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23.057 Message concernant la modification du code civil suisse (Mesures de lutte contre les mariages avec un mineur) du 23 août 2023

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet d'une modification du code civil suisse (mesures de lutte contre les mariages avec un mineur) en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

23 août 2023

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

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Condensé La loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés, entrée en vigueur en 2013, visait également à contrer les mariages avec un mineur, à protéger les personnes concernées et à les soutenir. À l'issue d'une évaluation, le Conseil fédéral a conclu qu'il existe un potentiel d'amélioration en ce qui concerne la cause d'annulation du mariage liée à la minorité d'un des époux. La révision d'aujourd'hui entend améliorer encore les mesures du code civil (CC) tout en modifiant le droit international privé pour ne pas reconnaître certains mariages avec un mineur.

Contexte L'importance de la lutte contre les mariages avec un mineur et de la protection des personnes concernées est parfaitement reconnue. Les mariages avec un mineur ne sont plus possibles en Suisse depuis 2013. Les mesures de lutte contre les mariages avec un mineur ont été mises en place en même temps que celles contre les mariages forcés, étant précisé que tous les mariages avec un mineur ne sont pas automatiquement considérés comme des mariages forcés.

Une évaluation a montré que les mesures actuelles prises contre les mariages avec un mineur peuvent être améliorées. Actuellement, ces mariages doivent être annulés par un juge avant la majorité de l'époux mineur, sans quoi le vice entachant le mariage est réparé. Cette réparation à 18 ans intervient trop tôt. La pesée des intérêts, soit le fait qu'un tel mariage puisse exceptionnellement être reconnu lorsque l'intérêt prépondérant de l'époux concerné commande sa poursuite, a également été critiquée et remise en question.

La majorité des participants à la procédure de consultation ont en outre appelé de leurs voeux des mesures en droit international privé.

Contenu du projet Étant donné que le phénomène des mariages avec un mineur recouvre des situations très différentes, il n'est pas pertinent de traiter tous les cas de la même manière.

Le système en vigueur, à savoir l'annulation par le juge en vertu du CC, garantit la sécurité du droit. De plus, la réparation, l'examen au cas par cas et les règles relatives aux effets du mariage ne peuvent être adéquatement mis en oeuvre que dans le CC. Les bases de ce système gagnent donc à être conservées tout en étant améliorées conformément à l'évaluation. La réparation doit rester possible, car elle seule permet
d'éviter d'interférer d'office avec des structures familiales établies de longue date. Le projet prévoit toutefois qu'elle intervienne nettement plus tard, à 25 ans, de sorte que les personnes concernées et les autorités aient suffisamment de temps pour faire annuler le mariage après la majorité. Quant à la possibilité de maintenir le mariage à titre exceptionnel, le Conseil fédéral est convaincu qu'elle contribue à la protection des personnes concernées et qu'elle est compatible avec le droit supérieur.

Le projet tient compte du souhait émis par la majorité des participants à la procédure de consultation et modifie le droit international privé pour traiter deux situations spé2 / 64

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cifiques et ainsi renforcer la lutte contre les mariages avec un mineur. Dans les cas visés, les mariages ne seront pas reconnus et ne produiront pas d'effets en Suisse. Il s'agit d'une part des mariages avec une personne de moins de 16 ans, ces unions ne pouvant en aucun cas être reconnues, et, d'autre part, des mariages avec un mineur lorsque l'un des époux était domicilié en Suisse au moment de l'union. Cette seconde règle vise en particulier les mariages conclus durant les vacances d'été, soit les cas dans lesquels des mineurs vivant en Suisse sont mariés à l'étranger pendant les vacances. La non-reconnaissance est justifiée dans les deux cas. Cette modification du droit international privé permettra également de restreindre le champ d'application des causes d'annulation prévues par le CC et donc de limiter le nombre de procédures pour les autorités.

Le projet modifie également le droit applicable aux fiançailles de mineurs, ainsi que le droit des étrangers et de l'asile. Enfin, les améliorations du CC sont répercutées à l'identique dans la loi sur le partenariat.

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Table des matières Condensé

2

1

7 7 7 8

Contexte 1.1 Nécessité d'agir et objectifs visés 1.1.1 Remarques générales 1.1.2 Dispositions actuelles du CC 1.1.2.1 Annulation du mariage lorsque l'un des époux est mineur 1.1.2.2 Annulation du mariage conclu sous la contrainte 1.1.2.3 Lien entre les deux motifs d'annulation 1.1.3 Dispositions actuelles de la LDIP 1.1.4 Traitement des mariages avec un mineur 1.1.4.1 Examen de la reconnaissance en vertu de la LDIP et procédure d'annulation conformément au CC 1.1.4.2 Procédure d'annulation du mariage pour cause de minorité 1.1.4.3 Conséquences de l'annulation du mariage 1.1.4.4 Conséquences pour le droit des étrangers et le droit de l'asile 1.1.5 Évaluation des dispositions civiles et nécessité concrète d'agir 1.1.6 Fréquence des mariages avec un mineur 1.2 Solutions étudiées et solution retenue 1.2.1 Annulation du mariage conclu sous la contrainte 1.2.2 Mesures de sensibilisation 1.3 Relation avec le programme de la législature et avec le plan financier, ainsi qu'avec les stratégies du Conseil fédéral 1.4 Classement d'interventions parlementaires

8 8 8 10 11 11 12 13 13 15 16 16 16 17 18 18

2

Procédure préliminaire, consultation comprise 2.1 Projet mis en consultation 2.2 Synthèse des résultats de la consultation 2.3 Appréciation des résultats de la procédure de consultation

18 18 19 20

3

Comparaison avec le droit étranger 3.1 Bases 3.2 Droit international 3.3 Âge nubile 3.4 Différentes approches observées 3.5 Législations étrangères 3.6 Appréciation

20 20 21 21 22 22 25

4

Présentation du projet

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4.1

4.2

4.3

Enjeux d'une nouvelle réglementation 4.1.1 Différentes situations possibles 4.1.2 Approches possibles 4.1.2.1 Remarques générales 4.1.2.2 Approche retenue par le droit en vigueur et l'avant-projet: procédure d'annulation 4.1.2.3 Approche en droit international privé: non-reconnaissance 4.1.2.4 Évaluation des deux approches 4.1.3 Opportunité d'une norme exhaustive en droit international privé Réglementation proposée 4.2.1 Nouvelle norme dans la LDIP pour deux situations spécifiques 4.2.1.1 Remarques générales 4.2.1.2 Non-reconnaissance des mariages avec un mineur de moins de 16 ans 4.2.1.3 Non-reconnaissance des mariages avec un mineur lorsque l'un des époux était domicilié en Suisse 4.2.2 Amélioration des règles d'annulation de tous les autres cas de mariage avec un mineur dans le CC 4.2.2.1 Remarques générales 4.2.2.2 Article distinct sur l'annulation du mariage en raison de la minorité d'un des époux (art. 105a P-CP) 4.2.2.3 Réparation du vice à l'âge de 25 ans 4.2.2.4 Âge déterminant au moment de l'introduction de l'action 4.2.2.5 Pesée des intérêts et maintien du mariage à titre exceptionnel 4.2.2.6 Examen de la libre volonté de l'époux et maintien exceptionnel du mariage lorsque l'époux mineur est devenu majeur 4.2.2.7 Aspects procéduraux de l'annulation du mariage 4.2.3 Synthèse des situations possibles 4.2.4 Droit des étrangers et de l'asile 4.2.4.1 Droit des étrangers 4.2.4.2 Droit de l'asile 4.2.5 Adaptation simultanée de la loi sur le partenariat 4.2.6 Suppression de la possibilité de consentir aux fiançailles de mineurs 4.2.7 Pas d'infraction en cas d'élusion de la primauté du mariage civil Droit transitoire

26 26 27 27 28 29 30 30 31 31 31 32 33 34 34 35 35 36 37 39 40 41 42 42 43 44 44 45 46

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4.4

4.3.1 Dans le CC 4.3.2 Dans la LDIP Mise en oeuvre

46 46 47

5

Commentaire des dispositions 5.1 Code civil 5.2 Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration 5.3 Loi sur l'asile 5.4 Loi sur le partenariat 5.5 Loi fédérale sur le droit international privé

47 47 53 53 54 54

6

Conséquences 6.1 Conséquences pour la Confédération 6.2 Conséquences pour les cantons et les communes, ainsi que pour les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne 6.3 Conséquences économiques 6.4 Conséquences sociales 6.5 Conséquences environnementales

57 57

Aspects juridiques 7.1 Constitutionnalité 7.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 7.2.1 Annulation du mariage conclu avec une personne mineure 7.2.2 Non-reconnaissance du mariage conclu à l'étranger avec une personne mineure 7.2.3 Suspension de la procédure d'autorisation du regroupement familial du conjoint 7.3 Forme de l'acte à adopter 7.4 Frein aux dépenses 7.5 Conformité aux principes de subsidiarité et d'équivalence fiscale 7.6 Conformité à la loi sur les subventions 7.7 Délégation de compétences législatives 7.8 Protection des données

58 58 58 58

Travaux préparatoires et bibliographie 8.1 Travaux préparatoires 8.2 Bibliographie

61 61 62

7

8

Modification du code civil suisse (Mesures de lutte contre les mariages avec un mineur) (Projet)

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59 60 61 61 61 61 61 61

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Message 1

Contexte

1.1

Nécessité d'agir et objectifs visés

1.1.1

Remarques générales

Lutter contre les mariages avec un mineur et protéger les personnes concernées est depuis des années une priorité politique. La poursuite de ces objectifs va de pair avec les efforts que déploie le Conseil fédéral pour empêcher autant que possible les mariages forcés et soutenir efficacement les personnes touchées. Le Conseil fédéral applique depuis quelques années une stratégie de lutte contre les mariages forcés et les mariages avec un mineur qui repose sur plusieurs piliers: légiférer, soutenir la recherche, informer et sensibiliser la population, conseiller les personnes concernées.

C'est dans ce contexte que le Conseil fédéral a, en s'appuyant sur une étude sur les mariages forcés qui a été publiée en 20121, lancé le Programme fédéral de lutte contre les mariages forcés 2013­20172.

Parallèlement, la loi fédérale du 15 juin 2012 concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés est entrée en vigueur le 1er juillet 20133. Par le biais de cet acte modificateur unique, des dispositions visant à contrer les mariages forcés et à protéger efficacement les victimes ont été intégrées dans différents actes législatifs. Les adaptations concernaient le droit pénal, le droit international privé, le droit des étrangers et de l'asile et le droit civil. Dans ce contexte, des dispositions expresses ont été adoptées eu égard à la conclusion de mariages avec des mineurs. La Suisse entend empêcher ces mariages tout en protégeant et en soutenant efficacement les personnes concernées.

En exécution d'un postulat4, le Conseil fédéral a soumis à une évaluation les dispositions introduites dans le code civil (CC)5 par la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés6. Cette évaluation s'est concentrée sur les deux causes d'annulation du mariage introduites en 2013, le mariage forcé (art 105, ch. 5, CC) et le mariage avec un mineur (art. 105, ch. 6, CC). Le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion qu'il existe un potentiel d'amélioration et qu'il est nécessaire d'agir en ce qui concerne la cause d'annulation du mariage liée à la minorité d'un des époux7. Les dispositions qui s'y rapportent figurent donc au coeur de la présente révision.

1 2 3 4 5 6 7

NEUBAUER/DAHINDEN, Étude sur les mariages forcés.

À propos de la réalisation du programme, des résultats obtenus et des mesures proposées ultérieurement: voir le rapport sur le Programme fédéral.

RO 2013 1035 Po. 16.3897 Arslan du 16 décembre 2016 «Évaluation de la révision du code civil du 15 juin 2012 (mariages forcés)».

RS 210 Rapport du Conseil fédéral du 29 janvier 2020, cit. rapport d'évaluation.

Rapport d'évaluation, ch. 4.3 et 4.5.6.

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1.1.2

Dispositions actuelles du CC

1.1.2.1

Annulation du mariage lorsque l'un des époux est mineur

La principale mesure de lutte contre les mariages avec un mineur est entrée en force le 1er juillet 2013 avec l'art. 105, ch. 6, CC, qui prévoit que le mariage doit être annulé lorsque l'un des époux était mineur au moment de sa célébration. Dans ce cas, toutefois ­ contrairement à la cause d'annulation que constitue le mariage forcé (voir le ch. 1.1.2.2) ­ le vice entachant le mariage peut être réparé: l'annulation du mariage ne peut être demandée que si l'époux est mineur au moment où l'action est intentée ou au moment où la décision d'annulation est prononcée par le juge8. En d'autres termes, le vice est réparé dès que l'époux devient majeur. Le législateur a en outre prévu à l'art. 105, ch. 6, CC la possibilité de maintenir le mariage dans certains cas: si le tribunal civil constate, à la lumière de circonstances particulières, que l'intérêt du mineur à la poursuite du mariage prime l'intérêt public de lutter contre les mariages avec un mineur et le droit individuel à la protection, le mariage peut exceptionnellement être déclaré valable.

1.1.2.2

Annulation du mariage conclu sous la contrainte

La seconde mesure pertinente a trait à la contrainte (sur sa délimitation, voir le ch. 1.1.2.3): le mariage doit être annulé lorsqu'il a été conclu en violation de la libre volonté d'un des époux (art. 105, ch. 5, CC). Cette disposition s'applique à tout mariage conclu sous la contrainte, indépendamment de l'âge des époux au moment de sa célébration. Lorsqu'il est établi qu'il y a eu contrainte9, le mariage doit être annulé par le juge, sans que celui-ci doive tenir compte de la volonté de la personne concernée au moment de l'annulation. La possibilité de maintenir le mariage à certaines conditions, que le Conseil fédéral avait proposée à l'époque10, a été rejetée par le Parlement11. Le droit en vigueur ne permet donc pas la réparation ultérieure du vice entachant le mariage dans ce cas de figure.

1.1.2.3

Lien entre les deux motifs d'annulation

Lors de l'adoption de la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés, le législateur n'est pas parti de l'idée que tout mariage avec un mineur était également un mariage forcé, contrairement à ce qu'affirment certains auteurs de

8 9 10 11

La doctrine est partagée sur la question et la jurisprudence n'est pas homogène; voir le rapport d'évaluation, ch. 4.3.1.3 et 4.3.3.

Sur la définition de la contrainte, voir le message sur les mariages forcés, ch. 2.1 ad art. 105.

Message sur les mariages forcés, ch. 2.1 ad art. 105.

BO 2012 p. 448 ss

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doctrine12. L'âge à lui seul ne permet pas de déterminer de manière concluante la capacité de jugement, autrement dit la maturité psychique et physique pour contracter mariage. Dans le cas d'un mariage forcé, l'union est célébrée contre la libre volonté de l'un ou des deux époux. Or, le seul fait que l'un des deux fiancés au moins n'ait pas encore 18 ans ne signifie pas obligatoirement que l'on est en présence d'un mariage forcé13, car le mariage n'a pas nécessairement été conclu contre la volonté du mineur. Il ne serait donc pas correct de qualifier de mariages forcés tous les mariages avec un mineur, tout comme il existe des mariages forcés qui ne sont pas des mariages avec un mineur14. Enfin, n'oublions pas qu'un certain nombre de pays, dont des États européens, admettent encore la possibilité de se marier dès l'âge de 16 ans, voire plus tôt encore (voir le ch. 3.3)15.

Lors de l'élaboration de la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés, le législateur avait pour intention première de prévenir les mariages forcés et de soutenir les victimes. On sait toutefois qu'il est très difficile de prouver qu'un mariage a été conclu sous la contrainte. Plus l'état de contrainte se prolonge et moins l'époux marié contre son gré dénoncera la situation, si bien qu'il est pour ainsi dire impossible de réunir les preuves nécessaires. Et comme les mariages forcés sont souvent arrangés par la famille, les proches ne sont pas non plus disposés à soutenir les autorités dans la constitution de preuves. La situation se complique encore davantage si la célébration du mariage a eu lieu à l'étranger.

Le législateur d'alors a tenu compte du fait que les mariages forcés touchent souvent des personnes jeunes, essentiellement de jeunes migrantes16, et qu'un mariage forcé est souvent également un mariage avec un mineur. C'est la raison pour laquelle il a aussi prévu des mesures spécifiques pour les mariages avec un mineur. Il sera plus facile pour la personne mariée de force alors qu'elle était encore mineure d'obtenir l'annulation du mariage s'il suffit d'apporter la preuve de son âge au moment de sa célébration. Logiquement, le critère de l'âge est plus souvent invoqué devant les tribunaux que celui de la contrainte. La possibilité d'annuler le mariage pour cause de minorité d'un des époux
libère ainsi souvent l'époux mineur marié de force de l'obligation d'apporter la preuve de la contrainte; elle facilite également la tâche des autorités qui doivent apporter cette preuve. Il faut donc supposer qu'un certain nombre de mariages annulés en raison de la minorité d'un des époux devraient également être qualifiés de mariages forcés.

12

13 14

15

16

PROGRIN-THEUERKAUF/OUSMANE, FamPra, p. 326. La résolution du Conseil de l'Europe 2233 du 28 juin 2018 «Les mariages forcés en Europe» va également dans ce sens.

FOUNTOULAKIS/MÄSCH, publication commémorative Geiser, p. 244.

MAX-PLANCK-INSTITUT, Frühehe, p. 711. Le Service contre les mariages forcés partage le même avis. Il s'agit d'une ONG spécialisée dans le conseil et l'accompagnement des victimes qui dispose d'une longue expérience en matière de mariages forcés et de mariages avec un mineur; voir www.mariageforce.ch.

Voir l'avis de droit de l'ISDC et le rapport disponible sur www.fra.europa.eu > Work on rights > Equality, non-discrimination and racism > Children, youth and older people > Mapping minimum age requirements > Downloads: Country data on marriage and sexual consent. Certains États européens ne fixent même aucun âge nubile.

BÜCHLER, FamPra, p. 729; NEUBAUER/DAHINDEN, Étude sur les mariages forcés, profil socioéconomique des personnes subissant des pressions pour se marier (type A), p. 3 du résumé.

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Les deux situations qui entraînent l'annulation du mariage se recoupent donc en partie, tout en conservant un champ d'application propre à chacune d'elles. C'est ce que le législateur a voulu exprimer en adoptant deux causes d'annulation distinctes: il ne voulait pas seulement agir contre les mariages forcés en tant que tels, mais également de façon générale contre les mariages avec un mineur ­ qu'il s'agisse de mariages forcés ou non ­ pour protéger les mineurs17. Dans le cas où les deux causes d'annulation sont applicables simultanément, ce sont les circonstances concrètes qui permettront de déterminer la cause à invoquer. En cas de contrainte, le mariage doit toujours être annulé en application de l'art. 105, ch. 5, CC.

La minorité comme cause d'annulation du mariage (art. 105, ch. 6, CC) est invoquée plus fréquemment en pratique que le mariage forcé. Les statistiques le confirment: les chiffres relevés dans le cadre de l'évaluation montrent que les autorités recensent davantage de mariages avec un mineur que de mariages forcés (pour plus de détails, voir le ch. 1.1.6).

1.1.3

Dispositions actuelles de la LDIP

La loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés a modifié la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP)18, de sorte à interdire la conclusion de mariages entre des ressortissants étrangers en vertu du droit de leur État d'origine. Par conséquent, un mariage en Suisse n'est possible qu'entre deux personnes majeures. Concrètement, l'art. 44 LDIP a été modifié pour disposer que la célébration du mariage en Suisse est exclusivement régie par le droit suisse, y compris en ce qui concerne l'âge nubile. Le législateur voulait rendre les nouvelles causes d'annulation du mariage prévues par l'art. 105, ch. 5 et 6, CC applicables aux mariages forcés et de mineurs célébrés à l'étranger. C'est la raison pour laquelle il a créé une base légale claire avec l'art. 45a LDIP et étendu parallèlement la compétence des tribunaux suisses. Les actions en annulation d'un mariage intentées devant des tribunaux suisses sont exclusivement régies par le droit suisse. Cette compétence élargie vise à rendre une action possible en Suisse dans tous les cas présentant un lien suffisant avec notre pays, sur la base de l'une des causes d'annulation du mariage inscrites dans le code civil19.

17 18 19

Sur l'ensemble, voir les explications fournies dans le rapport d'évaluation, ch. 4.3.1.2.

RS 291 Message sur les mariages forcés, ch. 2.2.

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1.1.4

Traitement des mariages avec un mineur

1.1.4.1

Examen de la reconnaissance en vertu de la LDIP et procédure d'annulation conformément au CC

Étant donné que les mariages avec des mineurs ne sont plus possibles en Suisse depuis juillet 2013, les cas restants sont de facto toujours des situations internationales. Il s'agit de mariages célébrés à l'étranger20 pour lesquels la question de la reconnaissance se pose nécessairement.

La reconnaissance en Suisse de mariages conclus à l'étranger est donc soumise à la LDIP, sous réserve de l'existence d'un traité international (voir l'art. 1, al. 2, LDIP).

L'art. 45, al. 1, LDIP dispose qu'un mariage valablement célébré à l'étranger est reconnu en Suisse. Le principe du droit international privé suisse est donc que ces mariages doivent, autant que faire se peut, rester valables en Suisse, car un acte juridique tel que le mariage crée un état de fait qui ne saurait être remis en question sans nécessité (favor matrimonii)21. Du reste, les rapports juridiques imparfaits (le fait qu'un mariage soit valable dans un pays sans être reconnu dans un autre) doivent être évités autant que possible. Le mariage valablement célébré à l'étranger est donc reconnu en Suisse, sauf si cela porte atteinte à l'ordre public. D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, c'est le cas lorsque la reconnaissance blesse le sentiment de justice de manière insupportable, car elle serait contraire à des valeurs fondamentales de l'ordre juridique suisse22. Si l'un des époux est suisse ou si tous deux ont leur domicile en Suisse, l'art. 45, al. 2, LDIP prévoit en outre que le mariage n'est pas reconnu s'il a été célébré à l'étranger dans l'intention manifeste d'éluder les dispositions sur l'annulation du mariage prévues par le droit suisse23. La reconnaissance d'un mariage étranger est soumise à la réserve de l'art. 45a LDIP. Cela signifie qu'un mariage ayant un lien suffisant avec la Suisse peut être attaqué devant les tribunaux helvétiques si une cause d'annulation au sens des art. 105 ou 107 CC est identifiée. En règle générale, l'ordre public est ainsi respecté. Même si les mariages avec un mineur sont de facto toujours conclus à l'étranger, le législateur avait inscrit en 2012 une nouvelle cause d'annulation à l'art. 105, ch. 6, CC. La nouvelle disposition avait été retenue, car elle prévoyait une exception permettant de tenir compte des circonstances du cas d'espèce.

Avant qu'une annulation ne soit prononcée par le
tribunal compétent, il peut toutefois arriver que l'ordre public commande de refuser la reconnaissance d'un mariage entaché d'un vice si manifeste que l'on peut considérer qu'il serait de toute manière annulé par le tribunal24. Il s'agit alors d'un examen de la validité à titre préjudiciel. La nonreconnaissance à titre préjudiciel est envisageable lorsque l'époux mineur est extrêmement jeune. La doctrine majoritaire semble indiquer qu'il y a cause d'annulation

20

21 22 23 24

Dans le cas de la cause d'annulation que constitue la minorité, il est question de droit international privé matériel (art. 105, ch. 6, CC); WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 53 ad art. 45.

WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 1 ad art. 45.

ATF 131 III 182 consid. 4.1 und BODENSCHATZ, Basler Kommentar, no 21.

WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 38 ad art. 45.

Voir le message sur les mariages forcés, 1.3.2.2.

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manifeste dès que l'époux a moins de 16 ans25. La procédure d'annulation, par laquelle la nullité du mariage est établie de manière juridiquement contraignante, n'est pas affectée et doit de toute façon avoir lieu.

Cela signifie que le droit en vigueur exige en principe qu'un mariage avec un mineur soit d'abord reconnu, avant que sa validité soit examinée par le biais d'une procédure intentée d'office devant le tribunal civil (reconnaissance puis action en annulation)26.

1.1.4.2

Procédure d'annulation du mariage pour cause de minorité

La procédure d'annulation du mariage pour cause de minorité d'au moins un des époux se fonde sur l'art. 105 CC (causes absolues). L'action est intentée d'office par l'autorité (art. 106 CC). Cette cause d'annulation se distingue ainsi des causes relatives (art. 107 CC), pour lesquelles seul l'époux concerné peut demander l'annulation du mariage27.

La procédure consistant à faire valoir une cause absolue d'annulation du mariage au sens de l'art. 105 CC se déroule dans la plupart des cas en trois temps: ­

les autorités fédérales ou cantonales informent l'autorité habilitée à intenter l'action lorsqu'elles ont des raisons de croire qu'un mariage est entaché d'un vice entraînant sa nullité (art. 106, al. 1, 2e phrase, CC)28,

­

l'autorité désignée par le droit cantonal intente l'action d'office auprès du tribunal civil compétent lorsqu'il existe une cause absolue d'annulation du mariage (art. 106 CC; ci-après «autorité habilitée à intenter l'action»),

­

le tribunal civil compétent se prononce sur l'annulation du mariage.

L'action peut être intentée par toute personne intéressée ­ évidemment aussi par l'époux concerné ­ et ce en tout temps. Si elles décèlent des indices d'une cause d'annulation, les autorités sont tenues d'informer l'autorité habilitée à intenter l'action, qui agit d'office. Seul le tribunal civil est habilité à procéder à une pesée des intérêts.

Si une autre entité le fait, elle risque de préjuger de la décision du tribunal et de violer les droits de la personne concernée29. En faisant de la minorité une cause absolue d'annulation du mariage au sens de l'art. 105 CC, le législateur voulait éviter que les victimes doivent intenter l'action elles-mêmes. Comme l'époux qui se décide à demander l'annulation du mariage s'expose selon les circonstances à des réactions violentes, voire à des menaces graves, il est important que la tâche revienne d'office à 25

26 27 28 29

Voir la directive no 10.13.07.01 du 1er juillet 2013 de l'Office fédéral de l'état civil (OFEC); BODENSCHATZ, Basler Kommentar, no 25 ad art. 45; WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 53 ad art. 45; BUCHER, PJA 2013, p. 1159; DUTOIT/BONOMI, commentaire LDIP, no 9 ad art. 45.

BUCHER, mise à jour, no 21 ss; RANDIER, Jusletter, no 17; rapport explicatif, ch. 2.4.2; rapport d'évaluation, ch. 4.5.4.

GEISER, Basler Kommentar, no 2 ad art. 108.

L'autorité a l'obligation d'informer dans la mesure où cela est compatible avec ses attributions; art. 106, al. 1, CC.

Rapport d'évaluation, ch. 4.4.3, rapport explicatif, ch. 3.1., art. 105a, al. 2, ch. 1.; d'un autre avis: GEISER, Basler Kommentar, no 9b ad art. 106.

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l'autorité. En libérant les personnes concernées de cette charge, l'autorité remplit une importante fonction de protection des mineurs.

1.1.4.3

Conséquences de l'annulation du mariage

Lorsqu'il existe une cause d'annulation du mariage, celui-ci ne peut être annulé par le juge que si une action en annulation a été intentée. L'annulation du mariage ne prend effet qu'après avoir été déclarée par le juge. Jusqu'au jugement, le mariage produit en principe tous les effets d'un mariage valable. S'agissant des droits successoraux, toutefois, le conjoint survivant perd toutes ses prétentions avec l'annulation du mariage (art. 109, al. 1, CC).

Selon différents auteurs de doctrine, la décision d'annulation du mariage est un jugement formateur30. Le Tribunal fédéral a retenu à ce propos qu'il fallait faire une distinction entre l'acte concernant le statut en tant que tel (constatation de la nullité du mariage), d'une part, et les effets accessoires de la modification du statut, d'autre part.

La constatation de la nullité du mariage signifie qu'un mariage (valable) n'a jamais existé, et le jugement produit donc sur ce point un effet ex tunc. S'agissant des effets accessoires de l'annulation du mariage, d'autres règles sont applicables: le jugement produit à cet égard des effets ex nunc31.

L'annulation du mariage produit par analogie les mêmes effets que le divorce (art. 109, al. 2, CC). Le sort des enfants et les questions d'entretien doivent être réglés, tout comme le partage des prestations de prévoyance professionnelle et la liquidation du régime matrimonial. Étant donné qu'un mariage avec un mineur ne peut plus être contracté qu'à l'étranger, la procédure visant à l'annulation du mariage au sens de l'art. 105, ch. 6, CC, porte toujours sur des situations à caractère international, ce qui soulève la question du droit applicable aux effets accessoires32.

1.1.4.4

Conséquences pour le droit des étrangers et le droit de l'asile

Droit des étrangers et intégration Les mariages avec des mineurs sont souvent découverts lors des procédures de regroupement familial, qui relèvent du droit des étrangers (art. 42 à 45 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration [LEI]33). Les autorités cantonales des migrations sont compétentes pour traiter les demandes de regroupement familial. La LEI prévoit que la procédure de regroupement familial en faveur de l'époux étranger est suspendue durant l'action en annulation, et ce dès le signalement (art. 45a et 85 LEI). Si l'examen des conditions du regroupement familial révèle des indices 30 31 32 33

GEISER, Basler Kommentar, no 1 ad art. 105 et nos 4 à 6 ad art. 109; A MARCA, CR CC I, nos 4 ss ad art. 109; HEGNAUER/BREITSCHMID, Grundriss Familienrecht, note 7.09.

ATF 145 III 36, consid. 2.2.

Le droit applicable est défini par l'art. 45a, al. 2 et 3, LDIP.

RS 142.20

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qu'un époux est mineur, les autorités compétentes en informent l'autorité cantonale habilitée à intenter l'action (art. 45a LEI). Il en va de même pour le regroupement familial de personnes admises à titre provisoire (art. 85, al. 8, LEI). En l'espèce, c'est toutefois le Secrétariat d'État aux migrations (SEM) qui informe l'autorité chargée d'intenter l'action. La demande de regroupement familial est suspendue jusqu'à la décision de cette autorité. Si celle-ci intente une action, la suspension est prolongée jusqu'à ce qu'un jugement soit rendu et entré en force. S'il se trouve toujours à l'étranger, l'époux concerné doit y rester en attendant la décision34.

Si l'action en annulation est rejetée, le mariage reste valable et la procédure de regroupement familial peut se poursuivre. À l'inverse, si le tribunal annule le mariage, le regroupement familial doit être refusé, faute de mariage valable et reconnu en Suisse fondant la demande (art. 42 à 45 et 85, al. 7, LEI).

Si les deux époux se trouvent déjà en Suisse au moment de l'annulation, il peut s'agir d'un cas de rigueur prévu par l'art. 50 LEI. Cet article dispose que les époux de personnes suisses ou titulaires d'une autorisation d'établissement (permis C) ont droit à l'octroi d'une autorisation de séjour ou à la prolongation de sa durée de validité si l'union conjugale a duré au moins trois ans et les critères d'intégration définis à l'art. 58a sont remplis (art. 50, al. 1, let. a, LEI; p. ex. les compétences linguistiques ou la participation à la vie économique) ou si la poursuite du séjour en Suisse s'impose pour des raisons personnelles majeures (art. 50, al. 1, let. b, LEI; cas de rigueur). Un mariage avec un mineur peut parfois constituer un tel cas de rigueur.

Les autorités des migrations peuvent, pour les mêmes motifs, octroyer ou prolonger une autorisation de séjour pour les époux de titulaires d'une autorisation de séjour (permis B). Il ne s'agit toutefois pas d'un droit: la décision est du seul ressort de l'autorité compétente (art. 77 de l'ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative35).

Droit de l'asile La loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi)36 prévoit que la procédure d'octroi de l'asile aux familles est suspendue durant l'action en annulation, et ce dès le signalement
(art. 51 et 71 LAsi). S'il se trouve toujours à l'étranger, l'époux concerné doit également y rester en attendant la décision. Le SEM est chargé d'examiner la situation et le cas échéant d'informer l'autorité puis de suspendre la procédure. Les époux mineurs sont considérés comme des mineurs non accompagnés durant la procédure d'octroi de l'asile, que le mariage soit valable ou non.

Eu égard à la suspension de la procédure, il convient toutefois de distinguer les cas dans lesquels les deux époux ont directement la qualité de réfugiés des cas dans lesquels se pose la question de l'octroi de l'asile aux familles. Dans le premier cas, il n'est pas nécessaire de suspendre la procédure et la question de l'asile accordé aux familles ne se pose pas. Dans le second cas, si le SEM conclut que l'un des époux n'a pas la qualité de réfugié et que la reconnaissance de son statut dépend de celui de son 34 35 36

Sur l'obligation d'informer et d'intenter l'action sans préjuger du résultat de l'examen du cas d'espèce, voir le ch. 1.1.4.2.

RS 142.201 RS 142.31

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époux en vertu de l'art. 51, al. 1, LAsi, la procédure est suspendue pour les des deux époux conformément à l'art. 51, al. 1bis, LAsi jusqu'à la décision de l'autorité. Si celle-ci intente une action, la suspension est prolongée jusqu'à ce qu'un jugement soit rendu et entré en force37.

Si le mariage est valable, l'asile est accordé à la famille. Dans le cas inverse, le regroupement familial depuis l'étranger, la reconnaissance de la qualité de réfugié et l'octroi de l'asile à l'ex-époux en vertu de l'art. 51 LAsi sont refusés. Si ce dernier se trouve déjà en Suisse, il est nécessaire d'examiner si l'exécution de la décision de renvoi est licite, raisonnablement exigible et possible.

1.1.5

Évaluation des dispositions civiles et nécessité concrète d'agir

Le Conseil fédéral a, en exécution d'un postulat38, soumis à une évaluation les dispositions inscrites dans le CC par la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés (voir le ch. 1.1.1). Le Conseil fédéral a conclu que la cause d'annulation du mariage liée à la minorité d'un des époux (art. 105, ch. 6, CC) devait être améliorée à deux égards.

­

D'une part, le droit en vigueur interdit d'invoquer cette cause d'annulation une fois que la personne concernée a atteint la majorité (réparation automatique du vice). L'annulation du mariage doit être prononcée avant qu'elle ait 18 ans, mais il subsiste encore une incertitude quant au moment déterminant pour juger si ce délai est respecté (voir le ch. 1.1.2.1). De l'avis du Conseil fédéral, le droit en vigueur ne permet pas d'atteindre les objectifs fixés dans la loi et il apparaît nécessaire d'accorder un délai supplémentaire aux époux concernés et aux autorités habilitées à intenter l'action. Une prolongation permet en outre de mieux respecter la volonté du législateur de l'époque de ne plus tolérer les mariages avec un mineur.

­

D'autre part, le mariage doit exceptionnellement être maintenu si c'est dans l'intérêt prépondérant du conjoint concerné. Cette pesée des intérêts fait régulièrement l'objet de critiques et le Conseil fédéral juge utile de relancer la discussion sur ce point.

En adoptant le rapport d'évaluation, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de justice et police de rédiger un projet législatif et en particulier de revoir la cause d'annulation du mariage liée à la minorité d'un des époux (art. 105, ch. 6, CC).

37 38

Sur l'obligation d'informer et d'intenter l'action sans préjuger du résultat de l'examen du cas d'espèce, voir le ch. 1.1.4.2.

Po. 16.3897 Arslan du 16 décembre 2016 «Évaluation de la révision du code civil du 15 juin 2012 (mariages forcés)».

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1.1.6

Fréquence des mariages avec un mineur

Concernant l'ampleur du phénomène, l'équipe d'évaluation externe a recensé 145 soupçons de mariages forcés et 226 soupçons de mariages avec un mineur pour la période allant du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2017 (4 ans et demi). Mais en définitive, seules 2 actions en annulation du mariage fondées sur la contrainte (art. 105, ch. 5, CC) et 10 actions fondées sur la minorité d'un des époux (art. 105, ch. 6, CC) ont été intentées. Sur la même période, les autorités tenues d'informer ont eu connaissance de 8 cas environ dans lesquels la personne concernée avait moins de 16 ans lors du premier contact qu'elles ont eu avec elle, auxquels s'ajoutent 4 cas connus des autorités habilitées à intenter une action. Les personnes concernées étaient âgées de plus de 16 ans au début de toutes les procédures connues, mais l'information manque dans un cas39. Le rapport externe souligne toute la difficulté qu'il y a à identifier l'ampleur réelle du phénomène des mariages forcés et de mineurs, du fait de problèmes d'organisation et de méthode40.

Le Programme fédéral de lutte contre les mariages forcés 2013­2017, qui s'appuie sur d'autres définitions, fait pour sa part état de 905 soupçons de mariages forcés en l'espace de deux ans et demi, des mineurs étant concernés dans au moins un quart des cas. La définition retenue pour le mariage forcé est toutefois plus large que la cause d'annulation inscrite dans la loi41. Le Service contre les mariages forcés publie également des données sur les mariages forcés et de mineurs. Ses définitions diffèrent également des causes d'annulation, par exemple parce que le service recense les consultations visant à prévenir les mariages forcés avant leur conclusion. Les derniers chiffres publiés par le Service contre les mariages forcés pour l'année 2021 se déclinent comme suit: 343 cas ont été traités en consultation. Dans près de 40 % des cas, soit environ 138 cas, il s'agissait au sens large de mariages avec un mineur. Dans environ 27 % des cas, les personnes concernées étaient encore mineures lors de la consultation et dans 12 % des cas, elles étaient mineures lors de leur mariage, mais avaient depuis atteint la majorité. Le service n'est pas en mesure d'indiquer le nombre de personnes déjà mariées et encore mineures au moment de la consultation (ce qui correspondrait au champ d'application de l'art. 105, ch. 6, CC).

1.2

Solutions étudiées et solution retenue

1.2.1

Annulation du mariage conclu sous la contrainte

À l'occasion de l'évaluation susmentionnée, le Conseil fédéral a également examiné le potentiel d'amélioration de la cause d'annulation du mariage liée à la contrainte (art. 105, ch. 5, CC). Malgré les différentes critiques dont fait objet le droit en vi-

39 40 41

RÜEFLI, rapport d'évaluation Vatter, p. 25, 55 et 67 s.

RÜEFLI, rapport d'évaluation Vatter, p. III.

Sur l'ensemble, voir le rapport sur le programme fédéral.

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gueur 42, le Conseil fédéral juge, après avoir analysé la situation, qu'il n'est pas utile de légiférer en matière de mariages forcés.

Les critiques portaient en particulier sur l'absence de possibilité de réparer le vice et de maintenir l'union conjugale, notamment lorsque l'époux concerné en exprime le souhait. Ces arguments ont toutefois déjà été avancés sans succès lors de l'élaboration de la disposition en vigueur. La crainte que la possibilité de réparer le vice expose la victime à de nouvelles pressions a notamment incité le Parlement à y renoncer.

Le mariage forcé a ceci de particulier que la contrainte est souvent exercée par un ou plusieurs membres ou proches de la famille. Dans cette situation, les personnes concernées sont généralement en proie à un conflit de loyauté et ont une attitude ambivalente43. Dès que la personne concernée cherche à se libérer d'une union imposée, elle doit aussi rompre avec sa famille et son entourage et s'expose ainsi à des menaces.

On comprend alors aisément que dénoncer la contrainte est pour elle extrêmement difficile, voire inenvisageable. Or, si la personne concernée ne prend pas l'initiative ou du moins ne collabore pas activement, il devient très difficile sinon impossible pour les autorités d'identifier la contrainte, d'en apporter la preuve et de prendre les mesures qui s'imposent. Dans bien des cas, c'est la personne concernée qui doit en fin de compte attirer l'attention sur sa situation pour que la contrainte soit identifiée44. Si elle décide de franchir ce pas et de participer à la procédure, tout porte à croire qu'elle ne souhaite plus poursuivre l'union45.

Le Conseil fédéral considère qu'une nouvelle révision de la loi ne permettrait aucunement d'améliorer la situation des victimes, aussi il renonce à proposer une adaptation de l'art. 105, ch. 5, CC.

1.2.2

Mesures de sensibilisation

Le Conseil fédéral l'a déjà relevé à l'issue de l'évaluation: les mesures de sensibilisation, d'information et de prévention revêtent une importance capitale pour la lutte contre les mariages forcés et de mineurs46. À cet égard et dans la limite de ses compétences, il a mis en place des mesures de suivi à l'issue du Programme fédéral de lutte contre les mariages forcés, réalisé de 2013 à 201747. Une de ces mesures consistait à maintenir jusqu'à fin 2021 le soutien financier accordé au Service contre les mariages forcés. Cette subvention a pour le moment été prolongée jusqu'à fin 2024.

Le Conseil fédéral n'est toutefois pas compétent pour prendre d'autres mesures de

42

43 44 45 46 47

GEISER, Basler Kommentar, no 20 ad art. 105 et no 9a ad art. 106; BUCHER, PJA 2013, p. 1168; MONTISANO, Recht auf Ehe und Familie im Migrationsrecht, p. 55. Voir aussi PAPAUX VAN DELDEN, FamPra, p. 610, qui approuve expressément la possibilité de réparer le vice prévue dans le projet de loi, et MEIER, Zwangsheirat, p. 83, qui exige que la possibilité de réparer le vice soit inscrite dans la loi.

NEUBAUER/DAHINDEN, Étude sur les mariages forcés, p. 4 du résumé.

Les époux extrêmement jeunes constituent une exception.

Rapport d'évaluation, ch. 4.2, en particulier le ch. 4.2.4.

Rapport d'évaluation, ch. 4.1.

Rapport sur le Programme fédéral, p. 17 s.

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sensibilisation, d'information ou de prévention48. Ses pouvoirs lui permettent plutôt d'améliorer le cadre légal et de donner un signal fort contre les mariages avec un mineur.

1.3

Relation avec le programme de la législature et avec le plan financier, ainsi qu'avec les stratégies du Conseil fédéral

Le projet n'a été annoncé ni dans le message du 29 janvier 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202349 ni dans l'arrêté fédéral du 21 septembre 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202350.

1.4

Classement d'interventions parlementaires

Le projet ne permet de classer aucune intervention parlementaire transmise au Conseil fédéral. Ce dernier a directement pris l'initiative d'élaborer un projet législatif en se fondant sur l'évaluation demandée par le postulat 16.3897 Arslan.

Il convient toutefois de mentionner deux interventions dont les demandes sont liées au projet. L'initiative parlementaire 18.467 (Rickli) Rutz «Les mariages d'enfants ou de mineurs ne doivent pas être reconnus en Suisse» propose de supprimer la pesée des intérêts prévue à l'art. 105, ch. 6, CC. Le Conseil national y a donné suite. En outre, la motion 20.3011 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) «Ne pas tolérer les mariages d'enfants ou de mineurs» demande elle aussi une modification de l'art. 105, ch. 6, CC. Le Conseil national a adopté la motion le 18 juin 202051.

2

Procédure préliminaire, consultation comprise

2.1

Projet mis en consultation

Le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur un avant-projet le 30 juin 2021. Dans son rapport sur l'évaluation mentionnée au ch. 1.1.5, il est arrivé à la conclusion qu'il existe un potentiel d'amélioration dans le CC en ce qui concerne la cause d'annulation du mariage liée à la minorité d'un des époux52. La solution proposée dans le rapport d'évaluation a été concrétisée dans l'avant-projet.

48

49 50 51 52

Voir l'avis du Conseil fédéral du 16 février 2022 sur la mo. 21.4541 von Falkenstein «Mesures efficaces contre les mariages forcés», adoptée par le Conseil national le 4 mai 2023. Le Conseil fédéral avait proposé de la rejeter. Voir également l'avis du Conseil fédéral du 14 février 2018 sur la mo. 17.4071 Eymann «Institutionnaliser la coopération avec les cantons en matière de lutte contre les mariages forcés», classée.

FF 2020 1707 FF 2020 8087 Concernant la mo. 21.4541, voir le ch. 1.2.2.

Rapport d'évaluation, ch. 4.3.5.

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L'avant-projet proposait de repousser la réparation du vice à l'âge de 25 ans. Il entendait également conserver la possibilité de maintenir le mariage à titre exceptionnel, comme le prévoit déjà le CC. Celui-ci dispose que le mariage d'une personne encore mineure lorsque le tribunal connaît de l'affaire doit exceptionnellement pouvoir être maintenu lorsque l'intérêt prépondérant de cette personne le commande (pesée des intérêts). L'avant-projet prévoyait en outre que si l'époux concerné était devenu majeur, mais n'avait pas encore 25 ans, le mariage serait maintenu s'il déclarait de son plein gré vouloir le poursuivre.

Pour mettre en évidence le principe de l'annulation du mariage dont au moins un époux était mineur au moment de la célébration et souligner en même temps le caractère exceptionnel du maintien du mariage, la cause d'annulation a fait l'objet d'une disposition distincte (art. 105a AP-CC).

La consultation a pris fin le 29 octobre 2021. 56 prises de position ont été déposées par 26 cantons, 6 partis politiques et 24 organisations et autres intéressés53.

2.2

Synthèse des résultats de la consultation

La grande majorité des participants à la procédure de consultation reconnaissent la nécessité de légiférer. 19 cantons, 5 partis politiques et 14 organisations sont favorables à l'orientation de l'avant-projet, mais considèrent qu'il ne va pas assez loin. Un parti rejette foncièrement l'avant-projet54.

Plus de la moitié des participants (17 cantons, 12 organisations et du moins en partie une autre organisation) considèrent que l'efficacité des mesures de lutte contre les mariages avec un mineur doit avant tout être renforcée par des modifications du droit international privé. 14 cantons et 3 organisations estiment que combiner le système actuel pour faire valoir la cause d'annulation du mariage au report à 25 ans du délai pour intenter l'action mènerait à un grand nombre de procédures inutiles et coûteuses qui se solderaient tout aussi souvent par un échec.

9 cantons, 20 organisations et 3 partis politiques sont largement favorables au report à l'âge de 25 ans de la réparation du vice liée à la minorité de l'époux, car il serait disproportionné de dissoudre des mariages remontant à plusieurs décennies. À partir d'un certain âge, le droit à l'autodétermination et à l'autonomie des personnes concernées devrait primer la protection absolue des mineurs contre le mariage. De rares participants refusent tout bonnement la possibilité de la réparation du vice, ou alors suggèrent qu'elle intervienne plus tard ou plus tôt.

Eu égard à la possibilité de maintenir exceptionnellement le mariage d'un mineur lorsque son intérêt prépondérant le commande (pesée des intérêts), la consultation laisse transparaître une image comparable à celle que le Conseil fédéral avait déjà entrevue lors de ses échanges avec les spécialistes lors de l'élaboration de son rapport d'éva-

53

54

L'avant-projet, le rapport explicatif et la synthèse des résultats de la consultation sont disponibles sur www.fedlex.admin.ch > Procédures de consultation > Terminées > 2021 > DFJP > Procédure de consultation 2021/31.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.

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luation55. Les participants avancent aussi bien des arguments pour la suppression de la pesée des intérêts que pour son maintien, le dernier camp obtenant une légère majorité (9 cantons, 2 partis et 10 organisations y sont favorables, contre 1 canton, 3 partis et 10 organisations).

2 cantons et 8 organisations déplorent que les mariages célébrés avant 16 ans ne fassent pas l'objet de mesures spécifiques. Ils estiment en particulier que la pesée des intérêts devrait être exclue dans ces cas.

L'examen par le tribunal civil de la libre volonté de l'époux devenu majeur est critiqué par quelques participants (14 cantons et 3 organisations), qui craignent que cette mesure n'aboutisse à une surcharge de travail et à des coûts inutiles.

D'autres remarques et propositions encore ont été formulées, par exemple concernant la réintroduction d'une sanction en cas d'élusion de la primauté du mariage civil, le rôle primordial des mesures de sensibilisation ou encore les fiançailles de mineurs.

2.3

Appréciation des résultats de la procédure de consultation

La procédure de consultation a montré clairement la nécessité de légiférer dans le domaine des mariages avec un mineur. La pertinence d'une intervention uniquement dans le CC a toutefois été contestée. Le Conseil fédéral a donc resoumis la question à un examen poussé auquel ont participé des spécialistes et notamment décidé de ne pas limiter la révision au CC, mais de proposer d'autres mesures dans la LDIP (voir le ch. 4.2.1).

3

Comparaison avec le droit étranger

3.1

Bases

Sur mandat de l'Office fédéral de la justice (OFJ), l'Institut suisse de droit comparé (ISDC) a établi le 31 août 2018 un avis de droit sur les mariages forcés et plus spécifiquement sur les mariages avec un mineur dans divers pays d'Europe56. Cet avis de droit comparé a été revu et complété le 31 mars 2022 pour tenir compte des évolutions à l'étranger57. Dans les pages qui suivent, certaines législations étrangères sont présentées de manière synthétique eu égard au droit international, à l'âge nubile et au traitement en droit privé des mariages avec un mineur conclus à l'étranger. Pour plus de détails, il conviendra de se référer aux deux avis de droit de l'ISDC58.

55 56 57 58

Rapport d'évaluation, ch. 4.3.4.

Avis de droit de l'ISDC.

Avis de droit actualisé de l'ISDC.

Avis de droit de l'ISDC et avis de droit actualisé de l'ISDC; voir également MAX-PLANCK-INSTITUT, Frühehe.

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3.2

Droit international

Parmi les traités internationaux qui s'expriment sur le mariage avec un mineur, ni la Convention du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW)59 ni la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (CDE-ONU)60 ne fixent d'âge nubile absolu. Le comité de la CEDAW comme le comité des droits de l'enfant ont toutefois recommandé à plusieurs reprises de porter à 18 ans l'âge minimum du mariage et de traiter le mariage d'enfants comme une forme de mariage forcé. Cependant, pour respecter les capacités évolutives de l'enfant et son autonomie dans la prise de décisions affectant sa vie, ces comités suggèrent que le mariage d'un enfant de moins de 18 ans et doté de toutes ses capacités peut être autorisé, à condition que l'enfant ait au moins 16 ans et que la décision soit prise par un juge61. L'art. 16, par. 2, CEDAW dispose au reste que les fiançailles et les mariages d'enfants n'ont pas d'effets juridiques. Le comité de la CEDAW a également recommandé de modifier le CC pour supprimer toutes les exceptions à l'âge minimum de 18 ans62.

Le Conseil de l'Europe, dans sa résolution 1468 de 2005 sur les mariages forcés et d'enfants, déclare qu'un mariage avec un mineur n'est admissible que si son maintien est dans l'intérêt de la personne concernée, notamment pour lui garantir certains droits63. Dans sa résolution 2233 de 2018, il recommande de traiter les mariages de personnes de moins de 18 ans comme une forme de mariage forcé. Les deux résolutions invitent les États à fixer l'âge nubile à 18 ans64.

3.3

Âge nubile

Divers pays étrangers parmi ceux étudiés autorisent les mariages avant 18 ans, par exemple l'Autriche, l'Italie, l'Espagne, la France ou la Belgique. Certains États européens n'ont pas même fixé d'âge minimum ou alors admettent des exceptions en dessous de 16 ans65. Les pays scandinaves en particulier (Suède, Norvège, Danemark) ont fixé l'âge nubile absolu à 18 ans sans exception, comme l'Allemagne et les PaysBas. L'Angleterre et le Pays de Galles viennent de faire le même, en février 2023.

59 60 61

62

63 64 65

RS 0.108 RS 0.107 Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et Comité des droits de l'enfant, Recommandation générale conjointe n° 31, Comité des droits de l'enfant, Observation générale no 20 (2016) sur la mise en oeuvre des droits de l'enfant pendant l'adolescence, no 40; pour plus de détails: avis de droit ISDC mis à jour, p. 9 ss.

Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, Observations finales sur le sixième rapport périodique de la Suisse, CEDAW/C/CHE/CO/6 du 1er novembre 2022, no 68.

Résolution 1468 (2005) Mariages forcés et mariages d'enfants, ch. 7 et 14.2, en particulier 14.2.4.

Résolution 2233 (2018) Les mariages forcés en Europe, ch. 3.

Pour un aperçu de toutes les législations de l'UE, voir le rapport disponible sur www.fra.europa.eu > Work on rights > Equality, non-discrimination and racism > Children, youth and older people > Mapping minimum age requirements > Downloads: Country data on marriage and sexual consent.

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3.4

Différentes approches observées

Trois approches différentes se dessinent dans les législations nationales étudiées concernant les mariages avec un mineur.

­

Certains États luttent contre les mariages avec un mineur à l'aide de l'exception de l'ordre public en droit international privé, sans promulguer de norme expresse (p. ex. la France, l'Italie et l'Espagne).

­

D'autres États (p. ex. le Danemark, la Suède, la Norvège et les Pays-Bas) ont légiféré au niveau du droit international privé pour ne plus reconnaître les mariages avec des personnes mineures. Tous prévoient néanmoins soit un examen au cas par cas, avec des exceptions pour les cas de rigueur ou une réparation du vice à la majorité, sinon les deux.

­

D'autres encore ont choisi d'inscrire l'interdiction des mariages avec un mineur dans leur droit civil (p. ex. l'Allemagne).

3.5

Législations étrangères

Allemagne La loi sur la lutte contre les mariages d'enfants (Gesetz zur Bekämpfung von Kinderehen) est entrée en vigueur le 22 juillet 2017. Les mariages avec un mineur conclus à l'étranger sont soumis au droit civil allemand: un mariage célébré entre 16 et 18 ans peut être annulé. La demande d'annulation doit être soumise par l'autorité administrative compétente au tribunal des affaires familiales, qui ne peut renoncer à l'annulation que dans les cas de rigueur. Une personne mariée alors qu'elle était mineure peut confirmer le mariage (devant l'autorité chargée d'intenter l'action) une fois qu'elle atteint la majorité et ainsi exclure l'annulation. Le mariage produit ses effets jusqu'à son annulation.

Le mariage de l'époux de moins de 16 ans est sans effet, sauf si le mariage valable selon le droit étranger a été vécu jusqu'à la majorité de la personne concernée et qu'aucun des deux époux n'a eu sa résidence habituelle en Allemagne de la conclusion du mariage jusqu'à la majorité. Cette norme doit toutefois être révisée, car sa constitutionnalité a depuis été réfutée par la Cour constitutionnelle fédérale, faute de réglementation sur les effets du mariage vécu et de possibilité de confirmation de l'union pour les époux devenus majeurs. La cour n'a toutefois pas contesté l'absence d'examen du cas d'espèce pour les mineurs de moins de 16 ans66.

La loi sur la lutte contre les mariages d'enfants a été évaluée une première fois depuis son entrée en vigueur. Le gouvernement a constaté que l'annulation judiciaire et l'invalidité des mariages avec un mineur n'ont guère d'incidence pratique en Allemagne et que la loi n'a d'effet dissuasif que sur les personnes vivant en Allemagne. La possibilité d'annuler ces mariages selon le droit allemand n'influe globalement que peu 66

Décision de la Cour constitutionnelle allemande du 1er février 2023, 1 BvL 7/18 (ci-après: décision de la Cour constitutionnelle allemande).

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sur les mariages valablement conclus à l'étranger, l'interdiction et partant, l'invalidité de telles unions ne permettant pas de les empêcher à l'étranger. Pour mener une lutte efficace contre les mariages d'enfants, on ne peut se contenter d'interdire et d'invalider de telles unions. Il faut bien plus un changement de société et de droit dans le pays d'origine. Seul un travail de sensibilisation actif et de proximité permet de combattre les mariages avec un mineur, qui résultent souvent de mécanismes de pressions intrafamiliales profondément ancrés. Certains tribunaux émettent des réserves quant l'absence de pesée des intérêts, estimant qu'il n'est pas possible de protéger les mineurs si l'on ne procède pas à un examen du cas d'espèce axé sur le bien de l'enfant. Enfin, il est apparu que les mariages doivent parfois être maintenus afin de respecter les exigences liées à la libre circulation des personnes67.

Autriche Le droit autrichien ne prévoit pas de règles de conflits de lois expresses pour les mariages de mineurs célébrés à l'étranger, mais les dispositions relatives à l'ordre public en droit international privé permettent de lutter contre ce phénomène. En effet, un mariage conclu à l'étranger est contraire à l'ordre public dès que l'un des époux n'a pas l'âge nubile de 16 ans.

Les mariages étrangers doivent être traités comme des mariages autrichiens, ce qui signifie qu'ils peuvent uniquement être annulés ou dissous, mais pas déclarés nuls d'office. Juridiquement parlant, les dispositions autrichiennes sur la validité du mariage remplacent le droit étranger lorsque le mariage est contraire à l'ordre public national.

France La France n'a pas édicté de règles spécifiques aux mariages conclus à l'étranger, qui sont examinés à l'aune de l'exception de l'ordre public. La limite déterminante pour la compatibilité avec l'ordre public est l'âge de la puberté. Les tribunaux appliquent toutefois plus strictement l'âge nubile, relevé à 18 ans pour les femmes, soit le même âge que pour les hommes, afin de lutter contre les mariages forcés. Les mariages de personnes prépubères ne sont pas reconnus. Un mariage conclu en France avec un mineur peut être annulé dans un délai de 30 ans.

Italie et Espagne Dans ces États également, les mariages avec un mineur conclus à l'étranger doivent être compatibles
avec l'ordre public pour être reconnus, l'Italie ayant fixé l'âge minimum à 16 ans.

Belgique La compatibilité avec l'ordre public est décisive pour la reconnaissance des unions étrangères. Le critère déterminant est l'âge des époux au moment de la demande de reconnaissance du mariage. Un projet législatif de 2019 propose une modification du 67

Gesamtauswertung zur Evaluierung des Gesetzes zur Bekämpfung von Kinderehen, p. 8 ss; disponible sur www.bmjv.de > Service > Aktuelle Gesetzgebungsverfahren > Gesetz zur Bekämpfung von Kinderehen.

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droit international privé concernant les mariages avec un mineur célébrés à l'étranger: tant que l'époux concerné n'a pas 18 ans, la reconnaissance serait soumise à l'examen du tribunal de la famille. Même lorsque le mariage n'est pas reconnu, le tribunal peut décider ponctuellement qu'il produit les effets nécessaires à la protection de la personne concernée. Le signalement au tribunal de la famille incombe à l'officier de l'état civil qui a connaissance du mariage (registre de l'état civil, des étrangers, des habitants, etc.).

Danemark Depuis 2017, un mariage avec un mineur conclu à l'étranger ne peut plus être reconnu.

Des exceptions sont admissibles face à des raisons impératives et si la non-reconnaissance expose les parties à de graves problèmes, par exemple si le couple fait ménage commun de longue date ou si la mort de l'un des époux soulèverait des questions de succession insolubles. Le projet du gouvernement dispose en outre expressément que les engagements internationaux du Danemark doivent être respectés, et en particulier le droit au respect de la vie familiale au sens de l'art. 8 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)68. Les citoyens de l'UE et leurs époux sont exemptés de la limite d'âge afin de garantir la libre circulation des personnes. La décision de non-reconnaissance appartient à chaque autorité compétente et n'engage pas les autres autorités. La nullité du mariage produit ses effets ex tunc.

Norvège La Norvège a adopté en 2021 une nouvelle réglementation qui n'est pas encore entrée en vigueur. Celle-ci dispose également que les mariages avec un mineur ne sont pas reconnus, ce qui signifie leur nullité ex nunc. Les époux ayant un lien avec la Norvège (domicile ou nationalité) peuvent demander au gouverneur de la province (fylkesmannen) de reconnaître leur union s'ils ont pour cela de justes motifs. S'ils n'ont pas de tel lien, le mariage peut être reconnu si les deux époux sont devenus majeurs et que la personne concernée, ou exceptionnellement le gouverneur, le demande. Ce dernier tranche sur la reconnaissance, mais une autre autorité peut ultérieurement rendre une décision inverse.

Pays-Bas Les mariages conclus avant 18 ans ne sont pas reconnus. Le droit en vigueur dispose toutefois que ce vice est
réparé à la majorité. Les Pays-Bas discutent actuellement de propositions de réforme visant à inscrire dans la loi une non-reconnaissance absolue sans possibilité de réparation. Il n'y a cependant encore aucun projet législatif concret et le comité gouvernemental pour le droit international privé (GCIPR) s'est montré critique sur la non-reconnaissance générale. Il est particulièrement sceptique quant à la légalité de la non-reconnaissance une fois que les époux atteignent la majorité. Il a en outre recommandé de charger un tribunal de connaître de la question. Il estime que tous les mariages d'enfants ne sont pas des mariages forcés, raison pour laquelle la non-reconnaissance absolue serait disproportionnée et contraire à l'art. 8 CEDH. Enfin, il reproche à cette solution d'exclure toute pesée des intérêts des personnes con68

RS 0.101

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cernées par un juge et toute reconnaissance des mariages avec un mineur, même dans les cas soulevant des questions de filiation ou de patrimoine.

Suède Le droit international privé dispose que les mariages étrangers ne sont pas reconnus dans les cas où le droit suédois se serait opposé à leur célébration. Cette disposition implique qu'un mariage contracté avant 18 ans ne peut être reconnu. Des exceptions sont toutefois envisageables lorsque les deux époux ont atteint 18 ans et que des circonstances extraordinaires justifient la reconnaissance, la décision devant toutefois être prise avec retenue et au cas par cas. Il convient notamment d'examiner si la nonreconnaissance aurait de graves conséquences pour les époux ou serait disproportionnée, si l'union a été contractée longtemps auparavant et si les époux veulent encore faire ménage commun. Cette disposition doit de plus être appliquée de manière à respecter les engagements internationaux de la Suède, notamment l'art. 8 CEDH et la libre circulation des personnes. La non-reconnaissance du mariage annule ses effets ex tunc. Les critiques déplorent, d'une part, que cette règle crée des situations dans lesquelles des personnes domiciliées en Suède ne savent pas si elles sont mariées ou non et, d'autre part, que différentes autorités puissent rendre des décisions différentes concernant la reconnaissance du mariage.

3.6

Appréciation

Bien des États mènent aujourd'hui des discussions similaires à celles qui nous occupent en Suisse. Il apparaît qu'aucune des trois approches n'est convaincante en toutes circonstances, qu'il s'agisse d'une solution fondée sur l'ordre public sans disposition spécifique, d'une solution fondée sur celui-ci avec une disposition spécifique et la non-reconnaissance des mariages concernés ou d'une solution en droit privé permettant l'annulation. Même des pays qui ont révisé récemment leur arsenal législatif sont déjà amenés à le revoir (p. ex. l'Allemagne ou les Pays-Bas). D'une part sont débattus les inconvénients de la non-reconnaissance du mariage, notamment en ce qui concerne la création de rapports juridiques imparfaits, l'impossibilité du divorce et l'absence d'effets de l'union contractée, par exemple pour les contributions d'entretien. Les autres problèmes identifiés ont trait à la libre circulation des personnes au sein de l'Europe et à l'incompatibilité potentielle avec l'art. 8 CEDH. Concrètement, la nonreconnaissance du mariage complique l'accès aux personnes concernées, qui disparaissent et sont donc encore moins protégées. D'autre part, certains favorisent la protection absolue des mineurs contre le mariage et prônent des normes générales visant la non-reconnaissance systématique de ces unions. Il y a donc une tension irréductible entre deux aspirations: la volonté de reconnaître les mariages valablement conclus et vécus selon le droit étranger lorsqu'ils sont dans l'intérêt des époux mineurs et la volonté de lutter contre les mariages avec un mineur proprement dits69. Enfin, les règles applicables à la migration doivent être prises en compte, car elles diffèrent d'un pays

69

MAX-PLANCK-INSTITUT, Frühehe, p. 748 et 777 ss.

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à l'autre et car certains accordent des droits aux personnes concernées indépendamment de l'existence d'un mariage70.

4

Présentation du projet

4.1

Enjeux d'une nouvelle réglementation

4.1.1

Différentes situations possibles

Les mariages avec un mineur ont lieu pour diverses raisons et dans des situations très différentes. Cette complexité interdit toute généralisation. Face à une vaste étendue de cas possibles, le défi législatif consiste à tenir compte au mieux de ces circonstances.

Les causes des mariages avec un mineur sont très disparates. Ces unions sont souvent conclues dans des situations précaires, dans un contexte de pauvreté, de manque d'éducation ou d'absence de perspectives. Les personnes concernées peuvent aussi accepter tacitement le mariage parce qu'il est le fruit de structures sociales traditionnelles qu'elles ont intégrées sans les remettre en question. Souvent, les époux sont au clair de leur situation personnelle et adhèrent au mariage parce qu'ils sont conscients du fait que leurs options sont limitées71. Rappelons qu'il est encore possible de déroger à l'âge nubile de 18 ans dans divers pays européens (voir les ch. 1.1.2.3 et 3.3). Il faut également partir du principe qu'un certain nombre de mariages avec un mineur devraient également être qualifiés de mariages forcés au sens des art. 105, ch. 5, CC et 181a du code pénal (CP)72, mais que la contrainte n'a pas pu être identifiée ou prouvée.

Une difficulté particulière découle du fait que les autorités peuvent être confrontées à des mariages et à des liens familiaux plus ou moins anciens. Dans certains cas, les époux n'ont pas du tout vécu ensemble, tandis que dans d'autres, ils vivent ensemble à l'étranger depuis longtemps et ont pris des dispositions mutuelles. Outre la situation au moment du mariage, il convient de toujours tenir compte de la situation des époux au moment où une autorité suisse connaît de leur mariage, donc au moment de l'évaluation.

Les mariages avec un mineur ne pouvant plus être conclus qu'à l'étranger, ils sont souvent identifiés dans le contexte de la migration. Il peut s'agir d'une demande d'asile familial, d'un regroupement familial en vertu de la LEI ou encore d'un déplacement relevant de l'accord du 21 juin 1999 sur la libre circulation des personnes (ALCP)73 ou de la convention du 4 janvier 1960 instituant l'AELE74, puisque nombre de pays européens prévoient des exceptions à l'âge nubile de 18 ans. Parfois, les autorités sont confrontées à de tels mariages en-dehors du contexte du droit des étrangers et de l'asile. Lorsque les époux ont des droits de séjour différents ou lorsque l'un au 70 71 72 73 74

Sur l'ensemble, voir l'avis de droit actualisé de l'ISDC.

MAX-PLANCK-INSTITUT, Frühehe, p. 711 et 779.

RS 311.0 RS 0.142.112.681 RS 0.632.31

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moins est un ressortissant suisse, mais que le mariage a eu lieu à l'étranger, il n'y a aucune procédure de regroupement de l'époux étranger. Le mariage avec un mineur peut également être identifié lorsqu'un fait doit être inscrit au registre de l'état civil informatisé (Infostar). L'autorité de surveillance n'examine toutefois pas tous les mariages enregistrés dans Infostar. Cette formalité n'est effectuée que pour les mariages dont l'un des époux au moins est suisse. Les mariages entre ressortissants étrangers ne sont inscrits dans Infostar que lorsqu'un autre fait d'état civil doit être enregistré en Suisse75. On peut également imaginer qu'une autorité se retrouve confrontée à un mariage avec un mineur dans un contexte radicalement différent, par exemple une affaire fiscale ou liée à l'aide sociale. Or, le cadre juridique et l'autorité compétente varient selon le contexte.

À titre d'illustration, il peut s'agir d'un couple syrien marié lorsque l'épouse avait 14 ans et l'époux 19 ans dans le but de fuir ensemble leur patrie et qui entrent en Suisse peu après le mariage. Il peut également s'agir d'un mariage célébré en Italie sans pressions extérieures entre une femme de 17 ans et un homme de 20 ans, tous deux arrivant en Suisse après 10 ans de vie commune. Il peut s'agir encore du mariage arrangé d'un couple indien, l'épouse ayant 16 ans et le mari 21 ans. Tous deux sont attachés aux traditions et se plient aux décisions de leur famille. Les autorités suisses sont amenées à se pencher sur le mariage peu avant la majorité de l'épouse. Il peut enfin s'agir du mariage forcé, mais pas repéré, d'une jeune femme qui a grandi en Suisse et y a effectué sa scolarité, puis qui, peu avant de devenir majeure, a été forcée à contracter mariage dans le pays d'origine de sa famille et de ramener son mari en Suisse (mariage conclu pendant les vacances d'été).

4.1.2

Approches possibles

4.1.2.1

Remarques générales

Le législateur a fait face à la multiplicité de situations possibles par une réglementation dans le CC sous la forme de la cause d'annulation du mariage liée à la minorité avec une exception pour tenir compte des cas particuliers et une procédure devant le tribunal civil (art. 105, ch. 6, CC; voir le ch. 1.1.2.1). Tandis que l'évaluation a uniquement relevé qu'il était nécessaire d'améliorer la disposition du CC76, divers participants à la procédure de consultation ont également demandé une réglementation en droit international privé et dès lors en premier lieu la non-reconnaissance des mariages avec un mineur77. Il convient à cet égard de présenter ces deux approches avec leurs conséquences respectives et de montrer en quoi elles se distinguent.

75 76 77

P. ex. la naissance d'un enfant ou le décès d'un époux.

Rapport d'évaluation, ch. 4.5.4.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.3.2.

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4.1.2.2

Approche retenue par le droit en vigueur et l'avant-projet: procédure d'annulation

La solution retenue à ce jour par le CC consiste à commencer par reconnaître le mariage de la personne mineure78 ­ qu'importent les circonstances ­ avant de poursuivre par l'action en annulation prévue par les art. 105 à 109 CC (voir les ch. 1.1.4.1 et 1.1.4.2). Cette approche a les conséquences suivantes.

78 79 80 81 82

­

La question de statut essentielle qu'est le mariage, avec les droits et devoirs qu'il crée, est résolue clairement par une décision qui a la force de chose jugée matérielle. Le mariage produit des effets jusqu'à son éventuelle annulation (voir le ch. 1.1.4.3), ce qui contribue à la sécurité du droit et évite en particulier des décisions contradictoires79.

­

La décision est toujours prise par un tribunal civil à l'issue d'une procédure ordinaire (art. 294 du code de procédure civile; CPC80). L'obligation d'informer et d'intenter l'action d'office (art. 106 CC) permet de soumettre chaque mariage avec un mineur à l'examen du juge.

­

Permettre de maintenir le mariage à titre exceptionnel garantit qu'un tribunal réalise cet examen délicat. L'examen par le juge est d'autant plus indiqué que les personnes concernées subissent parfois des pressions de leur famille. Avec cette approche, l'examen du cas d'espèce est réalisé par l'autorité appropriée.

­

Étant donné que l'annulation produit par analogie les effets du divorce (art. 109, al. 2, CC), elle permet aux personnes concernées de faire valoir leurs droits lorsque l'union a perduré un certain temps. Les droits des enfants communs sont directement garantis et les contributions d'entretien entre les époux et pour les enfants peuvent être fixées, tout comme les prétentions aux avoirs de prévoyance et celles découlant du régime matrimonial81. Il est ainsi possible de tenir compte de la réalité de la relation vécue.

­

La procédure judiciaire a lieu dans tous les cas, ce qui génère une certaine charge de travail et des coûts, notamment en raison des démarches relevant de l'entraide judiciaire lorsque l'un des époux est à l'étranger. La procédure peut également être accablante pour les personnes concernées et engendrer des pressions de la part de la famille.

­

Le droit en vigueur comme l'avant-projet prévoient la réparation du vice qui entache le mariage. Agir par l'annulation permet de régler aisément la réparation.

­

Lorsque l'annulation du mariage est décidée par un juge, elle peut potentiellement être reconnue par un autre État82. Cette solution limite donc les rap-

La non-reconnaissance à titre préjudiciel demeure réservée dans les cas manifestes, voir le ch. 1.1.4.1 et les références citées.

Message sur les mariages forcés, ch. 1.3.2.1.

RS 272 La question du droit applicable se pose néanmoins toujours dans ces situations internationales. L'art. 45a, al. 2 et 3, LDIP y répond.

GEISER, publication commémorative Häfeli, p. 262.

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ports juridiques imparfaits (mariage valable dans un État, mais pas dans un autre).

4.1.2.3

Approche en droit international privé: non-reconnaissance

Une réglementation en droit international privé s'appuierait sur la non-reconnaissance du mariage, en laissant éventuellement la possibilité aux époux de demander une dérogation (voir le ch. 4.1.3). Par rapport à la procédure d'annulation, les conséquences d'une non-reconnaissance du mariage sont les suivantes.

83 84

­

La compétence pour reconnaître un mariage conclu à l'étranger constitue souvent une question préjudicielle au sein d'une autre procédure qui attache des effets précis à l'existence du mariage83. La décision prise n'est pas contraignante et n'a donc pas la force de chose jugée matérielle. Une autre autorité peut prendre une décision contraire, ce qui ne crée aucune sécurité du droit sur le statut de l'union. Même l'inscription dans Infostar d'un mariage célébré à l'étranger a uniquement une force probante élevée (art. 9 CC) et non la force de chose jugée matérielle. Ce contexte complique la prise en compte des circonstances du cas d'espèce pour la reconnaissance du mariage, car elle favorise les décisions contradictoires et accroît l'insécurité du droit.

­

La reconnaissance du mariage est du ressort de différentes autorités selon les cas. Il peut s'agir d'une autorité fiscale, des migrations, de surveillance de l'état civil, des assurances sociales ou d'un tribunal. Là aussi, il est délicat de tenir compte des circonstances concrètes. Toutes ces autorités ne disposent pas des capacités ni de l'expérience requises pour procéder à un examen minutieux de chaque cas.

­

La non-reconnaissance du mariage le rend inexistant aux yeux des autorités suisses. En règle générale, il ne crée aucun droit84. Il est donc impossible de tenir compte du fait que la relation juridique a peut-être été vécue (p. ex. eu égard aux contributions d'entretien ou aux enfants communs).

­

Ces mariages ne sont plus examinés d'office au cours d'une procédure judiciaire. Les personnes concernées évitent ainsi des procédures potentiellement accablantes et la charge des autorités diminue également.

­

Mettre en oeuvre une réparation du vice dans la LDIP plutôt que dans le CC (solution actuelle) semble problématique, car cela signifierait que le mariage commence par ne produire aucun effet, avant de les produire rétroactivement ou à partir d'un instant donné (voir le ch. 4.1.3).

WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 6 ad art. 45; BODENSCHATZ, Basler Kommentar, no 21 ss ad art. 45.

Sur les exceptions possibles (mais non expressément inscrites dans la loi) dans le cas du divorce d'époux polygames, voir BUCHER, le couple, no 150 ss; WIDMER LÜCHINGER, FamPra, p. 797.

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­

La non-reconnaissance n'a d'effet qu'en Suisse. Cette solution crée donc des rapports juridiques imparfaits (mariage valable dans un État, mais pas dans un autre).

4.1.2.4

Évaluation des deux approches

Les deux approches ont leurs avantages et leurs inconvénients. Le système actuel, avec la procédure d'annulation prévue par le CC, est adéquat dans un grand nombre de cas de mariages avec un mineur. À l'inverse, un système fondé sur la non-reconnaissance en vertu de la LDIP ne conviendrait que pour les cas manifestes, qui n'appellent aucun examen approfondi, car il crée davantage d'insécurité du droit et disperse les compétences entre diverses autorités. Il existe sinon un risque que les différentes autorités appelées à connaître d'un cas donné rendent des décisions divergentes. Vu la grande insécurité du droit qu'engendre l'absence de certitude à l'égard du statut matrimonial, le Conseil fédéral considère que cette deuxième approche n'est pas défendable. Par ailleurs, la non-reconnaissance ne permet pas de mettre en oeuvre adéquatement une possibilité de réparation du vice (voir le ch. 4.1.3). Elle ne convient qu'aux mariages qui n'ont pas été vécus, ou du moins très peu de temps, soit ceux qui n'appellent aucun examen des éventuels effets de l'union (par analogie avec les effets du divorce). De plus, la non-reconnaissance crée toujours en pratique des rapports juridiques imparfaits. En revanche, elle évite un grand nombre de procédures et limite les charges qui en découlent85. Elle permet également de faire l'économie de la procédure de signalement.

4.1.3

Opportunité d'une norme exhaustive en droit international privé

Compte tenu des résultats de la procédure de consultation, il convient de se demander dans quelle mesure une mise en oeuvre complète dans la LDIP, en prévoyant notamment la possibilité d'une réparation du vice et de l'examen des effets du mariage, serait envisageable et pertinente. Il a notamment été suggéré de ne pas reconnaître les mariages avec un mineur, quitte à permettre aux époux de demander eux-mêmes la reconnaissance de leur union à certaines conditions ou de réitérer leur volonté de se marier une fois la majorité atteinte86.

Cette solution avait déjà été discutée lors de l'élaboration de la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés. Le Conseil fédéral l'avait délibérément écartée87. Les arguments d'alors valent toujours aujourd'hui: face à la complexité de la problématique et aux divers droits et intérêts à prendre en compte, la législation doit intégrer certains éléments clés, qui ont d'ailleurs été approuvés lors de la consulta-

85 86 87

Sur l'antinomie entre ces deux approches, se référer également aux conclusions de l'avis de droit comparé, ch. 3.6.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.3.2.

Message sur les mariages forcés, ch. 1.3.2.2.

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tion88. Il s'agit en particulier de la possibilité d'une réparation du vice. Sans elle, un mariage vieux de plusieurs décennies pourrait être remis en question. Une telle intervention paraîtrait disproportionnée, aussi la possibilité d'une réparation du vice après un certain temps est-elle un élément indispensable (sur la réparation, voir le ch. 4.2.2.3).

Un système de non-reconnaissance avec réparation du vice sur demande auprès d'une autorité ou bien automatiquement après un certain temps entraînerait diverses incertitudes. Jusqu'à une éventuelle demande et décision de reconnaissance ou jusqu'à la réparation, le mariage se trouverait dans un état d'incertitude (mariage soumis à une condition suspensive): en l'absence de reconnaissance, l'union ne produit en principe aucun effet en Suisse. Seules la décision de reconnaissance ou la réparation du vice permettraient de produire des effets. Cette incertitude aurait diverses conséquences qui appelleraient également une réglementation supplémentaire. Par exemple, que faire lorsque l'un des époux d'une union incertaine décède ou souhaite épouser quelqu'un d'autre? Quelles conséquences aurait l'incertitude sur la situation fiscale et le droit à l'aide sociale des personnes concernées? Il y aurait également un risque que la situation des enfants communs ne soit pas réglée. Il conviendrait assurément de se référer avec discernement aux effets du mariage, de prévoir d'en octroyer certains à titre rétroactif depuis la conclusion de l'union et d'en octroyer d'autres uniquement à partir de sa reconnaissance. La sécurité du droit qu'offre le statut matrimonial disparaîtrait.

Puisque le Conseil fédéral estime nécessaire de conserver la protection des personnes concernées, garantie par le droit en vigueur avec l'intervention étatique d'office, il faudrait aménager la possibilité pour les autorités d'empêcher la réparation ultérieure d'un mariage avec un mineur qui ne serait pas digne de protection. Dans le même temps, le refus de la reconnaissance par les autorités devrait être combiné avec la réglementation des effets de l'union, car il s'agit parfois de mariages vécus à l'étranger dont il convient de tenir compte.

Dans ce contexte, le Conseil fédéral juge qu'une norme exhaustive et exclusive en droit international privé ne serait ni pertinente ni efficace,
car elle nuirait à la sécurité du droit et protégerait insuffisamment les personnes concernées. La solution existante dans le CC paraît bien plus indiquée, en particulier avec les améliorations proposées dans le projet.

4.2

Réglementation proposée

4.2.1

Nouvelle norme dans la LDIP pour deux situations spécifiques

4.2.1.1

Remarques générales

Compte tenu de l'évaluation des deux approches (voir le ch. 4.1.2.4), le projet de révision conserve le principe de l'annulation fondé sur le CC (reconnaissance des mariages avec un mineur conclus à l'étranger puis examen de leur validité), tout en 88

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 4.3.

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inscrivant dans la LDIP un régime de non-reconnaissance pour deux situations précises, sans examen du cas d'espèce, sans effets de l'union et sans possibilité de réparation du vice. Il s'agit d'une part des cas dans lesquels les personnes ont été mariées très jeunes et n'ont pas encore 16 ans lorsque l'autorité suisse connaît du mariage (art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP; voir le ch. 4.2.1.2), et d'autre part des mariages avec un mineur célébrés alors que l'un des époux était domicilié en Suisse (art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP; voir le ch. 4.2.1.3).

Il n'existe aucune marge pour régler d'autres situations dans la LDIP, puisque le Conseil fédéral estime que celles-ci nécessitent un examen du cas d'espèce par un tribunal, la possibilité d'une réparation du vice et des règles concernant les effets de l'union.

Or, la solution proposée dans l'avant-projet (cause d'annulation dans le CC) répond bien mieux à ces attentes.

4.2.1.2

Non-reconnaissance des mariages avec un mineur de moins de 16 ans

La procédure de consultation a montré que les mariages avec des mineurs de moins de 16 ans suscitent une grande inquiétude et que la majorité considère que la situation juridique est insuffisante ou insatisfaisante. Certains craignent que la pesée des intérêts prévue par le droit en vigueur puisse amener à la poursuite du mariage, même dans ces cas-là.

Sous l'ancien droit, avant 2013, qui prévoyait uniquement la non-reconnaissance d'un mariage avec un mineur, il avait été avancé qu'il fallait refuser de reconnaître les mariages avec des mineurs de moins de 16 ans, car ils heurtent l'ordre public, à moins que ces personnes n'aient atteint dans l'intervalle l'âge minimum89. La doctrine sur le droit en vigueur mentionne une telle limite eu égard à l'ordre public90. Quant à la majorité sexuelle prescrite (certes avec des exceptions91) par le droit pénal suisse à 16 ans également, il est déjà admis aujourd'hui qu'un mineur de moins de 16 ans ne saurait vivre en Suisse comme personne mariée et que la pesée des intérêts par le tribunal dans ces cas doit invariablement conclure à l'annulation du mariage92.

Le droit en vigueur peut donc déjà être interprété de manière à refuser à titre préjudiciel la reconnaissance d'un mariage avec un mineur de moins de 16 ans (voir le ch. 1.1.4.1).

Fort des résultats de la consultation, le Conseil fédéral propose de tenir compte du souhait exprimé à ce sujet et d'aller un pas plus loin en rendant la reconnaissance de tels mariages d'emblée impossible et en leur ôtant tout effet, tant que les personnes concernées n'ont pas encore 16 ans (voir l'art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP). Il signale ainsi plus clairement encore que les mariages de très jeunes personnes ne sont pas compatibles avec l'ordre public suisse. L'autre avantage de cette mesure est que ces per89 90 91 92

Message sur les mariages forcés, ch. 1.1.4.2.

WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 53 ad art. 45; BODENSCHATZ, Basler Kommentar IPRG, no 25 ad art. 45; DUTOIT/BONOMI, commentaire LDIP, no 9 ad art. 45.

Voir l'impunité obligatoire prévue à l'art. 187, al. 2, CP et la possibilité de renoncer à la poursuite: art. 187, al. 3, CP.

Rapport explicatif, ch. 2.4.2.

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sonnes n'ont pas à être confrontées à la charge émotionnelle d'une procédure judiciaire.

Dans ces cas clairement délimités, il paraît justifié de prescrire la non-reconnaissance du mariage sans examen du cas d'espèce et sans effets, notamment parce que ces unions n'ont généralement duré que peu de temps. Il convient toutefois de distinguer l'âge lors de la conclusion du mariage de l'âge lorsqu'une autorité suisse est amenée à connaître de l'union (moment de l'examen). Si la personne concernée a déjà 16 ans au moment de l'examen, la reconnaissance ne saurait être refusée d'emblée. Le maintien du mariage à titre exceptionnel, la production des effets de l'union et une éventuelle réparation doivent rester possibles: il n'est pas défendable d'y renoncer de manière générale, sans égards à la durée de l'union ni à l'âge des époux93. Si la personne concernée avait certes moins de 16 ans au moment du mariage, mais 16 ans révolus au moment de l'examen, alors l'art. 105a P-CP s'applique et entraîne la procédure d'annulation (voir le ch. 4.2.2), sous réserve de l'autre exception si l'un des époux était domicilié en Suisse (voir le ch. 4.2.1.3). L'existence temporaire d'un mariage soumis à une condition suspensive (voir le ch. 4.1.3) et le fait que les époux ne peuvent déduire aucun droit de l'union durant cette période sont proportionnés et sans gravité, vu la brièveté de cette situation.

En conséquence, les mariages avec une personne âgée de moins de 16 ans au moment de l'examen ne pourront plus être reconnus (art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP). Il est indéniable que plus une personne est jeune au moment du mariage, plus la probabilité de contrainte est élevée94. La non-reconnaissance claire permet dans un premier temps aux personnes concernées (comme aux autorités) de faire l'économie d'une action en annulation pour cause de mariage forcé en application de l'art. 105, ch. 5, CC, car la non-reconnaissance prime. Les cas qui tombent sous le coup de l'ALCP ou de la convention AELE sont abordés au ch. 7.2.2.

4.2.1.3

Non-reconnaissance des mariages avec un mineur lorsque l'un des époux était domicilié en Suisse

Le projet propose d'étendre la non-reconnaissance générale du mariage avec un mineur à un second cas, fréquemment mentionné lors de la consultation95 et observé dans la pratique: lorsque l'un des époux au moins était domicilié en Suisse au moment du mariage (art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP). Dans cette situation, la proximité avec l'ordre juridique suisse signifie que l'intérêt public à la non-reconnaissance du mariage avec un mineur conclu à l'étranger prime. La norme proposée respecte l'esprit 93 94

95

La Cour constitutionnelle allemande défend le même avis sur les effets de l'union et la réparation du vice; voir la décision de la Cour constitutionnelle allemande.

Le Parlement a toutefois refusé de présumer l'existence d'un mariage forcé pour tous les mariages conclus avant 16 ans. La mo. 19.4261 «Combattre systématiquement les mariages d'enfants» a été rejetée le 30 septembre 2021, comme le Conseil fédéral l'avait proposé dans son avis du 20 novembre 2019.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.3.2. Une proposition en ce sens (avec en sus mention de la nationalité) a notamment été formulée par la Conférence des autorités cantonales de surveillance de l'état civil (CEC). Un grand nombre de participants se sont ralliés à l'avis de celle-ci.

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de l'actuel art. 45, al. 2, LDIP, par lequel le législateur entendait empêcher l'élusion des conditions requises pour se marier en Suisse.

Cette nouvelle disposition vise à résoudre le problème récurrent et jugé particulièrement choquant que constituent les mariages conclus pendant les vacances d'été. Des mineurs qui vivent en Suisse sont mariés dans le pays d'origine de leur famille, parfois durant les vacances d'été. Après l'union, le second époux vient à son tour en Suisse.

Les personnes mineures concernées sont le plus souvent bien intégrées, elles ont grandi en Suisse et y ont été scolarisées. Leur intérêt à être protégées est dans ces cas particulièrement élevé, tandis que leur intérêt à la poursuite du mariage est faible. Ces situations constituent bien souvent des mariages forcés au sens de la loi (art. 105, ch. 5, CC et 181a CP), mais qui sont complexes à prouver et ne peuvent guère être identifiés sans le concours des personnes concernées (voir le ch. 1.1.2.3).

La situation inverse est également couverte, à savoir quand l'époux majeur a son domicile en Suisse au moment du mariage. La proximité avec l'ordre juridique suisse commande que son mariage avec un mineur à l'étranger ne soit pas non plus reconnu.

Il est clairement apparu durant la procédure de consultation que ces mariages sont également perçus comme une manière de contourner le droit suisse et ne sauraient être reconnus.

Lorsque l'un des époux est domicilié en Suisse au moment de son mariage, il faut presque toujours s'attendre à ce que ce cas soit identifié rapidement et avant que le mariage ait réellement été vécu. L'absence d'examen du cas d'espèce et de possibilité de réparation du vice est donc sans grande conséquence. De plus, le mariage étant récent, des dispositions ont rarement été prises, raison pour laquelle il est admissible de ne pas régler les effets analogues à ceux du divorce, à l'inverse de ce que prévoit l'action en annulation96. La non-reconnaissance claire permet alors aux personnes concernées (comme aux autorités) de faire l'économie d'une action en annulation en cas de mariage forcé en application de l'art. 105, ch. 5, CC, car la non-reconnaissance prime. Les cas qui tombent sous le coup de l'ALCP ou de la convention AELE sont abordés au ch. 7.2.2.

4.2.2

Amélioration des règles d'annulation de tous les autres cas de mariage avec un mineur dans le CC

4.2.2.1

Remarques générales

Le Conseil fédéral entend maintenir l'action en annulation d'office dans tous les autres cas de mariage avec un mineur, soit notamment pour les mariages sans lien avec la Suisse de mineurs âgés de plus de 16 ans au moment de l'examen. Le refus de la Suisse de tolérer ces unions est dans ces cas exprimé et concrétisé par la méthode de l'annulation en vertu du CC (voir le ch. 4.1.2.2). Seule cette approche garantit un niveau suffisant de sécurité du droit: le mariage subsiste jusqu'à son éventuelle annulation. Les relations vécues sont prises en compte, l'annulation produisant des effets 96

La Cour constitutionnelle allemande a conclu que l'absence de règles sur les effets du mariage est notamment problématique lorsque les époux ont de bonne foi vécu leur union à l'étranger; décision de la Cour constitutionnelle allemande, ch. 161.

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analogues à ceux du divorce (art. 109 CC). Le juge conserve la possibilité de maintenir exceptionnellement le mariage après avoir procédé à un examen du cas d'espèce et la réparation du vice peut être facilement mise en oeuvre. Cette solution a d'ailleurs été soutenue dans le cadre de la procédure de consultation97. Ces règles et procédures d'annulation du mariage gagneraient néanmoins à être améliorées à certains égards, comme proposé dans l'avant-projet (voir le ch. 2.1).

4.2.2.2

Article distinct sur l'annulation du mariage en raison de la minorité d'un des époux (art. 105a P-CP)

Pour mettre en évidence les objectifs liés à l'annulation du mariage en raison de la minorité d'un des époux, cette cause d'annulation fera l'objet d'un article à part. La rédaction d'une norme distincte permet une formulation plus précise et plus nuancée et confère plus de poids à la règle de l'annulation. La procédure, régie par l'art. 106 CC, reste la même: après information de l'autorité compétente, l'action est intentée d'office (sur le déroulement de l'action en annulation, voir le ch. 1.1.4.2).

4.2.2.3

Réparation du vice à l'âge de 25 ans

Le Conseil fédéral estime nécessaire de maintenir dans certains cas la possibilité de réparer le vice qui entache le mariage. Il serait disproportionné de devoir examiner par voie judiciaire la validité d'un mariage qui existe depuis des décennies et que les époux ont poursuivi alors qu'ils sont tous les deux majeurs depuis longtemps. Ces structures familiales ne doivent pas être remises en question sans nécessité (voir le ch. 4.1.3). Autre point problématique en l'absence de réparation du vice: en pratique, des héritiers d'un époux décédé, ou même toute autre personne, pourraient demander l'annulation du mariage afin d'obtenir une plus grande part d'héritage98. La grande majorité des participants à la consultation sont également favorables au maintien de cette possibilité99.

Il importe toutefois de modifier et de régler clairement le moment à partir duquel le vice est réparé. Le droit en vigueur le fixe à la majorité. L'évaluation a montré que cette règle est inefficace (voir le ch. 1.1.5). Comme esquissé dans l'avant-projet (point du reste largement soutenu lors de la consultation, même si certains ont proposé une réparation plus tôt ou plus tard100), la réparation devrait avoir lieu lorsque l'époux mineur au moment du mariage atteint 25 ans (art. 105a, al. 1, P-CC).

La disposition sur l'annulation du mariage vise à éviter les mariages avec des mineurs et à protéger et soutenir les personnes concernées. Ce n'est peut-être qu'avec le temps ­ une fois devenue majeure ­ qu'une telle personne voudra se défaire de la situation 97 98

Voir la synthèse des résultats de la consultation.

Même si l'action n'est plus intentée d'office, l'annulation du mariage peut toujours être demandée; art. 106, al. 2 et 3, CC.

99 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 4.3; un autre avis est exposé dans la mo. 20.3011 de la CAJ-N «Ne pas tolérer les mariages d'enfants ou de mineurs».

100 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 4.3.

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qu'elle acceptait jusque-là, du moins en partie. Elle ne prendra éventuellement conscience qu'avec les années, une fois qu'elle aura acquis plus d'indépendance et de maturité, que le mariage conclu ne correspond pas à sa volonté. Il est important que la personne concernée qui atteint l'âge de 18 ans et est en mesure d'exercer ses droits civils ait suffisamment de temps pour réfléchir à sa situation, pour identifier les options qui s'offrent à elle et pour entreprendre les démarches nécessaires à l'annulation du mariage. Le report de la réparation vaut également pour les autorités: intenter l'action d'office limite la charge à porter par les personnes concernées. La possibilité de réparer le vice s'applique à tous les mariages avec un mineur couverts par l'art. 105a P-CP, quel que soit l'âge des époux au moment du mariage101. La réparation n'est exclue que dans les cas où l'un des époux était domicilié en Suisse lors du mariage (art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP; voir le ch. 4.2.1.3).

La personne qui veut obtenir la dissolution du mariage alors qu'elle a déjà 25 ans peut évidemment demander le divorce, mais elle doit en prendre l'initiative elle-même.

Nous rappelons ici que l'annulation du mariage pour d'autres raisons fondées sur l'art. 105 CC, notamment en cas de mariage forcé, reste possible en tout temps.

4.2.2.4

Âge déterminant au moment de l'introduction de l'action

L'évaluation a mis en lumière un autre problème qui complique considérablement la mise en oeuvre: la jurisprudence est manifestement peu homogène en ce qui concerne le moment déterminant où l'époux doit encore être mineur pour obtenir l'annulation du mariage. La doctrine est également partagée102. Or, si l'époux doit encore être mineur lorsque le jugement est prononcé, il risque d'y avoir réparation du vice en cours de procédure. La durée de la procédure ne peut souvent pas être contrôlée par les parties et dépend souvent de facteurs externes, comme l'envoi de documents de l'étranger. Cette situation favorise les tactiques dilatoires. Ces deux facteurs aggravent la problématique103.

La révision vise à préciser que le moment déterminant pour la réparation du vice est celui où l'action est intentée: l'époux qui était mineur au moment du mariage ne doit pas encore avoir 25 ans lorsque l'action est intentée. La durée de la procédure d'annulation du mariage n'a ainsi plus d'effet sur la réparation, il n'y a plus aucune incitation à faire durer la procédure et l'incertitude est levée.

101

La Cour constitutionnelle allemande défend l'avis selon lequel les mineurs mariés avant 16 ans doivent également avoir la possibilité de confirmer leur mariage après leur majorité; Beschluss Bundesverfassungsgericht Deutschland, ch. 159 et 173.

102 BUCHER, PJA 2013, p. 1169, propose l'âge au moment du dépôt de l'action, tandis que GEISER, Basler Kommentar, no 22 ad art. 105, retient l'âge au moment du jugement.

103 Voir le rapport d'évaluation, ch. 4.3.1.3.

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4.2.2.5

Pesée des intérêts et maintien du mariage à titre exceptionnel

La pesée des intérêts prévue par le droit en vigueur permet au juge de pondérer les intérêts en présence dans chaque cas d'espèce, et de renoncer à prononcer l'annulation lorsque la poursuite de l'union dans l'intérêt de la personne encore mineure prime le besoin de protection qui fonde l'annulation104. Il convient ce faisant de partir du principe qu'un mariage avec une personne mineure n'est normalement pas dans son intérêt. Dans le doute, il faut annuler le mariage105.

La pesée des intérêts et la possibilité de maintenir exceptionnellement le mariage ont certes été critiquées à plusieurs reprises, certains avançant notamment que la mesure efface un signal fort contre les mariages avec un mineur ou que la pesée des intérêts représente potentiellement pour les personnes concernées un fardeau incompatible avec leur protection. Cependant, le Conseil fédéral maintient que cette possibilité doit être conservée pour trouver une solution adéquate aux relations matrimoniales déjà vécues à l'étranger. La majorité des participants à la consultation se sont du reste montrés favorables au maintien de la pesée des intérêts106.

Les époux mineurs sont encore des enfants selon la CDE-ONU. Conformément à l'art. 11, al. 1, de la Constitution (Cst.)107 en relation avec l'art. 3, par. 1, CDE-ONU, le bien de l'enfant joue un rôle primordial lorsqu'il s'agit de prendre des décisions qui le concernent. Lorsqu'il y a une mise en danger grave du bien d'un enfant, les autorités ont l'obligation de procéder d'office à des vérifications et, selon les circonstances, de tenir compte du degré de maturité et d'autonomie de l'enfant108.

La Cour constitutionnelle allemande a toutefois remis en question ce principe dans le cas des mineurs de moins de 16 ans lors de la conclusion du mariage. Elle a considéré que la protection des mineurs est primordiale et admet les règles généralisantes, de sorte que la pesée des intérêts n'est pas indispensable. La pesée des intérêts signifierait en outre que ces mariages extrêmement prématurés ne sont pas systématiquement considérés comme portant atteinte au bien de l'enfant109. En outre, le Conseil fédéral juge que la pesée des intérêts doit également être maintenue en raison du principe de proportionnalité inscrit dans la Constitution, principe essentiel en cas d'atteinte à un droit fondamental, tel que le droit au mariage. La pesée des intérêts n'aboutit généra-

104

105 106 107 108 109

L'ajout de la pesée des intérêts en 2013 a notamment été motivé par la résolution 1468 du Conseil de l'Europe. Saisi d'une demande en ce sens, le Conseil national a refusé de supprimer la pesée des intérêts à l'issue d'âpres débats. La question a également été abordée en détail à plusieurs reprises lors des présents travaux.

Message sur les mariages forcés, ch. 2.1, Art. 105.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 4.4.1.

RS 101 KIENER/KÄLIN/WYTTENBACH, Grundrechte, § 37, no 9 ad art. 11 Cst.

Voir la décision de la Cour constitutionnelle allemande. L'examen du cas d'espèce a toutefois bon nombre de partisans en Allemagne, et notamment la Cour fédérale, le Deutsches Institut für Menschenrechte, le Deutsches Komitee für UNICEF et le Deutsches Kinderhilfswerk. Ajoutons qu'en Allemagne ­ contrairement à la pratique en Suisse ­, l'asile accordé aux familles peut également être accordé dans le cas de mariages avec un mineur non valables. De plus, la pesée des intérêts est prévue pour les mariages conclus à 16 ou à 17 ans; voir le ch. 3.5.

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lement pas au maintien de l'union. En revanche, la supprimer serait dans certains cas contraire à l'obligation de respecter l'intérêt prépondérant de l'enfant110.

La pesée des intérêts durant l'action en annulation ne pourra à l'avenir être effectuée que dans des cas très précis: lorsque la personne concernée a entre 16 et 18 ans au moment de l'examen, et lorsqu'aucun des époux n'était domicilié en Suisse au moment du mariage (voir le ch. 4.2). La norme proposée répond aux préoccupations liées à la pesée des intérêts dans le cas des très jeunes époux. Le domaine d'application de la pesée des intérêts est ainsi réduit significativement, à ce que le Conseil fédéral estime être le strict minimum.

Concernant l'âge nubile, l'avis prédominant en Suisse et dans le reste de l'Europe est qu'il n'est pas atteint avant 16 ans111. Il serait néanmoins disproportionné d'annuler d'office les mariages avec un mineur de moins de 16 ans (qui les a toutefois atteints au moment de l'examen) sans examen du cas d'espèce, c'est-à-dire sans tenir compte de la situation concrète de la personne concernée au moment du jugement ni examiner les conséquences d'une annulation d'office112. D'autres traités internationaux, comme l'ALCP et la convention AELE, exigent au reste un examen de la proportionnalité.

Supprimer la pesée des intérêts violerait dans certains cas les droits garantis par ces traités, puisque les mariages avant 18 ans sont encore possibles dans nombre de pays de l'UE et de l'AELE (voir le ch. 7.2).

Une autre crainte parfois exprimée serait que l'action en annulation et la pesée des intérêts par le juge fassent porter à la personne concernée un trop lourd fardeau, car elles l'exposeraient à des pressions de la part de sa famille. Les données sur le fardeau que représente la procédure judiciaire sont rares et divergentes113. Toujours est-il que selon les circonstances, tirer au clair les liens réels entre les personnes concernées et établir leur volonté peut être difficile, en particulier quand elles se trouvent à l'étranger et que la procédure doit passer par l'entraide judiciaire (voir le ch. 4.2.4)114. On peut toutefois supposer que les tribunaux disposent de l'expérience requise pour réaliser cet examen de manière appropriée, comme le législateur l'a déjà mentionné lors de l'adoption de l'art. 105, ch. 6, CC115. Naturellement, il est aussi capital que les tribunaux civils soient suffisamment sensibilisés. Il convient de réitérer que renoncer 110

111

112 113

114

115

On se référera ici aux arrêts étudiés lors de l'évaluation et dans lesquels la pesée des intérêts a abouti à la poursuite du mariage. Le survol de ces arrêts montre que les tribunaux ont toujours examiné la situation en détail et solidement motivé leur décision.

BREITENMOSER, Internationaler Kommentar zur Europäischen Menschenrechtskonvention, no 107 ss ad art. 12. Voir également l'avis de droit de l'ISDC, p. 34, et les références citées.

Voir également WIDMER LÜCHINGER, FamPra, p. 798.

Voir la décision de la Cour constitutionnelle allemande, ch. 145: il a parfois été rapporté que les mineurs peuvent subir durant la procédure autant de pressions ou d'influences que lors de la conclusion du mariage. Il leur est enjoint de défendre leur union, à défaut ils seraient confrontés à des accusations dans leur pays d'origine. L'autorité de protection des mineurs de Brême (Landesjugendamt) a toutefois avancé que les personnes concernées souhaitaient souvent présenter leur version des faits durant la procédure.

Eu égard à l'évaluation des mariages dans le contexte de l'asile, il est à noter que la nouvelle disposition contenue aux art. 51, al. 1bis, et 71, al. 1bis, P-LAsi améliorera la situation, car la procédure sera uniquement menée une fois que les deux époux se trouveront en Suisse.

Il avait déjà été affirmé lors des délibérations parlementaires qu'un tribunal est apte à procéder à cet examen délicat; BO 2012 N 35 ss et BO 2012 E 448 ss.

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à l'annulation du mariage à l'issue de la pesée des intérêts ne saurait dépasser le cadre de l'exception et devenir la règle. Une telle décision doit en tous les cas être rigoureusement motivée. Il faut toujours partir de l'idée que le maintien du mariage n'est pas dans l'intérêt du mineur116. En cas de doute, le mariage doit toujours être annulé.

L'argument selon lequel les époux peuvent simplement se remarier une fois majeurs s'ils le souhaitent peine lui aussi à convaincre de renoncer à la pesée des intérêts, car à l'inverse des situations visées par la LDIP (art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP; voir son commentaire plus bas), le mariage a ici souvent déjà été vécu. Dans les domaines où des droits dépendent de la durée du mariage, se remarier peut s'accompagner de pertes de droits.

4.2.2.6

Examen de la libre volonté de l'époux et maintien exceptionnel du mariage lorsque l'époux mineur est devenu majeur

Si la personne qui était mineure au moment du mariage a atteint la majorité lorsque le tribunal traite l'affaire, il est encore plus important d'admettre la possibilité de maintenir les liens du mariage: si la personne déclare, lors de la procédure civile, vouloir poursuivre le mariage et que le juge est convaincu qu'il s'agit là de l'expression de sa libre volonté, l'annulation du mariage serait problématique, car elle violerait des droits constitutionnels, à savoir la liberté du mariage. Une pesée des intérêts n'entre alors pas en ligne de compte, puisque la personne est devenue majeure entre-temps et capable de contracter mariage selon le droit suisse117.

Avec le projet, le Conseil fédéral propose d'aménager la possibilité pour le tribunal de renoncer à titre exceptionnel à annuler le mariage lorsque l'époux mineur est devenu majeur et déclare de son plein gré vouloir poursuivre le mariage (art. 105a, al. 2, ch. 2, P-CC). Il doit évidemment évaluer très soigneusement si les déclarations ont réellement été faites de plein gré. S'il est clair que la personne se remarierait de suite si le mariage était annulé, l'annulation serait disproportionnée. De telles interventions entraîneraient des charges administratives inutiles aussi bien pour les personnes concernées que pour les autorités impliquées. Il reste qu'en l'absence de déclarations claires de la part des personnes concernées, le juge doit annuler le mariage. Cette disposition tient compte à parts égales de la libre volonté des époux mineurs devenus majeurs et des considérations pragmatiques.

Lors de la procédure de consultation, un bon nombre de participants ont fait valoir que dans cette situation, les époux souhaitent pratiquement toujours maintenir le mariage. Ils craignent donc que la procédure prévue n'engendre des charges administratives inutiles118. Dans ce contexte, il serait envisageable de charger une des autorités intervenant avant le tribunal ­ concrètement, l'autorité chargée d'informer ou celle habilitée d'intenter l'action au sens de l'art. 106 CC ­ de procéder à l'examen de la 116

Avis du Conseil fédéral du 1er février 2017 sur la mo. 16.3916 Rickli «Interdire les mariages précoces»; message sur les mariages forcés, ch. 2.1., art. 105.

117 BUCHER, PJA 2013, p. 1169.

118 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.3.1 s. et 4.4.2; sur la contre-proposition dans la LDIP, voir le ch. 4.1.3. et les explications au ch. 4.2.2.3.

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libre volonté (sur le système d'annulation, voir le ch. 1.1.4.2). Pour les mariages conclus à l'étranger, des autorités très différentes peuvent être confrontées au mariage à titre préjudiciel et donc avoir qualité pour intenter l'action (voir le ch. 4.1.1). Il s'agit le plus souvent des autorités des migrations ou de surveillance en matière d'état civil, mais les assurances sociales et les autorités fiscales ne sont pas exclues. La décision de maintenir le mariage d'une personne devenue adulte requiert un examen poussé et consciencieux. Il est donc capital que la procédure d'examen soit conçue de manière à assurer une décision autonome qui reflète bel et bien la libre volonté des personnes concernées119. Il serait dommageable de confier cet examen à toute autorité potentiellement confrontée au mariage, donc aux autorités chargées d'informer (le même raisonnement vaut pour la réglementation exhaustive dans la LDIP; voir le ch. 4.1.2.3).

Quant aux autorités habilitées d'intenter l'action, elles sont très différentes d'un canton à l'autre. Il s'agit parfois de services de l'administration cantonale, comme les autorités de surveillance en matière d'état civil, parfois des ministères publics et d'autres fois encore d'une tâche des communes120. Le Conseil fédéral a du reste déjà indiqué dans son rapport d'évaluation que l'examen de la libre volonté (tout comme la pesée des intérêts) ne saurait être effectué que par le tribunal, car préjuger de sa décision risquerait de constituer une atteinte aux droits des personnes concernées. Le Conseil fédéral renonce donc à proposer une modification de cette disposition.

Il convient d'ajouter qu'il est peu probable que la charge des tribunaux augmente sensiblement du fait de ces cas, contrairement à ce que certains participants à la consultation craignent. Avec le nouvel art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP, il y a fort à parier qu'un certain nombre de cas soient déjà résolus par une non-reconnaissance (notamment les mariages conclus pendant les vacances d'été; voir le ch. 4.2.1.3). L'analyse des chiffres actuels présage d'un nombre raisonnable de cas121.

4.2.2.7

Aspects procéduraux de l'annulation du mariage

Même si le report de la réparation du vice à l'âge de 25 ans devrait signifier une légère augmentation du nombre d'actions en annulation (voir le ch. 4.2.2.3), le Conseil fédéral, fort des résultats de la consultation122, ne voit aucune nécessité d'adapter la procédure.

­

119

La procédure de divorce sur demande unilatérale est applicable par analogie à l'action en annulation du mariage (art. 294 CPC). L'acquiescement à l'ac-

C'est également ce que dit la Cour constitutionnelle allemande, ch. 181. Voir les explications sur la pesée des intérêts, ch. 4.2.2.5.

120 Rapport d'évaluation, ch. 4.4.2; RÜEFLI, rapport d'évaluation Vatter, p. 53.

121 L'analyse des données dans Infostar aboutit à une moyenne de 20 cas supplémentaires par an pour des cantons comme Genève et Zurich, qui sont confrontés au plus grand nombre de mariages avec un mineur. Aucune donnée n'existe pour les mariages qui ne sont pas enregistrés dans Infostar. Dans le Système d'information central sur la migration (SYMIC), il n'est procédé à aucune saisie systématique de données permettant de déduire l'âge au moment du mariage. Les données du Service contre les mariages forcés ont également été prises en compte. En 2021, celui-ci a conseillé dans toute la Suisse environ 40 personnes mariées mineures, mais devenues majeures (sans qu'on sache si elles avaient plus ou moins de 25 ans).

122 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 5.2 et 5.6.

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tion en annulation du mariage est impossible123. Compte tenu des divers obstacles auxquels le tribunal fait face lors de la pesée des intérêts et de l'examen de la libre volonté des époux, il est assurément capital que ceux-ci soient interrogés séparément. Dans ces circonstances, une audience de conciliation est dénuée de sens pour les mariages avec un mineur. Les dispositions régissant la procédure de divorce étant applicables uniquement par analogie (art. 294 CPC), une renonciation à l'audience de conciliation conformément au CPC est d'ores et déjà possible. Une adaptation législative n'est dès lors pas nécessaire.

­

La répartition des frais de procédure mérite une attention particulière. Notons que, en vertu d'une disposition de droit international, il convient d'éviter autant que possible de faire supporter les frais aux personnes concernées124.

L'art. 107 CPC, qui prévoit que le tribunal peut dans certains cas répartir les frais selon sa libre appréciation, offre déjà une marge de manoeuvre suffisante.

­

Certains participants à la consultation ont également demandé l'octroi impératif d'une représentation juridique en vertu de l'art. 299 CPC, jugée primordiale dans ce contexte125. Une personne mineure peut certes agir seule pour faire valoir son droit strictement personnel à l'annulation du mariage126. Les éventuelles conséquences patrimoniales nécessitent cependant l'intervention d'un représentant légal ou d'un curateur nommé par l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA). Vu la situation, les parents ne peuvent souvent pas assumer le rôle de représentation, en raison des conflits d'intérêts potentiels, aussi peut-on supposer que le juge devra souvent nommer un représentant. L'art. 299 CPC offre déjà cette possibilité, raison pour laquelle aucune modification du droit en vigueur n'est proposée.

4.2.3

Synthèse des situations possibles

Les mariages avec un mineur sont réglés différemment selon les cas. Le projet couvre deux situations précises par une nouvelle norme dans la LDIP et répond ainsi à une des principales revendications exprimées durant la procédure de consultation. En substance, certains mariages avec un mineur ne seront jamais reconnus, ce qui signifie qu'ils ne produiront aucun effet, pas même à titre exceptionnel (voir le ch. 4.2.1).

L'absence de procédure judiciaire dans ces cas manifestes évitera des dépenses inutiles pour les autorités et des situations accablantes pour les personnes concernées. La protection de ces dernières et la sécurité du droit nécessitent de conserver les effets prévus par l'annulation en vertu du CC, qui sera toutefois amélioré.

123 124

GEISER, Basler Kommentar, no 13 ad art. 106.

L'art. 32 de la convention d'Istanbul (RS 0.311.35) interdit, dans le cas de mariages forcés, de faire peser sur les victimes une charge financière excessive dans le cadre de procédures civiles.

125 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 5.2.

126 Message sur les mariages forcés, ch. 1.3.2.3.

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L'interaction entre la LDIP et le CC a les conséquences suivantes sur les cas visés.

­

Si, lorsque le mariage a été célébré, l'un des époux n'avait pas atteint l'âge de 18 ans et que l'un des époux était domicilié en Suisse, le mariage n'est pas reconnu (art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP). Ces unions ne produisent donc aucun effet en Suisse. Cette disposition améliore en particulier la protection des personnes concernées contre les mariages conclus pendant les vacances d'été.

La procédure est la suivante dans tous les autres cas (soit pour les mariages exclusivement étrangers).

­

Si l'un des deux époux au moins n'avait pas encore 16 ans au moment de l'examen, le mariage n'est pas non plus reconnu (art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP).

La non-reconnaissance vise à mieux protéger les personnes concernées. Les plus jeunes époux ne doivent donc plus passer par l'action en annulation.

­

Si les deux époux ont atteint 16 ans au moment de l'examen et qu'au moins un des deux est encore mineur, une action en annulation est intentée d'office, comme jusqu'à présent. En règle générale, le mariage est annulé. Le juge peut maintenir l'union à titre exceptionnel si l'intérêt prépondérant de l'époux encore mineur le commande (pesée des intérêts; art. 105a, al. 2, ch. 1, P-CC).

­

Si les deux époux sont majeurs et que celui qui a été marié mineur n'a pas encore atteint 25 ans au moment de l'examen (et jusqu'à l'ouverture de l'action; art. 106, al. 3, P-CC), l'action en annulation est intentée d'office. En règle générale, le mariage est annulé. Le juge peut maintenir l'union à titre exceptionnel si c'est le souhait formulé de plein gré par l'époux concerné (art. 105a, al. 2, ch. 2, P-CC).

­

Si les deux époux ont atteint 25 ans, le vice qui entachait le mariage est réparé.

Dès cet instant, l'action en annulation ne peut plus être intentée (art. 105a, al. 1, et 106, al. 3, P-CC).

4.2.4

Droit des étrangers et de l'asile

4.2.4.1

Droit des étrangers

Le projet devrait conduire à une hausse du nombre de mariages non reconnus (art. 45, al. 3, P-LDIP) et d'actions en annulation en vertu de l'art. 105a P-CC. La fréquence des cas nécessitant un signalement et la suspension d'une procédure devrait donc progresser (voir le ch. 1.1.4.4). Cette dernière mesure a été introduite par la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés et sera conservée127. Il convient toutefois de veiller à ce que la procédure civile soit la plus brève possible.

En droit des étrangers, la non-reconnaissance et l'annulation ont des conséquences identiques. Elles signifient dans tous les cas le refus de la demande de regroupement familial, la condition de l'existence d'un mariage reconnu par la Suisse n'étant pas remplie (art. 42 à 45 et 85, al. 7, LEI). De même, l'entrée en Suisse est refusée. Les

127

Message sur les mariages forcés, ch. 1.3.4.

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conséquences pour les époux qui se trouvent déjà en Suisse sont exposées dans les considérations sur le droit en vigueur (voir le ch. 1.1.4.4).

La modification des causes d'annulation dans le CC nécessite uniquement l'adaptation des renvois dans la LEI.

4.2.4.2

Droit de l'asile

Les modifications proposées de la LDIP et du CC appellent également des adaptations des règles régissant la procédure de regroupement familial dans le contexte de l'asile (art. 51, al. 4, LAsi). Le signalement prévu à l'art. 106 CC et la suspension de la procédure auront lieu à l'avenir une fois que l'époux bénéficiant du regroupement familial est entré en Suisse128. Le report à 25 ans (contre 18 ans jusqu'ici) de la réparation du vice lié à la minorité signifiera une augmentation du nombre de signalements par le SEM. La modification prévue de l'art. 51, al. 1bis, 4e phrase, P-LAsi tient compte à la fois du bien de l'enfant et de l'idée sous-jacente à cet article, à savoir protéger les proches face à toute persécution indirecte. Étant donné que la suspension de la procédure pour les parents n'a a priori aucune conséquence sur la procédure pour les éventuels enfants, il faudrait sinon envisager de faire entrer les enfants séparément, ce qui soulève également des questions relatives au bien de l'enfant. Cette mesure ­ renoncer à signaler le mariage avec un mineur et à suspendre la procédure tant que l'un des époux est à l'étranger ­ s'appliquera par analogie à la procédure d'octroi de la protection provisoire aux familles (art. 71, al. 1bis, 4e phrase). Une fois les deux époux en Suisse, l'autorité compétente est informée en application de l'art. 106 CC et la procédure d'asile accordé aux familles est suspendue.

En droit de l'asile également, la non-reconnaissance et l'annulation ont des conséquences identiques. Elles signifient dans tous les cas le refus de la demande d'asile accordé aux familles. En cas de non-reconnaissance (art. 45, al. 3, P-LDIP), le SEM rend directement une décision, ce qui exclut le signalement et l'action en annulation et signifie qu'il n'y a pas de suspension. Dans ce cas, si l'époux concerné se trouve déjà en Suisse ou si son mariage a été annulé, il est toujours nécessaire d'examiner si l'exécution de la décision de renvoi est licite, raisonnablement exigible et possible.

Cela vaut pour les époux encore mineurs comme pour ceux devenus adultes, les premiers devant toutefois être considérés comme des mineurs non accompagnés (voir le ch. 1.1.4.4).

La nouvelle structure des causes d'annulation dans le CC nécessite en outre l'adaptation des renvois dans la LAsi.

128

Cette demande a été formulée durant la consultation; synthèse des résultats de la consultation, ch. 5.5.

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4.2.5

Adaptation simultanée de la loi sur le partenariat

La cause d'annulation est également prévue dans la loi du 18 juin 2004 sur le partenariat (LPart)129. Dès lors, et bien qu'aucun cas correspondant ne soit connu130, il faut adapter la LPart en conséquence131. Seuls le droit transitoire et les dispositions d'annulation d'un partenariat enregistré pour cause de minorité sont concernés. Les art. 45 et 45a LDIP, relatifs à la reconnaissance et à l'annulation du mariage, s'appliquent au partenariat enregistré par analogie. Il en va de même pour les règles en droit des étrangers et de l'asile (art. 52 en relation avec les art. 50 LEI et 79a LAsi), aussi aucune autre modification n'est requise.

4.2.6

Suppression de la possibilité de consentir aux fiançailles de mineurs

Plusieurs participants à la consultation ont avancé que la possibilité inscrite à l'art. 90, al. 2, CC de fiancer des mineurs avec le consentement des parents est problématique.

Nombre de cérémonies semblables à un mariage et relevant du droit coutumier seraient réalisées avec des mineurs. Dans certaines communautés, les fiançailles peuvent être vues comme un engagement dont il est très difficile de se défaire. Fiancer des mineurs serait de facto une manière de contourner l'âge légal de 18 ans pour contracter mariage132.

Durant les délibérations sur la révision du CC «Mariage civil pour tous», la CAJ-N a déposé une initiative parlementaire visant l'abrogation des art. 90 à 93 CC, relatifs aux fiançailles133. La commission a considéré que les dispositions en question ne sont plus pertinentes dans les faits, dépassées du point de vue social et même contre-productives s'agissant du problème du mariage avec des mineurs (art. 90, al. 2, CC). La Commission des affaires juridiques du Conseil des États (CAJ-E) avait toutefois refusé cette abrogation en raison de l'importance que revêtent toujours les fiançailles134.

Se fiancer est un acte strictement personnel, qui n'oblige toutefois le mineur selon le droit en vigueur que si son représentant légal y consent (art. 90, al. 2, CC). Ce consentement est cependant sans conséquence sur la validité des fiançailles du mineur capable de discernement. La rupture des fiançailles ne peut ainsi être exercée que par ce dernier, sans le consentement de son représentant légal135. En supprimant l'obligation de recueillir le consentement, les règles générales sur l'exercice des droits civils par les mineurs s'appliqueront (art. 17 à 19c CC)136.

129 130 131

132 133 134 135 136

RS 211.231 Rapport d'évaluation, ch. 3.1.

Même si aucun nouveau partenariat enregistré ne peut être conclu en Suisse depuis la révision du CC «Mariage pour tous» (FF 2020, p. 9607, entrée en vigueur le 1er juillet 2022), la LPart demeure en vigueur pour un certain temps encore et doit être révisée en conséquence.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 5.3.

Iv. pa. 19.496 CAJ-N «Abrogation des dispositions du code civil relatives aux fiançailles», retirée le 19 novembre 2021.

Communiqué de presse de la CAJ-E du 23 février 2021.

FANKHAUSER, Basler Kommentar, no 20 ad art. 19.

Sur l'ensemble, voir également HUWILER/EGGEL, Basler Kommentar, no 15 ss ad art. 90.

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Il est à noter que la fonction de protection souhaitée par le législateur en prévoyant le consentement des parents tombe manifestement à l'eau dans le contexte des mariages avec un mineur. En revanche, l'abrogation de l'art. 90, al. 2, CC revêt une grande importance symbolique: elle renforce la protection des personnes concernées, notamment contre les fiançailles forcées, en signalant clairement qu'un mineur ne saurait être fiancé.

4.2.7

Pas d'infraction en cas d'élusion de la primauté du mariage civil

Le problème des mariages religieux conclus avant l'union civile est fréquemment évoqué dans les discussions sur les mariages avec un mineur et surtout sur les mariages forcés137. Ces mariages religieux paraissent parfois aux personnes concernées plus contraignants et plus significatifs que l'union civile.

L'art. 97, al. 3, CC consacre la primauté du mariage civil. En Suisse, le mariage civil doit précéder le mariage religieux, sinon celui-ci ne produit aucun effet. La légitimité de l'interdiction de l'élusion de cette primauté a été longuement débattue durant les délibérations au Parlement sur la révision du droit du divorce il y a plus de 20 ans.

Son abrogation a été suggérée puis finalement rejetée. La disposition qui punissait d'une amende le fait d'éluder la primauté du mariage civil a néanmoins été supprimée.

Plus tard, à la faveur de deux interventions parlementaires de 2017, la CAJ-N et le Conseil fédéral se sont prononcés à nouveau sur l'interdiction de l'élusion et ont réaffirmé sa nécessité en raison de la fonction de protection qu'elle remplit138. Le débat n'a pas porté sur la norme pénale abrogée.

Certains participants à la consultation ont abordé le sujet et demandé s'il ne faudrait pas punir à nouveau l'élusion de la primauté du mariage civil et renouveler les efforts de sensibilisation, nombre de dignitaires religieux et de services spécialisés ne disposant pas des connaissances requises. Il a donc été suggéré d'étudier dans quelle mesure le respect de la primauté du mariage civil peut être garanti par des mécanismes de contrôle et des efforts d'information et de sensibilisation139.

Le Conseil fédéral a réfléchi à la réintroduction d'une sanction pénale pour l'élusion et conclu qu'elle ne serait pas opportune. Les normes pénales dans le contexte des mariages avec un mineur et des mariages forcés sont problématiques et une criminalisation peut même avoir des effets indésirables, voire contraires au but visé140. De plus, ériger une infraction causerait divers problèmes de délimitation. D'une part, la 137

La polémique a resurgi pour la dernière fois avec les incidents à la Maison des religions à Berne, institution hébergeant une mosquée où ont été conclus des mariages religieux forcés en infraction à la primauté du mariage civil (art. 97, al. 3, CC), voir: www.srf.ch > news > Zwangsheiraten ­ verbotene Trauungen im Haus der Religionen, 16 novembre 2022.

138 Mo. 17.3693 Page «Fin de l'interdiction de célébrer un mariage religieux avant le mariage civil» et avis du Conseil fédéral du 8 novembre 2017; iv. pa. 17.470 Zanetti «Supprimer les exigences discriminatoires qui s'appliquent au mariage religieux»; rapport de la CAJ-N du 5 juillet 2018.

139 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 5.4.

140 C'est également l'avis du Service contre les mariages forcés.

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définition même des fiançailles est incertaine, donc la précision de la base légale n'est pas acquise. D'autre part, l'application de la norme serait une gageure pour les autorités compétentes, puisque les cérémonies et fiançailles religieuses visées se déroulent souvent hors des institutions officielles, c'est-à-dire hors des églises, des mosquées et des autres lieux de culte. Pour ces raisons, le Conseil fédéral estime qu'une norme pénale serait encore inappropriée, car elle revêtirait une portée plutôt symbolique. Il semble plus utile et plus efficace de poursuivre les efforts de sensibilisation et d'information des responsables de communautés religieuses. L'Office fédéral de l'état civil (OFEC) donne déjà des renseignements à ce sujet141.

4.3

Droit transitoire

4.3.1

Dans le CC

L'art. 2, titre final CC énonce que, en cas d'intérêt public supérieur ou d'une nouvelle appréciation d'une question importante du point de vue éthique, social ou institutionnel, les règles impératives du nouveau droit s'appliquent de manière inconditionnelle aussi aux faits régis par l'ancien droit. La révision de la cause d'annulation du mariage que constitue la minorité se fait dans l'intérêt public.

Dans le cadre de cette révision, il faut prévoir expressément ­ bien que l'état de fait ne soit pas terminé dès lors que le mariage est en cours ­ que tous les mariages impliquant des mineurs soient appréciés selon le nouveau droit, indépendamment du fait qu'ils aient été conclus avant ou après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, de sorte qu'une action puisse être introduite d'office avant le 25e anniversaire de la personne concernée (voir l'art. 7a, al. 1, titre final P-CC).

Une exception à l'obligation d'informer et d'intenter l'action d'office doit être faite pour les époux ayant déjà 18 ans au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle disposition (voir l'art. 7a, al. 2, titre final P-CC). Cette disposition vise à éviter de forcer les autorités à rechercher activement de tels cas à l'entrée en vigueur de la loi.

Même si l'intervention d'office proposée dans l'avant-projet est supprimée, l'époux concerné qui a atteint 18 ans au moment de l'examen doit conserver la possibilité d'intenter l'action jusqu'à ses 25 ans. Certes, on rompt ainsi avec le système qui veut que l'action soit introduite d'office afin de protéger et de décharger les personnes concernées. Mais à titre de compromis entre la protection de la confiance envers les autorités et la protection des personnes, cette manière de faire est jugée pertinente.

4.3.2

Dans la LDIP

La reconnaissance d'un mariage célébré à l'étranger en vertu de l'art. 45, al. 1, LDIP ne nécessite aucun acte de reconnaissance: le mariage est considéré valable d'emblée si les conditions de la reconnaissance sont remplies et sous réserve d'une action en 141

Mémento de l'OFEC «Mariage religieux célébré par des responsables de communautés religieuses en Suisse (état: 1er février 2012)», disponible sur: www.ofj.admin.ch > Société > État civil > Mémentos > Mariage.

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annulation en application des art. 105 à 109 CC (art. 45a LDIP; voir le ch. 1.1.3). La validité du mariage commence donc dès qu'il est célébré. Pour des raisons de sécurité du droit, le mariage valablement célébré doit être stable et ne doit pas pouvoir être annulé par une réforme législative ultérieure. La nouvelle teneur de l'art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP ne doit donc s'appliquer qu'aux mariages conclus après son entrée en vigueur.

Quant à l'art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP, il paraît tout à fait défendable de l'appliquer également aux mariages conclus avant son entrée en vigueur. Comme mentionné plus haut, le droit en vigueur peut déjà être interprété de manière à refuser la reconnaissance d'un mariage avec une personne encore âgée de moins de 16 ans (voir le ch. 1.1.4.1). Dans le cas des mariages conclus avant son entrée en vigueur, le caractère rétroactif de la norme se limite en somme à la suppression de la possibilité limitée dans le temps d'intenter une action en annulation.

4.4

Mise en oeuvre

Les modifications proposées de lois fédérales en vigueur n'appellent aucune mise en oeuvre par des ordonnances. Il est toutefois nécessaire d'adapter les directives sur la LEI et la LAsi142 et éventuellement celles de l'OFEC143 et d'autres autorités.

La mise en oeuvre des nouvelles dispositions au niveau cantonal sera faite par les autorités existantes et notamment par les tribunaux. Ceux-ci ont un rôle primordial à jouer dans l'exécution du nouveau droit. La révision proprement dite n'entraîne aucune modification impérative des législations cantonales. Selon les cantons, la mise en oeuvre pourra toutefois nécessiter des adaptations.

5

Commentaire des dispositions

5.1

Code civil

Art. 90, al. 2 La norme actuelle disposant que les fiançailles n'obligent un mineur que si son représentant légal y a consenti est abrogée. À l'avenir, ce seront donc les règles générales sur l'exercice des droits civils par les mineurs qui s'appliqueront (art. 17 à 19 CC).

L'abrogation de cette disposition revêt une grande importance symbolique: elle renforce la protection des personnes concernées, notamment contre les fiançailles forcées, en signalant clairement qu'un mineur ne saurait être fiancé (voir le ch. 4.2.6).

142 143

www.sem.admin.ch > Publications & services > Directives et circulaires.

www.ofj.admin.ch > Société > État civil > Directives.

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Art. 105, titre marginal, phrase introductive et ch. 6 L'art. 105 en vigueur, qui comporte entre autres la minorité comme cause d'annulation du mariage (ch. 6), a pour titre «Causes absolues» («unbefristete Ungültigkeit» dans le texte allemand et «nullità assoluta» dans le texte italien).

En allemand, l'emploi du terme «Ungültigkeit» plutôt que «Nichtigkeit» indique qu'en présence d'une cause d'annulation, le mariage peut dans tous les cas être annulé par le tribunal s'il a été saisi pour en connaître (pour les versions française et italienne, voir plus bas)144. Ces causes d'annulation peuvent en principe être invoquées en tout temps. L'autorité qui y est habilitée intente l'action au domicile des époux.

Comme la cause d'annulation liée à la minorité ne peut être invoquée que jusqu'à 18 ans selon l'art. 105, ch. 6, CC et jusqu'à 25 ans selon l'art. 105a, al. 1, P-CC, il n'est pas heureux d'utiliser le terme de «unbefristet» dans ce contexte. Là où l'avantprojet allemand proposait «Ungültigkeit von Amtes wegen», le titre du projet («Absolute Ungültigkeitsgründe») reflète le français («causes absolues») et l'italien («nullità assoluta»). La portée de cette modification demeure purement rédactionnelle. Les causes d'annulation citées à l'art. 105 CC (et à l'avenir à l'art. 105a P-CC) se distinguent toujours de celles citées à l'art. 107 CC par le fait qu'elles doivent être invoquées d'office. Cela n'exclut bien entendu pas que toute personne intéressée ­ y compris l'un des conjoints ­ puisse intenter l'action en annulation du mariage (art. 106, al. 1, CC). L'avant-projet ne change rien à cet égard. Le nouveau titre marque la différence avec les causes relatives citées à l'art. 107 CC, qui ne peuvent être invoquées que par l'époux concerné. Le titre allemand de l'art. 107 est lui aussi modifié pour refléter le français et l'italien («relative Ungültigkeitsgründe»), qui ne sont pas modifiés par rapport à l'avant-projet. L'introduction du nouvel art. 105a P-CC implique en outre que les autres causes d'annulation prévues à l'art. 105 CC sont désormais qualifiées de «générales».

La phrase introductive est adaptée en conséquence de sorte à garantir la symétrie entre les art. 104 et 105 CC et 105a P-CC.

L'utilisation des termes «annulation», «cause d'annulation» et «action en annulation» dans les différentes
dispositions révisées met en évidence qu'il n'est pas question ici d'une nullité ex lege, mais d'une nullité qui doit être déclarée par le juge (voir le ch. 1.1.4.2). Le terme de «nullité» subsiste dans quelques dispositions qui ne font pas l'objet de la présente révision, car il n'est pas faux en soi. Dans le texte italien, on continue d'utiliser le terme «nullità».

Ch. 6: La rédaction d'une norme spécifique à la cause d'annulation du mariage liée à la minorité (art. 105a P-CC) permet d'abroger la disposition existante.

Art. 105a, al. 1 Ce nouvel article énonce à son al. 1 le principe selon lequel le mariage doit être annulé lorsque l'un des époux était mineur au moment de la célébration et qu'il n'a pas encore atteint 25 ans au moment où l'action en annulation du mariage est intentée (voir aussi l'art. 106, al. 3, P-CC). Le terme «mineur» fait référence aux art. 14 et 94 CC et si144

GEISER, Basler Kommentar, no 1 ad art. 105.

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gnifie toute personne n'ayant pas encore 18 ans révolus145. Cette définition vaut également en droit international. Pour appliquer cette disposition, il convient d'observer tant l'âge au moment du mariage que l'âge au moment où l'action est intentée. Lorsque la personne mariée alors qu'elle était mineure atteint 25 ans, le vice entachant le mariage est réparé et ne peut plus être invoqué pour obtenir l'annulation. En revanche, tant que l'action est intentée avant les 25 ans de la personne concernée (art. 106, al. 3, P-CC), la réparation ne peut avoir lieu durant la procédure.

La nouvelle limite à 25 ans correspond notamment à celle prévue par l'art. 97, al. 2, CP (prescription de l'action pénale en cas d'actes d'ordre sexuel avec des enfants) et dans le domaine de l'aide sociale146 ou de l'assurance-maladie147. Ce seuil bien établi correspond au but de la mesure, à savoir offrir aux personnes concernées suffisamment de temps pour se rendre compte de leur situation. L'évaluation a en outre montré que les époux qui se sont mariés alors qu'ils étaient encore mineurs ont tendance à arriver en Suisse lorsqu'ils ont déjà 18 ans pour éviter une éventuelle annulation du mariage148. Repousser le moment de la réparation de 7 ans a également un effet sur ces cas de figure: le délai est suffisamment long pour que les époux ne puissent plus juste attendre un peu avant de venir en Suisse.

Rappelons également que les autres causes d'annulation ­ on pense ici en particulier au mariage forcé au sens de l'art. 105, al. 5, CC ­ demeurent dans tous les cas réservées, aussi bien avant qu'après l'âge de 25 ans. En particulier lorsque la personne mineure au moment de l'union a effectivement été mariée de force et que l'on veut poursuivre pénalement les auteurs149, il faut intenter une action en application de l'art. 105, ch. 5, CC.

Art. 105a, al. 2, ch. 1 Il faut partir du principe qu'un mariage célébré alors qu'un des époux au moins était mineur doit être considéré comme étant nul et être invalidé. À titre exceptionnel, le juge peut, dans les deux cas énoncés, conclure à la poursuite du mariage et rejeter l'action en annulation.

Si l'époux qui était mineur lorsqu'il s'est marié l'est toujours à l'ouverture de la procédure devant le tribunal civil et au moment du jugement, le mariage ne peut être validé que si son
intérêt prépondérant commande de le poursuivre (pesée des intérêts).

Si, par contre, la personne concernée a atteint la majorité au moment du jugement, alors c'est le ch. 2 qui s'applique.

Lors de cette pesée des intérêts, le juge doit comme jusqu'à présent prendre en compte les intérêts en jeu dans le cas d'espèce. Outre l'intérêt public (intérêt général de protéger les personnes mineures contre un mariage et de lutter contre les mariages forcés), 145 146

GEISER, Basler Kommentar, no 21 ad art. 105.

Conférence suisse des institutions d'action sociale (CSIAS), document de base «Jeunes adultes à l'aide sociale», 2021.

147 Art. 16a de la loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance-maladie (RS 832.10), qui qualifie les personnes âgées de 19 à 25 ans compris de jeunes adultes.

148 Rapport d'évaluation, ch. 4.3.2.

149 Voir l'art. 181a CP. L'art. 66a, al. 1, let. g, CP prévoit dans ce cas une expulsion obligatoire.

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il faut tenir compte de l'intérêt individuel à la protection. Celui-ci dépend des circonstances concrètes de chaque cas, telles que l'âge du mineur, sa maturité et la différence d'âge entre les époux. Le juge doit également prendre en considération les circonstances particulières qui jouent en faveur du maintien des liens du mariage du point de vue de l'intéressé150. L'examen d'ensemble doit notamment tenir compte d'une éventuelle grossesse ou de l'existence d'enfants communs. De tels éléments ne peuvent toutefois justifier à eux seuls la poursuite du mariage151. Pour que le juge, après avoir pesé tous les éléments, arrive à la conclusion que le mariage est valable, il faut encore que la personne concernée déclare de son plein gré vouloir poursuivre l'union. Le juge doit établir soigneusement que cette volonté a été librement exprimée et ne fait aucun doute, vu que l'époux mineur est souvent soumis à des pressions. Dans le cas des personnes mariées très jeunes, soit à moins de 16 ans (mais ayant néanmoins atteint 16 ans au moment de l'évaluation, puisque c'est sinon l'art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP qui s'applique), il convient de prêter d'autant plus d'attention à l'éventualité d'un mariage forcé. En cas de doute, l'union doit également toujours être annulée.

Lors de la procédure de consultation, certains ont demandé que les exceptions possibles et les critères soient énumérés dans la loi152. Les adaptations désormais prévues à l'art. 45, al. 3, P-LDIP excluent déjà la pesée des intérêts dans certains cas concrets, notamment lorsque l'époux est encore très jeune. Elles permettent également d'exclure clairement les mariages conclus pendant les vacances d'été, qui sont particulièrement choquants. La pesée des intérêts doit rester envisageable dans les autres cas de mariages avec un mineur conclus à l'étranger. Les critères concrets ne sont pas énumérés pour ces raisons. De manière générale, l'essentiel est que toutes les circonstances pertinentes soient prises en compte lors de la pesée des intérêts.

Il faut aussi penser ici à la situation, parfois très particulière, des réfugiés. On a connaissance de cas à l'étranger où l'épouse mineure a été séparée de son mari, alors qu'il n'y avait pas d'indices donnant à penser que le mariage était contraire à ses intérêts ni de doutes quant à la capacité des
deux conjoints à assurer la bonne éducation de leurs enfants. Lors de telles séparations dans un contexte migratoire, où l'épouse s'est ensuite retrouvée seule dans un camp de réfugiés, on a observé des états dépressifs et des effets psychosociaux négatifs chez les personnes concernées, qui ont parfois conduit à des tentatives de suicide153. Il faut donc toujours évaluer soigneusement chaque cas d'espèce pour déterminer si les intérêts et la protection des personnes concernées commandent de poursuivre ou d'annuler le mariage. Grâce à la modification de la LAsi visant à ne suspendre la procédure d'asile accordé à la famille qu'une fois que les deux époux se trouvent en Suisse (voir le ch. 4.2.4), les tribunaux seront en mesure de procéder au mieux à cet examen. Comme le Conseil fédéral l'a déjà souligné dans son rapport d'évaluation154, il importe également que le tribunal civil ait la compé150 151

Message sur les mariages forcés, p. 2076.

Résolution 2233 du Conseil de l'Europe du 28 juin 2018 «Les mariages forcés en Europe», ch. 31, selon lequel une grossesse ne justifie pas le maintien du mariage dans tous les cas.

152 Synthèse des résultats de la consultation, ch. 4.4.1.

153 MAX-PLANCK-INSTITUT, Frühehe, p. 771 s. Terre des Femmes indique également que vivre avec un homme qui lui est familier est important pour le bien de la fille ou de la femme concernée, voir la décision de la Cour constitutionnelle allemande, ch. 94.

154 Rapport d'évaluation, ch. 4.4.3.

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tence exclusive de peser les intérêts. Selon la procédure d'annulation du mariage (voir les ch. 1.1.4.2 et 4.2.2.5), l'action doit être intentée par l'autorité habilitée à agir dès que les conditions sont remplies et sans préjuger du résultat de la pesée des intérêts.

L'exemple suivant est un cas dans lequel il convient de maintenir le mariage. Deux personnes se marient en Italie, l'épouse a 17 ans au moment de la cérémonie et son mari en a 20. Il trouve un emploi en Suisse et souhaite faire venir sa femme en vertu de l'ALCP. Lors de la procédure d'annulation intentée d'office par le tribunal civil, les deux affirment de manière plausible pour le juge qu'ils se sont mariés par amour et en toute liberté. Dans cette situation, il serait disproportionné d'annuler le mariage et de régler les effets du divorce (art. 109, al. 2, CC), parfois complexes, s'il y a à parier que le même couple se remarierait de toute façon une fois l'épouse devenue majeure.

L'expression «intérêt supérieur» dans le texte français est remplacée par «intérêt prépondérant» afin d'harmoniser la terminologie du CC. Cette modification n'a aucune portée matérielle.

Art. 105a, al. 2, ch. 2 Lorsque les personnes concernées sont déjà majeures au moment où l'action est engagée ou qu'elles le deviennent pendant la procédure, la question de savoir si leurs déclarations devant le tribunal sont l'expression de leur libre volonté est déterminante pour juger de la possibilité de poursuivre le mariage. Devenues majeures, elles pourraient parfaitement se marier en Suisse. C'est pourquoi les autorités ne doivent pas procéder à une pesée des intérêts lorsque les intéressés sont en âge de se marier. Il importe bien plus, dans ce cas, de veiller à ce que le droit à l'autodétermination concernant le mariage et, partant, la libre volonté soient respectés. En l'occurrence, c'est la volonté de poursuivre ou non le mariage de la personne qui était mineure lors de sa conclusion qui est déterminante. Si les deux conjoints étaient mineurs lors du mariage et qu'ils sont entre-temps devenus majeurs, mais n'ont pas encore 25 ans, le mariage ne peut être maintenu que si tous deux affirment clairement et librement le vouloir.

Il importe ici aussi que ce soit un tribunal qui examine si les déclarations tenues dans le cadre de la procédure judiciaire correspondent
effectivement à la libre volonté du conjoint concerné (voir les ch. 1.1.4.2 et 4.2.2.5)155. Sachant que les intéressés peuvent être sous l'influence de membres de la famille proche, voire faire l'objet de pressions et de menaces, il est capital que les parties soient entendues séparément par un tribunal.

Art. 106, titre marginal et al. 1 (ne concerne que le texte français) et 3, 2e phrase La 1re phrase de l'al. 1, qui définit les modalités de l'action, est légèrement adaptée sur le plan linguistique afin qu'elle soit plus compréhensible («action» est remplacée par «action en annulation du mariage»). La numérotation du titre marginal est également modifiée.

La deuxième phrase du texte français est reformulée sans le terme «nullité».

155

Rapport d'évaluation, ch. 4.4.3.

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L'al. 3 est complété par une phrase qui énonce que l'annulation au sens de l'art. 105a P-CC n'est possible que si la personne dont le mariage a été célébré alors qu'elle était mineure n'a pas encore atteint l'âge de 25 ans au moment de l'introduction de l'action.

Est déterminante en l'espèce la litispendance (art. 62 CPC). Une action n'est donc possible que si elle est intentée avant que l'époux concerné atteigne l'âge de 25 ans.

Art. 107, titre marginal Parallèlement à l'adaptation du titre marginal de l'art. 105 P-CC («Causes absolues»), le titre marginal allemand de l'art. 107 P-CC est également reformulé et devient «relative Ungültigkeitsgründe» en lieu et place de «Befristete Ungültigkeit». Il correspond ainsi au français «Causes relatives» et à l'italien «nullità relativa». Cette reformulation ne concerne que l'allemand.

Le titre marginal français est quant à lui reformulé sous le ch. I.: le terme «cas» est remplacé par «causes».

Art. 108, al. 1 Cette disposition concerne la possibilité d'intenter une action lorsqu'on est en présence des causes d'annulation visées à l'art. 107 P-CC, c'est-à-dire des causes d'annulation relatives. Seule la partie de phrase «ou de celui où la menace a été écartée» a été supprimée. Avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés, ceux-ci tombaient sous le coup de la cause d'annulation relative de l'art. 107, ch. 4, aCC. La suppression de cette disposition au 1er juillet 2013 a rendu superflue ladite partie de phrase de l'art. 108, al. 1, CC; elle aurait déjà dû être supprimée à ce moment-là, ce qui est désormais chose faite. Cette modification n'a aucune portée matérielle.

Titre final, art. 7a En principe et à l'exception des unions tombant sous le coup de la nouvelle disposition de la LDIP (art. 45, al. 3, P-LDIP), tout mariage d'une personne qui était mineure lors de sa célébration et qui n'a pas encore 25 ans au moment de l'entrée en vigueur de la présente révision est régi par le nouveau droit et la nouvelle cause d'annulation du mariage selon l'art. 105a P-CC est applicable, que le mariage ait été célébré avant ou après la révision.

Une exception est toutefois prévue pour les unions dans lesquelles l'époux concerné a entre 18 et 25 ans au moment de l'entrée en vigueur de la loi. Dans ces cas,
les autorités ne devraient pas intervenir, car le droit en vigueur prévoit la réparation du vice. Les dispositions transitoires les dispensent également de rechercher activement de tels cas. Les personnes concernées auront néanmoins la possibilité de faire annuler leur mariage en vertu de la nouvelle cause d'annulation liée à la minorité. L'époux marié lorsqu'il était mineur pourra intenter cette action jusqu'à la veille de ses 25 ans.

En revanche, lorsque le juge a conclu au maintien du mariage en rendant une décision entrée en force à l'issue d'une procédure en annulation du mariage en application de l'art. 105, ch. 6, CC, il convient de rappeler le caractère unique et permanent de la protection juridique, indépendamment des motifs invoqués. Il est possible de revenir 52 / 64

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sur la décision dans le cadre restreint d'une révision (art. 328 à 333 CPC). Sinon, les personnes concernées peuvent demander le divorce pour mettre un terme à l'union.

Cela dit, vu la quasi-absence de jugements en la matière jusqu'ici, on peut admettre que ce genre de situation est très rare.

La nouvelle cause d'annulation s'applique aux procédures en cours devant les tribunaux de première ou de seconde instance.

Titre final, art. 7abis L'art. 7a, titre final devient l'art. 7abis, titre final en raison de la nouvelle numérotation.

Titre final, art. 7abis, titre marginal En raison de l'ajout d'un nouvel art. 7a, titre final, l'actuel art. 7a devient l'art. 7abis et son titre marginal doit être adapté.

5.2

Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration

Art. 45a, 1re phrase, et 85, al. 8, 1re phrase Seul le renvoi à l'art. 105, ch. 6, CC est modifié. Il est à noter que cette disposition doit éventuellement être coordonnée avec le projet 20.063156, actuellement pendant, qui prévoit lui aussi une modification de l'art. 85 LEI.

5.3

Loi sur l'asile

Art. 51, al. 1bis, 1re et 4e phrases, et 71, al. 1bis, 1re et 4e phrases Le renvoi à l'art. 105, ch. 6, CC est adapté. Par ailleurs, la disposition prévoit désormais que la suspension de la procédure d'asile accordé à la famille n'a lieu qu'après l'entrée des deux époux en Suisse.

L'asile est accordé à la famille à la condition que l'un des deux époux ait obtenu la qualité de réfugié en Suisse et donc qu'il s'y trouve. Durant une procédure de regroupement familial en application du droit de l'asile, le demandeur est l'époux situé à l'étranger. Il se fait représenter par l'époux domicilié en Suisse pour le dépôt de la demande. Si ce dernier est mineur, la demande est déposée par son représentant légal ou son tuteur ou curateur s'il est non accompagné (art. 7, al. 2quater, de l'ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l'asile157). La suspension de la procédure et l'annonce à l'autorité doivent être repoussées, que l'époux mineur ou, le cas échéant, la personne déjà majeure, se trouvent en Suisse ou non. La mesure remplit sa fonction de protection contre les persécutions réfléchies et les tactiques dilatoires dans les deux cas. Une fois les 156

Loi sur les étrangers et l'intégration. Modification, disponible sur www.parlament.ch > Travail parlementaire > Curia Vista > 20.063.

157 RS 142.311

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deux époux en Suisse, l'annonce à l'autorité compétente est effectuée conformément à l'art. 106 CC. La même procédure vaut désormais également pour les mariages forcés au sens de l'art. 105, al. 5, CC.

Dans la mesure du possible, le SEM examine avant même d'autoriser l'entrée si le regroupement familial doit être refusé pour d'autres raisons que la validité du mariage.

Quoi qu'il en soit, le regroupement familial dans le contexte de l'asile n'est accordé que lorsque la famille a été séparée par la fuite et que certains membres se trouvent à l'étranger (art. 51, al. 4, LAsi). Le conjoint n'est donc autorisé à entrer que si la relation était déjà vécue au moment de la fuite. D'après l'art. 51, al. 1, LAsi, les relations entamées plus tard ne peuvent donner la qualité de réfugié et justifier l'asile familial que si les deux époux se trouvent déjà en Suisse. Si une personne ayant le statut de réfugié en Suisse épouse un mineur à l'étranger, l'art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP s'applique.

En français, la première phrase de chacun des deux articles est reformulée de manière à correspondre au texte allemand («procédure d'asile» pour «Asylverfahrens» et «procédure d'octroi de la protection provisoire» pour «Verfahrens zur vorübergehenden Schutzgewährung»).

5.4

Loi sur le partenariat

Art. 9, 9a, 9b, 10 et 37b Les modifications proposées de la loi sur le partenariat constituent le pendant des art. 105, 105a, 106, al. 1 et 3, 107 et 7a, titre final P-CC. On peut donc renvoyer aux explications ci-dessus. Même si aucun partenariat avec un mineur n'a été signalé à ce jour, il apparaît cohérent et nécessaire d'adapter les dispositions correspondantes dans la LPart. L'ordre des lettres de l'art. 9 est modifié afin de refléter le CC.

La formulation française de l'art. 9 est également adaptée.

5.5

Loi fédérale sur le droit international privé

Art. 45, al. 1, 2e phrase L'actuel art. 45, al. 1, LDIP est complété par une phrase disposant que l'art. 45a est réservé. Cet ajout sert uniquement à clarifier la pratique actuelle: la reconnaissance d'un mariage célébré à l'étranger n'exclut pas l'action en annulation. Or, ce fait est souvent oublié lors des discussions sur la reconnaissance des mariages.

L'art. 45a sous sa forme actuelle remonte à la révision de 2013 et vise à garantir que les dispositions suisses sur l'annulation d'un mariage s'appliquent aussi dans le contexte international si l'union présente un lien suffisant avec la Suisse158. Cette disposition couvre également le nouvel art. 105a P-CC.

158

Message sur les mariages forcés, ch. 1.3.2.2.

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Art. 45, al. 3, let. a Cette lettre contient la nouvelle disposition de droit international privé (voir le ch. 4.2.1.2) en vertu de laquelle les mariages avec des mineurs de moins de 16 ans ne sont pas reconnus. L'âge déterminant est celui de l'époux concerné au moment de l'examen.

La non-reconnaissance signifie que le mariage ne produit aucun effet au regard du droit suisse et rend inutile l'annulation en application de l'art. 45a LDIP. Une fois que la personne concernée a 16 ans, le mariage est valable et la cause d'annulation inscrite à l'art. 105a P-CC s'applique. Aucune annulation pro futuro avant 16 ans n'est prévue. Si une procédure d'annulation est pendante au moment de l'entrée en vigueur de la disposition sur la non-reconnaissance, elle peut néanmoins suivre son cours (art. 199b, 2e phrase, P-LDIP).

Ces considérations valent également pour les mariages forcés. La non-reconnaissance claire protège suffisamment l'époux concerné. Après ses 16 ans, l'action en annulation pour cause de contrainte (art. 105, ch. 5, CC) peut être intentée et les sanctions pénales demeurent naturellement réservées.

Il est à noter que comme pour toutes les dispositions de la LDIP, dans le cas de l'art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP, les traités internationaux (potentiellement divergents) sont réservés (art. 1, al. 2, LDIP)159.

Art. 45, al. 3, let. b Cette lettre dispose que les mariages avec un mineur ne sont pas reconnus non plus lorsqu'un des époux au moins était domicilié en Suisse (voir le ch. 4.2.1.3). Les art. 45a LDIP et 105 à 109 CC ne s'appliquent pas ici non plus, même en cas de mariage forcé, ce qui n'exclut pas pour autant une plainte pénale.

Contrairement à l'art. 105a P-CC, le terme «mineur» n'est pas employé dans cette disposition, car l'âge de la majorité peut être différent dans l'État où le mariage a été contracté. L'âge de 18 ans est mentionné expressément pour cette raison.

L'art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP apporte un complément à l'actuel art. 45, al. 2, LDIP, qui prévoit également la non-reconnaissance de certains mariages célébrés à l'étranger. La nouvelle disposition ne fixe toutefois pas comme condition la volonté d'éluder les dispositions suisses sur l'annulation du mariage ni le fait que les deux époux aient leur domicile en Suisse.

L'art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP ne vise que certains
types de mariages à l'étranger, par exemple ceux conclus durant les vacances d'été. Le point de rattachement est ici le domicile et la nationalité est sans importance (à l'inverse de ce que prévoit l'al. 2). Le domicile est défini à l'art. 20 LDIP, qui s'appuie sur l'art. 23 CC. À ce titre, un demandeur d'asile n'ayant pas été renvoyé immédiatement, qui réside en Suisse avec l'intention de s'y établir et qui y trouve le centre de ses activités est par exemple domicilié en Suisse160. S'il est impossible d'attribuer un domicile à une personne en

159 160

Pour l'examen des cas concernés par l'ALCP ou la convention AELE, voir le ch. 7.2.2.

STAEHELIN, Basler Kommentar, no 19 ad art. 25.

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raison de son jeune âge, sa résidence habituelle au sens de l'art. 20, al. 1, let. b, LDIP est déterminante (art. 20, al. 2, LDIP)161.

Les époux doivent être libres de se remarier une fois qu'ils sont majeurs. Le remariage ne constitue pas une réparation du premier mariage non reconnu, qui ne produira toujours aucun effet. La question du remariage éventuel en Suisse des époux concernés par un rapport juridique imparfait se pose déjà avec le droit en vigueur, aussi renverrat-on à la pratique actuelle à cet égard.

Il est à noter que comme pour toutes les dispositions de la LDIP, dans le cas de l'art. 45, al. 3, let. b, P-LDIP, les traités internationaux (potentiellement divergents) sont réservés (art. 1, al. 2, LDIP)162.

Art. 199a Les art. 196 à 199 LDIP règlent les questions de droit transitoire en lien avec l'entrée de vigueur de la LDIP le 1er janvier 1989. La doctrine considère que ces dispositions s'appliquent par analogie aux modifications subséquentes de la LDIP163. Le Tribunal fédéral164 y voit pour sa part au minimum l'expression des règles exposées aux art. 1 à 4, titre final CC, qui constituent des principes généraux du droit.

L'art. 199a P-LDIP entérine cette interprétation et crée la base nécessaire à l'art. 199b P-LDIP. Cette disposition a été tirée du projet 20.034165, pendant au Parlement, aussi sera-t-il nécessaire de coordonner les deux projets.

Art. 199b Cet article contient la disposition transitoire pour l'art. 45, al. 3, let. a, P-LDIP. La règle en vertu de laquelle les mariages conclus avec un mineur de moins de 16 ans ne sont pas reconnus s'appliquera également aux unions antérieures à son entrée en vigueur. Les mariages concernés ne pourront pas non plus faire l'objet d'une action en annulation. Une action fondée sur l'art. 105a CC est uniquement possible à partir du moment où la personne concernée atteint 16 ans. La deuxième phrase de l'art. 199b P-LDIP aménage toutefois une exception pour les procédures d'annulation déjà pendantes au moment de l'entrée en vigueur, qui pourront suivre leur cours sans égard au nouveau droit. En effet, il ne serait guère pertinent de mettre un terme à une procédure qui devrait être intentée de nouveau peu après (une fois les 16 ans atteints).

L'art. 45, al. 3, let. b, est délibérément exclu (voir le ch. 4.3.2): il doit uniquement
s'appliquer aux mariages célébrés après son entrée en vigueur. Les mariages conclus auparavant tombent quant à eux sous le coup du nouvel art. 105a CC (art. 7a, titre final CC).

161 162 163 164 165

Voir WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar, no 30 ad art. 20.

Pour l'examen des cas concernés par l'ALCP ou la convention AELE, voir le ch. 7.2.2.

TRÜTEN, Zürcher Kommentar, no 2 ad remarques précédant les art. 196 à 199.

ATF 145 III 109, consid. 5.4.

Loi sur le droit international privé. Modification, disponible sur www.parlament.ch > Travail parlementaire > Curia Vista > 20.034.

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6

Conséquences

6.1

Conséquences pour la Confédération

Le projet n'a aucune répercussion sur les finances ni sur le personnel de la Confédération.

6.2

Conséquences pour les cantons et les communes, ainsi que pour les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne

Les adaptations relatives à la minorité comme cause d'annulation pourraient conduire à une hausse du nombre de procédures en annulation du mariage dans les cantons du fait de l'élargissement du champ d'application de la disposition (réparation du vice seulement à 25 ans). Il est justement souhaité que davantage de mariages avec des mineurs puissent être annulés, même si la charge administrative pour les autorités tenues d'informer (autorités des migrations et de l'état civil en particulier), les autorités habilitées à intenter une action et les tribunaux civils augmentera. Cependant, il est difficile de chiffrer les effets de la révision en termes de charge de travail pour les autorités, et en particulier pour les tribunaux. Les données tirées d'Infostar et celles fournies par le Service contre les mariages forcés permettent néanmoins de supposer que l'augmentation des cas restera raisonnable (voir le ch. 4.2.2.6). De plus, les nouvelles dispositions visant la non-reconnaissance de certains mariages de mineurs (ceux conclus durant les vacances d'été ou avant 16 ans) limiteront l'augmentation du nombre de cas.

6.3

Conséquences économiques

Le projet n'a pas d'effets directs sur l'économie.

6.4

Conséquences sociales

Les mesures destinées à empêcher les mariages avec un mineur, à ne pas les reconnaître et à faciliter leur annulation ainsi que la protection renforcée des personnes concernées ont des effets positifs pour la société. On pense ici notamment à l'amélioration des perspectives de formation pour les intéressés.

Étant donné que la problématique des mariages avec un mineur touche principalement les jeunes filles ou femmes (voir le ch. 1.1.2.3 et les commentaires correspondants) et que la présente révision les concerne donc au premier chef, ce sont elles qui bénéficieront le plus de la non-reconnaissance des mariages et des meilleures possibilités de faire annuler un mariage non désiré et des effets positifs mentionnés. Ainsi, les mesures destinées à lutter contre les mariages avec un mineur contribuent de manière générale à renforcer l'égalité entre femmes et hommes.

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6.5

Conséquences environnementales

Le projet n'a pas d'effets sur l'environnement.

7

Aspects juridiques

7.1

Constitutionnalité

Le projet se fonde sur l'art. 122, al. 1, Cst., en vertu duquel la législation en matière de droit civil relève de la compétence de la Confédération. Il s'appuie en outre sur les art. 54 et 121 Cst., en vertu desquels les affaires étrangères et la législation dans le domaine des étrangers et de l'asile relèvent de la compétence de la Confédération.

La constitutionnalité de la LDIP est garantie par la possibilité de ne pas reconnaître les mariages contraires à l'ordre public (voir le ch. 4.2). La constitutionnalité du CC est en particulier garantie par la possibilité de réparer le vice entraînant la nullité et de maintenir le mariage à titre exceptionnel (voir le ch. 4.2.2).

7.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

7.2.1

Annulation du mariage conclu avec une personne mineure

Comme l'a expliqué le Conseil fédéral en 2011166, même si l'ALCP et la convention AELE ne règlent pas directement les questions relevant du droit privé, il n'en demeure pas moins que certaines réglementations de droit privé sont susceptibles d'entraver le droit à la libre circulation garanti par ces deux traités internationaux. C'est notamment le cas lorsque les autorités suisses compétentes annulent un mariage conclu ou reconnu par un État de l'UE ou de l'AELE, car cette annulation prive le conjoint de la possibilité d'exercer le droit à la libre circulation dont il bénéficie directement sur la base de l'ALCP ou de la convention AELE (art. 7, let. d, ALCP et art. 3, annexe I, ALCP, respectivement art. 7, let. d, annexe K, et art. 3, annexe K, appendice 1, de la convention AELE). L'existence d'un intérêt public supérieur peut toutefois justifier une restriction à ce droit et l'annulation de mariages avec un mineur, sous réserve que cela ne constitue pas une mesure disproportionnée (art. 5, annexe I, ALCP, respectivement art. 5, annexe K, appendice 1, de la convention AELE). Il est donc nécessaire de procéder, dans chaque cas, à une pesée des intérêts, en tenant compte de l'existence possible «d'un intérêt de protection faible, dû par exemple au fait que l'époux mineur a presque atteint l'âge adulte ou qu'il fait déjà preuve d'une grande maturité». Une prise en compte des «circonstances particulières qui plaident en faveur du maintien du mariage» est nécessaire dans tous les cas. À ces conditions, même s'il entraîne certaines restrictions à la libre circulation des personnes, l'art. 105, ch. 6, CC a été considéré comme compatible avec l'ALCP et la convention AELE en 2011, du fait

166

Message sur les mariages forcés, ch. 5.3.

58 / 64

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qu'il laisse une marge de manoeuvre suffisante aux autorités pour effectuer cette pesée des intérêts.

L'art. 105a P-CC remplace l'art. 105, ch. 6, CC. Cette nouvelle disposition permet l'annulation d'un mariage conclu avec un mineur même lorsque les conjoints sont devenus majeurs lors de leur entrée en Suisse et de leur assujettissement au droit suisse (jusqu'à leurs 25 ans). Du fait qu'il ne s'applique plus seulement à des personnes mineures, mais également à des personnes majeures, le nouvel art. 105a P-CC restreint davantage que le droit en vigueur actuellement le droit à la libre circulation des ressortissants de l'UE ou de l'AELE. La nouvelle norme peut toutefois être qualifiée de compatible avec l'ALCP et la convention AELE, car elle poursuit un intérêt public supérieur (renforcer la lutte contre les mariages avec un mineur et mieux protéger les personnes concernées) tout en garantissant la proportionnalité du projet. En effet, comme cela a été souligné plus haut (voir le ch. 1.1.5), maintenir les dispositions actuelles, ce qui serait une mesure moins restrictive, ne s'est notamment pas avéré apte à protéger les mineurs.

L'annulation d'un mariage conclu avec un mineur lorsque celui-ci est déjà majeur au moment de la procédure civile ou le devient en cours de procédure ne pourra être prononcée pour les bénéficiaires de l'ALCP ou de la convention AELE ­ comme pour toute autre personne ­ que si l'art. 105a, al. 2, ch. 2, P-CC n'est pas applicable: une fois que les deux époux sont majeurs, le juge ne déclarera le mariage nul que si le conjoint qui était mineur au moment du mariage et qui est devenu majeur entre-temps déclare (avant ses 25 ans) qu'il ne veut pas poursuivre le mariage ou s'il s'agit d'un mariage forcé au sens de l'art. 105, ch. 5, CC.

7.2.2

Non-reconnaissance du mariage conclu à l'étranger avec une personne mineure

L'art. 45, al. 3, P-LDIP prévoit qu'un mariage conclu à l'étranger n'est pas reconnu tant que les deux conjoints n'ont pas atteint 16 ans (let. a) ou si, au moment de la célébration du mariage, l'un des deux époux n'avait pas atteint 18 ans et que l'un des deux époux était domicilié en Suisse (let. b). Les traités internationaux demeurent toutefois réservés (art. 1, al. 2, LDIP). La nouvelle disposition restreint davantage que le droit en vigueur les droits des ressortissants de l'UE ou de l'AELE, car la nonreconnaissance d'un mariage prive le conjoint de la possibilité d'exercer le droit à la libre circulation dont il bénéficie directement sur la base de l'ALCP ou de la convention AELE (art. 7, let. d, ALCP et art. 3, annexe I, ALCP, respectivement art. 7, let.

d, annexe K, et art. 3, annexe K, appendice 1, de la convention AELE).

Or, des restrictions aux droits accordés par l'ALCP ou l'AELE ne peuvent être autorisées qu'à condition d'être justifiées par des motifs d'ordre public, au sens de l'art. 5, annexe I, ALCP et de l'art. 5, annexe K, appendice 1, de la convention AELE, ou par d'autres raisons impérieuses d'intérêt général, et si le principe de proportionnalité est respecté. Des limitations à la libre circulation des personnes revêtant un caractère automatique sont en effet contraires à l'ALCP et à la convention AELE. Sur la base de l'art. 1, al. 2, LDIP, il conviendra donc d'opérer, pour les bénéficiaires de l'ALCP ou de la convention AELE dont le mariage a été conclu ou reconnu par un État de 59 / 64

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l'UE ou de l'AELE, une pesée des intérêts au cas par cas, et ceci tant pour les hypothèses visées à la let. a que pour celles visées à la let. b. La pesée des intérêts tiendra compte aussi bien de l'intérêt de protection général que de l'intérêt de protection individuel (voir le ch. 4.2.2.5). Cette procédure correspond toujours au droit en vigueur, en vertu duquel un mariage avec un mineur est d'abord reconnu puis fait l'objet d'une action en annulation en application du nouvel art. 105a P-CC. Cette dernière a donc lieu dans tous les cas (voir le ch. 1.1.4.1).

7.2.3

Suspension de la procédure d'autorisation du regroupement familial du conjoint

L'art. 45a LEI prévoit la suspension d'une procédure de regroupement familial jusqu'à la décision du juge civil lorsque l'examen des conditions du regroupement familial révèle des indices d'une cause absolue d'annulation du mariage au sens de l'art. 105, ch. 5 ou 6, CC. Le nouvel art. 45a P-LEI renvoie désormais à l'art. 105a PCC et s'applique au regroupement familial d'un conjoint étranger, majeur au moment de la procédure de regroupement familial, mais dont le mariage a été célébré lorsqu'il était mineur.

Le regroupement familial des ressortissants des États de l'UE ou de l'AELE est en principe régi par l'ALCP ou la convention AELE. La LEI n'est applicable aux ressortissants de l'UE ou de l'AELE que dans la mesure où l'ALCP ou la convention AELE n'en disposent pas autrement (art. 2, al. 2 et 3, LEI).

L'application de l'art. 45a LEI aux membres de la famille de ressortissants des États de l'UE ou de l'AELE, sur la base de l'art. 2, al. 2 et 3, LEI, est donc controversée.

Elle n'est toutefois pas incompatible avec l'ALCP et la convention AELE, dans la mesure où une application conforme reste possible. En effet, l'art. 45a LEI peut être appliqué de manière combinée avec l'art. 17, al. 2, LEI. Cette dernière disposition permet à l'autorité cantonale compétente d'autoriser l'étranger à séjourner en Suisse durant la procédure d'autorisation de séjour, donc y compris pendant la procédure civile visée par l'art. 105a P-CC, si les conditions d'admission en Suisse de l'étranger sont manifestement remplies. Il est en outre possible de se prévaloir du principe de proportionnalité et de renoncer à suspendre la procédure de regroupement familial jusqu'au prononcé du jugement confirmant la validité du mariage.

Par conséquent, pour une application conforme à l'ALCP et à la convention AELE, il faut partir du principe que l'autorité cantonale autorisera les conjoints de bénéficiaires de l'ALCP ou de la convention AELE à séjourner provisoirement en Suisse pendant la durée de la procédure visée par l'art. 105a P-CC, et ce dans l'attente de l'examen de la validité du mariage par le juge. Cela garantira que la restriction des droits octroyés par l'ALCP ou la convention AELE, justifiée par un motif d'ordre public, soit proportionnée (art. 5, annexe I, ALCP, respectivement art. 5, annexe K, appendice 1, de la
convention AELE). Bien que ce droit de séjour soit provisoire, les autres droits prévus par l'ALCP ou la convention AELE doivent également être garantis aux conjoints pendant la durée de la procédure, notamment l'autorisation d'exercer une activité économique en Suisse (art. 3, par. 5, annexe I, ALCP et art. 3, par. 5, annexe K, appendice 1, de la convention AELE) ainsi que le droit à l'égalité de traitement en 60 / 64

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matière d'avantages sociaux (art. 9, par. 2, annexe I, ALCP, et art. 9, par. 2, annexe K, appendice 1, de la convention AELE).

7.3

Forme de l'acte à adopter

Les modifications proposées concernent des dispositions fondamentales relatives aux droits et aux obligations des personnes. Elles doivent donc être édictées sous la forme d'une loi fédérale (art. 164, al. 1, let. c, Cst.).

7.4

Frein aux dépenses

Le projet ne prévoit ni subventions ni crédits d'engagement ou plafonds de dépenses.

7.5

Conformité aux principes de subsidiarité et d'équivalence fiscale

Les modifications proposées visent à améliorer les mesures de lutte contre les mariages avec un mineur. La compétence de la Confédération se fonde sur les art. 54 (affaires étrangères), 121 (domaine des étrangers et de l'asile) et 122, al. 1, Cst. (droit civil).

7.6

Conformité à la loi sur les subventions

Le projet ne prévoit aucune subvention.

7.7

Délégation de compétences législatives

Le projet ne délègue aucune nouvelle compétence législative au Conseil fédéral.

7.8

Protection des données

Le projet n'aborde aucune question de protection des données.

8

Travaux préparatoires et bibliographie

8.1

Travaux préparatoires

Avant-projet de modification du code civil suisse (mesures de lutte contre les mariages avec un mineur) du 30 juin 2021; disponible sur www.fedlex.admin.ch > Procédures 61 / 64

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de consultation > Terminées > 2021 > DFJP > Procédure de consultation 2021/31 et sur www.ofj.admin.ch > Société > Mariages avec un mineur (cit. avant-projet).

INSTITUT SUISSE DE DROIT COMPARÉ (ISDC), Mariage forcé, état au 31 août 2018, disponible sur le site www.isdc.ch/fr > Services > Informations juridiques en ligne > mariage forcé (cit. avis de droit de l'ISDC).

INSTITUT SUISSE DE DROIT COMPARÉ (ISDC), Mariage forcé, état au 31 mars 2022, disponible sur le site www.isdc.ch/fr > Services > Informations juridiques en ligne > mariage forcé (cit. avis de droit actualisé de l'ISDC).

Message du 23 février 2011 relatif à une loi fédérale concernant les mesures de lutte contre les mariages forcés, FF 2011, p. 2045 ss (cit. message sur les mariages forcés).

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synthèse des résultats de la consultation).

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Rapport du Conseil fédéral du 29 janvier 2020 «Évaluation des dispositions du code civil concernant les mariages forcés et de mineurs», disponible sur www.ofj.admin.ch > Société > Mariages avec un mineur (cit. rapport d'évaluation).

Rapport explicatif du Conseil fédéral du 30 juin 2021 sur la révision du code civil (mesures de lutte contre les mariages avec un mineur), disponible sur www.fedlex.admin.ch > Procédures de consultation > Terminées > 2021 > DFJP > Procédure de consultation 2021/31 et sur www.ofj.admin.ch > Société > Mariages avec un mineur (cit. rapport explicatif).

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