18

# S T #

8509 RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale relatif à l'initiative populaire sur le droit du peuple de décider de l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques (Du 18 juin 1962)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser notre rapport relatif à l'initiative populaire sur le droit du peuple de décider de l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques.

Cette initiative, appuyée par 63 565 signatures valables, a été déposée le 24 juillet 1959 à la chancellerie fédérale par le parti socialiste suisse. La disposition constitutionnelle proposée a la teneur suivante : Art. 20 bis

La décision relative à l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques de toute nature sera obligatoirement soumise à la votation populaire.

L'initiative contient une clause de retrait en faveur d'un contre-projet de l'Assemblée fédérale.

Le Conseil national et le Conseil des Etats ont pris acte les 25 septembre et 7 octobre 1959 de notre rapport du 18 août 1959 constatant l'aboutissement de l'initiative (FF 1959, II, 329) et nous ont invités à leur présenter un rapport et des propositions sur le fond de l'initiative.

Si nous nous exécutons aujourd'hui seulement, c'est parce que nous avons attendu de connaître le sort de l'initiative déposée le 29 avril 1959 par le «comité d'initiative du mouvement suisse contre l'armement atomique».

En effet, lorsque plusieurs initiatives concernent la même question constitutionnelle, celle qui a été déposée en premier lieu doit être d'abord traitée et soumise à la votation populaire, les autres initiatives étant liquidées successivement, dans Tordre où elles ont été déposées (art. 15 de la loi du 27 janvier 1892/5 octobre 1950 sur les initiatives). Il existe d'ailleurs entre les deux initiatives un rapport étroit, puisque celle du 24 juillet 1959 serait

19

devenue sans objet si le peuple et les cantons avaient accepté celle du 29 avril 1959 sur l'interdiction des armes atomiques. Or l'initiative pour l'interdiction des armes atomiques a été rejetée en votation populaire du 1er avril 1962. Dès lors, la seconde initiative peut être traitée.

Selon l'article 8 de la loi sur les initiatives, les chambres fédérales doivent, en matière d'initiative formulée, décider dans le délai de trois ans dès le dépôt do l'initiative si elles adhèrent au projet ou si elles le rejettent.

La loi ne dit pas comment cette disposition doit être appliquée au cas de l'article 15, c'est-à-dire lorsque plusieurs initiatives concernent la même question constitutionnelle. Le délai de trois ans vaut-il pour la première initiative seulement ou toutes les initiatives doivent-elles être traitées dans ce délai ? La relation entre les articles 8 et 15 n'étant pas claire, nous avons proposé, dans le projet de révision de la loi sur les initiatives et de la loi sur les rapports entre les conseils, de préciser que le délai de trois ans vaut pour la première initiative seulement, un délai supplémentaire d'une année étant prévu pour traiter chaque initiative subséquente relative a la même question constitutionnelle (FF 1960,1, 1531/1532). Cette solution, à laquelle les chambres ont souscrit, n'a pas encore force de loi. Mais il est évident que les chambres ne pourront pas se prononcer sur la seconde initiative concernant les armes atomiques dans le délai de trois ans, expirant le 24 juillet 1962 comme pour la première. Comme une réglementation légale claire manque encore, l'Assemblée fédérale ne peut guère que manifester sa volonté de traiter la présente initiative dès que possible.

A. La validité de l'initiative On a prétendu que l'initiative du parti socialiste suisse serait en réalité non pas une initiative constitutionnelle, mais une initiative législative, puisqu'elle tend à modifier une loi. Comme la constitution ne connaît pas l'institution de l'initiative législative, la présente initiative populaire serait inconstitutionnelle et devrait par conséquent être déclarée nulle.

Cette manière de voir ne résiste pas à l'examen.

Sans doute l'initiative vise-t-elle la modification d'une disposition légale, comme nous le verrons ci-après au chapitre B. A cet égard, elle a certainement le
contenu d'une initiative législative. Le peuple et les cantons s'étant opposés, dans la votation du 22 octobre 1961, à l'institution de l'initiative législative en matière fédérale, on pourrait se demander si une initiative constitutionnelle ayant le contenu d'une initiative législative peut néanmoins être déclarée valable. La question peut ici rester ouverte puisque la présente initiative ne se borne pas à proposer la modification d'une loi. Dans la mesure en effet ou elle demande de soumettre au referendum législatif obligatoire la décision d'équiper les troupes en armes atomiques, elle propose une innovation étrangère à notre droit coustitu-

20

tioiuiel (cf. chapitre C ci-après), soit une innovation qui n'a pas de base constitutionnelle. Or, pour donner une base constitutionnelle à cette innovation, la voie de l'initiative constitutionnelle peut être suivie.

B. La compétence pour décider de l'équipement de l'armée en armes atomiques Nous tenons à constater qu'il n'y a pas lieu de décider présentement si notre armée doit être dotée d'armes atomiques. H s'agit uniquement de savoir qui'doit être compétent en principe pour ordonner l'équipement des troupes en armes atomiques.

Actuellement, en vertu de l'article 87 de la loi d'organisation militaire du 12 avril 1907, les questions de principe en matière d'armement entrent dans la compétence exclusive de l'Assemblée fédérale. Parmi ces questions il faut sans doute ranger celle d'équiper nos troupes en armes atomiques. Or la présente initiative demande que la décision sur ce point soit réservée au peuple. On doit se demander s'il est politiquement opportun et objectivement rationnel et juste de modifier dans le sens proposé par l'initiative la règle de compétence prévue par la loi d'organisation militaire.

Dans notre rapport du 7 juillet 1961 sur l'initiative pour l'interdiction des armes atomiques (FF 1961, II, 210), nous avons exposé tous les aspects du problème et constaté en conclusion que la possibilité d'équiper les troupes en armes atomiques doit rester acquise. Les chambres fédérales ont approuvé notre manière de voir, de même que le peuple et les cantons, qui ont rejeté, dans la votation du 1er avril 1962, l'initiative pour l'interdiction des armes atomiques. Dès lors aucun événement ou fait n'est intervenu qui aurait pu modifier notre manière de voir sur le problème de l'équipement des troupes en armes atomiques.

A la lumière de cette votation de principe, qui laisse ouverte la voie du développement de notre défense nationale suivant l'état de la technique des armes, la question de compétence posée par la présente initiative n'a pas la même signification. Elle n'en doit pas moins être examinée avec soin parce qu'elle touche à la règle de compétence, importante pour l'armement de nos troupes, prévue à l'article 87 de la loi d'organisation militaire. Cette règle de compétence, qui confère aux chambres fédérales la responsabilité et la décision en matière d'armement, est objectivement
fondée et elle a fait ses preuves. Outre que le referendum législatif obligatoire prévu dans l'initiative pour le seul cas de l'armement atomique serait un corps étranger dans notre droit public (nous y reviendrons au chapitre C), il pourrait empêcher une action rapide et résolue au détriment de la défense nationale et de nos troupes. Même si dans un cas particulier la question de l'armement atomique n'était contestée par personne, il faudrait néanmoins prendre son parti de la perte de temps, peut-être fatale, qui serait occasionnée par la votation populaire obligatoire. On ne saurait assumer la responsabilité

21 de porter ainsi atteinte à la règle de compétence instituée pour les décisions délicates, éminemment techniques et sujettes à évolution rapide à prendre en matière d'armement. Le referendum obligatoire entraverait déjà la fabrication des armes, car la recherche scientifique et l'industrie ne seraient guère disposées à entreprendre de coûteux travaux et études, si elles devaient compter avec le risque d'un vote populaire négatif.

Dans le domaine des armes nucléaires, l'évolution n'est pas encore terminée. En ce qui concerne leur engagement tactique, l'évolution tend à l'emploi d'obus de petit calibre avec effet radioactif de faible intensité.

Aussi ces armes seront-elles sans doute bientôt considérées comme le prolongement des armes à feu dites actuellement «classiques» ou «conventionnelles». Comme notre armée n'utiliserait de toute manière que des armes atomiques tactiques, on ne voit pas pourquoi leur acquisition devrait être soumise à un régime spécial, en ce sens qu'elle serait décidée non pas par l'Assemblée fédérale comme pour toutes les autres armes, mais par le peuple.

Il n'y a aucune raison de faire une telle différence dans les responsabilités.

L'initiative parle d'armes atomiques «de toute nature», sans définir cette expression. On pourrait théoriquement y englober aussi des moyens de combat n'ayant, du point de vue de la technique des armes, qu'un très lointain rapport avec la physique nucléaire, comme les blindés et les avions mus à l'énergie atomique. L'initiative pourrait ainsi avoir des répercussions sur tous les moyens de combat relevant directement ou indirectement de la physique nucléaire, c'est-à-dire même sur ceux qui sont encore inconnus aujourd'hui. Tout moyen de combat plus efficace serait touché par l'initiative suivant les circonstances. Aussi les conséquences possibles d'une acceptation de l'initiative ne peuvent pas encore être appréciées. On ne voit d'ailleurs pas si seule la question de principe de l'armement atomique devrait être soumise à la votation populaire ou si une telle votation devrait avoir lieu à propos de chaque décision relative à l'acquisition de n'importe quelle arme atomique.

Cela étant, il ne paraît ni nécessaire, ni opportun de modifier la règle de compétence prévue dans la loi d'organisation militaire. Tout parle au contraire en faveur du
maintien de la réglementation actuelle. Il est évident que si l'Assemblée fédérale devait être appelée à prendre une décision sur l'acquisition d'armes atomiques, elle n'aurait en vue que le bien, la liberté et l'indépendance du pays.

C. L'introduction du referendum législatif obligatoire Contrairement au droit public de certains cantons, notre droit public fédéral ne connaît le referendum obligatoire qu'en matière de re visions constitutionnelles (referendum constitutionnel). Seules les revisions constitutionnelles sont soumises dans chaque cas à une votation populaire (art. 123 et 896*«, al. 3. Cst). Les lois et les arrêtés fédéraux de portée générale ne sont sujets qu'au referendum facultatif (referendum législatif),

22

c'est-à-dire qu'une votation populaire n'a lieu à leur sujet que si 30 000 citoyens actifs ou huit cantons le demandent expressément (art. 89, al. 2, et SQbis, al. 2, Cst). Il en est de même pour les traités internationaux conclus pour une durée indéterminée ou pour plus de quinze ans (art. 89, al. 3, Cst). Le referendum ne peut pas être demandé pour les arrêtés fédéraux simples et pour les arrêtés dits de l'Assemblée fédérale, par quoi on entend les arrêtés que l'Assemblée fédérale peut prendre à titre autonome, tout referendum étant exclu, en vertu d'une délégation de pouvoir spéciale contenue dans la constitution, dans une loi ou dans un arrêté fédéral de portée générale. Une telle délégation de pouvoir est prévue par exemple à l'article 87, ici en jeu, de la loi d'organisation militaire, qui autorise l'Assemblée fédérale à décider elle-même, sans le concours des citoyens actifs, de l'armement de nos troupes. Si l'Assemblée fédérale fait usage du pouvoir qui lui est ainsi conféré, sa décision s'appelle, selon la terminologie actuelle, «arrêté de l'Assemblée fédérale».

Les auteurs de l'initiative ne demandent pas que le referendum législatif facultatif soit remplacé par un referendum législatif obligatoire, en ce sens qu'à l'avenir les actes législatifs sujets au référendum seraient soumis dans chaque cas au vote populaire. L'initiative ne prévoit le referendum législatif obligatoire que dans un seul cas exactement déterminé, c'est-à-dire pour la décision des chambres fédérales concernant l'équipement des troupes en armes atomiques. Seule cette décision serait obligatoirement soumise au vote du peuple suisse, alors que tous les autres actes législatifs de l'Assemblée fédérale resteraient régis par le système en vigueur.

Non seulement un seul acte législatif, même pas sujet au referendum facultatif selon le droit en vigueur, serait ainsi soumis, de par la constitution, au referendum obligatoire, mais on introduirait en outre, pour ce seul cas, un nouveau droit populaire, soit le referendum législatif obligatoire.

Or l'extension des droits populaires a une telle portée politique et juridique qu'elle ne peut pas être décidée en fonction d'un seul cas concret et en considération d'avantages et inconvénients momentanés. Elle devrait au contraire être examinée sous tous ses aspects et réglée en
conséquence à titre général dans la constitution, comme ce fut le cas lors de l'introduction du referendum facultatif (art. 89 et SQbis, Cst) ou de l'initiative constitutionnelle (art. 121 et 122 Cst). Ce mode de procéder s'impose aussi par respect pour nos institutions démocratiques. D'ailleurs des considérations de politique législative et d'esthétique constitutionnelle s'opposent à une extension occasionnelle des droits populaires.

Nous avons démontré, dans le chapitre précédent, que la règle de compétence prévue à l'article 87 de la loi d'organisation militaire est judicieuse et rationnelle aussi en ce qui concerne la décision de doter les troupes en armes atomiques. Aussi n'y a-t-il pas lieu d'examiner ici la question de principe de l'introduction du referendum législatif obligatoire. Nous nous

23

bornons à signaler qu'en tout cas jusqu'à maintenant aucun mouvement politique notable n'a demandé une extension du droit de referendum dans ce sens et que le souverain a refusé récemment à deux reprises une telle extension. Il a en effet rejeté en 1956 le referendum en matière financière sur le plan fédéral et en 1961 l'introduction de l'initiative législative dans le domaine fédéral. Le souverain n'aurait pas pu montrer plus clairement que le maintien et le renforcement de notre démocratie n'ont assurément pas besoin aujourd'hui d'un accroissement des droits populaires.

Rappelons enfin qu'à l'occasion de la refonte de la loi sur les rapports entre les conseils, le Conseil fédéral et les chambres se sont efforcés d'introduire un peu d'ordre dans la question de la forme des actes législatifs de l'Assemblée fédérale, dans l'espoir de mettre fin à la situation confuse actuelle. Dorénavant, trois formes seront à la disposition de l'Assemblée fédérale: la loi, l'arrêté de portée générale et l'arrêté simple. La nouvelle loi sur les rapports entre les conseils ne mentionne plus l'arrêté de l'Assemblée fédérale. Les actes législatifs actuellement appelés «arrêtés de l'Assemblée fédérale» devront désormais être pris sous la forme d'arrêtés de portée générale non urgents, la clause référendaire étant remplacée par l'indication de la disposition en vertu de laquelle le referendum ne peut pas être demandé. La nouvelle loi précise exactement quel pourra être le contenu de chacune des trois formes. L'adoption de la présente initiative populaire aurait pour effets de contrecarrer les efforts du Conseil fédéral et de l'Assemblée fédérale, si une nouvelle catégorie d'arrêté de portée générale non urgent faisait son apparition, soit l'arrêté de portée générale sujet au referendum obligatoire, pour lequel une clause référendaire spéciale devrait être prévue. Pareille innovation ne répondrait guère au désir d'améliorer la situation actuelle, même si elle était introduite non pas à titre général, mais bien pour un seul cas.

Par ces motifs, nous vous proposons de soumettre la présente initiative au peuple et aux cantons avec une recommandation de rejet et sans contreprojet.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 18 juin 1962, Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération, P. Chaudet 141SO

Le chancelier de lu Cu-rtfÉdératiun, Ch. Oser

24 (Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL concernant

l'initiative populaire sur le droit du peuple de décider de l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu l'initiative populaire du 24 juillet 1959 sur le droit du peuple de décider de l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques ; vu le rapport du Conseil fédéral du 18 juin 1962 ; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et suivants de la loi du 27 janvier 1892/5 octobre 1950 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, arrête: Article premier L'initiative du 24 juillet 1959 sur le droit du peuple de décider de l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques sera soumise au vote du peuple et des cantons.

2 La disposition constitutionnelle proposée par cette initiative a la teneur suivante : Art. 20bis La décision relative à l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques de toute nature sera obligatoirement soumise à la votation populaire.

1

Art. 2 Le peuple et les cantons sont invités à rejeter l'initiative.

Art. 3 Le Conseil fédéral est chargé d'exécuter le présent arrêté.

uieo

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale relatif à l'initiative populaire sur le droit du peuple de décider de l'équipement de l'armée suisse en armes atomiques (Du 18 juin 1962)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1962

Année Anno Band

2

Volume Volume Heft

27

Cahier Numero Geschäftsnummer

8509

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

06.07.1962

Date Data Seite

18-24

Page Pagina Ref. No

10 096 606

Das Dokument wurde durch das Schweizerische Bundesarchiv digitalisiert.

Le document a été digitalisé par les. Archives Fédérales Suisses.

Il documento è stato digitalizzato dell'Archivio federale svizzero.