôle des concentrations.

Al. 2 En cas de renvoi à l'autorité précédente, l'art. 44a, al. 2, P-LCart prévoit un délai d'ordre de 12 mois, quelle que soit l'instance, car une grande partie des clarifications nécessaires ont en principe déjà été effectuées au moment de la première appréciation.

Al. 3 L'allongement de la durée d'une procédure
imputable aux parties visées par l'enquête prévu à l'art. 44a, al. 3, P-LCart ­ en particulier lorsqu'il est lié à une prolongation de délai, à une demande de récusation, au lancement tardif, par une partie, de négociations en vue d'un accord amiable, à une procédure de recours contre une décision de procédure ou à une mise sous scellés selon l'art. 50, al. 3, DPA ­ prolonge en conséquence les délais mentionnés aux art. 44a, al. 1 et 2, P-LCart.

Al. 4 Selon l'art. 44a, al. 4, P-LCart lorsqu'une enquête nécessite plus de temps en raison de sa grande complexité ou que d'autres circonstances entraînent un dépassement des délais, les autorités en matière de concurrence et les tribunaux sont tenus de communiquer aux parties à la procédure les motifs pour lesquels les délais n'ont pas été respecté, et ce, immédiatement après l'expiration desdits délais.

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Art. 49a, al. 3, 4 et 5 Al. 3 et 4 La présente révision confirme la conception fondamentale de la procédure d'opposition adoptée en 2003 par le législateur (l'annonce de restrictions à la concurrence libère du risque de sanction tant qu'aucune procédure n'est ouverte). Selon le nouveau droit, la procédure d'opposition ne sera plus réglée à l'art. 49a, al. 3, LCart, mais dans un nouvel alinéa qui lui est entièrement consacré, l'art. 49a, al. 4, P-LCart. C'est pourquoi l'art. 49a, al. 3, let. a, LCart est abrogé. En outre, deux modifications sont apportées afin d'améliorer le fonctionnement de la procédure d'opposition au profit des entreprises.

Premièrement, le risque de sanction pour une pratique annoncée est définitivement écarté si les autorités en matière de concurrence n'ouvrent pas d'enquête selon l'art. 27 LCart dans le délai d'opposition. L'ouverture d'une enquête préalable en application de l'art. 26 LCart ne suffit plus. Dans les cas où, malgré une notification complète, aucun indice d'une restriction illicite à la concurrence ne conduit à l'ouverture d'une enquête, les entreprises n'encourent plus de sanction pour la pratique annoncée. Si, au contraire, il existe des indices d'une restriction illicite à la concurrence du fait de la pratique annoncée, qu'elle soit ou non déjà mise en oeuvre, le Secrétariat de la COMCO ouvre une enquête en accord avec un membre de la présidence de la COMCO. Si l'ouverture de l'enquête se fait dans le délai imparti (cf. plus bas), le risque de sanction subsiste. Lorsque la pratique annoncée se révèle illicite, deux cas de figure sont possibles: si la pratique a seulement été envisagée, les autorités se limiteront à l'interdire; si elle est déjà mise en oeuvre, les autorités prononceront également une sanction.

Deuxièmement, le délai dans lequel les autorités en matière de concurrence doivent agir est ramené de cinq à deux mois. La pratique annoncée perd donc définitivement tout caractère punissable dès lors que les autorités compétentes n'ouvrent pas une enquête dans les deux mois qui suivent l'annonce. Si la pratique se révèle par la suite contraire au droit des cartels, elle ne peut être interdite que pour l'avenir: une sanction directe selon l'art. 49a, al. 1, LCart est exclue.

Al. 5 Selon le droit en vigueur, la COMCO ne peut atténuer une sanction
que si des dommages-intérêts ont été versés avant sa décision. Elle calcule le montant de la sanction sur la base des critères fixés à l'art. 49a, al. 1, LCart et à l'art. 6 OS LCart. Il est prévu qu'en cas de recours devant le tribunal, une entreprise sanctionnée dans la procédure administrative puisse également faire valoir les dommages-intérêts qu'elle a versés spontanément (c.-à-d. sans y avoir été contrainte par un tribunal civil) après la décision contestée et demander au tribunal d'atténuer en conséquence le montant de la sanction.

Selon le nouvel art. 49a, al. 5, P-LCart, si une entreprise condamnée verse spontanément des dommages-intérêts à une date ultérieure, c'est-à-dire après une décision entrée en force de la COMCO, du TAF ou du TF, elle peut adresser à la COMCO une requête tendant à réduire la sanction, conformément à l'art. 30, al. 3, LCart. La COMCO peut alors diminuer de manière appropriée la sanction administrative entrée 47 / 60

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en force ou, si l'entreprise a déjà payé la sanction, ordonner la restitution d'une partie appropriée du paiement. La décision de la COMCO peut elle aussi faire l'objet d'un recours.

Pour déterminer le degré de réduction de la sanction ou le montant du remboursement, il convient de tenir compte des circonstances du cas d'espèce, et notamment de l'importance des prestations versées (indemnisation de l'ensemble des lésés ou de seulement une partie d'entre eux, indemnisation totale ou seulement partielle, etc.) et du moment de leur versement (avant la décision de la COMCO, pendant la procédure de recours ou seulement après une décision judiciaire, p. ex.): plus les éventuelles indemnisations spontanées sont étendues, élevées et accordées tôt dans la procédure, plus elles auront de poids dans le calcul du montant de la sanction. Par exemple, dans le dossier «Strassenbau Graubünden», qui concernait des accords de soumission conclus entre 2004 et 2010 par douze entreprises de construction routière du nord et du sud des Grisons, la COMCO a réduit la somme des sanctions prononcées d'environ 14 millions de francs à quelque 11 millions, car neuf des douze entreprises avaient conclu, avant même sa décision, des accords de règlement avec des victimes de leur cartel. Ces entreprises s'y engageaient à verser environ 6 millions de francs au total au canton des Grisons et aux communes concernées74.

En droit des cartels, les sanctions ont à la fois une fonction punitive et une fonction confiscatoire. Lorsqu'une entreprise ayant violé le droit des cartels indemnise totalement ou partiellement ses victimes, il convient de réduire en conséquence la part confiscatoire de la sanction. En revanche, les prestations versées à titre de dommagesintérêts n'ont pas d'incidence sur le droit de répression appartenant à l'État. Elles ne sont donc pas intégralement prises en compte, mais le sont «de manière appropriée».

Cette réglementation vise à inciter les entreprises ayant enfreint des dispositions du droit des cartels à rechercher le plus tôt possible dans la procédure un accord amiable global avec (si possible) l'ensemble des personnes lésées par la restriction illicite à la concurrence. Dans la pratique, les relations d'affaires entre les auteurs et les victimes d'une infraction au droit des cartels subsistent souvent
après la découverte et la sanction de la restriction illicite à la concurrence. La réglementation proposée contribue donc aussi à la paix juridique. Contrairement à la formulation choisie dans la révision avortée de 2012, le Conseil fédéral propose de prendre en compte uniquement les dommages-intérêts versés «spontanément» par l'entreprise. L'objectif est double: il s'agit, d'une part, de favoriser les règlements extrajudiciaires et les arrangements transactionnels et, d'autre part, d'éviter que les parties ayant conclu un règlement extrajudiciaire doivent obtenir une décision formelle d'un tribunal civil, comme le prévoyait le projet de 2012.

Art. 53, al. 3 et 4 Al. 3 Le deuxième élément visant à mettre en oeuvre la motion Wicki 21.4189 (le premier élément fait l'objet du nouvel art. 39a P-LCart, et le troisième, du nouvel art. 53, al. 4, 74

Cf. COMCO, rapport annuel 2019 à l'attention du Conseil fédéral, p. 6, disponible sur www.comco.admin.ch > Jurisprudence > Rapports annuels.

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P-LCart) concerne la présomption d'innocence. La motion demande de «modifier la loi sur les cartels de telle sorte que le principe de la présomption d'innocence garanti par la Constitution soit respecté dans ce domaine également». La présomption d'innocence est un principe procédural qui régit les procédures pénales, mais ne s'applique pas aux procédures civiles ou administratives ordinaires. Il s'ensuit que, dans les procédures fondées sur la LCart qui prévoient des sanctions à l'encontre des entreprises en cause et qui sont par conséquent assimilées à des accusations en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH, la présomption d'innocence est déjà garantie par l'art. 6, ch. 2, CEDH, l'art. 14, par. 2, du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU)75 et l'art. 32, al. 1, de la Constitution (Cst.)76. L'application de la présomption d'innocence dans ces procédures n'est contestée ni dans la jurisprudence de la COMCO ou des tribunaux ni dans la doctrine77. Cela étant, la consécration de ce principe dans la LCart peut, même si elle est purement déclaratoire, contribuer à y sensibiliser davantage les parties à la procédure et les autorités chargées de l'application de la loi, et permettre de lever toute ambiguïté quant à sa validité. La formulation s'inspire de l'art. 10 CPP, même si l'emploi du qualificatif «innocente» est inhabituel dans le droit des sanctions administratives, lequel ne connaît pas de «culpabilité» classique, contrairement au droit pénal fondamental. Elle permet toutefois de souligner qu'il s'agit ici d'inscrire expressément le principe de la présomption d'innocence dans la LCart. La disposition proposée satisfait donc pleinement la demande formulée dans la motion Wicki 21.4189 à ce sujet.

Al. 4 Le troisième élément visant à mettre en oeuvre la motion Wicki 21.4189 (le premier élément fait l'objet du nouvel art. 39a P-LCart, et le deuxième, du nouvel art. 53, al. 3, P-LCart) concerne le fardeau de la preuve. Selon l'auteur de la motion, le renversement du fardeau de la preuve doit être exclu en droit des cartels. Le fardeau de la preuve (matérielle) détermine qui assume les conséquences d'une absence de preuve.

Cette question est liée à la maxime de l'instruction et à la présomption d'innocence.

Le fardeau de la preuve découle
normalement du droit matériel. La plupart des lois de procédure, dont le CPP, ne contiennent pas de règles générales en la matière. Il en va autrement en droit civil, où le principe suivant s'applique: «Chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit.» (art. 8 CC). Cette norme, qui a une portée fondamentale dans l'ordre juridique suisse, est notamment souvent utilisée par analogie dans l'application du droit administratif.

S'agissant toutefois des procédures relevant du droit des cartels en vigueur, dans lesquelles l'entreprise en cause encourt des sanctions, la doctrine et la jurisprudence considèrent que, comme en droit pénal, le fardeau de la preuve incombe en principe aux autorités en matière de concurrence. Depuis l'instauration de sanctions en 2003, ce principe s'applique de facto aussi aux présomptions légales figurant à l'art. 5, al. 3 et 4, LCart, et ce, contrairement au texte de ces dispositions. C'est pourquoi, comme le demande la motion Wicki 21.4189, il est prévu de régler expressément la répartition 75 76 77

RS 0.103.2 RS 101 Cf. rapport du Conseil fédéral du 23 février 2022 donnant suite au postulat 18.4100 de la CIP-N du 1er novembre 2018 (FF 2022 67 p. 776), ch. 3.3.

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du fardeau de la preuve dans la LCart, sous la forme d'une nouvelle disposition spécifique, l'art. 53, al. 4, P-LCart: dans les cas passibles de sanctions, il incombe aux autorités de prouver l'existence des éléments factuels d'une pratique reprochée. Cette norme s'applique en principe aussi à la question, qui n'est pas entièrement résolue aujourd'hui, du fardeau de la preuve de l'existence (ou de l'absence) de motifs justificatifs selon l'art. 5, al. 2, LCart. À noter que, si les autorités supportent également le fardeau de la preuve de l'absence de motifs justificatifs, elles sont à cette fin tributaires de la coopération des entreprises, à qui il appartient de faire valoir d'éventuels motifs d'efficacité et de produire les preuves en leur possession.

En revanche, lorsqu'il n'est pas question de sanctions, il n'y a pas lieu de s'écarter de la répartition habituelle du fardeau de la preuve en droit administratif, car il s'agit alors de procédures administratives classiques et non de procédures assimilées à des accusations en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH. Le principe juridique général de la répartition du fardeau de la preuve, tel qu'il est énoncé à l'art. 8 CC, sert alors de point de repère. Il en va de même pour le volet civil du droit des cartels: là aussi, il n'est pas indiqué de s'écarter de la répartition usuelle du fardeau de la preuve. Sur la base de ces prémisses, la présente révision inclut une disposition sur le fardeau de la preuve qu'il est proposé d'insérer dans la section 6 LCart (Sanctions administratives).

Elle n'entraîne pas de modification du régime prévu aux art. 5 et 7 LCart.

Titre de la section 7 Le nouvel art. 53b P-LCart, qui règle les dépens, nécessite de modifier en conséquence le titre de la section 7.

Art. 53a, titre, al.1, 1bis, 1ter et 3 Titre Du fait de l'insertion du nouvel art. 53b P-LCart, l'art. 53a P-LCart ne sera plus le seul article de la section 7 et doit donc être doté d'un titre. Il est proposé de l'intituler «Émoluments».

Al. 1 À l'art. 53a, al. 1, let. a, LCart, l'expression «décisions relatives aux enquêtes concernant des restrictions à la concurrence» est remplacée par «procédures». Cette modification clarifie le fait que des émoluments peuvent aussi être perçus pour des enquêtes préalables selon l'art. 26 LCart, lesquelles ne se concluent
pas par une décision (notamment en cas de classement de la procédure suite à un changement de pratique des entreprises; a contrario art. 53a, al. 1bis, let. b, P-LCart). Elle n'entraîne aucun changement sur le plan matériel. En outre, dans un souci de clarification, une base légale explicite est créée pour la perception d'émoluments dans les cas impliquant des sanctions au sens des art. 49a à 53 LCart, et ce, par la mention expresse de l'art. 53 LCart à l'art. 53a, al. 1, let. a, P-LCart. Par la même occasion, l'art. 53a, al. 1, let. c, LCart est complété afin d'inscrire expressément dans la loi la pratique actuelle incontestée des autorités en matière de concurrence s'agissant de la perception d'émoluments pour les conseils et les procédures d'opposition. Le régime des émoluments fixé à

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l'art. 54 ss DPA continue de s'appliquer aux procédures pénales régies par les art. 54 à 57 LCart.

Al. 1bis et 1ter Le nouvel art. 53a, al. 1bis et 1ter, P-LCart vise à inscrire au niveau légal les dispositions figurant actuellement aux art. 2 et 3, al. 2, OEmol-LCart. La LCart contiendra ainsi une réglementation claire, tant en ce qui concerne l'obligation de verser des émoluments découlant du principe de causalité (art. 53a, al. 1bis, P-LCart) qu'en ce qui concerne les cas dans lesquels aucun émolument n'est perçu, notamment en raison du principe de la partie qui succombe (art. 53a, al. 1ter, P-LCart).

Al. 3 La disposition de l'art. 3 OEmol-LCart concernant la réglementation de l'exemption d'émoluments figurant expressément à l'art. 53a, al. 1ter, P-LCart rend superflue la norme de délégation correspondante de l'art. 53a, al. 3, 2ème phrase, LCart.

Art. 53b La motion Fournier 16.4094 demande que des dépens soient alloués à toutes les étapes de la procédure. Le droit suisse ne prévoit pas de dépens dans les procédures administratives de première instance, exception faite de l'art. 115, al. 1, de la loi fédérale du 20 juin 1930 sur l'expropriation78. L'auteur de la motion estime que les procédures administratives fondées sur la LCart sont particulièrement complexes, longues et onéreuses et qu'elles représentent une charge financière considérable pour les PME concernées. Il considère dès lors qu'une réglementation particulière est justifiée. Il convient toutefois de relever que d'autres procédures (de sanction) administratives (qui concernent p. ex. les jeux d'argent, les télécommunications ou les marchés financiers) peuvent également s'avérer longues, complexes et onéreuses. Il n'y a pas de raisons objectives d'accorder un traitement de faveur aux entreprises visées par des procédures administratives fondées sur la LCart. Il n'existe actuellement aucune disposition relative à une indemnisation spécifique des parties aux procédures de droit cartellaire.

L'art. 39 LCart renvoie à la PA, laquelle prévoit à son art. 64 des dépens pour les procédures de recours.

L'art. 53b P-LCart, qui repose sur l'art. 64 PA, crée une base juridique pour l'allocation de dépens aux parties dans les procédures administratives de première instance.

Lorsque tout ou partie d'une procédure d'enquête selon l'art. 27
LCart est classée sans suite, une indemnité pourra être versée d'office ou sur demande aux parties concernées. Pour éviter que la procédure de recours ne soit fractionnée et, partant, que des décisions contradictoires soient rendues, l'allocation des dépens devra être fixée dans la décision finale, ce qui est d'ailleurs usuel dans d'autres dispositions de procédure (comme l'art. 421 CPP). Les conditions donnant droit à une indemnité devront reposer sur les éléments présentés ci-dessous, tirés de la pratique en vigueur en matière de dépens dans les procédures de recours (notamment l'art. 64 PA).

78

RS 711

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L'art. 53b, al. 1, P-LCart s'inspire de l'art. 64, al. 1, PA. Cette disposition permettra à la COMCO d'accorder, d'office ou sur demande, une indemnité aux parties concernées par une enquête selon l'art. 27 LCart pour les dépenses découlant de celle-ci, à condition que la procédure dirigée contre elles ait été entièrement ou partiellement classée. Sur le modèle de l'art. 99 DPA, il est prévu que l'allocation de dépens puisse être entièrement ou partiellement refusée aux parties qui ont provoqué l'enquête par leur faute ou qui ont entravé ou prolongé la procédure sans raison.

Dans la pratique, la COMCO se contente parfois d'indiquer dans les considérants qu'une infraction non sanctionnable à la LCart a été commise, sans ordonner de mesures comportementales, en raison par exemple de l'absence de risque de récidive.

Les frais de procédure sont quand même mis à la charge de la partie, puisque celle-ci a enfreint la LCart et occasionné la procédure. La mention «sans suite» figurant à l'art. 53b, al. 1, P-LCart permet de préciser que la partie concernée n'a alors pas droit à une indemnisation. En cas de classement partiel de la procédure, par exemple si seul l'un des soupçons a été confirmé, il est envisageable de réduire les dépens alloués.

L'art. 64, al. 1, 2 et 5, PA est applicable par analogie aux modalités d'allocation des dépens.

Les indemnités versées aux parties dans les procédures de recours devant le TAF et le TF seront quant à elles toujours régies par les dispositions correspondantes relatives aux procédures de recours, à savoir l'art. 64 PA et l'art. 68 LTF.

Art. 57, al. 1 Une modification formelle est effectuée à l'art. 57 LCart afin de citer la DPA selon la pratique en vigueur. Elle n'a aucune incidence sur le plan matériel.

Art. 59a La publication du rapport du Conseil fédéral du 25 mars 2009 concernant l'évaluation de la LCart et la suite à donner au dossier concrétise l'actuel article relatif à l'évaluation. Le Conseil fédéral considère que le régime en place a fait ses preuves et propose de prévoir, à intervalles réguliers, une évaluation de l'efficacité et des mesures de la LCart à l'intention du Parlement. Cette évaluation périodique permettra au Conseil fédéral et au Parlement d'examiner l'orientation de la législation sur les cartels et, le cas échéant, de la redéfinir. Le
Conseil fédéral pourra solliciter le concours de la COMCO afin de réaliser cette évaluation.

Art. 62 Al. 1, al. 1, 2, 3 et 4 L'al. 1 prévoit que l'ancien droit restera applicable aux procédures d'examen des concentrations d'entreprises engagées à la date de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, et ce, tant pour les dispositions matérielles que pour les dispositions procédurales.

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Al. 2 Selon l'al. 2, les nouvelles dispositions relatives aux délais d'ordre (art. 44a P-LCart) et aux dépens (art. 53b P-LCart) s'appliqueront uniquement aux procédures ouvertes par la COMCO après leur entrée en vigueur.

Al. 3 L'al. 3 prévoit que le délai de cinq mois applicable, selon le droit actuel, aux procédures d'opposition (cf. art. 49a, al. 4, P-LCart) restera valable si l'annonce a été déposée avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Il permet d'éviter que l'entrée en vigueur de la LCart révisée (où le délai en question est ramené à deux mois) n'entraîne l'échéance d'un délai qui courrait encore sous l'ancien droit. À part en ce qui concerne le délai, les nouvelles dispositions seront applicables dès leur entrée en vigueur à ces procédures. En conséquence, le risque de sanction n'existera qu'à compter de l'ouverture d'une enquête formelle au sens de l'art. 27 LCart dans le délai d'opposition en vigueur au moment de l'annonce.

Al. 4 Pour les prétentions découlant d'une restriction à la concurrence au sens de l'art. 5 ou 7 LCart qui fait l'objet d'une procédure fondée sur l'art. 27 LCart, l'empêchement ou la suspension de la prescription selon l'art. 12a P-LCart prendra effet au moment de l'entrée en vigueur de cette nouvelle disposition. Conformément à l'al. 4, les prétentions prescrites demeureront prescrites79. Il ne serait en effet guère compatible avec la sécurité juridique que de telles prétentions redeviennent opposables à la suite de l'entrée en vigueur de l'art. 12a P-LCart. En revanche, si une prétention n'est pas encore prescrite à la date de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, l'art. 12a P-LCart s'appliquera pour déterminer la durée restante jusqu'à la prescription.

6

Conséquences

6.1

Conséquences pour la Confédération

Eu égard à l'introduction de dépens dans la procédure administrative de première instance (mise en oeuvre de la motion Fournier 16.4094), les conséquences pour la Confédération sont uniquement financières. Dès lors que les autorités en matière de concurrence auront suspendu sans suites tout ou partie de la procédure d'enquête, les entreprises concernées se verront également allouer des dépens pour la procédure de première instance, ce qui grèvera le budget de la Confédération.

Au cours des 15 dernières années, la COMCO a mené des enquêtes contre quelque 350 entreprises. Si l'on considère les dossiers clos, la demande formulée dans la motion aurait été applicable à une soixantaine de cas. Une centaine de procédures étant encore pendantes devant les tribunaux, il est possible que le nombre de procédures dans lesquelles une allocation de dépens entrerait en ligne de compte pour cause de suspension de la procédure vienne à augmenter. Faute de précédent, il n'y a pas de 79

Par analogie avec l'ATF 124 III 266.

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données fiables sur le montant moyen des dépens par cas. Actuellement, les parties ne sont en outre pas tenues de transmettre de note de frais à la COMCO. Le Conseil fédéral estime que le montant des indemnités pourrait varier fortement d'un cas à l'autre. Par ailleurs, les procédures relevant du droit des cartels étant souvent coûteuses et dirigées contre plusieurs parties, elles sont susceptibles de donner lieu à des dépens conséquents.

On ne connaît que les coûts qui ont été occasionnés aux autorités en matière de concurrence dans le cadre de procédures de sanction et facturés aux entreprises concernées. Les dépenses de la COMCO et de son secrétariat s'élèvent en moyenne à 117 320 francs80 par entreprise et par procédure d'enquête. On peut toutefois partir du principe que les frais des parties défenderesses dans les procédures administratives de première instance sont souvent plus élevés que ceux à la charge des autorités en matière de concurrence, notamment parce que les premières ne profitent pas d'effets de synergie. Comme mentionné plus haut, la demande formulée dans la motion Fournier 16.4094, à savoir l'allocation de dépens dans les procédures administratives de première instance, aurait été applicable au minimum à une soixantaine de cas traités au cours des 15 dernières années, soit au minimum 4 cas par an en moyenne. Pour déterminer le montant à intégrer dans le budget du DEFR et de la COMCO, il serait prudent de prévoir une marge de deux cas supplémentaires par an. Pour l'instant, seuls les coûts incombant à la COMCO et à son secrétariat sont connus, à savoir en moyenne 117 320 francs par entreprise et par procédure d'enquête. On estime l'indemnité maximale à 4 fois ce montant, soit 500 000 francs par entreprise ayant obtenu gain de cause. Il en résulte une enveloppe annuelle de 3 millions de francs pour l'allocation de dépens dans les procédures administratives de première instance. La mise en oeuvre de cette demande de la motion Fournier 16.4094 appelle en outre une modification de l'OEmol-LCart.

Telle que proposée, la révision partielle de la LCart ne devrait pas avoir d'incidence sur le personnel de la Confédération. Les dépenses supplémentaires induites par certaines modifications légales (contrôle des concentrations, procédure d'opposition, prise en considération des dommages-intérêts
versés, p. ex.) peuvent être absorbées par les ressources existantes. La révision ne devrait notamment pas engendrer de dépenses ou de charges de personnel supplémentaires pour les autorités en matière de concurrence ou les tribunaux fédéraux (TF et TAF). L'introduction du test SIEC pour les concentrations d'entreprises devrait cependant impliquer un surcroît de travail pour la COMCO et son secrétariat durant les phases d'implémentation et d'exécution du droit81. En revanche, les adaptations du droit matériel dans le contrôle des concentrations ne créeront pas de besoins supplémentaires en personnel et en moyens financiers qui ne puissent être couverts par le budget de la COMCO. Les nouveautés en matière de procédure d'opposition pourraient elles aussi entraîner un surcoût pour les autorités en matière de concurrence, car le nombre d'annonces et de procédures d'opposition subséquentes augmentera probablement. La mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 est également susceptible d'accroître la charge de travail des autorités en matière de concurrence et des tribunaux, étant donné qu'il faudra tenir compte à la fois des critères quantitatifs et des critères qualitatifs. Quoi qu'il en soit, 80 81

Calculs basés sur les données de la COMCO.

Cf. étude Swiss Economics, p. 47.

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il est prévu de couvrir les dépenses supplémentaires énumérées par les ressources existantes, éventuellement aux dépens d'autres travaux.

Le renforcement du droit civil des cartels aura surtout des conséquences pour les tribunaux civils cantonaux et, partant, pour les cantons (cf. ch. 6.2). Il est possible que le TF doive traiter davantage de dossiers relevant du droit civil des cartels, mais l'augmentation devrait être limitée.

6.2

Conséquences pour les cantons, les communes, les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne

Actuellement, l'application du droit des cartels s'effectue dans une large mesure par la voie du droit public, la compétence en incombant aux organes de la Confédération.

Le renforcement du droit civil des cartels pourrait entraîner une sollicitation plus importante des tribunaux civils cantonaux. Toutefois, il est vraisemblable que les actions consécutives se régleront par une transaction conforme à l'issue de la procédure administrative et ne déboucheront qu'occasionnellement sur un procès civil. Il est dans l'intérêt des cantons de lutter contre les restrictions à la concurrence régionales dont les autorités en matière de concurrence ne se saisissent pas, mais à l'encontre desquelles les clients finaux engagent une procédure de droit civil. Enfin, les cantons et les communes auront eux aussi qualité pour agir en justice, ce qui sera dans leur intérêt s'agissant des accords de soumission en particulier.

6.3

Conséquences économiques

6.3.1

Conséquences pour les différents acteurs économiques

Révision de l'art. 5 LCart La mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 par la révision de l'art. 5 LCart signifie que les cinq types d'accords durs horizontaux et verticaux prévus par la loi ne sont plus considérés a priori comme affectant la concurrence de manière notable. La prise en considération de critères quantitatifs dans l'examen du caractère notable de l'atteinte pour les accords durs aura un impact sur la durée de la procédure, car elle devrait induire une charge supplémentaire considérable pour les autorités en matière de concurrence et les tribunaux comme pour les entreprises concernées, de même qu'une hausse des frais de procédure et de défense. Ces effets sont contraires à la demande exprimée dans la motion Fournier 16.4094, à savoir simplifier et accélérer les procédures administratives du droit des cartels. De surcroît, l'analyse au cas par cas des accords horizontaux ou verticaux durs entraînera une grande insécurité juridique pour les entreprises, du moins jusqu'à ce que des décisions exécutoires entrent en force, ce qui pourrait se traduire par une hausse des coûts liés au conseil juridique et aux programmes de conformité visant à éviter les infractions au droit des cartels.

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Certains accords horizontaux ou verticaux durs (comme les restrictions contractuelles à l'importation en Suisse) et la diminution subséquente de la pression concurrentielle risquent de provoquer une majoration des prix des produits et services concernés, aussi bien pour les entreprises (en particulier les PME) que pour les consommateurs et les pouvoirs publics (adjudicateurs de marchés publics, p. ex.). Il sera en outre beaucoup plus difficile pour les personnes lésées de faire valoir des prétentions civiles contre les auteurs potentiels de violations du droit des cartels. En effet, elles devront prouver le caractère notable de l'atteinte non seulement sous l'angle qualitatif, mais aussi sous l'angle quantitatif, ce qui risque de compromettre les efforts déployés pour améliorer le volet civil du droit des cartels.

Contrôle des concentrations Le but du droit des cartels est avant tout de préserver l'efficacité de la concurrence.

Le contrôle des concentrations joue à cet égard un rôle de premier plan. Il permet aux autorités en matière de concurrence d'examiner, avant leur réalisation, les concentrations du marché qui résulteraient d'une concentration d'entreprises et risqueraient d'avoir un effet anticoncurrentiel, et de les interdire ou de les assortir de charges ou de conditions. Le test de dominance du marché appliqué en Suisse n'atteint que partiellement l'effet préventif que vise le contrôle des concentrations. Cela tient en particulier au fait que les effets anticoncurrentiels dus à la concentration d'entreprises n'influent sur le résultat de l'examen que si le seuil de dominance qualifiée est atteint.

Avec le test SIEC, ce type d'effets (augmentations de prix, baisses de qualité, éviction de concurrents, p. ex.) peuvent influer sur le résultat de l'examen même en dessous du seuil de dominance. C'est le cas si l'atteinte à la concurrence efficace est notable et que les avantages en matière d'efficacité découlant de la concentration ne suffisent pas à la contrebalancer. Le test SIEC permet d'appréhender de manière globale les effets, négatifs et positifs, et de mieux en tenir compte.

Il est difficile d'évaluer l'impact économique concret qu'aura le passage au test SIEC en Suisse. Les expériences internationales de l'instauration de ce test sont généralement positives.

S'agissant du taux
d'intervention, il convient de noter que le seuil d'intervention est dans un premier temps abaissé du fait de l'utilisation du test SIEC, mais remonte ensuite en raison de la prise en compte des gains d'efficacité. L'expérience des autres pays montre ainsi que le taux d'intervention reste en principe identique après le passage au test SIEC82. Dans le cas de la Suisse, ces observations doivent toutefois être 82

OCDE, 2009, Roundtable on the Standard for Merger Review, with a Particular Emphasis on Country Experience with the Change of Merger Review Standard from the Dominance Test to the SLC/SIEC Test, p. 8; Röller, L. H. / de la Mano, M., 2006, «The Impact of the New Substantive Test in European Merger Control», European Competition Journal, pp. 9 à 28; Kuhn, T., 2020, «The 15th Anniversary of the SIEC Test Under the EU Merger Regulation ­ Where Do We Stand? Part 1», Zeitschrift für Wettbewerbsrecht (ZWeR) 2020, 1, pp. 1 à 51; «The 15th Anniversary of the SIEC Test Under the EU Merger Regulation ­ Where Do We Stand? Part 2», Zeitschrift für Wettbewerbsrecht (ZWeR) 2020, 153, pp. 153à 214; Botteron, V., 2021, Le contrôle des concentrations d'entreprises: analyse comparée du test de dominance suisse, du test SIEC européen et du test SLC américain, thèse présentée à la Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, p. 345; étude Swiss Economics, p. 35, 64.

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considérées avec prudence: étant donné qu'elle part d'un seuil d'intervention plus élevé avec le régime de la dominance (de marché) qualifiée, l'utilisation du test SIEC pourrait entraîner une légère hausse du taux d'intervention. Comme les valeurs seuils qui entraînent l'obligation de notifier ne sont pas abaissées, le nombre de concentrations devant être notifiées devrait rester stable. Le passage au test SIEC permettra en revanche de mieux cibler le contrôle des concentrations et de le rendre plus efficace.

L'introduction du test SIEC ne devrait pas menacer la sécurité juridique83. Les travaux d'appréciation des autorités en matière de concurrence restent fondamentalement les mêmes, sauf en ce qui concerne la prise en considération des gains d'efficacité. La COMCO pourra en outre s'appuyer sur la vaste pratique juridique de l'UE (notamment sur les lignes directrices de la Commission européenne84).

S'agissant de la notification d'une opération de concentration, la charge pour les entreprises devrait se maintenir dans le cadre actuel, car hormis la preuve d'éventuels avantages en termes d'efficacité, les entreprises devront remettre les mêmes informations que celles exigées dans le cadre du contrôle en vigueur. L'augmentation du nombre d'examens approfondis, par contre, entraînera de facto un accroissement des ressources nécessaires, vu que le seuil pour un tel examen sera abaissé. En ce qui concerne les concentrations de ce type (en moyenne 1,2 concentration sur environ 30 notifiées chaque année85), la charge pour les entreprises et les autorités en matière de concurrence sera systématiquement plus élevée en raison de la modification des critères d'appréciation. Les coûts supplémentaires devraient cependant s'avérer limités une fois que les standards de l'examen seront établis en pratique. Les concentrations qui ne posent pas de problème n'occasionneront, quant à elles, qu'une faible charge supplémentaire.

Pour les PME, en particulier, la modernisation du contrôle des concentrations ne devrait guère entraîner d'effets négatifs. Au contraire, les PME devraient largement profiter du test SIEC, car les tendances à la concentration qui nuisent à leurs marchés en amont ou en aval seront mieux prises en considération.

Par ailleurs, le test SIEC aura des conséquences positives pour les consommateurs,
car il examine de plus près les effets unilatéraux même en dessous du seuil de dominance du marché, comme des hausses de prix consécutives à des concentrations d'entreprises.

Enfin, renoncer à une évaluation autonome des concentrations internationales, c'està-dire des concentrations qui comprennent la Suisse et au moins l'EEE, entraîne une simplification administrative pour les entreprises.

83 84

85

Étude Swiss Economics, p. 40.

Commission européenne, lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO C 31 du 5.2.2004, p. 5; lignes directrices sur l'appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO C 265 du 18 octobre 2008, p. 6.

Calculs basés sur les données des rapports annuels 2010 à 2021 de la COMCO, disponibles sur www.comco.admin.ch > Jurisprudence > Rapports annuels.

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Volet civil du droit des cartels La refonte modérée du volet civil du droit des cartels permet aux personnes affectées par des restrictions à la concurrence de mieux faire valoir leurs droits, indépendamment de l'ordre de priorité fixé par les autorités, et de se faire indemniser pour le dommage subi. Ce renforcement du droit civil des cartels pourrait intensifier la concurrence, ce qui serait favorable aux entreprises, en particulier aux PME, et aux consommateurs. Il permettrait en outre d'endiguer la discrimination par les prix qui défavorise la clientèle suisse par rapport à celle des pays voisins, pour autant que les entreprises concernées agissent elles-mêmes contre l'entrave des livraisons croisées au sein de réseaux de distributeurs.

Procédure d'opposition L'amélioration de la procédure d'opposition permet de garantir que la procédure puisse mieux remplir le rôle que lui a assigné le législateur. Le raccourcissement du délai aura pour effet immédiat d'accroître la sécurité juridique pour les entreprises, ce qui peut être particulièrement important sur les marchés dynamiques. Dans le cas de démarches jugées sans risque apparent par les autorités en matière de concurrence ou ne concernant pas d'état de fait directement punissable, les entreprises qui auraient des doutes sur la licéité de leur projet recevront dans un délai de deux mois la confirmation qu'elles ne courent aucun risque de sanction en allant de l'avant dans la mise en oeuvre. La deuxième modification est notamment propre à diminuer l'effet inhibiteur de la menace de sanction sur les investissements des entreprises. Attendu que le risque de sanction existera uniquement si une enquête est ouverte durant le délai d'opposition, les entreprises seront davantage incitées à réaliser des investissements à long terme.

Délais d'ordre L'introduction de délais d'ordre dans la loi accélérera les procédures relevant du droit des cartels, de sorte que les entreprises concernées, en particulier, disposeront plus rapidement de décisions entrées en force, avec pour corollaire une plus grande sécurité juridique.

Dépens Les parties à une procédure verront leur charge financière allégée par des dépens dans les procédures de droit administratif si elles ne sont pas responsables de l'ouverture d'une enquête. Cette mesure soulage les entreprises en
général, et les PME en particulier, lorsque l'issue de la procédure leur est favorable. Selon le droit applicable, les parties ne peuvent prétendre à des indemnités dans une procédure devant la COMCO et son secrétariat; elles peuvent y prétendre seulement si l'affaire est portée devant un tribunal. Or les procédures sont généralement très complexes, longues et coûteuses et représentent une charge considérable, surtout pour les PME. Garantir une indemnisation des parties en fonction de l'issue de l'enquête et réduire ainsi les coûts à leur charge peut avoir un effet très positif, notamment sur les petites entreprises.

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6.3.2

Conséquences pour l'économie dans son ensemble

Les modifications de droit matériel améliorent l'effet préventif de la LCart ainsi que la sécurité juridique et l'efficacité de l'application de la LCart (amélioration de l'exécution), à l'exception de la mise en oeuvre de la motion Français 18.4282, qui rend plus complexe la lutte contre les cartels durs. Cette motion risque d'engendrer, ces prochaines années (du moins jusqu'à ce que le TF ait rendu de nouveaux arrêts), une insécurité juridique, une augmentation de la durée des procédures, une réduction de la pression concurrentielle et donc des prix plus élevés. Hormis la modification de l'art. 5 LCart demandée par la motion, les modifications devraient, ensemble, favoriser la concurrence. Une concurrence efficace stimulant la productivité et l'innovation, cela devrait se répercuter favorablement sur l'attrait de la Suisse et, tendanciellement aussi, sur la croissance du PIB suisse. L'impact d'une concurrence accrue sur le niveau des prix n'est pas non plus négligeable, puisqu'il devrait en résulter à long terme une baisse des prix sur les marchés concentrés du pays. Enfin, le droit suisse des cartels se rapprochera des normes internationales (UE, États-Unis, etc.), un atout supplémentaire pour le positionnement de notre place économique.

6.4

Conséquences sociales

Aucune conséquence n'est attendue pour la société.

6.5

Conséquences environnementales

Le projet ne devrait pas avoir de conséquences pour l'environnement, étant donné que les modifications proposées dans la LCart n'auront vraisemblablement pas d'influence sur les pratiques entrepreneuriales en matière d'environnement.

6.6

Autres conséquences

L'introduction de délais d'ordre pour les procédures administratives relevant du droit des cartels, tant devant les autorités en matière de concurrence que devant les tribunaux, est susceptible d'entraîner une priorisation des procédures cartellaires par rapport à d'autres procédures (administratives). Il convient toutefois de noter que les délais d'ordre ne sont pas contraignants pour les tribunaux.

7

Aspects juridiques

7.1

Constitutionnalité

Les dispositions proposées se fondent sur l'art. 96, al. 1, Cst., selon lequel la Confédération légifère afin de lutter contre les conséquences sociales et économiques dommageables des cartels et d'autres formes de limitation de la concurrence.

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7.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Toutes les modifications proposées sont en principe compatibles avec les obligations internationales de la Suisse. Cependant, la coopération de la COMCO avec la Commission européenne pourrait pâtir de la mise en oeuvre de la motion Français 18.4282 (cf. ch. 3). La modification de l'art. 5 LCart va en outre à l'encontre des recommandations de l'OCDE concernant l'évaluation des accords horizontaux durs.

7.3

Forme de l'acte à adopter

Le projet contient des dispositions importantes qui fixent des règles de droit devant être édictées sous la forme d'une loi fédérale conformément à l'art. 164, al. 1, Cst.

L'acte est sujet au référendum.

7.4

Frein aux dépenses

Le projet ne contient pas de dispositions relatives aux subventions et ne prévoit ni crédits d'engagement ni plafonds de dépenses. Il n'est donc pas soumis au frein aux dépenses (art. 159, al. 3, let. b, Cst.).

7.5

Conformité aux principes de subsidiarité et d'équivalence fiscale

Le projet ne touchant pas à la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, il n'affecte ni le principe de subsidiarité ni le principe d'équivalence fiscale.

7.6

Conformité à la loi sur les subventions

Le projet est sans lien avec la loi sur les subventions du 5 octobre 199086.

7.7

Délégation de compétences législatives

Le projet n'implique aucune délégation de compétences législatives.

7.8

Protection des données

Le projet ne touche aucune question en lien avec la protection des données.

86

RS 616.1

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