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Message du /

conseil fédéral à l'assemblée fédérale au sujet d projet de loi concernant les mesures à prendre contre les épidémies offrant un danger général.

(Du 1er juin 1886.)

Monsieur le président et messieurs, En date du 26 juin 1885, vous avez adopté le postulat suivant à l'occasion de l'examen du rapport de gestion.

« Le conseil fédéral est invité à soumettre à bref délai aux chambres fédérales un projet de loi traitant les mesures générales à exécuter en cas d'épidémies présentant un danger général. » En exécution de ce postulat, nous prenons la liberté de voua présenter un projet de loi sur la matière.

La loi sur les épidémies, adoptée par les chambres fédérales le 31 janvier 1882, ayant été rejetée à une grande majorité à la rotation populaire du 30 juillet de la môme année, on pouvait se demander s'il était convenable, au bout d'un laps de temps aussi court, de remettre sur le chantier un acte législatif dont la constitutionnalit est établie, il est vrai, par l'article 69 de la constitution fédérale, mais dont la nécessité n'est pas encore reconnue par tout le monde.

Nous croyons pouvoir résoudre affirmativement cette question, sous la réserve toutefois de prendre en due considération un certain nombre de scrupules qui ont fait pencher la balance pour le rejet, lors de la dernière votation populaire.

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Quant à la nécessité de l'adoption d'une loi fédérale sur les.

épidémies, nous nous sommes prononcés d'une manière si détaillée sur ce sujet dans notre message du 18 décembre 1879 (P. féd. 1880P I. 1) que nous croyons pouvoir nous abstenir de répéter les explications qui y sont renfermées.

Ce qui est avéré, c'est que la lutte contre la puissance mystérieuse des grandes épidémies n'a de chances d'arriver à un succès relatif que si elle est organisée à un point de vue uniforme et rationnel et conduite avec des moyens généraux et énergiques. La justesse de ce principe a été démontrée récemment par l'apparition du choléra en France et en Italie dans les années 1884 et 1885 et par l'insuffisance des mesures qui ont été prises dans ces pays contre le fléau. Nous avons aussi, à cette époque, fait la infime expérience chez nous, et l'exécution défectueuse des mesures ordonnées par nous alors que notre pays était menacé a prouvé que, en cas d'invasion réelle de cette épidémie, nous ne serions pas en état de la combattre avec succès sans fixer par la loi les principes dirigeants en général, ainsi que les obligations et les compétences des cantons et de la Confédération.

Il est vrai · que, pendant ces deux années, notre patrie est restée indemne de choléra; toutefois, on a vu se confirmer de nouveau l'ancienne observation que le fléau, une fois qu'il a pénétré dans notre continent, y dure pendant quelques années et sévit dans un pays ou dans l'autre selon des lois encore inconnues jusqu'ici. C'est là le motif pour lequel, ces derniers temps, les divers états ont soumis à un nouvel examen leurs mesures protectrices, coordonné et augmenté leurs moyens de défense. Ce qui est incontestable, c'est que la Suisse, placée entre de grands états et par conséquent ayant les avantages et les dangers du trafic moderne, ne peut pas rester en arrière si elle ne veut pas assumer la responsabilité des calamités produites par une épidémie et négliger de se protéger contre celleci. Aussi avons-nous pris part à la conférence sanitaire internationale qui s'est réunie à Rome l'année dernière et qui avait pour but de fixer d'une manière générale les opinions actuellement existantes au sujet des épidémies et les mesures à recommander.

Nous sommes maintenant dans le cas de pouvoir constater le fait aussi inattendu que réjouissant
que dans cette conférence, malgré les fréquentes contradictions entre les intérêts politiques et les intérêts économiques et malgré la diversité des opinions scientifiques, toutes les mesures de principe ont été adoptées avec une unanimité complète ou tout au moins approximative.

Nous nous trouvons placés par là vis-à-vis du peuple suisse, au point de vue de la législation sur les épidémies, sur un terrain

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tout autre et plus solide que lors des débats des années précédentes.

Ce qui alors était, chez nous, considéré par beaucoup de personnes comme une étude académique et un voeu bien intentionné de certaines sphères apparaît maintenant comme étant l'opinion d'une réunion de praticiens et de savants éprouvés dans le domaine des mesures à prendre contre les épidémies et comme la ligne de conduite reconnue par tout le monde civilisé, non pas dans le sens d'un dogme absolu, mais comme expression de la science actuelle dans cette matière aussi difficile que délicate et comme point de départ des futures expériences scientifiques et économiques. On a établi de nouveau -- et cela n'a pas été contesté -- que les meilleures mesures contre les épidémies consistent dans une organisation sanitaire bien conçue, logique et préparée de longue main, qui a des résultats incomparablement plus favorables que les efforts les plus désespérés faits seulement au moment de l'explosion.

L'absence d'un service sanitaire publie bien organisé ne peut, il est vrai, être suppléée par une loi fédérale sur les épidémies, mais celle-ci peut contribuer puissamment à développer ce service, eu attribuant aux questions sanitaires une importance et une valeur sociales et en fixant les principes sur lesquels se basent les mesures à prendre à l'approche et à l'explosion d'une épidémie.

A l'approche du fléau, il est trop tard pour se livrer à ces travaux législatifs; ceux-ci sont réservés aux époques de santé et de bonheur, et ce serait encourir une lourde responsabilité que de vouloir, pour l'amour d'opinions passagères et d'intérêts secondaires, rester les bras croisés devant cette tâche, qui jusqu'ici était laissée complètement aux cantons, après avoir acquis la conviction que les meilleures mesures sanitaires ne servent à rien si elles sont restreintes à un territoire trop petit et que, par conséquent, les cantons sont impuissants lorsqu'il s'agit de combattre d'une manière efficace une grande épidémie, qui apporte la mort et la ruine.

Basés sur ces considérations, nous sommes arrivés -- dans le projet qui vous est soumis -- en précisant exactement les obligations et les compétences de la Confédération et des cantons, à fixer brièvement certains principes généraux relatifs aux mesures préventives, à l'obligation de dénoncer, à
l'isolement et à la désinfection, à résoudre la question des secours à accorder aux malades et aux personnes non atteintes qui sont dans le besoin, à régler la répartition
Nous espérons, par le moyen de celle-ci, concentrer le travail des

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cantons en un tout efficace, assurer l'exécution uniforme sous la surveillance de la Confédération et donner en même temps à la .science progressive et pratique toute latitude de se développer suivant les besoins du moment.

Ceux des cantons qui possèdent déjà un service sanitaire public bien organisé et ancré dans les moeurs seront secondés dans leurs efforts par la loi; quant à ceux qui sont encore restés en arrière dans ce domaine, ils pourront sans peine rattraper le temps perdu, «t tous ensemble travailleront plus facilement sous l'autorité de la Confédération, sans sacrifier aucun droit politique, mais pour le pins grand bien de la santé et de la vie de leurs citoyens. Notre population, qui a le droit d'exiger la protection de l'état contre un dangereux ennemi et qui ne la réclame souvent, dans les moments de détresse, qu'avec trop d'énergie, aura sans doute à faire certains sacrifices et même à se soumettre, pour autant que cela est absolument nécessaire dans l'intérêt du bien-être public, à une certaine restriction de la liberté individuelle.

Or, c'est précisément le fait que les dispositions essentielles renfermées dans le projet figurent déjà en partie dans la législation d'un certain nombre de cantons suisses et y sont mises à exécution qui nous donne la conviction qu'une loi fédérale sur les épidémies, avec ses prescriptions sévères sur certains points dans les moments de danger, les seuls où elle sera appliquée, pourra être exécutée avec le meilleur succès, si l'on trouve pour cela les meilleurs organes et si l'on évite des chicanes inutiles.

La police des épizooties étant réglée depuis quatorze ans par une loi fédérale et exercée avec de bons résultats sans porter atteinte à la souveraineté des cantons, et après les amères expériences qui ont été faites ces derniers temps, soit par nous-mêmes soit surtout par les états qui nous avoisinent, à propos du choléra, après les avertissements réitérés et sérieux que nous donne l'apparition toujours plus fréquente de l'épidémie de variole dans notre propre pays, - il est grand temps que la Confédération ait aussi son mot à dire lorsqu'il s'agit de la vie de milliers de personnes et que l'on essaie, au moyen d'une loi fédérale sur les épidémies, d'opposer, de la seule manière qui soit efficace, une digue à l'apparition et à la propagation
des maladies les plus redoutables de l'humanité.

Après ces observations générales, nous n'avons plus qu'à examiner spécialement les dispositions essentielles du projet.

En ce qui concerne les épidémies, le droit de législation de la Confédération est restreint, par l'article 69 de la constitution, aux « épidémies offrant un danger général », et l'article 1er de notre projet de loi désigne comme telles Ja variole, le choléra asiatique, Feuille fédérale suisse. Année XXXVIII.

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le typhus pétéchial et la peste, c'est-à-dire exclusivement les maladies qui, vu la haute faculté de transmission ^du virus, ont non seulement une importance locale, mais encore une tendance prononcée à se propager dans des territoires d'une grande étendue et que la législation d'un canton isolé ne suffit pas à combattre.

Il n'est guère besoin de longs arguments pour démontrer que la variole et le choléra appartiennent incontestablement à cette catégorie. La première doit malheureusement être considérée, encore maintenant, comme la plus répandue et la plus dangereuse des épidémies offrant un danger général, et les migrations répétées et mortelles du choléra en Europe nous obligent à mentionner aussi cette maladie dans la loi, et cela d'autant plus que la hardie assertion d'un épidémiologue distingué, d'après laquelle la Suisse, grâce à sa position géographique et à ses conditions climatériques, est protégée contre le choléra, a rencontré une triste réfutation par la propagation épidémique et dévastatrice de cette maladie, en 1854, 1855 et 1867, dans les cantons d'Argovie, Baie, Zurich, Genève et Tessin.

La fièvre pétéchiale et la peste doivent aussi figurer dans la loi. En effet, bien que la première, qui est la maladie de la guerre, de la faim et de la misère sociale, n'ait plus visité notre continent, du moins avec une certaine intensité, depuis un assez grand nombre d'années, nous n'avons néanmoins aucune garantie que cette épidémie ne fasse plus d'apparitions, attendu que les conditions nécessaires à son développement peuvent se représenter du jour au lendemain. Quant à la peste, la forme la plus terrible de toutes les épidémies, il n'y a qu'un petit nombre d'années qu'elle a menacé d'une façon très-sérieuse la frontière sud-est de l'Europe, et l'on n'a pu s'en préserver que par les plus énormes efforts.

Outre ces grandes épidémies, le projet de loi du 31 janvier 1882, rejeté par le peuple suisse, mentionnait encore une série d'autres maladies (scarlatine, diphthérie, typhus, dyssenterie et fièvre puerpérale), contre lesquelles la loi ne devait être appliquée qu'éventuellement. Ces maladies ne peuvent pas, d'ores et déjà, être comptées au nombre de celles qui offrent un danger général dans le sens de l'article 69 de la constitution et du point de vue que nous avons exposé plus haut, attendu
que ce n'est que dans certaines circonstances et conditions défavorables de temps et de lieu, qui ne se sont jamais présentées et ne se présenteront probablement jamais chez nous, qu'elles revêtent le caractère d'épidémies dévastatrices et se répandant sur de vastes territoires. Aussi avons-nous renoncé à insérer dans le nouveau projet la disposition relative à ces maladies, et cela d'autant plus volontiers qu'elle a donné lieu à beaucoup de malentendus et a rencontré une résistance énergique dans

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l'opinion publique, surtout de la Suisse romande, sans que l'extension de la loi dans le sens d'une application purement éventuelle fût absolument nécessaire et particulièrement importante.

Un des moyens les plus puissants contre l'invasion et la propagation des épidémies se trouve dans une prophylactique convenablement exercée. Toutefois, une grande partie de ce qu'elle exige rentre non seulement dans la police des épidémies, mais constitue encore une tâche essentielle du service sanitaire public en général; or, il est absolument indispensable que les exigences que ce service pose, même en temps ordinaire et lorsqu'aucune épidémie n'est à craindre, soient d'autant plus sérieusement prises en considération lorsqu'une maladie de ce genre nous menace. L'essentiel est de combattre le mal dès l'origine et d'enlever à l'ennemi le terrain sur lequel il pourrait prospérer et ne se développer que trop rapidement. Aussi la tâche principale des mesures préventives consiste-t-elle à contrôler l'eau potable et les denrées alimentaires, à nettoyer et à maintenir propres les habitations et, d'une manière générale, à combattre la saleté et la misère sociale.

En outre, à l'approche d'une épidémie, les locaux d'isolement pour les malades'et les locaux pour recevoir les personnes non atteintes doivent être tenus disponibles et munis de tout ce qui est nécessaire. Une fois que l'épidémie a éclaté, il est trop tard pour le faire, et la précipitation avec laquelle on est alors obligé, souvent sous l'influence de la terreur et de l'angoisse, de réparer l'omission ne compromet que trop fréquemment la bonne exécution des mesures les plus nécessaires.

L'installation de petits asiles pour les personnes infectées, qui a lieu déjà maintenant, dans divers cantons, de la part de grandes communes ou de plusieurs petites communes ensemble, devient malheureusement de plus en plus nécessaire par suite de l'irruption toujours plus fréquente de la variole. * Ce qui est aussi important que le transfert des malades dans les hôpitaux, c'est le délogement des personnes non atteintes, plus rarement, il est vrai, dans les cas de variole que dans ceux de choléra. En effet, la première de ces mesures présente souvent des difficultés sociales et économiques tellement grandes que la seconde mérite la préférence et qu'elle est souvent la
seule possible. Au surplus, la pratique a depuis longtemps devancé la loi sous ce rapport, et celle-ci n'apporte rien de nouveau et ne fait que donner sa sanction à ce qui existe déjà.

Nous aimons à espérer qu'aucune épidémie ne viendra accélérer par trop l'exécution de toutes ces mesures, mais il est nécessaire

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que, dans un cas sérieux, on ne se mette pas à discuter et à faire dos plans et que l'on commence par des actes efficaces.

U obligation immédiate et absolue de dénoncer, telle que nous la demandons à l'article 3 du projet, constitue le commencement et la base de toute police des épidémies, la condition fondamentale de toute protection contre ces maladies. Les premiers cas et les foyers isolés peuvent souvent être circonscrits et rendus inoffensifs, tandis que les foyers multiples et étendus bravent ordinairement toutes les mesures. Sans une obligation de dénoncer non seulement écrite, mais encore exécutée et bien organisée, toute police des épidémies devient illusoire; les intérêts les plus mesquins rivalisent pour faire d'un petit mal un grand, d'un dommage local une calamité générale.

Après le mystère bieu connu dont on a entouré dans plusieurs villes de France et d'Italie l'apparition du choléra et qui a. été cause du grand développement pris par cette épidémie, l'opinion publique a pourtant fini par reconnaître que c'est un véritable crime que de mettre en danger tout un pays pour des égards mesquins, et une folie que de laisser le mal se propager à son aise avant de l'avouer et de le combattre.

L'obligation de dénoncer doit être générale et nullement restreinte aux médecins, parce qu'il y a des malades qui ne se font pas du tout traiter par le médecin ou qui ne le font appeler que longtemps après que la maladie a fait son apparition. Ce sont principalement ces cas-là qui engagent à dissimuler la maladie, ce qui a des conséquences funestes. Aussi doit-on tenir sévèrement à ce que toutes les personnes qui ont des relations avec le malade ou sont avec lui en rapports quelconques soient astreintes en première ligne à signaler le cas. Nous croyons avoir donué la meilleure expression possible à cette idée en statuant que c'est chaque fois le maître du logis dans lequel le malade se trouve qui doit en informer l'autorité locale.

La même obligation incombe encore, cas échéant, au médecin qui a traité le malade et qui, outre l'autorité locale, doit aviser aussi l'autorité sanitaire la plus rapprochée. C'est à ces deux autorités qu'il appartient alors de donner, sans aucun retard, connaissance du fait au gouvernement cantonal, attendu qu'un contrôle minutieux est absolument nécessaire et que c'est
à ce dernier qu'incombé le soin d'ordonner les mesures ultérieures.

Un autre moyen indispensable contre l'épidémie, c'est à'isoler le malade et les personnes chargées de le soigner.

L'isolement des personnes atteintes d'une épidémie, si souvent employé comme épouvantail, est du l'esté un procédé connu, re-

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commandé et éprouvé depuis longtemps et utilisé dans la plupart de nos cantons. Toutefois, son application exige une inain douce et des ménagements, car il touche en même temps au droit le plus précieux du citoyen, la liberté individuelle ; pour être accepté avec confiance, il doit être exécuté d'une manière humaine et intelligente tout en étant sévère. C'est pour cela que nous avons inscrit en tête de l'article 4 que le malade et ses proches doivent être isolés dans sa demeure et que, dans le deuxième alinéa, nous donnons encore des garanties plus fortes contre un délogement ou un transport forcé dans un local d'isolement.

Il va sans dire qu'on n'isole jamais hors de chez elle la personne qui pexit être isolée dans sa demeure, qui a les soins nécessaires et qui ne met personne d'autre en danger ; on n'isole hors de chez eux que ceux qui le demandent eux-mêmes ou qui, étrangers et sans ménage à eux, se trouvent malades et abandonnas dans une auberge ou dans un local bondé, d'où le transfert dans un hôpital est un bienfait réclamé le plus souvent à grands cris par le malade lui-même.

L'article 2 et l'alinéa 3 de l'article 4 de notre projet pourvoient à ce que les malades de cette catégorie ne puissent être transportés que dans des asiles convenables, et non dans des locaux misérables et mal aménagés.

En ce qui concerne la restriction apportée à la liberté individuelle, on n'y aura recours que pour autant que cela sera absolument nécessaire dans l'intérêt du bien-être général. Toutefois, ce que nous ne pouvons pas admettre, c'est que, sous l'étiquette de la liberté individuelle, des familles et des communes entières soient décimées par la mort et la maladie et qu'il soit loisible à chacun de propager à son aise une maladie contagieuse.

Par les mesures prévues dans la loi qui vous est présentée, l'état acquiert des droits nouveaux et incontestablement nécessaires, mais, avec ces droits, il assume aussi de nouveaux devoirs^vis-à-vis des malades et des personnes saines qui sont dans le besoin et qui sont atteintes par ces mesures.

Il va de soi que, en cas d'épidémies, les soins diététiques et médicaux doivent être donnés, à tous ceux qui en ont besoin, gratuitement et sans le stigmate de l'assistance. On pourrait plutôt discuter sur la question des indemnités à allouer aux personnes non atteintes
et délogées, qui auraient subi des pertes dans leur industrie ou leur commerce par suite de l'application des dispositions de la loi. Nous estimons que, dans ce cas aussi, l'état est tenu à indemnité ; au point de vue purement théorique, ce serait même le cas vis-à-vis
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affaire de commisération, niais bien un droit; les avantages que présente l'application de la loi en lésant certaines personnes profitent à l'ensemble, et l'indemnité se base sur le principe de la solidarité générale.

Nous croyons toutefois ne pas devoir tirer cette conséquence extrême, parce qu'il ne nous parait ni justifié en pratique ni conforme aux idées et aux habitudes de notre population d'imposer à l'état ou aux communes l'obligation d'indemniser aussi les personnes aisées ou liches. Ce point de vue nous paraît d'autant plus correct que les divers organes de l'état prennent à leur charge toutes les autres dépenses occasionnées par la loi et qui, suivant les circonstances, peuvent s'élever à un chiffre important. Chaque particulier (et surtout ceux qui sont le mieux placés sous le rapport économique) obtient par là des garanties si nombreuses et si efficaces contre le danger d'infection que les riches n'ont aucun motif de réclamer encore de l'état une indemnité spéciale pour le gain dont ils auront été privés.

La situation est tout autre vis-à-vis des gens dans le besoin.

Ce ne sont pas ici seulement des raisons de droit et d'équité, mais bien aussi et surtout un motif d'utilité, qui militent pour qu'on accorde l'indemnité proposée, parce que, sans cela, la loi serait purement et simplement inexécutable. Les maladies épidémiques s'attaquent, dans l'immense majorité des cas, aux classes les moins favorisées, parce qu'elles trouvent, dans les conditions misérables ot défavorables aussi au point de vue hygiénique qui sont l'apanage de ces classes, des foyers d'où elles finissent par se répandre dans les autres classes. Or, comme les gens pauvres, qui sont réduits à leur travail pour vivre, sont souvent dans l'impossibilité de faire les sacrifices de temps et d'argent que la loi exige d'eux, ils chercheront par tous les moyens possibles à échapper à ces sacrifices et compromettront au plus haut degré la sécurité publique, tandis que ce ne sera pas le cas dès qu'on les indemnisera équitablement de leurs pertes. De cette manière, les autorités pourront plus facilement et plus énergiquement exécuter leurs mesures, auxquelles les personnes qu'elles atteignent se soumettront plus volontiers et plus complètement.

Pour combattre les maladies contagieuses, une désinfection systémathique est en outre
absolument indispensable ; toutefois, les prescriptions dans ce domaine ne peuvent pas ótre fixées d'avance pour un temps prolongé ; elles sont différentes et varient suivant le temps, le lieu et la nature de l'épidémie. Il est nécessaire seulement d'assurer la compétence légale de régler la matière d'une manière uniforme dans les limites de notre pays.

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II en est de môme des dispositions sur le transport des malades et des cadavres, le trafic des marchandises, les entreprises publiques de transport et le trafic international à la frontière, renfermées à l'article 7. Il suffit d'accorder au conseil fédéral, dans la loi, les compétences nécessaires pour ordonner les mesures nécessaires et reconnues utiles suivant l'état de la science et de la technique. En déclarant inadmissible le ban sur certaines localités ou contrées, nous rompons, en nous basant sur la science et l'expérience, avec un.

ancien usage instinctif, complètement inutile et qui a souvent été fort nuisible. On sait maintenant parfaitement, et cela a été démontré de nouveau par le récent et déplorable état de choses en Italie et en Espagne, que dans toutes les quarantaines de terre la fermeture effective d'une frontière et l'interruption du mouvement des personnes et des marchandises sont des impossibilités, que ces barrières se traversent régulièrement et que les conditions sanitaires s'empirent si évidemment qu'il semble presque que ces quarantaines soient établies pour protéger le choléra et non le peuple.

Aussi la dernière conférence sanitaire internationale de Rome a-t-elle, à l'unanimité des voix (20) moins celle de la Turquie, posé le principe suivant : « Les quarantaines de terre et les cordons sanitaires sont inutiles! » En ce qui concerne les frais occasionnés aux cantons et aux communes par l'exécution de la loi, nous vous proposons, en modification du précédent projet et de la pratique usitée jusqu'à présent, de porter du tiers à la moitié la somme à bonifier par la Confédération. Nous estimons que cette participation financière est indispensable si l'on veut sérieusement combattre les épidémies et exécuter la loi avec succès.

Les cantons et les communes doivent sans doute participer aux frais, puisque ce sont eux qui profitent surtout des avantages de la loi, dont l'exécution leur incombe du reste, et qu'il est en première ligne dans leur propre intérêt de se prémunir contre le danger qui les menace directement. Toutefois, la participation des communes et des cantons ne doit, dans son ensemble, pas être plus forte que celle de la Confédération, qui commande et qui -- c'est là l'important -- pourra procéder d'une manière d'autant plus uniforme que ses prestations pécuniaires
seront plus considérables.

La Suisse, comme état libre et démocratique, ne se borne pas à permettre au peuple de jouir de toutes ses libertés; elle vient encore en aide au faible pour lui faire obtenir sa part. C'est pour cela qu'elle a pris en mains un certain nombre de tâches du domaine de l'économie publique et qu'elle subventionne des corrections de cours d'eau, des constructions de routes, l'industrie et l'agriculture,

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les sciences et les arts. C'est aussi pour cela que nous ne devons pas négliger plus longtemps un élément de bien-être de l'importance de Ta santé humaine. En effet, lorsqu'un pays perd à la fois, par suite d'une épidémie, et la force de travail et les ouvriers, il subit un dommage aussi grand ou môme plus grand, au point de vue de l'économie nationale, qu'après une inondation, une crise commerciale ou une bataille perdue. Les sacrifices que nous faisons pour la santé et la vie des citoyens sont tout aussi justifiés que ceux qui ont pour but la protection de la propriété.

Or, la loi même doit déterminer d'avance une subvention fédérale suffisante, afin que chacun sache ce qu'il est en droit d'attendre, sans mendier et sans être obligé de se fier aux dispositions du moment, qui sont variables. L'incertitude de cette participation suffisante a été le plus grand obstacle dans les mesures prises jusqu'à présent par les cantons et les communes contre le choléra; elle a aussi été un prétexte trop complaisamraent mis en avant par les négligents et les imprévoyants pour excuser leur inaction.

Les dispositions pénales trop sévères renfermées dans le précédent projet de loi et la manière peu claire dont elles étaient rédigées ont été incontestablement aussi un motif de rejet. Nous avons cru devoir tenir compte de ce fait dans la rédaction de l'article 9 actuel.

Si l'on veut que la loi soit appliquée avec succès, il est clair qu'il faut édicter des pénalités contre sa violation et contre les infractions aux ordonnances publiées sur le terrain légal par les autorités compétentes et régler ces pénalités d'une manière uniforme dans une loi fédérale, afin d'assurer autant que possible l'exécution égale de la loi dans tous les cantons. Si les peines trop sévères dépassent le but, les peines trop légères, vulgairement appelées amendes d'encouragement, ne sont pas moins nuisibles.

Nous croyons, sous ce rapport, avoir trouvé un moyen terme correct dans le premier alinéa de l'article 9.

Si, cependant, la contravention à la loi est d'une gravité tello qu'elle constitue un délit ou un crime justiciable des lois pénales, elle doit être poursuivie d'après la législation pénale du canton respectif; les peines plus sévères prévues au 2me alinéa de l'article 9 pour ces cas graves ne seront toutefois appliquées que
lorsque le canton dont il s'agit ne possède pas de dispositions pénales pour i:es délits.

En ce qui concerne l'exécution de la loi, l'article 10 garantit aux cantons leur autonomie actuelle, qui apparaît comme nécessaire dans ce domaine, parce que nous trouvons réunies dans un espace

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restreint des conditions géographiques, économiques et politiques tout à fait différentes.

Mais ce qui est tout aussi indispensable, c'est une surveillance consciencieuse de cette exécution par le conseil fédéral et le droit, pour ce dernier, d'ordonner les mesures qui lui paraissent nécessaires et efficaces dans ce but. Ce sont les cantons qui exercent la police des épidémies, et non la Confédération, mais celle-ci doit pourvoir à ce que les cantons possèdent une organisation qui permette d'exécuter d'une manière appropriée au but les dispositions de la loi.

Aussi doit-on réserver au conseil fédéral le droit d'examiner les lois et ordonnances édictées par les cantons sur la matière et de leur accorder sa sanction ou d'exiger, cas échéant, qu'elles soient modifiées. Dans ce domaine, il s'agira essentiellement encore de mettre en harmonie les mesures protectrices, qui sont excellentes dans beaucoup de cantons, mais qui sont encore fort en arrière dans d'autres, et de former provisoirement les cadres pour la campagne à ouvrir contre une épidémie qui viendrait faire invasion .dans notre pays.

Encore une observation pour terminer. Dans notre projet de loi, nous n'avons inséré aucune disposition au sujet de la vaccination. Nous sommes toujours d'avis, il est vrai, que la vaccination obligatoire est un des moyens les plus efficaces contre la variole.

Toutefois, comme nous croyons nous être convaincus que c'est précisément le fait d'avoir impliqué la question de la vaccination dans l'ancienne loi qui a principalement contribué au rejet de celle-ci et comme nous devons admettre, d'après certains signes, que les idées populaires ne se sont pas sensiblement modifiées sur ce point, nous estimons devoir faire une concession à l'opinion publique et écarter cette matière du projet actuel. Nous reconnaissons volontiers que le chapitre de la vaccination, qui ne se rapporte qu'à une seule maladie, peut être parfaitement laissé de côté dans une loi qui, du reste, ne renferme que les mesures générales à prendre contre toutes les épidémies et réservé à une loi spéciale qui serait plus tard reconnue nécessaire.

Nous avons la conviction que, malgré cette lacune, la loi que nous vous présentons sera, si elle est convenablement exécutée et énergiquement appliquée, une arme puissante contre tout danger d'épidémie, et nous ne voulons pas repousser ce qui est bon et faisable parce que nous ne pouvons pas en ce moment obtenir ce qui serait meilleur.

548 Eu vous recommandant l'adoption du 'projet de loi ci-après, nous saisissons cette occasion, monsieur le président et messieurs, pour vous assurer de toute notre considération.

Berne, le 1er juin 1886.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération : DEUCHER.

Le vice-chancelier de la Confédération : SCHATZMAKN.

Projet.

Loi fédérale concernant

les mesures à prendre contre les épidémies offrant un danger général.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE

de la CONFÉDÉRATION

SUISSE,

vu le message et le projet de loi du conseil fédéral du 1er juin 1886 ; en exécution de l'article 69 de la constitution fédérale, décrète : Art. 1er. Les maladies épidémiques qui offrent un danger général (article 69 de la constitution fédérale) et auxquelles la présente loi est applicable sont la variole, le choléra asiatique, le typhus pétéchial et la peste.

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Art. 2. A l'approche d'épidémies offrant un danger général, les autorités cantonales doivent pourvoir au contrôle de l'eau potable, des denrées alimentaires et des habitations, tenir disponibles des locaux d'isolement et des moyens de transport convenables pour les malades et les cadavres, et éventuellement des locaux pour recevoir les personnes non atteintes.

Art. 3. Dans les cas des maladies dénommées à l'article 1er, le maître du logis (propriétaire ou locataire) dans lequel le malade se trouve soit comme membre de la famille, comme locataire, pensionnaire ou hôte, soit en toute autre qualité, est tenu d'en informer sans aucun retard l'autorité locale. Si c'est le maître du logis lui-même qui est atteint, cette obligation incombe à toute personne majeure faisant partie du ménage.

La même obligation incombe en outre au médecin qui traite le cas et qui doit aviser non seulement l'autorité locale, mais encore l'autorité sanitaire.

L'autorité locale et sanitaire transmet, immédiatement après constatation médicale du cas, l'avis au gouvernement «antonal.

Art. 4. Le malade et les personnes chargées de le soigner doivent être isolés, autant que possible, dans sa demeure. Les autres habitants de la maison, ainsi que les personnes qui ont été en contact avec le malade, peuvent, si les circonstances le font paraître nécessaire, être soumis temporairement à la surveillance médicale.

Sur sa demande ou sur celle de sa famille, le malade sera autorisé à rester dans sa demeure, à condition que les prescriptions concernant l'isolement puissent otre convenablement observées et le-soient en réalité.

Lorsque l'exécution de ces mesures n'est pas possible sans danger pour la sécurité publique ou n'a pas lieu, les autorités compétentes procureront au malade ou aux personnes en santé dont il s'agit ici des asiles convenables ou des locaux appropriés au but.

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Art. 5. Les malades, ainsi que les personnes non atteintes qui, sans qu'il y ait de leur propre faute, sont soumises aux mesures prévues dans l'article précédent, ont, en cas de besoin, droit à l'entretien et au traitement médical gratuits, sans être pour cela considérés comme assistés ou tenus au remboursement. Les personnes non atteintes et qui ont été délogées ont droit en outre, si elles sont dans le besoin, à une indemnité équitable ou en rapport avec les circonstances, pour les pertes qu'elles auraient subies dans leur industrie ou leur commerce ensuite de l'exécution de la loi. Les autorités administratives cantonales compétentes prononcent sur cette indemnité.

La surveillance médicale ordonnée éventuellement en vertu de l'article 4 est exercée aux frais de la caisse publique.

Art. 6. En ce qui concerne la désinfection, le conseil fédéral ordonne les mesures nécessaires d'après les règles à suivre suivant la nature de l'épidémie dont il s'agit.

Art. 7. Il édicté aussi les prescriptions nécessaires en ce qui concerne le transport des malades et des cadavres, ainsi que le trafic des marchandises pouvant communiquer l'infection.

Il détermine les mesures à prendre par les entreprises publiques de transport contre la propagation des épidémies.

En ce qui concerne le trafic international à la frontière et la surveillance au point de vue sanitaire, il peut ordonnnr ou prendre lui-même des mesures spéciales.

Il est interdit de mettre le ban sur certaines localités ou contrées.

Art. 8. Dans les cas de maladies prévues à l'article 1er, la Confédération bonifie aux cantons la moitié des dépenses qu'ils justifient avoir été causées, à eux et aux communes, soit par l'établissement ou le loyer et l'installation de locaux d'isolement extraordinaires pour les malades et de locaux destinés à recevoir les personnes non atteintes, soit par

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l'isolement, y compris l'indemnité à payer pour les pertes .subies, par la désinfection et par la surveillance du trafic international (articles 5, 6 et 7, alinéa 3).

Les bonifications prévues par le présent article seront fixées par le conseil fédéral en conformité des dispositions du règlement qu'il arrêtera sur la matière.

Art. 9. Quiconque néglige d'observer ou élude les prescriptions de la présente loi ou les ordres spéciaux des autorités compétentes est passible d'une amende de 10 à 500 francs.

Dans les cas graves, et notamment lorsqu'une épidémie ·ayant occasionné des cas de mort a été introduite par la violation intentionnelle des prescriptions de police sanitaire, l'amende peut s'élever à 1000 francs et être combinée avec un emprisonnement jusqu'à six mois, à moins qu'il n'y ait lieu d'appliquer les dispositions pénales des cantons relatives à l'homicide prémédité ou par négligence, aux lésions corporelles et à la propagation d'épidémies, etc.

Art. 10. Les cantons doivent pourvoir à l'exécution de la présente loi et soumettre à l'approbation du conseil fédéral les lois et ordonnances édictées à cet effet.

Le conseil fédéral surveille l'exécution de la loi et prend dans ce but les mesures nécessaires.

Art. 11. Le conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi fédérale du 17 juin 1874 concernant la votation populaire sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier la présente loi et de fixer l'époque où. elle entrera en vigueur.

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Message du conseil fédéral à l'assemblée fédérale au sujet d projet de loi concernant les mesures à prendre contre les épidémies offrant un danger général. (Du 1er juin 1886.)

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Bundesblatt

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1886

Année Anno Band

2

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25

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Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

12.06.1886

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536-551

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10 068 099

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