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23.086 Message relatif à la loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers du 15 décembre 2023

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet d'une loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers (LEIE).

Nous vous proposons simultanément de classer l'intervention parlementaire suivante: 2020

M 18.3021

Protéger l'économie suisse en contrôlant les investissements (E 17.6.19, Rieder; N 3.3.20)

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 décembre 2023

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2023-3765

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Condensé L'instauration d'un examen des investissements vise à permettre d'empêcher les acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers lorsque ces acquisitions menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse.

Contexte En adoptant la motion Rieder 18.3021 du 26 février 2018 («Protéger l'économie suisse en contrôlant les investissements»), le Parlement a chargé le Conseil fédéral de créer des bases légales en vue d'un mécanisme d'examen des investissements directs étrangers. Le projet de loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers (LEIE) donne suite à ce mandat.

La Suisse compte à la fois parmi les premières destinations mondiales des investissements étrangers et parmi les plus grands investisseurs à l'étranger. La politique d'ouverture en matière d'investissements étrangers est capitale pour la place économique suisse et, partant, pour la prospérité de la population. Elle assure aux entreprises suisses un afflux de capital et de savoir, contribuant ainsi non seulement à la valeur ajoutée, mais encore au maintien et à la création d'emplois.

Par conséquent, le Conseil fédéral a veillé à ce que le projet de loi soit formulé de façon à préserver au mieux l'ouverture de la Suisse aux investisseurs étrangers et son attrait pour les investissements en général. L'examen des investissements se veut donc ciblé, efficace et peu bureaucratique. Le Conseil fédéral s'est en outre attaché à garantir le plus haut niveau possible de transparence, de prévisibilité et de sécurité juridique, avec des compétences clairement définies. Enfin, le mécanisme d'examen des investissements est compatible avec les engagements de la Suisse en matière de droit international.

Le Conseil fédéral reste opposé à l'introduction d'un examen des investissements, car il est d'avis que le rapport coût-utilité n'est pas avantageux et que le cadre réglementaire en vigueur est suffisant. Il n'a connaissance d'aucune acquisition qui aurait représenté une menace pour l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse par le passé.

C'est pourquoi le Conseil fédéral ne propose pas au Parlement d'adopter ce projet de loi.

Contenu du projet L'examen des investissements prévu par le projet vise à empêcher les acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers, si ces opérations
menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse. Concrètement, les investisseurs contrôlés par un État étranger qui souhaitent acquérir une entreprise suisse active dans un domaine particulièrement critique seront tenus de déposer au préalable une demande d'approbation. Les domaines particulièrement critiques comprennent, entre autres, les biens d'équipement militaires et les biens utilisables à des fins civiles et militaires, la production d'électricité et l'exploitation de réseaux électriques, l'approvisionnement en eau ainsi que les infrastructures de santé, de télécommunication et de transport. Les petites entreprises seront exemptées de la réglementation.

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L'accent est mis sur les investisseurs contrôlés par un État, car les acquisitions qui relèvent d'une logique purement entrepreneuriale ne posent en principe aucun problème. Les investisseurs privés cherchent à faire prospérer les entreprises qu'ils rachètent; ils ne sont généralement pas animés par des intentions déstabilisatrices ou des intérêts géopolitiques. Dès lors, les risques que font peser les investisseurs privés étrangers sur l'ordre ou la sécurité publics apparaissent relativement faibles. Le résultat de l'évaluation des risques est tout autre lorsque les acquisitions servent des objectifs politiques. On peut donc supposer que l'ordre ou la sécurité publics pourraient être davantage menacés ou compromis lorsque les investisseurs sont contrôlés par un État étranger. C'est aussi ce que plusieurs orateurs ont relevé lors des débats parlementaires sur la motion 18.3021 Rieder. À noter que le critère du contrôle par l'État englobe également les investisseurs privés qui sont contrôlés directement ou indirectement par un État.

Le Secrétariat d'État à l'économie (SECO) sera chargé de mettre en oeuvre l'examen des investissements et d'assurer la coordination avec les unités administratives concernées. La procédure d'approbation se déroulera en deux étapes. Dans un délai d'un mois, il sera décidé si l'acquisition peut être approuvée directement ou si une procédure d'examen doit être ouverte. Il faudra compter au maximum trois mois supplémentaires, le cas échéant, pour que la procédure d'examen soit menée à son terme.

La décision d'ouvrir ou non une procédure d'examen sera prise par consensus entre les unités administratives participant à la procédure (c.-à-d. le SECO et les unités administratives concernées). Si ces dernières sont d'avis qu'une acquisition doit être interdite ou ne parviennent pas à se mettre d'accord à l'issue d'une procédure d'examen, il appartiendra au Conseil fédéral de décider.

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Table des matières Condensé 1

2

Contexte 1.1 Nécessité d'agir et objectifs visés 1.2 Solutions étudiées et solution retenue 1.2.1 Objectifs visés 1.2.2 Champ d'application 1.3 Relation avec le programme de la législature et avec le plan financier, ainsi qu'avec les stratégies du Conseil fédéral 1.4 Classement d'interventions parlementaires

6 6 7 8 10

Procédure préliminaire, notamment procédure de consultation 2.1 Travaux préparatoires 2.2 Projet mis en consultation 2.3 Résumé des résultats de la consultation 2.4 Appréciation des résultats de la procédure de consultation 2.4.1 Modifications découlant de la procédure de consultation 2.4.2 Demandes issues de la consultation non retenues dans le projet

15 15 16 16 17 17

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen 3.1 But 3.2 Secteurs critiques 3.3 Investisseur national ou investisseur étranger 3.4 Investisseur étatique ou investisseur non étatique 3.5 Type d'investissement et valeurs seuils 3.6 Obligation de notifier et de déposer une demande d'approbation 3.7 Étapes, durée de la procédure et voies de droit 3.8 Responsabilités 3.9 Coopération et exemptions (mutuelles) en matière d'examen des investissements 3.10 Pratique

25 26 27 28 28 29 29 30 30

4

Présentation du projet 4.1 Réglementation proposée 4.2 Adéquation des moyens requis 4.3 Mise en oeuvre

32 32 33 33

5

Commentaire des dispositions

34

6

Conséquences 6.1 Conséquences pour la Confédération

61 61

2

3

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14 15

20

31 31

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6.2

Conséquences pour les cantons, les communes, ainsi que pour les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne Conséquences sur l'ordre et la sécurité publics Conséquences économiques Conséquences sanitaires et sociales Conséquences environnementales Autres conséquences

63 64 64 67 67 67

Aspects juridiques 7.1 Constitutionnalité 7.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 7.3 Forme de l'acte à adopter 7.4 Frein aux dépenses 7.5 Conformité aux principes de subsidiarité et d'équivalence fiscale 7.6 Délégation de compétences législatives 7.7 Protection des données et principe de transparence

67 67 68 69 70 70 70 71

6.3 6.4 6.5 6.6 6.7 7

Loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers (LEIE) (Projet)

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Message 1

Contexte

1.1

Nécessité d'agir et objectifs visés

En adoptant la motion Rieder 18.3021 du 26 février 2018 («Protéger l'économie suisse en contrôlant les investissements»), le Parlement a chargé le Conseil fédéral de créer des «bases légales pour contrôler les investissements directs depuis l'étranger dans des entreprises suisses, en particulier en mettant en place une autorité d'approbation chargée de contrôler les transactions visées». Le projet de loi fédérale sur l'examen des investissements étrangers (P-LEIE) donne suite à ce mandat.

La motion 18.3021 Rieder est liée à l'augmentation des investissements étrangers issus de pays émergents. Les entreprises provenant de ces pays ont toutefois nettement réduit leurs activités d'investissement au cours des dernières années1.

Les investissements effectués par des entreprises étatiques ou proches d'un État, notamment, ont parfois suscité la crainte d'une menace pour l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse. Dans le but de se prémunir contre une telle menace, le Parlement estime que la Suisse doit se doter d'un mécanisme d'examen des investissements qui permettrait d'interdire, dans certains cas, l'acquisition d'une entreprise suisse par un investisseur étranger.

Jusqu'ici, le Conseil fédéral s'est prononcé contre l'instauration d'un examen des investissements au motif que le rapport coût-utilité est défavorable. Il considère, d'une part, que le cadre réglementaire en vigueur aux niveaux fédéral et cantonal est suffisant. Dans son rapport du 13 février 2019 intitulé Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements2, qui donne suite aux postulats 18.3376 Bischof et 18.3233 Stöckli, le Conseil fédéral souligne que la participation majoritaire de l'État dans la plupart des infrastructures critiques et la législation en vigueur offrent déjà une protection appropriée contre les menaces pour l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse. Il n'a connaissance d'aucune acquisition qui aurait représenté une menace pour l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse par le passé. D'autre part, l'instauration d'un examen des investissements entraînerait une plus grande incertitude pour les investisseurs et les propriétaires des entreprises convoitées, ce qui réduirait l'attrait de la place économique suisse. Une telle mesure augmenterait en outre la charge administrative des entreprises concernées. Le
Conseil fédéral a parfaitement conscience des développements internationaux. Ces dernières années, le débat sur l'influence des investisseurs étrangers, la sécurité de la chaîne d'approvisionnement ou la garantie

1

2

Cf. analyse d'impact de la réglementation relative au projet de loi sur l'examen des investissements étrangers (AIR relative au P-LEIE; en allemand, avec résumé en français), disponible sur www.seco.admin.ch > Services et publications > Publications > Réglementation > Analyse d'impact de la réglementation > AIR approfondies.

Cf. www.parlement.ch > 18.3376 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

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des capacités critiques s'est intensifié. Environ 80 % des pays de l'OCDE3 (et environ 80 % des États membres de l'UE4) ont mis en place un contrôle intersectoriel des investissements.

L'analyse d'impact de la réglementation approfondie portant sur l'instauration d'un mécanisme d'examen des investissements (ci-après «AIR relative au P-LEIE») réalisée sur mandat du SECO parvient également à la conclusion qu'il existe déjà une multitude d'instruments permettant de parer aux menaces susmentionnées. Les infrastructures critiques, par exemple dans les domaines de l'énergie, de l'eau ou des transports, bénéficient déjà d'une protection appropriée. Il ressort en revanche de l'AIR relative au P-LEIE que les secteurs des biens d'équipement militaires, des biens utilisables à des fins civiles et militaires, des services informatiques liés à la sécurité ainsi que des médicaments et des dispositifs médicaux sont moins bien protégés.

L'instauration d'un examen des investissements devrait donc engendrer des coûts élevés pour les propriétaires des entreprises convoitées et diminuer l'attrait de la Suisse pour les entreprises et les investisseurs. Le facteur coût doit être mis en balance avec une utilité potentielle qui, sur le plan de la sécurité, ne peut pas être clairement quantifiée et ne concernerait qu'un petit nombre de branches économiques. Le Conseil fédéral n'a donc pas changé d'opinion: toujours opposé à l'instauration d'un examen des investissements, il ne propose pas au Parlement d'adopter ce projet de loi.

1.2

Solutions étudiées et solution retenue

La politique d'ouverture en matière d'investissements étrangers est d'une importance cruciale pour la place économique suisse et, partant, pour la prospérité de la population. Elle assure aux entreprises suisses un afflux de capital et de savoir, contribuant ainsi non seulement à la création de valeur, mais aussi au maintien et à la création d'emplois. Il s'agira d'en tenir compte lors de l'instauration d'un examen des investissements.

Un tel examen doit être aussi ciblé, efficace et peu bureaucratique que possible. La réglementation correspondante doit en outre garantir le plus haut niveau possible de transparence, de prévisibilité et de sécurité juridique. Les compétences doivent être définies de manière claire. Enfin, le mécanisme d'examen des investissements doit être compatible avec les engagements de la Suisse en matière de droit international.

Les solutions envisagées mettent l'accent sur les objectifs visés par l'examen des investissements, d'une part, et sur le champ d'application (c.-à-d. les acquisitions concernées), d'autre part. Ces deux aspects sont abordés ci-après.

3

4

Cf. OCDE (2023), Évolutions des politiques de l'investissement dans 61 économies: 16 octobre 2021 ­ 15 mars 2023, disponible sur www.ocde.org > Topics > Investment > Investment policy > Investment policies related to national security and public order.

État au 13 octobre 2023; cf. «Liste des mécanismes de filtrage notifiés par les États membres» (en anglais), disponible sur https://policy.trade.ec.europa.eu/index_en > Enforcement and protection > Investment screening.

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1.2.1

Objectifs visés

Le texte de la motion 18.3021 Rieder ne précise pas les objectifs à atteindre grâce à un examen des investissements. Le développement évoque toutefois différents objectifs possibles, lesquels peuvent être classés en trois catégories: ­

éviter que l'ordre ou la sécurité publics ne soient menacés ou compromis;

­

éviter la perte d'emplois ou de savoir-faire;

­

éviter les distorsions de la concurrence résultant des activités économiques privées d'entreprises étatiques étrangères ou proches d'un État étranger en Suisse.

Éviter que l'ordre ou la sécurité publics ne soient menacés ou compromis L'examen des investissements doit avoir pour but d'empêcher les acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers, si ces opérations menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse. C'est l'objectif visé par l'examen des investissements dans des États comparables à la Suisse (cf. ch. 3).

L'ordre ou la sécurité publics peuvent notamment être menacés ou compromis en cas de défaillance d'une entreprise: ­

qui fournit un service indispensable à l'ensemble de l'économie et qui ne peut pas être remplacé dans un délai raisonnable;

­

qui fournit des pièces d'armement essentielles à l'armée suisse ou à d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État;

­

qui fournit aux autorités suisses des systèmes informatiques clés liés à la sécurité;

­

qui fournit des composants essentiels pour des infrastructures spatiales internationales auxquelles la Suisse participe.

Dans le cadre de l'acquisition d'une telle entreprise par un investisseur étranger, la menace potentielle pourrait se concrétiser si cet investisseur était animé par des intentions déstabilisatrices ou des intérêts géopolitiques. À titre d'exemple, une fois l'acquisition réalisée, l'investisseur pourrait délibérément suspendre les services fournis par l'entreprise en question ou en bloquer l'accès pour tenter de faire pression sur la Suisse.

L'ordre ou la sécurité publics peuvent également être menacés ou compromis lorsqu'un acteur malveillant obtient l'accès à des informations importantes liées à la sécurité ou à une grande quantité de données personnelles sensibles.

Pour réduire ce type de risques, il est prévu d'examiner les acquisitions d'entreprises suisses potentiellement critiques pour l'ordre ou la sécurité publics par des investisseurs étrangers potentiellement dangereux.

Les autres objectifs ont été abandonnés pour les motifs exposés ci-après.

Éviter la perte d'emplois ou de savoir-faire L'examen des investissements n'est pas approprié ni nécessaire pour atteindre l'objectif susmentionné. Il ressort du rapport Investissements transfrontaliers et contrôles 8 / 72

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des investissements que la meilleure façon de garantir les emplois et l'avance technologique est d'instaurer des conditions-cadres favorisant l'innovation et la concurrence, une politique de formation et de recherche qui tient compte des besoins de l'économie et une protection adéquate des droits de la propriété intellectuelle.

Pour garantir le transfert de savoir-faire vers la Suisse, il est en outre essentiel de faire preuve d'ouverture vis-à-vis des investissements étrangers. Ceux-ci n'apportent pas seulement des connaissances en Suisse, mais créent également des emplois. Un examen des investissements qui viserait à freiner, pour des motifs protectionnistes, les investissements étrangers dans certaines branches ou technologies aurait par conséquent des effets néfastes sur l'économie nationale à moyen et long terme.

La Suisse est par ailleurs tenue de respecter ses engagements en matière de droit international (cf. ch. 7.2). Un examen des investissements qui viserait des objectifs purement économiques, comme la protection des entreprises suisses, ne serait pas compatible avec les obligations découlant des accords commerciaux internationaux conclus par la Suisse.

Éviter les distorsions de la concurrence La neutralité concurrentielle signifie que les entreprises sont soumises aux mêmes conditions de concurrence sur le plan des activités de l'État, de la propriété de l'État et des processus réglementaires5. L'octroi, par l'État, d'avantages à certains acteurs du marché peut en revanche engendrer des distorsions de concurrence dommageables.

Les avantages qui en résultent peuvent être multiples. Des entreprises publiques ou proches d'un État peuvent par exemple bénéficier d'avantages de financement indirects si les bailleurs de fonds, estimant que les risques sont moindres du fait que ces entreprises appartiennent à l'État, leur octroient des crédits à des conditions avantageuses. Les avantages de financement directs, comme une diminution du coût des fonds propres liée à une attente de rendement plus faible de la part des bailleurs de fonds publics, sont également susceptibles de fausser la concurrence. Ils peuvent aussi engendrer des subventions croisées entre un secteur non protégé et un autre protégé par un monopole6.

Des entreprises étatiques ou proches d'un État étranger peuvent donc induire
des distorsions de concurrence indésirables. La loi du 6 octobre 1995 sur les cartels (LCart)7 et l'Accord de l'OMC du 15 avril 1994 sur les subventions et les mesures compensatoires8 y font certes partiellement obstacle, mais pas totalement. Les subventions croisées provenant d'une activité monopolistique en Suisse peuvent, dans certains cas, être soumises au contrôle prévu par le droit des cartels en matière d'abus d'une position dominante (art. 7 LCart). En outre, l'Accord de l'OMC sur les subventions et les mesures compensatoires règle certes l'utilisation de subventions par les pays membres de l'OMC et l'application de mesures compensatoires lorsque des importations sub5 6

7 8

Cf. OCDE (2021), Recommandation du Conseil sur la neutralité concurrentielle, OECD/LEGAL/0462, disponible sur https://legalinstruments.oecd.org.

Cf. note 4 et OCDE (2016), State-Owned Enterprises as Global Competitors: A Challenge or an Opportunity?, Paris: Éditions OCDE, p. 14, disponible sur www.oecd-ilibrary.org.

RS 251 RS 0.632.20 annexe 1A.13

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ventionnées causent un dommage à la branche de production nationale, mais il ne s'applique pas aux subventions dans le secteur des services et ne couvre pas tous les types de subventions à l'industrie qui engendrent des distorsions du marché.

Un examen des investissements pourrait donc, en principe, contribuer à réduire les distorsions potentielles de la concurrence causées en Suisse par des entreprises étrangères étatiques ou proches d'un État. Les engagements de la Suisse en matière de droit international limitent toutefois l'application de ces mesures (cf. ch. 7.2). Un examen des investissements qui viserait des objectifs purement économiques, comme la prévention des distorsions de la concurrence, ne serait pas compatible avec les obligations découlant des accords commerciaux internationaux conclus par la Suisse.

1.2.2

Champ d'application

Le texte de la motion 18.3021 Rieder ne précise pas non plus quels types d'investissements directs étrangers dans des entreprises suisses doivent être soumis à l'examen.

L'avant-projet de LEIE (AP-LEIE) soumettait à approbation toutes les opérations aboutissant à la prise de contrôle directe ou indirecte d'une entreprise suisse. Cette attention portée aux acquisitions est maintenue dans le P-LEIE (cf. ch. 5). Une prise de participation minoritaire n'entraînant pas la prise de contrôle d'une entreprise suisse n'est donc pas soumise à l'obligation de déposer une demande d'approbation.

La focalisation sur les acquisitions se justifie également par le fait que, selon la statistique des investissements directs9 de la Banque nationale suisse (BNS), environ 95 % des stocks d'investissements directs étrangers en Suisse (moyenne des années 2014 à 2021) résultent de participations majoritaires ­ c'est-à-dire qu'un seul investisseur étranger contrôle au moins 50 % du capital de la société. En mettant l'accent sur la prise de contrôle, on englobe donc la majeure partie des investissements directs.

Se pose en outre la question de savoir quels investisseurs étrangers et quelles entreprises suisses sont à prendre en considération. L'AP-LEIE proposait que les acquisitions effectuées par des investisseurs contrôlés par un État étranger soient soumises à approbation, quelle que soit la branche concernée. Il définissait en outre les domaines particulièrement critiques dans lesquels toute acquisition d'une entreprise suisse par un investisseur étranger, qu'il soit étatique ou privé, devait être soumise à approbation.

La procédure de consultation a révélé un grand scepticisme à l'égard de l'AP-LEIE (cf. ch. 2): environ deux tiers des participants ont manifesté leur opposition à l'instauration d'un examen des investissements ou se sont prononcés en faveur d'une limitation du champ d'application. Dans ce contexte, trois variantes ont été examinées en vue de restreindre le champ d'application: ­

9

variante A: focalisation sur les seuls investisseurs contrôlés par un État. Toutes les acquisitions sont prises en compte, indépendamment de la branche dans laquelle l'entreprise suisse est active;

On admet qu'il y a investissement direct dès qu'un investisseur acquiert au moins 10 % du capital donnant droit au vote d'une entreprise.

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­

variante B: focalisation sur les acquisitions d'entreprises suisses actives dans un domaine particulièrement critique. La distinction entre investisseurs contrôlés par un État et investisseurs privés est abandonnée;

­

variante C (combinaison des variantes A et B): focalisation sur les acquisitions, par des investisseurs contrôlés par un État étranger, d'entreprises suisses actives dans un domaine particulièrement critique.

Figure 1

Acquisitions couvertes par les différentes variantes examinées

Source: figure originale.

Les domaines particulièrement critiques comprennent notamment les biens d'équipement militaires et les biens utilisables à des fins civiles et militaires, la production d'électricité et l'exploitation de réseaux électriques, l'approvisionnement en eau ainsi que les infrastructures de santé, de télécommunication et de transport (cf. ch. 5).

Les critères suivants ont été pris en compte lors de l'évaluation des variantes: ciblage des mesures, coûts de la réglementation et compatibilité avec le droit international.

S'agissant du ciblage des mesures et des coûts de la réglementation, le rapport coûtutilité est d'autant plus favorable que l'examen des investissements se limite aux acquisitions susceptibles de menacer ou de compromettre l'ordre ou la sécurité publics.

Il en va de même pour la compatibilité avec les obligations de droit international.

Ciblage des mesures On entend par ciblage le rapport entre les examens nécessaires et les examens superflus. La variante C, qui se concentre sur les acquisitions effectuées dans des domaines critiques par des investisseurs contrôlés par un État étranger, est celle qui présente le ciblage le plus précis. Les acquisitions qui relèvent d'une logique purement entrepreneuriale ne posent en principe aucun problème. Les investisseurs privés cherchent à faire prospérer les entreprises qu'ils rachètent; ils ne sont généralement pas animés par des intentions déstabilisatrices ou des intérêts géopolitiques. Dès lors, les risques que font peser les investisseurs privés étrangers sur l'ordre ou la sécurité publics apparaissent relativement faibles. Le résultat de l'évaluation des risques est tout autre lorsque les acquisitions servent des objectifs politiques. On peut donc supposer que l'ordre ou la sécurité publics pourraient être davantage menacés ou compromis lors11 / 72

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que les investisseurs sont contrôlés par un État étranger. Lors des débats parlementaires relatifs à la motion 18.3021 Rieder, les orateurs ont souligné à plusieurs reprises le caractère problématique des investisseurs étatiques étrangers. À noter que le critère du contrôle par l'État englobe également les investisseurs privés qui sont contrôlés directement ou indirectement par un État (cf. ch. 5).

La variante mise en consultation est la moins ciblée, car elle engendre de nombreux examens superflus. Elle couvre à la fois les acquisitions par des investisseurs contrôlés par un État étranger dans des domaines non critiques (comme le rachat d'une chaîne de restaurants par un investisseur sous contrôle étatique) et l'ensemble des acquisitions opérées par des investisseurs privés étrangers dans les domaines critiques (comme le rachat d'une entreprise de dispositifs médicaux par un investisseur privé). Le premier cas de figure s'applique également à la variante A, le second à la variante B. Ces deux variantes sont donc légèrement plus ciblées que la variante mise en consultation, mais nettement moins que la variante C. En revanche, il n'est pas exclu que la variante mise en consultation et la variante B apportent un gain de sécurité supplémentaire par rapport aux variantes A et C. Elles couvriraient par exemple les acquisitions réalisées par des organisations criminelles de type mafieux. Il existe toutefois d'autres instruments (notamment le droit pénal) pour combattre ces dernières.

Coûts de la réglementation Un examen des investissements entraîne une incertitude accrue et des charges administratives supplémentaires pour les investisseurs étrangers et les entreprises suisses concernées, ce qui réduit l'attrait de notre place économique (cf. ch. 6). Il peut également faire baisser la valeur de l'entreprise suisse mise en vente. Pour la Confédération, la réglementation proposée engendre des coûts uniques liés à la mise en place de l'instrument et des coûts permanents liés à l'exécution de la loi. Ceux-ci devront être financés, dans la mesure du possible, par des émoluments à la charge des entreprises concernées.

Il ressort de l'AIR relative au P-LEIE10 qu'environ 45 demandes devraient être traitées chaque année11 dans le cas de la variante mise en consultation (base: chiffres des années 2016 à 2020). Les
auteurs ont également estimé le nombre de demandes d'approbation qui seraient déposées chaque année pour les trois autres variantes: la variante B impliquerait environ 35 demandes, la variante A entre 10 et 15, et la variante C quelques demandes seulement. La méthode employée pour déterminer le nombre de cas atteint toutefois ses limites en dessous de dix, et l'estimation fournie pour la variante C doit donc être considérée avec toutes les précautions d'usage. Dans ce dernier cas, on ne saurait exclure que plus d'une dizaine de demandes d'approbation doivent être examinées certaines années. On peut en outre supposer que le nombre d'acquisitions augmentera progressivement avec la croissance de l'économie.

10 11

Cf. www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2022 > DEFR.

Deux options ont été proposées dans l'AP-LEIE pour définir les entités juridiques devant être considérées comme des entreprises suisses. La première option permet de considérer comme des entreprises suisses les filiales suisses de groupes étrangers, ce qui n'est pas le cas de la seconde option. Le P-LEIE retient la première option (cf. ch. 2.4.1).

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C'est donc la variante C qui induit les coûts de la réglementation les plus faibles, puisque le fardeau administratif n'augmente que pour les acquisitions réalisées par des investisseurs étatiques étrangers dans des domaines critiques. La variante A génère une charge administrative pour des acquisitions étatiques sans danger, et la variante B pour toutes les acquisitions non problématiques dans des domaines critiques. La variante mise en consultation cumule les deux cas de figure, ce qui entraîne les coûts de la réglementation les plus élevés. Étant donné que la variante B exige l'examen d'environ trois fois plus d'acquisitions que la variante A, elle engendre des coûts plus importants que cette dernière.

Compatibilité avec le droit international La Suisse a pris des engagements relatifs aux investissements (non-discrimination par rapport aux concurrents indigènes, etc.) dans l'Accord général sur le commerce des services (AGCS)12 et les accords de libre-échange (ALE) conclus avec des États tiers, mais aussi dans les accords bilatéraux avec l'UE pertinents en la matière, à savoir l'accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE (ALCP)13 et l'accord sur le transport aérien (ATA)14 ainsi que dans la Convention AELE15 et les règlements de l'OCDE (codes de l'OCDE de la libération). Un examen des investissements, en particulier s'il concerne uniquement des investisseurs étrangers, peut aller à l'encontre des obligations internationales de la Suisse en matière d'accès au marché et de non-discrimination. La Suisse doit donc pouvoir justifier l'examen des investissements par les dispositions dérogatoires sur la protection de l'ordre et de la sécurité publics mentionnées dans ces accords (cf. ch. 7.2).

Dans la variante B comme dans la variante C, les chances de faire valoir ces dispositions dérogatoires peuvent être qualifiées d'élevées, notamment parce que les deux variantes mettent l'accent sur des domaines critiques pour l'ordre et la sécurité publics. S'agissant de la variante C, on peut également arguer que le champ d'application se limite aux investisseurs particulièrement critiques. Enfin, la variante mise en consultation et la variante A partent de l'hypothèse que les investisseurs contrôlés par un État étranger constituent en tant que tels une menace pour l'ordre et la
sécurité publics, même s'ils ne sont pas actifs dans des secteurs critiques.

Conclusion La variante C convainc grâce à un ciblage plus précis et à des coûts de la réglementation inférieurs à ceux des autres variantes examinées. C'est donc celle qui aurait le moins d'impact sur la place économique suisse. Elle comporte en outre des avantages du point de vue de la compatibilité avec le droit international. Pour les raisons exposées ci-dessus, et compte tenu des résultats de la consultation (cf. ch. 2), le Conseil fédéral a décidé d'élaborer le P-LEIE en se fondant sur la variante C.

12 13 14 15

Cf. www.seco.admin.ch > Économie extérieure et Coopération économique > Relations économiques > Commerce des services > OMC/AGCS.

RS 0.142.112.681 RS 0.748.127.192.68 RS 0.632.31

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1.3

Relation avec le programme de la législature et avec le plan financier, ainsi qu'avec les stratégies du Conseil fédéral

Le projet n'est annoncé ni dans le message du 29 janvier 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202316 ni dans l'arrêté fédéral du 21 septembre 2020 sur le programme de la législature 2019 à 202317. Il est la conséquence directe de l'adoption, par le Parlement, de la motion 18.3021 Rieder.

Le projet présente des recoupements thématiques avec les stratégies suivantes du Conseil fédéral, quand bien même aucune de ces deux stratégies ne traite directement de l'instauration d'un examen des investissements: ­

la stratégie nationale de protection des infrastructures critiques (PIC)18;

­

la stratégie nationale de protection de la Suisse contre les cyberrisques (SNPC)19.

Initiative parlementaire 16.498 Badran Il existe en outre un lien entre le projet et l'initiative parlementaire Badran 16.498 du 16 décembre 2016 («Soumettre les infrastructures stratégiques du secteur énergétique à la lex Koller»), laquelle exige que les infrastructures stratégiques du secteur énergétique, notamment les centrales hydrauliques, les réseaux électriques et les réseaux de gaz, soient soumises à la loi fédérale du 16 décembre 1983 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger (LFAIE, dite «lex Koller»)20.

Dans le cadre de l'examen des investissements, une acquisition serait en principe possible sauf s'il est démontré qu'elle menace ou compromet l'ordre ou la sécurité publics. L'initiative parlementaire 16.498 Badran prévoit le contraire: selon le rapport explicatif de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national du 28 mars 2023 («Soumettre les infrastructures stratégiques du secteur énergétique à la lex Koller»)21, l'acquisition d'une infrastructure stratégique du secteur énergétique par des personnes à l'étranger au sens de l'art. 5 LFAIE serait en principe exclue et ne serait autorisée que si elle sert les intérêts économiques de la Suisse ou ses intérêts en matière d'approvisionnement énergétique et qu'aucun intérêt supérieur du pays ne s'y oppose. Une exception est toutefois prévue si la Suisse a pris des engagements correspondants avec un partenaire de libreéchange. Le cas échéant, il est possible ­ par analogie avec le P-LEIE ­ d'examiner les investissements critiques à la lumière des dispositions dérogatoires de l'ALE conclu avec ce partenaire.

Pour éviter un éparpillement des dispositions législatives et une définition peu claire des compétences, il convient de soumettre le secteur de l'énergie soit à la LEIE, soit

16 17 18 19 20 21

FF 2020 1777 FF 2020 8385 FF 2023 1659 Cf. www.ncsc.admin.ch > Stratégie NCS.

RS 211.412.41 FF 2023 1095

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à la LFAIE (voire à une autre base légale) mais pas aux deux. Il conviendra donc de prendre en compte ce point lors des débats parlementaires relatifs à ces deux projets.

Le Conseil fédéral considère certes que la question de la sécurité de l'approvisionnement est importante, mais il estime qu'elle est traitée de façon plus ciblée par les réglementations existantes et d'autres projets législatifs22. La législation en vigueur offre déjà une protection adéquate contre la prise d'influence étrangère par le biais d'investissements, en particulier sur les infrastructures énergétiques. En effet, les installations essentielles sont en possession de la Confédération, des cantons et des communes; leur vente à des personnes à l'étranger doit donc être avalisée par une décision politique.

Si le Parlement souhaite légiférer en dépit de l'avis du Conseil fédéral, ce dernier propose de renoncer à mettre en oeuvre l'initiative parlementaire 16.498 Badran et de régler les acquisitions d'infrastructures énergétiques critiques dans la LEIE. Il estime toutefois que ni l'une ni l'autre ne constitue une solution adéquate.

1.4

Classement d'interventions parlementaires

Par le projet faisant l'objet du présent message, le Conseil fédéral donne suite à la motion 18.3021 Rieder et propose de classer cette dernière.

2

Procédure préliminaire, notamment procédure de consultation

2.1

Travaux préparatoires

Dans son rapport Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements, le Conseil fédéral a soumis à la discussion quatre options envisageables, en présentant les forces et les faiblesses de chacune d'entre elles. Ces quatre options sont: 1) le statu quo, 2) le statu quo avec monitorage ultérieur, 3) l'instauration d'une obligation de notifier, et 4) l'instauration d'un examen des investissements. Le Conseil fédéral préconisait l'option 2.

Dans le cadre des débats relatifs à la motion 18.3021 Rieder, le Parlement a ensuite discuté le rapport Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements et les options proposées. En adoptant cette motion, il a décidé de retenir l'option 4 (instauration d'un examen des investissements).

Conformément à ce mandat, le Conseil fédéral a mené une consultation sur l'AP-LEIE du 18 mai au 9 septembre 202223.

22

23

Cf. avis du Conseil fédéral du 2 juin 2023 sur le rapport de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national du 28 mars 2023 («Soumettre les infrastructures stratégiques du secteur énergétique à la lex Koller», FF 2023 1452).

Le dossier de consultation, les avis et le rapport sur les résultats de la consultation sont disponibles sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2022 > DEFR.

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2.2

Projet mis en consultation

L'AP-LEIE assignait à l'examen des investissements le but d'éviter que des acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics. Toute acquisition par un investisseur contrôlé par un État étranger aurait dû être soumise à approbation, quelle que soit la branche concernée. De plus, dans les domaines particulièrement critiques, toute acquisition d'une entreprise suisse par un investisseur étranger ­ étatique ou privé ­ aurait été soumise à approbation. Les petites entreprises auraient en principe été exemptées de la réglementation.

En ce qui concerne la définition d'une entreprise suisse, deux options figuraient dans le projet mis en consultation. La distinction portait sur le fait de savoir si la filiale suisse d'un groupe étranger devait être considérée (ou non) comme une entreprise suisse.

La procédure d'approbation selon l'AP-LEIE est très similaire à celle prévue par le P-LEIE. Sur ce point, il est donc renvoyé aux ch. 4 et 5.

2.3

Résumé des résultats de la consultation

La procédure de consultation a donné lieu à 72 avis. Une majorité de 38 participants affiche une opposition de principe à l'instauration d'un examen des investissements.

Ce camp comprend l'UDC, le PLR, presque toutes les associations économiques et interprofessions, et près de la moitié des cantons (dont ZH, BE, BS, BL et VD).

Certains opposants ­ notamment le PLR et economiesuisse ­ demandent que la mesure se limite aux investisseurs contrôlés par l'État, au cas où un examen des investissements serait tout de même instauré. En outre, le PLR peine à comprendre que le projet ne se limite pas aux entreprises actives dans des domaines liés à la sécurité.

Une minorité de 29 participants soutient l'instauration d'un examen des investissements; 14 participants approuvent globalement l'avant-projet. Ce camp comprend principalement l'autre moitié des cantons (notamment AG, GE et SG).

Parmi les participants favorables à l'instauration d'un examen des investissements, 5 émettent toutefois des réserves. Ainsi, le PVL ne voit une nécessité d'agir que dans le cas d'acquisitions par des investisseurs étrangers contrôlés par un organe étatique.

LU et GR demandent de limiter le champ d'application aux investissements «les plus critiques pour la sécurité», sans toutefois préciser ce qu'ils entendent par là. GastroSuisse et HotellerieSuisse souhaitent que le secteur de l'hôtellerie-restauration soit exempté du régime proposé.

Par ailleurs, 10 participants approuvent l'instauration d'un examen des investissements à condition que son champ d'application soit élargi. Ce camp, qui regroupe Le Centre, le PEV, le PS, les Verts, les syndicats et le Groupement suisse pour les régions de montagne, demande de définir plus largement le but de la loi (éviter la perte de savoir-faire, protéger le service public, garantir la sécurité de l'approvisionnement) et d'élargir l'éventail des acquisitions visées par l'examen.

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Les participants opposés au projet craignent que l'instauration d'un examen des investissements n'affaiblisse la place économique et les investissements en Suisse. Ils considèrent dès lors qu'un examen des investissements n'est pas dans l'intérêt d'une économie ouverte et à forte vocation internationale. De nombreux participants soulignent que le projet porte une atteinte trop importante à la liberté économique. Ils déplorent en outre que les dispositions de l'AP-LEIE ne soient pas suffisamment fondées sur les risques, axées sur les résultats et proportionnées.

Si les participants favorables au projet reconnaissent sur le fond la valeur d'une politique ouverte aux investissements étrangers pour la place économique suisse, ils estiment qu'il est parfois vraiment nécessaire d'agir pour lutter contre l'ingérence d'investisseurs étrangers. Ils redoutent notamment que des investisseurs étrangers ne cherchent à acquérir des entreprises suisses non seulement à des fins entrepreneuriales, mais aussi pour des raisons politiques.

2.4

Appréciation des résultats de la procédure de consultation

2.4.1

Modifications découlant de la procédure de consultation

Champ d'application Une minorité importante, estimant qu'il est absolument nécessaire d'agir, prône certes la mise en place d'un examen des investissements; d'aucuns demandent même que le champ d'application soit élargi. Cependant, environ deux tiers des participants sont opposés à l'instauration d'un examen des investissements ou préconisent une limitation du champ d'application. L'AP-LEIE suscite donc un grand scepticisme.

Dans ce contexte, le champ d'application du P-LEIE est plus restreint que celui de l'AP-LEIE (cf. ch. 1.2.2). L'examen des investissements doit intervenir lorsqu'un investisseur contrôlé par un État étranger acquiert une entreprise suisse active dans un domaine particulièrement critique. Il est conçu de manière nettement plus ciblée que ne le prévoyait l'AP-LEIE et a par conséquent des effets nettement moins préjudiciables sur l'attrait de la Suisse pour les entreprises et les investisseurs.

La liste des domaines particulièrement critiques est jugée trop vaste par de nombreux participants, qui sont favorables à une définition plus restrictive. Plusieurs participants sont toutefois d'un avis contraire et souhaitent que la liste soit élargie. En définitive, ce catalogue reste pratiquement inchangé dans le P-LEIE. La seule adaptation concerne le recensement des fabricants de biens dont l'exportation est soumise à autorisation en vertu de la loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (LFMG)24 ou de la loi du 13 décembre 1996 sur le contrôle des biens (LCB)25.

L'AP-LEIE soumettait à approbation toute acquisition d'une entreprise produisant de tels biens. De très nombreuses sociétés suisses n'ayant (pratiquement) aucune importance pour la sécurité de la Suisse auraient ainsi été concernées. C'est pourquoi le 24 25

RS 514.51 RS 946.202

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P-LEIE précise qu'il doit s'agir de biens ayant une importance décisive pour la capacité opérationnelle de l'armée suisse, d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État ou de programmes spatiaux auxquels la Suisse participe en vertu d'accords internationaux. Les ch. 1 et 2 de l'art. 4, al. 1, let. b, AP-LEIE ont ainsi été fusionnés. Cette adaptation permet d'accroître le ciblage de la mesure sans en altérer notablement l'efficacité, puisque l'examen vise les fabricants de biens importants pour la sécurité de la Suisse. L'obligation d'obtenir une autorisation pour exporter ces biens à l'étranger demeure, quel que soit le propriétaire de l'entreprise.

Définitions L'AP-LEIE proposait deux options pour définir les entités juridiques devant être considérées comme des entreprises suisses. La première aurait permis de considérer comme une entreprise suisse la filiale suisse d'un groupe étranger, alors que la seconde excluait cette possibilité. La majorité (18) des 27 participants qui se sont exprimés sur ce point privilégient la première option. C'est donc cette dernière qui est retenue dans le P-LEIE.

Le champ d'application étant limité aux acquisitions réalisées par des investisseurs contrôlés par un État étranger, il est nécessaire d'adapter en conséquence la définition de l'investisseur étatique étranger. Afin de déterminer si une entreprise doit être considérée comme un investisseur étatique étranger, le P-LEIE se base uniquement sur le lieu de l'administration centrale et non plus sur le double critère du siège principal et du lieu de l'administration centrale. Il sera ainsi plus facile pour les investisseurs de savoir s'ils sont considérés comme étrangers. Cette adaptation permet en outre d'éviter les incohérences dans l'appréciation d'un cas.

Critères d'approbation Plusieurs participants demandent que la notion de distorsion majeure de la concurrence, susceptible de menacer l'ordre ou la sécurité publics, soit exclue des critères d'approbation. À leurs yeux, la prise en compte des effets (négatifs) sur la concurrence soulève des questions inutiles et sans doute insolubles en lien avec l'examen des concentrations d'entreprises prévu dans la LCart; elle pourrait également donner lieu à des abus, en offrant un moyen d'écarter des concurrents étrangers indésirables. Eu égard à
ces préoccupations, la distorsion majeure de la concurrence ne figure plus parmi les critères d'approbation. Si une distorsion de la concurrence impliquant une menace pour l'ordre ou la sécurité publics devait toutefois être constatée dans un cas particulier, il serait toujours possible d'en tenir compte au moment de l'approbation. En effet, les critères énumérés à l'art. 4, al. 2, P-LEIE constituent une liste non exhaustive.

Par ailleurs, la possibilité de prendre en compte la disposition de l'investisseur étranger à coopérer a été supprimée, compte tenu des critiques qu'elle a suscitées lors de la consultation. Selon plusieurs participants, la disposition à coopérer n'a aucune influence sur l'existence ou non d'une menace pour l'ordre ou la sécurité publics.

D'aucuns font également valoir qu'il n'est pas possible d'en tirer des conclusions sur les conséquences de l'acquisition considérée. En contrepartie, les mesures administratives ont été étoffées: une procédure pourra ainsi être interrompue si l'obligation de fournir des renseignements n'a pas été respectée à plusieurs reprises.

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Procédure d'approbation Plusieurs participants à la consultation suggèrent d'instaurer la possibilité de solliciter un conseil ou un préavis contraignant concernant l'obligation de déposer une demande d'approbation. Ces demandes ont été partiellement prises en compte. Les personnes prenant part à une acquisition auront la possibilité de demander au SECO de clarifier, sans engagement, si l'acquisition est vraisemblablement soumise à approbation. Cette clarification préalable a une valeur purement indicative afin qu'elle puisse être distinguée de la procédure d'approbation (contraignante) ouverte lors du dépôt de la demande. Si un investisseur souhaite obtenir une déclaration contraignante, il lui suffit de déposer une demande d'approbation.

Par ailleurs, le P-LEIE prévoit explicitement que l'investisseur et l'entreprise suisse sont informés par écrit de la prolongation du délai. Cette notification permet de clarifier le moment où le délai expire et où l'acquisition est implicitement approuvée.

Protection des données et assistance administrative Le P-LEIE introduit une réserve en matière d'assistance administrative et énumère les circonstances dans lesquelles le SECO peut refuser de communiquer des données à d'autres unités administratives.

Les dispositions relatives à la collaboration avec des autorités étrangères ont été complétées. Elles fixent non seulement les conditions auxquelles le SECO peut, dans des cas particuliers, fournir des données à une autorité étrangère chargée de l'examen des investissements, mais permettent aussi de demander la remise de données nécessaires à l'examen d'un investissement. Un critère a par ailleurs été ajouté aux conditions susmentionnées: l'autorité qui reçoit les données doit fournir l'assurance qu'elle les traitera de manière confidentielle.

Voies de droit L'AP-LEIE prévoyait que, dans les cas ayant une portée considérable sur le plan politique, le tribunal devait se prononcer uniquement sur le respect des garanties de procédure ou l'existence d'un abus du pouvoir d'appréciation. Plusieurs participants à la consultation estiment que cette disposition constitue une violation élémentaire du principe de la séparation des pouvoirs, étant donné que le pouvoir d'appréciation n'est pas limité dans la définition des acquisitions considérées comme ayant une portée
considérable sur le plan politique. La disposition restreignant l'examen judiciaire dans les cas ayant une portée considérable sur le plan politique a donc été abandonnée.

Mesures et sanctions administratives Les motifs pour lesquels des mesures et des sanctions administratives peuvent être prononcées ont été harmonisés. Par ailleurs, des mesures et des sanctions administratives peuvent être prises lorsqu'une charge ou une condition n'a pas été respectée.

En ce qui concerne le montant des sanctions administratives, le calcul ne se base plus sur la valeur de la transaction, mais sur le chiffre d'affaires de l'entreprise suisse.

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Évaluation La demande, formulée lors de la consultation, de prévoir une évaluation de la loi a été prise en compte. L'efficacité de la LEIE sera par conséquent évaluée au plus tard dix ans après son entrée en vigueur.

2.4.2

Demandes issues de la consultation non retenues dans le projet

But L'examen des investissements a pour but d'éviter que des acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers ne viennent menacer ou compromettre l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse. Dans ce contexte, plusieurs participants souhaitent que le but de l'examen des investissements soit explicitement étendu aux objectifs suivants: éviter la perte de savoir-faire, éviter les distorsions de la concurrence, garantir la sécurité de l'approvisionnement et protéger le service public. L'ajout des deux premiers objectifs (éviter la perte de savoir-faire et éviter les distorsions de la concurrence) n'est pas envisageable. Ces objectifs ne doivent ni ne peuvent être traités dans le cadre de l'examen des investissements, pour les motifs exposés au ch. 1.2.1.

Les deux autres objectifs ne sont certes pas explicitement mentionnés dans l'article énonçant le but de la loi. La formulation du but s'inspire en effet de notions utilisées en droit économique international afin que l'examen des investissements puisse être justifié par les dispositions dérogatoires figurant dans les accords commerciaux internationaux conclus par la Suisse (cf. ch. 7.2). Ces notions figurent d'ailleurs aussi, pour la même raison, dans le règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union26. En conséquence, le but de l'examen des investissements n'a pas subi de modification.

La réglementation proposée contribue néanmoins à la sécurité de l'approvisionnement au sens de la loi du 17 juin 2016 sur l'approvisionnement du pays (LAP)27 et à la protection du service public (fourniture de services de base de qualité, comprenant des biens et services d'infrastructure, notamment), d'autant que la possibilité de remplacer un service, un produit ou une infrastructure dans un délai raisonnable est l'un des critères d'approbation (cf. ch. 5). Ainsi, la possibilité d'interdire l'acquisition d'une infrastructure critique dans le secteur de l'énergie ou des télécommunications qui serait susceptible de menacer ou de compromettre l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse contribue à prévenir l'affaiblissement de la sécurité de l'approvisionnement et du service public dans notre pays. À noter que les instruments prévus
par la LAP sont conçus pour garantir l'approvisionnement du pays en biens et services vitaux lors d'une pénurie grave à laquelle les milieux économiques ne pourraient pas faire face par leurs propres moyens. Il s'agit donc de mesures principalement destinées à remédier à des perturbations à court terme alors que l'interdiction d'une acquisition est une mesure qui a des effets structurels à long terme.

26 27

JO L 791 du 21.3.2019, p. 1 ss.

RS 531

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Définitions Des participants à la consultation ont relevé que la définition de l'acquisition ne correspond pas à celle de la concentration d'entreprises adoptée dans la LCart et proposent donc de reprendre la formulation de l'art. 4, al. 3, LCart. Il n'est pas possible de donner suite à cette proposition, car la définition de la LCart engloberait également une fusion dans laquelle la prise de contrôle serait effectuée par l'entreprise suisse et non par l'investisseur étranger. Or, de telles opérations ne doivent pas être visées par le P-LEIE, qui concerne uniquement les acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers. Il est toutefois précisé dans le commentaire que la définition d'une acquisition s'appuie sur la LCart et la notion de contrôle qui y est utilisée, et qu'il convient donc de se référer également à la pratique en droit des cartels.

Acquisitions soumises à approbation Étant donné que le critère des investisseurs contrôlés par un État étranger constitue déjà une restriction substantielle du champ d'application, un relèvement du seuil de minimis, demandé dans plusieurs avis, n'a pas été retenu. Fixer les valeurs limites de façon à exempter également les entreprises de taille moyenne aurait, en ce qui concerne le nombre d'acquisitions à examiner, des effets similaires à ceux d'une limitation aux acquisitions par des investisseurs contrôlés par un État étranger dans les domaines particulièrement critiques. Cette dernière mesure permet de mieux cibler l'examen des investissements, ce qui n'est pas le cas du relèvement du seuil de minimis.

L'exemption de certains États de l'examen des investissements constitue un autre sujet de controverse. Plusieurs participants souhaitent que certains États soient exemptés du régime de l'approbation. Les États membres de l'UE, de l'AELE et de l'OCDE ont ainsi été mentionnés. Il n'est pas possible d'entrer en matière sur une demande d'exemption basée sur l'appartenance à une organisation multilatérale particulière. En effet, les exemptions ne sont compatibles avec les engagements internationaux de la Suisse que si elles reposent sur des critères objectifs ayant un lien avec la prévention des menaces pour l'ordre ou la sécurité publics (cf. ch. 5 et 7.2). Il convient donc ­ comme le prévoyait déjà l'AP-LEIE ­ de donner au Conseil fédéral
la compétence d'exempter du régime de l'approbation, par voie d'ordonnance, les acquisitions effectuées par les investisseurs étatiques étrangers de certains pays, pour autant que l'ordre et la sécurité publics soient garantis. Les critères d'exemption seront précisés dans l'ordonnance.

Dans le même contexte, certains participants demandent que le principe de réciprocité soit inscrit dans la loi. Ce principe peut donner lieu à deux interprétations différentes.

D'un côté, on peut y voir une revendication de principe selon laquelle des investissements étrangers ne peuvent être réalisés en Suisse qu'aux conditions applicables aux investissements suisses dans le pays concerné. De l'autre, ce principe peut exiger que la Suisse n'exempte un État de son propre régime d'examen des investissements que si les investisseurs suisses bénéficient d'une dérogation similaire dans cet État.

Ces deux requêtes ne peuvent être prises en compte pour les raisons exposées ci-après.

La première va bien au-delà de la LEIE. En effet, le niveau d'accès aux investissements n'est pas déterminé uniquement par l'existence d'un examen des investissements, mais dépend également d'autres restrictions éventuelles (p. ex. limitation des participations étrangères au capital des entreprises ou restrictions opérationnelles, 21 / 72

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concernant notamment la liberté d'établissement ou le rapatriement des capitaux). En outre, les États ont des sensibilités ou des intérêts divergents dans différents secteurs et considèrent que l'accès aux investissements est plus important dans certaines branches que dans d'autres. Lors des négociations sur l'accès aux marchés, l'objectif est donc d'obtenir la réciprocité ou de s'en rapprocher le plus possible au niveau agrégé, et non secteur par secteur. Le Conseil fédéral est en outre d'avis que le «donnant donnant» ne constitue pas une tactique de négociation efficace, car une politique restrictive ne devrait pas avoir pour contrepartie une politique également restrictive. Il continuera toutefois à oeuvrer pour inciter les États protégeant leur marché intérieur à en libéraliser l'accès, notamment par le biais d'ALE.

La deuxième requête pose le problème suivant: une exemption n'est compatible avec les engagements internationaux de la Suisse que si elle repose sur des critères objectifs ayant un lien avec la prévention des menaces pour l'ordre et la sécurité publics. Le fait qu'un autre État exempte ­ ou non ­ les investisseurs suisses de son régime d'examen des investissements n'a aucune incidence sur l'ordre et la sécurité publics de la Suisse. La réciprocité n'est donc pas un critère admissible28. Si la Suisse souhaite exempter d'autres États de son régime d'examen des investissements, elle doit le faire sur la base de critères objectifs ayant un rapport avec la prévention des menaces pour l'ordre et la sécurité publics (cf. ch. 5 et 7.2). Ce nonobstant, le Conseil fédéral oeuvrera à obtenir d'autres États une exemption pour les investisseurs suisses.

Critères d'approbation Divers participants sont d'avis qu'une acquisition ne doit pouvoir être interdite que si elle représente une menace effective pour l'ordre ou la sécurité publics, et non pas s'il y a seulement lieu de penser qu'elle menace ou compromet l'ordre ou la sécurité publics.

Ils estiment en outre que les critères d'approbation doivent être énumérés de façon exhaustive. Ces demandes n'ont pas été prises en compte. Premièrement, les critères d'approbation exigent une certaine marge de manoeuvre afin que l'on puisse réagir à l'évolution de la situation. Une liste exhaustive n'est donc pas indiquée. Deuxièmement, l'examen des
investissements consiste en une évaluation ex ante de la menace potentielle que représente l'acquisition considérée pour l'ordre ou la sécurité publics, puisque l'opération n'a pas encore été réalisée au moment de l'ouverture de la procédure. L'expression s'il y a lieu de penser tient précisément compte de cet état de fait.

Par ailleurs, d'aucuns souhaitent un élargissement de la liste des critères afin de savoir, par exemple, si l'État d'origine de l'investisseur étranger accorde ou non une forme de réciprocité et s'il autorise les investissements par des entreprises suisses. De tels critères ne présentent toutefois aucun lien avec l'évaluation de la menace que constitue l'acquisition concrète d'une entreprise suisse pour l'ordre ou la sécurité publics (cf. explications ci-dessus concernant l'exemption mutuelle). Ces propositions n'ont donc pas été retenues.

28

Cf. Hahn (2023), Avis sur des questions de droit international économique relatives aux exceptions à l'examen des investissements en faveur de certains États (en allemand, avec résumé en français), disponible sur www.seco.admin.ch > Économie extérieure et Coopération économique > Relations économiques > Investissements internationaux > Investissements étrangers > Examen des investissements.

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Certains participants à la consultation suggèrent en outre de préciser l'étendue et la nature des charges et des conditions admises. Comme il importe, sur ce point également, de ménager une certaine marge d'appréciation, cette proposition n'a pas été retenue. Il convient toutefois de souligner que les charges ou les conditions doivent, dans tous les cas, être propres à écarter la menace pour l'ordre et la sécurité publics.

De plus, une acquisition ne peut être assortie de charges ou de conditions que si les conditions d'une interdiction sont réunies.

Procédure d'approbation Pour de rares participants, il s'agit d'examiner l'opportunité de remplacer le régime de l'approbation obligatoire par une procédure d'opposition. Dans le même registre, d'aucuns souhaitent qu'un examen puisse être effectué d'office dans des cas d'espèce justifiés, indépendamment du fait que l'acquisition soit soumise ou non à approbation.

Ces deux demandes ne peuvent être satisfaites. L'instauration d'une procédure d'opposition signifierait qu'il reviendrait à l'investisseur de décider s'il souhaite ou non notifier l'acquisition envisagée. Pour leur part, les autorités devraient ouvrir d'office une procédure d'approbation même si l'acquisition a déjà été réalisée. Les procédures d'opposition présentent donc des inconvénients majeurs du point de vue de la sécurité juridique. De plus, les autorités devraient mettre en place un système de surveillance à grande échelle, probablement coûteux, afin de savoir dans quel cas une procédure d'approbation doit être ouverte. Eu égard à ces inconvénients, l'idée d'une procédure d'opposition a été abandonnée au profit d'un système indiquant le plus clairement possible à l'investisseur ­ avant même l'opération ­ si une acquisition est soumise ou non à approbation. Pour des raisons similaires, la possibilité d'ouvrir d'office une procédure d'approbation est limitée aux situations qui fondent le soupçon de non-respect ou de contournement de l'obligation de déposer une demande d'approbation.

Plusieurs participants critiquent les délais de procédure prévus en soulignant que d'autres États prévoient parfois des délais plus courts. À cet égard, il convient de préciser que de nombreux régimes étrangers d'examen des investissements offrent une souplesse accrue en matière de prolongation des
délais. La réglementation proposée en Suisse, par contre, n'autorise une prolongation des délais que dans un cadre restreint et prévoit l'approbation implicite de l'acquisition à l'expiration du délai. Dans ce contexte, sachant que des clarifications complexes peuvent se révéler nécessaires, le Conseil fédéral considère que les délais prévus par l'AP-LEIE sont appropriés.

Quelques participants proposent également de limiter la prolongation des délais à un mois, sans qu'il soit nécessaire de le justifier. Il n'a pas été donné suite à cette demande, car il doit être possible, en cas de besoin, de prolonger un délai, éventuellement à plusieurs reprises, par exemple lorsque l'obligation de fournir des renseignements n'est pas respectée et que, de ce fait, des informations pertinentes pour l'évaluation de l'acquisition ne sont pas disponibles. Si la prolongation des délais était limitée, un investisseur pourrait délibérément retenir des informations importantes afin d'obtenir une approbation implicite par la simple expiration du délai.

Principe de transparence Certains participants souhaitent que la confidentialité des informations échangées entre les autorités et les entreprises soit garantie non seulement pendant, mais aussi 23 / 72

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après la procédure. Le Conseil fédéral est en revanche d'avis que les exceptions prévues aux art. 7 et 8 de la loi du 17 décembre 2004 sur la transparence (LTrans)29 garantissent déjà une protection complète des décisions administratives et politiques, de l'exécution de mesures concrètes prises par une autorité conformément à ses objectifs, des intérêts de la politique économique de la Suisse et des intérêts privés des acteurs concernés, en particulier du secret d'affaires et des données personnelles. En conséquence, il ne voit aucune raison de prévoir une exception au principe de transparence sur la base de l'art. 4 LTrans.

Mesures et sanctions administratives Certains participants préconisent de réduire le montant des sanctions administratives, d'autant que la loi prévoit la possibilité d'ordonner un désinvestissement. Des voix isolées se sont élevées pour demander explicitement le plafonnement des sanctions administratives à 1 million de francs. Le Conseil fédéral a décidé de maintenir le plafond de la sanction à 10 %, mais de modifier la base de calcul: le montant de la sanction sera fonction du chiffre d'affaires de l'entreprise suisse et non plus de la valeur de la transaction. Les sanctions administratives doivent avoir un effet dissuasif. Selon les acquisitions, ce but ne serait pas atteint avec un plafonnement à 1 million de francs.

La limitation du montant des sanctions administratives créerait en outre une inégalité de traitement entre les grandes et les petites entreprises.

Exécution La proposition de certains participants de publier rapidement les décisions sous une forme appropriée n'est pas suivie en l'état. Comme l'AP-LEIE, le P-LEIE ne prévoit pas de publier les décisions individuelles. L'argument selon lequel la publication de ces informations contribuerait à la transparence dans l'application de la loi et permettrait aux parties de déterminer à l'avance si une transaction éventuelle pourrait susciter des réserves est certes recevable. De telles décisions portent toutefois sur des questions extrêmement sensibles d'un point de vue économique et politique. C'est pourquoi l'accès à ces informations est régi par les dispositions de la LTrans. Le public sera néanmoins informé de l'exécution de la loi par la publication d'un rapport d'activité, qui pourra comporter une synthèse des
principaux considérants des décisions rendues.

Ce rapport contiendra toutefois uniquement des informations agrégées, afin qu'il ne soit pas possible d'identifier des acquisitions ou procédures données. Comme l'accent mis sur les investisseurs contrôlés par un État étranger actifs dans des domaines critiques devrait donner lieu à seulement une poignée de demandes par an (cf. ch. 1.2.2), une publication annuelle ne permettrait pas de garantir la confidentialité des informations sur les acquisitions ou les procédures individuelles. Le rapport d'activité sera donc publié tous les quatre ans.

29

RS 152.3

24 / 72

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3

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

Depuis le début des années 2010, les États ont multiplié les mesures pour protéger leurs intérêts essentiels touchant à l'ordre et à la sécurité publics en lien avec les investissements étrangers dans les domaines des infrastructures critiques et de la haute technologie, fréquemment sous la forme d'un examen intersectoriel des investissements. L'examen des investissements leur permet d'être informés des investissements effectués par des investisseurs étrangers dans des secteurs critiques de leur économie, de fixer dans certains cas des charges ou des conditions, d'interdire la réalisation de certains projets d'investissement étrangers ou encore d'ordonner leur annulation.

Dans son rapport Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements, le Conseil fédéral présente la manière dont d'autres États procèdent en la matière (cf. ch. 8 du rapport). Le sujet a aussi été examiné par l'Institut suisse de droit comparé (ISDC) dans son avis du 20 décembre 2018 sur les restrictions aux investissements30.

Différentes études ont par ailleurs été réalisées dans le cadre de l'OCDE31.

S'agissant du droit européen, il y a lieu de mentionner en particulier le règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union, applicable depuis le 11 octobre 2020. Cet acte juridique prévoit un mécanisme de coopération qui consiste essentiellement en un système d'échange d'informations entre les États membres de l'UE et la Commission européenne. Il permet principalement d'échanger des informations et de partager des préoccupations concernant les investissements directs étrangers susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics de l'UE et de ses États membres. L'art. 4 du règlement contient une liste non exhaustive de facteurs pouvant être pris en considération par les États membres de l'UE ou la Commission européenne pour déterminer si un investissement direct étranger est susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics. Il s'agit, notamment, d'effets potentiels sur les infrastructures critiques, les technologies critiques, l'approvisionnement en ressources essentielles, l'accès à des informations sensibles ainsi que sur la liberté et le pluralisme des médias. Les
États membres de l'UE peuvent tenir compte du fait que l'investisseur étranger soit contrôlé directement ou indirectement par un État tiers (notamment à travers la structure de propriété ou un appui financier significatif), qu'il ait déjà participé à des activités portant atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics ou qu'il existe un risque que l'investisseur exerce des activités illégales. Le règlement n'affecte pas la compétence en matière d'examen des investissements, qui reste du ressort de chaque État membre de l'UE. Il définit toutefois des normes minimales et des critères auxquels les réglementations des États membres de l'UE doivent satisfaire. Ainsi, des délais doivent être prévus pour l'examen, les informations confidentielles doivent être protégées, et les investisseurs étrangers et entreprises concernés doivent avoir la possibilité de former un recours contre les décisions prises dans ce 30

31

Cf. www.seco.admin.ch > Économie extérieure et Coopération économique > Relations économiques > Investissements internationaux > Investissements étrangers > Examen des investissements.

Cf. aperçu des travaux de l'OCDE sur ce thème disponible sur www.ocde.org > Topics > Investment > Investment policy > Investment policies related to national security and public order.

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contexte. Le P-LEIE répond à ces normes minimales. En outre, l'examen doit donner la possibilité de prendre en compte les commentaires d'autres États membres de l'UE, et les réglementations nationales ne doivent pas créer de discrimination entre les États tiers. Une consultation publique sur le fonctionnement et l'efficacité du règlement a été organisée au printemps 2023. D'ici à fin 2023, la Commission européenne présentera au Parlement européen et au Conseil un rapport contenant d'éventuelles propositions d'ajustement.

L'UE et les États-Unis s'efforcent d'examiner non seulement les investissements entrants, mais aussi les investissements sortants. Pour l'UE, comme pour les États-Unis, l'examen des investissements relève de la «sécurité économique». Cet instrument, qui s'applique aussi bien aux investissements étrangers dans l'UE ou les États-Unis qu'aux investissements de ces juridictions dans des secteurs sensibles à l'étranger (biens utilisables à des fins civiles et militaires, semi-conducteurs, ordinateurs quantiques, intelligence artificielle, etc.), s'ajoute aux dispositions régissant le contrôle des exportations, les marchés publics, la sécurité de la chaîne d'approvisionnement et la protection de la propriété intellectuelle.

La présente comparaison avec le droit étranger se concentre sur l'examen des investissements étrangers dans les pays de l'OCDE, et en particulier dans les États suivants: Allemagne, Australie, Autriche, Canada, États-Unis, Finlande, France, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni.

But

3.1

La plupart des pays de l'OCDE dotés d'un mécanisme d'examen des investissements (Allemagne, Autriche, États-Unis, Finlande, France, Italie, Japon, NouvelleZélande et Royaume-Uni, entre autres) analysent ces derniers sous l'angle de leur impact sur l'ordre et la sécurité publics. En règle générale, ils vérifient non seulement si un investissement représente une menace pour la capacité militaire, mais aussi, par exemple, si celui-ci pourrait mettre en péril des infrastructures critiques. Aux ÉtatsUnis, les acquisitions qui n'ont qu'un faible lien direct avec le pays (cotation à la bourse de New York, p. ex.) sont parfois examinées dans le contexte de la sécurité nationale. La plupart des États ne définissent pas ce qu'il faut entendre par ordre public ou sécurité publique afin de garantir une certaine flexibilité. Le cas échéant, c'est surtout la pratique qui permet de comprendre la position de l'État concerné en la matière. De plus, le champ d'application est généralement défini de manière que les nouveaux développements puissent être pris en compte. Dans la zone de l'OCDE, certains pays (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, etc.) examinent également des aspects économiques32 en vertu de dispositions spéciales qui, contrairement à l'examen de la sécurité nationale, prévoient des seuils monétaires.

32

Le Canada et l'Australie, entre autres, ont émis des réserves à ce sujet dans le cadre de leurs obligations internationales.

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3.2

Secteurs critiques

La plupart des États définissent une compétence d'examen pour les transactions effectuées dans des secteurs critiques spécifiques. Ceux-ci sont énumérés de manière exhaustive (France et Autriche) ou à titre d'exemple (Australie, Autriche, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande, etc.) dans une ou plusieurs listes. Certains États (Allemagne, Canada, États-Unis et Italie) prescrivent une compétence d'examen globale pour les acquisitions dans tous les secteurs économiques. En Allemagne, en Finlande et en Italie, ces prescriptions sont complétées par des réglementations sectorielles qui prévoient une plus grande densité de contrôle (exigences en matière de notification, fixation de seuils inférieurs, etc.).

Parmi les secteurs critiques sous l'angle de l'ordre ou de la sécurité publics visés par les examens des investissements figure généralement le secteur de la défense. Au cours des vingt dernières années, la liste a été élargie aux infrastructures critiques (notamment les télécommunications, les transports, l'énergie, l'eau, la santé, la distribution de denrées alimentaires, le traitement ou le stockage de données), aux biens utilisables à des fins civiles et militaires ainsi qu'aux hautes technologies telles que les technologies quantiques ou l'intelligence artificielle (cf. fig. 2)33.

Figure 2 Fréquence relative à laquelle les pays de l'OCDE ciblent certains secteurs dans leur examen des investissements

Source: OCDE; note: 100 % = nombre de pays de l'OCDE disposant d'un mécanisme d'examen des investissements dans l'année considérée.

33

Cf. OCDE (2023), Évolutions des politiques de l'investissement dans 61 économies: 16 octobre 2021 ­ 15 mars 2023.

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3.3

Investisseur national ou investisseur étranger

La plupart des États (Allemagne, Australie, Autriche, États-Unis, Finlande, France, Italie, Royaume-Uni, etc.) accueillent volontiers les projets des investisseurs étrangers. Un investissement est défini comme étranger si la nationalité de l'investisseur ne correspond pas à celle de l'entreprise cible. Lors de l'examen d'un cas spécifique, une distinction fondamentale est faite entre l'investisseur direct et l'investisseur ultime.

Or, vérifier qui est l'investisseur ultime peut s'avérer compliqué, en particulier lorsque des structures (verticales) de propriété complexes rendent difficile l'établissement de la nationalité de l'investisseur ultime ou que les propriétaires de l'entreprise investisseuse sont nombreux. Il incombe souvent à l'investisseur lui-même d'établir la preuve de l'identité de l'investisseur ultime.

Seuls quelques rares pays (Lituanie, Pays-Bas, Pologne et Royaume-Uni, notamment) ne font pas de distinction entre les investisseurs nationaux et les investisseurs étrangers ou, plus précisément, soumettent aussi les investisseurs de leur pays à l'examen des investissements. La Norvège envisage d'étendre l'examen à tous les investisseurs. En Australie, les investissements dans les infrastructures critiques doivent être déclarés indépendamment de la nationalité de l'investisseur.

3.4

Investisseur étatique ou investisseur non étatique

Nombreux sont les États qui, pendant longtemps, n'ont pas fait de distinction explicite entre les investisseurs étrangers privés et les investisseurs étrangers sous contrôle étatique, alors que ces derniers présentent parfois un risque (de sécurité) élevé. Cette situation a partiellement changé, notamment pour les États membres de l'UE, depuis que le règlement (UE) 2019/452 mentionne expressément la possibilité, lors de l'examen d'investissements étrangers, de prendre en compte le fait que l'investisseur étranger soit contrôlé directement ou indirectement par un État tiers. Même si ce critère n'est souvent pas mentionné dans la législation des États membres, c'est un point important dans l'évaluation des risques pour l'ordre ou la sécurité publics que peut présenter un cas spécifique.

Dans certains pays non membres de l'UE, notamment au Canada, les effets des investissements effectués par des investisseurs étatiques ou contrôlés par l'État (parmi lesquels les régimes de pension étatiques) sont analysés au cas par cas. L'attention se focalise notamment sur les intérêts de l'investisseur pour déterminer s'ils sont purement économiques, ou aussi politiques. D'autres pays (Australie et États-Unis) examinent systématiquement les projets d'acquisition émanant d'investisseurs étrangers sous contrôle étatique (mais aussi privés), quel que soit le secteur concerné. En Australie, les valeurs seuils applicables aux participations sont plus basses pour les investissements réalisés par des investisseurs contrôlés par un État étranger.

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3.5

Type d'investissement et valeurs seuils

Les régimes d'examen des investissements étrangers se concentrent sur les rachats d'entreprises (brownfield investments). Rares sont les pays qui examinent la création de nouvelles entreprises (greenfield investments), à l'exception du Canada. En outre, l'examen s'étend parfois aux opérations qui portent sur des départements critiques d'une entreprise ou des actifs importants (notamment en Allemagne, en Autriche, en Finlande, en France et en Italie).

De nombreux pays utilisent la part dans le capital ou les droits de vote de l'entreprise cible comme critère pour déterminer à partir de quand un investissement peut être potentiellement critique. Tous les États choisis dans l'étude procèdent à un examen au plus tard lorsqu'un investisseur envisage d'acquérir 50 % des droits de vote ou des actions d'une entreprise. La plupart d'entre eux examinent en outre les investissements portant sur l'acquisition d'un pourcentage de parts inférieur (p. ex. 10 ou 25 %) ou l'achat de parts supplémentaires. L'examen part de l'idée que, même avec une participation inférieure à 50 %, un investisseur peut exercer une influence déterminante sur les décisions de la direction de l'entreprise ou avoir accès à des éléments sensibles, que ce soient des données, un savoir-faire ou une technologie. Le fait que des actionnaires minoritaires importants puissent contrôler la majorité des voix en cas de forte dispersion de l'actionnariat ­ et par conséquent de faible participation aux assemblées générales ­ justifie également une telle approche. Il arrive que l'autorité compétente renonce à examiner une acquisition de 50 % lorsqu'une prise de participation minoritaire a déjà été traitée. Lorsque d'autres leviers d'influence (p. ex. actions spéciales conférant un droit de veto) peuvent être actionnés pour contourner les valeurs seuils, l'autorité renonce à définir un seuil fixe ou le réglemente de manière spécifique (p. ex. en Allemagne)34. Certains pays (comme les États-Unis) ne définissent pas de seuils sous forme de valeur numérique. De nombreux États (Allemagne, Autriche, Australie, États-Unis, Italie, Japon et Royaume-Uni) prévoient en outre un examen à partir d'un seuil bas (p. ex. 5 ou 10 % des droits de vote) dans des secteurs considérés comme très critiques. L'Allemagne a par exemple fixé un seuil de 10 % des droits de vote dans les secteurs de l'armement et de certaines infrastructures critiques.

3.6

Obligation de notifier et de déposer une demande d'approbation

De nombreux pays de l'OCDE imposent une obligation de notifier les investissements soumis à examen (dont l'Autriche, la France, l'Italie et, pour certains secteurs, l'Allemagne, les États-Unis et la Finlande). Cette déclaration déclenche généralement le mécanisme d'examen. Elle doit souvent être effectuée avant la réalisation du projet d'investissement. Dans ces systèmes, les autorités peuvent en outre procéder à un exa34

Cf. OCDE (2021), Évolutions des politiques de l'investissement dans 62 économies: 16 octobre 2020 ­ 15 octobre 2021, ch. marg. 17 ss, disponible sur www.ocde.org > Topics > Investment > Investment policy > Investment policies related to national security and public order.

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men si l'obligation de notifier n'est pas respectée intentionnellement ou par négligence (contournement).

Certains États (comme la Finlande) ne connaissent pas d'obligation générale de notifier les investissements dans des secteurs spécifiques, mais les investisseurs sont tenus de le faire s'il y a lieu de penser que l'opération pourrait constituer une menace pour l'ordre ou la sécurité publics. Les autorités ont alors également la possibilité de procéder d'office à un examen et, le cas échéant, d'interdire l'investissement, que celui-ci ait déjà été réalisé ou non.

Plusieurs États, comme l'Allemagne et les États-Unis, combinent les déclarations obligatoires et les déclarations spontanées. De fait, aux États-Unis, les investisseurs contrôlés par un État sont tenus de notifier leurs projets d'investissement (cf. ch. 3.4).

Dans ce contexte, certains pays émettent également des avis de conformité (Unbedenklichkeitsbescheide) qui visent à réduire l'incertitude quant à la nécessité ou non d'une déclaration; c'est notamment le cas de l'Allemagne, de l'Autriche et des ÉtatsUnis. Globalement, la densité des examens varie d'un État à l'autre. Elle est plutôt faible dans l'ensemble, ce qui entre probablement dans l'évaluation des risques des investisseurs.

3.7

Étapes, durée de la procédure et voies de droit

La plupart des États appliquent en principe une procédure d'approbation comportant au moins deux étapes. En premier lieu, l'autorité compétente décide, sur la base d'une déclaration, s'il convient ou non d'effectuer un examen approfondi. Cette phase dure plus ou moins un mois dans la plupart des États (Allemagne, Australie, Autriche, France, Finlande, Italie et Royaume-Uni). Si des doutes subsistent, une procédure d'approbation approfondie est lancée lors d'une seconde phase, qui peut durer deux (Australie, Autriche, Finlande, France et Italie) ou trois mois supplémentaires (Allemagne). Aux États-Unis, les délais sont de 45 jours pour chacune des deux étapes, durée à laquelle il convient d'ajouter un délai supplémentaire de 15 jours, au cas où le président souhaite se prononcer. De nombreux États prévoient en outre la possibilité de prolonger les délais afin de donner suffisamment de flexibilité à l'autorité compétente lorsque le dossier présente des difficultés. La quasi-totalité des États connaît la possibilité, dans la seconde étape, de soumettre les projets d'investissement étrangers à des charges ou à des conditions, de les refuser ou, si nécessaire, de les faire annuler s'ils ont déjà été réalisés.

Si les investisseurs ont généralement la possibilité de recourir contre une décision, notamment devant un tribunal, certains États ne le permettent pas (comme les ÉtatsUnis, lorsque l'acquisition n'est pas encore réalisée).

3.8

Responsabilités

Dans la plupart des États, la mise en oeuvre de l'examen des investissements est confiée au Ministère de l'économie (Allemagne, Autriche, Canada, France, etc.). Certains pays confient cette tâche au Ministère des finances (Australie et États-Unis) ou au 30 / 72

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Bureau du Cabinet (Royaume-Uni). Il est fréquent que d'autres ministères soient également impliqués dans le processus d'examen. La coopération interministérielle est très développée, notamment en Allemagne, aux États-Unis et en France. Aux États-Unis, l'examen est effectué par un organe interministériel (Committee on Foreign Investment in the United States, CFIUS), qui est chapeauté par le Secrétariat au trésor.

3.9

Coopération et exemptions (mutuelles) en matière d'examen des investissements

Les États membres de l'UE se dispensent mutuellement de l'examen des investissements dans le contexte du marché intérieur, mais aucune exception n'est par exemple accordée, en Allemagne ou en Italie, dans des secteurs plus critiques comme celui de l'armement. Par ailleurs, certains États membres de l'UE (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, Hongrie, Irlande et Lituanie) dispensent actuellement les États de l'AELE ­ et donc la Suisse ­ de l'examen des investissements, contrairement à d'autres, comme la France ou l'Italie, qui soumettent la Suisse à cette procédure. Cette exception contrevient au règlement (UE) 2019/452 (principe de l'égalité de traitement des États tiers). L'UE et ses États membres, à l'image de nombreux autres pays, n'ont pas émis de réserves sur l'examen des investissements, ni dans l'AGCS ni dans leurs ALE. L'examen des investissements à l'égard d'États tiers repose sur les dispositions dérogatoires qui figurent dans les accords correspondants (cf. ch. 7.2). La possibilité de renoncer à l'examen ou d'accorder une exemption est motivée par des considérations d'ordre et de sécurité publics. Le mécanisme de coopération entre les États membres de l'UE et la Commission européenne (cf. ch. 3) permet, lors de la prise de décision, de tenir compte des préoccupations des autres États membres en termes de sécurité. En ce qui concerne les participations minoritaires dans certains secteurs (technologies critiques, infrastructures critiques, données personnelles sensibles ou biens immobiliers critiques), les États-Unis exemptent aujourd'hui les investisseurs de quelques États (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni) de l'examen, pour autant que les États et les investisseurs remplissent certaines conditions, parmi lesquelles un mécanisme d'examen des investissements ou un échange d'informations. Ils ne prévoient en revanche aucune exemption pour les participations permettant de prendre le contrôle d'une entreprise.

3.10

Pratique

Dans la pratique, rares sont les projets d'investissement formellement interdits35. Les projets jugés critiques sont généralement adaptés en fonction des charges ou des conditions des autorités pour qu'ils puissent être approuvés. Il arrive que des projets d'investissement confrontés à des difficultés d'approbation par les autorités (p. ex. demande d'informations complémentaires), et dont les chances d'être approuvés semblent li35

Cf. AIR relative au P-LEIE et avis de l'Institut suisse de droit comparé (ISDC) du 20 décembre 2018 sur les restrictions aux investissements.

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mitées, soient retirés avant que la décision finale ne soit rendue. Les données disponibles concernant les décisions des autorités sont donc difficiles à interpréter.

4

Présentation du projet

4.1

Réglementation proposée

Focalisation sur les investisseurs contrôlés par l'État dans des domaines critiques L'examen des investissements a pour but d'éviter que des acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers ne viennent menacer ou compromettre l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse (cf. ch. 1.2.1). C'est la raison pour laquelle certaines acquisitions sont soumises à approbation.

Les acquisitions qui relèvent d'une logique purement entrepreneuriale ne posent en principe aucun problème. Les investisseurs privés cherchent à faire prospérer les entreprises qu'ils rachètent; ils ne sont généralement pas animés par des intentions déstabilisatrices ou des intérêts géopolitiques. Dès lors, les risques que font peser les investisseurs privés étrangers sur l'ordre ou la sécurité publics apparaissent relativement faibles. Le résultat de l'évaluation des risques est tout autre lorsque les acquisitions servent des objectifs politiques. On peut donc supposer que l'ordre ou la sécurité publics pourraient être davantage menacés ou compromis lorsque les investisseurs sont contrôlés par un État étranger. Lors des débats parlementaires relatifs à la motion 18.3021 Rieder, les orateurs ont souligné à plusieurs reprises le caractère problématique des investisseurs étatiques étrangers.

L'obligation de déposer une demande d'approbation ne s'applique donc qu'aux investisseurs contrôlés par un État étranger qui souhaitent d'acquérir une entreprise suisse active dans un domaine particulièrement critique. Les domaines particulièrement critiques comprennent notamment les biens d'équipement militaires et les biens utilisables à des fins civiles et militaires, la production d'électricité et l'exploitation de réseaux électriques, l'approvisionnement en eau ainsi que les infrastructures de santé, de télécommunication et de transport. Les acquisitions de petites entreprises ne sont en principe pas soumises à approbation grâce à la fixation d'un seuil de minimis.

À noter que le critère du contrôle par l'État englobe également les investisseurs privés qui sont contrôlés directement ou indirectement par un État (cf. ch. 5).

Approbation obligatoire en cas de prise de contrôle Sont soumises à approbation toutes les opérations aboutissant à la prise de contrôle d'une entreprise suisse. Le moyen utilisé pour prendre le contrôle
ne joue aucun rôle.

Il incombe à l'investisseur étranger de déposer une demande d'approbation avant la réalisation de l'acquisition.

Procédure d'approbation L'examen des investissements se déroule en deux étapes. Rapide, la première étape consiste à déterminer si une acquisition peut être approuvée directement ou s'il faut ouvrir une procédure d'examen. S'il n'y a pas lieu de penser que l'acquisition menace

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ou compromet l'ordre ou la sécurité publics, l'acquisition peut être réalisée. Dans le cas contraire, une procédure d'examen est ouverte, qui exigera un peu plus de temps.

Exemptions et collaboration avec d'autres États Le Conseil fédéral peut, par voie d'ordonnance, exempter des États de l'examen des investissements sur la base de critères objectifs, à condition qu'il existe avec ces États une coopération suffisante pour éviter que l'ordre et la sécurité publics ne soient menacés ou compromis. En outre, la réglementation proposée fixe les conditions nécessaires à la collaboration avec les autorités étrangères. Des accords de collaboration peuvent être conclus à cet effet avec d'autres États.

4.2

Adéquation des moyens requis

Le financement de l'examen des investissements est assuré par des émoluments perçus conformément aux principes du droit applicable ainsi que par des recettes fiscales générales. Des informations plus détaillées sur les coûts escomptés et sur les recettes provenant des émoluments pour la Confédération figurent au ch. 6.1.

4.3

Mise en oeuvre

Il appartient au SECO de mettre en oeuvre l'examen des investissements et d'assurer la coordination avec les unités administratives concernées et le Service de renseignement de la Confédération (SRC).

Le Secrétariat d'État du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et le Secrétariat d'État à la politique de sécurité (SEPOS) participent à tous les examens. Les autres unités administratives associées à une procédure (unités administratives concernées) dépendent de la branche dont relève l'acquisition et sont désignées par le SECO au cas par cas. Le SRC doit être systématiquement consulté.

La décision d'ouvrir ou non une procédure d'examen est prise par consensus entre les unités administratives qui prennent part à la procédure (à savoir le SECO et les unités administratives concernées). Si ces dernières sont d'avis qu'une acquisition doit être interdite ou qu'elles ne parviennent pas à se mettre d'accord à l'issue d'une procédure d'examen, il appartiendra au Conseil fédéral de décider.

Le SECO publiera tous les quatre ans un rapport contenant des informations agrégées sur les examens effectués. Par ailleurs, l'efficacité de l'examen des investissements sera évaluée au plus tard dix ans après l'entrée en vigueur de la LEIE. Les résultats de cette évaluation seront publiés.

L'examen des investissements peut porter sur des acquisitions également examinées dans le cadre d'autres procédures. De tels chevauchements sont notamment à prévoir dans les domaines suivants: 1) contrôle des concentrations d'entreprises par la Commission de la concurrence (COMCO)36, 2) examen du respect des dispositions sur 36

Cf. art. 10 LCart.

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les offres publiques d'acquisition par la Commission des offres publiques d'acquisition (Commission des OPA)37, 3) examen par l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) des participations qualifiées dans des banques38 ou des infrastructures des marchés financiers39 quant aux garanties d'une activité irréprochable.

Ces contrôles ont toutefois un autre objectif que l'examen des investissements. Dès lors, l'examen des investissements et les autres contrôles mentionnés ici sont effectués indépendamment les uns des autres, d'autant que les instances décisionnelles ne sont pas non plus les mêmes. Les différents contrôles peuvent être effectués soit en parallèle (leur durée pouvant varier) soit dans l'ordre chronologique.

L'essentiel est qu'une acquisition soumise à l'examen des investissements ne peut être réalisée avant que les investisseurs n'en aient obtenu l'approbation. Si, par exemple, une acquisition est soumise en même temps à l'examen de la COMCO, c'est à l'investisseur étranger de choisir s'il souhaite que les deux examens se déroulent en parallèle ou l'un après l'autre. Par ailleurs, le droit régissant les offres publiques d'acquisition repose sur les prémisses qu'un offrant ne peut en principe exécuter une offre d'acquisition que si cela ne lui est pas interdit par une décision administrative. Dans la pratique, les offres d'acquisition sont donc aujourd'hui déjà généralement liées à la condition qu'il n'existe pas d'interdiction prononcée par une autorité. Selon la pratique de la Commission des OPA, de telles conditions sont parfaitement admises et s'appliquent jusqu'à l'exécution de l'offre d'acquisition. La Commission des OPA autorise également ce genre de conditions dans le cas d'offres obligatoires.

5

Commentaire des dispositions

Art. 1

But et champ d'application

Al. 1 L'examen des investissements vise à empêcher les acquisitions d'entreprises suisses par des investisseurs étrangers, si ces opérations menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse. Cet instrument doit permettre d'écarter des menaces qui revêtent une importance nationale. Les termes ordre public et sécurité publique désignent les biens de police classiques dans l'ordre juridique suisse.

L'ordre ou la sécurité publics peuvent notamment être menacés ou compromis en cas de défaillance d'une entreprise:

37 38 39

­

qui fournit un service qui est indispensable à l'ensemble de l'économie et ne peut pas être remplacé dans un délai raisonnable;

­

qui fournit des pièces d'armement essentielles à l'armée suisse ou à d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État; Cf. art. 125 à 141 de la loi du 19 juin 2015 sur l'infrastructure des marchés financiers (LIMF; RS 958.1).

Cf. art. 3ter de la loi du 8 novembre 1934 sur les banques (LB; RS 952).

Cf. art. 9 LIMF.

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­

qui fournit aux autorités suisses des systèmes informatiques clés liés à la sécurité;

­

qui fournit des composants essentiels pour des infrastructures spatiales internationales auxquelles la Suisse participe.

Le P-LEIE cible, d'une part, les acquisitions susceptibles d'affecter la capacité d'intervention de l'armée suisse ou d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État.

Il met l'accent, d'autre part, sur la défaillance potentielle d'entreprises qui fournissent des services indispensables à l'ensemble de l'économie et non remplaçables dans un délai raisonnable. On considère qu'il n'y a pas substituabilité lorsqu'une prestation ne peut pas être fournie sous une forme similaire par d'autres acteurs du marché ou qu'il n'est pas possible d'empêcher l'interruption des prestations, par exemple au moyen d'une société repreneuse. La défaillance d'une entreprise fournissant de telles prestations aurait de graves conséquences pour l'économie, ce qui pourrait menacer ou compromettre l'ordre ou la sécurité publics. On pense notamment aux banques d'importance systémique ou au réseau de transport d'électricité.

Dans le cadre de l'acquisition d'une telle entreprise par un investisseur étranger, la menace potentielle pourrait se concrétiser si cet investisseur était animé par des intentions déstabilisatrices ou des intérêts géopolitiques. À titre d'exemple, une fois l'acquisition réalisée, l'investisseur pourrait délibérément suspendre les services indispensables fournis par l'entreprise en question ou en bloquer l'accès pour tenter de faire pression sur la Suisse. Il est donc important d'évaluer non seulement l'objet de l'acquisition, mais aussi l'investisseur (cf. commentaire de l'art. 4 P-LEIE).

Enfin, l'ordre ou la sécurité publics peuvent également être menacés ou compromis lorsqu'un acteur malveillant obtient l'accès à des informations importantes liées à la sécurité ou à une grande quantité de données personnelles sensibles.

Al. 2 La délimitation du champ d'application matériel s'appuie sur la notion d'entreprise au sens large telle que définie à l'art. 2, let. b, P-LEIE. La loi doit s'appliquer aussi bien aux entreprises de droit privé qu'aux entreprises de droit public. Le champ d'application est toutefois limité aux investisseurs contrôlés par un État étranger. La notion de contrôle au sens de l'art. 2, let. a, P-LEIE est déterminante en l'espèce. La loi ne s'applique pas qu'à des personnes morales; elle vise aussi des personnes physiques.

Par exemple, une personne physique qui agit pour le compte d'un organe étatique étranger est considérée comme un investisseur étatique étranger (art. 2, let. d, ch. 4, P-LEIE).

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Art. 2

Définitions

Let. a La définition de l'acquisition s'inspire de celle de la concentration d'entreprises figurant à l'art. 4, al. 3, LCart, qui a fait ses preuves dans la pratique, et de la notion de contrôle qui y est utilisée40. Il convient donc de se référer également à la pratique en droit des cartels.

Par prise de contrôle, on entend tous les moyens permettant d'obtenir le contrôle d'une entreprise. Et par contrôle, on entend la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une autre entreprise. Le ou les investisseurs qui exercent le contrôle doivent pouvoir décider des questions importantes de gestion et de la politique commerciale de l'entreprise contrôlée. La prise de contrôle visée ici peut être directe ou indirecte ­ par exemple via une ou plusieurs filiales. La mesure dans laquelle la possibilité de contrôle est effectivement exploitée n'est pas importante. Si une entreprise est contrôlée conjointement par plusieurs investisseurs et que, par exemple, le contrôle est transféré à un seul d'entre eux, il y a également prise de contrôle par cet investisseur (passage du contrôle en commun au contrôle exclusif).

La prise de contrôle peut notamment résulter d'une prise de participation au capital ou de la conclusion d'un contrat. Il n'est pas possible de fixer de manière absolue le niveau de participation indiquant une prise de contrôle, car cela dépend notamment de la forme juridique de la société et d'autres données juridiques et factuelles. Dans une société anonyme (SA) à caractère personnel et ne comptant que quelques actionnaires, le seuil critique se situe généralement à 50 % des droits de vote; lorsque la SA est ouverte au public, 20 ou 30 % de ces droits peuvent suffire pour en prendre le contrôle, les petits actionnaires étant en général faiblement représentés ­ ou de façon dispersée ­ à l'assemblée générale. L'expression conclusion d'un contrat vise principalement les contrats liant les actionnaires et les contrats de management41.

Un autre exemple cité de prise de contrôle est celui de la fusion. On entend par ce terme le regroupement de deux ou plusieurs entreprises jusque-là indépendantes ­ en l'occurrence entre un ou plusieurs investisseurs et une ou plusieurs entreprises indépendantes ­ en une nouvelle entité. Il convient, à cet égard, de déterminer qui détient le
contrôle de l'entreprise issue de la fusion une fois l'opération réalisée. En effet, la fusion n'est considérée comme une acquisition au sens de la LEIE que si c'est l'investisseur étranger qui prend le contrôle de l'entreprise issue de la fusion. Si tel est le cas, il peut contrôler cette dernière seul ou conjointement avec l'entreprise jusqu'alors indépendante avec laquelle il fusionne. En revanche, une fusion dans laquelle c'est l'entreprise suisse (cf. commentaire de la let. c) qui obtient le contrôle, et non l'investisseur étranger, n'est pas visée par l'examen des investissements.

Par ailleurs, la prise de contrôle d'une partie d'une entreprise est également considérée comme une acquisition. Il peut s'agir notamment de l'acquisition d'un secteur d'activité ou d'un département, mais aussi de l'achat d'actifs importants (comme des instal40

41

L'art. 1 de l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises (ci-après «OCCE»; RS 251.4) précise dans quels cas de figure une entreprise est réputée acquérir le contrôle d'une autre entreprise selon l'art. 4, al. 3, LCart.

Cf. message du 23 novembre 1994 concernant la LCart (FF 1995 I 472), p. 548 s.

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lations, des machines ou des brevets). L'objectif est d'éviter, par exemple, qu'une entreprise ne vende des actifs sans lesquels elle ne pourrait plus poursuivre une part importante de son activité économique et ne serait dès lors pratiquement plus qu'une coquille vide. Une telle vente est comparable à une prise de contrôle.

L'expression jusque-là indépendantes précise que la restructuration d'entreprises faisant partie d'un même groupe n'est pas visée par l'examen des investissements.

La création, par deux ou plusieurs entreprises, d'une entreprise commune qu'elles entendent contrôler conjointement entre également dans la définition de l'acquisition. Il ne doit pas nécessairement s'agir d'une entreprise commune de plein exercice (par dérogation à l'art. 2, al. 2, OCCE). En revanche, l'examen des investissements ne vise ni les filiales créées par une entreprise seule ni les entreprises entièrement nouvelles (greenfield investments).

Let. b Le terme entreprise est défini de manière large, comme à l'art. 2, al. 1bis, LCart. L'organisation et la forme juridique ne sont pas déterminantes pour qu'une entité soit considérée comme une entreprise: il suffit que cette entité soit engagée dans le processus économique et offre ou acquière des biens ou des services.

Let. c Une entité juridique (personne morale) est réputée suisse dès lors qu'elle est inscrite au registre suisse du commerce. Selon cette définition, une filiale suisse qui fait partie d'un groupe d'entreprises étranger est également considérée comme une entreprise suisse. Il s'ensuit que l'acquisition suivante serait soumise à l'examen des investissements:

Peu importe que l'entreprise suisse soit déjà sous contrôle étranger, le fait que l'acquisition d'une entreprise suisse menace ou compromette l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse ne dépend pas de la nationalité de la personne qui exerce alors le contrôle sur cette entreprise. Ce qui est déterminant, c'est si une acquisition par un (nouvel) investisseur étatique étranger pourrait représenter l'une des menaces décrites dans le commentaire de l'art. 1 P-LEIE.

En outre, comme expliqué plus haut (cf. commentaire de la let. a), la prise de contrôle peut être directe ou indirecte. L'acquisition suivante devrait donc également faire l'ob-

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jet d'un examen, puisque la filiale en Suisse est considérée comme une entreprise suisse et que l'acquisition de la société mère représente une prise de contrôle indirecte:

L'examen porterait alors non pas sur l'acquisition de la société mère, mais uniquement sur l'acquisition (indirecte) de la filiale suisse. S'il en résultait que l'acquisition de la filiale suisse ne peut être réalisée, cela pourrait remettre en question la reprise de la société mère tout entière. Afin de parer à cette éventualité, il serait envisageable, dans un tel cas, de privilégier une approbation assortie de l'obligation de revendre la filiale suisse.

Let. d Il convient de considérer comme un investisseur étatique étranger quiconque a l'intention d'acquérir une entreprise suisse.

Afin de juger si l'investisseur étatique est étranger, le critère déterminant, pour les entreprises (ch. 2), est le lieu où se trouve l'administration centrale: si ce lieu est situé en dehors de la Suisse, l'investisseur est réputé étranger. On entend par lieu où se trouve l'administration centrale le siège effectif de l'entreprise, d'où l'activité centrale est exercée. Pour les entreprises faisant partie d'un groupe, c'est le lieu de l'administration centrale du groupe qui est déterminant.

Ainsi, lorsqu'elle réalise un investissement, la filiale suisse d'une multinationale ayant son administration centrale en dehors de la Suisse est elle aussi considérée comme un investisseur étranger. L'examen des investissements s'appliquerait donc dans le cas de figure ci-dessous:

Les possibilités de contourner la loi sont réduites: pour éviter d'être considéré comme un investisseur étranger, un groupe serait obligé de transférer son administration centrale en Suisse; créer une filiale en Suisse ne serait pas suffisant.

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En revanche, une filiale étrangère n'est pas considérée comme un investisseur étranger si le groupe auquel elle appartient a son administration centrale en Suisse. Il s'ensuit que l'examen des investissements ne s'appliquerait pas dans le cas de figure ci-dessous:

Pour les sociétés ayant la capacité d'acquérir (comme les sociétés de fonds; cf. ch. 3), par contre, le lieu de l'administration centrale n'est pas pertinent. Le seul critère déterminant est de savoir si elles sont contrôlées par un organe étatique étranger (cf. explications ci-après). Les sociétés ayant la capacité d'acquérir qui entrent dans la catégorie des entreprises au sens de la let. b sont également visées par le ch. 2 si leur administration centrale se situe hors de la Suisse. Mais toutes les sociétés ayant la capacité d'acquérir ne sont pas nécessairement des entreprises au sens de la LEIE. Le ch. 3 permet de combler cette faille en incluant dans le champ d'application les sociétés qui ont leur administration centrale en Suisse, mais qui sont contrôlées par un organe étatique étranger.

Le qualificatif étatique appliqué aux investisseurs étrangers s'entend dans une acception large. Sont ainsi visés les organes étatiques étrangers qui agissent directement en qualité d'investisseurs (ch. 1). Par organes étatiques, on entend notamment les autorités, les établissements et les banques centrales, quel que soit le niveau de l'État dont ils relèvent. Ce terme désigne aussi bien les autorités que les agents publics et les membres du gouvernement. Si, dans un État, un parti exerce seul le pouvoir et contrôle les principaux organes de l'État, ce parti et ses représentants sont également considérés comme des organes étatiques. Le terme organe étatique s'entend aussi, dans le cas d'une monarchie, de la maison royale.

Sont en outre concernées les entreprises (ch. 2) et les sociétés ayant la capacité d'acquérir (ch. 3) contrôlées par un organe étatique étranger. La notion de contrôle visée à l'art. 2, let. a, P-LEIE s'applique. Est ainsi réputé contrôlé par l'État tout investisseur contrôlé directement ou indirectement par un organe étatique étranger, quel que soit le moyen utilisé pour prendre le contrôle. La mesure dans laquelle la possibilité de contrôle est effectivement exploitée importe peu, de même que le niveau de l'État dont relève l'organe qui exerce le contrôle. L'organe étatique étranger doit être en mesure d'exercer une influence déterminante sur l'activité de l'entité contrôlée (ici, l'entreprise ou la société ayant la capacité d'acquérir). Autrement dit, il doit pouvoir décider des
questions importantes de gestion et de la politique commerciale. On peut citer, entre autres, la nomination et la révocation des membres de la direction, l'approbation du budget ou du plan d'affaires, et les investissements relevant de la gestion ordinaire de l'entité contrôlée. Il y a également contrôle si les décisions stratégiques

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peuvent être bloquées par une autorité, un agent public ou un membre du gouvernement, par exemple, ou sont soumises à une approbation préalable en vertu d'une loi.

Par ailleurs, afin de garantir une définition large de l'investisseur étatique étranger et d'empêcher que la loi ne soit contournée, toute personne (physique ou morale) agissant pour le compte d'un État est également considérée comme un investisseur étatique étranger (ch. 4). Tel est le cas, par exemple, lorsqu'une personne a reçu de l'État l'instruction d'acquérir une entreprise ou les moyens financiers (y c. sous forme de subventions ou de crédits) nécessaires pour procéder à l'acquisition. De même, une entreprise ayant conclu un mandat de prestations avec un État est considérée comme un investisseur étatique étranger.

Art. 3

Acquisitions soumises à approbation

Cette disposition énumère les acquisitions d'entreprises suisses par un investisseur étatique étranger qui sont soumises à approbation. L'approbation doit être obtenue avant la réalisation de l'acquisition.

La liste comprend les domaines à considérer comme particulièrement critiques du point de vue de la menace de l'ordre ou de la sécurité publics de la Suisse.

Afin de délimiter clairement les acquisitions soumises à approbation, le domaine concerné est décrit le plus précisément possible. On distingue les domaines pour lesquels seul un seuil de minimis s'applique (al. 1) de ceux pour lesquels un seuil de chiffre d'affaires est fixé (al. 2).

Du fait du seuil de minimis prévu à l'al. 1, l'acquisition de petites entreprises est exemptée de l'approbation obligatoire. Il semble en effet peu probable que l'acquisition d'une petite entreprise menace ou compromette l'ordre ou la sécurité publics, même si l'on ne peut exclure que des entreprises de petite taille, notamment des start-up, développent des technologies liées à la sécurité. Pour les start-up, la question du financement revêt d'ailleurs une importance capitale, et les investisseurs étrangers jouent souvent un rôle essentiel en la matière. Afin d'éviter, autant que faire se peut, d'entraver l'activité d'innovation des petites entreprises, celles-ci ne doivent pas être limitées dans leurs recherches d'investisseurs. On peut supposer en outre que les biens ayant une importance décisive pour l'armée suisse, pour les autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État ou pour des programmes spatiaux auxquels la Suisse participe en vertu d'accords internationaux (cf. commentaire de l'al. 1, let. a) ne sont pas fabriqués par des entreprises de petite taille. Enfin, cette disposition permet d'éviter que l'autorité en charge de l'examen des investissements ne soit débordée par des cas d'importance mineure.

Le régime de l'approbation ne s'applique dès lors qu'aux acquisitions d'entreprises suisses qui, au cours des deux exercices précédant le dépôt de la demande d'approbation, comptaient en moyenne au moins 50 postes à plein temps à l'échelle mondiale ou ont réalisé en moyenne un chiffre d'affaires annuel mondial d'au moins 10 millions de francs. Ce seuil de minimis s'appuie sur la définition statistique des petites entreprises appliquée par l'Office fédéral de la statistique (OFS) et l'UE42. Le rapport entre 42

Cf. www.statistique.admin.ch > Trouver des statistiques > Industrie, services > Entreprises et emplois > Structure de l'économie: entreprises > Petites et moyennes entreprises.

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le chiffre d'affaires (en millions) et le nombre d'équivalents plein temps (soit 0,2) est similaire au seuil (0,16) à partir duquel une société est tenue de soumettre ses comptes annuels à un contrôle ordinaire conformément à l'art. 727 du code des obligations43.

Dans les domaines pour lesquels un seuil de chiffre d'affaires est fixé (al. 2), une approbation n'est nécessaire que pour acquérir une entreprise suisse qui a, au cours des deux exercices précédant le dépôt de la demande d'approbation, réalisé un chiffre d'affaires annuel (ou un produit brut s'il s'agit d'une banque) mondial d'au moins 100 millions de francs en moyenne.

Le chiffre d'affaires correspond aux revenus mondiaux cumulés de l'ensemble des entités contrôlées par l'entreprise suisse faisant l'objet de l'acquisition. Le chiffre d'affaires réalisé par une filiale de l'entreprise suisse, par exemple, est également pris en compte. Par contre, si l'entreprise suisse fait partie d'un groupe, ce n'est pas le chiffre d'affaires total du groupe qui est considéré, mais uniquement les revenus cumulés de l'entreprise suisse et des entités qu'elle contrôle. Si l'acquisition a pour objet une partie d'une entreprise, par exemple un domaine d'activité, un département ou des actifs importants (comme des installations, des machines ou des brevets), c'est le chiffre d'affaires imputable à cette partie qui est déterminant. En effet, seule la part effectivement acquise doit être prise en compte dans le calcul, par souci d'égalité de traitement.

Si l'entreprise suisse a été fondée moins de deux ans avant le dépôt de la demande, le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé depuis sa création sert de base de calcul. Si elle l'a été depuis moins d'un an, le chiffre d'affaires réalisé depuis sa création est annualisé.

S'agissant du seuil de minimis prévu à l'al. 1, le calcul des équivalents plein temps est similaire au calcul du chiffre d'affaires.

Dans cet article, le verbe contrôler fait référence à la notion de contrôle au sens de la LEIE (art. 2, let. a, P-LEIE). Le contrôle peut donc être direct ou indirect.

Les explications qui suivent portent uniquement sur les domaines qui appellent des éclaircissements.

Al. 1, let. a Cette lettre vise les entreprises suisses qui fabriquent des biens ayant une importance déterminante pour la capacité opérationnelle
de l'armée suisse, d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État ou des programmes spatiaux auxquels la Suisse participe en vertu d'accords internationaux, et dont l'exportation est soumise à autorisation en vertu de la LFMG ou de la LCB.

Le terme biens désigne, selon la LCB, les marchandises, les technologies (y c. le transfert de savoir, la maintenance et l'assistance) et les logiciels. À noter que l'art. 5 LFMG n'englobe pas les technologies. L'art. 20 LFMG soumet toutefois à autorisation la conclusion d'un contrat prévoyant le transfert de biens immatériels essentiels au développement, à la fabrication ou à l'exploitation de matériel de guerre, s'il est prévu que ce transfert s'opère depuis la Suisse en faveur d'une personne physique ou 43

RS 220

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morale ayant son domicile ou son siège à l'étranger. Par biens immatériels, on entend toutes les formes visées à l'art. 20 LFMG, comme le savoir-faire ou la concession de droits sur des biens immatériels. À titre d'exemple, les entreprises qui transfèrent à l'armée suisse des biens immatériels importants dont le transfert à l'étranger est soumis à autorisation en vertu de l'art. 20 LFMG sont également concernées.

L'utilisation du présent de l'indicatif permet de souligner que ce sont les relations commerciales existantes qui sont visées. Ainsi, le régime de l'approbation ne s'applique pas aux entreprises ayant fourni par exemple à l'armée des biens régis par la LFMG ou la LCB qui ne sont plus utilisés ou ne font plus l'objet d'une relation commerciale (travaux d'entretien ou de réparation, p. ex.).

Enfin, il est fait référence aux fournisseurs de biens cruciaux pour des programmes spatiaux, car la Suisse participe, en vertu d'accords internationaux, au développement ou à l'exploitation d'infrastructures internationales importantes pour elle dans le domaine spatial. Sont notamment concernés les programmes spatiaux menés par l'Agence spatiale européenne (ESA) et l'UE (systèmes de navigation et de positionnement par satellite Galileo et EGNOS, p. ex.).

Al. 1, let. b Cette lettre, qui vise les réseaux électriques, englobe, d'une part, le propriétaire et le gestionnaire du réseau national de transport d'électricité (Swissgrid) et, d'autre part, toutes les entreprises qui exploitent ou contrôlent des réseaux de distribution de niveau de réseau 3 ou inférieur, si la quantité d'électricité annuelle écoulée via ces réseaux de distribution est d'au moins 450 GWh (quantité nette fournie aux consommateurs finaux et aux distributeurs). Le but est d'assurer la couverture des principales régions économiques de Suisse, car une panne d'électricité de longue durée dans une région économique importante aurait probablement des répercussions au niveau national. Il convient par ailleurs de relever que la loi du 23 mars 2007 sur l'approvisionnement en électricité (LApEl)44 prime la LEIE étant donné qu'elle est une lex specialis.

Al. 1, let. e Cette lettre vise les distributeurs d'eau qui alimentent en eau potable un grand nombre d'habitants. La référence à l'approvisionnement des habitants permet de préciser que seul
l'approvisionnement des ménages en eau du robinet est concerné, et non la production commerciale d'eau minérale.

Al. 1, let. f Par analogie avec l'al. 1, let. a, les entreprises suisses qui fournissent aux autorités étatiques des systèmes ou services informatiques clés liés à la sécurité sont soumises au régime de l'approbation. L'utilisation du présent de l'indicatif permet ici aussi de mettre en évidence que seules les relations commerciales existantes sont visées. Le régime de l'approbation ne s'applique pas aux entreprises qui ont fourni par le passé des systèmes informatiques clés liés à la sécurité, si ces derniers ne sont plus utilisés ou ne font plus l'objet d'une relation commerciale (travaux de maintenance ou de réparation, p. ex.). Le terme autorités suisses désigne les autorités à tous les niveaux 44

RS 734.7

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de l'État. Les systèmes informatiques clés liés à la sécurité comprennent entre autres les systèmes de communication ou de cryptage des messages utilisés par le SRC ou la police. Les systèmes informatiques qui n'ont pas de fonction clé en matière de sécurité, comme les systèmes de gestion des affaires ou de gestion des documents, ne sont en revanche pas concernés.

Al. 2, let. c Cette lettre vise notamment les aéroports de Genève et de Zurich ainsi que les ports rhénans suisses. Les ports et aéroports d'importance régionale ne sont pas concernés.

Il en va de même de l'aéroport de Bâle, car il ne s'agit pas d'une entreprise inscrite au registre suisse du commerce, autrement dit d'une entreprise suisse. La Convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l'exploitation de l'aéroport de Bâle-Mulhouse45 contient toutefois des dispositions permettant d'éviter que l'aéroport de Bâle ne puisse être vendu sans l'accord de la Suisse. Par installations de transbordement dédiées au transport combiné (ITTC), on entend les ITTC qui revêtent une importance nationale sur le plan de la politique des transports selon l'art. 11, al. 2, de la loi du 25 septembre 2015 sur le transport de marchandises (LTM)46.

Al. 2, let. d Cette lettre recouvre toutes les entreprises ferroviaires au sens de l'art. 2 de la loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer (LCdF)47 qui exploitent ou contrôlent en Suisse une infrastructure ferroviaire au sens de l'art. 62 LCdF. L'infrastructure ferroviaire englobe, entre autres, les voies de chemin de fer, y compris l'accès à celles-ci (les quais, p. ex.), ainsi que les installations publiques de chargement.

Al. 2, let. h Comme la définition de l'acquisition (cf. art. 3, let. a, P-LEIE) inclut la reprise d'une partie d'une entreprise, le terme banques d'importance systémique recouvre également les sociétés mères, les sociétés du groupe significatives et les conglomérats visés à l'art. 2bis LB. Le chiffre d'affaires ne constitue pas un critère pertinent pour évaluer l'importance économique d'une banque; le revenu brut est plus approprié. C'est pourquoi, par analogie avec l'art. 9, al. 3, LCart, c'est le produit brut et non le chiffre d'affaires qui est déterminant dans le cas des banques.

Al. 3 Cette norme de délégation donne au Conseil fédéral la
possibilité d'étendre le régime de l'approbation, pour une durée déterminée, à d'autres catégories d'entreprises suisses. Il a par exemple la possibilité d'abaisser le seuil de chiffre d'affaires fixé dans la loi. Cette compétence est limitée à des situations exceptionnelles dans lesquelles il est urgent de soumettre à approbation l'acquisition de certaines entreprises afin de préserver l'ordre et la sécurité publics. Dans tous les autres cas, il convient de passer par la procédure législative ordinaire. Il va sans dire que cette compétence vaut uniquement

45 46 47

RS 0.748.131.934.92 RS 742.41 RS 742.101

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pour d'autres catégories d'entreprises suisses et ne permet donc pas d'inclure d'autres catégories d'investisseurs étrangers.

La durée maximale d'application d'une mesure extraordinaire est fixée à 12 mois. Le Conseil fédéral peut prolonger ce délai une seule fois, de 12 mois au maximum. Pour maintenir la mesure plus longtemps, une modification de la loi est nécessaire. Si le Parlement ne l'adopte pas dans un délai de 24 mois, le régime de l'approbation ne s'appliquera plus aux catégories supplémentaires désignées.

Al. 4 Le Conseil fédéral doit avoir la possibilité d'exempter les investisseurs de certains États de l'obligation de déposer une demande d'approbation, pour autant que l'ordre et la sécurité publics soient garantis. De telles exemptions mènent à un traitement différencié des investisseurs en fonction de l'État concerné. Pour être admissible au regard des obligations internationales de la Suisse (AGCS, ALCP, accord sur le transport aérien, Convention AELE et ALE), ce traitement différencié doit reposer sur des critères objectifs et liés au but poursuivi par la loi, et donc à l'ordre et à la sécurité publics de la Suisse. Ces critères seront fixés dans une ordonnance du Conseil fédéral.

Une exemption suppose qu'une coopération suffisante ait lieu ou puisse avoir lieu avec les États concernés en vue d'éviter que l'ordre et la sécurité publics de la Suisse ne soient menacés ou compromis. L'existence d'une telle coopération fournit en effet certaines garanties permettant d'assurer que les objectifs de l'examen des investissements en matière de protection de l'ordre et de la sécurité publics sont également atteints en cas d'exemption. Les critères d'exemption pourront ainsi inclure par exemple l'existence d'une coopération en matière de police ou dans la lutte contre la criminalité, et une coopération dans le domaine de la sécurité et du renseignement. L'existence d'une coopération en matière d'examen des investissements pourrait également être prise en compte. Par contre, la simple réciprocité (le fait que la Suisse bénéficie d'une exemption de l'examen des investissements dans l'État concerné) n'est pas un critère admissible sous l'angle des obligations internationales de la Suisse (cf. ch. 2.4.2). En cas d'exemption, les acquisitions par des investisseurs étatiques situés dans l'État
exempté et n'étant pas contrôlés par un État tiers non exempté n'auront pas besoin d'être approuvées. Le Conseil fédéral devrait en outre effectuer une appréciation globale au regard du maintien de l'ordre et de la sécurité publics de la Suisse, afin de s'assurer que l'exemption ne représente pas une menace à cet égard.

La liste des États exemptés devrait par ailleurs être périodiquement revue, afin de s'assurer que les critères demeurent remplis.

Art. 4

Critères d'approbation

Al. 1 Les acquisitions sont approuvées s'il n'y a pas lieu de penser qu'elles menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics. Dans le cas contraire, elles sont interdites. L'accent est ainsi mis sur les changements qu'elles induiraient. Le risque que représente une acquisition pour l'ordre et la sécurité publics est compris comme le produit de la probabilité de survenance et de l'ampleur potentielle des dommages. Si l'une

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de ces deux grandeurs tend vers zéro, le risque inhérent à l'acquisition tend également vers zéro.

La probabilité de survenance est fonction de deux facteurs. Premièrement, il s'agit de déterminer si l'investisseur étatique étranger (plus précisément son administration et sa direction) et son propriétaire ultime jouissent d'une bonne réputation et présentent toutes les garanties d'une activité irréprochable. Cette analyse inclut le risque qu'un État animé par des intentions déstabilisatrices ou des intérêts géopolitiques suspende délibérément les prestations fournies par l'entreprise acquise ou en bloque l'accès pour disposer d'un moyen de pression sur la Suisse. Deuxièmement, il convient d'évaluer dans quelle mesure l'investisseur étatique étranger aurait accès à des domaines critiques de l'entreprise suisse.

L'ampleur potentielle des dommages dépend principalement de la vulnérabilité liée à l'objet de l'acquisition et de ce qui se produirait si un investisseur exploitait effectivement cette vulnérabilité.

Comme l'acquisition doit être approuvée avant sa réalisation (cf. art. 3, al. 1 et 2, P-LEIE), l'évaluation est effectuée ex ante. C'est donc le niveau de risque potentiel qui est déterminant pour décider si l'acquisition d'une entreprise donnée doit être approuvée ou interdite. En ce qui concerne la probabilité de survenance, il faut anticiper le comportement de l'investisseur étatique étranger, puisque son comportement effectif ne peut être observé à l'avance. Dans de nombreux cas, l'estimation de l'ampleur potentielle des dommages, elle aussi, ne peut être qu'approximative, car de tels événements sont rares, d'où le manque de valeurs empiriques sur lesquelles se fonder.

Al. 2 L'énumération des principaux critères d'approbation à prendre en compte lors de l'évaluation d'un cas concret spécifie les thèmes examinés dans le cadre d'une procédure d'approbation. Les let. a à d visent à clarifier si l'investisseur étatique étranger (plus précisément son administration et sa direction) et son propriétaire ultime jouissent d'une bonne réputation et présentent toutes les garanties d'une activité irréprochable. Les let. e et f servent notamment à évaluer l'ampleur potentielle des dommages.

La disposition ne précise toutefois pas quel critère ou quelle combinaison de critères entraîne l'interdiction
d'une acquisition. Elle confère ainsi au SECO et aux unités administratives concernées un certain pouvoir d'appréciation. Le processus décisionnel est toutefois conçu de façon à ce que les acquisitions interdites et celles pour lesquelles les unités administratives concernées n'ont pas trouvé de consensus soient systématiquement soumises au Conseil fédéral (cf. commentaire des art. 7 et 8 P-LEIE). En tout état de cause, la condition prévue à l'al. 1 doit être satisfaite: une acquisition ne peut être interdite que s'il y a lieu de penser qu'elle menace ou compromet l'ordre ou la sécurité publics.

Les paragraphes qui suivent décrivent les différents critères.

Al. 2, let. a Dans l'évaluation d'une acquisition, il convient de tenir compte de toute appréciation négative de l'investisseur eu égard à des activités qu'il mène ou qu'il a menées par le 45 / 72

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passé. De même, toute autre activité qui porte ou a porté atteinte à l'ordre ou à la sécurité publics de la Suisse est prise en considération. On citera à titre d'exemple les activités criminelles (comme la participation ou le soutien à une organisation criminelle). Il s'agit également d'examiner les activités qui ont ou ont eu un effet négatif sur l'ordre ou la sécurité publics d'un autre État, auquel cas il est toutefois important de considérer le contexte de l'État en question.

Al. 2, let. b Il est possible qu'un investisseur cherche ou ait cherché, avant une acquisition, à obtenir des informations sur l'entreprise suisse en recourant à l'espionnage (p. ex. au moyen d'un service de renseignements économiques selon l'art. 273 du code pénal [CP]48), afin de se procurer un avantage sur ses concurrents. L'opération d'espionnage peut être menée soit par l'investisseur lui-même, soit par son État d'origine, qui transmet à l'investisseur les informations obtenues entre autres grâce aux moyens du renseignement. De telles pratiques peuvent être révélatrices des motivations de l'investisseur.

Al. 2, let. c Il s'agit d'examiner si un investisseur étranger se livre ou s'est livré à de l'espionnage dans un contexte autre que celui de l'acquisition de l'entreprise suisse visée (p. ex. en pratiquant un service de renseignements politiques, économiques ou militaires selon les art. 272 à 274 CP). Il est aussi envisageable que l'investisseur n'ait pas commis lui-même d'actes d'espionnage, mais en ait commandité; ces cas sont également pris en compte dans l'évaluation. Comme il peut être difficile d'apporter la preuve qu'une opération d'espionnage selon cette lettre ou selon la let. b est en cours ou a été menée, on devra fréquemment se contenter de soupçons fondés. Il n'est pas nécessaire qu'une condamnation ait été prononcée en application du CP ou du code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)49.

Al. 2, let. d Les sanctions sont le plus souvent des restrictions financières. L'acquisition d'une entreprise suisse par un investisseur faisant l'objet de sanctions est de toute façon interdite. Dans le cas où l'investisseur n'est pas lui-même visé par des sanctions, on ne saurait exclure que son propriétaire ultime soit, lui, soumis à des sanctions ou l'ait été par le passé.

Al. 2, let. e On entend par
non-substituabilité le risque que des services, produits ou infrastructures de l'entreprise suisse ne puissent pas être proposés sous une forme similaire par d'autres acteurs du marché ou qu'aucun autre prestataire ne soit en mesure de prendre le relais en temps utile. L'art. 4 P-LEIE vise les services et les produits proposés en Suisse et les infrastructures situées en Suisse. Si la substituabilité est garantie, il apparaît peu probable que l'ordre ou la sécurité publics de la Suisse soient menacés ou compromis, puisque la défaillance d'une entreprise suisse ne risque pas d'avoir un 48 49

RS 311.0 RS 321.0

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impact majeur. À titre d'exemple, le fait qu'un État étranger annonce à la Suisse son intention de suspendre délibérément les prestations fournies par une entreprise qu'il contrôle ou d'en bloquer l'accès ne constituerait pas une véritable menace en cas de substituabilité desdites prestations. De même, le fait de négliger délibérément d'investir dans une entreprise achetée ne risquerait pas de compromettre l'ordre et la sécurité publics si les prestations de l'entreprise étaient remplaçables. L'examen des investissements contribue donc aussi, d'une certaine manière, à la sécurité de l'approvisionnement et à la protection du service public (cf. ch. 2.4.2). Le cas classique où la substituabilité est considérée comme limitée selon la définition ci-dessus est celui des banques d'importance systémique50. Le délai acceptable en matière de substituabilité dépend de la prestation à remplacer et doit être défini au cas par cas. L'écart entre le délai utile et le temps effectivement nécessaire pour opérer la substitution est déterminant. On peut partir du principe, par exemple, que le remplacement d'une pièce d'armement essentielle (ou la recherche d'un autre fournisseur) prend plus de temps qu'il n'en faut en cas de cessation d'activité d'une entreprise dont les fonctions peuvent être remplacées suffisamment rapidement par le marché ou reprises à un coût raisonnable par une société repreneuse.

Al. 2, let. f Cette lettre prévoit l'évaluation des risques résultant de l'accès éventuel d'un investisseur à des données importantes liées à la sécurité ou à une grande quantité de données personnelles sensibles. Il est par exemple envisageable qu'un investisseur soit contraint ou incité, sous la pression, à divulguer de telles données aux autorités de son pays.

La liste des critères d'approbation n'est délibérément pas exhaustive, afin de permettre l'intégration de critères supplémentaires dans l'évaluation d'un cas donné. Il s'agit par exemple de tenir compte des situations débouchant sur des distorsions majeures de la concurrence susceptibles de menacer ou de compromettre l'ordre ou la sécurité publics. L'idée est alors d'examiner non pas les distorsions de la concurrence en tant que telles (cf. ch. 1.2.1), mais leurs conséquences sur l'ordre et la sécurité publics. À titre d'exemple, l'acquisition d'une entreprise
suisse par un investisseur étatique étranger pourrait conférer à cette entreprise un avantage concurrentiel tel qu'il menacerait de faillite une entreprise suisse concurrente. Si cette dernière fournissait par ailleurs une pièce d'armement essentielle pour l'armée suisse, il en résulterait une menace pour la sécurité publique.

Un autre exemple de critère d'approbation non cité pourrait être l'existence d'une sanction prononcée à l'encontre de l'investisseur sur la seule base de l'art. 184, al. 3 de la Constitution (Cst.)51.

Al. 3 Au lieu d'être purement et simplement interdite, une acquisition peut être approuvée sous réserve de charges ou de conditions fixées au cas par cas sur la base d'un examen 50 51

Cf. Rapport final de la commission d'experts chargée d'examiner la limitation des risques que les grandes entreprises font courir à l'économie nationale, septembre 2010.

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de la proportionnalité. Une acquisition ne peut cependant être assortie de charges ou de conditions que si les conditions d'une interdiction sont réunies. Les éventuelles charges et conditions sont limitées par l'objectif conféré à l'examen des investissements: elles doivent être propres à écarter la menace que l'approbation de l'acquisition considérée représenterait pour l'ordre ou la sécurité publics. Cette restriction a son importance, car il existe un risque que des pressions (publiques) soient exercées sur les instances décisionnelles pour qu'elles mènent, par le biais de charges ou de conditions, une politique favorable à certaines branches ou technologies, dans le but de maintenir ou de promouvoir certaines structures économiques. Il convient par exemple d'exclure les charges ou conditions exigeant de garantir un certain nombre d'emplois. Le Conseil fédéral s'est toujours prononcé contre une telle intervention de l'État, jugée excessive. Dans la décision sur les charges ou conditions qu'il convient d'imposer, il ne faut pas oublier que celles-ci doivent généralement rester confidentielles (notamment parce que leur publication n'est pas envisageable sous l'angle de la politique de sécurité). Il peut en résulter des coûts cachés, d'où un impact négatif sur les actionnaires minoritaires ou les bailleurs de fonds qui n'en ont pas connaissance.

La fixation de charges ou de conditions créerait par ailleurs différentes catégories d'entreprises (celles qui sont soumises à de telles charges et conditions, et celles qui ne le sont pas), ce qui pourrait fausser la concurrence. La disposition est de nature déclaratoire, car la possibilité que des charges ou des conditions soient imposées existerait, que la loi le prévoie ou non.

Art. 5

Clarification préalable quant à l'obligation de déposer une demande d'approbation

Pour les personnes qui prennent part à une acquisition, il peut être difficile de déterminer si celle-ci est soumise à approbation. C'est pourquoi une clarification préalable peut être demandée afin de savoir, par exemple, si l'investisseur doit vraisemblablement être considéré comme étatique ou non, ou si l'entreprise suisse relève vraisemblablement de l'un des domaines énumérés à l'art. 3, al. 1 et 2, P-LEIE. La clarification préalable est donnée par le SECO à titre indicatif, moyennant un émolument couvrant les coûts.

Art. 6

Demande

Al. 1 Premièrement, cet alinéa détermine à quel moment la demande doit être déposée.

Puisqu'une acquisition soumise à approbation doit être approuvée avant sa réalisation (cf. art. 4, al. 1 et 2, P-LEIE), le dépôt de la demande doit lui aussi précéder la réalisation de l'acquisition. Deuxièmement, la disposition précise que la demande doit être adressée au SECO, et ce par l'investisseur étatique étranger. Il apparaît judicieux que cette obligation incombe à un seul acteur, afin de clarifier les responsabilités. Il est en outre préférable de choisir l'acheteur plutôt que le vendeur, ce dernier n'étant pas nécessairement au courant de l'intention de l'investisseur d'acquérir l'entreprise (notamment en cas d'offre publique d'acquisition hostile).

Si, par exemple, un investisseur envisage d'acquérir un groupe étranger qui possède une filiale en Suisse, auquel cas il prendrait indirectement le contrôle de celle-ci, il 48 / 72

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doit déposer en Suisse une demande d'approbation pour l'acquisition de la filiale suisse. Autrement dit, l'examen suisse des investissements porte dans ce cas sur la reprise de la filiale, et non sur celle de la société mère.

La demande doit être déposée dans une langue officielle; les annexes, en revanche, peuvent être rédigées en anglais. Des émoluments sont perçus pour la procédure d'approbation. À noter que l'investisseur étatique étranger peut retirer à tout moment la demande qu'il a déposée.

Al. 2 Cette norme de délégation charge le Conseil fédéral de dresser, dans une ordonnance, la liste exhaustive des documents que l'investisseur étatique étranger doit fournir au SECO avec la demande visée à l'al. 1. Les éléments à fournir peuvent inclure une description de l'activité de l'investisseur étranger et de l'entreprise suisse, l'indication de la structure de propriété (notamment l'identité du propriétaire ultime), des indications sur la transaction prévue, une liste des sources de financement ou encore des informations permettant d'évaluer la réputation et les garanties d'une activité irréprochable. Si la demande est incomplète, le SECO enjoint à l'investisseur étatique étranger de lui faire parvenir les pièces et informations manquantes dans un délai raisonnable.

Art. 7

Approbation directe ou ouverture d'une procédure d'examen

Al. 1 L'examen des investissements comprend deux étapes successives. Dans le cadre de la première (la deuxième est traitée à l'art. 8 P-LEIE), il est décidé si l'acquisition peut être approuvée directement ou si une procédure d'examen doit être ouverte (cf. commentaire de l'art. 8 P-LEIE). Afin que les parties concernées sachent le plus rapidement possible si une procédure d'examen est nécessaire, cette décision doit être prise dans un délai d'un mois. Il est prévu que le délai commence à courir dès que la demande est complète, c'est-à-dire lorsque le SECO est en possession de toutes les annexes devant être jointes à la demande et que ces annexes sont complètes. Le SECO confirmera que la demande est complète.

Le SECO décide de l'approbation directe d'une acquisition ou de l'ouverture d'une procédure d'examen en accord avec les unités administratives concernées (pour la définition de ce terme, cf. commentaire de l'art. 10 P-LEIE). Les unités administratives qui prennent part à la procédure (à savoir le SECO et les unités administratives concernées) se partageront l'ensemble des informations dont elles disposent au sujet de l'acquisition, afin qu'elles soient toutes en possession des mêmes informations pour prendre leur décision. Le SRC doit en outre être consulté. Sur la base des compétences que lui confère la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement (LRens)52, il effectuera régulièrement des recherches sur l'investisseur auprès des services partenaires étrangers. Cette manière de procéder permet de garantir que l'ensemble des points de vue et évaluations pertinents soient pris en compte dans le processus d'approbation.

52

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Afin de limiter la charge de travail des autorités, les unités administratives concernées ont la possibilité de laisser le SECO se prononcer seul sur les cas d'importance mineure. À cet égard, une décision antérieure (p. ex. lorsqu'il s'agit d'un investisseur connu) peut justifier le traitement du cas comme étant d'importance mineure. Les unités administratives concernées peuvent définir ensemble dans quels cas elles renoncent à un traitement commun. Cette décision peut être prise au cas par cas ou sur la base d'une règle de principe.

Al. 2 Une procédure d'examen est ouverte si les unités administratives qui prennent part à la procédure ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le fait qu'une acquisition peut être approuvée directement ou doit au contraire être examinée de plus près.

Al. 3 Lorsqu'il ouvre une procédure d'examen, le SECO le notifie par écrit à l'investisseur étatique étranger et à l'entreprise suisse. Cette notification ne constitue pas une décision formelle. Si une acquisition est approuvée directement, le SECO en informe l'investisseur étatique étranger et l'entreprise suisse au moyen d'une décision sujette à recours selon l'art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)53. La forme écrite est également régie par la PA, ce qui permet une transmission électronique moyennant une signature qualifiée. Si la correspondance entre le SECO et l'investisseur étranger ne peut pas se faire par voie électronique, ce dernier doit élire un domicile de notification en Suisse au sens de l'art. 11b PA.

Art. 8

Procédure d'examen

Al. 1 La procédure d'examen dure trois mois au maximum à compter de son ouverture.

Lorsqu'une procédure d'examen est nécessaire, la décision d'approbation ou d'interdiction de l'acquisition est donc rendue au plus tard au bout de quatre mois à compter du dépôt de la demande. Comme en cas d'approbation directe, l'acquisition est approuvée si toutes les unités administratives qui prennent part à la procédure y sont favorables. Le SRC doit être systématiquement consulté.

Al. 2, let. a Si l'approbation de l'acquisition ne fait pas l'unanimité ou si les unités administratives qui prennent part à la procédure sont toutes d'avis que l'opération doit être interdite, il incombe au Conseil fédéral de décider.

Al. 2, let. b Il revient également au Conseil fédéral de se prononcer si l'acquisition a une portée considérable sur le plan politique. Dans ce cas, la décision est prise par le Conseil fédéral même si les unités administratives qui prennent part à la procédure sont toutes favorables à une approbation.

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L'approbation d'une acquisition ne peut être assortie de charges ou de conditions que dans les deux cas de figure décrits à l'al. 2. La question de savoir si une interdiction totale serait proportionnée ou si l'acquisition pourrait être approuvée moyennant des charges ou des conditions ne se posera qu'à ce stade de la procédure (et pas avant).

Al. 3 Cet alinéa règle la forme de l'approbation ou de l'interdiction d'une acquisition à l'issue de la procédure d'examen. Dans un cas comme dans l'autre, une décision formelle au sens de l'art. 5 PA est notifiée par écrit par le SECO à l'investisseur étatique étranger et à l'entreprise suisse. Comme pour l'approbation directe, la forme écrite est régie par la PA, ce qui permet une transmission électronique moyennant une signature qualifiée.

Al. 4 Cet alinéa, qui s'inspire de l'art. 34 LCart, prévoit que les effets de droit civil d'une acquisition soumise à approbation sont suspendus jusqu'à l'approbation.

Art. 9

Approbation par défaut et prolongation des délais

Al. 1 Cet alinéa fixe à quel moment une acquisition est implicitement approuvée. Il vise à permettre aux personnes concernées par une acquisition de savoir si celle-ci est approuvée ou non à l'expiration du délai applicable selon l'art. 7 ou l'art. 8 P-LEIE. Concrètement, une acquisition est considérée comme approuvée dès lors qu'aucune décision n'a été prise dans les délais prévus aux art. 7, al. 1, et 8, al. 1, P-LEIE. En outre, cette disposition exerce une certaine pression sur le SECO, les unités administratives concernées et le Conseil fédéral pour qu'ils prennent leur décision dans les délais légaux, afin de dissiper le flou juridique qui entoure l'acquisition. Ce mécanisme crée une obligation de traiter rapidement un cas d'espèce, obligation qui est comparable au principe de célérité. L'approbation par défaut au sens de la LEIE s'inspire des dispositions du droit des cartels régissant l'autorisation ou la réalisation des concentrations d'entreprises.

Al. 2 Premièrement, l'approbation implicite est réservée dans le cas où l'examen a été entravé par des causes imputables à l'investisseur étranger ou à l'entreprise suisse (let. a).

Deuxièmement, le délai peut être prolongé lorsque le SECO attend de recevoir d'une autorité étrangère des informations nécessaires à l'examen (let. b). Troisièmement, une prolongation de délai est possible s'il incombe au Conseil fédéral de se prononcer sur l'approbation (let. c).

Même si la décision revient au Conseil fédéral, le délai de trois mois prévu à l'art. 8, al. 1, P-LEIE doit en principe être respecté. Il se peut toutefois que le Conseil fédéral n'ait pas de séance vers la fin de ce délai (p. ex. pendant les semaines sans séance en été). La let. c vise à éviter qu'une acquisition ne soit approuvée implicitement uniquement parce que le Conseil fédéral n'a pas eu l'occasion de se prononcer, faute de

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séance. La décision peut alors être reportée de plusieurs semaines selon les circonstances.

Al. 3 En cas de prolongation du délai justifiée par l'un des motifs énoncés à l'al. 2, let. a à c, le SECO rend une décision formelle à l'intention de l'investisseur étatique étranger et de l'entreprise suisse dans laquelle il constate l'existence du motif et fixe un nouveau délai approprié au cas d'espèce. L'acquisition doit alors être considérée comme implicitement approuvée non pas à l'issue des délais ordinaires applicables selon l'art. 7, al. 1, ou 8, al. 1, P-LEIE, mais seulement à l'expiration du délai prolongé. Si une décision portant prolongation du délai est attaquée, puis annulée par un tribunal, le mécanisme de l'approbation implicite ne s'applique pas.

Art. 10

Unités administratives concernées

Al. 1 Les unités administratives concernées sont désignées au cas par cas par le SECO.

Cette manière de procéder permet de satisfaire à l'exigence de déterminer clairement quelles sont les unités administratives appelées à prendre part à une décision. Seules des unités de l'administration fédérale centrale peuvent être désignées. Dans chaque cas d'espèce, le SECO se fondera sur le domaine de compétence des unités administratives. Pour citer quelques exemples, le SECO solliciterait l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) si l'acquisition visait une entreprise énergétique, le Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI) en cas d'acquisition d'une banque, et l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) si l'opération visait un aéroport.

Al. 2 Dans tous les cas, les unités administratives concernées comprennent le Secrétariat d'État du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et le Secrétariat d'État à la politique de sécurité (SEPOS). D'autres unités administratives du Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR), du DFAE et du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) pourront en outre être impliquées en vertu de l'art. 15 P-LEIE (collaboration avec des autorités suisses).

Art. 11

Procédure urgente

Dans le cas où une acquisition doit être approuvée d'urgence pour préserver l'ordre ou la sécurité publics, le Conseil fédéral peut approuver directement l'opération. Une approbation moyennant des charges ou des conditions est également envisageable. La procédure d'approbation prévue aux art. 6 à 10 P-LEIE ne s'applique donc pas dans un tel cas. À noter que seule l'approbation d'une acquisition peut être décidée d'urgence. Une interdiction ne peut être prononcée qu'à l'issue de la procédure régie par les art. 6 à 10 P-LEIE.

Le recours à la procédure urgente n'est admis que si une approbation rapide est absolument nécessaire pour éviter que l'ordre ou la sécurité publics ne soient menacés ou 52 / 72

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compromis. Prenons la situation suivante: une entreprise dont les prestations sont indispensables à l'ensemble de l'économie et ne peuvent être remplacées dans un délai raisonnable se trouve en grande difficulté, au point de risquer la faillite. Sa défaillance aurait de graves conséquences pour l'économie, si bien que l'ordre ou la sécurité publics pourraient être menacés ou compromis. Un investisseur étatique étranger souhaite acquérir cette entreprise et, ce faisant, l'empêcher de s'effondrer. Mais, pour éviter toute défaillance, l'acquisition doit être approuvée sans délai. Dans un cas comme celui-ci, le Conseil fédéral est tenu de peser le pour et le contre; il doit évaluer si l'ordre et la sécurité publics seraient davantage menacés ou compromis par une défaillance de l'entreprise suisse ou par l'investisseur étatique étranger.

Art. 12

Procédure ouverte d'office

Al. 1 Lorsqu'un investisseur étranger est soupçonné d'avoir contourné ou enfreint l'obligation de déposer une demande d'approbation, le SECO engage d'office la procédure d'approbation prévue à l'art. 7 P-LEIE dès qu'il a connaissance d'un possible manquement à ladite obligation. Pour pouvoir faire usage de cette disposition, le SECO doit disposer d'indices concrets qui donnent à penser que l'investisseur étranger n'a pas, ou pas entièrement, satisfait aux exigences légales. Il y a non-respect de l'obligation de déposer une demande d'approbation lorsque, par exemple, une acquisition soumise à approbation est réalisée sans demande ni approbation préalables. Et il y a violation lorsque, par exemple, un investisseur étranger donne de fausses indications dans la demande d'approbation d'une acquisition projetée. Le SECO informe par écrit l'investisseur étranger du manquement visé à l'art. 12 P-LEIE et de l'ouverture de la procédure d'approbation prévue à l'art. 7 P-LEIE.

Al. 2 Le délai d'un mois fixé à l'art. 7, al. 1, P-LEIE commence à courir dès que l'investisseur étranger a fourni au SECO l'ensemble des informations et documents requis pour l'examen complet d'une demande. Cette disposition s'inspire de l'art. 35 LCart.

Art. 13

Obligation de fournir des renseignements

Les personnes qui prennent part à une acquisition sont tenues de fournir des renseignements au SECO. On considère comme prenant part à une acquisition non seulement les principaux protagonistes, à savoir l'investisseur étranger et l'entreprise suisse, mais également, entre autres, le propriétaire ultime. L'obligation de fournir des renseignements vise à permettre au SECO d'obtenir toutes les informations nécessaires à un examen complet des investissements, ce qui lui est indispensable pour remplir sa mission et faire appliquer la loi dans son ensemble. L'obligation d'information au sens large s'applique aussi bien à la demande visée à l'art. 6 P-LEIE qu'à la requête de renseignements complémentaires par le SECO. Si nécessaire, le SECO peut exiger les informations dont il a besoin au moyen d'une décision sujette à recours, en faisant référence à l'obligation de fournir des renseignements.

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L'obligation de fournir des renseignements est limitée par l'objectif conféré à l'examen des investissements. En d'autres termes, le SECO n'a le droit de demander que les informations nécessaires à l'examen des investissements prévu par la loi. Par ailleurs, l'obligation de fournir des renseignements ne s'étend pas à la remise d'objets et de documents concernant des contacts entre une partie et son avocat (cf. art. 13, al. 1bis, PA).

Art. 14

Traitement des données

Cette disposition autorise, s'agissant des données relatives aux personnes prenant part à une acquisition, le traitement de certaines catégories de données personnelles sensibles au sens de la loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la protection des données (LPD)54. La participation à l'acquisition peut être directe ou indirecte. Ainsi, les données de personnes qui servent de prête-nom ou qui oeuvrent dans l'ombre pourront également être traitées. Seules les unités compétentes de l'administration fédérale centrale ont cette prérogative, à savoir le SECO, chargé de l'examen des investissements, les unités administratives concernées au sens de l'art. 10 P-LEIE et le SRC, qui doit être systématiquement consulté selon les art. 7 et 8 P-LEIE. Le traitement des données n'est autorisé que si l'exécution de la loi l'exige. Autrement dit, les données personnelles sensibles ne pourront être traitées qu'aux fins de l'examen d'un investissement. Les let. a et b indiquent les catégories de données sensibles qui peuvent être traitées lorsque l'examen d'un investissement l'exige, à savoir: les données sur les opinions ou les activités religieuses, philosophiques ou politiques (let. a) et les données sur des poursuites ou sanctions pénales et administratives (let. b). Le droit des instances citées de se communiquer ces données découle implicitement des dispositions procédurales prévues aux art. 7 et 8 P-LEIE. Les unités concernées communiqueront (échangeront) les données dont elles disposent déjà ou qu'elles peuvent se procurer en vertu des compétences que leur confèrent des lois spéciales pour atteindre les objectifs qui y sont fixés. Le traitement des données non sensibles au sens de la LPD sera réglé par voie d'ordonnance. Il n'est pas nécessaire d'édicter des dispositions sur le traitement des données sensibles concernant des personnes morales dans la LEIE, car les organes fédéraux peuvent, aux termes de l'art. 57r de la loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA)55, traiter des données concernant des personnes morales, y compris des données sensibles.

Art. 15

Collaboration avec des autorités suisses

Al. 1 et 2 Ces deux alinéas posent le principe de la collaboration entre le service du SECO chargé de l'examen des investissements et les autres autorités suisses. Ils prévoient une assistance administrative et un soutien mutuels dans l'accomplissement des tâches, notamment par la communication des données visées à l'al. 2, let. a à c, concernant les personnes physiques ou morales qui prennent part à une acquisition. Seules les données nécessaires à l'exécution de la LEIE peuvent être communiquées.

54 55

RS 235.1 RS 172.010

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Al. 3 et 4 Ces deux alinéas instaurent en sus l'obligation, pour les organes énumérés, de fournir au SECO les renseignements nécessaires à l'examen d'un investissement. Autrement dit, le SECO ne peut recueillir ces renseignements qu'aux fins de l'examen des investissements. Deux conditions doivent être réunies. D'une part, le SECO doit avoir besoin des renseignements demandés pour examiner un cas concret. D'autre part, la communication de ces renseignements par l'autorité qui les détient ne doit pas être contraire à une obligation légale de garder le secret ou à une obligation légale de refus (à l'instar de l'art. 40 de la loi du 22 juin 2007 sur la surveillance des marchés financiers [LFINMA]56), lesquelles priment l'obligation de fournir des renseignements selon le P-LEIE.

Les renseignements sont communiqués à la demande du SECO par les autorités concernées. Dans le cadre de cette collaboration, les autorités consultées peuvent exprimer leur opinion sur l'acquisition examinée. Le SECO ne peut s'adresser, au titre de l'assistance administrative nationale, qu'aux organes énumérés aux let. a à k (liste exhaustive), à savoir des autorités de la Confédération, la BNS et des autorités cantonales. La liste comprend non seulement les unités pertinentes de l'administration fédérale, mais aussi les autorités de surveillance de la Confédération (dont font partie la FINMA et l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire [IFSN], p. ex.). À noter que la présence de la BNS sur la liste n'implique pas d'extension du mandat statistique de la BNS.

Par ailleurs, il est prévu que le SECO puisse accéder aux données figurant dans le casier judiciaire informatisé VOSTRA. Pour ce faire, il convient de préciser, à l'art. 51 de la loi du 17 juin 2016 sur le casier judiciaire (LCJ)57, que le service du SECO chargé de l'examen des investissements peut consulter sur demande écrite toutes les données figurant sur l'extrait 2 destiné aux autorités (art. 38) pour l'examen d'une acquisition dans le cadre d'une procédure d'approbation (cf. commentaire de l'art. 24 P-LEIE). Comme l'extrait 2 destiné aux autorités contient entre autres des données sur les procédures pénales en cours, il semble pertinent de prévoir un accès à ces données, puisque l'examen des investissements vise à évaluer si l'ordre ou la sécurité publics
pourraient être menacés ou compromis.

Il est également prévu que le SECO ait accès, sur demande, au futur registre des ayants droit économiques58. Toutefois, il est impossible de savoir si l'Assemblée fédérale adoptera d'abord la LEIE ou la loi sur la transparence des personnes morales (LTPM; la consultation relative à cette loi s'est terminée le 30 novembre 2023). Selon le cas, cet accès devra donc être réglé soit dans le cadre de la LEIE, soit dans celui de la LTPM. Il conviendra d'y veiller lors de la phase parlementaire.

Le Conseil fédéral examinera en outre l'opportunité de donner au service du SECO chargé de l'examen des investissements l'accès, sur demande, aux données person56 57 58

RS 956.1 RS 330 Cf. consultation relative à la loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l'identification des ayants droit économiques (loi sur la transparence des personnes morales; LTPM). Le dossier de consultation est disponible sur www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2023 > DFF.

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nelles enregistrées dans le Système national d'enquête (SNE). Un tel accès nécessiterait probablement une modification de l'ordonnance SNE du 15 octobre 200859.

Même si l'examen des investissements s'effectue en principe au niveau fédéral, le SECO peut être amené à solliciter le concours d'autorités cantonales, raison pour laquelle les directions cantonales de la police, de la justice et de l'économie sont aussi mentionnées.

Si cette disposition confère au SECO le droit de consulter unilatéralement les organes cités pour obtenir les informations nécessaires à l'examen des investissements, elle couvre également la communication mutuelle des données nécessaires pour répondre à la demande de renseignements, notamment la communication des données visées à l'al. 4, let. a à c, concernant des personnes physiques ou morales qui prennent part à une acquisition.

Art. 16

Refus de communiquer des données

Cette disposition formule une réserve concernant la fourniture de l'assistance administrative nationale. Le SECO peut refuser de transmettre certaines informations ou pièces à d'autres unités sous certaines conditions, qui sont énumérées de façon exhaustive. Il s'agit là d'une sorte d'obligation de garder le secret qui prime en principe les obligations de fournir des renseignements prévues par les lois spéciales sur lesquelles s'appuient les autorités qui demandent ces informations ou pièces. Le SECO peut ainsi refuser de transmettre des informations non accessibles au public ou des pièces si ces informations ou pièces lui servent uniquement à se forger une opinion (let. a) ou si leur transmission compromet une procédure en cours (let. b) ou est incompatible avec le but de l'examen des investissements (let. c).

Art. 17

Collaboration avec des autorités étrangères

Cette disposition constitue la base légale des relations (coopération) avec les autorités étrangères dans le cadre de l'examen des investissements. Elle régit l'assistance administrative internationale. Le terme autorités étrangères compétentes désigne en principe les organes étrangers chargés de l'examen des investissements ou de tâches équivalentes. Il ne doit cependant pas être compris au sens strict: le cercle des autorités étrangères pouvant être sollicitées doit rester relativement vaste. Ainsi, l'art. 17 P-LEIE permet de solliciter le concours d'une autorité étrangère susceptible de fournir des informations nécessaires à l'examen des investissements même si elle n'est pas formellement compétente en la matière.

Al. 1 Indépendamment d'un cas d'espèce à examiner, le SECO peut à tout moment échanger, avec les autorités d'un autre État chargées de l'examen des investissements, des informations sur la situation générale de la menace pour l'ordre et la sécurité publics.

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RS 360.2

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Al. 2 Cet alinéa permet la coopération avec d'autres États ou avec des organisations internationales (l'UE, p. ex.) en vue de la transmission des informations nécessaires à l'examen d'un cas d'espèce. Il autorise l'échange de données en lien avec l'exécution de la LEIE ou de dispositions étrangères comparables. Le SECO ne peut communiquer à ce titre que des données relatives à des acquisitions dont l'examen est achevé, en cours ou prévu. Ces données peuvent également concerner des personnes physiques et des personnes morales. Leur communication, qui peut se faire aussi bien à la demande du SECO que de l'autorité étrangère compétente, n'est possible que si les personnes concernées y consentent expressément (let. a) ou si certaines conditions (let. b, ch. 1 à 5) sont réunies cumulativement. Le ch. 1 exige que la Suisse et l'État étranger s'accordent mutuellement l'assistance administrative en matière d'examen des investissements. Conformément au ch. 2 et au principe de la spécialité, les données échangées devront être utilisées exclusivement pour l'examen de l'investissement visé par la demande de renseignements. Le ch. 3 interdit l'utilisation des données dans une procédure pénale ou civile. Le ch. 4 prévoit que les droits des parties et le secret de fonction doivent être garantis par le droit procédural concerné. Enfin, le ch. 5 impose à l'autorité qui reçoit les données de veiller au cas par cas à ce que toutes les données soient traitées de manière confidentielle. Il permet ainsi de garantir une protection appropriée des données, et notamment de préserver le secret professionnel, le secret d'affaires et le secret de fabrication. Même si les conditions énoncées à l'al. 2, let. b, sont réunies, l'art. 36, al. 6, LPD demeure réservé: cette disposition prescrit aux organes fédéraux de refuser la communication de données personnelles, de la restreindre ou de l'assortir de charges si l'une des conditions prévues à l'art. 36, al. 6, let. a et b, LPD est remplie.

Al. 3 Cet alinéa autorise le SECO à communiquer des données aux autorités étrangères dans le cadre de l'échange de données visé à l'al. 2, notamment des données personnelles sensibles conformément à la LPD ou des données sensibles concernant des personnes morales selon la LOGA, s'agissant des personnes qui prennent part à une acquisition.
Les catégories de données pouvant être communiquées sont énumérées de façon exhaustive aux let. a à c.

Al. 4 Cet alinéa contient une norme de délégation donnant au Conseil fédéral la compétence de conclure des traités internationaux avec des autorités ou des États étrangers concernant l'examen des investissements.

Art. 18 Al. 1 Cet alinéa prévoit que la PA est applicable aux procédures de la LEIE, comme les recours contre les décisions rendues par le SECO dans le cadre de l'examen des investissements. Il est ainsi impossible qu'une décision définitive soit rendue par le

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Conseil fédéral sans voie de recours, ce qui serait contraire à la fois au droit constitutionnel (art. 29a Cst.) et au droit international public (cf. art. 6 CEDH60).

Al. 2 Cet alinéa règle de façon restrictive la qualité pour recourir. Seuls l'investisseur étatique étranger et l'entreprise suisse ont le droit de déposer un recours. Cette restriction, qui vise notamment à accélérer la procédure, a pour effet d'empêcher les tiers de faire recours, même s'ils devaient être particulièrement touchés. À titre d'exemple, on peut considérer comme particulièrement touché un investisseur concurrent souhaitant acquérir l'entreprise suisse.

Al. 3 Cet alinéa formule une réserve concernant la restriction de la qualité pour recourir prévue à l'al. 2. Tous les destinataires potentiels de décisions rendues en vertu de l'art. 13 P-LEIE (obligation de fournir des renseignements) bénéficient sans restriction de la protection juridique prévue par la loi. Ainsi, n'importe quelle personne prenant part à une acquisition peut recourir contre une décision ayant pour objet d'obtenir des informations sur la base de l'art. 13 P-LEIE.

Art. 19

Mesures administratives

Cet article sert de base légale à l'adoption de mesures administratives pour remédier, le cas échéant, aux violations du droit.

Al. 1 Le Conseil fédéral ordonnera les mesures nécessaires au rétablissement de l'ordre légal dans les cas énumérés de façon exhaustive aux let. a à c. Cette possibilité est prévue dans l'éventualité où une acquisition aurait été totalement ou partiellement réalisée (let. a). En cas de non-respect de l'obligation de déposer une demande d'approbation, il serait en principe indiqué d'ouvrir d'office la procédure d'approbation, comme le prévoit l'art. 12 P-LEIE. Les mesures visées peuvent également être ordonnées si une acquisition soumise à approbation a été réalisée après avoir été approuvée sur la base de fausses indications (let. b), ou encore si une charge ou une condition prévue dans la décision d'approbation n'a pas été respectée (let. c).

Al. 2 Si aucune autre mesure n'est envisageable, le SECO peut aller jusqu'à ordonner un désinvestissement, qui annule l'acquisition réalisée illégalement. L'intervention du SECO exige une décision du Conseil fédéral en ce sens.

Al. 3 Cet alinéa permet au SECO d'interrompre une procédure d'approbation si une personne soumise à l'obligation de fournir des renseignements en vertu de l'art. 13 P-LEIE n'a pas respecté cette obligation à plusieurs reprises. Ce pourrait être le cas 60

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (RS 0.101).

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s'il n'est pas donné suite à une décision entrée en force visant à obtenir des renseignements. L'interruption de la procédure d'approbation a pour conséquence que l'acquisition qui en faisait l'objet ne pourra plus être approuvée.

Art. 20

Sanctions administratives

Al. 1 Cet alinéa règle les infractions prévues par le P-LEIE. Une sanction administrative peut être prononcée lorsqu'une acquisition soumise à approbation est réalisée en contournant l'obligation de déposer une demande d'approbation selon l'art. 3 P-LEIE (let. a) ou si elle a été approuvée à tort sur la base de fausses indications (let. b).

Quiconque ne met pas en oeuvre une mesure visant à rétablir l'ordre légal selon l'art. 19 P-LEIE s'expose également à une sanction administrative (let. c). Enfin, le non-respect d'une charge ou d'une condition prévue dans la décision d'approbation d'une acquisition est passible de sanction (let. d). La sanction est prononcée à l'encontre de l'entreprise née de l'acquisition. Si une entreprise devait lui succéder, la responsabilité lui serait transférée. Comme l'entreprise suisse visée par une acquisition fait partie de l'entreprise qui résulte de l'opération, la sanction déploiera une partie de ses effets en Suisse. Le problème de l'exécution des sanctions administratives pécuniaires à l'étranger s'en trouvera donc réduit. L'entreprise sanctionnée est tenue au paiement d'un pourcentage du chiffre d'affaires annuel mondial moyen réalisé par l'entreprise suisse au cours des deux exercices précédant l'acquisition ou depuis sa création. Ce montant, qui peut aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel, sera fixé par le SECO en fonction de la gravité du cas d'espèce et de l'appréciation de l'ensemble des circonstances (cf. commentaire de l'al. 21 P-LEIE). La sanction d'une entreprise présuppose un acte répréhensible, autrement dit, il doit être possible de prouver qu'une faute a été commise au niveau de l'organisation (manque de diligence objectif). Une violation du devoir de diligence pouvant être imputée à l'entreprise est suffisante à cet égard.

Al. 2 Si le chiffre d'affaires annuel ne lui a pas été communiqué et qu'il lui faudrait un effort important pour l'obtenir, le SECO est autorisé à l'estimer lui-même pour déterminer le montant de la sanction prévue à l'al. 1.

Al. 3 Cet alinéa prévoit une sanction à l'encontre des investisseurs étatiques étrangers et des entreprises suisses, qui sont tous tenus de fournir des renseignements conformément à l'art. 13 P-LEIE. L'investisseur étatique étranger ou l'entreprise suisse qui ne fournit pas ou ne fournit qu'une
partie des renseignements qui lui sont demandés s'expose au paiement d'un montant maximal de 100 000 francs. L'obligation n'est pas remplie en tout lorsque la personne sollicitée ne fournit aucun des renseignements qui lui sont demandés en application de la loi. L'obligation n'est pas remplie en partie si les informations requises en vue de l'examen d'un investissement ne sont pas toutes communiquées au SECO.

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Art. 21

Poursuite et prescription

Al. 1 Cet alinéa règle la compétence en matière d'instruction et de jugement des infractions visées à l'art. 20, al. 1 et 3, P-LEIE. Il l'attribue au SECO.

Al. 2 Cet alinéa règle la prescription de la poursuite pour les sanctions prévues à l'art. 20 P-LEIE. Le délai de prescription est de cinq ans pour les infractions visées à l'art. 20, al. 1 et 3, P-LEIE. Il commence à courir, s'agissant des infractions visées à l'al. 1, au moment de la réalisation de l'acquisition et, pour les infractions prévues à l'al. 3, au moment où le SECO reçoit la demande de l'investisseur étranger.

Art. 22

Exécution

Al. 1 Cet alinéa donne au Conseil fédéral le mandat usuel d'édicter les dispositions d'exécution de la loi.

Al. 2 Il est prévu que le SECO informe le public de l'exécution de la LEIE tous les quatre ans, en publiant un rapport d'activité. Ce rapport ne doit comporter que des informations agrégées, afin qu'il ne soit pas possible d'identifier des acquisitions ou procédures données. Le cas échéant, il peut comporter une synthèse des principaux considérants des décisions rendues. Il ne devrait y avoir qu'une poignée de demandes d'approbation chaque année (cf. ch. 1.2.2). Pour éviter que des acquisitions ou des procédures puissent être identifiées par déduction, le rapport d'activité doit porter sur plusieurs années. Il fournit en outre des informations, également sous forme agrégée, sur les éventuelles décisions de première instance concernant des sanctions administratives.

Art. 23

Évaluation

L'art. 170 Cst. prévoit le mandat d'évaluer l'efficacité des mesures prises par la Confédération. Conformément à ce principe, il est prévu d'évaluer la nécessité, l'efficacité, l'adéquation et l'économicité de la LEIE (al. 1). Cette évaluation incombera au SECO et devra avoir lieu au plus tard dix ans après l'entrée en vigueur de la loi (al. 2).

Le rapport sur les résultats de l'évaluation sera publié.

Art. 24

Modification d'autres actes

L'adoption de la LEIE appelle une modification de trois autres lois fédérales.

Premièrement, il convient de modifier la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF)61 pour admettre, à l'art. 33, let. b, ch. 11, les recours contre 61

RS 173.32

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les décisions du Conseil fédéral concernant les décisions prises dans le cadre d'une procédure d'approbation en vertu de la LEIE.

Deuxièmement, à l'art. 51 LCJ, il y a lieu d'ajouter le service du SECO chargé de l'examen des investissements (let. k), afin qu'il puisse consulter sur demande écrite toutes les données figurant sur l'extrait 2 destiné aux autorités (art. 38 LCJ), si ces données sont nécessaires pour examiner une acquisition dans le cadre d'une procédure d'approbation.

Troisièmement, à l'art. 56, al. 1, let. c, de la loi du 18 décembre 2020 sur la sécurité de l'information (LSI)62, il est prévu que le service spécialisé chargé de mener la procédure de sécurité relative aux entreprises (service spécialisé PSE) puisse également collecter, auprès du service du SECO chargé de l'examen des investissements, des données en vue de l'évaluation de la qualification d'une entreprise. Dans le domaine de la sécurité de l'information, la LSI poursuit un but similaire à celui de la LEIE (ordre et sécurité publics). Elle prévoit que le service spécialisé PSE soumette à un contrôle de loyauté les entreprises qui entrent en considération pour l'exécution d'un mandat sensible confié par la Confédération (examen de la qualification des entreprises selon les art. 55 à 58 LSI). Les données recueillies par le SECO au sujet de l'influence étrangère exercée sur des entreprises qui, dans certaines circonstances, peuvent être amenées à travailler pour la Confédération, s'inscrivent dans la collecte de données effectuée par le service spécialisé PSE. Pour raccourcir la procédure, celui-ci devrait avoir accès, sur demande, aux informations réunies par le SECO. Les données personnelles sensibles au sens de la LPD et les données sensibles concernant des personnes morales selon la LOGA ne seront pas communiquées, car la LSI ne prévoit pas l'échange de telles données dans le cadre de l'examen de la qualification des entreprises.

Art. 25

Référendum et entrée en vigueur

En tant que loi fédérale, la LEIE est sujette au référendum (facultatif) selon l'art. 141, al. 1, let. a, Cst. Il est prévu que le Conseil fédéral fixe la date de l'entrée en vigueur de la loi.

6

Conséquences

Les explications qui suivent se fondent principalement sur l'AIR relative au P-LEIE qui a été réalisée, sur mandat du SECO, par BSS Volkswirtschaftliche Beratung avec le concours de la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW).

6.1

Conséquences pour la Confédération

L'instauration d'un examen des investissements engendrerait deux types de coûts pour la Confédération: des coûts uniques liés à la mise en place de l'instrument (coûts 62

RS 128

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initiaux) et des coûts permanents liés à l'exécution de la loi. Les coûts initiaux devraient représenter environ la moitié des coûts subséquents liés à l'exécution de la loi. Ces coûts seront principalement à la charge du SECO, en sa qualité de responsable de l'examen des investissements, mais aussi à la charge du SRC, qui doit être systématiquement consulté, et des unités administratives concernées.

Le montant des coûts dépendra essentiellement des modalités de l'examen des investissements. La charge de travail sera plus ou moins élevée en fonction du nombre d'acquisitions à examiner. Le financement des coûts permanents liés à l'exécution de la loi devra dans la mesure du possible être assuré par des émoluments; les charges non couvertes seront financées par les recettes fiscales générales (cf. ch. 4.2).

Coûts initiaux Le SECO devra recruter le personnel nécessaire à la réalisation de l'examen des investissements, définir concrètement le processus d'examen et les critères d'approbation, et mettre en place la coordination entre les offices impliqués dans le processus d'examen. Il se peut que cette dernière tâche génère également de faibles coûts initiaux pour les unités administratives concernées et le SRC. L'élaboration des processus pourra bénéficier de l'expérience acquise dans la mise en place de procédures similaires, notamment dans le cadre des contrôles à l'exportation.

Coûts permanents Les acquisitions visées par l'examen des investissements seront examinées par le SECO, les unités administratives concernées et le SRC.

Le SECO devra effectuer des clarifications en lien avec les critères d'approbation énoncés à l'art. 4 P-LEIE, par exemple pour déterminer quelles sont les motivations de l'investisseur et qui en est le propriétaire ultime. Dans certains cas, des informations complémentaires sur l'investisseur devront être obtenues auprès des représentations suisses à l'étranger. S'agissant d'infrastructures critiques, en particulier, il faudra analyser le marché ainsi que les produits et les services proposés par l'entreprise suisse, afin de déterminer si ceux-ci peuvent être remplacés. De son côté, le SRC sera régulièrement amené à effectuer des recherches sur l'investisseur auprès des services partenaires étrangers. Les unités administratives concernées donneront leur point de vue sur
l'acquisition, en se fondant entre autres sur les informations reçues ou obtenues par le SECO et le SRC. L'examen des investissements entraînera donc des charges de personnel non seulement pour le SECO et le SRC, mais aussi, dans une moindre mesure, pour les unités administratives concernées. Par ailleurs, l'échange d'informations entre les unités administratives concernées engendrera des frais de coordination.

Le montant des coûts permanents sera étroitement lié au nombre d'acquisitions à examiner. Sur la base d'une analyse concernant les années 2016 à 2020, l'AIR relative au P-LEIE conclut que le régime proposé devrait donner lieu à une poignée d'acquisitions à examiner par an. Il convient toutefois de relever que cette estimation doit être considérée comme une valeur indicative et non comme une prévision. Une analyse ex post n'est en effet que partiellement pertinente pour évaluer la charge de travail potentielle. De plus, la méthode utilisée pour déterminer le nombre de cas atteint ses limites en dessous de dix, raison pour laquelle la prudence est de mise à l'égard de cette estimation. Il n'est ainsi pas exclu que plus d'une dizaine de cas doivent être 62 / 72

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examinés certaines années, tout comme il est théoriquement possible qu'aucun examen ne soit nécessaire au cours d'une année. On peut en outre supposer que le nombre d'acquisitions augmentera progressivement avec la croissance de l'économie. Par ailleurs, il est important de prévoir, selon une procédure souple, suffisamment de personnel pour pouvoir examiner minutieusement les acquisitions tout en respectant les délais légaux de procédure. Compte tenu des effectifs dont disposent les autorités étrangères chargées de l'examen des investissements, chaque équivalent plein temps (EPT) pourrait, selon l'AIR, examiner environ 6 acquisitions par année.

Il convient également de prendre en considération les coûts liés à la clarification préalable quant à l'obligation de déposer une demande d'approbation (art. 5 P-LEIE): à la demande d'une personne prenant part à une acquisition, le SECO examinera, à titre indicatif, par exemple si l'investisseur doit être considéré comme étatique ou si l'entreprise suisse relève de l'un des domaines énumérés à l'art. 3, al. 1 et 2, P-LEIE.

La charge que représentera la clarification préalable est difficile à estimer. Un chiffre approximatif peut être avancé sur la base du scénario maximal calculé dans l'AIR relative au P-LEIE. Dans ce scénario, le nombre d'acquisitions à examiner chaque année, qui n'est limité que par le seuil de minimis, est estimé à quelque 280. À supposer que 10 % de ces acquisitions présente des incertitudes ou appelle une clarification du champ d'application de la LEIE, une trentaine de clarifications préalables devrait être effectuée chaque année. Comme la LEIE est une nouvelle loi, il faut par ailleurs s'attendre à un recours plus fréquent à la clarification préalable au cours des premières années.

Au total, les tâches d'exécution devraient occuper 2 EPT au SECO et entre 0,5 et 1 EPT au sein du SRC. En plus du personnel directement impliqué dans les examens des investissements, il faudra probablement prévoir un accès à des bases de données spécialisées pour obtenir les informations requises sur les entreprises et les investissements. Or les licences peuvent, selon le produit, s'élever à quelques dizaines, voire plusieurs centaines de milliers de francs.

Les recettes provenant des émoluments perçus pour la clarification préalable quant à l'obligation
de déposer une demande d'approbation et l'examen des demandes devraient représenter entre 390 000 et 430 000 francs par an selon les estimations et permettre de financer les coûts liés à l'exécution de la loi.

6.2

Conséquences pour les cantons, les communes, ainsi que pour les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne

Le projet n'a pas de conséquences particulières pour les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne. Aussi cette question n'a-t-elle pas été analysée plus avant.

En revanche, les cantons et les communes sont concernés dans la mesure où ils sont propriétaires d'entreprises actives pour la plupart dans le domaine des infrastructures critiques (p. ex. dans le secteur de l'énergie ou de l'approvisionnement en eau). Si un canton ou une commune a l'intention de céder une entreprise dont il ou elle est propriétaire et que cette opération entre dans le champ d'application de la LEIE, 63 / 72

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l'acquisition sera soumise à approbation. Dans ce cas, le canton ou la commune sera touché par les coûts de la réglementation au même titre qu'un propriétaire privé qui souhaite vendre son entreprise (la question des coûts de la réglementation est abordée au ch. 6.4).

6.3

Conséquences sur l'ordre et la sécurité publics

Selon l'AIR relative au P-LEIE, le projet devrait contribuer à préserver l'ordre et la sécurité publics. Il devrait permettre d'éviter les investissements potentiellement problématiques et de dissuader les acteurs étrangers qui cherchent à acquérir des entreprises suisses pour exercer une influence politique.

Certes, le droit en vigueur et le fait que de nombreuses entreprises exploitant des infrastructures critiques appartiennent à l'État (Confédération, cantons ou communes) garantissent déjà un niveau élevé de protection contre les menaces majeures. L'AIR relative au P-LEIE fait cependant état d'un petit nombre de domaines dans lesquels un contrôle des investissements pourrait potentiellement contribuer à la protection de l'ordre et de la sécurité publics, à savoir: les biens d'équipement militaires et les biens utilisables à des fins civiles et militaires, les services informatiques liés à la sécurité, les médicaments et les dispositifs médicaux.

L'obligation de déposer une demande d'approbation pour les acquisitions d'entreprises qui fabriquent des biens cruciaux, sous l'angle de la politique d'armement, pour la capacité d'intervention de l'armée suisse ou d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État et dont l'exportation est soumise à autorisation en vertu de la LFMG ou de la LCB revêt une importance particulière sous l'angle de la sécurité. La loi permet d'interdire les acquisitions qui compromettraient le bon fonctionnement et la capacité d'engagement et d'endurance des systèmes instaurés au sein de l'armée et d'autres institutions chargées de la sécurité de l'État.

6.4

Conséquences économiques

Cette section présente d'abord les conséquences pour les entreprises suisses, puis les conséquences pour l'économie dans son ensemble, y compris l'impact sur l'ouverture internationale de la Suisse et sur l'attrait de la place économique suisse.

Le projet a également des répercussions sur les investisseurs étrangers qui doivent obtenir l'approbation d'une acquisition. Ces effets ne sont pas traités spécifiquement, étant donné qu'ils se produisent non pas en Suisse, mais à l'étranger. Cependant, tout ou partie des coûts qu'ils induisent sont indirectement supportés par l'entreprise suisse, car les coûts totaux d'une transaction sont répartis entre l'acheteur et le vendeur en fonction du pouvoir de négociation et intégrés dans le prix de vente.

Conséquences pour les entreprises suisses Il ressort de l'AIR relative au P-LEIE que le projet aurait principalement pour effet d'augmenter les incertitudes juridiques pour les entreprises suisses concernées et de diminuer la valeur de celles-ci en cas de vente.

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Les incertitudes juridiques proviennent essentiellement du fait que les unités administratives participant à la procédure, et le Conseil fédéral en dernier ressort, disposent d'un certain pouvoir d'appréciation dans l'évaluation d'une acquisition. Il sera donc plus difficile pour une entreprise d'estimer à l'avance si une acquisition soumise à approbation sera approuvée ou non.

Les risques en matière de conformité (compliance) entraînent également des incertitudes juridiques. Il se peut par exemple qu'un investisseur étranger ait des difficultés à déterminer si l'acquisition qu'il projette est soumise à approbation ou non. Or il s'expose à des mesures et sanctions administratives s'il omet de déposer une demande pour une acquisition soumise à approbation (cf. commentaire des art. 19, 20 et 21 P-LEIE au ch. 5). Ces incertitudes juridiques entravent le marché des acquisitions d'entreprises.

En outre, dans le cas d'acquisitions soumises à approbation, l'examen des investissements prolonge d'un à quatre mois le délai entre la conclusion du contrat de vente et la réalisation de l'acquisition. Plus ce délai est long, plus les incertitudes sont grandes, tant pour l'acheteur que pour le vendeur, car une entreprise est considérée comme techniquement vendue dès la conclusion du contrat de vente, alors que l'acheteur ne prend le plein pouvoir de l'entreprise qu'une fois la vente réalisée.

L'obligation de soumettre une acquisition à l'examen des investissements a en outre un impact négatif sur la valeur de l'entreprise suisse. En règle générale, un vendeur cherche à faire jouer la concurrence entre les acheteurs potentiels. Plus cette concurrence est vive, plus le prix de vente sera élevé. Or, si l'examen des investissements a pour effet de réduire le nombre de personnes intéressées, la concurrence entre les acheteurs potentiels en sera affectée.

Si l'acquisition est interdite ou si un investisseur étranger se retire pendant la procédure d'approbation, d'autres effets négatifs sont à escompter. D'abord, la valeur de l'entreprise suisse risque de diminuer fortement. Ensuite, il faut s'attendre à des coûts d'opportunité: une acquisition présente généralement des avantages économiques en raison des synergies entre l'acheteur et l'entreprise cible, avantages qui, dans ce contexte, ne se matérialiseraient
pas. Enfin, l'entreprise suisse devra assumer l'intégralité des frais inhérents au processus de vente.

À cela s'ajoutent les coûts directs de procédure et de conseil liés aux acquisitions soumises à l'examen des investissements. Selon l'AIR relative au P-LEIE, ces coûts seront négligeables lors de l'acquisition de grandes entreprises, d'autant que ces opérations sont en règle générale encadrées par des conseillers spécialisés. Dans le cas de l'acquisition de petites entreprises, par contre, ces coûts risquent d'avoir un impact plus important en termes relatifs. L'étude part toutefois du principe que les frais de conseil supplémentaires occasionnés par l'examen des investissements ne seront pas un facteur déterminant dans la décision des entreprises concernées de procéder ou non à une transaction. Si les prestations de conseil pour une acquisition donnée sont fournies par des consultants suisses, les coûts directs qui en découlent équivaudront aux recettes de ces derniers.

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Conséquences économiques globales L'instauration d'un examen des investissements réduirait le degré d'ouverture du marché suisse à la concurrence internationale et diminuerait l'attrait de la Suisse pour les entreprises et les investisseurs. Le fait que certains investissements étrangers dans des entreprises suisses puissent être retardés ou empêchés pourrait avoir un effet négatif sur la volonté des investisseurs, tant suisses qu'étrangers, d'investir dans des entreprises suisses. Il faut également s'attendre à ce qu'un investisseur hésite à créer une nouvelle filiale en Suisse (greenfield investment), si la vente future de celle-ci risque d'être soumise à l'examen des investissements. Toutes choses égales par ailleurs, il pourrait en résulter une diminution du volume des investissements (étrangers) dans notre pays.

Si l'examen des investissements est mis en place, la Suisse profitera dans une mesure moindre des avantages découlant des investissements étrangers63. Les investissements étrangers contribuent notamment à l'augmentation du stock de capital d'une économie et conduisent au déploiement de nouvelles technologies ainsi qu'à des innovations en matière de produits et de processus. En outre, tant les investissements nationaux à l'étranger que les investissements étrangers dans un pays favorisent l'intégration des entreprises dans les chaînes de valeur mondiales. La capacité d'innovation des entreprises suisses et la concurrence pourraient par conséquent s'en trouver affaiblies, et le marché du travail en ferait aussi les frais. En définitive, tous ces éléments influent sur la prospérité future de la population, qui devrait donc être affectée négativement par l'introduction d'un examen des investissements. Cela étant, comme le champ d'application du P-LEIE est plus limité que celui de l'AP-LEIE (cf. ch. 1.2.2), les conséquences négatives pour l'économie dans son ensemble devraient être d'une ampleur nettement inférieure.

Certes, de nombreux pays de l'OCDE disposent déjà d'un mécanisme d'examen des investissements ou oeuvrent à la mise en place d'un tel instrument. Cependant, la Suisse perdrait un avantage concurrentiel par rapport aux États qui procèdent à un examen des investissements.

L'interdiction d'acquisitions qui menaceraient ou compromettraient l'ordre ou la sécurité publics de la
Suisse est toutefois susceptible d'avoir un effet positif sur les autres entreprises. L'examen des investissements peut par exemple contribuer à assurer l'approvisionnement continu d'intrants importants qui sont impossibles à remplacer dans un délai raisonnable.

Ce sont surtout les acquisitions par des investisseurs contrôlés par un État étranger qui suscitent de grandes réserves dans le débat public. Ainsi, un mécanisme ciblé d'examen des investissements pourrait contribuer à garantir durablement le soutien de la population à l'ouverture de la Suisse aux investissements étrangers. Par ailleurs, un niveau élevé de protection de l'ordre et de la sécurité publics est un facteur déterminant de l'attrait d'un pays pour les entreprises et les investisseurs. Un mécanisme d'examen des investissements pourrait donc indirectement augmenter l'attrait de la place économique.

63

Des explications plus détaillées figurent dans le chap. 2 du rapport Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements.

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6.5

Conséquences sanitaires et sociales

La sécurité de la population suisse augmenterait si les acquisitions qui menacent ou compromettent l'ordre ou la sécurité publics étaient interdites. L'examen des investissements peut donc présenter un avantage direct en termes de sécurité pour l'État et la société (cf. ch. 6.3).

Le projet n'a pas d'impact spécifique sur des groupes sociaux particuliers ou sur d'autres aspects sociétaux tels que la culture, l'égalité ou la solidarité entre les générations.

Aussi ces questions n'ont-elles pas été analysées plus avant.

6.6

Conséquences environnementales

Le projet n'a pas de conséquences particulières sur l'environnement. Aussi cette question n'a-t-elle pas été analysée plus avant.

6.7

Autres conséquences

Il n'est pas exclu que l'interdiction de certaines acquisitions puisse avoir des répercussions sur la politique étrangère. L'interdiction d'une acquisition peut en effet donner lieu à des mésententes avec l'État d'origine de l'investisseur. On ne peut pas non plus totalement exclure qu'un État prenne des mesures de rétorsion à l'encontre des entreprises suisses si un investisseur de l'État en question se voit interdire l'acquisition d'une entreprise suisse.

Toutefois, deux facteurs donnent à penser que de tels cas de figure sont peu probables.

Premièrement, environ 80 % des pays de l'OCDE appliquent aujourd'hui un examen intersectoriel des investissements. Beaucoup de grands pays émergents ont également mis en place un mécanisme d'examen des investissements. Il s'agit donc d'un instrument répandu, que de nombreux États utilisent déjà. Deuxièmement, les modalités de l'examen des investissements sont compatibles avec les engagements de la Suisse en matière de droit international (cf. ch. 7.2).

7

Aspects juridiques

7.1

Constitutionnalité

L'art. 27 Cst. consacre le droit fondamental de la liberté économique (garantie individuelle). En vertu de l'art. 94, al. 1, Cst., la Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté économique (garantie institutionnelle), qui englobe la liberté d'investissement, y compris celle des personnes morales étrangères.

Compte tenu de la complexité et de la nature intersectorielle de l'examen des investissements, il semble nécessaire de fonder la LEIE sur différentes normes constitutionnelles. Les art. 95 et 101 Cst. sont pertinents à cet égard.

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L'ordre et la sécurité publics constituent des motifs légitimes de restriction de la liberté économique. Il faudra néanmoins motiver, pour chaque cas, l'impact d'une prise de contrôle d'une entreprise suisse par une personne physique ou morale étrangère sur l'ordre et la sécurité publics et fonder la restriction prévue sur l'intérêt public de manière proportionnée au but visé. Toute restriction de la liberté économique doit satisfaire aux conditions énoncées à l'art. 36 Cst. (restriction des droits fondamentaux).

L'examen des investissements ne peut restreindre la liberté économique au-delà de ce que commande la protection de l'ordre et de la sécurité publics. Prévoir des charges ou des conditions appropriées peut, dans ce contexte, se révéler un moyen adéquat pour garantir le respect de la proportionnalité dans chaque cas.

En vertu de l'art. 95 Cst., la Confédération peut réglementer les activités économiques privées. Nombre de lois fédérales reposent déjà sur cet article, dont l'al. 1 confère à la Confédération une compétence globale. S'agissant de l'exercice d'une activité économique lucrative relevant du droit privé, la Confédération peut assujettir tous les aspects et étapes de cette activité à une réglementation. Les activités économiques privées visées à l'art. 95, al. 1, Cst. et l'activité économique lucrative privée visée à l'art. 27 Cst. recouvrent la même réalité. Ce dernier permet notamment de régler les conditions d'accès au marché suisse. Toute mesure prise par le législateur doit toutefois respecter le principe de la liberté économique prévu par les art. 27 et 94 Cst. Le législateur peut édicter des mesures dérogeant à ce principe uniquement si elles reposent sur une base constitutionnelle spécifique (art. 94, al. 4, Cst.).

L'art. 101 Cst. régit la compétence de la Confédération en matière de politique économique extérieure. L'al. 1 dispose que la Confédération veille à la sauvegarde des intérêts de l'économie suisse à l'étranger et l'al. 2 qu'elle peut prendre des mesures afin de protéger l'économie suisse et, au besoin, déroger au principe de la liberté économique. L'examen des investissements doit être conforme au mandat selon lequel la Confédération doit oeuvrer à ouvrir des marchés étrangers pour les entreprises suisses (art. 101, al. 1, Cst.). Pour ce faire, il doit en outre se limiter aux domaines particulièrement critiques et aux investisseurs présentant des risques potentiels pour l'ordre et la sécurité publics.

7.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

L'art. 5, al. 4, Cst. dispose que la Confédération et les cantons doivent respecter le droit international. Un régime d'examen des investissements doit donc être conçu de sorte à respecter les engagements internationaux de la Suisse.

La Suisse a pris des engagements relatifs aux investissements (notamment la nondiscrimination par rapport aux investisseurs domestiques) dans l'AGCS et les ALE conclus avec des États tiers. Elle en a aussi pris dans les accords bilatéraux avec l'UE pertinents en la matière, à savoir l'ALCP et l'accord sur le transport aérien, ainsi que dans la Convention AELE et les règlements de l'OCDE (codes de l'OCDE de la libération). Or l'examen d'un investissement peut restreindre la possibilité d'un investisseur étranger de réaliser un investissement ou retarder l'opération et ainsi ent-

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raîner une discrimination à l'encontre d'investisseurs d'une partie contractante ou enfreindre les obligations de la Suisse en matière d'accès au marché.

Les accords et réglementations susmentionnés contiennent toutefois des dispositions dérogatoires visant la sauvegarde de l'ordre public et des intérêts essentiels de la sécurité (art. XIV et XIV bis AGCS; dispositions correspondantes dans les ALE; art. 27, par. 2, de la Convention AELE; annexe I, art. 5, ALCP et annexe K appendice 1, art. 5, de la Convention AELE; art. 7 de l'accord sur le transport aérien et annexe Q, art. 5, par. 2, de la Convention AELE) pouvant, sous certaines conditions, motiver des mesures dérogeant aux obligations de droit international. Les notions d'ordre public et de sécurité publique doivent être définies de sorte à être conformes aux obligations internationales pertinentes de la Suisse (cf. rapport Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements). Elles englobent par conséquent l'exercice des fonctions essentielles de l'État et la protection des valeurs fondamentales de la société.

L'exception prévue par l'AGCS concernant l'ordre public ne peut être invoquée que dans les cas où une menace véritable et suffisamment grave pèse sur l'un des intérêts fondamentaux de la société (art. XIV a) AGCS). La mesure doit en outre être nécessaire ­ des mesures moins draconiennes n'auraient pas suffi à atteindre l'objectif recherché ­ et ne pas être appliquée de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre pays où règnent des conditions similaires, soit une restriction déguisée. L'exception concernant la sécurité prévue à l'art. XIV bis, par. 1 b), AGCS dispose que les membres de l'OMC peuvent prendre des mesures qu'ils estimeront nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité se rapportant notamment à des services destinés directement ou indirectement à assurer l'approvisionnement des forces armées. Cette exception est pertinente pour les acquisitions qui touchent à l'approvisionnement militaire. Le règlement (UE) 2019/452 renvoie lui aussi à ces dispositions dérogatoires. Les autres accords prévoient des exceptions générales au libellé similaire (renvoi à l'ordre et à la sécurité publics).

Le P-LEIE a été rédigé de sorte à être compatible avec les
obligations internationales de la Suisse et justifiable sur la base des dispositions dérogatoires.

Selon les Lignes directrices de l'OCDE sur les politiques d'investissement des pays d'accueil relatives à la sécurité nationale64, que la Suisse s'est engagée à respecter en tant que membre de l'OCDE, un examen des investissements devrait en outre respecter les principes de non-discrimination, de transparence des politiques, de prévisibilité des résultats, de proportionnalité des mesures et de responsabilité des autorités chargées de leur mise en oeuvre.

7.3

Forme de l'acte à adopter

Toute restriction d'un droit fondamental comme la garantie de la propriété ou la liberté économique doit être fondée sur une base légale (art. 36, al. 1, Cst.). Une analyse suc64

Cf. OCDE (2009), Lignes directrices sur les politiques d'investissement des pays d'accueil relatives à la sécurité nationale, disponible sur www.ocde.org > Topics > Investment > Investment policy > Investment policies related to national security and public order.

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cincte de la législation fédérale visant à déterminer où inscrire l'examen des investissements a révélé qu'aucune loi en vigueur ne s'y prête sans révision totale, raison pour laquelle une nouvelle loi distincte doit être édictée. Cette approche est confortée par la complexité de la matière, qui appelle une réglementation détaillée.

7.4

Frein aux dépenses

Le projet ne prévoit pas de nouvelles dispositions relatives aux subventions (entraînant des dépenses supérieures à l'une des valeurs seuils) ni de nouveaux crédits d'engagement ou plafonds de dépenses (liés à des dépenses supérieures à l'une des valeurs seuils).

7.5

Conformité aux principes de subsidiarité et d'équivalence fiscale

Le P-LEIE est conforme au principe de subsidiarité. Il concerne uniquement le domaine de compétence de la Confédération et porte sur une tâche qui appelle une réglementation uniforme de sa part. Il n'affecte pas le domaine de compétence des cantons.

Le principe d'équivalence fiscale est également respecté.

7.6

Délégation de compétences législatives

L'art. 22, al. 1, P-LEIE dispose que le Conseil fédéral édicte les dispositions d'exécution de la loi.

L'art. 3, al. 3, P-LEIE donne au Conseil fédéral la compétence de soumettre à approbation d'autres catégories d'entreprises suisses pour une durée maximale de douze mois. Dans ce contexte, le Conseil fédéral pourra également fixer un seuil de chiffre d'affaires ou abaisser un seuil existant. Cette compétence est limitée à des situations exceptionnelles dans lesquelles il est urgent de soumettre à approbation l'acquisition de certaines entreprises afin de préserver l'ordre et la sécurité publics. Le délai pourra être prolongé une fois, de douze mois au maximum.

En application de l'art. 3, al. 4, P-LEIE, les critères à respecter pour exempter des États de l'approbation obligatoire devront être définis dans une ordonnance, en tenant compte des obligations de la Suisse en vertu du droit international. Seuls peuvent être exemptés les États avec lesquels il existe une coopération suffisante pour éviter que l'ordre et la sécurité publics ne soient menacés ou compromis.

Conformément à l'art. 6, al. 2, P-LEIE, il faudra définir les documents que l'investisseur étranger devra remettre au SECO avec la demande d'acquisition.

L'art. 11 P-LEIE donne au Conseil fédéral la possibilité d'approuver directement une acquisition soumise à approbation, si la protection de l'ordre ou de la sécurité publics l'exige.

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L'art. 17, al. 4, P-LEIE délègue au Conseil fédéral la compétence de conclure des traités internationaux de collaboration avec des autorités étrangères concernant l'examen des investissements.

Enfin, en vertu de l'art. 25, al. 2, P-LEIE, le Conseil fédéral fixe la date de l'entrée en vigueur de la loi.

7.7

Protection des données et principe de transparence

Le P-LEIE permet de traiter, de collecter et de communiquer des données personnelles à des fins spécifiques (cf. explications au ch. 5).

Les exceptions prévues par la LTrans garantissent déjà une protection complète des décisions administratives et politiques (art. 8, al. 2, LTrans), de l'exécution de mesures concrètes prises par une autorité conformément à ses objectifs (art. 7, al. 1, let. b, LTrans), des intérêts de la politique économique de la Suisse (art. 7, al. 1, let. f, LTrans) et des intérêts privés des acteurs concernés, en particulier du secret d'affaires (art. 7, al. 1, let. g, LTrans) et des données personnelles (art. 7, al. 2, et art. 9 LTrans).

Les informations mises par le SRC à la disposition du SECO aux fins de l'examen des investissements sont exclues du principe de transparence en vertu de l'art. 67 LRens et ne sont donc pas accessibles au public.

L'art. 22, al. 2, P-LEIE prévoit que le SECO publie régulièrement un rapport d'activité présentant les informations sous forme agrégée, notamment sur d'éventuelles décisions de première instance relatives à des sanctions administratives. L'art. 23, al. 2, P-LEIE dispose quant à lui que la nécessité, l'efficacité, l'adéquation et l'économicité de la LEIE devront faire l'objet d'une évaluation au plus tard dix ans après l'entrée en vigueur de la loi.

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