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17.523 Initiative parlementaire Autoriser le double nom en cas de mariage Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 17 novembre 2023 Avis du Conseil fédéral du 24 janvier 2024

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement, nous nous prononçons comme suit sur le rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 17 novembre 20231 concernant l'initiative parlementaire 17.523 «Autoriser le double nom en cas de mariage».

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

24 janvier 2024

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Viola Amherd Le chancelier de la Confédération, Viktor Rossi

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Avis 1

Contexte

Le 15 décembre 2017, l'ancien conseiller national Luzi Stamm a déposé l'initiative parlementaire 17.523, dont la teneur est la suivante: «La loi doit être modifiée pour permettre aux personnes qui se marient de porter un double nom.» Le 14 janvier 2019, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a décidé de donner suite à l'initiative parlementaire. La Commission des affaires juridiques du Conseil des États a approuvé le 11 février 2020 la décision de son homologue.

Par la suite, la CAJ-N a rédigé un avant-projet et l'a envoyé en consultation le 20 mai 2022. Le 27 octobre 2023, elle a adopté le texte retravaillé par une sous-commission spécialement instituée, puis a adopté le rapport explicatif le 17 novembre 2023. Les deux ont été transmis au Conseil fédéral par courrier du 22 novembre 2023. Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement2, le Conseil fédéral a jusqu'au 1er février 2024 pour rendre son avis.

Après la publication du projet de la CAJ-N, la Conférence des autorités cantonales de surveillance de l'état civil (CEC) ainsi que l'Association suisse des officiers de l'état civil (ASOEC) se sont prononcées par écrit auprès de l'Office fédéral de l'état civil (OFEC) sur la praticabilité de la réforme.

2

Avis du Conseil fédéral

2.1

Précédents avis sur le droit du nom

Ces dernières années, le Conseil fédéral ne s'est exprimé que de manière très générale sur le droit du nom. Lors de la dernière grande réforme, en 2008, il s'est limité à soutenir l'immutabilité du nom et du droit cité communal et cantonal des époux3, tout en considérant que ce principe garantissait l'égalité entre hommes et femmes4 et en ajoutant qu'il partageait l'avis «selon lequel il ne faut rien changer à la longue coutume permettant de porter un nom d'alliance. Une transposition de la coutume dans la loi ne paraît ni utile, ni souhaitable5.» Dans son avis du 20 novembre 2013 sur la motion 13.3842 Caroni du 26 septembre 2013 «Faire en sorte que les concubins puissent porter un nom de famille commun», qui voulait permettre aux concubins ayant des enfants communs de porter un nom de famille commun, le Conseil fédéral affirmait que: «la tendance va dans le sens d'un 2 3 4 5

RS 171.10 03.428 Initiative parlementaire. Nom et droit de cité des époux. Égalité ­ Avis du Conseil fédéral du 12 décembre 2008 sur le rapport de la CAJ-N du 22 août 2008, FF 2009 389 ss.

FF 2009 389, 390 FF 2009 389, 390

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port du nom individuel et donc se distancie d'un nom de famille commun. Le besoin de définir l'unité de la famille par le biais d'un nom de famille commun n'est plus aussi important. Le législateur a ainsi délibérément voulu une solution nouvelle et moderne. Elle semble faire ses preuves, ceci pour autant qu'une évaluation puisse être faite après moins d'un an d'application6.» Enfin, le Conseil fédéral s'est prononcé comme suit dans son rapport de mars 2015 sur la modernisation du droit de la famille7: «Le Conseil fédéral est d'avis qu'il serait prématuré de remettre sur le métier une modification du droit du nom. C'est un domaine dans lequel la continuité est particulièrement importante: non seulement la permanence des noms eux-mêmes, mais surtout la constance des normes générales et abstraites qui les déterminent. En pratique, l'influence des coutumes sociales est très grande. D'expérience, il faut du temps pour que les habitudes changent suite à de nouvelles règles. Il est d'autant moins avisé de réviser le nouveau droit si peu de temps après son entrée en vigueur que rien n'indique que des intérêts individuels ou publics soient gravement lésés. Le Conseil fédéral estime qu'il n'est pas nécessaire pour l'heure de prendre des mesures législatives.» Ces avis ont tous été exprimés il y a plusieurs années. La société a évolué depuis, et avec elle le débat sur le droit du nom s'est transformé. Le Conseil fédéral saisit donc l'opportunité de la présente pour révision pour s'exprimer plus en détail sur sa vision d'un droit du nom moderne en Suisse.

2.2

Objet

Le droit du nom recoupe aujourd'hui différents domaines. Les dispositions essentielles en la matière sont celles qui déterminent quels prénoms et noms donner à un nouveau-né et qui définissent les événements pouvant mener plus tard à un changement du nom attribué à la naissance (mariage, divorce, décès d'un époux, adoption, réattribution de l'autorité parentale, modification du sexe enregistré à l'état civil). En d'autres termes, ces dispositions fixent les conditions du changement ordinaire de prénom ou de nom8.

La révision prévue ne concerne qu'une partie du droit du nom, à savoir les dispositions relatives au nom des époux et au nom des enfants de parents mariés et non mariés.

Les considérations qui suivent se limitent donc à ces questions centrales.

Par ailleurs, la CAJ-N a constaté que le droit et la pratique concernant le changement de nom prévu par l'art. 30 du code civil (CC)9 gagneraient à faire l'objet d'une ré-

6 7

8 9

La motion et l'avis du Conseil fédéral sont disponibles sur: www.parlament.ch > Travail parlementaire > Recherche Curia Vista > 13.3842.

Modernisation du droit de la famille. Rapport du Conseil fédéral suite au postulat Fehr (12.3607), mars 2015, ch. 4.6, disponible sur www.ofj.admin.ch > Publications & services > Rapports, avis de droit et décisions > Rapports et avis de droit > Modernisation du droit de la famille.

Le présent avis n'aborde que le droit interne et non pas la question du traitement des noms formés selon une législation étrangère.

RS 210

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forme et elle a chargé le Conseil fédéral d'intervenir10. Celui-ci soumettra donc a priori cette année un projet distinct de modernisation du changement de nom, qui fera également l'objet d'une procédure de consultation.

2.3

Pour un droit du nom moderne

Pour déterminer la teneur du futur droit du nom, le Conseil fédéral juge que les aspects suivants sont significatifs.

2.3.1

Évolution de la société et nouveaux besoins

La famille en tant que construction sociale traverse une période de changements profonds depuis plusieurs décennies. Le choix du mode de vie l'illustre parfaitement: lors de la rédaction du code civil il y a plus d'un siècle, la famille traditionnelle, composée de deux époux de sexe différent mariés à vie, élevant ensemble leurs enfants et portant le même nom de famille, était à la fois un modèle social et le fil directeur des normes édictées par le législateur. Outre cette famille traditionnelle, il existe aujourd'hui une multitude d'autres modèles familiaux sous des formes très diverses.

La transformation de la réalité sociale a des répercussions immédiates sur la loi: le CC accorde certes toujours une place centrale au mariage, mais il reconnaît désormais l'existence d'autres modes de vie et d'autres formes de familles11. Ces derniers temps, le Parlement a montré à plusieurs reprises qu'il prend au sérieux l'évolution de la société et les nouveaux besoins qui en résultent. Il a ainsi rendu possible l'adoption de l'enfant du conjoint ou du partenaire pour les couples non mariés ou homosexuels12 et ouvert le mariage à tous13.

La révision du droit du nom de 2013 a elle aussi entériné des évolutions et de nouveaux besoins: tandis que les couples traditionnels restent libres d'adopter un nom de famille commun et de le transmettre à leurs enfants, les époux peuvent depuis aussi garder leurs noms respectifs et choisir comment nommer leurs enfants communs. La fin de l'obligation de porter un seul nom a été un grand pas sur le chemin de la libéralisation du droit du nom, qui accorde désormais davantage de poids à l'autodétermination et au maintien de l'identité personnelle.

Le droit en vigueur fixe toutefois diverses restrictions au choix du nom. Celles-ci sont de plus en plus souvent considérées comme problématiques, car elles ne tiennent pas compte des besoins d'un grand nombre de personnes. La présente révision a expressément pour objectif «de mieux tenir compte des divers besoins de la population» à

10 11 12 13

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 14.

Sur l'ensemble, voir «Modernisation du droit de la famille», Rapport du Conseil fédéral suite au postulat Fehr (12.3607), mars 2015, ch. 2.1.1. s.

Art. 264c CC, introduit par le ch. I de la loi fédérale du 17 juin 2016 (droit de l'adoption), en vigueur depuis le 1er janvier 2018 (RO 2017 3699).

Art. 94 CC, nouvelle teneur selon le ch. I de la loi fédérale du 18 décembre 2020 (mariage pour tous), en vigueur depuis le 1er juillet 2022 (RO 2021 747).

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l'égard du nom14. L'élément central est le souhait exprimé par tant de personnes d'exprimer par le nom le lien qui les unit à leur conjoint sans pour autant renoncer à leur propre identité. Le principe formulé à l'art. 160, al. 1, CC, selon lequel chacun des époux conserve son nom, ne suffit toutefois pas à réaliser ce souhait. De même, la possibilité prévue à l'al. 2, à savoir prendre le nom de l'autre époux, ne crée aucun lien entre les deux noms: au contraire, elle oblige l'un des époux à renoncer à son nom au profit d'un nom de famille commun. L'enjeu de la dernière révision était le renforcement du principe de l'immutabilité du nom de naissance, qui s'est fait aux dépens du principe de l'unité du nom de famille. La popularité du double nom prévu par l'ancien droit et la large diffusion du nom d'alliance révèlent toutefois que le besoin d'exprimer par le nom l'appartenance à la famille nucléaire est toujours fermement ancré au sein de la population15. L'introduction d'un double nom serait donc un compromis judicieux qui permettrait de respecter les deux principes que sont l'immutabilité du nom de naissance et l'unité du nom de famille16.

Il en va de même du nom des enfants: les parents se voient aujourd'hui souvent obligés de choisir lequel d'entre eux donnera son nom aux enfants et pourra ainsi exprimer le lien de filiation. Le double nom donnerait aux deux époux la possibilité de le faire17.

Dans le cas présent, il convient de supposer que le double nom n'est nécessaire que pour rendre visible le lien entre les époux, aussi semble-t-il pertinent de limiter le choix de noms possibles à ceux portés jusqu'alors par les époux et aux combinaisons de ces deux noms. Le même raisonnement vaut pour le nom des enfants. Pour le cas (rare) où un couple veut porter un nom entièrement nouveau et présente à cette fin des motifs légitimes, on renverra à la disposition sur le changement de nom ordinaire (art. 30, al. 1, CC).

2.3.2

Importance du nom pour la personnalité

Un autre aspect primordial à prendre en compte est le lien étroit entre nom et personnalité: le nom d'un individu définit son identité et montre son appartenance à une famille ou sa relation avec certaines personnes, par exemple avec son conjoint, ses enfants, ou encore d'autres membres de la famille18. En tant qu'expression du droit général de la personnalité, le nom bénéficie donc de la protection de la liberté personnelle garantie par l'art. 10, al. 2, de la Constitution (Cst.)19.

La législation tient compte de cette protection à plusieurs égards, notamment en reconnaissant le droit de conserver son nom lors du mariage (art. 160, al. 1, CC) et en faisant du nom une composante de la personnalité protégée contre les atteintes de tiers (voir en particulier les art. 27 et 30, al. 3, CC). Au reste, il ressort de la nature du nom, relevant de la personnalité, un droit de changer de nom s'il existe pour cela des motifs légitimes (art. 30, al. 1, CC).

14 15 16 17 18 19

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 2, voir aussi p. 14.

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 13.

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 13.

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 13.

ATF 126 III 1, consid. 3a, p. 2; rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 14.

RS 101

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Le législateur doit tenir compte de la signification du nom eu égard au droit de la personnalité: si des besoins sont avérés, ils doivent être pris en compte dans la mesure où ils ne portent pas atteinte aux intérêts de la collectivité ou de tiers.

2.3.3

Égalité entre homme et femme

Le premier objectif de la révision du droit du nom de 2013 était la mise en oeuvre du principe de l'égalité entre homme et femme (art. 8, al. 3, Cst.)20 en rédigeant une norme qui ne fasse plus expressément référence au sexe. Jusqu'au 1er janvier 2013, le droit matrimonial prévoyait que «le nom de famille des époux est le nom du mari.» (art. 160, al. 1, aCC). En modifiant cette disposition, le législateur a réitéré que le nom unique pour les époux n'était pas compatible avec l'égalité des sexes: «Toute réglementation qui contraint l'un des époux à renoncer à son nom est contraire au principe de l'égalité entre homme et femme21.» L'expérience a depuis montré que même en mettant formellement les époux sur un pied d'égalité, la nouvelle norme n'a pas permis d'effacer les inégalités de traitement.

Au contraire, les femmes subissent encore une pression sociale pour reprendre le nom de célibataire de leur époux comme nom de famille22, notamment parce que c'est le seul moyen pour la mère d'établir par son nom un lien avec les enfants communs si son mari ne veut pas changer le sien23. De ce point de vue, la révision de 2013 a manqué son objectif, quand bien même elle a juridiquement mis les époux à égalité24.

2.3.4

Simplicité du droit du nom

Le droit du nom est un pilier du droit de la personnalité. Il concerne chaque individu sa vie durant. Il fait partie intégrante de l'ordre social et il est ancré dans la conscience de chacun. La réglementation en la matière se doit donc d'être compréhensible et simple à expliquer25 tout en faisant l'objet d'aussi peu de révisions que possible.

Pourtant, il est déjà difficile pour le grand public de connaître et de comprendre les préceptes du droit du nom en vigueur et de ses moutures passées. Puisque les révisions ne valent que pour l'avenir et que les règles passées survivent par l'entremise des noms existants, chaque réforme accroît la complexité de la matière. Il convient donc de ne réviser le droit du nom qu'avec parcimonie. Et lorsqu'il est nécessaire de légiférer, comme c'est le cas aujourd'hui26, il convient de rédiger des dispositions aussi

20 21 22 23 24

25 26

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 9 et 13 s.

Rapport CAJ-N du 22 août 2008, FF 2009 365, 373.

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 13.

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 13: voir sur l'ensemble Fleur WEIBEL, Kein gemeinsamer Name mehr?, FamPra.ch 2018, p. 965 ss et 975 s.

L'ouverture du mariage aux couples homosexuels en 2022 a encore exacerbé la problématique: l'enjeu est aujourd'hui l'égalité entre tous les époux, que le droit en vigueur ne permet pas d'atteindre.

Voir à ce propos l'avis de la CEC à l'OFEC du 11 décembre 2023, p. 1.

Voir le ch. 2.4.

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simples que possible, tout en gardant à l'esprit qu'une révision jugée insatisfaisante aboutit invariablement à de nouveaux efforts de modification.

2.3.5

Intérêt public et intérêts de tiers

Une révision du droit du nom doit enfin tenir compte de l'intérêt public et des éventuels intérêts de tiers, qui pourraient s'y opposer entièrement ou en partie. Les aspects suivants sont à retenir: ­

La fonction traditionnelle du droit du nom consistait à individualiser et à identifier le porteur du nom. L'immutabilité du nom de naissance27, réinvoquée lors de la révision de 2013, n'a d'ailleurs toujours rien d'immuable28: chaque année, des milliers de personnes changent de nom, que ce soit du fait d'un mariage (art. 160, al. 2, CC), d'un divorce (art. 119 CC), du décès du conjoint (art. 30a CC), d'un changement de sexe à l'état civil (art. 30b CC) ou par une procédure ordinaire de changement de nom (art. 30, al. 1, CC). Avant l'entrée en vigueur de la révision de 2013, le principe qui valait pour les époux n'était même pas l'immutabilité du nom de naissance, mais l'unité du nom de famille.

Comme indiqué plus haut, la pratique montre que ce principe exerce encore aujourd'hui une forte influence sur le choix du nom des époux.

Ajoutons que l'intérêt public à l'identification des personnes ne passe aujourd'hui pratiquement plus par le nom, qui ne permet guère d'identification sans équivoque. Les homonymes et noms quasi identiques sont légion et nombre de personnes changent de nom. L'identification, en particulier dans les démarches avec les autorités, se fait bien plus à l'aide d'instruments comme le numéro AVS, aujourd'hui employé dans divers registres officiels.

Celui-ci permet d'identifier toute personne simplement et sans équivoque, même après un déménagement ou un changement de nom (ce dernier cas faisant impérativement l'objet d'une inscription au registre central informatisé de l'état civil, Infostar). L'appariement des données avec le numéro AVS permet d'adapter le nom automatiquement dans d'autres registres. De la sorte, une entrée dans le casier judiciaire demeure attribuée à la bonne personne même après un changement de nom. Il en va de même pour nombre d'autres registres, comme la base de données UPI29 de la Centrale de compensation et les registres cantonaux des habitants. Sachant cela, l'intérêt public à l'identification par le nom ne s'oppose aucunement aux changements de nom ni à une extension des possibilités de choix de nom lors du mariage.

27 28 29

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 9; rapport CAJ-N du 22 août 2008, FF 2009 365 s. et 373.

Sur l'ensemble, voir Margareta BADDELEY, Le droit du nom suisse: état des lieux et plaidoyer pour un droit libéré, FamPra.ch 2020, p. 620.

La base de données UPI (Unique Person Identification) de la Centrale de compensation génère un numéro AVS pour chaque personne physique qui permet de l'identifier de manière administrative, de gérer son dossier dans le registre central des assurés des assurances sociales de la Confédération et de communiquer le numéro AVS en dehors du domaine de l'AVS.

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­

Il n'existe pas non plus d'intérêt public à ce qu'une certaine relation familiale (mariage, filiation) soit manifestée par le nom. Au contraire, chacun doit être libre de décider s'il souhaite ou non exprimer publiquement par son nom une telle relation.

­

Le bien de l'enfant30 joue lui aussi un rôle primordial dans le droit du nom, car il doit être garanti lors de l'attribution du nom. Le droit en vigueur contient plusieurs garde-fous: selon l'art. 37c, al. 3, de l'ordonnance du 28 avril 2004 sur l'état civil31, l'officier de l'état civil refuse les prénoms manifestement préjudiciables aux intérêts de l'enfant. Dans les cas où une modification ultérieure du nom entre en ligne de compte, l'art. 270b CC requiert le consentement de l'enfant âgé de 12 ans révolus. Dans des cas exceptionnels, le changement de nom prévu par l'art. 30, al. 1, CC peut également servir à garantir le bien de l'enfant.

Le projet de permettre de donner à l'enfant un double nom formé des noms de ses parents ne contrevient pas à ses intérêts. S'il entend changer son nom ultérieurement, dès 12 ans, il peut effectuer seul une demande de changement de nom conformément à l'art. 30, al. 1, CC. Si ses parents se marient après son douzième anniversaire, il peut refuser le double nom.

30 31

­

Tout acte juridique, y compris le choix du nom, est soumis à la réserve de l'abus de droit (art. 2, al. 2, CC). Un nom n'est pas admissible s'il a pour but de tromper autrui, s'il est contraire aux moeurs ou s'il apparaît abusif d'une autre manière. La présente révision n'entre pas en conflit avec ces principes: il n'y a pas à craindre qu'une plus grande liberté dans le choix du nom des époux ou des enfants ne facilite les abus ni les noms contraires aux moeurs, puisque les choix se cantonneront aux noms existants des époux ou des parents.

­

Enfin, le droit du nom, ou plutôt le droit de choisir son nom, ne peut nuire aux intérêts de tiers. Cette règle n'a toutefois ici qu'une portée très limitée, puisque le nom ne peut être choisi en toute liberté ni lors du mariage ni lorsqu'il est attribué aux enfants. Au contraire, il ne peut être choisi que parmi les noms existants (nom de célibataire ou nom porté jusque-là par un époux ou un parent), qui peuvent à leur tour composer un double nom. Le choix du nom des époux et des enfants ne risque donc guère de porter atteinte aux droits d'autrui.

Modernisation du droit de la famille. Rapport du Conseil fédéral suite au postulat Fehr (12.3607), mars 2015, ch. 3.4.2.

RS 211.112.2

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2.3.6

Conclusions

Les considérations qui précèdent montrent qu'il n'existe aucune raison matérielle de restreindre juridiquement le choix du nom lors du mariage ou de la naissance d'un enfant si ce choix se limite aux noms existants. La volonté d'admettre également les doubles noms peut être mise en oeuvre sans porter atteinte à l'intérêt public ni à des intérêts privés.

Dans les grandes lignes, il apparaît qu'un droit du nom moderne devrait suivre les principes suivants:

32

33 34

35

-

Le point de départ est le principe de l'autodétermination de l'individu et son droit de choisir son propre nom, qui découle du droit de la personnalité.

-

L'ordre public et les intérêts de tiers dignes de protection fixent les limites du droit du nom, quand bien même leur signification reste marginale aujourd'hui.

-

Lors du mariage, chaque époux doit pouvoir choisir son futur nom librement.

Il doit pouvoir conserver le nom qu'il portait jusqu'alors, prendre le nom de l'autre conjoint ou composer un nouveau nom à partir des noms des deux époux et ainsi exprimer le lien qui l'unit à l'autre32.

-

Les parents doivent pouvoir choisir le nom de l'enfant parmi leurs propres noms ou en formant un double nom à partir de ceux-là, afin d'exprimer le lien qui les unit à l'enfant33.

-

Le nom de l'enfant ne doit pas dépendre de l'état civil de ses parents. Autrement dit, les mêmes règles doivent valoir pour les enfants de parents non mariés que pour ceux de parents mariés. En particulier, l'enfant de parents non mariés doit pouvoir porter un double nom formé des noms de ses deux parents.

-

Le changement de nom doit être possible et admis lorsque la personne qui en fait la demande expose pour cela des motifs objectivement justifiés (p. ex. des «motifs légitimes»)34.

-

La législation doit être aussi simple et claire que possible35.

C'est la norme suggérée par le Model Family Code, voir Ingeborg SCHWENZER, Model Family Code ­ From a Global Perspective, Anvers/Oxford 2006, p. 20 s.; dans le même sens, voir également la recommandation 3 du groupe de travail institué par le ministère fédéral de l'intérieur en vue d'une révision du droit allemand: Eckpunkte zu einer Reform des Namensrechts (disponible sur: www.bmi.bund.de/SharedDocs/downloads/DE/ veroeffentlichungen/2020/eckpunkte-namensrecht.pdf; consulté le 8 décembre 2023).

Ce point correspond également au Model Family Code, voir SCHWENZER, Model Family Code (ibid.), p. 128 s.

Comme indiqué plus haut, le Conseil fédéral enverra a priori en consultation cette année un avant-projet de révision du changement de nom. Voir sur l'ensemble les Eckpunkte zu einer Reform des Namensrechts (ibid.), qui plaident pour un allègement significatif des conditions du changement de nom et suggèrent de n'exiger que des motifs pertinents («anerkennenswerten Grund», recommandation 4).

Les Eckpunkte zu einer Reform des Namensrechts allemands (ibid., p. 4) demandent également une simplification et une restructuration des règles afin d'écarter les obstacles bureaucratiques auxquels se heurtent les citoyens, l'administration et les tribunaux.

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2.4

Appréciation du droit en vigueur

En 2015, le Conseil fédéral a jugé que le nouveau droit du nom représentait «un progrès important vers un droit de la famille moderne»36. Aujourd'hui, au vu des remarques formulées plus haut, cette affirmation peut être largement relativisée: en particulier, l'abrogation du droit de former un double nom lors du mariage est vue de nos jours comme un retour en arrière. L'obligation pour l'un des époux de modifier ou de renoncer à son nom s'il veut exprimer sa relation avec son conjoint ou ses enfants va à l'encontre du principe de l'égalité de traitement.

La possibilité d'employer le nom d'alliance, qui relève du droit coutumier, est aujourd'hui d'un certain secours. Le Conseil fédéral estime cependant que l'établissement de documents d'identité comportant un (double) nom non officiel n'est pas une solution satisfaisante à long terme. Une pièce d'identité officielle sur laquelle figure un nom non officiel est régulièrement source de malentendus dans la vie quotidienne et nécessite des explications, tant en Suisse qu'à l'étranger. L'introduction du nom d'alliance a finalement été un pis-aller pour pallier l'absence de double nom officiel.

À long terme, il est toutefois souhaitable de créer une norme qui permette aux conjoints de former et de porter un double nom officiel.

Le Conseil fédéral est entièrement d'accord avec la CAJ-N lorsqu'elle affirme qu'il est nécessaire de légiférer. L'avis de la CEC à l'OFEC du 11 décembre 2023 et diverses opinions exprimées lors de la procédure de consultation renforcent d'ailleurs ce constat37. Le Conseil fédéral se félicite en outre que la CAJ-N ait entrepris une révision du droit du nom visant notamment à élargir les possibilités de choix du nom, tant lors de la conclusion du mariage qu'en ce qui concerne les enfants communs. Le Conseil fédéral rejette pour les mêmes raisons la proposition de la minorité de la commission de ne pas entrer en matière sur le projet.

2.5

Appréciation du projet

2.5.1

Évaluation globale

La révision doit permettre aux époux «de mettre en évidence le lien qui les unit à leurs enfants au moyen du nom»38. Elle fera disparaître la pression sociale qui s'exerce sur les femmes pour qu'elles renoncent à leur nom au profit d'un nom de famille: elles seront en mesure de conserver leur nom et d'exprimer néanmoins le lien qui les unit à leurs enfants et à leur conjoint. Cette solution garantit à la fois le droit à l'autodétermination et l'égalité de traitement.

Le projet entend également maintenir la possibilité d'adopter un nom de famille commun, qui pourra désormais être combiné au nom de l'autre conjoint. Il permettra à tous les membres de la famille de porter un double nom identique. Le projet élimine 36 37 38

Modernisation du droit de la famille. Rapport du Conseil fédéral suite au postulat Fehr (12.3607), mars 2015, ch. 9.

Avis de la CEC à l'OFEC du 11 décembre 2023, p. 2; rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 13.

Rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 14.

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ainsi les défauts matériels constatés dans le droit en vigueur; il correspond dans une large mesure à la conception précédemment esquissée d'un droit du nom moderne.

La CAJ-N propose de supprimer le nom d'alliance et le Conseil fédéral y est également favorable. Ainsi, à l'avenir, seul le nom officiel figurera sur les documents d'identité. Pour conserver le nom d'alliance sur les documents d'identité après l'entrée en vigueur de la révision, il faudra déclarer à l'office de l'état civil, sur la base du droit transitoire, vouloir faire de son nom d'alliance un double nom officiel avec trait d'union, et ce avant de renouveler les documents d'identité. Cette solution demandera quelques efforts et dépenses supplémentaires aux personnes concernées, ce qui pourrait susciter une certaine contrariété, d'où l'importance de bien informer la population à l'avance.

2.5.2

Pistes d'amélioration

Au fil des travaux de la CAJ-N, les objectifs de la réforme ont sensiblement évolué.

De l'hypothèse d'un simple retour au droit antérieur, le projet a été étendu coup sur coup (double nom pour les deux époux, prise en compte du nom d'alliance, des enfants, des enfants de parents non mariés, extension du droit transitoire, prise en compte des enfants dans le droit transitoire), à tel point qu'une correction ponctuelle s'est transformée en une révision totale du droit du nom. Cette progression se lit dans le projet actuel, qui affiche désormais un fort degré de complexité et n'est pas simple à comprendre ni à mettre en oeuvre ­ ce qui a au demeurant été relevé à plusieurs reprises par divers acteurs39.

Le Conseil fédéral identifie donc un potentiel d'amélioration évident au niveau de la conception formelle du projet. Il est convaincu que le texte peut être grandement simplifié sans pour autant remettre en question son orientation législative ni son contenu.

D'après lui, la complexité du texte a trait en premier lieu à la reprise de la systématique du droit en vigueur, qui échelonne les choix offerts aux époux. Ceux-ci doivent en effet d'abord choisir s'ils veulent conserver leur nom ou porter un nom de famille commun. Ce n'est que dans un second temps que le projet leur accorderait la possibilité de déclarer individuellement ou conjointement vouloir adapter leur nom et notamment porter un double nom. Le choix des époux de conserver leur nom ou de porter un nom de famille détermine si les enfants pourront porter un double nom. De surcroît, le premier choix définit l'ordre des noms lors de la formation du double nom. Ce système permet donc un grand nombre de combinaisons différentes, mais il ne permet pas pour autant de choisir toutes les combinaisons de nom envisageables.

L'ensemble pourrait être grandement simplifié en supprimant la première étape (conserver son nom ou prendre un nom de famille) et en condensant tous les échelons du système actuel en une seule étape de choix de nom pour les époux. Lors du mariage, chaque époux aurait ainsi la possibilité de conserver son nom ou de le modifier. S'il 39

Voir l'avis de la CEC à l'OFEC du 11 décembre 2023, p. 1, qui déplore une complexité excessive et l'avis de l'ASOEC du 12 décembre 2023, p. 1 («très difficile à appliquer et à expliquer en office»); la minorité de la commission est du même avis, voir le rapport CAJ-N du 17 novembre 2023, p. 7.

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choisit de le modifier, il pourrait prendre le nom de l'autre époux comme nom de famille commun ou former un double nom (dans l'ordre de son choix et avec ou sans trait d'union) à partir des noms des deux époux. Le nom des enfants communs serait également choisi simplement par les parents, qui auraient les mêmes possibilités que pour leur propre nom. Comme dans le projet actuel, le double nom officiel serait composé de deux noms existants au maximum.

Matériellement parlant, une solution de cet ordre correspondrait pour l'essentiel au projet actuel de la CAJ-N tout en supprimant les restrictions qui y subsistent40. Notons enfin qu'un tel régime offrirait aux personnes concernées toutes les possibilités déjà existantes: un couple pourrait choisir le nom de l'un des époux comme nom commun (dans l'esprit du nom de famille actuel) et le transmettre à ses enfants. Les deux époux seraient également libres de conserver leur nom et de ne donner de double nom qu'à leurs enfants. En somme, le double nom serait une addition aux possibilités existantes.

Mais avant tout, cette approche aurait le mérite de respecter le principe de la clarté du droit, en rendant l'arsenal législatif plus simple, plus concis, plus lisible et plus compréhensible, ce qui faciliterait en retour son application.

2.5.3

Synthèse

Le Conseil fédéral soutient le projet de la CAJ-N: il est favorable à son contenu et considère qu'il élimine les défauts du droit en vigueur. Il est toutefois convaincu que le texte peut être grandement simplifié et que les efforts en ce sens permettraient même d'atteindre plus facilement les objectifs formulés par la CAJ-N et soutenus par le Conseil fédéral. Il laisse à la commission et au Parlement le soin de choisir la marche à suivre.

3

Propositions du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral propose d'entrer en matière sur le projet de la CAJ-N et de l'approuver.

40

Elle correspondrait en outre aux attentes de la CEC pour un droit du nom moderne, voir l'avis de la CEC à l'OFEC du 11 décembre 2023, p. 1 s.

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