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23.065 Rapport sur le classement de la motion 18.3383 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États «Introduction du trust dans l'ordre juridique suisse» du 15 septembre 2023

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2018

M 18.3383

Introduction du trust dans l'ordre juridique suisse (E 12.06.2018, N 13.03.2019)

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 septembre 2023

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2023-2690

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Rapport 1

Contexte

Le 26 avril 2018, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a déposé la motion 18.3383 «Introduction du trust dans l'ordre juridique suisse» qui charge le Conseil fédéral «de créer les bases légales permettant l'introduction d'un trust suisse».

Le 12 juin 2018, le Conseil des États a adopté la motion par 25 voix contre 16 et 2 abstentions1. Le 13 mars 2019, le Conseil national a lui aussi adopté la motion, par 123 voix contre 582.

Par la suite, un avant-projet a été élaboré avec le soutien d'un groupe d'experts et d'un groupe de travail, et une analyse d'impact de la réglementation (AIR) approfondie a été menée3. Le 12 janvier 2022, le Conseil fédéral a envoyé l'avant-projet en consultation jusqu'au 30 avril 20224.

L'avant-projet comprenait un volet de droit civil instituant le trust en tant que nouvelle institution juridique du code des obligations et prévoyant d'autres adaptations du droit civil. Vu ses caractéristiques principales et son champ d'application étendu, le trust tel que proposé devait constituer une réelle alternative aux instruments existants du droit suisse et du droit étranger. Un volet fiscal énonçait des règles expresses sur les rapports de trust, intégrées dans les lois fiscales; il était prévu, dans le cas du irrevocable discretionary trust, que le patrimoine et les revenus du trust soient imputés au trust lui-même, qui aurait été traité comme une fondation, à savoir comme un sujet fiscal indépendant.

Le Conseil fédéral a souligné que l'instauration du trust en droit suisse ne devait pas concurrencer la forme juridique de la fondation, notamment dans le domaine caritatif ou philanthropique, car elle fonctionne bien aujourd'hui, grâce notamment à différentes révisions partielles récentes, et jouit d'une très bonne réputation sur le plan international. Il a précisé qu'il n'était pas exclu que des modifications du droit des fondations, notamment dans le domaine des fondations de famille, puissent être envisagées ultérieurement pour atteindre des buts similaires à ceux d'un trust5.

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BO CE 2018 508 BO CN 2019 296 MORGER/LIESCH: Regulierungsfolgenabschätzung zur Schaffung einer gesetzlichen Regelung von Trusts in der Schweiz (Analyse d'impact de la réglementation concernant la création d'un cadre juridique pour les trusts en Suisse), réalisée sur mandat de l'Office fédéral de la justice (OFJ), du Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI) et du Secrétariat d'État à l'économie (SECO), par le Büro BASS en collaboration avec le prof. Andrea Opel (Université de Lucerne), 2019, Berne (www.seco.admin.ch > Services et publications > Publications > Réglementation > Analyse d'impact de la réglementation > AIR approfondies > Trust 2019), en allemand avec résumé en français.

L'avant-projet, le rapport explicatif du 12 janvier 2022 et la synthèse des résultats de la consultation sont disponibles sur le site https://www.fedlex.admin.ch/fr/home > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2022 > DFJP > Procédure de consultation 2021/32.

Rapport explicatif (nbp 4), condensé, p. 3, et ch. 5.1.1.2, p. 58.

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Résultats de la procédure de consultation

Sur les 80 participants à la consultation, une majorité relative approuve le principe de l'instauration du trust en droit suisse (8 cantons, 2 partis politiques et 28 organisations). L'avant-projet a reçu l'aval de 8 cantons, 2 partis politiques et 28 organisations.

Cependant, seul le volet de droit civil a emporté l'adhésion de la majorité des participants (8 cantons, 2 partis et 28 organisations). Le volet fiscal a été clairement rejeté par une forte majorité, constituée de 19 cantons, 1 parti et 20 organisations. De nombreux participants ont en outre assorti leur approbation de principe sur le projet de la condition que le volet fiscal soit abandonné ou remanié en profondeur. Les opposants ont surtout avancé comme arguments que les règles étaient peu attrayantes par rapport à la pratique actuelle, que les charges administratives étaient trop élevées et que les propositions étaient difficiles à mettre en oeuvre6.

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Motifs de la proposition de classement de la motion

Le Conseil fédéral a décidé de ne pas soumettre à l'Assemblée fédérale de message relatif à l'introduction du trust dans l'ordre juridique suisse. Se fondant sur l'art. 122, al. 3, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)7, il propose le classement de la motion pour les motifs exposés ci-après.

3.1

Pas de consensus sur la nécessité de créer une nouvelle institution juridique

Les résultats de la consultation montrent clairement que la création du trust en tant que nouvelle institution juridique en droit suisse est controversée. La majorité des participants, en particulier les milieux directement concernés, reconnaissent un dysfonctionnement de la réglementation, confirmé par l'AIR8, mais l'instauration d'un trust suisse n'est pas jugée nécessaire pour autant. Les opposants font valoir que le cercle des bénéficiaires potentiels est restreint, qu'il existe d'autres options (voir le ch. 3.2), que le régime fiscal pose problème (voir le ch. 3.3) et que le trust risque d'être utilisé à des fins abusives. Certains participants rappellent que le trust est une institution juridique de common law, à laquelle recourent presque exclusivement des personnes ayant des liens avec des pays de common law, et estiment que le trust suisse aurait peu d'application pratique. D'autres participants craignent que l'instauration du trust en droit suisse nuise à la réputation et aux finances de la Suisse et que cette nouvelle institution juridique soit utilisée à mauvais escient. Ces critiques se reflètent dans l'évaluation de l'avant-projet: la majorité des cantons l'a rejeté alors que les avis des partis politiques étaient partagés; la majorité des organisations y était quant à elle favorable.

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Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.3, p. 11.

RS 171.10 Voir MORGER/LIESCH (nbp 3), p. 41 s.

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Le Conseil fédéral, qui avait déjà exprimé lors du traitement de la motion 18.3383 ses réserves quant au lancement de travaux législatifs sans examen préalable détaillé des questions de droit privé et de droit fiscal9, relève qu'il n'existe actuellement pas de consensus suffisant pour mettre en oeuvre la motion et instaurer le trust en tant que nouvelle institution juridique en droit suisse, même si le dysfonctionnement de la réglementation qui a été constaté ne peut guère être nié.

Conformément à l'AIR, il n'y a pas de dysfonctionnement du marché vu que ce dernier est en mesure de répondre aux solutions sollicitées de structuration de patrimoine et de planification successorale10.

Le résultat du marché est toutefois inefficace en raison de structures très complexes, raison pour laquelle l'AIR conclut à un dysfonctionnement de la réglementation.

3.2

Autres propositions en droit civil: révision du droit des fondations

De nombreux participants à la consultation ont proposé une révision du droit des fondations pour autoriser la création de fondations d'entretien et pour supprimer l'interdiction des fidéicommis de famille. La modernisation de la fondation de famille pourrait se faire en lieu et place de l'instauration d'un trust suisse ­ il serait en effet plus simple de réviser le droit des fondations plutôt que de créer un nouvel instrument légal ­ ou parallèlement à l'introduction du trust dans le droit suisse afin de mettre un terme au dysfonctionnement de la réglementation11.

Dans son commentaire de l'avant-projet, le Conseil fédéral s'est montré ouvert à l'idée de réviser le droit des fondations, notamment en ce qui concerne les fondations de famille et les fondations d'entretien. Il estime toutefois que les mêmes questions et difficultés se poseront si l'on modernise les règles sur les fondations de famille que si l'on instaure le trust, car celui-ci devait être imposé conformément aux règles actuellement applicables aux fondations (voir à ce propos le ch. 3.3). Si l'on veut rendre la révision des fondations de famille plus attrayante, il est nécessaire de modifier le cadre fiscal applicable12. La nouvelle fondation d'entretien devra en outre répondre aux normes internationales en matière de transparence pour ne pas nuire à la réputation de la Suisse et ne pas influencer négativement les évaluations du Groupe d'action financière (GAFI) et du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements 9 10 11

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Voir l'avis du Conseil fédéral du 23 mai 2018 ainsi que BO CE 2018 508 et BO CN 2019 296.

Voir MORGER/LIESCH (nbp 3), p. 41, et p. IX du résumé en français.

Cette approche correspondrait à la proposition des auteurs de doctrine favorables à une révision de l'art. 335, al. 1, CC et à l'abrogation de l'art. 335, al. 2, CC. Voir par ex. GRÜNINGER, in: Geiser/Fountoulakis (édit.), Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 7e éd., Bâle 2022, nos 3 et 17 ad art. 335 CC; VEZ, Les sous-ensembles flous de la fondation, in: Rumo-Jungo et al. (édit.), Une empreinte sur le Code Civil, Mélanges en l'honneur de Paul-Henri Steinauer, Berne 2013, p. 145 ss, p. 150 ss. Voir aussi PIOTET, in: Pichonnaz/Foëx (édit.), Commentaire romand, Code civil I, Bâle 2010, n o 33 ad art. 335 CC. S'agissant de la révision du droit des fondations, voir aussi MORGER/LIESCH (nbp 3), p. 70 s.

Voir rapport explicatif (nbp 4), ch. 1.3.3, p. 30 s.

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à des fins fiscales. Ce n'est qu'à ces conditions qu'une révision du droit des fondations peut être envisagée.

La motion Burkart du 15 décembre 2022 «Renforcer les fondations de famille suisses en supprimant l'interdiction des fondations d'entretien» (22.4445), qui a été déposée entre-temps, charge le Conseil fédéral «de soumettre au Parlement une modification de l'article 335 du code civil (CC) visant à supprimer l'interdiction de créer des fondations de famille dites d'entretien». Dans son avis du 15 février 2023, le Conseil fédéral a proposé le rejet de la motion en renvoyant aux travaux en cours et en soulignant la nécessité de clarifier les questions en suspens, notamment les interactions entre le projet de trust suisse et la révision du droit des fondations de famille. Le 13 mars 2023, la motion a été transmise à la commission chargée de l'examen préalable (Commission des affaires juridiques du Conseil des États)13.

Même si les travaux en vue de l'instauration du trust suisse sont abandonnés, comme le propose le Conseil fédéral, des questions similaires se poseront en cas de révision du droit des fondations de famille, en particulier en matière d'imposition. C'est pourquoi le Conseil fédéral confirme sa position de rejet de la motion Burkart: il considère que l'objectif qu'elle poursuit n'est pas susceptible d'obtenir une majorité à l'heure actuelle, eu égard notamment à ses effets dans le domaine fiscal.

3.3

Impasse en raison du rejet des propositions de droit fiscal

Contrairement au volet de droit civil, les propositions formulées par le Conseil fédéral en matière d'imposition des trusts suisses ont été très largement rejetées. De nombreux participants à la consultation jugent que le système proposé est inacceptable et ont de ce fait refusé d'accorder leur soutien au projet. Ils considèrent que les propositions léseraient l'industrie suisse du trust et le secteur financier dans son ensemble et rendraient les trusts moins intéressants. Seule une petite minorité a apporté son soutien au volet fiscal de l'avant-projet.

Il faut rappeler dans ce contexte que, malgré son manque d'homogénéité, la pratique actuelle en matière d'imposition des trusts en Suisse semble bien fonctionner même si le système repose principalement sur deux circulaires dont le caractère contraignant est limité. De plus, certains aspects de la pratique actuelle sont parfois critiqués14. Vu ces circonstances, le Conseil fédéral reste d'avis que le régime fiscal applicable actuellement aux trusts, qui se fonde sur les deux circulaires, ne peut pas être maintenu en cas d'instauration d'un trust en droit suisse. Il était déjà de cet avis en préparant l'avant-projet, raison pour laquelle il avait prévu des règles expresses dans les lois fiscales (loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct [LIFD]15, loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et

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BO CE 2023 178 Voir rapport explicatif (nbp 4), ch. 2.8, p. 40 s.

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des communes [LHID]16 et loi fédérale du 13 octobre 1956 sur l'impôt anticipé [LIA]17).

L'élément principal du régime fiscal proposé était l'imposition de l'irrevocable discretionary trust par imputation des revenus et du patrimoine du trust au trust luimême; il était prévu qu'il soit traité comme un sujet fiscal autonome, à l'instar d'une fondation (de famille). Dans le cas d'un trust révocable, les biens devaient être imputés au constituant, comme c'est déjà le cas actuellement18. Ces propositions ont été critiquées, parfois avec véhémence, et ont été considérées comme peu attrayantes, voire impossibles à mettre en oeuvre; les opposants ont demandé en premier lieu que le régime fiscal actuel soit maintenu19.

Le Conseil fédéral l'a déjà expliqué à propos du projet mis en consultation: en cas de codification du trust dans le droit civil, renoncer à prévoir des règles explicites dans le droit fiscal n'entre pas en ligne de compte, et il ne s'est pas avéré non plus que la codification de la pratique actuelle dans les lois fiscales était possible et praticable. Il considère qu'il n'existe pas aujourd'hui de meilleure option de règlementation fiscale du trust et conclut que, comme aucune autre solution n'est ressortie de la consultation, le projet se trouve dans une impasse. Le Conseil fédéral tient à rappeler dans ce contexte que la solution proposée dans l'avant-projet s'est construite à partir de vastes travaux préparatoires réalisés par un groupe de travail de l'Administration fédérale des contributions composé de représentants de la Confédération, des cantons et de la doctrine, qui ont étudié de nombreuses pistes de solution20.

Pour finir, le Conseil fédéral fait remarquer que les critiques formulées au sujet du régime fiscal proposé vaudraient également en cas de création d'une fondation d'entretien, si bien que les mêmes questions d'ordre fiscal se poseraient à nouveau (voir à ce propos le ch. 3.2).

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Conclusion

En résumé, la motion visant à instaurer le trust en tant que nouvelle institution juridique du droit suisse ne peut pas être mise en oeuvre faute de consensus politique suffisant, s'agissant en particulier du régime fiscal à appliquer au trust, si bien qu'il n'est pas possible de présenter actuellement un texte susceptible d'obtenir une majorité politique. Dans ces circonstances, le Conseil fédéral propose que le projet soit abandonné et que la motion 18.3383 «Introduction du trust dans l'ordre juridique suisse» soit classée.

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RS 642.14 RS 642.21 Voir rapport explicatif (nbp 4), ch. 5.1.4.5, p. 80 s.

Synthèse des résultats de la consultation, ch. 3.1, p. 8, et ch. 3.3, p. 11.

Voir le rapport explicatif (nbp 4), ch. 1.2.2, p. 26.