17.062 Message concernant la loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence du 11 octobre 2017

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons un projet de loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence, incluant des modifications du code civil (protection de la personnalité), du code de procédure civile, du code pénal et du code pénal militaire, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous proposons simultanément de classer les interventions parlementaires suivantes: 2011

M

09.4017

Protection des femmes battues (N 03.03.2010, Perrin; E 30.05.2011)

2013

M

12.4025

Mieux protéger les victimes de violences domestiques (E 14.03.2013, Keller-Sutter; N 23.09.2013)

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

11 octobre 2017

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2016-3101

6913

Condensé La loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence vise une adaptation du code civil (CC), du code de procédure civile (CPC), du code pénal (CP) et du code pénal militaire (CPM), afin de supprimer les lacunes constatées et de mieux protéger les victimes de violence domestique et de harcèlement.

Le Conseil fédéral propose diverses mesures pour mieux protéger les victimes de violence domestique et de harcèlement.

Les mesures de droit civil passent essentiellement par l'adaptation de l'art. 28b CC, qui prévoit notamment que les victimes de violence domestique ou de harcèlement peuvent demander au juge civil de mettre en place des mesures de protection telles que des interdictions de périmètre ou de contact.

Pour imposer le respect de ces interdictions, le Conseil fédéral propose d'inscrire dans le code civil une disposition permettant au juge d'ordonner une surveillance électronique. S'il y a malgré tout violation d'une interdiction, la surveillance électronique aura au moins l'avantage de permettre à la victime de la prouver, puisque tous les déplacements de l'auteur seront enregistrés. En procédant à cette adaptation, le Conseil fédéral donne suite à la motion Perrin «Protection des femmes battues» (09.4017).

Pour améliorer l'efficacité de l'art. 28b CC, qui vise la protection en droit civil contre la violence, le Conseil fédéral propose d'abolir certaines contraintes procédurales révélées par l'évaluation de cet article. Ainsi est-il prévu de ne plus mettre les frais de procédure fondés sur l'art. 28b CC à la charge des victimes et de supprimer en tous les cas les procédures de conciliation. Afin d'atténuer les problèmes de coordination, le juge est invité à communiquer sa décision aux autorités de poursuite pénale, à l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA), au service cantonal chargé de la violence domestique et à toutes les autres personnes potentiellement concernées.

Sur le plan pénal, il est prévu de revoir la réglementation régissant la suspension et le classement de la procédure pénale en cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menaces ou de contraintes dans les relations de couple (art. 55a CP et 46b CPM). Le but est d'alléger la pression sur la victime et d'élargir la marge d'appréciation des autorités. La
décision de poursuivre une procédure ne dépendra plus exclusivement de la volonté de la victime; cette responsabilité incombera aux autorités, qui devront rendre leur décision en prenant en considération, outre les déclarations de la victime, une série d'autres éléments. La suspension de la procédure ne sera possible que si elle permet de stabiliser ou d'améliorer la situation de la victime. En outre, l'autorité devra pouvoir ordonner au prévenu de suivre un programme de prévention de la violence. La suspension ne sera plus possible en cas de soupçons de violences réitérées. Enfin, une appréciation approfondie sera effectuée avant la fin de la suspension notamment pour permettre à l'autorité d'entendre encore une fois la victime et d'examiner les circonstances avant de rendre une décision. Les modifications proposées permettent de satisfaire aux

6914

demandes de la motion Keller-Sutter «Mieux protéger les victimes de violences domestiques» (12.4025) et de mettre en oeuvre, compte tenu des avis rendus lors de la procédure de consultation, les conclusions formulées dans le rapport réalisé en exécution de la motion Heim « Endiguer la violence domestique » (09.3059).

6915

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Table des matières Condensé

6914

1

Contexte 1.1 Buts de la révision 1.2 Violence domestique 1.2.1 Définition 1.2.2 Statistiques 1.2.3 Instruments du droit en vigueur pour la protection des victimes de violence domestique 1.2.4 La protection contre la violence domestique dans le droit civil actuel 1.2.5 La protection pénale contre la violence dans le couple 1.2.6 Droit cantonal 1.3 Harcèlement 1.3.1 Définition 1.3.2 Statistiques 1.3.3 La protection contre le harcèlement dans le droit civil actuel 1.3.4 La protection pénale contre le harcèlement 1.3.5 Droit cantonal 1.4 Interventions parlementaires 1.4.1 Annonce d'une évaluation de la mise en oeuvre de l'art. 28b CC 1.4.2 Exécution des peines au moyen de dispositifs électroniques: motion Perrin (09.4017) 1.4.3 Examen de la pratique en matière de suspension des procédures: motion Heim (09.3059) 1.4.4 Audition de la victime: motion Keller-Sutter (12.4025) 1.5 Evaluation et examen des instruments actuels 1.5.1 Evaluation de l'art. 28b CC 1.5.2 Analyse de l'impact de l'art. 55a CP dans la pratique

6919 6919 6920 6920 6921

2

Autres travaux 2.1 Avant-projet et procédure de consultation 2.2 Résultats de la consultation 2.2.1 Appréciation générale 2.2.2 Code civil et code de procédure civile 2.2.3 Code pénal et code pénal militaire

6942 6942 6943 6943 6943 6945

3

Les grandes lignes de la réglementation proposée 3.1 Aperçu et buts du projet 3.2 La réglementation proposée en droit civil et en droit de la procédure civile

6946 6946

6916

6923 6924 6927 6930 6931 6931 6932 6933 6933 6934 6934 6934 6935 6935 6936 6936 6936 6940

6947

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3.2.1

3.3

3.4 3.5 3.6

Communication des décisions instaurant des mesures de protection et amélioration de la formation continue 3.2.2 Simplification et gratuité de la procédure civile 3.2.3 Surveillance électronique La réglementation proposée en droit pénal 3.3.1 Introduction 3.3.2 Pesée globale des intérêts avant la suspension, la reprise ou le classement de la procédure pénale 3.3.3 Subordination de la suspension à la fréquentation d'un programme de prévention 3.3.4 Poursuite de la procédure pénale en cas de suspicion de violence réitérée 3.3.5 Renonciation à la mise en oeuvre de la motion KellerSutter (12.4025): pas d'audition obligatoire de la victime avant le classement de la procédure pénale 3.3.6 Renonciation à l'introduction d'une norme pénale punissant le harcèlement 3.3.7 Pas de disposition transitoire Loi fédérale de protection contre la violence: pas de compétence de la Confédération Mise en oeuvre Classement d'interventions parlementaires

6947 6948 6949 6953 6953 6956 6957 6959 6960 6961 6965 6966 6966 6967

4

Commentaires des dispositions 4.1 Code civil (CC) 4.2 Code de procédure civile (CPC) 4.3 Code pénal (CP) 4.4 Code pénal militaire (CPM)

6967 6967 6972 6974 6981

5

Conséquences 5.1 Conséquences pour la Confédération 5.2 Conséquences pour les cantons et les communes 5.2.1 Droit civil et droit de la procédure civile 5.2.2 Droit pénal 5.3 Conséquences pour la société

6982 6982 6982 6982 6983 6984

6

Relation avec le programme de la législature

6985

7

Aspects juridiques 7.1 Constitutionnalité et légalité 7.2 Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse 7.2.1 Convention européenne des droits de l'homme 7.2.2 Convention d'Istanbul 7.3 Forme de l'acte 7.4 Frein aux dépenses

6985 6985 6986 6986 6987 6987 6987 6917

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7.5 7.6

Délégation de compétences législatives Protection des données

6988 6988

Annexe I: La surveillance électronique dans le droit civil d'autres Etats

6989

Annexe II: Violence entre époux et partenaires dans le droit pénal d'autres Etats européens

6995

Loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence (Projet)

6997

6918

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Message 1

Contexte

1.1

Buts de la révision

L'objectif de la révision législative proposée est d'améliorer la protection des victimes de violence. Il s'agit, d'une part, de mieux protéger les victimes de la violence domestique et, d'autre part, de développer les outils de protection contre le harcèlement obsessionnel (stalking).

La violence domestique et le harcèlement ont longtemps été considérés comme relevant du domaine privé, et c'étaient des sujets dont on ne parlait pas. Ce n'est que ces dernières années qu'un important changement de mentalité a été observé: la lutte contre la violence et le harcèlement préoccupe de plus en plus les organes internationaux, nationaux et locaux et est reconnue comme une tâche de la communauté 1.

Dans le cadre du débat général sur la violence domestique et le harcèlement, de nombreuses interventions parlementaires ont été déposées, qui abordent ces thèmes sous différents angles. À la suite du changement de perception sur ces questions, différentes modifications de la législation ont été adoptées, aux niveaux fédéral et cantonal, pour lutter plus efficacement contre ces phénomènes, mieux protéger les victimes et amener les auteurs à répondre de leurs actes2. Par ailleurs, des améliorations déterminantes ont aussi été apportées dans la pratique concrète du travail avec les victimes et les auteurs de violences.

Différentes études et statistiques réalisées à l'échelle nationale et internationale montrent cependant que les cas de violence domestique et de harcèlement n'ont pas régressé ces dernières années malgré tous les efforts et mesures engagés pour combattre ces phénomènes3. Le Conseil fédéral ­ en partie pour répondre à des interventions parlementaires ­ a soumis à une évaluation différentes normes légales adoptées dans le but de protéger les victimes4. Sur la base des résultats de cette évaluation et en exécution de diverses interventions parlementaires 5, le Conseil fédéral propose une série de mesures destinées à améliorer la protection des victimes de violence domestique ou de harcèlement.

1

2

3

4 5

Voir le «Rapport sur la violence dans les relations de couple. Ses causes et les mesures prises en Suisse (en réponse au postulat Stump 05.3694 du 7 octobre 2005)», FF 2009 3616 ss.

Voir le tableau synoptique du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, «Contre la violence domestique ­ État de la législation et mise en oeuvre dans la pratique», disponible sous: www.bfeg.admin.ch > Thèmes > Violence domestique > Législation (état 8.2017).

Voir les Feuilles d'information 9 et 10 du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, disponibles sous: www.bfeg.admin.ch > Documentation > Publications sur la violence > Feuilles d'information violence domestique > Feuille d'information 9/10 (état: 12.9.2017); voir aussi les développements au ch. 1.2.2 et 1.3.2.

Voir le ch. 1.5 pour plus de détails.

Voir les développements au ch. 1.4.

6919

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1.2

Violence domestique

1.2.1

Définition

La violence domestique au sens de la Convention du Conseil de l'Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (convention d'Istanbul)6 englobe «tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l'auteur de l'infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime» (art. 3, let. b de la convention).

La violence domestique est une forme particulière de violence qui se distingue d'autres actes de violence sur les points suivants7: ­

Il existe un lien émotionnel entre l'auteur et la victime. Ce lien subsiste souvent même après une séparation.

­

Les actes violents se déroulent la majeure partie du temps à la maison, c'està-dire dans un endroit censé offrir sécurité et protection.

­

En exerçant ou en menaçant d'exercer une violence corporelle, une violence sexuelle ou une violence psychique (grave), l'auteur, un proche de la victime, porte atteinte à l'intégrité corporelle ou psychique de celle-ci.

­

La plupart du temps, la violence domestique est exercée sur une longue durée et son intensité augmente généralement avec le temps. Fait exception le comportement agressif ponctuel en situation de conflit.

­

Il y a un rapport évident entre la volonté de domination et de contrôle et l'exercice de la violence. Dans le cas de la violence domestique, l'auteur profite souvent d'un rapport de force asymétrique. Le risque de violence est plus bas lorsque les couples vivent sur un pied d'égalité.

­

La dynamique spécifique de la violence domestique ­ la spirale de la violence ­ ainsi que les différents types d'auteurs et de victimes doivent être pris en considération de manière à permettre un aménagement des offres de conseil et d'intervention efficace et conforme aux besoins.

Ces particularités doivent être prises en compte par le législateur qui souhaite adopter des mesures contre la violence domestique. Elles demandent de trouver dans chaque cas des règles particulières adaptées à la forme spécifique de la violence.

6

7

N° STCE 210. L'état actuel de la signature, de la ratification et de l'entrée en vigueur de la convention dans les Etats membres du Conseil de l'Europe est consultable sous www.coe.int > Explorer > Bureau des Traités > Liste complète > 210 Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestiques > Signatures et ratifications. 24 pays ont ratifié la convention; 20 autres pays et l'UE l'ont signée (état au 18.9.2017). Voir aussi le ch. 7.2.2 Voir la Feuille d'information 1 du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, disponible sous: www.bfeg.admin.ch > Documentation > Publications sur la violence > Feuilles d'information violence domestique > Feuille d'information 1 (état: 25.09.2017).

6920

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1.2.2

Statistiques8

Les données statistiques récentes, bien que caractérisées par des variations, montrent que la violence domestique demeure un problème sociétal de grande ampleur. Si l'on a pu observer un recul du nombre de cas enregistrés par la police entre 2009 et 2011, le nombre d'infractions est reparti à la hausse dans les années 2012 et 2013.

En 2013, la police a enregistré 16 495 infractions commises dans la sphère domestique; ce nombre est retombé à 15 650 (­5 %) l'année suivante. Le nombre des infractions enregistrées s'est remis à augmenter en 2015, s'établissant à 17 297 (+10,5 %) cette année-là et à 17 685 (+2 %) en 2016. Comme au cours des précédentes années, les principales infractions enregistrées ont été en 2016 les voies de fait (plus de 30 %) et les menaces (près de 24 %). 19 personnes, dont 18 femmes, sont décédées en 2016 des suites de violences domestiques (soit un décès tous les 19 jours). Il faut ajouter à cela 52 tentatives d'homicide9. Pour saisir statistiquement la violence domestique, on détermine pour une sélection d'infractions la relation existant entre le prévenu et la victime. En 2016, ces derniers vivaient sous le même toit dans 38 % des cas d'infraction.

8

9

Les données statistiques citées se fondent sur la statistique policière de la criminalité (SPC) de l'Office fédéral de la statistique (OFS). A la différence de la statistique sur les condamnations pénales, également réalisée par l'OFS, la SPC présente en outre des données sur les victimes, ce qui permet de disposer d'informations sur les violences domestiques. A noter toutefois que la SPC repose sur les données concernant des actes qui ont été dénoncés à la police. Elle renseigne sur le nombre, la structure et l'évolution des infractions enregistrées par la police, et non sur les actes ayant débouché sur une condamnation pénale. Les prévenus pris en compte dans la SPC sont présumés innocents jusqu'à leur condamnation définitive.

Voir les publications de l'OFS «Violence domestique enregistrée par la police: 2009­2013» et «Statistique policière de la criminalité. Rapport annuel 2016», consultables sous www.ofs.admin.ch > Trouver des statistiques > Criminalité et droit pénal > Police > Violence domestique.

6921

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Près de la moitié des infractions de violence domestique enregistrées par la police se sont produites au sein d'un couple (48,8 %) et un quart entre ex-partenaires (26 %).

Les infractions restantes se répartissent entre les relations parents-enfants (15 %) et les autres relations de parenté (10 %)10.

10

Voir la publication de l'OFS «Violence domestique enregistrée par la police: 2009­2013» (note 9).

6922

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Une étude non représentative réalisée en 2011 sur la violence domestique en Suisse a montré qu'environ 1,3 % des femmes et 0,5 % des hommes interrogés ont été victimes de violence domestique11. La police est intervenue dans 22 % des cas (à la demande de la victime ou de tiers); ce taux est très proche de celui des interventions policières pour des infractions commises en dehors de la sphère domestique12.

1.2.3

Instruments du droit en vigueur pour la protection des victimes de violence domestique

Ces dernières années, le législateur fédéral a révisé différentes lois pour tenter de mieux circonscrire le problème de la violence domestique. Les principales étapes à mentionner sont la révision du code civil (CC)13 du 23 juin 200614, entrée en vigueur le 1er juillet 2007 et avec laquelle a été créé un article spécial de protection contre la violence, ainsi que la révision du code pénal (CP)15 du 3 octobre 200316, en vigueur depuis le 1er avril 2004, grâce à laquelle plusieurs infractions du CP sont désormais poursuivies d'office lorsqu'elles sont commises au sein d'une relation de couple.

11

12 13 14 15 16

Killias Martin/Staubli Silvia/Biberstein Lorenz/Bänziger Matthias, La violence domestique en Suisse. Analyses effectuées dans le cadre du sondage de victimisation 2011, Institut de criminologie de l'Université de Zurich, Zurich 2012, consultable sous www.ofj.admin.ch > Société > Aide aux victimes d'infraction > Publications. Ces analyses constituent une étude complémentaire réalisée dans le cadre de l'enquête de victimisation 2011, pour le compte de l'Office fédéral de la justice et du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes.

Killias/Staubli/Biberstein/Bänziger (note 11), 18 et tableau 19.

RS 210 RO 2007 137 RS 311.0 RO 2004 1403

6923

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Depuis le 1er janvier 2015, une condamnation pour certaines infractions peut être assortie d'une interdiction de contact ou d'une interdiction géographique prononcée à titre de mesure pénale et exécutée à l'aide d'un dispositif électronique fixé à l'auteur17. Une telle interdiction est utile pour prévenir la violence domestique et le harcèlement obsessionnel18. On trouve enfin dans le droit fédéral une série d'autres dispositions servant directement ou indirectement à protéger les victimes de violence19.

1.2.4

La protection contre la violence domestique dans le droit civil actuel

Norme sur la violence dans le CC L'art. 28b CC découle de l'initiative parlementaire 00.419. Cette initiative proposait la création d'une loi fédérale contre la violence qui «assure la protection des victimes par l'expulsion immédiate du domicile des personnes violentes qui auront en outre l'interdiction de réintégrer leur logement pendant une période déterminée»20.

Le rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) du 21 février 2001 relevait que les nouvelles normes à édicter concernaient aussi bien le droit civil que le droit pénal21. La législation alors en vigueur n'offrait pas de moyens satisfaisants pour assurer une protection suffisante aux victimes de violences domestiques. La situation juridique dépendait du domicile des personnes concernées, puisque les pratiques et les réglementations ­ notamment de nature policière ­ différaient d'un canton à l'autre. Le rapport de la CAJ-N du 18 août 200522 résumait comme suit l'objectif prioritaire: «Les victimes, à plus forte raison parce qu'elles vivent dans le même logement que l'auteur de violences à leur égard, doivent être protégées efficacement».

Par la suite, il a été créé avec l'art. 28b CC une norme de droit civil destinée à protéger à la fois les victimes de violences domestiques et les victimes de harcèlement obsessionnel. Au moment de l'entrée en force de la nouvelle disposition, le 1 er juillet 2007, tous les cantons avaient désigné un service chargé d'intervenir en cas de crise tel que prévu à l'al. 4 et avaient réglementé la procédure. Un grand nombre d'entre eux avait en outre adapté en conséquence leurs lois et ordonnances relatives à la police, certains allant jusqu'à édicter une loi sur la protection contre la violence.

L'obligation faite aux cantons de régler l'intervention en cas de crise a amélioré la protection des victimes de violences domestiques dans ceux qui, précédemment, ne connaissaient pas de telles dispositions. Dans les cantons qui s'en étaient déjà dotés

17 18 19 20 21 22

RO 2014 2055 Voir le ch. 1.2.5.

Voir la note 2.

Iv. pa. Vermot-Mangold (00.419), Protection contre la violence dans la famille et dans le couple (00.419) du 14 juin 2000.

Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 21 février 2001, consultable sous www.parlement.ch (numéro d'objet: 00.419) Iv. pa. Vermot-Mangold (00.419), rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 18 août 2005, FF 2005 6437.

6924

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avant l'adoption de la norme fédérale, l'art. 28b CC a élargi les moyens juridiques existants23.

Aspects fondamentaux Avec l'art. 28b CC, le législateur fédéral a créé une norme qui donne aux victimes les moyens de se protéger, grâce à des mesures de droit civil, contre les atteintes et la mise en danger de leur intégrité physique, psychique, sexuelle et sociale par la violence, les menaces ou le harcèlement24, dans leur environnement social proche et moins proche. En tant que disposition de droit civil, l'art. 28b CC n'est pas centré sur la répression de l'auteur, mais vise plutôt à offrir à la personne lésée ou menacée un rempart contre de nouveaux actes de violence ou de harcèlement ou de nouvelles menaces.

Pour réaliser cet objectif, l'art. 28b CC autorise le juge à ordonner des mesures indépendamment de la nature des rapports juridiques ou de la relation qu'entretiennent les personnes concernées. Que l'auteur et la victime soient mariés ou non, qu'ils fassent ou non ménage commun ou aient vécu un jour ensemble entre aussi peu en ligne de compte que la forme de leur relation. La norme s'applique donc aussi bien aux couples qu'aux colocataires et aux relations parent-enfant, et aux violences exercées par exemple contre des colocataires âgés, ou par des enfants adultes contre leurs parents. Enfin, la disposition protège aussi les victimes des personnes qu'elles ne connaissent pas personnellement et avec qui elles n'ont aucun lien, actuel ou passé.

Art. 28b CC: aspects de droit matériel La protection contre la violence en droit civil fait partie de la protection de la personnalité réglée aux art. 28 à 28l CC. Le juge peut ordonner une mesure de protection de la personnalité s'il y a atteinte illicite à celle-ci. L'atteinte doit présenter un certain degré d'intensité, tout comportement socialement incorrect n'étant pas constitutif d'une atteinte à la personnalité. Il en va de même pour les menaces, définies comme des situations où l'auteur annonce vouloir porter illicitement atteinte à la personnalité de la victime, ce qui amène cette dernière à craindre pour son intégrité physique, psychique, sexuelle ou sociale ou du moins pour celle de personnes qui lui sont proches; ainsi ne peut-il s'agir d'une menace anodine.

De manière générale, le demandeur peut requérir du juge les actions suivantes: 1.

interdiction d'une atteinte imminente,

2.

cessation d'une atteinte existante,

3.

constat de l'atteinte à la personnalité,

4.

communication et publication du jugement.

Ces mesures peuvent être ordonnées indépendamment de la culpabilité de l'auteur.

23 24

Rapport de la CAJ-N (note 21), 6444 ss Pour la définition, voir le ch. 1.3.1

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L'art. 28b, al. 1, CC concrétise la protection de la personnalité en droit civil en énumérant les mesures que le juge est habilité à ordonner pour éviter ou faire cesser une atteinte illicite à la personnalité sous forme d'actes violents, de menaces ou de harcèlement obsessionnel.

Le juge peut aussi, pour protéger le demandeur, interdire au défendeur d'approcher la victime, de prendre contact avec elle ou de fréquenter certains lieux. La liste des mesures n'est pas exhaustive. Le juge peut également ordonner d'autres mesures propres à protéger le demandeur contre la violence, les menaces ou le harcèlement 25.

En vertu de l'art. 172, al. 3, CC et des art. 276, al. 1, et 307 du code de procédure civile (CPC)26, les dispositions de l'art. 28b CC s'appliquent par analogie à la procédure de protection de l'union conjugale et à la procédure de divorce, ainsi qu'à la procédure de dissolution du partenariat enregistré.

Les al. 2 et 3 de l'art. 28b CC rendent possible une expulsion du logement lorsque la victime et l'auteur des violences font ménage commun et permettent en outre, en accord avec le bailleur, de transférer le bail à la victime. Cette disposition vise à offrir à la victime une autre solution que la fuite.

L'al. 4 s'adresse aux cantons et concerne la création d'un service chargé d'intervenir en cas de crise27.

Lorsqu'il prend des mesures pour protéger la victime, le juge doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 5, al. 2, et 36, al. 3, de la Constitution [Cst.]28). Cela vaut en particulier pour la durée des mesures, puisque la loi ne prévoit pas de limite temporelle. Le juge prend la mesure qui est nécessaire pour protéger la victime et la moins incisive pour l'auteur de violence. Pour faire respecter les mesures de protection, le juge les ordonne généralement sous la menace d'une peine selon l'art. 292 CP (insoumission à une décision de l'autorité).

Art. 28b CC: aspects procéduraux Le recours à la protection prévu par le droit civil à l'art. 28b CC suppose toujours une initiative de la victime; celle-ci, ou son représentant, doit présenter une demande au juge pour qu'il ordonne des mesures protectrices au sens de l'art. 28b CC. Il appartient à la victime de prouver l'existence ou le risque d'une atteinte à sa personnalité par des violences, des menaces ou du harcèlement. Les
mesures citées à titre d'exemple dans la disposition supposent que le membre du couple qui subit des violences soit disposé à se séparer (du moins provisoirement).

Quand bien même toutes les victimes de violence peuvent se prévaloir en principe de l'art. 28b CC, le droit de procédure applicable varie selon la nature de la relation entre la victime et l'auteur. Si les deux personnes sont mariées, il est possible de requérir et d'ordonner des mesures protectrices de l'union conjugale (art. 172, al. 3, CC). Dans le cadre de la protection de l'union conjugale, le juge peut aussi ordonner des mesures au sens de l'art. 28b CC. La procédure sommaire s'applique à toutes les mesures protectrices de l'union conjugale (art. 271, let. a, CPC) et le tribunal établit 25 26 27 28

Rapport de la CAJ-N (note 21), 6451 RS 272 Voir le ch. 1.2.6 RS 101

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les faits d'office (maxime inquisitoire; art. 272 CPC). Dans les autres cas, et en particulier lorsque l'auteur et la victime ne sont pas mariés, c'est la procédure simplifiée qui s'applique (art. 243, al. 2, let. b, CPC).

La procédure simplifiée a pour caractéristique un formalisme moindre, la prédominance de la forme orale et un rôle matériel accru du tribunal. La maxime inquisitoire sociale s'applique en vertu de l'art. 247, al. 2, let. a, CPC; elle veut que le tribunal établisse également les faits d'office. A la différence de la procédure sommaire, la procédure simplifiée est en principe automatiquement précédée d'une tentative de conciliation (art. 197 ss CPC). La procédure simplifiée et la procédure sommaire se distinguent généralement aussi l'une de l'autre par leurs coûts.

Si le couple a des enfants mineurs, le juge adopte les mesures nécessaires selon les dispositions sur les effets de la filiation (art. 270 ss CC) (réglementation des relations personnelles ou des obligations d'entretien). Dans le cas d'un couple marié, il statue dans le cadre de la procédure de protection de l'union conjugale (art. 176, al. 3, et 315a CC); dans le cas de parents non mariés, c'est l'autorité de protection de l'enfant qui est compétente (art. 315 CC).

Vu la longueur des procédures civiles et le caractère urgent des mesures de protection, la loi prévoit la possibilité de mettre en place des mesures provisionnelles si le demandeur rend vraisemblable qu'il est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (art. 261 CPC). En cas d'urgence particulière, le juge peut ordonner une mesure superprovisionnelle (art. 265 CPC) sans entendre (préalablement) la partie adverse.

Dans les deux cas, les mesures sont ordonnées en procédure sommaire et non en procédure ordinaire (art. 248, let. d, CPC), ce qui garantit une protection rapide de la victime.

1.2.5

La protection pénale contre la violence dans le couple

Précédente révision du droit procédural Jusqu'en 2004, les lésions corporelles simples, les voies de fait réitérées et les menaces, ainsi que le viol et la contrainte sexuelle entre conjoints étaient poursuivis sur plainte exclusivement. La décision d'ouvrir une poursuite pénale incombait à la seule victime, d'où le risque que celle-ci renonce à dénoncer les faits29 ou retire sa plainte30 par scrupule moral, par résignation, mais aussi parce qu'elle était dépendante de son partenaire ou qu'elle en avait peur. On reprochait à la législation alors 29

30

Initiative parlementaire 96.464. Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence commis sur des femmes. Révision de l'article 123 CP; initiative parlementaire 96.465. Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence à caractère sexuel commis sur un conjoint. Modification des articles 189 et 190 CP. Rapport du 28 octobre 2002 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national. Avis du Conseil fédéral du 19 février 2003, FF 2003 1750 1753.

Initiative parlementaire 96.464. Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence commis sur des femmes. Révision de l'article 123 CP; initiative parlementaire 96.465. Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence à caractère sexuel commis sur un conjoint. Modification des articles 189 et 190 CP. Rapport du 28 octobre 2002 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, FF 2003 1779 1781.

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en vigueur de créer, de facto, un espace de non-droit pour la violence dans le couple.

Dans la pratique, beaucoup de procédures étaient suspendues suite à un retrait de plainte. Lorsque des tiers non impliqués dénonçaient les faits, les autorités ne disposaient d'aucun moyen d'agir tant que la victime n'avait pas déposé plainte.

Le 1er avril 2004 sont entrées en vigueur les révisions du code pénal et du code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)31 destinées à pallier ces insuffisances. L'exigence d'une plainte a été supprimée pour la contrainte sexuelle et le viol entre époux (art. 189 et 190 CP). Les lésions corporelles simples, les voies de fait réitérées et les menaces commises dans le couple par le conjoint ou le partenaire ont été érigées en infractions poursuivies d'office. En 2007, la réglementation a été étendue au partenariat enregistré (art. 123, ch. 2, al. 3 à 5, 126, al. 2, let. b, bbis et c, et 180, al. 2, CP)32.

L'introduction de la poursuite d'office a été assortie d'une nouvelle disposition de droit de procédure: l'art. 55a CP et son pendant à l'art. 46b CPM tiennent compte de l'intérêt des victimes qui ne souhaitent ni poursuivre ni punir l'auteur des violences.

En cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menaces ou de contrainte à l'intérieur du mariage, d'un partenariat enregistré ou d'une union libre (art. 123, ch. 2, al. 3 à 5, 126, al. 2, let. b, bbis et c, 180, al. 2, et 181 CP), la procédure peut être suspendue dans un premier temps puis classée, pour autant que la victime (ou son représentant légal) le demande ou donne son accord à la proposition de suspension de l'autorité (art. 55a, al. 1, let. b, CP). Si la victime révoque son accord dans les six mois qui suivent la suspension, la procédure est reprise (art. 55a, al. 2, CP). En l'absence de révocation, le ministère public ou le juge ordonne le classement de la procédure (art. 55a, al. 3, CP).

Conformément à la volonté du législateur d'alors, la demande de suspension n'est pas automatiquement acceptée; l'autorité compétente doit examiner si elle entend prononcer ou non la suspension, l'intérêt public pouvant l'emporter sur le souhait exprimé par la victime. Dans ce sens, l'art. 55a CP est une disposition potestative.

Selon l'esprit et la lettre de la loi, la victime ne doit pas être seule
à décider de la suspension, et l'autorité ne doit pas l'ordonner sans examen 33.

Une fois suspendue, la procédure ne sera cependant reprise que si la victime le demande; les autorités ne sont en effet pas habilitées à reprendre la procédure de leur propre chef. Si la victime ne révoque pas son accord dans les délais, les autorités sont tenues de classer la procédure.

31 32

33

RS 321.0 Conjoints et partenaires: Code pénal suisse (Poursuite des infractions entre conjoints ou partenaires), RO 2004 1403; rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (note 30), FF 2003 1750 et avis du Conseil fédéral (note 29), FF 2003 1779; partenariat enregistré: loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe (loi sur le partenariat, LPart), RO 2005 5685; message relatif à la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe, FF 2003 1192.

Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (note 30), FF 2003 1750 1763.

6928

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Art. 55a CP: jurisprudence Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les autorités sont obligées de suspendre la procédure si la victime en a exprimé le souhait. Elles peuvent toutefois renoncer à le faire si elles parviennent à la conclusion que la proposition de suspension ne correspond pas au libre arbitre de la victime. La non-prise en compte de la demande de suspension n'est admissible que si la victime a été amenée à renoncer à la procédure par la menace, la tromperie ou la violence ou si elle n'était pas informée des autres moyens de soutien ou d'action34.

Cette jurisprudence repose sur la considération que la disposition légale, telle qu'elle est formulée, se réfère uniquement à la volonté de la victime. Bien que le premier alinéa de l'art. 55a CP soit une disposition potestative, le texte de loi ne comprend pas d'autres critères qui permettraient de déterminer les conditions auxquelles les autorités peuvent suspendre ou non la procédure. Si celle-ci est suspendue et que la victime ne révoque pas son accord, l'autorité est tenue de classer définitivement le dossier.

La jurisprudence du Tribunal fédéral a pour effet que la responsabilité de la décision quant à la suspension de la procédure est reportée en principe sur la victime. Il ne reste ainsi guère de marge d'appréciation aux autorités35. Si la déclaration de la victime ne souffre pas d'un vice de consentement, la procédure doit être classée. Ce principe s'applique également aux cas dans lesquels il est prévisible que la violence domestique continue ou dans lesquels il est établi que le prévenu a de nouveau perpétré des actes de violence, mais où la victime déclare son désintérêt pour la procédure tout en étant consciente du risque de nouvelles infractions.

Interdiction de contact, interdiction géographique et surveillance électronique en droit pénal Au 1er janvier 2015, l'extension de l'interdiction d'exercer une activité dans le CP, le CPM et le droit pénal des mineurs du 20 juin 2003 (DPMin)36 a été l'occasion d'instaurer une interdiction de contact et une interdiction géographique. Celles-ci peuvent être ordonnées par le juge au titre de mesures si l'auteur a commis un crime ou un délit contre une ou plusieurs personnes déterminées ou contre les membres d'un groupe déterminé et s'il y a lieu de craindre qu'il commette un nouveau
crime ou délit en cas de contact avec ces personnes (art. 67 ss CP). Or l'interdiction sert précisément aussi à prévenir la violence domestique et le harcèlement. Pour son exécution, l'autorité compétente peut ordonner l'utilisation d'un appareil technique fixé à l'auteur permettant notamment de le localiser (art. 67b, al. 3, CP).

Le code de procédure pénale (CPP)37 donne au juge la possibilité d'ordonner contre le prévenu, en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté, une mesure de substitution, notamment l'assignation à résidence ou l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble, ou encore 34

35 36 37

Arrêt du TF 6S.454/2004 du 21 mars 2006, consid. 3, avec renvoi à l'avis du Conseil fédéral (note 29), FF 2003 1779, 1783, et arrêt du TF 6B_835/2009 du 21 décembre 2009, consid. 4.2.

Riedo Christof, Strafverfolgung um jeden Preis?, ZStrR 2009, 420 ss, 432 s.

RS 311.1 RS 312.0

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l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (art. 237, al. 2, let. c et g, CPP). Pour surveiller l'exécution de ces mesures, le tribunal peut ordonner l'utilisation d'appareils techniques qui peuvent être fixés à la personne sous surveillance (art. 237, al. 3, CPP).

La surveillance électronique sera pratiquée en outre dans le cadre de l'exécution des peines. Avec la réforme du droit des sanctions dans le CP et le CPM, adoptée le 19 juin 2015 par le Parlement, l'exécution des peines sous surveillance électronique en dehors de l'établissement d'exécution sera érigée en mode d'exécution ordinaire des courtes peines privatives de liberté ou comme phase d'exécution supplémentaire à l'exécution des peines de longue durée (art. 79b CP dans la version modifiée du 19 juin 2015). La nouvelle disposition doit entrer en vigueur le 1 er janvier 201838. Elle n'empêchera pas de recourir au GPS (Global Positioning System)39. Contrairement aux deux formes de surveillance électronique citées plus haut, cette forme d'exécution des peines privatives de liberté ne pourra entrer en ligne de compte que si le risque de récidive peut être écarté. Elle n'a donc pas de fonction de sécurité. A son entrée en vigueur, la nouvelle réglementation conférera une base légale à la surveillance électronique menée à titre d'essai par plusieurs cantons40.

Pour le reste, les cantons seront libres de recourir à la surveillance électronique comme complément aux moyens déjà utilisés dans l'exécution des peines et des mesures (personnel et caméras de surveillances, murs d'enceinte, fil de fer barbelé, etc.).

1.2.6

Droit cantonal

Mise en oeuvre et exécution du droit fédéral L'entrée en vigueur de l'art. 28b CC le 1er janvier 2007 a obligé les cantons à désigner un service compétent pour expulser immédiatement l'auteur de l'atteinte de son logement (art. 28b, al. 4, CC). Les lois spéciales de protection contre la violence41,

38 39

40

41

RO 2016 1249 Plusieurs participants à la consultation ont explicitement demandé que la surveillance électronique soit couplée à un GPS aux fins de protection des victimes: Office fédéral de la justice, Synthèse du 12 octobre 2011 des résultats de la consultation sur le rapport explicatif et l'avant-projet relatifs à la modification du code pénal et du code pénal militaire (réforme du droit des sanctions), 36, consultable sous www.ofj.admin.ch > Sécurité > Modification du régime des sanctions > Résultats de la procédure de consultation (synthèse).

Depuis 1999, les cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Berne, Vaud, Genève et Tessin et depuis 2003 le canton de Soleure, réalisent des essais d'exécution des peines sous la forme d'une surveillance électronique. Voir à ce sujet le rapport de l'Office fédéral de la justice du 4 août 2009 « Expériences faites en matière de surveillance électronique des détenus depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle PG-CP (2007/2008), Synthèse des résultats de l'évaluation menée dans les cantons de BE, SO, BS, BL, TI, VD et GE », consultable sous www.bj.admin.ch > Sécurité > Surveillance électronique.

Canton de Neuchâtel: loi du 30 mars 2004 sur la lutte contre la violence dans les relations de couple (LVCouple) (RSN 322.05); canton de Genève: loi du 16 septembre 2005 sur les violences domestiques (F 1 30); canton de Zurich: Gewaltschutzgesetz vom 19. Juni 2006 (LS 351); canton d'Obwald: Gesetz vom 21. Mai 2010 über den Schutz bei häuslicher Gewalt (GDB 510.6).

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les dispositions spéciales des lois cantonales sur la police42 et les lois d'introduction du CC43 adoptées par les cantons prévoient des mesures immédiates de police qui octroient à la victime un temps de protection. Certains cantons prévoient des mesures de protection sur dix à vingt jours, combinées à une menace de peine selon l'art. 292 CP. Ces mesures peuvent le cas échéant être imposées par la contrainte policière, par exemple sous la forme d'une brève garde à vue 44. Le juge peut ordonner la prolongation des mesures policières de protection (généralement pour une durée de trois mois au plus).

Dispositions cantonales Les lois de protection contre la violence adoptées par certains cantons réglementent le problème de la violence domestique et du harcèlement qui peut lui être lié de manière globale et offrent souvent aux victimes un accès facilité à des mesures de protection45.

1.3

Harcèlement

1.3.1

Définition

La présente révision ne concerne pas uniquement la violence domestique, mais aussi le harcèlement. Le terme stalking, utilisé en allemand46, provient du vocabulaire anglais de la chasse. Il décrit le phénomène consistant à poursuivre et à harceler compulsivement une personne47. Le langage juridique français emploie le terme de «harcèlement» (voir l'art. 28b CC). On parle aussi de harcèlement obsessionnel. Il n'existe pas de définition générale et établie du harcèlement48. Dans le présent 42

43

44 45

46 47

48

Par ex. les art. 29 s. de la loi du 8 juin 1997 sur la police du canton de Berne (RSB 551.1); § 56 ss de la Polizeigesetz du 9 novembre 2011 du canton de Thurgovie (RB 551.1); art. 43 ss de la Polizeigesetz du 10 avril 1980 du canton de St-Gall (sGS 451.1); § 34 de la Polizeigesetz du 6 décembre 2005 du canton d'Argovie (SAR 531.200).

Voir par ex. l'art. 6 de la loi d'application du code civil suisse du 10 février 2012 du canton de Fribourg (RSF 210.1); § 13a ss de la Einführungsgesetz zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch du 20 novembre 2000 du canton de Lucerne (SRL n o 200).

Hrubesch-Millauer Stephanie/Vetterli Rolf, Häusliche Gewalt: die Bedeutung des Artikels 28b ZGB, FamPra.ch 2009, 535 ss, 558 avec d'autres références.

Voir Gloor Daniela/Meier Hanna/Büchler Andrea, Schlussbericht zur Evaluation «Umsetzung und Wirkung von Art. 28b ZGB», 10 mai 2015, consultable sous www.bj.admin.ch > Sécurité > Protection des victimes de violence domestique.

Voir le § 238 du code pénal allemand (Nachstellungen) et 107a du code pénal autrichien (beharrliche Verfolgung).

Le harcèlement obsessionnel n'est pas un phénomène nouveau; mais il acquiert une nouvelle dimension, notamment en raison du progrès technologique et des nouveaux moyens de communication. Voir Zimmerlin Sven, Stalking ­ Erscheinungsformen, Verbreitung, Rechtsschutz, Sicherheit & Recht 1/2011, p. 3 ss et 4 s.; Feuille d'information 7 du Bureau fédéral de l'égalité entre hommes et femmes, consultable sous: www.bfeg.admin.ch > Documentation > Publications sur la violence > Feuilles d'information violence domestique > Feuille d'information 7, p. 4 (état: 25.09.2017).

Zimmerlin (note 46), p. 3; Egger Theres/Jäggi Jolanda/Guggenbühl Tanja, Massnahmen zur Bekämpfung von Stalking: Übersicht zu national und international bestehenden Praxismodellen, Forschungsbericht, 22 mars 2017, p. 4, consultable sous www.bfeg.admin.ch > Documentation > Publications sur la violence.

6931

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contexte, la définition contenue à l'art. 34 de la convention d'Istanbul peut néanmoins être retenue: selon ce texte, le harcèlement est le fait, lorsqu'il est commis intentionnellement, d'adopter à plusieurs reprises un comportement menaçant dirigé vers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa sécurité; le comportement menaçant peut inclure le fait de suivre la personne ou de l'importuner d'une autre manière. Ce comportement portant atteinte à la personnalité peut se produire pendant la phase de séparation d'un couple (marié ou non marié) et au-delà (harcèlement consécutif à une séparation). Il peut aussi être le fait d'une connaissance (voisin, collègue de travail, client) ou, plus rarement, d'une personne étrangère à la victime.

Comme pour la violence domestique, ces particularités du harcèlement dans ses diverses manifestations doivent être prises en compte par le législateur qui souhaite adopter des mesures contre le harcèlement. Elles demandent de trouver dans chaque cas, autant qu'il soit possible, des règles spécifiques.

1.3.2

Statistiques

Il n'existe pas, en Suisse, d'études représentatives sur l'ampleur du harcèlement. Les résultats d'études internationales montrent de fortes variations. Les statistiques de la criminalité sous-estiment sans doute le phénomène vu que dans les cas graves de harcèlement, les condamnations sont généralement prononcées pour d'autres infractions49. Les enquêtes sur les fémicides commis par un ex-partenaire montrent qu'un grand nombre de victimes ont d'abord été harcelées50. On peut néanmoins dire que 15 à 18 % des femmes et 4 à 6 % des hommes ont déjà subi un harcèlement, sous une forme ou une autre, au cours de leur vie. Si l'on définit le harcèlement de manière plus restrictive ­ comportements répétés, sur une certaine durée, provoquant chez la victime une peur de violences graves ­ le taux de prévalence est d'environ 8 % chez les femmes et 2 % chez les hommes51.

49

50

51

Conseil de l'Europe, Assemblée parlementaire, commission sur l'égalité et la non-discrimination (2013): rapport «Le harcèlement», doc. 13336, 15 octobre 2013, rapporteur: Gisela Wurm.

Dressing Harald/Whittaker Konrad/Bumb Malte (2015): Einleitung: Stalking Forschungsstand und rechtliche Möglichkeiten in Deutschland, in: MacKenzie Rachel D., Troy E. McEwan, Michele T. Pathé, David V. James, James R.P. Oglof and Paul E. Mullen (2015): Stalking. Ein Leitfadenzur Risikobewertung von Stalkern ­ das «Stalking Risk Profile», 11-24; McFarlane Judith, Jacquelyn C. Campbell and Kathy Watson (2002): Intimate Partner Stalking and Femicide: Urgent Implications for Women's Safety, Behav Sci Law 20, 51-68, DOI 10.1002./bsl.477.

Egger/Jäggi/Guggenbühl (note 48), 9 s.

6932

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1.3.3

La protection contre le harcèlement dans le droit civil actuel

La norme de protection contre la violence de l'art. 28b CC revêt aussi une grande importance pour les cas de harcèlement52. L'introduction de la nouvelle norme visait à mieux protéger non seulement les victimes de la violence domestique, mais aussi les victimes de harcèlement. Peuvent notamment être utiles, dans un cas concret, une interdiction faite à l'auteur d'approcher la victime, de prendre contact avec elle ou de fréquenter certains lieux, selon les termes de l'art. 28b, al. 1. Ici encore, il doit s'agir d'actes répétés d'une certaine intensité causant une grande peur chez la victime (impuissance, paralysie, sentiment d'oppression écrasante), pour que puissent s'appliquer les normes du droit civil.

1.3.4

La protection pénale contre le harcèlement

Le harcèlement peut être poursuivi et sanctionné sur la base de diverses dispositions pénales. Il s'agit notamment des dispositions visant les lésions corporelles (art. 122 s. CP), les voies de fait (art. 126 CP), les dommages à la propriété (art. 144), les infractions contre l'honneur (art. 173 ss CP), l'utilisation abusive d'une installation de télécommunication (art. 179septies CP), les menaces (art. 180 CP), la contrainte (art. 181 CP), la violation de domicile (art. 186 CP) ou les contraventions contre l'intégrité sexuelle (art. 198 CP)53. Souvent, le harcèlement déclenche une dynamique qui peut déboucher, dans des cas extrêmes, sur des lésions corporelles graves, sur des violences sexuelles (art. 189 ss CP), voire sur le meurtre de la victime (art. 11 ss CP)54.

Le Tribunal fédéral a développé une jurisprudence relative à la contrainte par harcèlement et confirmé un arrêt ancien en 2015: contrairement au harcèlement tel que défini dans les ordres juridiques étrangers, la contrainte présuppose un examen de chaque acte individuel et non du comportement général du prévenu. Toutefois, ces actes doivent être appréciés en tenant compte de l'ensemble des circonstances: en cas d'agissements répétés sur une certaine période, leurs effets se cumulent. Une fois une certaine intensité atteinte, chaque acte ­ qui ne suffirait pas en lui-même à réaliser l'infraction de contrainte ­ peut avoir sur la liberté de la victime de se mouvoir un effet comparable à celui de la violence ou de la menace 55.

Seul le «harcèlement doux» n'est pas visé par le droit pénal. Ce terme désigne les comportements par lesquels le harceleur cherche régulièrement à se rapprocher physiquement de la victime sans que celle-ci soit oppressée de manière reconnaissable.

52 53

54 55

Voir les ch. 1.2.3 et 1.2.4.

Outre les infractions de base du droit pénal, peuvent également entrer en ligne de compte les violations de la loi sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (RS 741.01); voir Zimmerlin (note 46), p. 18, avec renvoi à l'arrêt du Tribunal fédéral 1P.671/2006 du 27 décembre 2006, consid. 3.1.

Voir la Feuille d'information 7 du Bureau fédéral de l'égalité entre hommes et femmes (note 46), p. 1, avec renvois.

ATF 141 IV 437, consid. 3.2, qui confirme l'ATF 129 IV 262, consid. 2.4 s.

6933

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1.3.5

Droit cantonal

Pour ce qui concerne le droit cantonal, se référer au ch. 1.2.6.

1.4

Interventions parlementaires

L'entrée en vigueur de la norme de droit civil sur la protection contre la violence le 1er juillet 2007 n'a pas clos le débat sur la violence domestique et le harcèlement.

Plusieurs interventions parlementaires postérieures portaient sur ce problème, tant dans le domaine du droit civil que sous l'angle du droit pénal. Depuis la fin 2007, la violence domestique, au sens étroit et au sens large, a fait l'objet de quelque 70 propositions tandis que dix autres propositions concernaient le harcèlement obsessionnel56. Il convient d'examiner ci-après plus en détail les interventions parlementaires qui ont motivé la réglementation proposée.

1.4.1

Annonce d'une évaluation de la mise en oeuvre de l'art. 28b CC

Dans son avis du 19 novembre 2008 sur la motion 08.349557, le Conseil fédéral a fait part de son intention de soumettre à une évaluation l'art. 28b, al. 1, CC. Il en fait aussi mention dans ses avis du 13 mai 2009 et du 23 novembre 2013 relatifs à trois autres interventions parlementaires ainsi que dans un rapport qu'il a adopté le 13 mai 2009:

56 57 58 59 60

61 62 63

­

motion 09.305958 (adoptée)59;

­

motion 09.316960 (rejetée);

­

rapport du Conseil fédéral sur la violence dans les relations de couple (ses causes et les mesures prises en Suisse)61, réalisé en exécution du postulat 05.369462;

­

motion 13.374263 (liquidée).

Les interventions peuvent être consultées dans la base de données des objets parlementaires, à l'adresse www.parlement.ch > Recherche.

Motion Fiala «Harcèlement obsessionnel» (08.3495) du 18 septembre 2008.

Motion Heim «Endiguer la violence domestique» (09.3059) du 5 mars 2009.

Voir à ce sujet, ainsi que sur le rapport du Conseil fédéral du 28 janvier 2015, les ch. 1.4.3 et 1.5.2.

Motion Geissbühler «Traiter les violences domestiques soit comme des infractions poursuivies d'office, soit comme des infractions poursuivies sur plainte» (09.3169) du 18 mars 2009.

Rapport sur la violence dans les relations de couple. Ses causes et les mesures prises en Suisse (en réponse au postulat Stump 05.3694 du 7 octobre 2005), FF 2009 3611, 3636.

Postulat Stump «Identifier les causes de la violence et engager la lutte contre ce phénomène» (05.3694) du 7 octobre 2005.

Motion Fiala «Agir rapidement contre le harcèlement obsessionnel» (13.3742) du 19 septembre 2013.

6934

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L'évaluation a montré qu'une intervention s'imposait. La présente révision se fonde sur les constatations faites à cette occasion.

1.4.2

Exécution des peines au moyen de dispositifs électroniques: motion Perrin (09.4017)

La motion 09.401764 demande que l'on protège mieux les victimes de violences domestiques en imposant aux auteurs des violences le port d'un bracelet électronique. Ainsi, la motion ne vise pas une modification du droit matériel, mais demande de garantir l'application des mesures ordonnées pour protéger la victime.

Dans son avis du 17 février 2010, le Conseil fédéral a déclaré adhérer à la vision politique de la motion. Il relève cependant la nécessité de créer préalablement une base légale permettant au juge d'ordonner l'usage de dispositifs électroniques pour faire respecter les mesures d'éloignement dont sont frappés les partenaires violents.

Le Conseil national a approuvé la motion le 3 mars 201065, le Conseil des Etats le 30 mai 201166.

1.4.3

Examen de la pratique en matière de suspension des procédures: motion Heim (09.3059)

La motion 09.305967 porte sur l'art. 55a CP. L'auteure de la motion regrette que la procédure ne puisse être reprise qu'à la demande de la victime. Elle estime aussi inacceptable que les autorités cantonales suspendent des procédures malgré des violences réitérées. Par conséquent, elle demande au Conseil fédéral d'établir un rapport sur la pratique en matière de suspension de la procédure et de proposer, sur la base de ses conclusions, des mesures appropriées pour endiguer la violence et renforcer le statut juridique des victimes. Elle l'engage à évaluer en particulier les mesures qui subordonnent la suspension de la procédure à la fréquentation d'un programme d'apprentissage contre la violence.

En vue de l'évaluation exigée, les Chambres fédérales ont transformé la motion en un mandat d'examen (voir les art. 120 et 123 de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement [LParl]68)69. Ce mandat charge le Conseil fédéral d'examiner, sur la base du rapport relatif à la pratique des suspensions, s'il y a lieu de prendre des mesures pour endiguer les actes de violence et renforcer le statut juridique des victimes. Il est invité à évaluer en particulier l'opportunité de mesures poursuivant les objectifs suivants:

64 65 66 67 68 69

Motion Perrin «Protection des femmes battues» (09.4017) du 25 novembre 2009.

BO 2010 N 92 BO 2011 E 357 Motion Heim «Endiguer la violence domestique» (09.3059) du 5 mars 2009.

RS 171.10 BO 2009 E 1306 ss; BO 2010 N 130 ss.

6935

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1.

La procédure pourra être suspendue provisoirement uniquement si l'auteur des violences suit un programme d'apprentissage contre la violence. Le classement définitif de la procédure dépendra de la réussite du programme et de l'absence de récidive.

2.

Si, dans les six mois suivant la suspension provisoire, l'auteur des violences cesse de participer au programme d'apprentissage ou est poursuivi pour de nouvelles violences, la procédure pourra être reprise d'office.

3.

En cas de récidive, une suspension ne sera plus possible et, si la procédure a été suspendue, elle sera reprise d'office.

1.4.4

Audition de la victime: motion Keller-Sutter (12.4025)

La motion 12.402570 demande elle aussi une modification de l'art. 55a CP. Elle prie le Conseil fédéral d'en changer l'al. 2 de sorte qu'une procédure ne puisse être suspendue ou classée avant une nouvelle audition de la victime. Les propos de la victime sont à prendre en compte dans la décision de classement. L'auteure de la motion estime qu'une nouvelle audition pourrait conduire le juge à prononcer des sanctions contre l'auteur si ce dernier n'a pas profondément changé de comportement depuis la suspension. Elle juge inacceptable que les autorités de poursuite pénale n'agissent qu'en cas de nouvelle escalade de la violence. Il convient donc de combattre résolument les situations de violence pouvant s'installer sur des années.

Les Chambres fédérales ont accepté la motion sur recommandation du Conseil fédéral.

Dans son avis rendu le 20 février 2013, le Conseil fédéral renvoie à la motion Heim (09.3059) et explique que la révision de l'art. 55a CP devra prendre en compte les résultats livrés par l'examen des pratiques en matière de suspension des procédures, afin de pouvoir opérer une révision complète et cohérente. Il y fait part de son intention de soumettre l'art. 55a CP à un examen complet.

1.5

Evaluation et examen des instruments actuels

1.5.1

Evaluation de l'art. 28b CC

Contexte Un peu plus d'un an après l'entrée en vigueur de la disposition du code civil, le Conseil fédéral, dans son avis du 19 novembre 2008 relatif à la motion 08.3495 71 a fait part de son intention d'«observer attentivement la mise en oeuvre de l'art. 28b, al. 1, CC pour en évaluer l'efficacité». Lors de l'adoption de son rapport sur la «Violence dans les relations de couple. Ses causes et les mesures prises en Suisse», 70 71

Motion Keller-Sutter du 29 novembre 2012 «Mieux protéger les victimes de violences domestiques».

Motion Fiala «Harcèlement obsessionnel» (08.3495) du 18 septembre 2008.

6936

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le Conseil fédéral a chargé l'OFJ d'évaluer la mise en oeuvre de l'art. 28b CC en examinant en particulier l'impact des contraintes procédurales (charges de la preuve, incidences financières) sur l'efficacité de la disposition72.

Le 5 février 2014, l'Office fédéral de la justice a publié un appel d'offres pour une évaluation de l'efficacité de l'art. 28b CC. Il a confié cette tâche à la société Social Insight GmbH en collaboration avec Mme Andrea Büchler, professeur de droit de l'Université de Zurich. L'évaluation s'est étendue de juin 2014 à mars 2015.

But de l'évaluation L'objectif de l'évaluation consistait à examiner dans quelle mesure la disposition de protection contre la violence inscrite dans le code civil avait fait ses preuves dans la pratique. Du fait que la procédure civile revêt des formes différentes selon que l'auteur et la victime sont unis ou non par le mariage, l'évaluation comprend deux volets, le premier s'intéressant aux mesures de protection dans la procédure matrimoniale (protection de l'union conjugale, séparation, divorce) et le second aux procédures ne relevant pas du droit du mariage 73. L'évaluation devait aussi porter sur l'application de la norme de droit civil aux cas de harcèlement (persécution de l'ex-conjoint ou de l'ex-partenaire, persécution d'un inconnu). Elle s'est aussi intéressée à la coordination entre les multiples autorités judiciaires et administratives et les autres professionnels impliqués, ainsi qu'à l'échange d'informations entre ces derniers, et a cherché à déterminer les effets de la non-observation des mesures de protection ordonnées par le juge à l'encontre de l'auteur des violences.

Les résultats fournis devaient permettre de se prononcer sur l'opportunité d'une adaptation de la norme sur la protection contre la violence en droit civil. Sachant que l'efficacité d'une norme légale dépend à la fois du droit matériel et des dispositions procédurales dont elle est assortie, les auteurs ont choisi d'intégrer des éléments de la procédure dans leur analyse, ce qui se justifie d'autant plus que dans une procédure civile, les mesures de protection doivent être ordonnées par le juge et que leur exécution ressortit aux cantons. En définitive, l'évaluation avait aussi pour but de déterminer la nécessité d'une adaptation des dispositions de procédure,
en particulier du CPC.

Démarche L'évaluation comprenait une enquête écrite auprès des tribunaux de première instance, auprès des avocats et des services d'aide aux victimes et, le cas échéant, des maisons d'accueil pour femmes, dans tous les cantons. L'enquête a été complétée par onze entretiens avec des professionnels et des institutions appelés à participer à l'application de l'art. 28b CC.

72

73

Rapport sur la violence dans les relations de couple. Ses causes et les mesures prises en Suisse (en réponse au postulat Stump 05.3694 du 7 octobre 2005), note 62, FF 2009 3611, 3636.

Voir le ch. 1.2.4, sous «Art. 28b CC: aspects procéduraux».

6937

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Résultats de l'évaluation74 Il ressort de l'évaluation que la protection contre la violence en droit civil demeure, contrairement à l'intention du législateur, un instrument peu utilisé par les victimes de violences. Certaines personnes interrogées ont exprimé des doutes quant à l'utilité de l'art. 28b CC. D'après le rapport final, le constat vaut aussi bien pour la protection contre la violence domestique que pour les cas de harcèlement.

On s'aperçoit que les problèmes tiennent surtout aux démarches à engager pour demander cette protection et à la mise en application des mesures de protection ordonnées par le juge. Voici les éléments critiques pointés par les acteurs interrogés: ­

Contraintes procédurales importantes: la conduite de la procédure selon le principe de disposition est jugée difficile, sinon irréaliste pour une personne qui subit des violences. Les coûts de la procédure semblent exercer un effet dissuasif en raison du paiement d'avances de frais, du risque financier encouru en cas de rejet de la demande, et de la perspective d'une éventuelle demande de remboursement des avances versées par le défendeur (auteur des violences). A cela s'ajoute la souffrance psychique qu'implique la procédure pour une victime de violences. Parmi les points négatifs figurent aussi les procédures distinctes selon qu'il s'agit de couples mariés ou non mariés, avec cette précision que les obstacles sont plus importants pour les victimes qui ne sont pas mariées avec l'auteur des violences.

­

Exécution lacunaire: bien souvent, les mesures de protection ne sont pas mises en oeuvre dans la pratique. La raison tiendrait à ce que le jugement civil ne fait parfois pas mention des sanctions encourues. Et dans les cas où ces sanctions sont précisées, elles ne sont pas appliquées même si l'auteur commet de nouveaux actes de violence. Les personnes interrogées estiment en outre que la menace d'une amende au sens de l'art. 292 CP ne déploie que peu d'effets.

La norme civile de protection contre les violences fait en outre l'objet des critiques suivantes:

74

­

Disparités dans la pratique des tribunaux: le traitement des demandes de mesures de protection varie d'un canton à l'autre et même à l'intérieur d'un même canton. Ces disparités s'observent en particulier au niveau de la conception des mesures de protection dans les cas qui impliquent des enfants mineurs. Elles concernent aussi le montant des frais. Les victimes ont souvent du mal à se faire une idée de ce qui les attend si elles sollicitent des mesures de protection.

­

Manque de coordination entre les mesures policières et les mesures de droit civil. La fixation de délais distincts pose des problèmes considérables aux victimes de violences, notamment lorsque les délais fixes découlant du droit de la police sont trop brefs, avec pour conséquence que les mesures policières risquent d'arriver à échéance ou échoient avant que la protection contre la violence relevant du droit civil n'entre en jeu ou que la victime n'ait pu la demander.

Voir Gloor/Meier/Büchler (note 45).

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­

Manque d'indépendance de la procédure civile: l'évaluation indique aussi que les mesures visées à l'art. 28b CC dépendent souvent de la présence d'indices d'infractions. Les tribunaux seraient ainsi plus enclins à prononcer des mesures de protection si une plainte pénale a été déposée ou si la police a engagé des mesures de protection telles que l'expulsion de l'auteur de son domicile.

­

Manque d'information sur les mesures de protection ordonnées: les organismes tels que l'APEA, la police ou le ministère public sont informés à des degrés divers des mesures de protection ordonnées. L'APEA est informée dans la moitié aux deux tiers des cas dans lesquels des enfants mineurs sont impliqués dans des situations de violence domestique ou de harcèlement.

Sans demande explicite, le juge ordonne des mesures de protection destinées aux seules victimes adultes; les intérêts des enfants mineurs ne sont pas pris en compte et restent par conséquent non réglés. Le ministère public est tenu au courant dans moins de la moitié des cas. Enfin, l'information relative aux mesures de protection au sens de l'art. 28b CC est encore plus rarement transmise à la police.

­

Réglementation lacunaire du droit de visite des enfants: l'interdiction faite à l'auteur de prendre contact avec une personne entre en conflit avec son droit de visite. Dès lors, il y aurait lieu d'adapter le droit de visite au cas particulier. Tel n'est pourtant que rarement le cas, car on sait par exemple que les cantons n'ont souvent pas le personnel suffisant pour organiser des droits de visite sous surveillance.

­

Protection insuffisante contre le harcèlement: l'art. 28b reste peu appliqué dans les cas de harcèlement obsessionnel (au sein du couple ou suite à une séparation ou par une personne étrangère à la victime). Les causes en sont imputées aux défauts déjà mentionnés de la disposition de droit civil (contraintes procédurales importantes, applicabilité insuffisante des mesures ordonnées par le juge). Elles tiendraient cependant aussi au fait que la voie civile se révèle souvent inefficace, les expériences montrant que les auteurs de harcèlement obsessionnel sont plus enclins à cesser leurs agissements lorsqu'ils ont été mis en détention provisoire et ont ainsi été confrontés à une procédure pénale.

Conclusion: il ressort de l'évaluation de l'art. 28b CC que la protection de droit civil contre la violence se perçoit comme un moyen de portée symbolique plutôt que comme une aide efficace pour les victimes de violence domestique ou de harcèlement. De l'avis des auteurs de l'évaluation, les difficultés résident non seulement dans la conception matérielle de l'art. 28b CC, mais aussi et surtout dans les normes régissant la procédure (CPC) et dans la place que l'art. 28b CC occupe dans le contexte global des législations fédérale et cantonales en matière de violence domestique75. Ils pointent la défaillance de l'article considéré, laquelle n'est pas à mettre au compte (uniquement) de la formulation de la loi ou des exigences qu'elle pose, mais semblerait aussi inhérente au système: Les contraintes de la procédure civile, le rapport flou entre le code pénal, le code de procédure pénale, les lois de police et le 75

Gloor/Meier/Büchler (note 45), 78.

6939

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droit civil et les autorités correspondantes, et enfin le lien entre l'état civil et la procédure sont autant de points problématiques d'un système qui souffre d'un manque de cohérence intrinsèque76.

1.5.2

Analyse de l'impact de l'art. 55a CP dans la pratique

Objectif de l'analyse et démarche En exécution de la motion 09.3059, le Conseil fédéral a examiné la question de la suspension de la procédure pénale pour violence dans les relations de couple. Le rapport correspondant date du 28 janvier 201577. Le Conseil fédéral a notamment cherché à savoir si l'introduction de l'art. 55a CP avait modifié la pratique en matière de suspension et à déterminer les motifs des suspensions. Cet exercice a mis en lumière des problèmes dans la procédure pénale pour violence dans le couple et abouti à la présentation de plusieurs mesures correctives.

Le rapport se fonde en premier lieu sur les résultats d'études existantes. L'OFJ a organisé une série de tables rondes avec les procureurs afin de valider les résultats des enquêtes et de recueillir leurs expériences et leurs doléances en lien avec le sujet78.

76 77

78

Gloor/Meier/Büchler (note 45), 78.

Rapport du Conseil fédéral en réponse à la motion 09.3059 Heim «Endiguer la violence domestique» du 28 janvier 2015, consultable sous www.parlement.ch > Objets Recherche > sous Numéro d'objet, indiquer 09.3059 > 09.3059 Endiguer la violence domestique.

Voir le rapport en réponse à la motion Heim (note 77), 6 s.

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Résultats Le rapport rendu par le Conseil fédéral en réponse à la motion 09.3059 se fonde sur cinq enquêtes sur la pratique en matière de suspension des procédures79 et trois rapports80. Ceux-ci ne permettent pas de dégager des données valables pour toute la Suisse en rapport avec les suspensions. Ces études ont en effet exploré la pratique des suspensions sous des angles distincts, sur des périodes différentes et elles se rapportent à certains cantons en particulier. En outre, seule une étude établit une distinction entre les suspensions prononcées en vertu de l'art. 55a CP et celles qui le sont en vertu d'une autre disposition81. Cela étant dit, il apparaît que le taux de suspension ou de classement pour des affaires de lésions corporelles simples, de menaces, de voies de fait et de contrainte dans les relations de couple est très élevé dans tous les cantons. Il varie selon les études entre 53% et 92%, ce qui correspond aux estimations fournies par les procureurs à l'occasion de l'enquête menée par l'Office fédéral de la justice.

La plupart des procédures engagées pour violence dans le couple sont donc suspendues ou classées82. Ce constat vaut pour les procédures engagées à la fois avant et après l'instauration de la poursuite d'office de ces infractions et, partant, de l'entrée en vigueur de l'art. 55a CP. Le nombre de suspensions et de classements n'a de fait que faiblement reculé après la révision de 200483.

79

80

81 82 83

Colombi Roberto, Offizialisierung häuslicher Gewalt am Beispiel der Stadt Zürich: eine dogmatische und empirische Studie, thèse, Zurich 2009; Riedo (note 35), 420 ss; Baumgartner-Wüthrich Barbara, Die Einstellung des Verfahrens bei häuslicher Gewalt ­ Erfahrungen mit Art. 55a StGB im Kanton Bern, mémoire de master HEG Lucerne/ CCFW 2007, consultable sous www.unilu.ch > Weiterbildung > Rechtswissenschaftliche Fakultät > Staatsanwaltsakademie > MAS Forensics > Masterarbeiten MAS Forensics 1; Frauchiger Thomas/Jobin Catherine/Miko Iso Isabel, Monitoring häusliche Gewalt im Kanton Basel-Stadt, Berichterstattung an den Departementsvorsteher, 26 octobre 2012, consultable sous www.jsd.bs.ch > Medien > Dokumentationen; Baumann Isabelle/Killias Martin, Kosten der Staatsanwaltschaften für Fälle von häuslicher Gewalt, Kostenschätzung betreffend Fälle von häuslicher Gewalt in der Schweiz anhand von Daten der Staatsanwaltschaften der Kantone Aargau, Schwyz, Waadt und Zürich», Zurich 2013, consultable sous www.rwi.uzh.ch > Lehre & Forschung > Ehemalige > Lehrstuhl Killias > Publikationen.

Zoder Isabel, Violence domestique enregistrée par la police ­ Vue d'ensemble, Office fédéral de la statistique (éd.), Neuchâtel 2012, consultable sous www.ebg.admin.ch > Documentation > Publications > Publications sur la violence; Fliedner Juliane/Schwab Stephanie/Stern Susanne/Iten Rolf, Coûts de la violence dans les relations de couple, rapport de recherche, Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes (édit.), Zurich 2013, consultable sous www.ebg.admin.ch > Documentation > Publications > Publications sur la violence > Coûts de la violence dans les relations de couple (état au 25.1.2017); Rapport du Conseil fédéral du 27 décembre 2013 établi en exécution du postulat Fehr 09.3878 du 24 septembre 2009 «Dénonciation et effet dissuasif vont de pair» consultable sous: www.ofj.admin.ch > Société > Aide aux victimes d'infractions > Publications.

Frauchiger/Jobin/Miko Iso (note 79).

Pour l'ensemble, voir le rapport en exécution de la motion Heim (note 77), 17 ss et 21.

Colombi (note 79), 306 ss. Dans la ville de Zurich, le taux d'affaires classées a seulement reculé de 72,4 % en 2003 à 66,1 % en 2005.

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2

Autres travaux

2.1

Avant-projet et procédure de consultation

Les interventions déposées au Parlement84, les résultats de l'évaluation et de l'examen des instruments actuels85 et les statistiques rendent évident le besoin de légiférer en matière de violence domestique et de harcèlement.

Ce constat a conduit le Conseil fédéral à ouvrir le 7 octobre 2015 une procédure de consultation sur un avant-projet de loi fédérale sur l'amélioration de la protection des victimes de violence. Il a proposé, pour améliorer l'efficacité des mesures prévues à l'art. 28b CC, d'éliminer certains obstacles procéduraux constatés lors de l'évaluation de cet article. Il a prévu, d'une part, de supprimer les frais judiciaires à la charge de la victime dans la procédure au fonds et, d'autre part, d'éliminer la procédure de conciliation. Il a voulu atténuer les problèmes de coordination en prévoyant que le juge communiquera sa décision aux autorités de poursuite pénale, aux autorités de protection de l'enfant et de l'adulte compétentes, au service intercantonal chargé d'intervenir en cas de crise et aux éventuelles autres personnes concernées. Pour renforcer l'application des mesures de protection ordonnées, il a élaboré, en exécution de la motion 09.4017, une base légale permettant au juge d'ordonner la fixation d'un émetteur électronique au poignet ou à la cheville de l'auteur de l'atteinte, afin de veiller à ce que celui-ci respecte bien l'interdiction de périmètre, l'interdiction géographique ou l'interdiction de contact qui lui a été infligée.

Sur le plan pénal, l'avant-projet présentait une nouvelle réglementation de la suspension et du classement des procédures menées en cas de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menaces ou de contrainte dans les relations de couple.

Premièrement, la décision de poursuivre la procédure pénale ne devait plus dépendre de la seule expression de la volonté de la victime; la responsabilité en matière de suspension, de reprise et de classement de la procédure devait être confiée aux autorités. Celles-ci étaient invitées à prendre en considération d'autres éléments que la déclaration de la victime, notamment le comportement du prévenu et son éventuelle participation à un programme de prévention de la violence. Deuxièmement, la procédure ne pouvait plus être suspendue en cas de soupçons de violence réitérée, en particulier dans
les cas où le prévenu avait déjà été condamné pour une infraction contre la vie et l'intégrité corporelle, contre la liberté ou contre l'intégrité sexuelle de son partenaire actuel ou passé. Troisièmement, la victime devait être entendue avant que la procédure soit classée et confirmer qu'elle souhaitait effectivement le classement. Le Conseil fédéral avait renoncé à instaurer une norme pénale contre le harcèlement.

84 85

Voir le ch. 1.4.

Voir le ch. 1.5.

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2.2

Résultats de la consultation86

25 cantons, six partis politiques et 27 organisations se sont exprimés sur l'avant-projet dans le cadre de la procédure de consultation, soit 58 avis en tout.

2.2.1

Appréciation générale

La quasi-totalité des participants a salué, du moins sur le principe, l'orientation choisie par le Conseil fédéral ou approuvé les efforts qu'il déploie pour améliorer la protection des victimes de violence. L'avant-projet a donné lieu à des critiques ponctuelles et à des propositions d'amélioration.

2.2.2

Code civil et code de procédure civile

Obligation de communiquer les décisions en matière de protection contre la violence à d'autres autorités (art. 28b, al. 3bis, AP-CC) La grande majorité des participants à la procédure de consultation a approuvé l'obligation faite au tribunal civil de communiquer ses décisions à l'APEA et au service d'intervention en cas de crise. Pour un petit nombre d'entre eux, cependant, elle ne va pas assez loin. Ils ont demandé d'une part une extension du cercle des destinataires et d'autre part une formulation moins restrictive.

Obligation d'assurer une formation continue (art. 28b, al. 4, 2e phrase, AP-CC) L'obligation de perfectionnement du personnel des tribunaux civils et du service d'intervention en cas de crise selon l'art. 28b, al. 4, CC, a reçu un accueil controversé. Certes, une majorité des participants a exprimé un avis positif, mais des voix importantes ont émis des réserves. Pour un petit nombre, il est souhaitable d'étendre cette obligation à tous les professionnels qui ont affaire à des personnes concernées par la violence.

Surveillance électronique (art. 28c AP-CC) La plupart des réponses émises dans le domaine du droit civil concernent la nouvelle disposition sur la surveillance électronique. Il s'agit aussi des réponses les plus nuancées. L'avant-projet prévoyait une surveillance active en temps réel avec une évaluation par une centrale 7 jours sur 7 et 24h sur 24 des données de positionnement de la personne surveillée. Cela impliquait une réaction immédiate si la personne en question ne respectait pas l'interdiction dont elle faisait l'objet, avec le cas échéant information de la victime ou envoi de la police. De nombreux participants ont mené une réflexion approfondie sur le projet et l'ont commenté dans le détail.

86

Les résultats détaillés de la consultation peuvent être consultés dans le rapport correspondant sous www.ofj.admin.ch > Sécurité > Projets législatifs en cours > Protection des victimes de violence domestique.

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L'introduction de la surveillance électronique dans le droit civil est controversée. A première vue, de nombreux participants la considèrent comme une solution digne d'être approuvée. Après une réflexion approfondie sur sa mise en oeuvre (exigences techniques et possibilités pratiques, limites, conditions), beaucoup toutefois ont exprimé des critiques.

Outre des craintes d'ordre théorique, les participants ont surtout avancé qu'il était illusoire de vouloir surveiller activement en permanence un grand nombre de personnes. Il n'est pas possible de localiser quelqu'un en tout temps ni de constater immédiatement une infraction. La surveillance étant passive et rétrospective, elle ne permettra pas une intervention directe de la police. S'ajoute à cela une précision de la localisation variable selon les systèmes (entre 30 m et 25 km) et des interruptions qui peuvent être fréquentes et durer plusieurs minutes. Il est arrivé qu'une interruption de la connexion ne soit signalée qu'après 45 minutes. Mais même une surveillance ininterrompue par les autorités ne permettrait pas de garantir la sécurité des personnes menacées. Certains participants ont également exprimé des réticences quant au poids financier de cette mesure. D'aucuns ont plaidé en faveur d'une solution à l'échelon national, en vue d'abaisser les coûts tout en évitant un morcellement législatif. D'autres ont réclamé des sanctions sévères en cas de violation d'une interdiction, des mesures d'accompagnement (par ex. des cours ou des thérapies obligatoires et un suivi plus régulier pour amener l'auteur de l'atteinte à changer durablement son état d'esprit et son comportement), des règles claires en matière de protection des données et des dispositions légales adéquates permettant de mettre les coûts à la charge de l'auteur.

Suppression des frais judiciaires (art. 114, let. f, AP-CPC) Même si ce n'est pas toujours sans restriction, la grande majorité des participants à la procédure de consultation a approuvé le projet du Conseil fédéral de renoncer à la perception des frais judiciaires dans les procédures au fond pour violences, menaces ou harcèlement au sens des art. 28b et dans le cadre des décisions de surveillance électronique au sens de l'art. 28c, AP-CC.

Suppression de la procédure de conciliation (art. 198, let. abis, AP-CPC) La proposition
de supprimer la procédure de conciliation en cas d'action pour violences, menaces ou harcèlement au sens de l'art. 28b et dans le cadre des décisions de surveillance électronique au sens de l'art. 28c AP-CC a été bien accueillie de toutes parts.

Procédure simplifiée (art. 243, al. 2, let. b, AP-CPC) La subordination de la nouvelle disposition sur la surveillance électronique de l'art. 28c AP-CPC à la procédure simplifiée au sens de l'art. 243, al. 2, let. b, AP-CPC a été généralement approuvée.

6944

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2.2.3

Code pénal et code pénal militaire

Suspension de la procédure (art. 55a, al. 2, AP-CP) La proposition selon laquelle la suspension ne doit plus dépendre de la seule volonté de la victime et qu'une pesée d'intérêt est prévue a été largement approuvée. La formulation concrète du nouvel al. 2 a toutefois été critiquée sur plusieurs points. La liste des critères à prendre en compte pour une suspension a été jugée trop longue et détaillée. Plusieurs participants ont souhaité sa réduction voire sa suppression au profit d'une disposition ouverte.

Une autre critique a porté sur le fait qu'on ne fait que prendre en compte la fréquentation d'un programme de prévention de la violence. Il faudrait en faire une condition ou une incitation. Cela a du sens, même si le prévenu n'est pas motivé au départ à la perspective de suivre le programme.

Poursuite de la procédure pénale en cas de suspicion de violence réitérée (art. 55a, al. 3, AP-CP) De nombreux participants ont accueilli favorablement l'interdiction de suspendre une procédure en cas de violence réitérée. Plusieurs ont cependant demandé qu'on puisse prévoir des exceptions. Pour certains, il ne faut pas que l'impossibilité de prononcer une suspension se limite aux cas où le prévenu a été condamné définitivement pour les actes punissables indiqués. D'aucuns ont estimé en outre que la suspension ne devait plus seulement être admise quand l'auteur a déjà été condamné auparavant, mais aussi lorsque plusieurs procédures ont été précédemment suspendues (existence de plusieurs plaintes ou interventions de police par ex.).

Reprise de la procédure (art. 55a, al. 4, AP-CP) Les participants ont globalement approuvé l'introduction d'une pesée des intérêts avant la reprise d'une procédure suspendue. Plusieurs ont cependant critiqué la proposition en demandant par exemple que l'on allonge le délai jusqu'à la reprise de la procédure.

Classement de la procédure (art. 55a, al. 5, AP-CP) En plus d'avoir largement approuvé la pesée d'intérêts prévue également avant le classement de la procédure, les milieux consultés se sont exprimés notamment sur l'audition de la victime qui aura lieu au préalable. Cette proposition est très controversée. Plusieurs participants ont approuvé le fait que la victime soit entendue de manière obligatoire et systématique avant le classement. Quelques-uns ne veulent pas de cette
audition ou du moins ont rejeté son caractère obligatoire. Ils ont critiqué surtout la surcharge de travail que représente cette opération pour les autorités pénales et appelé à ne pas surestimer l'utilité d'une nouvelle audition de la victime et à ne pas sous-estimer l'impact pour cette dernière, dont la situation est déjà fragilisée.

6945

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Autres propositions Certains participants à la consultation ont regretté que la révision du CP n'ait pas été l'occasion d'introduire une disposition définissant l'infraction de harcèlement. Plusieurs ont demandé des adaptations du CPC, telles que la gratuité de la procédure pénale, en vue d'assurer la protection des victimes.

3

Les grandes lignes de la réglementation proposée

3.1

Aperçu et buts du projet

Comme indiqué au ch. 1.5.1, l'évaluation de l'art. 28b CC a montré que le principal enjeu consiste aujourd'hui à améliorer la mise en oeuvre de la protection de droit civil contre la violence et à faciliter les procédures correspondantes. Parmi les points faibles relevés figurent essentiellement des aspects touchant au droit de procédure, mais aussi la difficulté à faire appliquer et respecter les mesures de protection ordonnées par le juge. Le Conseil fédéral propose d'y remédier au moyen d'ajustements spécifiques. Il le fait par l'instauration de la surveillance électronique, demandée dans la motion 09.4017, qui permet la fixation d'un dispositif électronique destiné à garantir l'application des mesures d'éloignement et notamment de mieux protéger les victimes contre le harcèlement. La disposition a toutefois été fortement remodelée dans le projet du fait des réactions qu'elle a suscité en consultation.

Les modifications proposées en droit pénal s'appuient sur les motions 09.305987 et 12.4025. Elles découlent des constats dressés par le Conseil fédéral dans son rapport en exécution de la motion 09.3059 et tiennent compte des demandes formulées dans la motion 12.4025 et des commentaires émis pendant la consultation. Au final, il s'agit de décharger la victime tout en accordant une plus grande marge de manoeuvre à l'autorité et en associant davantage le prévenu à la procédure.

La décision concernant la poursuite de la procédure ne doit plus dépendre uniquement de la volonté de la victime. Certes, il incombera toujours à cette dernière de demander la suspension. Mais la décision finale appartiendra à l'autorité qui, avant de statuer, devra tenir compte des circonstances et déterminer si la suspension est à même de stabiliser voire d'améliorer la situation de la victime. En cas de suspension, l'autorité pourra obliger le prévenu à suivre un programme de prévention de la violence. Une suspension ne sera plus possible en cas de soupçon de violences réitérées au sein du couple, c'est-à-dire lorsque le prévenu aura déjà été condamné pour infraction contre la vie et l'intégrité corporelle, contre la liberté ou contre l'intégrité sexuelle, commise dans le cadre de la relation actuelle ou d'une précédente relation. L'autorité aura une plus grande latitude pour décider de la reprise d'une procédure,
notamment si la victime en fait la demande pendant la suspension.

Elle pourra aussi le faire de son propre chef, s'il appert que la suspension ne stabilise ni n'améliore la situation de la victime. Enfin, il est prévu que l'autorité procède avant la fin de la suspension à une évaluation approfondie de la situation de la victime. La possibilité qu'elle entende cette dernière lui permettra de déterminer si la 87

Voir la note 77.

6946

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situation a évolué favorablement. Elle pourra cependant y renoncer s'il s'avère que l'audition est inutile ou qu'elle constitue une épreuve pour la victime. Sur la base de cette évaluation, en particulier si la suspension a entraîné une stabilisation ou une amélioration de la situation de la victime, l'autorité décidera de classer la procédure.

Les autorités fédérales, cantonales et communales accompagneront ces différentes étapes en menant, comme c'est déjà le cas, des consultations pour arrêter si nécessaires des mesures complémentaires dans le cadre de leurs compétences respectives, en particulier pour déterminer si une coordination entre la Confédération et le canton est nécessaire afin d'améliorer la protection des victimes de violences.

3.2

La réglementation proposée en droit civil et en droit de la procédure civile

3.2.1

Communication des décisions instaurant des mesures de protection et amélioration de la formation continue

L'évaluation a mis en lumière deux points faibles de l'actuelle disposition. Pour améliorer la mise en oeuvre et les aspects procéduraux, il est proposé de compléter sur deux points essentiels l'art. 28b CC88.

Communication des décisions des tribunaux en matière de protection contre la violence L'évaluation de l'art. 28b CC a montré que l'information réciproque concernant les mesures de protection ordonnées et, le cas échéant, la coopération entre les différents services et autorités chargées de la protection des victimes jouent un rôle capital pour garantir l'efficacité de la protection des victimes. En pratique, les mesures de protection ordonnées par un tribunal sont rarement communiquées aux autres autorités89. C'est pourquoi l'avant-projet mis en consultation prévoyait que les tribunaux soient tenus d'annoncer les mesures de protection qu'ils ordonnent en vertu de l'art. 28b CC aux autorités de protection de l'enfant et de l'adulte et aux services cantonaux chargés d'intervenir en cas de crise visés à l'al. 4 de cette disposition, si cela leur semble nécessaire à l'accomplissement de leur tâche. Le but consistait à renforcer l'efficacité des mesures de protection et la complémentarité des divers moyens d'intervention. Compte tenu des avis recueillis lors de la consultation90, le projet prévoit désormais une extension supplémentaire: la décision pourra aussi être communiquée à d'autres autorités ou à des tiers. Ceci doit notamment combler des lacunes de la protection et permettre aux autorités impliquées de collaborer de manière efficace et licite. Par rapport au projet mis en consultation, les motifs justifiant la communication d'informations ont également été élargis. La disposition ne vise pas que les informations nécessaires à l'accomplissement des tâches des autorités, du service cantonal et d'éventuels tiers. Les informations nécessaires doivent 88 89 90

Voir le ch. 1.5.1 sous «Résultats de l'évaluation».

Voir le ch. 1.5.1 sous «Résultats de l'évaluation».

Voir le ch. 2.2.2 sous «Obligation de communiquer en matière de protection contre la violence (art. 28b, al. 3bis, AP-CC)».

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aussi pouvoir être transmises si cela semble nécessaire à la protection de la victime qui saisit la justice ou si cela favorise l'exécution de la décision. Nonobstant cette extension, l'étendue de la communication reste limitée au strict nécessaire.

La transmission d'informations concernant des mesures de protection contre la violence par la police à une autorité, par exemple au tribunal civil, devra quant à elle être réglée par les cantons dans leurs lois sur la police ou la protection contre la violence. Par ailleurs, les cantons peuvent prévoir d'autres obligations d'aviser l'autorité dans le domaine de la protection de l'adulte et de l'enfant en vertu de l'art. 443, al. 2, CC91.

Amélioration de la formation continue du personnel des services d'intervention en cas de crise et des tribunaux Pour mieux exploiter à l'avenir les instruments que le droit actuel offre aujourd'hui en matière de protection contre la violence, les menaces et le harcèlement, il importe que le personnel des autorités et des services chargés de la protection des victimes de ces actes dispose des connaissances et des compétences utiles. L'exécution étant du ressort des cantons, c'est donc à ces derniers qu'il incombe d'assurer ­ s'ils ne l'ont pas déjà fait ­ le perfectionnement nécessaire.

3.2.2

Simplification et gratuité de la procédure civile

Gratuité des actions selon les art. 28b CC et 28c P-CC Dans une action civile intentée pour violence, menaces ou harcèlement, la question des coûts est jugée problématique en ce sens qu'elle constitue souvent un véritable obstacle, qui dissuade les victimes de demander des mesures de protection. Le problème concerne d'une part les avances sur frais, que les tribunaux exigent souvent systématiquement dans les procédures ne relevant pas du droit matrimonial (voir l'art. 98 CPC), d'autre part la disposition générale de l'art. 111, al. 2, CPC, selon laquelle le demandeur à qui il incombe de fournir des avances de frais doit, s'il a gain de cause, réclamer les avances fournies à la partie qui succombe, laquelle est le plus souvent l'auteur des violences92.

Le Conseil fédéral propose par conséquent de ne pas percevoir de frais judiciaires dans les procédures au fond pour les litiges portant sur de la violence, des menaces ou du harcèlement au sens de l'art. 28b CC, ni lorsque le juge ordonne une surveillance électronique au sens de l'art. 28c P-CC. Les demandeurs ne seront plus tenus au paiement d'avances sur les frais judiciaires, et le risque d'insolvabilité de l'auteur ne se trouvera plus reporté sur la personne lésée.

Plusieurs intervenants dans la consultation ont fait valoir que l'auteur de violences ne doit pas profiter de cette réglementation, mais supporter les coûts du procès rendu nécessaire par ses actes. Il doit être possible de mettre les frais judiciaires à la charge 91

92

Dans son message du 15 avril 2015 concernant la modification du code civil (protection de l'enfant), FF 2015 3111, le Conseil fédéral prévoit de supprimer cette compétence (art. 314d, al. 2, P-CC).

Gloor/Meier/Büchler (note 45).

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des parties qui ne sont pas démunies. Ces revendications ne sont pas conciliables avec le principe de la gratuité selon l'art. 114 CPC, qui permet de simplifier les procédures et sert à la protection de la partie faible. Aucune dérogation n'est possible pour les procédures relevant de cette disposition. En revanche, même dans une procédure gratuite, il est possible de mettre à la charge d'une partie les frais qu'elle a occasionnés en procédant de mauvaise foi ou de manière téméraire (art. 115 CPC).

Il serait par contre contraire à l'essence de la procédure civile que la victime soit indemnisée de tous les frais, comme l'ont proposé certains participants à la consultation. Par ailleurs, la gratuité totale pourrait aussi encourager l'introduction d'actions sans fondement. Les victimes qui ne disposent pas de suffisamment de moyens peuvent bénéficier de l'assistance judiciaire (art. 117 ss CPC).

Pas de conciliation dans le cadre de procédures basées sur les art. 28b CC et 28c P-CC La conciliation obligatoire prévue en procédure simplifiée et également applicable aux infractions visées à l'art. 28b CC constitue dans la pratique un réel handicap et ne semble de surcroît pas produire le résultat attendu, à savoir une réconciliation entre la victime et l'auteur de violence93. A partir de ce constat, il est proposé de renoncer à la conciliation pour toutes les demandes fondées sur l'art. 28b CC et le nouvel art. 28c P-CC. Il s'ensuivra un parallélisme entre la procédure principale et la procédure de mesures provisionnelles, puisque dans les deux cas, l'acte introductif d'instance doit être directement adressé au tribunal.

3.2.3

Surveillance électronique

Contexte Le Conseil fédéral propose une mise en oeuvre améliorée des mesures d'éloignement. Il introduit à l'art. 28c P-CC la base légale explicite requise pour la surveillance électronique des mesures d'éloignement ordonnées en vertu de l'art. 28b CC. Cette nouvelle mesure de protection de droit civil doit permettre de garantir la mise en oeuvre des interdictions de s'approcher ou de prendre contact avec la victime ou de pénétrer dans une zone délimitée 94.

Elle rendra notamment plus aisée la protection des victimes de harcèlement. Il est à noter que le droit pénal en vigueur prévoit déjà la possibilité de procéder à une surveillance électronique95. L'étendre au droit civil s'inscrit dans une démarche logique de renforcement de l'efficacité de la protection des victimes.

93 94

95

Gloor/Meier/Büchler (note 45).

Voir le commentaire du ch. 1.2.5 concernant la surveillance électronique en droit pénal sous «Interdiction de contact, interdiction géographique et surveillance électronique en droit pénal».

Voir le commentaire du ch. 1.2.5 concernant la surveillance électronique en droit pénal sous «Interdiction de contact, interdiction géographique et surveillance électronique en droit pénal».

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Nécessité d'une base légale explicite Au fil des travaux de révision s'est posée la question de savoir si l'art. 28b CC offrait une assise légale suffisante pour appliquer les mesures d'éloignement (interdiction de s'approcher, de prendre contact avec la victime ou de se tenir dans certains lieux) au moyen d'une surveillance électronique. Au terme d'un examen approfondi, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que ce dispositif équivalait à une mesure de contrainte portant atteinte à l'intégrité psychique et physique de l'intéressé au point de commander une base légale explicite. L'art. 28b CC n'offre pas de base légale suffisante telle que la requiert la Constitution96. L'utilisation de dispositifs électroniques et leur fixation aux personnes concernées pour assurer le respect des mesures d'éloignement ne sauraient être considérées selon le droit actuel comme des mesures d'exécution au sens de l'art. 343 CPC. La liste des mesures prévue à l'art. 343, let. a à e, CPC est exhaustive97. L'utilisation de dispositifs électroniques pourrait être assimilée à une forme de contrainte directe au sens de la let. d. La liste non exhaustive de la let. d énonce, entre autres, l'« enlèvement d'une chose mobilière » et l'« expulsion d'un immeuble »; ces exemples indiquent clairement que le législateur visait en premier lieu la contrainte par rapport à des choses et non par rapport à des personnes. En conséquence, il y a lieu d'écarter l'art. 343 CPC comme base légale de la mesure considérée98, et d'en créer une explicite au moyen de l'art. 28c P-CC.

Moyens techniques Pour mettre en oeuvre et faire respecter une mesure d'éloignement (interdiction d'approcher la victime, de prendre contact avec elle ou de pénétrer dans une zone délimitée), on peut recourir à la surveillance mobile à l'aide du système GPS: le bracelet porté à la cheville ou au poignet est muni d'un récepteur GPS qui permet de localiser la personne aussi à l'extérieur de son appartement. Sa position est établie par GPS.

Les données correspondantes sont soit transmises à l'autorité d'exécution via le réseau de téléphonie mobile, soit consultées à intervalles réguliers à partir de la mémoire du bracelet. Une alarme se déclenche si la personne présentant un risque se défait du bracelet.

96

97

98

Voir l'avis du Conseil fédéral du 17 février 2010 ainsi que le rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats du 24 février 2011 relatif à la motion 09.4017, voir également le ch. 1.4.2.

Kofmel Ehrenzeller Sabine, in: Oberhammer Paul/Domej Tanja/Haas Ulrich (éd.), Kurzkommentar ZPO, 2e éd., Bâle 2014, art. 343, no 3; d'un autre avis, message relatif au code de procédure civile suisse (CPC), FF 2006 6841 6992.

A propos de l'inadmissibilité de la contrainte physique, voir en particulier Staehelin Adrian/Staehelin Daniel/Grolimund PascalZivilprozessrecht, 2e éd., Zurich 2012, § 28 no 43; Jeandin Nicolas, in: Bohnet François/Haldy Jacques/Jeandin Nicolas/Schweizer Philippe/Tappy Denis, CPC Code de procédure civile commenté, Bâle 2011, art. 343, nos 4 et 15; à propos de la nécessité d'une base légale explicite pour l'utilisation de mesures de contrainte en cas d'obligation de ne pas faire, Guldener Max, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd., Zurich 1979, p. 626 ss; opinion divergente Jenny Reto M., in: Brunner Alexander/Gasser Dominik/Schwander Ivo (éd.), ZPO ­ Schweizerische Zivilprozessordnung, Kommentar, 2e éd., Zurich/St-Gall 2016, art. 343, no 18.

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Cette technique permet aussi bien la surveillance active que la surveillance passive.

Dans le projet, le Conseil fédéral a délaissé la première option pour la seconde, en considération des doutes exprimés en consultation. Dans la surveillance passive, les données sont également enregistrées, mais l'autorité d'exécution ne les analyse que de manière rétrospective. Il n'y a pas d'intervention immédiate.

Cette option présente l'avantage d'une mise en oeuvre nettement moins gourmande en personnel et en moyens financiers, puisqu'elle ne requiert ni surveillance permanente ni capacité d'intervention. Elle présente l'inconvénient de ne pas pouvoir empêcher la violation par l'auteur d'une interdiction prononcée par le juge. Le Conseil fédéral n'en est pas moins persuadé qu'elle renforcera nettement la protection des victimes car l'auteur, sachant que toute violation sera enregistrée et partant constatable, se conformera très vraisemblablement aux mesures d'éloignement prises à son encontre. La surveillance passive accroîtra aussi la capacité de la victime à fournir les preuves d'une telle violation. On pourra sans problème, contrairement à aujourd'hui, attester que l'auteur s'est trouvé à réitérées reprises aux abords du domicile de la victime ou l'a suivie dans la rue. Cela facilitera l'exécution de la menace d'amende selon l'art. 292 CP (insoumission à une décision de l'autorité), voire la rendra possible dans certains cas.

Conditions et procédure applicables pour ordonner une surveillance électronique Le nouvel art. 28c P-CC forme la base légale de la surveillance d'une personne visée par une mesure d'éloignement en vertu de l'art. 28b CC. Il s'agira la plupart du temps d'un harceleur, mais il pourra s'agir aussi d'un époux ou d'un enfant adulte expulsé du logement commun pour cause de violence domestique et frappé d'une interdiction de contact qu'il risque manifestement de ne pas respecter.

La surveillance électronique est une mesure d'exécution qui peut être ordonnée par voie de mesures provisionnelles ou superprovisionnelles (art. 261 ss CPC), tout comme l'interdiction à la base de la mesure, ordonnée en application de l'art. 28b CC. En premier lieu, la mesure requise doit être proportionnée dans le cas concret.

Cela signifie qu'elle doit sembler adaptée, nécessaire et raisonnable pour la mise
en oeuvre d'une interdiction au sens de l'art. 28b CC, en particulier si des mesures moins rigoureuses ont échoué ou apparaissent a priori insuffisantes. Cet examen inclut aussi une estimation du risque que le prévenu puisse à nouveau passer à l'acte, ce que la surveillance électronique ne permettrait pas d'empêcher et qui en ferait une mesure inappropriée.

Comme le tribunal doit de toute manière vérifier que les conditions d'une restriction à un droit fondamental selon l'art. 36 Cst. sont réalisées, le projet renonce à mentionner les critères d'examen individuels. Cet examen ne doit pas seulement se concentrer sur les droits fondamentaux de l'auteur de violence. Il faut également tenir compte du fait que la victime est sensiblement entravée dans sa liberté en raison du comportement du défendeur, de sorte que la protection de ses droits fondamentaux selon l'art. 36, al. 2, Cst. est également en jeu. Il faut donc accorder un certain poids aux droits de la personnalité de la victime dans le cadre de cette pesée d'intérêts.

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En vertu de la maxime de disposition (art. 58, al. 1, CPC), le tribunal ne peut ordonner la surveillance électronique que si le demandeur le requiert. Dans le cadre de son obligation de poser des questions, il doit toutefois donner à une partie l'occasion de clarifier et de compléter son acte si celui-ci est peu clair, contradictoire, indéterminé ou manifestement incomplet (art. 56 CPC). La requête ne doit pas nécessairement être formée devant le tribunal qui ordonne une interdiction en vertu de l'art. 28b CC; elle peut aussi l'être devant le tribunal de l'exécution s'il s'avère que l'interdiction à elle seule ne produit aucun effet (voir l'art. 28c, al. 1, P-CC).

La durée de la mesure doit toujours être limitée. Alors que l'avant-projet prévoyait une durée maximale de douze mois, renouvelable pour douze mois au plus, le projet prévoit une durée limitée à six mois, qui peut être renouvelée plusieurs fois, à chaque fois pour six mois. Cette modification prend en compte les critiques exprimées lors de la consultation, qui considéraient que la durée initiale est trop longue 99.

Les cantons règlent la procédure d'exécution proprement dite. Ils doivent désigner un service chargé de la surveillance. Ils veillent à ce que la protection des données des personnes impliquées soit garantie: les données enregistrées ne doivent être utilisées que pour exécuter l'interdiction. Contrairement à l'avant-projet, la disposition prévoit également qu'elles soient effacées au plus tard douze mois après la fin de la mesure. La protection de ces données relève par ailleurs du droit cantonal de la protection des données.

La nouvelle disposition retient explicitement que l'exécution d'une mesure de surveillance ne doit pas engendrer de coûts pour la victime. C'est le seul moyen de faire en sorte que cette nouvelle mesure soit effectivement requise et ordonnée et assurer ainsi une meilleure protection aux victimes. En revanche, ces coûts peuvent être imposés à la personne qui présente un risque. Il s'agit là d'une conséquence pécuniaire de la décision, qui concerne l'exécution. Cela ne nécessite pas de base légale dans une loi fédérale100. Au demeurant, la décision d'ordonner une surveillance électronique est régie par le CPC.

Respect de l'interdiction prononcée par le juge Un grand nombre de participants à la consultation
est d'avis que la mise en oeuvre de cette disposition peut difficilement être garantie, car elle ne prévoit pas de sanction si l'auteur de violence, malgré la surveillance électronique, ne respecte pas l'interdiction de prendre contact et de s'approcher ordonnée par le tribunal civil. A cet égard, il faut relever que l'art. 28c P-CC est une disposition de droit civil et non de droit pénal, qui n'a pas pour but de sanctionner l'auteur, mais d'imposer le respect de l'interdiction prononcée. L'art. 343 CPC énumère les instruments dont dispose le tribunal de l'exécution pour faire respecter les obligations de droit civil. Pour garantir l'exécution d'une interdiction au sens de l'art. 28b CC, les mesures prévues figurent à l'al. 1, aux let. a (menace d'une sanction selon l'art. 292 CP), b (amende d'ordre pouvant aller jusqu'à 5000 francs) et c (amende d'ordre pouvant aller jusqu'à 1000 francs pour chaque jour d'inexécution). L'art. 343 CPC ne prévoit 99 100

Voir le ch. 2.2.2 sous «Surveillance électronique (art. 28c AP-CC)».

Art. 46, al. 1 et 3, et 47, al. 2, Cst.; voir aussi Belser Eva Maria/Massüger Nina in: Waldmann Bernhard/Belser Eva Maria/Epiney Astrid (éd.), Basler Kommentar Bundesverfassung, Bâle 2015, art. 47, no 14.

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pas d'autres instruments; la détention n'est par exemple pas possible en vertu du droit civil.

Il faut relever que, dans de nombreux cas, seule la surveillance électronique permettra de garantir l'exécution de la peine prévue, car les données enregistrées constituent les moyens de preuve nécessaires pour vérifier au-delà de tout doute raisonnable si la personne surveillée respecte ou non les ordres donnés par le tribunal civil dans sa décision. Si elle ne le fait pas, la victime pourra s'adresser au tribunal de l'exécution ou la dénoncer à la police pour violation de l'art. 292 CP si elle est sous la menace d'une peine prévue à cet article. On pourra alors utiliser les données enregistrées pour vérifier la violation de la décision du tribunal civil.

Renonciation aux mesures d'accompagnement en droit civil De nombreux participants à la consultation ont relevé que la surveillance électronique à elle seule ne permettra pas de modifier le comportement des personnes violant les interdictions. A cet effet, il faudrait impérativement prévoir des mesures d'accompagnement, comme la participation obligatoire à des cours ou des séances de conseil ou à une thérapie. Ce point de vue est correct, mais le droit civil, qui règle en principe les relations entre particuliers, ne peut pas prévoir de telles mesures d'accompagnement contraignantes. Par conséquent, le projet renonce à imposer à l'auteur des violences une telle obligation.

3.3

La réglementation proposée en droit pénal

3.3.1

Introduction

L'introduction en 2004 de la poursuite d'office des actes de violence dans le couple n'a pas entraîné d'augmentation du nombre de condamnations pour ce type d'infractions. Les suspensions et les classements sont la règle dans les procédures pour violence dans les relations de couple. Dans ce domaine, les autorités ne disposent que d'une marge d'appréciation très étroite. Si la victime (ou son représentant légal) requiert la suspension de la procédure, les autorités sont tenues de satisfaire à sa demande conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour autant qu'elle résulte de sa libre volonté. Une fois suspendue, la procédure ne peut être reprise que si la victime ou son représentant légal révoque sa requête. A défaut, elle est classée dans un délai de six mois (art. 55a, al. 2 et 3, CP)101.

Le sort des procédures pour violence dans les relations de couple dépend pour l'essentiel du comportement de la victime. Les modifications apportées aux dispositions de procédure n'empêchent pas qu'une personne victime de violences commises par un proche ait souvent du mal à entreprendre les démarches nécessaires pour ouvrir une poursuite pénale ou obtenir une condamnation de l'auteur102. L'objectif d'une victime de violences est moins de punir l'auteur que d'améliorer sa propre situation.

La réticence de la victime a une incidence sur tout le déroulement de la procédure: 101 102

Rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 52.

Ce constat figure déjà dans le rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (note 30), FF 2003 1750 1753.

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sur la dénonciation, la révocation d'une demande de suspension ainsi que sur les déclarations contre le prévenu devant les autorités de poursuite pénale et devant le juge.

La victime doit évaluer si l'ouverture d'une procédure pénale est susceptible d'améliorer sa situation. Même lorsqu'elle a osé faire un premier pas en dénonçant les faits, la procédure dépendra grandement de sa coopération. Elle peut être amenée à relativiser sa déposition, notamment lorsqu'elle ne souhaite plus une condamnation du prévenu, qu'elle cède à la pression de ce dernier ou qu'elle n'a plus qu'un vague souvenir de l'incident. Or, sans déposition de la victime, les éléments de preuve viennent à manquer103.

Dans ce contexte, il faut également tenir compte du droit de la victime de refuser de témoigner. Si la victime s'oppose à une condamnation du prévenu ou si elle exerce son droit de refuser de témoigner, la suspension et le classement n'interviennent pas sur requête de la victime mais plutôt en raison de l'absence de preuves; dans ces circonstances, la situation de la victime échappe à une appréciation par l'autorité. La poursuite d'office, qui est renforcée dans le cadre de la révision, peut en grande partie pallier le problème posé par le droit de refuser de témoigner104. Toutefois, la poursuite d'office peut constituer une charge pour la victime ­ indépendamment des modalités concrètes de cette règle105.

On ne peut pas exclure que le comportement de la victime soit influencé par la crainte qu'un prévenu de nationalité étrangère, en plus d'être condamné, soit renvoyé de Suisse en application des nouvelles dispositions sur l'expulsion des criminels étrangers (art. 66a ss CP). Cela dit, les infractions au sens de l'art. 55a, al. 1, CP, pour lesquelles la procédure peut être suspendue, ne sont pas des infractions menant à une expulsion automatique de Suisse en application de l'art. 66a, al. 1, CP.

Dans les cas de faible gravité, une expulsion non obligatoire en application de l'art. 66abis CP ne sera pas non plus indiquée. En cas de violence domestique pouvant mener à une expulsion du pays, le tribunal a la possibilité de tenir compte de la situation personnelle de l'auteur (en matière d'expulsion obligatoire, sur la base de la clause de rigueur prévue à l'art. 66a, al. 2, CP ou, en matière d'expulsion non obligatoire,
dans le cadre du pouvoir d'appréciation). Enfin, avant l'introduction de la clause d'expulsion prévue par le droit pénal, le droit des étrangers permettait déjà de renvoyer des auteurs d'infractions de nationalité étrangère et de les assujettir à une interdiction d'entrer sur le territoire suisse; certaines victimes peuvent donc déjà avoir eu des réticences à porter plainte pour cette raison. Le nouveau régime de renvoi de Suisse ne devrait donc pas apporter de changement conséquent pour les personnes concernées par la violence domestique, mais on peut partir du principe que la publicité qui a accompagné cette modification législative a déclenché des craintes supplémentaires qui pourraient freiner les victimes au moment de porter plainte.

103 104 105

Rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 33.

Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 24.

Mösch Payot Peter, Die aktuelle rechtliche Situation im Umgang mit häuslicher Gewalt in der Schweiz, FamPra.ch 2009, p 561 ss et 568.

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Le fait que la procédure pénale dépende de la volonté de coopérer et de témoigner de la victime caractérise toutes les solutions discutées: la poursuite d'office avec possibilité de suspension, la poursuite d'office avec suppression de l'art. 55a CP ou la conversion des états de faits visés en infractions poursuivies sur plainte. La possibilité de mener une procédure pénale tout en limitant la charge pour la victime est donc généralement irréaliste.

En outre, on peut se demander dans quelle mesure le but effectif de la victime ­ soit la stabilisation ou l'amélioration de sa propre situation (qui sera plus facilement réalisée par un classement de la procédure que par une condamnation de l'auteur) ­ peut et doit être atteint dans le cadre d'une procédure pénale. La procédure pénale sert en premier lieu à la mise en oeuvre du droit pénal matériel et non à la protection de la victime (potentielle)106.

Enfin, dans bien des cas les violences domestiques tombant sous le coup de l'art. 55a CP peuvent être tranchées par une ordonnance pénale. L'appréciation de la situation de la victime par l'autorité, l'éventuelle astreinte à un programme de prévention, l'audition (impérative) de la victime avant la suspension de la procédure causent un travail supplémentaire important qui peut sembler disproportionné dans le cadre de la procédure d'ordonnance pénale; il faut donc procéder à une pesée d'intérêts entre l'utilité attendue de cette procédure et cette charge supplémentaire.

Les solutions présentées dans l'avant-projet mis en consultation ont aussi fait l'objet de grandes controverses, même si elles ont été approuvées sur le principe107. Les avis des participants sur les modalités d'une réglementation adéquate sont très divers.

Ils vont du maintien en l'état de l'art. 55a CP à une poursuite d'office pour toutes les infractions prévues dans cette disposition (avec une abrogation de l'art. 55a CP), en passant par une réglementation conforme à l'avant-projet du Conseil fédéral, une compétence et une responsabilité plus larges du ministère public ou une plus forte pondération de la volonté de la victime.

De toute évidence, il est donc impossible de satisfaire à toutes les attentes et à toutes les propositions.

Par conséquent, le Conseil fédéral est revenu aux deux préoccupations principales de la révision. La
victime doit être déchargée et l'autorité doit disposer d'un plus grand pouvoir d'appréciation et donc de plus de responsabilités. Le projet de modification de l'art. 55a a été élaboré sur la base de ces deux buts.

La poursuite d'office des infractions selon l'art. 55a CP ainsi que la possibilité de suspendre la procédure sont maintenues. Toutefois, la décision relative à la suspension, à la reprise et au classement de la procédure ne dépendra plus uniquement de la volonté de la victime, et l'autorité ne devra pas satisfaire inconditionnellement à la requête de cette dernière.

106

Mösch Payot Peter, Astreinte à des séances de consultation contraintes et à des programmes d'apprentissage pour auteur.e.s de violence dans le cadre de sanctions pénales, notamment à titre de règles de conduite, Expertise sur mandat du BFEG, 2012, p. 11; consultable sous: www.bfeg.admin.ch > Documentation > Publications sur la violence (état: 5.5.2017).

107 Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 25 ss.

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3.3.2

Pesée globale des intérêts avant la suspension, la reprise ou le classement de la procédure pénale

Dans son rapport du 28 janvier 2015 en exécution de la motion 09.3059, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que la suspension, la reprise et le classement de la procédure ne doivent pas dépendre uniquement de la volonté de la victime 108. Le projet maintient la condition d'une requête de suspension de la procédure émanant de la victime ou de son représentant légal. L'autorité doit toutefois pouvoir prendre en compte d'autres circonstances et les apprécier librement.

L'avant-projet prévoyait que l'intérêt de la victime l'emporte sur l'intérêt de l'Etat à la poursuite pénale. Il contenait des exemples de critères à prendre en considération dans le cadre de la pesée d'intérêts. La liste des critères a soulevé de vives critiques lors de la consultation. Elle est considérée comme trop complète et détaillée. Elle rend plus difficile la motivation des décisions et accroît les exigences à cet égard.

Les participants jugent inopportun le fait que le tribunal doive se prononcer sur chaque critère. Le recours étant ouvert uniquement contre le classement ou une ordonnance pénale ou un jugement, l'autorité de recours ne peut examiner qu'après un certain temps si le pouvoir d'appréciation a été outrepassé. La nécessité de vérifier si les critères prescrits par la loi ont été appliqués correctement compliquerait la procédure, et il faut s'attendre à ce que l'on reproche à l'autorité de ne pas l'avoir démontré pour tous les critères énoncés. Le catalogue détaillé nécessite d'examiner et de justifier la réalisation de chaque critère109. Les participants ont par conséquent proposé de résumer la liste110 ou de renoncer à définir des critères dans la loi111. Les participants préféraient une clause ouverte qui permette de peser les intérêts importants dans le cas d'espèce. Selon les participants à la consultation, les critères à prendre en considération devraient être inclus dans la documentation, le message et les commentaires du CP ou être développés par la doctrine et la jurisprudence112.

Compte tenu de ces avis, le projet renonce à une liste de critères et introduit une clause générale à l'al. 1, let. c, de l'art. 55a CP. La pesée entre l'intérêt de l'Etat à la poursuite pénale et l'intérêt privé à la suspension n'est plus explicitement mentionnée. A la place, la disposition mentionne le but de la
suspension et charge les autorités d'estimer ses chances de succès: la suspension doit sembler apte à stabiliser ou améliorer la situation de la victime.

Dans la révision entrée en vigueur 2004, le législateur a décidé que les lésions corporelles simples, les voies de fait réitérées et les menaces au sein du couple étaient des infractions poursuivies d'office (comme l'était déjà la contrainte). Le législateur estime ainsi que l'intérêt public à la poursuite pénale l'emporte en principe. La suspension constitue l'exception: l'autorité peut ordonner une suspension lorsque des circonstances particulières contrebalancent l'intérêt public à la poursuite pénale.

108 109

Rapport en réponse à la motion Heim (note 77), p. 50 s.

Cet avis également exprimé par 3 cantons et 5 organisations, voir le rapport sur les résultats de la procédure de consultation (note 86), p. 27.

110 C'est ce qu'exigent 1 canton et 3 organisations, voir le rapport sur les résultats de la procédure de consultation (note 86), p. 28.

111 C'est ce qu'exigent 4 cantons et 2 organisations, voir le rapport sur les résultats de la procédure de consultation (note 86), p. 28.

112 Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 28.

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La suspension nécessite d'une part une manifestation de la volonté de la victime.

D'autre part, l'autorité doit examiner d'autres éléments et déterminer sur cette base si une suspension est apte à stabiliser ou améliorer la situation de la victime.

Pendant les six mois de la suspension, la procédure doit être reprise si la victime le requiert. Il se peut aussi que, sur la base de circonstances nouvelles, l'autorité parvienne à la conclusion qu'une suspension ne contribue plus à la stabilisation ou à l'amélioration de la situation de la victime (par ex. parce que le prévenu ne participe pas à un programme de prévention auquel il a été astreint; voir le ch. 2.3.3). La reprise de la procédure relève donc du pouvoir d'appréciation et de la responsabilité de l'autorité de poursuite pénale.

A la fin du délai de suspension, l'autorité doit procéder à un examen complet. Si elle parvient à la conclusion que la suspension a porté ses fruits et que la situation de la victime s'est stabilisée ou améliorée, l'autorité ordonne le classement de la procédure.

3.3.3

Subordination de la suspension à la fréquentation d'un programme de prévention

La motion 09.3059 propose d'astreindre l'auteur de violence dans le couple à suivre des programmes de prévention de la violence. Elle demande que la procédure puisse être suspendue uniquement si l'auteur fréquente un tel programme, le classement étant subordonné à sa réussite. Le Conseil fédéral est convaincu du bien-fondé des programmes de prévention, qui peuvent mener à une amélioration directe de la situation de la victime en requérant de la part du prévenu une contribution active 113.

Vu les résultats esquissés dans le rapport du 28 janvier 2015 en exécution de la motion 09.3059114, il a toutefois renoncé à rendre ces programmes obligatoires, préférant inscrire dans l'avant-projet que l'autorité devait prendre en considération la participation volontaire du prévenu à un tel programme au moment de statuer sur la suspension de la procédure.

Le rapport explicatif relatif à l'avant-projet met l'accent sur la volonté de coopérer du prévenu. S'il n'est pas disposé à suivre un tel programme, l'y obliger n'a pas de sens, car sans véritable motivation, le programme restera sans effet.

Certains participants à la consultation ont contesté ce point de vue. Un grand nombre de participants a fait valoir que les réflexions relatives à la volonté de coopérer ne correspondent pas aux constats faits par les responsables des programmes de prévention. Par ailleurs, elles contredisent le régime des mesures prévu dans le code pénal. Le travail de motivation n'est pas une condition du processus de prévention, mais une partie de celui-ci; il fait partie intégrante du travail avec les auteurs de violences domestiques. Du point de vue psychiatrique, même un programme de prévention qui ne serait suivi que sous la menace d'une procédure pénale présente des chances de succès. Ceci profite à la victime, qui souhaite généralement que l'auteur change de comportement plutôt qu'il soit puni. Un canton a fait part de ses 113 114

Voir le rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 44.

Rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 44 s.

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expériences positives concernant des personnes que les autorités avaient obligé à suivre un programme de prévention115.

Le rapport explicatif relatif à l'avant-projet expose en outre qu'en rendant ces programmes obligatoires, il faudrait déterminer quel serait le temps imparti pour les suivre et comment en mesurer l'efficacité. La vérification de la réussite du programme impliquerait une charge administrative et financière considérable et prendrait surtout beaucoup de temps. Or cet investissement en temps entre en conflit avec le principe de célérité de la procédure pénale (art. 5 CP), étant donné qu'il n'est guère possible d'évaluer le succès d'un programme dans des délais et avec des moyens raisonnables116.

Les milieux consultés ont objecté que la participation obligatoire à un programme de prévention n'entrait pas en conflit avec le principe de célérité de la procédure pénale. Un programme de prévention dure environ six mois, ce qui correspond à peu près à la durée de la suspension. Ils ont donc estimé que l'investissement en temps était surestimé et que la charge administrative pouvait rester faible si la collaboration est efficace dans le cadre de l'affectation et de l'établissement d'un compte-rendu117.

Les milieux consultés ont également souligné qu'il était possible de vérifier les effets d'un programme de prévention ou d'un autre programme de conseil axé sur la gestion des conflits sans procéder à une expertise. Il ne s'agit pas d'évaluer des personnes présentant un potentiel danger public, mais de savoir si les participants ont été confrontés à la problématique de la violence et si la formation a porté ses fruits. Cet examen peut notamment passer par des rapports des responsables de cours ou des conseillers sur le déroulement et le comportement, un dossier de police et une audition des victimes (qui est prévue avant le classement de la procédure à l'art. 55a, al. 5, AP-CP). Si la possibilité de classer la procédure dépend du prévenu, ou plutôt de son comportement pendant et après le programme, le poids de la décision n'est pas reporté sur la victime118.

Le Conseil fédéral souhaite tenir compte des arguments avancés, sans pour autant subordonner obligatoirement la suspension, la reprise et le classement de la procédure à la fréquentation d'un programme de prévention. D'une part, la
présomption d'innocence impose une certaine retenue lorsque des mesures doivent être ordonnées à ce stade: au moment de la suspension, l'infraction n'est pas démontrée; le prévenu est présumé innocent (art. 32, al. 1, Cst. et 10, al. 1, CPP). Toutefois, lorsque la mesure est prise pour prévenir le risque de nouvelles infractions, elle n'est pas justifiée par la culpabilité de la personne concernée, mais par sa dangerosité 119. Dès lors, seules les mesures visant à stabiliser ou à améliorer la situation de la victime sont admissibles. D'autre part, l'obligation de suivre un programme de prévention ne serait pas conciliable avec le principe de proportionnalité. Celui-ci impose que le prononcé d'une mesure déterminée soit apte et nécessaire à empêcher de nouvelles 115 116 117 118 119

Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 30 ss.

Pour le tout, voir le rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 34 s. et 40 s.

Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 31.

Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 32.

Coninx Anna/Mona Martino, Strafprozessualer Zwang und positive Schutzpflichten ­ Verbrechensverhütung als Legitimation von Zwangsmassnahmen, RPS 2017, p. 1 ss et 16.

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infractions et que cette mesure apparaisse raisonnable dans ce but. Un programme de prévention n'est pas toujours nécessaire pour empêcher que de nouvelles infractions soient commises et pour stabiliser ou améliorer la situation de la victime.

Le Conseil fédéral juge en revanche judicieux que le ministère public et le tribunal puissent obliger le prévenu à suivre un programme de prévention de la violence, lorsque cela semble nécessaire et raisonnable dans le cas concret. Cette mesure doit être prise en compte au moment de décider si la suspension s'impose.

3.3.4

Poursuite de la procédure pénale en cas de suspicion de violence réitérée

La motion 09.3059 propose que les procédures pénales ne puissent plus être suspendues ou classées en cas de violences répétées et que les procédures déjà suspendues soient reprises d'office dans pareilles circonstances. Le Conseil fédéral approuve cette approche sur le principe. En cas de soupçon de violence réitérée au sein du couple, l'intérêt public à la poursuite pénale est encore plus fort.

Toutefois, de l'avis du Conseil fédéral, une série de dénonciations et de classements ne constituent pas une base suffisante pour juger de manière fiable s'il faut exclure la possibilité de suspendre la procédure dans tous les cas. De plus, la présomption d'innocence s'applique aux procédures pénales en cours ou classées (art. 32, al. 1, Cst. et 10, al. 1, CP). Le fait que la poursuite ou la reprise de la procédure dépende en définitive de la décision de dénoncer l'auteur milite aussi contre l'interdiction de classement en cas de dénonciations répétées. Cette interdiction risquerait de dissuader les victimes de violences de s'annoncer aux autorités. Seule une condamnation entrée en force atteste qu'une personne a déjà exercé des violences120.

Le Conseil fédéral propose dès lors de supprimer la possibilité de suspendre la procédure pénale pour violence au sein du couple, lorsqu'une condamnation pénale entrée en force est inscrite au casier judiciaire pour des actes de violence commis contre le conjoint ou le partenaire. Les actes préalables retenus sont les crimes et les délits contre la vie et l'intégrité corporelle (art. 111 ss CP), contre la liberté (art. 180 ss CP) ou contre l'intégrité sexuelle, autrement dit des infractions graves commises au sein d'une relation de couple actuelle ou passée.

Des interventions répétées de la police, des dénonciations réitérées ou des suspensions en série pourront, si elles sont connues des autorités de poursuite pénale, être prises en compte dans l'examen des chances de succès de la suspension et du contrôle et pourront conduire l'autorité à exclure une suspension.

120

Voir le rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 43 s.

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3.3.5

Renonciation à la mise en oeuvre de la motion Keller-Sutter (12.4025): pas d'audition obligatoire de la victime avant le classement de la procédure pénale

La motion 12.4025 exige que la victime soit entendue à nouveau avant le classement de la procédure pénale. L'audition obligatoire de la victime avant le classement de la procédure a été très controversée lors de la consultation121.

Selon les participants, l'audition obligatoire présente certains avantages. Elle donne à la victime l'occasion d'observer et d'évaluer le comportement du prévenu pendant un certain temps et de manifester sa volonté au moment où le classement est envisagé. La victime tient alors surtout compte du nouveau comportement du prévenu pour décider si elle veut voir maintenue la suspension de la procédure122. Certains participants ont également avancé que l'audition de la victime avant le classement renforce la position de cette dernière. Cette audition est jugée d'autant plus importante que la marge de manoeuvre des autorités pénales est élargie. L'audition est essentielle pour connaître les motivations exactes de la victime et pour vérifier si le classement est véritablement conforme à sa volonté librement exprimée. Le simple silence ne suffit plus pour classer la procédure.

Les opposants à une audition de la victime avant le classement ont fait valoir qu'il y a lieu de ne pas surestimer l'importance d'une nouvelle audition, dont le résultat peut être estimé proche de zéro ou plutôt sans bénéfice pour la victime. Dans la grande majorité des cas où la procédure a été classée après une suspension, rien ne permet de penser que le classement ne correspond pas à la volonté de la victime.

Certains ont fait remarquer que la victime manifeste sa volonté de ne pas poursuivre la procédure contre la personne prévenue à plusieurs reprises et à différents moments et qu'elle peut donc observer la situation sur une longue période pour forger son opinion. Si de nouveaux événements concernant le prévenu se produisent durant la suspension, le ministère public en sera informé et pourra réagir en conséquence.

Enfin, après presque six mois, l'infraction sous examen remonte à un certain temps.

Cela influence les déclarations de la victime sur le déroulement des faits et la rend moins crédible par rapport à l'audition réalisée juste après l'infraction.

Selon certaines observations, il faut aussi partir du principe qu'une victime en mesure d'exprimer sa volonté librement le fera aussi sans
audition obligatoire avant le classement. En revanche, une victime qui se trouve dans une situation de contrainte ne modifiera pas ses déclarations dans le cadre de cette audition finale. Elle sera exposée à une pression supplémentaire, ce qui se concilie mal avec le but de cette révision.

Le Conseil fédéral considère qu'une audition après une suspension de près de six mois ne motiverait pas nécessairement la victime à demander la continuation de la poursuite pénale. En effet, l'audition reporte autant de responsabilité sur la victime que la décision de requérir ou non la suspension. De plus, une audition obligatoire ne répondrait pas au but principal de la révision, qui est de décharger la victime.

121 122

Rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 37 ss.

Voir le rapport en exécution de la motion Heim (note 77), p. 44 s.

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Dans le cadre de l'examen final avant la fin du délai de suspension, l'autorité doit vérifier si la suspension a porté ses fruits et contribué à la stabilisation ou à l'amélioration de la situation de la victime. Afin d'obtenir les informations pertinentes pour évaluer le développement durant la suspension, il sera souvent nécessaire d'entendre à nouveau la victime. L'autorité peut procéder à cette audition dans le cadre de l'examen final. Cependant, il y a lieu de renoncer à l'audition lorsque celle-ci mettrait la victime sous pression et n'est pas nécessaire pour prendre la décision relative au classement.

3.3.6

Renonciation à l'introduction d'une norme pénale punissant le harcèlement

Exigence d'une norme pénale spécifique Plusieurs interventions parlementaires visent l'introduction dans le code pénal d'une norme spécifique visant le harcèlement obsessionnel. Il s'agit notamment des motions 07.3092123 et 08.3495124. Dans ses avis sur ces motions, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion qu'il n'était pas nécessaire de modifier le code pénal sur ce point. La motion 07.3092 a été classée; la motion 08.3495 a été acceptée par le Conseil national et rejetée par le Conseil des États. Dans son avis sur la motion 13.3742125, le Conseil fédéral a convenu avec l'auteur de la motion que les bases légales en vigueur ne permettaient pas de régler les problèmes occasionnés par le harcèlement obsessionnel, ou à tout le moins qu'il était insuffisamment pris en compte par ces normes. Il semble dès lors impératif de réfléchir à de nouvelles mesures. Le Conseil fédéral s'est référé à l'évaluation en cours de l'efficacité de l'art. 28b CC. Cette motion a aussi été acceptée par le Conseil national et rejetée par le Conseil des États. Le rapport d'évaluation du 10 avril 2015 contient notamment la recommandation d'«évaluer une norme pénale spécifique visant le harcèlement obsessionnel, et/ou d'autres stratégies de protection contre le harcèlement»126. Le Conseil fédéral a toutefois renoncé à inscrire une telle norme dans l'avant-projet.

Lors de la consultation, certains participants ont regretté que la révision ne soit pas l'occasion d'introduire dans le droit pénal une norme définissant le harcèlement obsessionnel, et ce bien que son but déclaré soit d'assurer une meilleure protection aux victimes de cette forme de harcèlement. L'art. 28b CC permet selon eux de mettre l'auteur à distance ou d'ordonner une interdiction de s'approcher de la victime ou de prendre contact avec elle, mais cette mesure est assujettie à la maxime de disposition et entraîne pour toute sanction une amende selon l'art. 292 CP. De leur point de vue, seules des mesures pénales donneraient le coup d'arrêt nécessaire 127.

123 124 125

Motion Hess du 21 mars 2007 «Loi contre le harcèlement obsessionnel (stalking)».

Motion Fiala du 18 septembre 2008 «Harcèlement obsessionnel».

Motion Fiala du 13 septembre 2013 «Agir rapidement contre le harcèlement obsessionnel».

126 Gloor/Meier/Büchler (note 45), p. 79.

127 6 cantons et 4 organisations exigent une norme définissant le harcèlement; un parti considère que la question de la nécessité d'une définition du harcèlement devrait être réexaminée en détail; voir le rapport sur les résultats de la consultation (note 86), p. 40.

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Le postulat 14.4204128 indique que d'autres mesures en plus de l'amélioration des bases légales sont nécessaires pour protéger les victimes de harcèlement obsessionnel et ramener le harceleur à la raison. Conformément à la proposition du Conseil fédéral, le Conseil national a accepté le point 1 du postulat et chargé le Conseil fédéral d'établir un rapport d'ensemble sur les mesures de lutte contre le harcèlement efficaces au niveau national et international129. Selon le rapport de recherche du 22 mars 2017 commandé par le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes (BFEG) en exécution du postulat, la création d'une définition spécifique du harcèlement forme souvent la base du développement et de la mise en place de mesures visant à soutenir les victimes de harcèlement et sanctionner les auteurs. Les sources consultées considèrent en outre que les lois anti-harcèlement sont importantes en raison du signal qu'elles donnent à la société130. Par conséquent, le rapport de recherche recommande d'évaluer les avantages et les inconvénients de la création d'une disposition pénale visant le harcèlement obsessionnel131.

Arguments Après s'être une nouvelle fois penché sur la question, le Conseil fédéral a choisi de maintenir son point de vue et de ne pas élaborer de norme pénale contre le harcèlement. Comme il l'a déjà évoqué, le harcèlement peut être poursuivi et sanctionné sur la base de diverses dispositions pénales en vigueur132.

L'aspect décisif pour le Conseil fédéral est qu'il est convaincu qu'on pourra mieux aider les victimes et le faire plus directement en mettant en place la surveillance électronique au sens de l'art. 28c P-CC qu'en adoptant une norme pénale sur le harcèlement, notamment dans les cas de «harcèlement doux». L'auteur de ce type de harcèlement pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement, à laquelle il hésitera bien souvent à contrevenir s'il est sous le coup d'une surveillance électronique. Il est possible d'ordonner très rapidement une interdiction et une surveillance électronique au moyen de mesures provisionnelles ou superprovisionnelles133. Le projet améliore nettement la capacité de la victime d'apporter la preuve d'une violation de l'interdiction puisque les mouvements de l'auteur seront enregistrés. Une peine pourra être prononcée à son encontre à l'issue d'une
procédure judiciaire si le juge avait assorti l'interdiction de la menace d'une sanction selon l'art. 292 CP (insoumission à une décision de l'autorité). Il sera beaucoup plus aisé également d'apporter la preuve que d'autres infractions ont été commises. La protection des victimes en sera sans nul doute accrue.

128 129

130 131 132 133

Postulat Feri du 11 décembre 2014 «Agir plus efficacement contre le harcèlement obsessionnel en Suisse».

Le Conseil fédéral a proposé d'accepter le point 1 du postulat, mais en a rejeté le point 2 (élaboration d'une stratégie de lutte contre le harcèlement obsessionnel). Le Conseil national a suivi ces propositions.

Egger/Jäggi/Guggenbühl (note 48), p. 21 et 13.

Egger/Jäggi/Guggenbühl (note 48), p. 84.

Voir le ch. 1.3.4.

C'est-à-dire sans que le harceleur sache au préalable qu'une telle mesure a été demandée et puisse s'exprimer à ce sujet.

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En droit civil, la maxime de disposition s'applique. La personne concernée doit apporter la preuve qu'elle a subi une atteinte à sa personnalité ou du moins la rendre vraisemblable. Le projet élimine néanmoins l'obstacle du coût puisqu'il supprime les frais judiciaires que devrait supporter la victime. La renonciation à la procédure de conciliation aura par ailleurs pour effet de raccourcir la procédure et de la simplifier.

Une norme pénale contre le harcèlement serait problématique. Le harcèlement a de multiples facettes et survient avec des degrés de gravité divers, comme le montrent la liste des infractions applicables et la jurisprudence du Tribunal fédéral. Une norme pénale spécifique devrait pouvoir viser ces différentes manifestations du harcèlement. Or il y a fort à douter qu'on puisse trouver une formulation à la fois assez générale pour les couvrir toutes et assez explicite pour répondre au principe de la précision de la base légale cher au droit pénal.

Certains actes de harcèlement, pris isolément, peuvent ne pas atteindre le seuil de punissabilité des infractions pénales existantes. Dans leur globalité, ils peuvent néanmoins représenter une charge importante pour la victime. La jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la contrainte134 permet d'apprécier les actes individuels en tenant compte de l'ensemble des circonstances, de sorte que le harceleur peut être puni sur la base de cette infraction lorsque l'atteinte à la liberté atteint l'intensité nécessaire. Certains actes de harcèlement, pris dans leur globalité, peuvent aussi être constitutifs de lésions corporelles: le harcèlement peut causer des atteintes à la santé physique (par ex. des troubles du sommeil ou alimentaires) ou psychique (fréquemment des troubles anxieux ou des dépressions)135. Ces atteintes graves peuvent être qualifiées de maladie136. Différents actes de harcèlement qui se combinent peuvent relever des infractions de lésions corporelles.

Une tentative d'élargir la punissabilité et de viser aussi le «harcèlement doux» se heurterait à des problèmes de délimitation délicats et à la question de la définition des comportements qui sont dignes d'être punis. Ce type d'infraction pourrait déboucher sur une protection de la sensibilité de la personne concernée, qui ferait que la punissabilité dépendrait du ressenti
de la victime. Or la répression pénale n'est opportune qu'en cas d'atteinte d'une certaine intensité, qu'une «personne raisonnable dans la même situation que la victime»137 ressentirait comme gênante. La doctrine et la jurisprudence considèrent que cette approche objective est indispensable, du moins pour les autres infractions pénales138.

134 135 136

Voir le ch. 1.3.4.

Egger/Jäggi/Guggenbühl (note 48), 12.

Roth Andreas/Berkemeier Anne, in: Niggli Marcel Alexander/Wiprächtiger Hans (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht II, 3e éd., Bâle 2013, art. 556 CC, rem. prél. art. 122 no 18.

Le Tribunal fédéral a par exemple admis qu'occasionner un choc nerveux était constitutif de lésions corporelles: ATF 103 IV 65, consid. II.2.c et 107 IV 40, consid. 5 c. Pour l'ensemble, Kinzig Jörg, Die Strafbarkeit von Stalking in Deutschland ­ Vorbild für die Schweiz?, recht 2011, p. 1 ss, p. 11.

137 ATF 122 IV 322, consid. 1 138 Le § 238 du code pénal allemand sur le harcèlement obsessionnel est entré en vigueur en 2007. Il a été révisé avec effet au 1.3.2017. Dans sa version initiale, l'infraction présupposait une entrave grave à la conduite de vie; elle a été critiquée car elle faisait dépendre la réalisation de l'infraction de la résistance de la victime à la frustration: Kinzig (note 198), p. 5 et les références citées.

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Une disposition qui rassemblerait les différentes formes de harcèlement sous une même infraction poserait également problème du point de vue de l'homogénéité des sanctions encourues. Il faudrait échelonner les peines en fonction de la gravité de l'atteinte et régler la concurrence avec les autres normes pénales. Si l'auteur est condamné sur la base d'une seule infraction plutôt que sur des infractions concurrentes, la peine pourrait en définitive s'avérer plus légère139. Il faudra inévitablement aussi déterminer quel est le bien juridique commun protégé par une définition aussi large du harcèlement140.

Certains auteurs font remarquer qu'il est difficile de prouver que le prévenu a commis une certaine infraction en raison de la variété des faits qui peuvent la constituer.

Dans les cas de harcèlement (comme pour les délits sexuels en général), les difficultés d'en apporter la preuve sont effectivement fréquentes. Cependant, ce problème ne sera pas résolu par l'introduction d'une norme pénale visant le harcèlement. Le principe voulant que l'infraction doit être prouvée est le corollaire inévitable (et nécessaire dans un Etat de droit) de la présomption d'innocence (art. 32, al. 1, Cst.

et 10, al. 1, CPP). Les difficultés liées à l'administration des preuves pourraient même être pires si la définition pénale était trop vague. La surveillance électronique ordonnée dans le but d'imposer le respect des interdictions de droit civil amènera à l'inverse une nette amélioration dans ce domaine.

Autres développements et recommandations en matière de harcèlement Le Conseil fédéral est conscient que le harcèlement est un problème sérieux et qu'il y a lieu d'agir en la matière. Il l'a prouvé à divers égards.

Le rapport rédigé en exécution du postulat 13.3441141 présente des exemples de systèmes cantonaux de gestion des menaces visant à lutter contre la violence. La gestion cantonale des menaces doit permettre d'identifier et de sanctionner les développements à risques de manière précoce, systématique et interinstitutionnelle.

En cas de risque accru de violence, celle-ci doit pouvoir être évitée142. Le postulat met l'accent sur la violence domestique; une partie des cantons intègre aussi le harcèlement (qu'il survienne dans un contexte domestique ou non) dans la gestion des menaces, raison pour laquelle le
rapport contient également des informations à ce propos143. Le Conseil fédéral constate dans son rapport que le concept de gestion des menaces commence à s'établir. La majorité des cantons a mis en place un tel système ou réfléchit à son introduction. Le Conseil fédéral salue l'effort visant à institutionnaliser la collaboration entre les différents services en vue de prévenir les infractions et recommande que les cantons poursuivent leurs échanges à ce sujet144.

139 140 141 142

143 144

Sur la mise de côté des infractions concomitantes Kinzig (note 198), p. 5.

En Allemagne, l'infraction de harcèlement obsessionnel protège la paix juridique («Rechtsfrieden») de la victime, un bien juridique inconnu en Suisse.

Postulat Feri du 13 juin 2013 «Gestion des menaces émanant de violences domestiques.

Faire le point sur la situation juridique et créer une définition nationale».

Rapport sur la gestion des menaces liées notamment à la violence domestique, réalisé en exécution du postulat 13.3441 Feri du 13.06.2013, 5, consultable sous www.ofj.admin.ch > Société > Aide aux victimes d'infraction > Publications.

Rapport sur la gestion des menaces (note 142), p. 5.

Rapport sur la gestion des menaces (note 142), p. 27.

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Le rapport de recherche du 22 mars 2017 réalisé en exécution du postulat 14.4204 145 contient également diverses recommandations. Il propose par exemple d'informer et de former des spécialistes dans le cadre de formations, de mettre en place des informations facilement accessibles aux victimes concernant les règles de comportement et les moyens d'action ou encore d'inviter la police à informer les personnes présentant une menace des effets des normes dans ce domaine. Le rapport propose d'élargir le mandat de prévention de la police en particulier dans le cadre de la protection contre le «stalking doux»146.

Enfin, la Confédération encourage la formation des personnes actives dans l'aide aux victimes au sens large (personnel des centres de conseil aux victimes, avocats, juges, police) par le biais de soutiens financiers au sens de la loi du 23 mars 2007 sur l'aide aux victimes (LAVI)147.

Conclusion Le Conseil fédéral perçoit la nécessité d'adopter de nouvelles mesures contre le harcèlement. L'introduction d'une norme pénale contre le harcèlement pose toutefois problème de son point de vue: nouvelles difficultés, nouvelles incertitudes et efficacité douteuse. Il préfère donc renforcer les instruments du droit civil et du droit pénal, les rendre plus performants et s'attaquer aux lacunes de la poursuite pénale (par ex. en matière de dénonciation) grâce à la formation et à la sensibilisation des autorités concernées, au premier rang desquelles la police.

Par-dessus tout, le Conseil fédéral est convaincu que l'art. 28b CC peut produire suffisamment d'effets pour améliorer la situation des victimes de harcèlement et pour qu'on puisse renoncer à une norme pénale supplémentaire. Il l'est d'autant plus que le projet élimine des obstacles à la procédure et renforce la protection offerte par le droit civil (surveillance électronique pour imposer le respect des interdictions prononcées par le juge et perfectionnement obligatoire des autorités compétentes). Il renvoie pour finir aux autres travaux et développements en cours aux niveaux fédéral et cantonal, qui permettront de mieux protéger et soutenir les victimes de harcèlement148.

3.3.7

Pas de disposition transitoire

L'art. 55a CP est une disposition ressortissant au droit de la procédure149, qui règle non pas la punissabilité d'un comportement, mais qui définit dans quels cas on peut suspendre ou classer une procédure pénale portant sur des lésions corporelles simples, des voies de fait réitérées, des menaces ou une contrainte survenues dans une 145 146 147 148

Voir la note 128.

Egger/Jäggi/Guggenbühl (note 48), p. 84 s.

RS 312.5 Voir le rapport sur la gestion des menaces liées notamment à la violence domestique (note 142) et le rapport de recherche du 22 mars 2017 en exécution du postulat 14.4204, Egger/Jäggi/Guggenbühl (note 48).

149 Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (note 30, FF 2003 1750 1762 s.

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relation de couple150. L'interdiction de la rétroactivité au sens de l'art. 2, al. 1, CP, ne s'applique donc pas ici. Selon les principes généraux du droit pénal, les procédures pendantes au moment de l'entrée en vigueur de l'art. 55a P-CP se poursuivront selon le nouveau droit (voir l'art. 448, al. 1, CPP). Cela signifie notamment que la reprise ou le classement d'une procédure suspendue selon le droit en vigueur seront régis par le nouveau droit dès son entrée en vigueur. Il s'ensuit que le ministère public ou le tribunal devra examiner si la suspension est à même de stabiliser ou d'améliorer la situation de la victime. Si tel n'est pas le cas, il ordonnera la reprise de la procédure.

On pourrait envisager une disposition transitoire prévoyant que les procédures suspendues sont closes selon le droit en vigueur au moment de la suspension. On y renonce toutefois, afin de parvenir plus rapidement au but consistant à ne plus faire dépendre l'issue de la procédure de la seule décision de la victime.

3.4

Loi fédérale de protection contre la violence: pas de compétence de la Confédération

L'évaluation de l'art. 28b CC a débouché sur une série de recommandations visant à mieux protéger les victimes de violence domestique et de harcèlement. Il s'agit, outre des suggestions d'améliorations ponctuelles dans les lois existantes, de la proposition d'élaborer une loi fédérale de protection contre la violence pour remédier à un grand nombre des difficultés constatées. Le Conseil fédéral s'est déjà exprimé sur la création d'une loi fédérale de protection contre la violence dans son avis du 20 mai 2009 concernant la motion 09.3411151 du 30 avril 2009. Il estimait à l'époque que le nouvel art. 28b CC et le CPC offraient une base légale claire pour lutter contre la violence, les menaces et le harcèlement. Et de relever qu'une loi destinée à régler tous les aspects de la lutte contre la violence toucherait des domaines qui sont aujourd'hui de la compétence des cantons et dans lesquels la Confédération n'a pas pouvoir de légiférer. Une modification de la Constitution est donc jugée nécessaire pour doter la Confédération des compétences utiles. En conséquence, le Conseil national a rejeté la motion 09.3411 le 3 juin 2009.

Dans ces circonstances et compte tenu de la répartition des compétences, inchangées, entre la Confédération et les cantons, le Conseil fédéral renonce pour l'heure à poursuivre dans cette voie.

3.5

Mise en oeuvre

Il n'est pas nécessaire de concrétiser dans une ordonnance les modifications législatives proposées. Les adaptations du droit civil appelleront quelques ajustements dans le droit cantonal, notamment une modification des dispositions régissant les mesures 150 151

Arrêt du Tribunal fédéral 6S.454/2004 du 21 mars 2006, consid. 2.

Motion Leutenegger Oberholzer du 30 avril 2009 «Protection contre la violence. Elaborer une loi fédérale».

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de police immédiates (voir le ch. 1.2.6). En outre les cantons devront adopter une réglementation d'exécution pour ordonner la surveillance électronique.

3.6

Classement d'interventions parlementaires

Nous proposons de considérer les interventions parlementaires suivantes comme réalisées, et de les classer: 2011

M

09.4017

Protection des femmes battues (N 03.03.2010, Perrin; E 30.05.2011)

La motion charge le Conseil fédéral d'assurer une meilleure protection aux femmes victimes de violences domestiques en mettant en place des dispositifs électroniques pour contrôler les auteurs des violences. La modification proposée (art. 28c P-CC), qui permettra de faire respecter par une surveillance électronique les mesures de protection de droit civil au sens de l'art. 28b CC, vaut réalisation de la motion.

2013

M

12.4025

Mieux protéger les victimes de violences domestiques (E 14.03.2013, Keller-Sutter; N 23.09.2013)

La motion charge le Conseil fédéral d'adapter l'art. 55a CP de manière à ce que, avant le classement définitif d'une procédure pénale par le ministère public, la victime soit à nouveau auditionnée et ses propos pris en compte. L'introduction d'un nouvel al. 5 à l'art. 55a CP tient compte aussi des demandes de cette motion.

4

Commentaires des dispositions

4.1

Code civil (CC)

Art. 28b, al. 3bis Il est prévu de compléter l'art. 28b CC par un nouvel al. 3bis réglant la communication aux autres autorités et aux tiers des décisions judiciaires relatives à la protection de droit civil contre la violence.

L'évaluation152 a montré que l'information ou l'implication insuffisante d'autres autorités dans des cas de violence domestique, qui sont souvent liés à une situation conflictuelle complexe, s'expliquent par une lacune spécifique du droit en vigueur153.

Notamment, le service cantonal visé à l'al. 4 de cet article, mais aussi les APEA, doivent être au courant des mesures de protection prises en vertu du droit civil, de sorte à éviter les doubles emplois, les problèmes de coordination et les lacunes de la

152 153

Voir Gloor/Meier/Büchler (note 45).

Voir le ch. 1.5.1 sous «Résultats de l'évaluation».

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protection, dans l'intérêt de tous. La consultation a montré qu'il ne faut pas limiter le champ d'application de la disposition à ces deux acteurs et à ce seul but154.

Une nouvelle obligation est donc inscrite dans la loi: le juge devra communiquer sa décision sur une mesure de protection au sens de l'art. 28b CC non seulement aux APEA compétentes et au service cantonal visé à l'art. 28b, al. 4, CC, mais aussi à d'autres autorités ou à des tiers. Alors que l'avant-projet prévoyait que la communication de la décision du juge ne se fasse que si elle est indispensable à l'accomplissement des tâches des autorités et des services, le projet l'autorise également lorsqu'elle apparaît nécessaire pour protéger le demandeur ou qu'elle favorise l'exécution de la décision. L'al. 3bis constitue la base légale nécessaire à la communication de la décision aux autorités et aux tiers concernés, comme l'exige l'art. 240 CPC.

Ainsi, le service compétent visé à l'art. 28b, al. 4, CC, notamment l'autorité de police, aura connaissance des mesures de protection de droit civil en cas de crise, ce qui permettra d'améliorer la coordination avec des mesures pénales ou institutionnelles de protection contre la violence. Il est par ailleurs indispensable que les APEA soient elles aussi informées sur les mesures visées à l'art. 28b CC. En effet, elles doivent souvent prendre des mesures complémentaires pour protéger les enfants concernés ou régler le droit de visite d'un parent qui a été interdit d'accès au logement ou frappé d'une interdiction de s'approcher de la victime, de fréquenter certains lieux ou de prendre contact avec elle. En complétant le cercle des destinataires, on permet la communication des informations aux services chargés de prononcer et de faire exécuter les mesures de protection. Cela favorise la coordination des différentes mesures à un moment ou l'APEA n'est pas encore ou n'est plus directement associée à la procédure (pendant les six premières semaines d'un placement à des fins d'assistance ou après le transfert à la clinique de la compétence de mise en liberté). Le tribunal compétent a une liberté d'appréciation en la matière, en fonction des informations dont il dispose et compte tenu du principe de la proportionnalité.

A cet égard, une grande importance revient à l'entraide administrative entre
les différentes autorités, qui peut prendre la forme d'une coordination ou du moins d'une information préalable à une décision. Le tribunal peut aussi requérir des renseignements écrits des services officiels en vertu de l'art. 190 CPC.

Art. 28b, al. 4, 2e phrase En plus de la création des services d'intervention en cas de crise destinés aux victimes de violence, de menaces ou de harcèlement, les cantons veilleront à ce que le personnel de ces services ou des tribunaux chargé de garantir la protection contre ces atteintes dispose des connaissances nécessaires à son activité spécifique. Un perfectionnement ad hoc est indispensable à cette fin. Les cantons sont libres d'en définir la forme concrète: ils peuvent notamment proposer des cours et séminaires à l'intention des décideurs, qui doivent connaître les possibilités offertes en matière de 154

Voir le ch. 2.2.2 sous «Obligation de communiquer les décisions en matière de protection contre la violence à d'autres autorités (art. 28b, al. 3bis, AP-CC)»; pour les commentaires détaillés, voir le rapport sur les résultats de la consultation (note 86), ch. 5.1.1.3 et 5.1.1.4, consultable sous www.ofj.admin.ch > Sécurité > Projets législatifs en cours > Protection des victimes de violence domestique.

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protection contre la violence et les difficultés pratiques liées à leur mise en oeuvre et développer la sensibilité nécessaire à l'exercice de leur activité. Cette proposition a recueilli un large soutien lors de la consultation et n'a donc pas été modifiée.

Art. 28c

Surveillance électronique

Ce nouvel article permet au juge d'ordonner une surveillance électronique dans le cadre de la mise en oeuvre d'une mesure de protection au sens de l'art. 28b CC et établit la procédure en la matière155. Il vise en particulier les cas de harcèlement et de violence domestique dans lesquels des mesures d'éloignement sont mises en place.

En raison du principe de l'égalité entre les sexes (art. 8 Cst.), on n'a pas limité la norme de droit civil à la «protection des femmes battues», comme le demandait la motion 09.4017156. Les comportements violents au sein des couples ne sont pas systématiquement le fait de l'homme157. Les violences domestiques incluent par ailleurs celles exercées à l'encontre des enfants ou par ces derniers à l'encontre des parents.

L'al. 1 définit l'appareil électronique, le domaine d'application et la nature de la surveillance.

Un appareil électronique peut être fixé à l'auteur de l'atteinte afin de le localiser et d'enregistrer ses déplacements en continu, si cette mesure semble nécessaire pour mettre en oeuvre une mesure de protection au sens de l'art. 28b CC. Le texte de l'article ne prévoit pas de surveillance active, selon laquelle les déplacements du conjoint violent seraient suivis en permanence par une centrale, qui déclencherait l'alarme dès qu'il pénétrerait dans la zone interdite. Les cantons sont toutefois libres d'inscrire un tel système dans leur législation. Compte tenu des réactions qu'a suscitées l'art. 28c AP-CC parmi les participants à la consultation, le Conseil fédéral a renoncé à inscrire dans le droit civil un tel mode de surveillance en direct. La solution retenue prévoit certes la transmission et l'enregistrement continus des données de localisation (GPS), mais leur exploitation n'interviendra que si la victime se manifeste pour dénoncer la violation de la décision du tribunal civil par la personne surveillée158. Dans ce cas, les données enregistrées pourront aussi être utilisées comme moyens de preuve, que ce soit dans une procédure civile, pour mettre à exécution la sanction fixée en vertu de l'art. 343 CPC en cas de non-respect d'une décision, ou dans une procédure pénale, pour mettre à exécution la peine prévue par le tribunal civil en vertu de l'art. 292 CP, ou encore en cas de contrainte au sens de l'art. 181 CP.

Cette nouvelle mesure n'est applicable
que pour garantir l'exécution d'une interdiction au sens de l'art. 28b, al. 1, CC. Outre la violence domestique, d'autres formes de violence sont couvertes par l'art. 28b CC, en particulier les menaces et le harcèlement159. Ce champ d'application correspond à celui de la convention d'Istanbul 160.

155 156 157 158 159

Voir le commentaire sur la surveillance électronique au ch. 3.2.3.

Voir le ch. 1.4.2.

Zoder (note 80), 19.

Voir le ch. 3.2.3 sous «Moyens techniques».

Initiative parlementaire. Protection contre la violence dans la famille et dans le couple.

Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, FF 2005 6437.

160 Voir le ch. 7.2.2.

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Il faut qu'on ait décrété une interdiction d'approcher la victime, de prendre contact avec elle ou de fréquenter certains lieux au sens de l'art. 28b, al. 1, CC, ou qu'une telle interdiction soit prononcée en parallèle, soit à titre provisionnel ou superprovisionnel, soit dans le cadre de la procédure principale ultérieure (voir aussi l'al. 2).

La fixation d'un appareil électronique présuppose une requête du demandeur. Conformément aux principes généraux de la procédure civile, le principe de disposition (art. 58, al. 1, CPC) est applicable en l'occurrence; une fixation d'office est exclue.

Il semble d'ailleurs dénué de sens de l'ordonner contre la volonté du demandeur. La procédure simplifiée au sens des art. 243 à 247 CPC s'applique fondamentalement aux actions relevant de l'art. 28b CC (art. 243, al. 2, let. b, CPC). L'art. 247, al. 2, let. a, CPC prévoit que le tribunal établit les faits d'office dans les affaires qui lui sont soumises (maxime inquisitoire sociale). Le tribunal peut donc informer le demandeur de la possibilité d'avoir une protection au moyen d'un appareil électronique dans le cadre de l'obligation d'interpellation accrue161. Si la procédure sommaire au sens des art. 248 ss CPC est applicable, notamment en cas de fixation préventive de l'appareil, le tribunal peut interpeller les parties au sens de l'art. 56 CPC afin de clarifier et de compléter leurs allégués.

La surveillance électronique peut être ordonnée non seulement par le juge qui statue au fond, mais aussi par celui chargé de statuer sur l'exécution (voir aussi l'art. 343, al. 1bis, P-CPC). Cela signifie que la requête de surveillance pourra être déposée ultérieurement, au cas où il apparaîtrait que l'auteur de violence ne respecte pas la décision du juge civil. Sont compétents les tribunaux situés au domicile du demandeur (victime) ou de l'auteur (voir les art. 13, 20, let. a, et 339 CPC).

Le port sur ordre judiciaire d'un bracelet électronique au poignet ou à la cheville de la personne à surveiller est une mesure qui porte considérablement atteinte à sa sphère privée, et donc à sa personnalité. L'auteur voit son droit à l'autodétermination en matière d'information sérieusement entamé. Pour pouvoir restreindre pareillement ses droits fondamentaux, il est indispensable de respecter le principe de proportionnalité
(art. 5, al. 2, et 36, al. 3, Cst.). Contrairement à l'avant-projet, le projet de loi ne contient pas d'indication à cet égard. La raison: l'obligation faite au juge de déterminer dans tous les cas la proportionnalité de la mesure. Toute restriction des droits fondamentaux d'une personne requiert une base légale suffisante et n'est possible que si elle apparaît adaptée pour atteindre le but visé et que des mesures moins radicales n'ont pas les effets escomptés ou paraissent d'emblée insuffisantes.

Avant d'ordonner une surveillance électronique, le juge est donc tenu, dans le cadre de l'examen de la proportionnalité, de procéder à une évaluation des risques que représente la personne violente. Si le risque demeure que celle-ci puisse commettre des actes de violence physique ou sexuelle, la surveillance électronique n'offrira aucune garantie qu'elle modifie son comportement et s'avérera donc inadaptée. Un autre aspect de la proportionnalité réside dans la possibilité de limiter la durée (voir le commentaire de l'al. 2) et la portée de la surveillance électronique (étendue géographique).

161

Fraefel Christian, in: Oberhammer Paul/Domej Tanja/Haas Ulrich (édit.), Kurzkommentar ZPO, Bâle 2014, art. 247, no 8.

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La surveillance électronique est une mesure de protection subsidiaire qui ne se justifie que si l'auteur de l'atteinte a déjà transgressé une interdiction prononcée en vertu de l'art. 28b, al. 1, CC ou s'il est probable qu'il le fera et donc qu'on peut conclure qu'il va ou qu'il risque de porter atteinte aux droits fondamentaux de la victime potentielle. Tel est par exemple le cas lorsque l'auteur de violence déclare devant le tribunal qu'il ne se conformera pas à l'interdiction d'approcher la victime ou qu'il a déjà enfreint des interdictions par le passé. On accordera une importance particulière à la pesée des intérêts en présence, afin de tenir compte des désagréments que le comportement du premier fait subir à la seconde. L'art. 36 Cst. autorise une restriction des droits fondamentaux non seulement si un intérêt public le justifie, mais si elle est nécessaire pour protéger un droit fondamental d'autrui. On tiendra compte équitablement dans la pesée des intérêts des droits fondamentaux du demandeur et de ceux du défendeur.

De nombreux participants à la consultation ont demandé la possibilité de prendre des sanctions plus sévères à l'encontre de la personne surveillée électroniquement au cas où celle-ci enfreindrait néanmoins la décision du tribunal civil. Nous renvoyons ici au commentaire du ch. 3.2.3 (sanction en cas de manquement).

L'al. 2 fixe la durée pour laquelle la surveillance électronique peut être ordonnée.

Comme il s'agit là d'une mesure portant considérablement atteinte à la sphère privée et à la personnalité de l'auteur, on a défini une durée maximale, qui est de six mois si la surveillance est ordonnée à titre ordinaire. La décision peut être renouvelée plusieurs fois, à chaque fois pour six mois au maximum (al. 2, 2e phrase), à condition que les conditions qui la justifient existent toujours, et donc que le principe de la proportionnalité est respecté. Dans l'intérêt de la victime, cette mesure de protection déploie ses effets à moyen terme, durant une période pendant laquelle on peut légitimement s'attendre à une diminution de la menace. La limitation de la durée garantit, notamment dans l'intérêt de l'auteur, que la nécessité de la mesure ordonnée est réexaminée périodiquement. La durée maximale de six mois ne peut être prolongée si la mesure est ordonnée à titre provisionnel
(al. 2, 3e phrase). Elle peut cependant être ensuite ordonnée dans le cadre de la procédure au fond.

L'al. 3 statue que l'exécution de la surveillance électronique ordonnée par le juge est du ressort des cantons, qui désignent le service compétent et déterminent la procédure à proprement parler (prononcé, application, mise en oeuvre et aménagement de la mesure). Pour des raisons de coût et d'efficacité, il est à cet égard raisonnable d'utiliser des techniques, structures et organisations connues dans le domaine de l'exécution des peines et mesures ou de s'en inspirer. Selon cette disposition, la pose du dispositif et la tâche de surveillance pourraient être confiées à une entreprise privée ou à la police. Ces tâches pourraient également être réparties entre plusieurs services privés ou publics La protection des données impose que les cantons garantissent le respect du but du traitement des données, pour éviter que les enregistrements soient utilisés à d'autres fins que l'imposition et l'exécution de l'interdiction visant à prévenir la violence dans le cas visé (al. 3, 2e phrase). Par ailleurs, il est important que la victime n'ait accès qu'aux données pertinentes; elle n'a pas le droit par exemple de savoir où le prévenu s'est rendu pendant la durée de la surveillance. Le droit de toute personne d'être protégée contre l'emploi abusif des données la concernant (art. 13, al. 2, Cst.)

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implique celui, pour la personne concernée, d'obtenir leur destruction, une fois que la mesure de protection a pris fin162. Contrairement à l'avant-projet, le projet de loi oblige les cantons à effacer les données au plus tard douze mois après la fin de la mesure163.

En plus de la réglementation proposée à l'art. 114, let. f, CPC, selon lequel il n'est pas perçu de frais judiciaires dans la procédure au fond dans les litiges portant sur de la violence, des menaces ou du harcèlement au sens de l'art. 28b CC ou à la décision d'ordonner la surveillance électronique au sens de l'art. 28c P-CC164, la fixation d'un appareil électronique ne doit pas engendrer de coût supplémentaire pour la victime (al. 4). Le droit cantonal ne peut donc pas subordonner l'exécution de l'ordre du juge au versement d'une avance de frais par le demandeur. Le coût de l'exécution doit être à la charge de la personne à surveiller, pour autant qu'elle dispose des moyens financiers nécessaires, et des pouvoirs publics. Une base légale à cet effet, telle que demandée par certains participants à la consultation, n'est pas nécessaire, étant donné que l'exécution est de la compétence des cantons.

Dans la mesure où le nouvel art. 28c, al. 2 à 4, P-CC ne prévoit pas de règle spécifique, il va de soi que la décision d'ordonner la surveillance électronique est soumise aux règles du CPC; on renonce à le préciser dans un alinéa distinct comme dans l'avant-projet. Hormis les dispositions spécifiques relatives à l'art. 28b CC (voir les art. 243, al. 2, let. b, CPC et 114, let. g, et 198, let. abis, P-CPC), il s'agit notamment de la réglementation des compétences, des coûts, de la procédure et des voies de droit.

Titre final, art. 6d Conformément au droit transitoire, les modifications proposées à l'art. 6d, tit. fin.

P-CC seront aussi applicables aux procédures pendantes pour violence, menaces ou harcèlement au sens de l'art. 28b CC. Les nouveautés concernant la communication de la décision (art. 28b, al. 3bis, P-CC) et la possibilité d'ordonner la surveillance électronique (art. 28c P-CC) s'appliqueront à toutes les procédures dès l'entrée en vigueur des dispositions concernées. En vertu du droit transitoire, le tribunal de l'exécution pourra ordonner une surveillance électronique sur la base du nouvel art. 28c P-CC même si l'interdiction au sens de l'art. 28b CC a été prononcée avant l'entrée en vigueur de l'art. 28c P-CC.

4.2

Code de procédure civile (CPC)

Art. 114, let. f La réglementation en vigueur, selon laquelle il n'est pas perçu de frais judiciaires dans la procédure au fond pour des raisons de politique sociale, sera étendue aux 162

Schweizer Rainer J., in: Ehrenzeller Bernhard/Schindler Benjamin/Schweizer Rainer J./Vallender Klaus A. (édit.), Die Schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 3e édit., Zurich/Saint-Gall 2014, art. 13, no 85.

163 Concernant la protection des données, voir aussi le ch. 3.2.3.

164 Voir le commentaire de cette disposition au ch. 4.2.

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litiges liés à la violence, aux menaces ou au harcèlement au sens de l'art. 28b CC et à la décision d'ordonner une surveillance électronique au sens de l'art. 28c P-CC.

Sous réserve de mauvaise foi ou de procédés téméraires (art. 115 CPC), toutes les procédures et décisions relevant de ces articles seront gratuites pour toutes les parties. En effet, les demandes relevant des art. 28b CC et 28c P-CC ont souvent un caractère existentiel pour la victime et la mise en oeuvre du droit répond à un intérêt public particulier. Le problème des coûts soulevé lors de l'évaluation a ainsi été désamorcé au bénéfice de la victime, qui est notamment exemptée de l'obligation de verser l'avance de frais et de contribuer aux frais judiciaires, lesquels sont réglés souvent de façon peu satisfaisante165.

La gratuité concerne les frais judiciaires, mais non l'obligation de payer les dépens alloués à la partie qui obtient gain de cause. Ne sont concernées que les demandes relevant des art. 28b CC et 28c P-CC en dehors des procédures matrimoniales telles que procédures de divorce ou de protection de l'union conjugale; dans ces dernières, les conditions de l'assistance judiciaire sont souvent remplies ou il existe un droit au versement d'une avance de frais par le conjoint disposant des ressources financières nécessaires. La gratuité ne concerne donc que la procédure au fond, y compris la procédure en matière de mesures et celle de recours. Elle ne s'applique pas à la procédure de recours devant le Tribunal fédéral, ni à une procédure d'exécution indépendante, à l'exception de l'ordre de fixer un appareil électronique au sens de l'art. 28c P-CC et de son exécution (voir cependant le commentaire de l'art. 28c, al. 2, P-CC).

Art. 198, let. abis La conciliation n'est plus prévue pour les procédures au fond ­ peu nombreuses ­ engagées en vertu des art. 28b CC et 28c P-CC en dehors des procédures matrimoniales166; conformément à l'art. 243, al. 2, let. b, CPC, la procédure simplifiée s'applique dans ces cas quelle que soit la valeur litigieuse. Ces procédures seront simplifiées dans la mesure où il sera possible de les engager directement auprès du tribunal compétent. Un autre obstacle procédural est ainsi levé pour la victime 167.

Cela se justifie notamment parce que ces procédures ne se prêtent normalement pas à une
conciliation. Si un accord semble possible, il pourra toujours avoir lieu lors d'un débat (d'instruction) ordonné dans le cadre d'une procédure simplifiée (art. 246 CPC).

Plusieurs intervenants demandent qu'on compense la disparition de la conciliation dans les procédures concernant des litiges pour violence, menaces ou harcèlement par une protection spéciale de la victime dans la procédure civile qui soit analogue à celle prévue dans la procédure pénale. Il s'agit pour l'essentiel d'éviter une rencontre entre la victime et l'auteur. Les mesures prévues dans la procédure pénale ne sont pas transposables telles quelles dans une procédure civile, les deux procédures reposant sur des principes fondamentalement différents. Plusieurs dispositions du CPC permettent cependant de renforcer la protection de la victime dans la procédure 165 166 167

Pour plus de détails, voir le ch. 1.5.1 sous «Démarche».

Voir le ch. 1.5.1, sous «Démarche».

Voir le ch. 1.5.1, sous «Démarche».

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civile. Tel est le cas de l'art. 156 CPC, qui prévoit la sauvegarde d'intérêts dignes de protection des parties ou des tiers lors de l'administration des preuves168.

Art. 243, al. 2, let. b Disposition adaptée sur le plan rédactionnel et complétée compte tenu du nouvel art. 28c P-CC.

Art. 343, al. 1bis Le nouvel al. 1bis inscrit explicitement dans le CPC la possibilité d'ordonner la surveillance électronique au sens de l'art. 28c P-CC, élargissant la marge de manoeuvre du juge chargé de statuer sur l'exécution lorsque la décision prévoit une interdiction au sens de l'art. 28b CC.

Avant d'ordonner une telle mesure, le juge chargé de statuer sur l'exécution doit examiner si les conditions et en particulier le principe de la proportionnalité au sens large sont respectés169.

Art. 407d Conformément au droit transitoire, les nouvelles dispositions en matière de procédure s'appliqueront dès leur entrée en vigueur à l'ensemble des procédures, même celles qui sont déjà en cours. En particulier, il ne sera plus perçu de frais judiciaires dans ces procédures (art. 114, let. f, P-CPC).

4.3

Code pénal (CP)

Art. 55a La disposition du CP relative à la suspension de la procédure lors de violence au sein du couple est modifiée et complétée de deux nouveaux alinéas.

Dans la version allemande du texte, le titre marginal de l'art. 55a CP met l'accent sur le classement de la procédure. Il s'agit d'harmoniser ce titre avec ceux des versions française (suspension de la procédure) et italienne (sospensione del procedimento). Il en va de même dans le titre précédant l'art. 52 (partie générale du CP, titre 3, chap. 1, section 4), où l'allemand utilise le terme Einstellung, contre suspension en français et sospensione en italien. Cette imprécision est supprimée dans les deux titres par l'indication dans les trois versions linguistiques des termes suspension et classement de la procédure.

168

Voir aussi Hasenböhler Franz, in: Sutter-Somm Thomas/Hasenböhler Franz/Leuenberger Christoph (édit.), Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 3e édit., Zurich/Bâle/Genève 2016, 156, no 1 ss.; Guyan Peter, in: Spühler Karl/Tenchio Luca/Infanger Dominik (édit.), Basler Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2e édit., Bâle 2013, 156, no 1 ss.

169 Voir le commentaire de l'art. 28c, al. 1, P-CC au ch. 4.1.

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La phrase introductive de l'al. 1 ne change pas quant au fond, mais est adaptée sur le plan linguistique. Comme dans la partie générale du CP et aux autres articles, il n'est plus question des « tribunaux » au pluriel, mais du « tribunal » au singulier. En outre, les autorités pouvant suspendre la procédure sont toutes deux mentionnées (le ministère public ou le tribunal), comme dans les autres alinéas de l'article.

Le champ d'application de l'art. 55a CP, tel qu'il est défini à l'al. 1 sur le fond et sur le plan de la personne, n'est pas modifié. Ainsi, on pourra continuer de prononcer une suspension en cas de lésions corporelles simples (art. 123, ch. 2, al. 3 à 5, CP), de voies de fait réitérées (art. 126, al. 2, let. b, bbis et c, CP), de menace (art. 180, al. 2, CP) et de contrainte (art. 181 CP). Par ailleurs, la victime au sens de la let. a doit être le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin homosexuel ou hétérosexuel de l'auteur. L'acte doit avoir été commis pendant le mariage, le partenariat enregistré ou le concubinage ou dans l'année suivant respectivement le divorce, la dissolution du partenariat ou la séparation.

L'al. 1, let. b reprend la règle selon laquelle la suspension doit être requise par la victime ou, lorsqu'elle n'a pas l'exercice des droits civils, par son représentant légal. L'autorité doit à cet égard s'assurer que la victime a pris sa décision en toute autonomie, en d'autres termes qu'elle n'a pas été influencée par la violence, par la tromperie ou par la menace, et qu'elle a été dûment informée des possibilités d'aide qu'elle pouvait solliciter et des autres options s'offrant à elle 170. La formule «ou donne son accord à la proposition de suspension du ministère public ou du tribunal» est supprimée. La nouvelle let. c proposée suffit à justifier un examen approfondi de la situation de la victime. La requête de l'autorité a par ailleurs perdu de son importance avec l'introduction du principe d'opportunité selon l'art. 8 CPP. En l'absence d'une demande de suspension de la victime, l'autorité qui juge qu'une suspension est souhaitable pourra le lui signaler en s'appuyant sur la let. c.

Une requête de la victime sera donc indispensable à la suspension de la procédure et constituera son point de départ, mais elle ne sera pas, à elle seule, déterminante pour la
décision de l'autorité. L'avant-projet demandait une pesée des intérêts et énumérait à titre d'exemples plusieurs critères à prendre en compte. En raison des critiques formulées lors de la consultation171, ces critères ont été remplacés par une clause générale: l'al. 1, let. c, définit comme condition supplémentaire d'une suspension le fait qu'elle semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime. La norme mentionne donc le but visé par la suspension et exige des autorités qu'elles évaluent ses chances de succès. Dans le cas d'infractions poursuivies d'office, telles qu'il en est question ici, l'intérêt public à la poursuite pénale prévaut en principe.

L'art. 55a CP permet cependant exceptionnellement de contrebalancer cet intérêt lorsque la victime requiert la suspension de la procédure ou lorsque celle-ci semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime. On peut parler de stabilisation lorsque la protection mise en place fait que la victime ne doit plus redouter de violences de la part du prévenu et qu'elle se sent en sécurité. Il y a amélioration de la situation lorsque le prévenu est tenu de participer en vertu de l'art. 55a, al. 2, P-CP à

170 171

Avis du Conseil fédéral (note 29), FF 2003 1950 1954.

Rapport sur les résultats de la procédure de consultation (note 86), p. 29 s.

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un programme de prévention de la violence ou que d'autres mesures permettent de réduire le risque d'un nouvel accès de violence.

Pour déterminer si la suspension peut entraîner une stabilisation ou une amélioration de la situation de la victime, l'autorité doit prendre en compte un certain nombre d'éléments172: ­

l'auteur de la plainte: est-ce la victime qui a porté plainte et qui à présent demande la suspension de la procédure? Semble-t-elle avoir bien réfléchi? Si le prévenu a lui-même porté plainte, cela pourrait plaider en faveur d'une suspension, du fait qu'il semble avoir pris conscience de son acte et être pris de remords.

­

La raison pour laquelle la victime demande la suspension: si la victime demande la suspension parce qu'elle veut poursuivre sa relation avec le prévenu, on accordera un poids particulier à son intérêt à empêcher une procédure pénale.

­

Si l'acte est prouvé, on peut tenir compte dans l'appréciation des remords ou du repentir dont peut faire preuve le prévenu: cela indiquera en principe qu'il a de bonnes chances de changer de comportement. On ne saurait toutefois faire reposer la décision uniquement sur les aveux du prévenu, qui peuvent être l'expression d'un acte assumé, dû à une conception patriarcale de la famille et à la conviction que la victime a mérité son sort.

­

Le prévenu a-t-il entrepris de sa propre initiative des démarches pour changer de comportement? Dans ce cas, le risque de nouveaux conflits se trouvera probablement réduit. Entre notamment en compte une participation volontaire à un programme de prévention de la violence ou à d'autres programmes d'entraide173, ou encore à des thérapies ou des consultations visant par exemple à traiter un problème d'alcoolisme ou une situation d'endettement.

De tels efforts mettent en évidence une forte motivation du prévenu, une volonté d'éviter de nouveaux débordements et une meilleure capacité de réagir à des situations problématiques.

­

La victime et le prévenu se sont-ils entendus sur une résolution du conflit?

En oeuvrant ensemble pour améliorer la situation, ils peuvent faire pencher la balance en faveur d'une suspension.

­

Le risque d'une nouvelle agression a-t-il augmenté ou diminué? Les circonstances extérieures peuvent aussi influer sur le risque de nouveaux conflits.

Celui-ci est particulièrement élevé pendant la phase de séparation 174. Mais une fois celle-ci passée, le calme revient généralement, et le risque de nouvelles violences s'éloigne. A l'inverse, les circonstances extérieures peuvent aussi entraîner une augmentation du risque d'agression.

172

La liste se réfère à un tableau de bord établi par le canton de Berne, cité dans Baumgartner-Wüthrich (note 79), p. 23 et annexe III, et Riedo (note 35), p. 423.

173 Voir le commentaire concernant l'al. 2.

174 Voir la Feuille d'information 6 du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, consultable sous www.ebg.admin.ch > Documentation > Publications sur la violence > Feuilles d'information violence domestique > Feuille d'information 6.

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­

La violence au sein du couple touche-t-elle aussi des enfants? Dans ce cas, la nécessité de les protéger renforce l'intérêt public de poursuivre pénalement l'auteur. On ne pourra déterminer si une suspension est susceptible de stabiliser ou d'améliorer la situation de la victime sans prendre aussi en compte le bien des enfants. Une procédure pénale peut toutefois perturber gravement l'enfant, notamment s'il est entendu ou confronté au prévenu. Si la procédure est malgré tout poursuivie, il faut prendre les dispositions prévues dans le CPP pour protéger l'enfant (art. 75, al. 2, et 154, al. 4).

­

Quelle est la gravité de l'acte reproché au prévenu? Il s'agit de mettre en balance la gravité de l'acte et ses conséquences pour la victime, c'est-à-dire la gravité de la lésion du bien juridique concerné, le caractère répréhensible de l'acte, les motivations et les buts de l'auteur et la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (voir l'art. 47 CP).

­

Enfin, l'appréciation doit prendre en compte le nombre de plaintes précédemment déposées contre le prévenu, le nombre d'interventions policières qu'il a provoquées et les éventuelles suspensions ou classements de procédure déjà survenus. Dans ce contexte, l'autorité devra toujours respecter la présomption d'innocence (art. 32, al. 1, Cst. et 10, al. 1, CPP). Néanmoins, si elle a connaissance de précédentes plaintes, interventions policières ou procédures suspendues ou classées qui n'ont pas été prouvées dans le cadre d'un jugement entré en force, l'autorité peut envisager la possibilité que des faits semblables se reproduisent175 et en tenir compte dans l'appréciation de la situation.

Dans l'appréciation à effectuer en vertu de l'al. 1, let. c, on tiendra compte du principe de proportionnalité: il faut que la suspension de la procédure apparaisse comme le moyen approprié de stabiliser ou d'améliorer la situation de la victime. Cela devrait être généralement le cas et se justifier aussi bien du point de vue de la nécessité de la mesure que de son acceptabilité, étant donné que la suspension, qui répond dans ce cas à la volonté de la victime, permet d'éviter au prévenu les affres d'une poursuite de la procédure.

L'appréciation des circonstances pertinentes requiert l'audition de la victime et du prévenu. Cette audition revêt un caractère formel et vise à collecter des preuves. Il faut autoriser le prévenu à participer à l'audition de la victime. On prendra cependant toutes les mesures nécessaires pour protéger celle-ci s'il y a lieu de craindre que cette participation du prévenu puisse exposer la victime à un inconvénient grave (art. 149, al. 1, CPP).

Il serait bon que les cantons, appelés à apprécier le risque d'une nouvelle agression ou le pronostic d'une suspension, puissent bénéficier pour ce faire d'un système de gestion systématique des risques et des menaces176 qui tienne compte du vécu de la victime. Le ministère public ou le tribunal peut confier au service cantonal chargé 175

Tophinke Esther, Das Grundrecht der Unschuldsvermutung, Aus historischer Sicht und im Lichte der Praxis des schweizerischen Bundesgerichts, der EMRK-Organe und des UNO-Menschenrechtsausschusses, Diss., Berne 2000, p. 366.

176 Voir le ch. 3.3.6.

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des problèmes de violence domestique de déterminer les circonstances pertinentes, voire d'observer l'évolution de la situation pendant près de six mois.

Le projet mis en consultation prévoyait que la participation (volontaire) à un programme de prévention de la violence puisse être prise en compte dans la décision de suspension. De nombreux participants ont cependant demandé l'établissement d'un lien obligatoire entre la participation et la décision, ou une plus grande incitation à une telle participation177. Compte tenu de la présomption d'innocence qui prévaut à ce stade, et qui limite les possibilités de mesures, et du fait qu'un programme de prévention n'est pas toujours une mesure proportionnée, on a renoncé à rendre celuici obligatoire. On crée cependant à l'al. 2 la possibilité pour le ministère public ou le tribunal de prononcer une obligation pour le prévenu de suivre un programme de prévention de la violence pendant la suspension de la procédure. Plusieurs cantons proposent déjà un tel programme178, qui vise à permettre à l'auteur de violences de mieux gérer ses réactions le jour où il sera à nouveau confronté à une situation problématique. Les participants à la consultation soulignent le fait que le programme peut être une réussite même si la personne ne souhaitait pas le suivre au départ179.

La décision d'obliger le prévenu à participer à un programme de prévention de la violence vise à stabiliser voire à améliorer la situation de la victime et en particulier à prévenir la récidive. Le résultat de cette participation doit être pris en compte dans l'appréciation au sens de l'al. 1, let. c: s'il faut s'attendre à ce que le prévenu récidive (dans le cadre domestique), on tendra à ne pas suspendre la procédure. Mais si la fréquentation du programme semble augurer de bons résultats, l'autorité pourra statuer en faveur d'une suspension. Sa durée étant généralement d'environ six mois, l'autorité aura tout le temps d'observer si le prévenu y assiste assidûment et d'en tenir compte dans son appréciation finale, avec à la clé la décision de classer ou de réactiver la procédure.

S'il y a lieu de craindre que le prévenu ne commette des actes graves, ce qui remplirait les conditions d'une détention provisoire (art. 221, al. 2, CPP), la suspension de la procédure sera normalement rejetée. Dans ce
cas, le tribunal pourra ordonner d'autres mesures que la détention provisoire (art. 237 CPP), par exemple l'interdiction d'approcher la victime, de prendre contact avec elle ou de pénétrer dans un certain périmètre.

La décision d'ordonner la fréquentation d'un programme de prévention de la violence doit être proportionnée. Tel n'est pas le cas notamment lorsque l'acte commis semble devoir rester l'exception. Cette fréquentation n'est pas requise non plus lorsque le prévenu emploie d'autres façons de réduire le risque qu'il ne récidive ou qu'il a déjà fréquenté un programme de prévention, par exemple dans le cadre de mesures de gestion des risques.

Dans le cadre de son évaluation, il serait bon que le ministère public ou le tribunal puisse contacter un service cantonal à même de lui indiquer si des mesures ont déjà été ordonnées à l'égard de l'auteur de violence. L'échange d'informations permettrait d'harmoniser les mesures et de déterminer si la participation de l'auteur à un 177 178 179

Résultats de la procédure de consultation (note 154), p. 30 ss.

Résultats de la procédure de consultation (note 154), p. 31.

Résultats de la procédure de consultation (note 154), p. 30.

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programme de prévention de la violence est proportionnée. C'est ce que vise l'al. 2, qui prévoit que le ministère public ou le tribunal communique les mesures prises au service cantonal chargé des problèmes de violence domestique. Les cantons peuvent désigner le service compétent; il peut s'agir de la police ou d'une autorité civile ou administrative. Dans les cantons qui ont instauré un système de gestion de la violence domestique, il serait bon que l'information soit adressée au service chargé de la coordination. De plus en plus de cantons se dotent d'un tel système. Les informations doivent se limiter aux mesures prises par le ministère public ou le tribunal, qui concerneront la suspension de la procédure pénale ou la décision d'ordonner la participation à un programme de prévention de la violence.

L'al. 3 exclut la suspension lorsque des violences répétées au sein du couple peuvent être soupçonnées. Si le prévenu a déjà été condamné pour certaines infractions de violence dans la relation de couple actuelle ou dans une précédente relation, l'intérêt public à la poursuite pénale l'emporte, et la procédure est menée à bien pour déterminer s'il y a récidive.

Les actes de violence pris en compte comme infraction préalable sont plus nombreux que ceux considérés dans le cas de la récidive. Il ne s'agit pas seulement des infractions pour lesquelles un classement est possible (art. 123, 126, 180 et 181 CP).

Conformément à la let. a, toute atteinte à la vie et l'intégrité corporelle (art. 111 ss CP), à la liberté (art. 180 ss CP) ou à l'intégrité sexuelle (art. 187 ss CP), et donc notamment tout acte punissable grave tel que le viol (art. 190 CP) ou les lésions corporelles graves (art. 122 CP) sont concernés. Plusieurs participants à la consultation ont demandé qu'on retire de cette liste des actes excluant toute suspension les actes préalables moins graves, sans quoi la victime serait encore moins disposée à porter plainte et à témoigner dans une procédure pénale. Les contraventions n'excluront donc pas systématiquement la suspension, mais pourront être prises en compte dans l'examen des possibilités de succès de celle-ci au sens de l'al. 1, let. c. Il faut en outre que le prévenu ait subi une condamnation entrée en force pour l'une des infraction citées si l'on veut être certain qu'il a déjà exercé
des violences.

Selon la let. b, la condamnation doit par ailleurs avoir été assortie d'une peine ou d'une mesure. Les jugements dans lesquels le juge renonce à une peine ou prononce un acquittement assorti d'une mesure au sens de l'art. 19, al. 3, CP n'excluront pas forcément une suspension. Ils seront pris en compte dans le cadre de l'examen au sens de l'al. 1, let. c.

La répétition d'interventions policières, de plaintes ou de suspensions de procédure pénale ne suffira pas à exclure systématiquement la suspension de la procédure: la présomption d'innocence restera de mise (art. 32, al. 1, Cst. et 10, al. 1, CPP). La répétition de ces cas pourra cependant être prise en compte dans l'examen au sens de l'al. 1, let. c.

La let. c renvoie implicitement à l'acte préalablement commis contre le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin (actuel ou précédent) pendant le mariage, le partenariat enregistré ou la relation de concubinage ou pendant l'année ayant suivi leur dissolution. Le casier judiciaire précise si les conditions visées aux let. a et b sont remplies, mais ne contient pas d'indication directe pour celles définies à la let. c. Dans le cas des condamnations prononcées en vertu des art. 123, 126 ou 180 6979

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CP, on précise déjà au casier judiciaire si l'acte a été commis à l'encontre du conjoint, du partenaire enregistré ou du concubin. On procédera aussi à cette différenciation pour les autres infractions dans la mesure où leur définition le prévoit. En outre, sur la base des données du casier judiciaire, on pourra toujours demander le contenu du jugement auprès de l'autorité compétente. Enfin, la nouvelle loi sur le casier judiciaire (qui n'entrera pas en vigueur avant 2020) prévoit l'ajout au casier judiciaire d'une copie électronique du jugement180.

Une suspension n'est pas la clôture, mais une interruption de la procédure pénale, qui reste pendante et peut reprendre son cours. L'al. 4 fixe à six mois au plus le délai de la suspension. Mais la procédure sera reprise avant l'épuisement de ce délai, dès qu'il apparaît que les conditions de la suspension (al. 1, let. b et c) ne sont plus remplies, par exemple si la victime (ou, si elle n'a pas l'exercice des droits civils, son représentant légal) retire sa demande. Elle peut le faire par oral ou par écrit. De son côté, l'autorité doit reprendre d'office la procédure si elle constate que la suspension ne permettra pas de stabiliser ou d'améliorer la situation de la victime. Tel peut être le cas lorsque le prévenu refuse de participer à un programme de prévention de la violence, ce qui indique qu'il pourrait repasser à l'acte. A l'instar de la décision de suspension, la déclaration de la victime n'est donc pas le seul élément déterminant. Si la procédure doit être reprise à la demande de la victime, elle peut aussi être reprise contre sa volonté.

L'al. 5 concerne le classement de la procédure, qui met définitivement fin à cette dernière. Avant l'échéance des six mois, l'autorité statue, en s'appuyant sur une appréciation approfondie, sur le classement de la procédure. Si la victime n'a pas demandé la reprise de la procédure et que le ministère public ou le tribunal conclut que celle-ci a permis de stabiliser ou d'améliorer la situation la victime, il ordonne le classement de la procédure. Dans le cas contraire, il doit la reprendre.

Si la victime bénéficie, pendant le délai de suspension, de l'assistance d'autorités ou d'organisations, tandis que le prévenu suit un programme de prévention de la violence ou participe à d'autres mesures bénéfiques,
les autorités et les services impliqués auront la possibilité d'échanger leurs observations, ce qui devrait permettre au ministère public ou au tribunal de réagir à toute évolution de la situation. L'aide apportée à la victime pourrait la rassurer et l'amener à demander la reprise de la procédure avant l'échéance du délai. Si elle s'abstient de le faire, cela pourrait signifier qu'elle veut maintenir la suspension. La collaboration entre les autorités permettrait à celles chargées de la poursuite pénale de disposer au moment opportun, sans avoir à attendre l'échéance des six mois, des informations leur permettant de statuer sur la reprise ou le classement de la procédure.

L'avant-projet soumis à consultation prévoyait que l'autorité puisse entendre encore une fois la victime avant le classement définitif, afin de tenir compte de ses propos dans la pesée d'intérêts. Cette proposition a suscité la controverse parmi les participants181.

180

Art. 22 de la loi du 17 juin 2016 sur le casier judiciaire, sujette à référendum, FF 2016 4703.

181 Rapport sur les résultats de la procédure de consultation (note 86), p. 36 ss.

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La nouvelle règle ne prévoit pas d'obligation d'auditionner la victime avant le classement de la procédure. L'autorité devra toutefois procéder à une appréciation de la situation avant de rendre une décision de classement, appréciation qui devra se fonder en premier lieu sur l'évolution de la situation pendant la durée de la suspension. Il s'agira de déterminer notamment dans quelle mesure le prévenu a satisfait à l'ordre de suivre un programme de prévention et comment il s'est comporté à l'égard de la victime pendant la suspension. Dans les cas où l'autorité compétente ne dispose pas d'informations de la part des autres autorités chargées du cas de violence domestique, elle se trouvera forcée d'auditionner à nouveau la victime ou le prévenu pour pouvoir statuer de manière définitive. De manière générale, les autorités seront libres de donner à la victime la possibilité de se prononcer avant le classement de la procédure.

Comme pour la demande de suspension au sens de l'al. 1, let. b, et la demande de reprendre la procédure au sens de l'al. 4, l'audition de la victime peut se faire par écrit ou par oral (art. 145 CPP), En cas d'audition écrite, un formulaire est envoyé à l'adresse postale de la victime, et on ne peut pas exclure que la victime puisse être influencée ou contrainte par le prévenu. Dans certaines circonstances, elle peut cependant maîtriser la situation, car elle a par exemple gagné en indépendance ou ne se trouve plus sous l'influence du prévenu après la dissolution du ménage commun.

Si la victime a recours aux services d'un avocat, son accord peut être obtenu par l'intermédiaire de ce dernier.

La nouvelle audition de la victime n'est pas destinée à établir les faits et la vérité, mais plutôt à mettre en évidence le comportement du prévenu après son acte et à recueillir des éléments qui faciliteront l'appréciation finale et la décision de reprendre ou de classer la procédure. Le statut des parties ne change pas à ce stade: le prévenu continue d'être entendu en tant que tel, et la victime (ou la personne lésée) en tant que témoin ou personne appelée à donner des renseignements.

Le prévenu et la victime (en tant que partie plaignante) ont un droit de participation, qui découle directement du droit d'être entendu garanti à l'art. 29, al. 2, Cst. La personne qui n'est pas entendue
doit pouvoir suivre l'audition orale (par analogie à l'art. 147, al. 1, CPP) et poser des questions. Il est possible d'éviter que la victime soit confrontée au prévenu ou le rencontre et de prendre d'autres mesures de protection (par analogie aux art. 149 ss CPP, en particulier l'art. 152). En cas d'audition écrite de la victime, le droit de participation du prévenu se limite à une prise de position écrite.

4.4

Code pénal militaire (CPM)

Art. 46b, al. 1, let. b et c, 2, 3, 3bis, 3ter et 4, 1re phrase La violence domestique peut être exercée par des personnes soumises au droit pénal militaire, par exemple lorsqu'un militaire en sortie rencontre sa partenaire et qu'un conflit survient182. Lors de la révision du CPM en 2004, l'art. 46b a été complété par la possibilité de suspendre une procédure pour lésions corporelles simples (art. 122 182

Avis du Conseil fédéral (note 29), FF 2003 1779 1784.

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CPM), menace (art. 149 CPM) ou contrainte (art. 150 CPM) commises durant le mariage, le partenariat enregistré ou l'union libre183.

La modification de l'art. 46b P-CPM reprend quant au fond la modification de l'art. 55a P-CP. Nous vous renvoyons donc au commentaire de la modification du code pénal184.

Des adaptations ne sont nécessaires qu'au vu de la procédure pénale militaire du 23 mars 1979 (PPM)185. La première différence est d'ordre linguistique: conformément à la terminologie de la procédure pénale militaire, la disposition mentionne la suspension provisoire et le non-lieu définitif, alors que dans la disposition parallèle du droit pénal ordinaire, il est question de la suspension et du classement. La seconde différence concerne les autorités compétentes: c'est l'auditeur ou le tribunal militaire qui décide de la suspension de la procédure ou du non-lieu définitif.

Dans la version allemande de l'article, à l'al. 4, les termes «definitive Einstellungsverfügung» sont remplacés par «Verfügung des definitiven Einstellung».

5

Conséquences

5.1

Conséquences pour la Confédération

Le projet n'a pas de conséquences pour les finances ou le personnel de la Confédération.

5.2

Conséquences pour les cantons et les communes

5.2.1

Droit civil et droit de la procédure civile

Lors de l'exécution de l'art. 28b, al. 4, 2e phrase, P-CC, les cantons doivent veiller à ce que le personnel des services d'intervention en cas de crise, des tribunaux et d'autres autorités chargé de garantir la protection contre la violence, les menaces ou le harcèlement disposent des offres de perfectionnement nécessaires à leur activité spécifique. Si les cantons n'ont pas encore dispensé une telle formation continue, cette obligation entraînera des coûts supplémentaires qu'il est impossible de quantifier du fait de la grande marge de manoeuvre qu'ils auront.

183

Conjoints et partenaires: Code pénal suisse (Poursuite des infractions entre conjoints ou partenaires), RO 2004 1403; rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (note 30), FF 2003 1779 et avis du Conseil fédéral (note 29), FF 2003 1750; partenariat enregistré: loi fédérale du 18 juin 2004 sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe (loi sur le partenariat, LPart), RO 2005 5685; message relatif à la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe, FF 2003 1192.

184 Voir le ch. 4.3.

185 RS 322.1

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Le fait qu'on renonce à facturer des frais de justice pour les litiges portant sur de la violence, des menaces ou du harcèlement au sens de l'art. 28b CC et pour la décision d'ordonner une surveillance électronique au sens de l'art. 28c P-CC (art. 114, let. f, P-CPC) a pour conséquence que les cantons devront assumer des charges judiciaires supplémentaires, qu'il n'est pas possible de quantifier, mais qui devraient rester très modiques au regard du nombre relativement faible de procédures.

La mise en oeuvre de la surveillance électronique (art. 28c, al. 3, P-CC) devrait s'avérer plus coûteuse pour les cantons, du fait qu'ils doivent désigner un service responsable et régler l'exécution. Le Conseil fédéral a renoncé à la surveillance active par GPS qui figurait dans l'avant-projet, qui aurait nécessité la mise en place d'une centrale de surveillance opérationnelle en permanence. Le projet prévoit que les autorités n'auront pas à réagir immédiatement et que les données ne seront exploitées que si nécessaire, a posteriori186. Il n'en demeure pas moins qu'une structure supracantonale permettrait des économies d'échelle. L'instauration d'interdictions géographique et de contact en droit pénal187, qui nécessitera des structures de surveillance, pourrait offrir la possibilité de synergies.

Les mesures proposées, indépendamment de leur mise en oeuvre concrète, engendreront des coûts supplémentaires notables pour les cantons. On peut toutefois opposer à ces coûts ceux engendrés par les conséquences de la violence domestique dans une foule de domaines (police, justice, structures d'accueil, coordination, santé, perte de productivité, etc.), qui se situeraient selon une étude mandatée en 2013 par le BFEG entre 164 et 287 millions de francs par an188. Ces montants ne comprennent pas les autres coûts non chiffrables qui concernent d'autres domaines importants (procédures civiles, mesures de protection des enfants et des adultes, prestations d'assistance et soins de santé destinés aux enfants, etc.). Au coût tangible, il faut ajouter le coût intangible (qui se fait sentir pendant la vie entière), estimé à près de 2 milliards de francs. Il faut s'attendre à ce que les montants investis dans la prévention de la violence soient compensés par une baisse du coût des conséquences de cette violence, même s'il n'est pas possible de la chiffrer.

5.2.2

Droit pénal

La modification de la disposition pénale concernant le classement des procédures pour violences au sein du couple est notamment motivée par le fait que seule la volonté de la victime fait foi dans la jurisprudence développée sur la base du droit en vigueur et une grande partie des procédures sont donc classées. La révision vise à ce que l'intérêt de l'Etat à la poursuite pénale l'emporte plus fréquemment, ce qui aura des conséquences financières pour les cantons: le nombre de procédures pénales va s'accroître, ce qui entraînera une augmentation de celui des ordonnances pénales et des jugements. Les autorités de poursuite pénale auront plus à faire et le coût pour les cantons va augmenter. A l'inverse, il faut s'attendre à une diminution à 186 187

Voir pour les détails le ch. 3.2.3 Voir le ch. 1.2.5 sous «Interdiction de contact, interdiction géographique et surveillance électronique en droit pénal».

188 Fliedner/Schwab/Stern/Iten (note 80), p. 99.

6983

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long terme du nombre des interventions policières, et en particulier de celles dues aux récidives, grâce notamment à la possibilité d'imposer au condamné des règles de conduite189.

Le projet prévoit qu'on pourra obliger le prévenu à suivre pendant la suspension un programme de prévention de la violence. La question est de savoir qui va payer pour un tel programme. Des moyens conséquents seront nécessaires pour le mettre sur pied et pour l'appliquer. Le coût de la procédure pénale est en principe à la charge du prévenu, s'il est condamné (art. 426, al. 1, CPP). Si la procédure est classée, elle est en principe mise à la charge de l'Etat, sauf si le comportement coupable du prévenu est prouvé, en particulier s'il a avoué, ou «s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci» (art. 426, al. 2, CPP). En cas de classement de la procédure, l'imputation des frais au prévenu contrevient à la présomption d'innocence si la décision est motivée, directement ou indirectement, par une responsabilité pénale de sa part 190. Il en résulte que l'Etat doit financer le coût du programme de prévention. Il n'est en principe pas possible, au vu de la présomption d'innocence, de mettre à la charge du prévenu ne serait-ce qu'une partie des coûts, même si cela pourrait avoir valeur d'incitation à participer au programme191. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral192, l'imputation d'une partie des frais au prévenu n'entre en compte que si l'acte est prouvé ou que le prévenu a avoué.

5.3

Conséquences pour la société

Le projet permet de mieux protéger les personnes menacées ou agressées contre la violence domestique et le harcèlement obsessionnel: des mesures plus poussées amélioreront la mise en oeuvre du droit et faciliteront l'accès des victimes au système de protection. Ces nouveautés visent à réduire le nombre de cas de violence domestique et à renforcer la sécurité individuelle et collective. Les femmes et les enfants, qui sont les plus exposés, devraient tout particulièrement bénéficier des mesures proposées.

189 190

Rapport sur les résultats de la procédure de consultation (note 86), p. 6.

Arrêts du Tribunal fédéral 6B_414/2016 du 29 juillet 2016, consid. 2.4, 6B_835/2009 du 21 décembre 2009, consid. 1.2 et 4.3, 6B_150/2014 du 23 septembre 2014, consid. 1.2 et 6B_540/2013 du 17 mars 2014, consid 1.3.

191 Rapport du Conseil fédéral en exécution de la motion 09.3059 Heim (note 77), 26 et 31.

Il est possible d'accroître la motivation des participants au programme de prévention et de les amener à assumer la responsabilité de l'acte (qui leur est reproché). A l'inverse, une mise des frais à leur charge risque de peser sur le budget du ménage et toucher indirectement la victime.

192 Arrêts du Tribunal fédéral 6B_835/2009 du 21 décembre 2009, consid. 4.3, 6B_150/2014 du 23 septembre 2014, consid. 1.2 et 6B_540/2013 du 17 mars 2014, consid. 1.3.

6984

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6

Relation avec le programme de la législature

Le projet n'a été annoncé, ni dans le message du 27 janvier 2016 sur le programme de la législature 2015 à 2019193, ni dans l'arrêté fédéral du 14 juin 2016 sur le programme de la législature 2015 à 2019194. La révision du code civil, du code de procédure civile, du code de procédure pénale, du droit pénal et du droit pénal militaire apparaît cependant opportune du fait que plusieurs interventions parlementaires ont demandé au Conseil fédéral d'améliorer dans le droit civil et le droit pénal la protection des victimes de violence domestique et de harcèlement et d'instaurer en droit civil une surveillance électronique destinée à mieux protéger les victimes de violences.

7

Aspects juridiques

7.1

Constitutionnalité et légalité

Les nouvelles dispositions des art. 28b et 28c P-CC s'appuient sur l'art. 122, al. 1, Cst., qui attribue à la Confédération la compétence en matière de droit civil et de procédure civile.

Le dispositif technique assurera l'application de l'interdiction prononcée par le juge.

La technologie employée localisera et enregistrera en permanence les déplacements de la personne. Tant la liberté de mouvement que la protection de la sphère privée (autodétermination en matière d'information) font partie des libertés personnelles garanties par la Constitution. Ces droits ne sont toutefois pas absolus et peuvent être limités si cela s'avère nécessaire pour préserver la sécurité publique, prévenir des actes de violence ou sauvegarder l'intégrité physique ou psychique d'un tiers. Toute atteinte à la personnalité de l'auteur doit cependant satisfaire aux conditions fixées à l'art. 36 Cst.

La disposition proposée respecte le principe de la proportionnalité (cf. art. 5, al. 2, Cst): la surveillance électronique suffit pour imposer le respect des interdictions d'approcher une personne, de fréquenter certains lieux ou de prendre contact avec elle. Elle permet d'épargner à la victime des actes de violence ou de harcèlement. Si l'auteur de violences n'est pas dissuadé par la surveillance électronique et qu'il repasse à l'acte, les données enregistrées sont utilisées comme moyen de preuve, pour faire exécuter la sanction figurant dans le jugement du tribunal civil au sens de l'art. 282 CP ou encore dans une procédure pénale (pour contrainte par ex.). La nécessité de la mesure s'explique par l'absence d'autres moyens moins invasifs permettant d'obtenir des résultats identiques. L'article limite en outre la mesure dans le temps. Par ailleurs, on est en droit d'attendre du demandeur qu'il accepte de porter un dispositif électronique, puisqu'il est lui-même à l'origine des circonstances qui imposent cette mesure. Sans compter que toute mesure de prévention ou de réduction de la violence bénéficie à la société dans son ensemble.

193 194

FF 2016 981 ss.

FF 2016 4999 ss.

6985

FF 2017

Conformément à la répartition des tâches prévue par la Constitution, la législation en matière de droit pénal et de procédure pénale relève de la compétence de la Confédération (art. 123, al. 1, Cst.). Les art. 55a P-CP et 46b P-CPM s'appuient sur cette compétence législative.

7.2

Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse

7.2.1

Convention européenne des droits de l'homme

La disposition proposée en matière de surveillance électronique (art. 28c P-CC) est conforme à l'art. 8 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) 195: la surveillance permanente de la personne concernée et la détermination du lieu où elle se trouve portent certes atteinte à sa sphère privée, et ce dans une mesure considérable, mais elle se trouve atténuée par son caractère temporaire. L'atteinte n'a pas pour conséquence qu'on prive entièrement le prévenu des droits en question. En outre, la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH) a explicitement reconnu dans sa jurisprudence l'obligation faite aux Etats parties de protéger suffisamment les victimes de la violence domestique et du harcèlement196. L'art. 45 de la convention d'Istanbul permet de plus aux Parties de prendre des mesures telles que le suivi ou la surveillance de la personne condamnée. Enfin, la disposition prévue offre la possibilité au tribunal de tenir compte dans le cas concret des intérêts contraires.

La révision proposée de l'art. 55a CP relatif à la suspension de la procédure pour violences au sein du couple tient compte de la jurisprudence de la Cour EDH. Dans son arrêt de principe Opuz contre Turquie197 de 2009, la Cour a conclu à une violation des art. 2 et 3 CEDH du fait des abus psychologiques et physiques commis par un homme sur les personnes de son épouse et de sa belle-mère. Elle a considéré que la Turquie avait omis de mettre en place un système propre à combattre efficacement la violence domestique et à protéger les victimes de manière effective. Elle a reproché aux autorités compétentes de n'avoir pas exploité tous les moyens juridiques à leur disposition et même d'avoir classé sans raisons évidentes une bonne partie des procédures introduites. L'arrêt impute à l'Etat une obligation de poursuite pénale qui peut s'étendre jusqu'après le retrait de la plainte pénale, même contre la volonté de la victime. Il doit tenir compte de la gravité de l'acte, des blessures de la victime ou des conséquences pour les enfants vivant dans le ménage. L'intérêt public à poursuivre la procédure est d'autant plus grand que l'infraction est grave et que la probabilité de nouvelles infractions est forte, même si la victime a retiré sa plainte198.

195 196

RS 0.101 Arrêts Opuz contre Turquie du 9 juin 2009 (requête no 33401/02) et Kalucza contre Hongrie du 24 avril 2012 (requête no 57693/10).

197 Arrêt Opuz contre Turquie du 9 juin 2009 (requête no 33401/02).

198 Riedo Christof/Allemann Reto, in: Niggli Marcel Alexander/Wiprächtiger Hans (éd.), Basler Kommentar Strafrecht I, 3e éd., Bâle 2013, ad art. 55a no 5.

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7.2.2

Convention d'Istanbul

La convention d'Istanbul est entrée en vigueur le 1 er août 2014. La Suisse l'a signée en septembre 2013 et l'Assemblée fédérale a confirmé son adhésion le 16 juin 2017.

La ratification devrait intervenir au début de l'année 2018199. La Suisse remplit déjà dans l'ensemble les exigences de la convention. Les Parties sont cependant libres de prendre des mesures plus poussées Les dispositions proposées de droit civil dépassent les exigences de la convention 200.

Elles ne sont pas absolument nécessaires à la transposition de ses règles pertinentes, mais elles sont conformes à leur esprit.

La modification proposée de la disposition concernant la suspension de la procédure pénale pour violences au sein du couple (art. 55a CP) représente même un progrès matériel par rapport à la convention d'Istanbul. En effet, l'art. 55, al. 1, de la convention prévoit à cet égard une obligation spécifique. Comme nous l'avons déjà mentionné, les parties doivent veiller à ce que les enquêtes ou les poursuites d'infractions ne dépendent pas entièrement d'une dénonciation ou d'une plainte de la victime, et à ce que la procédure puisse se poursuivre même si celle-ci se rétracte ou retire sa plainte. La révision proposée va dans ce sens.

L'art. 34 de la convention d'Istanbul oblige les Parties à pénaliser le harcèlement. Le droit pénal suisse, qui poursuit le harcèlement dans sa globalité ou sur certaines de ses caractéristiques201, satisfait aux exigences de la convention. Il ira même au-delà de ces dernières, puisque des mesures contre le harcèlement sont prévues non seulement en droit pénal, mais aussi en droit civil.

7.3

Forme de l'acte

La modification du code civil, du code de procédure civile, du code pénal et du code pénal militaire passe par un acte modificateur unique qui revêt la forme d'une loi fédérale.

7.4

Frein aux dépenses

Le projet n'est pas soumis au frein aux dépenses au sens de l'art. 159, al. 3, let. b, Cst., car il ne contient pas de dispositions relatives aux subventions et ne fonde ni crédit d'engagement ni plafond de dépenses.

199

Arrêté fédéral, FF 2017 4011; Message concernant l'approbation de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, FF 2017 163.

200 L'adoption de mesures visant à suivre ou à surveiller la personne condamnée (art. 45, al. 2, de la convention) est un exemple d'une telle norme potestative.

201 Voir les ch. 1.3.4 et 3.3.6.

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7.5

Délégation de compétences législatives

Le projet ne délègue pas de compétences législatives au Conseil fédéral.

7.6

Protection des données

Les présentes propositions se répercutent de différentes manières sur la protection des données. Premièrement, l'appareil électronique au sens de l'art. 28c P-CC enregistre les données. Pour des motifs relevant de la protection des données, les cantons, qui sont chargés de l'exécution, doivent garantir le respect du but du traitement des données, qui ne doivent servir qu'à la prévention de la violence dans le cas visé (art. 28c al. 3, 2e phrase, P-CC) et non à des fins autres que l'imposition et l'exécution d'une interdiction202. Le Conseil fédéral a modifié la norme proposée en prévoyant que les données collectées dans le cadre de la surveillance soient supprimées au plus tard douze mois après la fin de la mesure (art. 28c, al. 3, 2e phrase, P-CC). Deuxièmement, l'obligation de communiquer prévue à l'art. 28b, al. 3bis, P-CC et l'obligation d'informer prévue à l'art. 55a, al. 2, P-CP fondent des bases légales civiles et pénales permettant de transmettre des données, notamment personnelles203. Ces dispositions doivent être considérées comme des lex specialis; en tant que telles, elles priment donc les règles cantonales relatives à la protection des données.

202 203

Voir les ch. 3.2.3 et 4.1.

Voir les ch. 3.2.1 et 4.3.

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Annexe I

La surveillance électronique dans le droit civil d'autres Etats204 Etats-Unis Aux Etats-Unis205, les cas de surveillance électronique ordonnées au titre de mesure de protection (protective order) sont généralement liés à des infractions (lésions corporelles, harcèlement ou autres formes de violence domestique) définies par le droit de l'Etat fédéré concerné et non par l'Etat fédéral. En effet, une part importante du droit pénal étasunien ressortit aux Etats fédérés. C'est pourquoi lorsqu'une des infractions susmentionnée est traitée par un tribunal fédéral (généralement par suite d'un recours), ce dernier applique le droit de l'Etat fédéré au fond et le droit fédéral en matière procédurale. En ce qui concerne la surveillance électronique liée à des violences domestiques, il peut arriver que certains aspects du droit matériel fédéral s'appliquent. La surveillance électronique soulève ainsi la question du respect de la protection de la sphère privée en tant que droit fondamental garanti par la constitution des Etats-Unis. Une telle mesure pourrait aussi constituer une violation du 4e amendement à la constitution des Etats-Unis, qui protège contre les perquisitions et saisies disproportionnées. Nous renvoyons dans ce contexte à l'affaire Belleau v.

Wall, sur lequel s'est penchée en janvier 2016 la Cour d'appel fédérale du 7e circuit, à propos d'un arrêt imposant une surveillance électronique à vie à une personne condamnée pour crime sexuel206.

Dans le Tennessee, le tribunal peut ordonner, en cas de violence domestique, une surveillance électronique par GPS de l'auteur de violences même s'il n'est pas poursuivi pénalement, à condition qu'il ait violé une ordonnance de droit civil visant à protéger la victime207. La surveillance doit garantir qu'il respecte l'interdiction de s'approcher de la victime et de prendre contact avec elle. L'introduction du Public Safety Act208 le 1er juillet 2016 a assoupli les critères permettant d'ordonner une mesure de protection. Il suffit désormais qu'un policier en fasse la demande 209. A noter toutefois qu'une telle mesure de protection ne peut être ordonnée qu'en cas

204 205

206 207 208 209

L'exposé de droit comparé s'appuie pour l'essentiel sur les informations fournies en 2017 par l'Institut suisse de droit comparé.

On trouve deux études sur le recours à la surveillance élecronique: Padgett K. G./Bales W. D./ Blomberg T. G., Under Surveillance: An Empirical Test of the Effectiveness and Consequences of Electronic Monitoring, Criminology and Public Policy, Vol. 5, Iss. 1, Februar 2006, 61­91, consultable sous http://onlinelibrary.wiley.com > Advanced search > Author > Kathy G. Padgett; Shantry S. M., Can You Find Me Now ­ Amanda's Bill: A Case Study in the Use of GPS in Tracking Pretrial Domestic Violence Offenders, 29 Quinnipiac Law Review 1101 (2011).

811 F. 3d 929 (C.A. 7th Cir. 2016) ­ consultable sous http://caselaw.findlaw.com > U.S.

7th Circuit Court of Appeals > SEARCHING US 7th Circuit (Party Name: Belleau).

Voir Graham Hannah / McIvor Gill, Report No. 8/2015 Scottish and International Review of the Uses of Electronic Monitoring, août 2015, ch. 3.2.

Public Chapter 906. Consultable sous www.openstates.org > Select a state (Tennessee) > Bills > SB2567.

Id. pour l'al. 3, qui modifie le §36-3-619 du Tennessee Code.

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de suspension d'une détention préventive pour harcèlement, violence domestique ou non-respect d'une ordonnance de protection210.

Allemagne L'Allemagne recourt à la surveillance électronique en matière pénale, mais pas pour surveiller le respect des ordonnances prononcées contre les auteurs de violences domestique ou de harcèlement211. Les ministres de la justice des Länder avaient certes envisagé en juin 2015 d'étendre cette mesure à ces deux domaines, mais le nouveau projet de loi allemand prévoit seulement d'élargir la surveillance électronique aux actes présentant un lien avec le terrorisme 212. Selon ce projet, le tribunal ne peut assortir d'office la surveillance de la bonne conduite (Führungsaufsicht) d'une surveillance électronique (elektronische Aufenthaltsüberwachung) que si le prévenu a été condamné pour une infraction liée au terrorisme.

France Le droit français213 prévoit dans son code pénal et dans son code de procédure pénale214 des dispositions autorisant la surveillance électronique aussi bien statique que mobile et le recours explicite à des appareils électroniques en cas de violence conjugale. Peu importe que les partenaires soit mariés, concubins ou liés par un PACS. Le placement sous surveillance électronique mobile à des fins de sécurité (art. 131-36-12-1 CP) est ordonné contre une personne majeure, dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, qui a été condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à cinq ans pour des violences ou des menaces commises contre son conjoint, son concubin ou son partenaire lié par un PACS ou contre ses enfants ou ceux de son conjoint, concubin ou partenaire. La mesure représente dans ce cas une sanction supplémentaire appliquée au terme de la peine privative de liberté. La surveillance électronique mobile est normalement assurée au moyen d'un appareil permettant de localiser la personne condamnée, en tout temps et sur tout le territoire français.

210

211 212

213

214

Tennessee Code § 40-11-150. Determination of risk to victim prior to release; conditional release; discharge of conditions; notification to law enforcement «(b) Before releasing a person arrested for or charged with an offense specified in subsection (a), or a violation of an order of protection, the magistrate shall [...] impose one (1) or more conditions of release or bail on the defendant to protect the alleged victim of any such offense and to ensure the appearance of the defendant at a subsequent court proceeding. The conditions may include: [...] (6) An order requiring the defendant to carry or wear a global positioning monitoring system device and, if able, pay the costs associated with operating that device and electronic receptor device provided to the victim, pursuant to § 40-11-152 [...]».

Ferreira Broquet Ludivine, Le bracelet électronique en Suisse: hier, aujourd'hui et demain, Diss. Neuchâtel 2015, no 375 ss.

Projet de loi du 08.02.2017, «Gesetz zur Änderung des Strafgesetzbuches ­ Ausweitung des Maßregelrechts bei extremistischen Straftätern», consultable sous www.bmjv.de > Service > Aktuelle Gesetzgebungsverfahren > Gesetz zur Änderung des Strafgesetzbuches ­ Ausweitung des Massregelrechts bei extremistischen Straftätern.

Voir la loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO 10/07/2010, p. 12762.

Code pénal et code de procédure pénale, consultables sous www.legifrance.gouv.fr > Les codes en vigueur > Choisir le code.

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Au départ, le droit français prévoyait de doter également la victime, sous réserve de son consentement, d'un appareil qui aurait indiqué la proximité de la personne violente215. La France a testé pendant quelques mois dans les années 2012­2013 des bracelets électroniques permettant un appel d'urgence216. La loi 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 217 contient une norme prévoyant un dispositif de protection218 de la victime muni d'un dispositif GPS, grâce auquel la victime peut appeler à l'aide. La remise d'un tel dispositif n'est possible que si l'auteur des violences s'est vu ordonner au minimum une interdiction de contact.

Autriche Le droit autrichien219 a lui aussi inscrit dans son code pénal et son code de procédure pénale la possibilité de recourir à la surveillance électronique. A noter que cette technique de localisation n'a été que peu utilisée jusqu'ici220. Le droit autrichien ne rattache pas cette mesure à la violence domestique et au harcèlement.

Espagne L'Espagne a édicté en 2004 une loi-cadre sur la lutte contre la violence domestique (Ley Orgánica (LO) 1/2004)221. Cette loi prévoit que les affaires de violence contre des femmes soient portées devant un tribunal spécial à composition féminine 222. Il n'est pas fait en principe de distinction formelle entre les mesures de droit civil et les 215

216

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221

222

Voir la Loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, Article 6 III.

Décret no 2012-268 du 24 février 2012 relatif à l'expérimentation d'un dispositif électronique destiné à assurer l'effectivité de l'interdiction faite à une personne condamnée ou mise en examen de rencontrer une personne protégée, JO 26/02/2012, p. 3324. Les tests se fondent sur la Loi no 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, JO 10/07/2010, p. 12762.

Loi no 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, consultable sous www.legifrance.gouv.fr > Les autres textes législatifs et réglementaires > 2014-873 (indiquer le numéro du texte) > Loi no 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Art. 31-3-1 du code de procédure pénale, voir la note 214, consultable sous www.legifrance.gouv.fr > Les codes en vigueur > «Recherche d'un article au sein d'un code»; sélectionner le code (code de procédure pénale) et indiquer l'article (41-3-1).

La Bundesgesetz zur Änderung des Strafvollzugsgesetzes du 18 août 2010 (BGBl. I no 64/2010) prévoit comme mesure d'exécution pénale la surveillance au moyen de bracelets électroniques posés à la cheville en remplacement d'une peine privative de liberté. Cette mesure est générale appliquée en cas de menaces. Il existe également une ordonnance d'application (Verordnung zum Vollzug von Strafen und der Untersuchungshaft durch einen elektronisch überwachten Hausarrest (HausarrestV) du 31 août 2010; BGBl II no 279/2010).

Organe de presse STANDARD, consultable sous www.derstandard.at > Fußfessel: Ortung in Österreich bisher nur in Ausnahmefällen, Oona Kroisleitner und Michael Matzenberger, 27 juillet 2016.

Ley Orgánica 1/2004 (LO 1/2004), de 28 de diciembre, de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género, consultable sous www.boe.es > Boletín oficial del Estado > sous «Ir al BOE de fecha», indiquer la date de publication 29/12/2004.

Cf. art. 43 ss de la der Ley Orgánica 1/2004, de 28 de diciembre, de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género (note 221).

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mesures de droit pénal. Une interdiction d'approcher la victime ne peut être prononcée contre le conjoint violent que dans le cadre d'une procédure pénale en cours223. Depuis 2006, l'Espagne autorise le recours à des appareils électroniques pour vérifier le respect des interdictions de contact, des arrêts domiciliaires et d'autres mesures d'éloignement224. La surveillance électronique peut être ordonnée aussi bien sous forme de mesure de protection temporaire (medida cautelar)225 que d'une peine accessoire. Seul le tribunal compétent peut la prononcer226; il peut agir d'office ou à la demande de la victime, de ses enfants ou des autres personnes qui vivent avec la personne violente ou qui sont sous sa garde. Le ministère public et les autorités administratives chargées des victimes peuvent aussi requérir la mesure. La doctrine espagnole plaide pour un recours modéré à la surveillance électronique, afin de ne pas porter exagérément atteinte aux droits de la personnalité. Depuis l'introduction de la surveillance électronique dans le domaine de la violence conjugale, le 24 juillet 2009, jusqu'au 31 décembre 2014, 2742 appareils ont été installés. Durant la même période, 2026 appareils ont été retirés et 716 sont demeurés actifs 227. Si les statistiques produites jusqu'au 31 décembre 2015 indiquent un recours modéré à la surveillance électronique, le nombre d'appareils installés ne cesse de croître; fin 2015, on en dénombrait 797 en fonction228. La Catalogne applique en sus du droit national la loi régionale 5/2008229, qui oblige l'administration catalane à protéger les femmes qui sont victimes de violences domestiques. L'une des mesures possibles est la pose d'un appareil électronique permettant la localisation et la communication 24 heures sur 24.

223

224

225 226 227

228

229

Motilla C., Las órdenes de alejamiento y de salida del domicilio adoptadas en los procesos sobre violencia de género, Actualidad Jurídica Aranzadi n o 750/2008, consultable sous BIB 2008/509 (accès protégé), 2.

Voir l'art. 64, ch. 3, de la Ley Orgánica 1/2004 (note 221) et les normes antérieures Ley Orgánica 15/2003, de 25 de noviembre, por la que se modifica la Ley Orgánica 10/1995, de 23 de noviembre, del Código Penal, consultable sous www.boe.es > Boletín oficial del Estado > sous «Ir al BOE de fecha», indiquer la date de publication 26/11/2003.

Art. 61 der Ley Orgánica 1/2004 (note 221).

Art. 61 en lien avec l'art. 64 de la Ley Orgánica 1/2004 (note 221).

VIII Informe del Observatorio Estatal de Violencia sobre la Mujer 2014, chapitre 13, consultable sous www.violenciagenero.msssi.gob.es > Estadísticas, encuestas, estudios e investigaciones > Publicaciones, estudios e investigaciones > Colección contra la Violencia de Género Documentos > 23. VIII Informe Anual del Observatorio Estatal de Violencia sobre la Mujer.

Ministerio de Sanidad, Servicios Sociales e Igualdad, Boletín estadístico anual, 2015, 66, consultable sous www.violenciagenero.msssi.gob.es > Estadísticas, encuestas, estudios e investigaciones > Boletines estadísticos > Anuales > 2015.

Llei 5/2008, de 24 d'abril, del dret de les dones a eradicar la violencia masclista, consultable sous http://portaljuridic.gencat.cat/ca > Cerca de Normativa: Llei 5/2008 (Ámbit: Dret de Catalunya) > Llei 5/2008, de 24 d'abril.

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La loi-cadre sur la lutte contre la violence domestique a été évaluée en 2009 et en 2013230. L'analyse statistique des données a montré que le nombre des homicides de femmes commis par le partenaire ou l'ex-partenaire a diminué de 8,7 % après la mise en oeuvre de la loi, après une baisse de 20,8 % dans les mois qui ont suivi son entrée en vigueur231. Le nombre des homicides dont ont été victimes des femmes a reculé de 10,5 % sur 15 ans232.

Portugal Le Portugal recourt depuis 2009233 à la surveillance électronique pour prévenir la violence domestique. Il utilise la technique GPS pour surveiller le respect des interdictions géographiques et de contact234. Seul le tribunal compétent peut ordonner une surveillance électronique235, qu'elle ait valeur de mesure ou de sanction pénale.

Avant de statuer, le juge s'enquiert auprès des autorités de la situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle de la personne à surveiller. Pour préserver la dignité de cette dernière, on sollicite son autorisation, qu'elle doit donner en présence d'un avocat ou devant le tribunal236. La surveillance est assurée par le service de resocialisation en coopération étroite avec le service de protection des victimes.

Pendant toute la durée de la surveillance, ces autorités s'échangent les informations nécessaires à la protection de la victime. Le nombre des personnes surveillées est faible mais augmente d'année en année. De 319 en 2014, le nombre de personnes sous le coup d'une surveillance électronique pour violence domestique237 a passé à 522 à fin 2016238.

230 231

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238

Voir la documentation correspondante du gouvernement espagnol, consultable sous www.violenciagenero.msssi.gob.es/en > Planes de actuación > Seguimiento y Evaluación.

Voir Evaluation of the Application of Organic Law 1/2004 of 28 December on comprehensive protection measures against gender-based violence, Executive Report, 34 ss, consultable sous www.violenciagenero.msssi.gob.es/en > Action plan > Seguimiento y Evaluación.

Voir Evaluation of the Application of Organic Law 1/2004 of 28 December on comprehensive protection measures against gender-based violence, Executive Report, 36, consultable sous: voir note 345.

Lei no 112/2009, de 16 de Setembro, Regime jurídico aplicável à prevenção da violencia doméstica e à protecção e assistência suas ví, consultable sous www.apav.pt > Legislação > VIOLÊNCIA DOMÉSTICA > » Regime jurídico de prevenção da violência doméstica, protecção e assistência às suas vítimas.

Ferreira Broquet Ludivine, Le bracelet électronique en Suisse: hier, aujourd'hui et demain, Diss. Neuchâtel 2015, N 394.

Art. 35 en lien avec l'art 31 de la loi no 112/2009 (voir note 233), avec renvoi aux art. 52 et 152 du code pénal (Código Penal, consultable sous www.apav.pt > Legislação > Código Penal), et art. 281 du code de procédure pénale (Código de Proceso Penal, consultable sous www.apav.pt > Legislação > Código de Proceso Penal).

Lei no 112/2009 (voir note 233).

Diário de Notícias, 1.3.2015, 319 arguidos com vigilancia eletrónica debido a violencia doméstica, consultable sous www.dn.pt > PESQUISAR > 319 arguidos com vigilancia eletrónica debido a violencia doméstica.

Publico, 28.02.2017, Metade dos arguidos com pulseira eletrónica são agressores de violência doméstica, consultable sous www.publico.pt > Pesquisa > Metade dos arguidos com pulseira electrónica são agressores de violência doméstica.

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Suède La Suède ne dispose pas pour l'heure de normes de droit civil permettant la surveillance électronique, mais elle a instauré en 2011, lors de la révision de sa loi sur l'interdiction de contact239, des dispositions pénales réglant la surveillance électronique dans les cas visés (kontaktförbud). Les modifications visaient une meilleure protection des victimes, en particulier des femmes, contre la violence, les menaces et le harcèlement ayant typiquement des hommes pour auteurs, et avec qui les victimes faisaient ménage commun. La surveillance électronique est prononcée par le ministère public (åklagare) d'office ou sur demande de la personne à protéger ou d'un tiers. Lorsqu'il reçoit une demande de surveillance, le ministère public la transmet au tribunal d'arrondissement pour vérification. Selon le droit en vigueur, une interdiction de contact assortie d'une surveillance électronique peut être ordonnée pour six mois au maximum, puis prolongée de trois mois en trois mois. Diverses critiques qui jugeaient ces dispositions timorées et les résultats d'une évaluation mandatée par le gouvernement ont entraîné une simplification des règles autorisant le recours à la surveillance électronique. Celle-ci devrait pouvoir être ordonnée également en cas de harcèlement ou de menaces. Une autre mesure prévue est l'allongement de six à douze mois de la durée pour laquelle la surveillance électronique peut être ordonnée240.

Conclusion Dans tous les Etats considérés, le recours à des dispositifs de surveillance électronique est régi avant tout par le droit pénal. Ainsi, ni l'Allemagne, ni l'Autriche, ni la France n'ont édicté de base légale autonome de droit civil autorisant la surveillance électronique de l'auteur de violences domestiques. Dans ces pays, une surveillance électronique n'est généralement ordonnée que si l'auteur est sous le coup d'une procédure pénale ou administrative (surveillance électronique ordonnée par exemple en remplacement d'une détention préventive, avant un procès241 ou, en droit des étrangers, en vue d'une expulsion ou d'un renvoi). La surveillance électronique est aussi appliquée à des personnes suspectées de pouvoir commettre un acte terroriste242.

Notons pour conclure que seul un petit nombre de pays recourent à la surveillance électronique pour protéger des victimes potentielles de violences domestiques. Parmi ceux-ci, on compte l'Espagne et la province autonome de Catalogne, la France, le Portugal et la Suède243.

239

240

241 242 243

Lag (1988:688) om kontaktförbud, consultable sous www.riksdagen.se > Dokument & Lagar > Lag (1988:688) om kontaktförbud (im Suchfeld eingeben) > Lag (1988:688) om kontaktförud.

Voir Elektronisk övervakning av kontaktförbud, consultable sous www.riksdagen.se > Dokument & Lagar > Elektronisk övervakning av kontaktförbud (indiquer dans le champ Recherche) > Elektronisk övervakning av kontaktförbud.

Voir Graham Hannah / McIvor Gill, Report No. 8/2015 Scottish and International Review of the Uses of Electronic Monitoring, août 2015, ch. 3.2.

Voir Graham/McIvor (note 241), ch. 3.7.

Ferreira Broquet Ludivine, Le bracelet électronique en Suisse: hier, aujourd'hui et demain, Diss. Neuchâtel 2015, no 398.

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Annexe II

Violence entre époux et partenaires dans le droit pénal d'autres Etats européens En Allemagne, le viol, la contrainte sexuelle, la contrainte et la menace aggravée sont poursuivis d'office. Les lésions corporelles simples, en revanche, sont poursuivies sur plainte seulement, à moins que l'autorité de poursuite pénale juge que cela répond à un intérêt public prépondérant. Dans les cas d'infractions commises entre proches, l'Allemagne ne reconnaît que rarement l'intérêt public si la victime ne souhaite pas engager de poursuite244. La victime qui a requis la poursuite peut retirer sa demande, ce qui entraîne le classement de la procédure. Celle-ci peut aussi être classée en cas de culpabilité restreinte ou (depuis 2013) si l'auteur participe à un programme de prévention de la violence245.

En Autriche, le viol, la contrainte sexuelle, la contrainte et les lésions corporelles sont poursuivis d'office. L'exigence d'une plainte en cas de viol ou de contrainte sexuelle exercée par le conjoint ou le concubin a été supprimée en 2004. De même, les menaces sérieuses sont dorénavant également poursuivies d'office; jusqu'en 2006, la poursuite n'était engagée qu'avec l'accord de la personne menacée lorsque les menaces émanaient du conjoint ou d'un proche246. Le classement de la procédure est possible si le dommage causé par l'acte est à considérer comme mineur, notamment si l'auteur fait amende honorable.

En France aussi, le viol, la contrainte sexuelle, la contrainte, la menace et toutes les formes de lésions corporelles commis au sein d'un couple sont poursuivis d'office247. Depuis l'entrée en vigueur de la loi 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, l'auteur peut être tenu de suivre un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple. Cette mesure est possible préalablement à la décision du procureur de la République sur l'action publique ou devant le tribunal compétent, dans le cadre de l'action pénale. La participation ­ à ses frais ­ de l'auteur à un tel stage peut dans certains cas représenter une alternative à l'action pénale (art. 41-1 du code de procédure pénale). Des peines plus élevées sont prévues pour les infractions commises au sein du couple (voir par ex. l'art. 222-24 11° [viol aggravé] et 222-28 [agressions
sexuelles autres que le viol] du code pénal). Par ailleurs, la loi prévoit souvent des peines plus lourdes lorsqu'un acte de violence perpétré sur une victime avait pour but de l'empêcher de porter plainte ou de témoigner248.

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Riedo/Allemann (note 198), art. 55a, no 7 s.; Stree Walter/Sternberg-Lieben Detlev, in: Schönke Adolf/Schröder Horst, Strafgesetzbuch, Kommentar, 29 e édition, Munich 2014, § 230, no 5; FF 2003 1750 1754.

Peters Sebastian, in: Knauer Christoph/Kudlich Hans/Schneider Hartmut, Münchener Kommentar zur StPO, 1re édition, Munich 2016, § 153a, no 92 s.

Riedo/Allemann (note 198), art. 55a, no 12 s.

Riedo/Allemann (note 198), art. 55a, no 9.

Riedo/Allemann (note 198), art. 55a, no 9.

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FF 2017

En Italie, le viol et la contrainte sexuelle sont en principe poursuivis sur plainte seulement, quelle que soit la nature de la relation entre l'auteur et la victime. De même, on ne poursuit que sur plainte les lésions corporelles simples entraînant une maladie de moins de 20 jours249. A noter que la plainte est irrévocable et que la procédure ne peut être classée ou suspendue pour des raisons d'opportunité, notamment faute d'intérêt de la part de la victime pour la poursuite pénale250. La loi no 38 du 23 avril 2009 (transposition du decreto-legge du 23 février 2009)251 prévoit que la victime de harcèlement peut trouver refuge auprès de la police avant de dénoncer l'acte. La loi oblige en outre les autorités de poursuite pénale, les services de santé et les autres institutions qui ont vent d'actes de harcèlement à mettre la victime en contact avec des centres de lutte contre la violence. La loi prévoit par ailleurs la mise en place d'une ligne d'urgence. Le code de procédure pénale, amendé par la loi no 154/2001, contient des mesures spécifiques (mise à l'écart immédiate de la famille, interdiction de se rendre aux endroits où se trouve la victime ou sa famille, etc.).

Le juge civil peut émettre une ordonnance de protection permettant l'intervention de la police et d'un membre des services de santé afin de mettre fin au comportement violent. La loi no 119 du 15 octobre 2013 (plan d'action extraordinaire de lutte contre la violence faite aux femmes) prévoit des infractions spécifiques, des circonstances aggravantes et des mesures de prévention et de répression destinées à combattre la violence à l'encontre des femmes sous toutes ses formes (assassinat, abus, harcèlement, lésions corporelles). Cette loi a octroyé des droits procéduraux supplémentaires aux victimes de violences domestiques, d'abus sexuel, d'exploitation sexuelle et de harcèlement.

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Riedo/Allemann (note 198), art. 55a, no 14. Les dispositions qui traitent de la violence dans le couple sont l'art. 572 (violence dans le couple ou abus sexuels envers des enfants) et l'art. 582 du code pénal (lésions).

250 Voir le rapport de la CAJ-N (note 30), FF 2003 1750, 1754.

251 La loi a introduit l'infraction de harcèlement (appels téléphoniques intempestifs, surveillance, cadeaux non désirés, lettres ou SMS) à l'art. 612bis du code pénal italien.

L'infraction a aussi des visées préventives, étant donné que le harcèlement peut précéder l'agression physique.

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