ad 15.057 Initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» Contre-projet direct du Conseil national du 15 décembre 2016 Avis du Conseil fédéral du 5 avril 2017

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Nous vous remercions de nous avoir invités à prendre position sur le contre-projet direct du Conseil national à l'initiative populaire «Oui à la protection de la sphère privée» et à présenter, en fonction du résultat de la votation, les mesures envisageables pour les futures réformes de politique fiscale.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

5 avril 2017

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

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Avis 1

Contexte

L'initiative populaire déposée le 25 septembre 20141 a pour but déclaré de renforcer la sphère privée financière en inscrivant dans la Constitution2 le secret bancaire en matière fiscale en Suisse, faisant ainsi obstacle à l'instauration de l'échange automatique de renseignements (EAR) à l'échelle nationale, c'est-à-dire à l'accès à des données bancaires durant la procédure de taxation, ainsi qu'à la révision du droit pénal fiscal lancée par le Conseil fédéral.

Dans son message du 26 août 20153, le Conseil fédéral a proposé au Parlement de rejeter l'initiative populaire sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect. Le 12 octobre 2015, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) a suivi la recommandation du Conseil fédéral. Le 19 janvier 2016, elle est revenue sur sa décision et a mis en consultation un contre-projet direct le 19 mai 2016.

Fondamentalement, le contre-projet poursuit les mêmes buts que l'initiative populaire, mais ne va pas plus loin que le droit actuel d'un point de vue matériel. La CER-N a recommandé au Conseil national de refuser l'initiative populaire et d'accepter le contre-projet. Néanmoins, le Conseil national a recommandé par 80 voix contre 60 et 55 abstentions d'accepter à la fois l'initiative populaire et le contre-projet, et de donner la préférence au contre-projet dans la question subsidiaire. Le 10 janvier 2017, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des États (CER-E) a suspendu la discussion sur l'arrêté fédéral et le contreprojet, et a proposé de demander, avant toute chose, l'avis du Conseil fédéral sur le contre-projet4.

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Initiative populaire

Les auteurs de l'initiative populaire entendent inscrire explicitement dans la Constitution la sphère privée financière comme partie intégrante du droit fondamental à la protection de la sphère privée. Ils veulent également définir les conditions auxquelles il peut être dérogé au droit à la protection de la sphère privée en matière fiscale. Selon le texte de l'initiative populaire, les autorités fiscales pourraient recevoir des renseignements de tiers en lien avec les impôts directs perçus par les cantons et concernant des personnes domiciliées en Suisse uniquement dans le cadre de

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FF 2014 8473 RS 101 FF 2015 6429 Tous les documents concernant l'initiative populaire (message), le contre-projet (dépliants, rapport explicatif), la consultation (rapport sur les résultats) et la procédure parlementaire sont disponibles sur le site Internet du Parlement à l'adresse suivante: www.parlament.ch > Rechercher un objet > Numéro de l'objet: 15.057.

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procédures pénales pour soupçon d'infraction fiscale grave, pour autant qu'un tribunal ait confirmé que le soupçon est fondé.

Comme il l'a expliqué dans son message du 26 août 2015, le Conseil fédéral ne voit pas de raison qui justifierait de soutenir l'initiative populaire, celle-ci n'apportant aucune protection supplémentaire aux contribuables honnêtes. Le droit fondamental à la protection de la sphère privée que l'initiative populaire prétend renforcer est déjà garanti dans la Constitution et défini de manière suffisamment concrète dans la législation au travers notamment du secret fiscal, de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données5 et du secret professionnel auquel les employés de banque sont soumis.

En outre, le Conseil fédéral estime que l'initiative populaire aurait en particulier les répercussions négatives suivantes:

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L'énoncé de l'initiative populaire n'interdit pas seulement aux banques, mais aux «tiers» en général, de fournir des renseignements sur des personnes domiciliées en Suisse et concernant des impôts dont les cantons effectuent la taxation, si aucune procédure pénale pour soupçon d'infraction fiscale grave n'a été ouverte. Les autorités fiscales ne pourraient donc plus, à de rares exceptions près, se procurer des renseignements auprès de tiers. Une telle interprétation du texte constitutionnel aurait pour conséquence, par exemple, que les autorités ne pourraient plus obtenir de renseignements de la part d'un employeur (certificat de salaire) ou d'une société d'assurance lorsqu'un contribuable enfreint ses obligations de collaborer dans une procédure de taxation. Le principe d'une imposition complète, juste et équitable serait alors menacé. L'honnêteté fiscale et les recettes fiscales de la Confédération, des cantons et des communes en pâtiraient. Si le terme «tiers» devait englober également les autorités, l'assistance administrative entre les autorités serait, elle aussi, fortement entravée, ce qui ne ferait qu'exacerber les conséquences susmentionnées.

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De même, les moyens d'enquête disponibles seraient limités dans les procédures en soustraction d'impôts directs menées par les autorités fiscales cantonales, ce qui menacerait encore davantage la perception correcte des impôts.

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Étant donné que l'accès à des informations de tiers serait soumis à la condition qu'il y ait usage de faux ou qu'il y ait soustraction délibérée et continue de montants importants d'impôt, d'autres circonstances deviendraient insignifiantes. À titre d'exemple, l'autorité n'aurait plus accès aux informations de tiers lorsque le contribuable suspecté use d'une construction mensongère, mais pas de faux, pour soustraire de l'impôt un montant important de manière unique, ou lorsqu'il agit de manière continue pour soustraire des montants d'importance moyenne. Les moyens disponibles pour poursuivre les infractions fiscales seraient considérablement limités.

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D'une manière générale, l'acceptation de l'initiative populaire introduirait un nouvel élément de procédure du fait qu'un tribunal devrait confirmer RS 235.1

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l'existence d'un soupçon fondé d'infraction fiscale grave. La mise en oeuvre de cet élément de procédure incomberait au législateur. Il ne serait alors pas exclu que la durée des procédures s'allonge et que les frais de procédure augmentent.

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Dans l'énumération des infractions fiscales graves en présence desquelles un tiers est autorisé exceptionnellement à fournir des renseignements aux autorités, il manque le détournement d'impôts retenus à la source. L'initiative populaire ne correspond donc pas aux dispositions de l'art. 190 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct6. De plus, l'expression «en particulier» ne figure pas dans le texte de l'initiative populaire, ce qui signifie que l'énumération des critères est exhaustive et donc que le champ d'application est restreint.

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Les dispositions de l'initiative populaire sur le droit de fournir des renseignements aux autorités s'appliquent par analogie aux impôts indirects, dont fait partie notamment la TVA. Ainsi, l'escroquerie en matière de prestations et de contributions ne pourrait très souvent plus être poursuivie faute de preuve, car elle ne présuppose pas l'usage de faux dans les titres ni la soustraction continue de montants importants d'impôt.

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Les conséquences dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier dépendent de la manière dont on interprète le texte de l'initiative populaire. Si la restriction de l'obligation faite aux tiers de renseigner s'appliquait également dans le domaine de la loi du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d'argent7, l'initiative populaire entraînerait d'importantes restrictions dans ce domaine. En effet, les intermédiaires financiers n'auraient alors plus le droit de fournir au Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS) des renseignements relatifs à des infractions fiscales qualifiées commises par des personnes ayant leur domicile ou leur siège en Suisse. Cette interdiction pourrait s'étendre aux renseignements concernant des infractions non fiscales mais se rapportant aux impôts. Le cas échéant, les modifications que le Parlement a adoptées le 12 décembre 2014, dans le sillage de la révision effectuée en 2012 des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI)8, seraient remises en question. Enfin, l'acceptation de l'initiative populaire pourrait entraver l'échange de renseignements concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme entre les bureaux de communication de la Suisse et de l'étranger. L'initiative populaire pourrait ainsi se répercuter négativement sur la conformité de la législation suisse avec les normes internationales.

Étant donné que l'initiative populaire ne concerne que les impôts suisses et que, du point de vue exprimé par le Conseil fédéral dans son message, la notion de «tiers» couvre exclusivement des personnes physiques et morales domiciliées ou ayant leur siège en Suisse, le Conseil fédéral estimait alors

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RS 642.11 RS 955.0 RO 2015 1389

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que l'initiative populaire n'aurait aucune conséquence sur l'assistance administrative internationale sur demande et l'EAR en matière fiscale en faveur d'États partenaires étrangers. Toutefois, il est apparu entre-temps que cette interprétation du texte de l'initiative populaire est controversée (voir les explications du ch. 3 sur l'avis rendu par l'Association suisse des banquiers dans le cadre de la consultation sur le contre-projet).

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L'insertion de dispositions de droit fiscal aussi détaillées dans la Constitution lierait les mains du Parlement (voir ch. 4).

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Sur le plan international, l'initiative populaire entraînerait des désavantages pour la Suisse et entacherait la réputation de notre place financière, du fait qu'elle va à contre-courant de la tendance mondiale actuelle, qui veut davantage de transparence.

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Contre-projet

Tout comme l'initiative populaire, le contre-projet vise en premier lieu à inscrire dans la Constitution la protection de la sphère privée financière et le secret bancaire en matière fiscale en Suisse, mais il ne va pas plus loin que le droit fiscal en vigueur sur le plan matériel. Il prévoit d'inscrire dans la Constitution les dispositions législatives actuelles sur les exceptions autorisant les banques à fournir aux autorités fiscales des données de clients. Par ailleurs, il précise expressément que l'EAR ne peut pas être introduit au niveau national par le biais d'une révision de l'impôt anticipé.

Le Conseil fédéral note que certaines lacunes de l'initiative populaire qu'il a relevées ont été comblées dans le contre-projet sur les points suivants: ­

Certains termes peu clairs ont été remplacés. Il n'est plus question de «tiers» en général, mais de «banques». Les autorités fiscales pourraient donc continuer à se procurer des renseignements auprès des employeurs notamment.

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Dans le contre-projet, l'existence d'un soupçon fondé ne doit pas être confirmée par un tribunal. Le chef du Département fédéral des finances (DFF) peut prendre des mesures spéciales d'enquête, comme c'est déjà le cas aujourd'hui.

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Le détournement d'impôts retenus à la source est considéré comme une infraction fiscale grave dans le contre-projet. De plus, la présence du mot «notamment» dans le texte du contre-projet implique que l'énumération n'est pas exhaustive, ce qui ménage une certaine marge de manoeuvre au législateur.

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Le contre-projet se limite aux impôts directs.

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Les préoccupations exprimées par l'Association suisse des banquiers lors de la consultation sur le contre-projet direct quant au fait qu'une insécurité juridique pourrait naître dans le domaine de l'EAR international ont également pu être écartées. Les dispositions constitutionnelles contiennent désormais une réserve explicite concernant l'EAR international.

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Toutefois, le Conseil fédéral réitère les critiques suivantes: ­

Il ne voit pas la nécessité de légiférer dans le cas présent, car la sphère privée financière est déjà suffisamment protégée dans le droit actuel et dans le domaine fiscal, notamment, par le secret fiscal.

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Le contre-projet n'apporte pas non plus d'améliorations pour les contribuables honnêtes.

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En limitant l'accès aux données bancaires exclusivement aux cas d'infractions fiscales graves, on minimise implicitement l'importance des autres infractions fiscales. Les fraudeurs pourraient se sentir confortés dans leurs actes. Il faudrait s'attendre à un recul des dénonciations spontanées et à une augmentation des cas de soustraction d'impôt, avec pour conséquence une diminution de recettes pour la Confédération, les cantons et les communes.

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Élever les dispositions du droit actuel au rang constitutionnel revient à les cimenter. L'insertion de dispositions de droit fiscal aussi détaillées dans la Constitution lierait les mains du Parlement. Des réformes ne seraient donc possibles à l'avenir que dans le cadre du droit fiscal régi au niveau constitutionnel (voir à ce sujet le ch. 4). De plus, on ne serait plus en mesure de réagir immédiatement aux évolutions internationales, ce qui pourrait mettre en péril la conformité de la législation suisse avec les normes internationales.

­

La réserve explicite concernant la lutte contre le blanchiment d'argent ne fait référence qu'aux obligations légales d'annonce. Il n'est donc pas clair si cette réserve s'applique aussi au droit légal de communiquer au sens de l'art. 305ter, al. 2, du code pénal (CP)9. De plus, le domaine central que constitue la lutte contre le financement du terrorisme n'est pas mentionné dans la réserve.

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Mesures envisageables en matière de politique fiscale

4.1

Réformes fiscales concernées

L'initiative populaire et le contre-projet réduisent la marge de manoeuvre du législateur. Les futures révisions du droit fiscal devraient tenir compte des nouvelles dispositions constitutionnelles. En particulier deux réformes fiscales lancées par le Conseil fédéral seraient concernées, à savoir la réforme de l'impôt anticipé10 et la révision du droit pénal fiscal 11. Après avoir été mises en consultation, ces deux réformes ont dû être suspendues jusqu'à la votation sur la présente initiative populaire.

La réforme de l'impôt anticipé proposée par le Conseil fédéral vise une amélioration des conditions cadre fiscales pour le marché suisse des capitaux et, dans le même 9 10 11

RS 311.0 www.admin.ch > Documentation > Communiqués > Organisations: Conseil fédéral; Thèmes: Impôts; du 24.06.2015 www.admin.ch > Thèmes > Impôts > Révision du droit pénal fiscal

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temps, un renforcement de la fonction de garantie de l'impôt anticipé en Suisse. Ces buts doivent être atteints au travers d'une perception différenciée de l'impôt anticipé, c'est-à-dire une perception en fonction de l'investisseur (passage partiel au principe de l'agent payeur). Pour éviter que le nouveau système incite les personnes physiques domiciliées en Suisse à transférer leurs titres dans une banque étrangère ­ ce qui porterait préjudice à la place financière suisse ­ le Conseil fédéral a proposé de donner à ces personnes le droit de choisir entre la retenue de l'impôt anticipé et la déclaration aux autorités fiscales cantonales.

Une grande majorité des participants à la consultation sont d'accord pour dire qu'il est nécessaire d'agir, mais ont des avis partagés sur la réforme proposée.

L'Association suisse des banquiers et economiesuisse ont rejeté le projet du Conseil fédéral, car elles estiment qu'un système dual avec options comporterait des risques et des coûts élevés pour les banques suisses devant proposer ces options. L'Association suisse des banquiers et economiesuisse ont proposé de supprimer l'impôt anticipé sur les rendements de dépôts d'obligations et de fonds de placement et d'introduire un système de déclaration obligatoire de ces revenus aux autorités fiscales moyennant une copie du relevé de dépôt que les banques remettent à leurs clients.

Le régime d'exception applicable aux CoCos, aux write-off-bonds et aux bail-inbonds12 décidé par le Parlement en 2016 est en lien étroit avec la réforme de l'impôt anticipé. Il crée les conditions pour que les banques d'importance systémique puissent émettre ces instruments financiers en Suisse. Le Parlement a décidé que ce régime ne serait appliqué que jusqu'en 2021, au motif qu'il deviendra obsolète une fois la réforme globale de l'impôt anticipé instaurée. Les délibérations sur la présente initiative populaire ayant duré plus longtemps que prévu, la réforme de l'impôt anticipé a dû être ajournée, si bien qu'il semble désormais exclu qu'elle puisse être mise en oeuvre à temps pour remplacer ce régime d'exception. Indépendamment du résultat de la votation sur l'initiative populaire, il faut donc s'attendre à une prolongation du régime d'exception. Si l'on garde pour objectif de mettre en oeuvre une réforme globale de l'impôt anticipé,
cette prolongation devra de nouveau être limitée dans le temps.

La révision du droit pénal fiscal lancée par le Conseil fédéral porte sur divers aspects et vise différents buts, dont la reformulation des éléments constitutifs d'infractions en matière d'impôts directs et la suppression qui y est liée du cumul des peines en cas d'usage de faux et de soustraction d'impôt. Par ailleurs, le Conseil fédéral a également proposé d'élargir la palette des moyens d'enquête à disposition des autorités fiscales cantonales. Selon lui, l'accès aux données bancaires doit être autorisé dans toutes les procédures pénales fiscales, pas uniquement en cas de soupçon d'infraction fiscale grave.

Après la votation sur l'initiative populaire, le Conseil fédéral lèvera la suspension des projets de réforme de l'impôt anticipé et du droit pénal fiscal, et décidera de la suite à donner à ces dossiers.

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www.parlement.ch > Recherche d'objets > Numéro d'objet: 15.060 > Synthèse

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4.2

Rejet de l'initiative populaire et du contre-projet (statu quo)

Si l'initiative populaire et le contre-projet sont rejetés, le statu quo sera maintenu d'un point de vue juridique.

Pour la réforme de l'impôt anticipé, les possibilités d'action suivantes resteraient envisageables: ­

refonte de l'impôt anticipé par l'introduction du principe de l'agent payeur avec ou sans la possibilité pour les personnes physiques domiciliées en Suisse de choisir le système de déclaration des montants concernés à l'autorité fiscale à la place de la retenue d'impôt;

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suppression de l'impôt anticipé sur les rendements de dépôts d'obligations et de fonds de placement et introduction d'une déclaration automatique aux autorités fiscales (moyennant p. ex. une copie du relevé de dépôt, comme le proposent l'Association suisse des banquiers et economiesuisse);

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suppression pure et simple de l'impôt anticipé sur les rendements de dépôts d'obligations et de fonds de placement.

La plupart des participants à la consultation sont d'accord pour dire qu'il est nécessaire de réformer le système de l'impôt anticipé. Le Conseil fédéral a donc toujours l'intention de soumettre au Parlement une telle réforme. Il décidera en temps utile quelle option parmi celles décrites ci-dessus il soumettra au Parlement, compte tenu des évolutions qui seront intervenues entre-temps et des recommandations d'un groupe d'experts déjà formé par le DFF et composé de représentants de la Confédération, des cantons et des milieux économiques. Le Conseil fédéral entend garder pour objectif de renforcer le marché suisse des capitaux tout en garantissant l'impôt sur le revenu à la Confédération et les impôts sur le revenu et la fortune aux cantons et aux communes. Il reste donc sceptique quant à la suppression pure et simple de l'impôt anticipé sur les rendements de dépôts d'obligations et de fonds de placement. Même si l'initiative populaire et le contre-projet sont rejetés, le secret bancaire en matière fiscale en Suisse ne disparaîtra pas. C'est pourquoi une garantie de l'impôt restera nécessaire en Suisse pour défendre les intérêts fiscaux et le principe de l'équité fiscale.

Pour ce qui est de la révision du droit pénal fiscal, la marge de manoeuvre juridique ne change pas dans ce scénario. Cependant, les avis des participants à la consultation sont partagés quant à la nécessité d'agir. Le Conseil fédéral continue de penser qu'il est indiqué de revoir le droit actuel. Néanmoins, après la votation sur l'initiative populaire, il devra décider s'il poursuit la révision du droit pénal fiscal et quelles modifications il compte apporter au projet qu'il a soumis à la consultation.

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4.3

Acceptation du contre-projet

En cas d'acceptation du contre-projet, les deux mesures suivantes seraient envisageables d'un point de vue juridique pour la réforme de l'impôt anticipé: ­

refonte de l'impôt anticipé par l'introduction du principe de l'agent payeur avec ou sans la possibilité pour les personnes physiques domiciliées en Suisse de choisir le système de déclaration des montants concernés à l'autorité fiscale à la place de la retenue d'impôt;

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suppression pure et simple de l'impôt anticipé sur les rendements de dépôts d'obligations et de fonds de placement.

Par contre, la Constitution exclurait la solution proposée par l'Association suisse des banquiers et economiesuisse, qui consiste en une transmission automatique des relevés de dépôt ou en une autre forme de déclaration obligatoire aux autorités fiscales.

Dans ce scénario, il serait encore plus difficile que dans la situation actuelle de justifier une suppression pure et simple de l'impôt anticipé sur les rendements de dépôts d'obligations et de fonds de placement. Les nouvelles dispositions constitutionnelles porteraient un coup à la morale fiscale, si bien que le besoin de garantie de l'impôt du point de vue du fisc et de l'équité fiscale se ferait encore davantage sentir qu'aujourd'hui.

Dans ce cas de figure, le Conseil fédéral devrait décider s'il s'en tient fondamentalement à sa proposition initiale (passage au principe de l'agent payeur) et la soumet au Parlement, en modifiant éventuellement certains points. Vu les oppositions exprimés par des milieux influents durant la consultation, on ignore à l'heure actuelle si une telle solution pourrait rallier une majorité politique.

S'agissant de la révision du droit pénal fiscal, on se trouverait face à une nouvelle situation sur deux points: ­

Le contre-projet inscrit de manière indirecte dans la Constitution, c'est-àdire par rapport à l'accès des autorités fiscales aux données bancaires, les éléments constitutifs d'infractions en matière d'impôts directs selon le droit actuel. La marge de manoeuvre pour revoir ces éléments à l'avenir serait restreinte.

­

En ce qui concerne l'accès aux données bancaires en matière d'impôts directs, le projet du Conseil fédéral soumis à la consultation ne serait plus admissible d'un point de vue juridique. L'accès aux données bancaires resterait donc limité aux cas d'infractions fiscales graves.

Comme expliqué au ch. 4.2, on ignore encore, vu les résultats de la consultation, si le Conseil fédéral poursuivra la révision du droit pénal fiscal et, le cas échéant, quelles mesures il proposera. Cependant, en cas d'acceptation du contre-projet, les fraudeurs se sentiraient confortés dans leurs actes. La nécessité de réviser le droit pénal fiscal dans le sens d'un durcissement s'imposerait alors d'autant plus. Le législateur pourrait aussi décider d'imposer aux institutions financières suisses des obligations accrues de diligence concernant la conformité fiscale de leurs clients.

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Par ailleurs, il n'est pas clair si la réserve relative à la lutte contre le blanchiment d'argent s'applique également au droit de communiquer au sens de l'art. 305ter, al. 2, CP et à la lutte contre le financement du terrorisme dans le secteur financier. Si les banques ne pouvaient plus exercer leur droit de communiquer des renseignements concernant d'éventuelles infractions fiscales commises par des personnes domiciliées en Suisse ou concernant le financement du terrorisme, cela entraverait la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

Le Conseil fédéral recommande donc de formuler l'al. 7 du contre-projet comme suit: En relation avec l'al. 4, les obligations et droits légaux d'annonce des banques en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme, ainsi que d'échange international transfrontalier de renseignements en matière fiscale demeurent réservés.

7

4.4

Acceptation de l'initiative populaire

En cas d'acceptation de l'initiative populaire, s'agissant de la révision de l'impôt anticipé, il est renvoyé d'une manière générale aux explications du ch. 4.3. Le besoin d'une garantie efficace de l'impôt en Suisse serait toutefois encore plus élevé en cas d'acceptation de l'initiative populaire qu'en cas d'acceptation du contreprojet, car non seulement la morale fiscale prendrait un coup, mais les moyens d'enquête des autorités fiscales dans les procédures de taxation et les procédures pénales fiscales seraient aussi restreints.

Pour ce qui est de la révision du droit pénal fiscal, les explications du ch. 4.3 restent valables. La marge de manoeuvre du législateur pour reformuler les éléments constitutifs d'infractions en matière d'impôts directs serait restreinte.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'initiative populaire nécessiterait une révision de la législation fiscale. Il faudrait par exemple régler la nouvelle procédure d'approbation par un tribunal inscrite dans la Constitution. De plus, selon la manière dont on interprète l'initiative populaire, les obligations de collaborer des tiers qui ne sont pas des banques devraient être limitées.

Comme ces restrictions entraveraient la bonne perception des impôts par la Confédération, les cantons et les communes et entraîneraient un manque à gagner pour les collectivités publiques, la question de savoir s'il faut prendre des mesures d'accompagnement pour réduire ces nouveaux risques se poserait. Vu que l'énoncé de l'initiative populaire est sujet à interprétation, le Conseil fédéral ne peut pas dire à l'heure actuelle comment l'initiative populaire et les éventuelles mesures d'accompagnement seraient mises en oeuvre concrètement.

Si l'initiative populaire devait entraver aussi la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ou l'EAR international comme avancé par l'Association suisse des banquiers, il faudrait se pencher également sur des mesures permettant de contrecarrer de tels effets.

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Conclusion du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral ne voit pas la nécessité de légiférer en matière de protection de la sphère privée financière dans le droit fiscal. Le contre-projet, tout comme l'initiative populaire, n'apporterait aucun avantage à la grande majorité des contribuables honnêtes.

Si le contre-projet ne contient aucune nouveauté matérielle par rapport au droit en vigueur, l'inscription du secret bancaire en matière fiscale dans la Constitution et le fait de minimiser l'importance de la soustraction d'impôt enverraient toutefois un signal fort. Les fraudeurs se sentiraient confortés dans leurs actes et la morale fiscale en pâtirait, avec pour résultat des diminutions de recettes pour la Confédération, les cantons et les communes.

Par ailleurs, le contre-projet réduirait la marge de manoeuvre du législateur à l'avenir. Eu égard au principe de l'équité fiscale et aux intérêts fiscaux de la Confédération, des cantons et des communes, il ne serait par exemple plus possible de supprimer l'impôt anticipé pour renforcer la place financière suisse, comme le demandent les milieux économiques, car on ne pourrait plus introduire de système de déclaration automatique aux autorités fiscales.

Pour ces raisons, le Conseil fédéral est également opposé au contre-projet.

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