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5387 RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative du 23 juillet 1946 pour le retour à la démocratie directe (Du 27 février 1948)

Monsieur le Président et Messieurs, Le 13 décembre 1946, vous nous avez invités à vous soumettre un rapport et des propositions sur les deux initiatives des 23 et 27 juillet 1946 pour le retour à la démocratie directe. Nous avons l'honneur de donner suite à votre demande en. ce qui concerne la première de ces initiatives.

Comme nous vous l'indiquions dans notre rapport du 3 septembre 1946, l'initiative du 23 juillet est appuyée par 53 796 signatures valables et a ainsi abouti. Ses auteurs demandent l'abrogation du 3e alinéa de l'article 89 de la constitution (clause d'urgence) et son remplacement par un nouvel article 89615 ainsi conçu: Les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun retord peuvent être mis en vigueur immédiatement par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils; leur durée d'application doit être limitée.

Lorsque la votation populaire est demandée par trente mille citoyens actifs ou par huit cantons, les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence perdent leur validité un an après leur adoption par l'Assemblée fédérale s'ils ne sont pas approuvés par le peuple dans ce délai; ils ne peuvent alors être renouvelés.

Les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence qui dérogent à la constitution doivent être ratifiés par le peuple et les cantons dans l'année qui suit leur adoption par l'Assemblée fédérale ; à ce défaut, ils perdent leur validité à l'expiration de ce délai et ne peuvent être renouvelés.

Quatre jours plus tard, soit le 27 juillet 1946, le même comité a déposé à la chancellerie fédérale une seconde initiative, appuyée par 54 552 signatures valables et ayant ainsi abouti également. Les signataires demandent l'adjonction à l'article 89bis précité d'une disposition transitoire ainsi conçue : Tous les arrêtés antérieurs à l'adoption de l'article 89 bis et déclarés urgents, ainsi que l'arrêté fédéral du 30 août 1939 sur les mesures propres à assurer la

1039 sécurité du pays et le maintien de sa neutralité (pouvoirs extraordinaires du Conseil fédéral), perdent leur validité, de même que les dispositions légales fondées sur cos arrêtés ou qui IBS modifient, le 20 août 1947 au plus tard.

Du point de vue de la procédure à suivre, on doit se demander tout d'abord si ces deux initiatives peuvent être examinées conjointement, vu leur connexité. La seconde, en effet, se borne à proposer l'adjonction d'une disposition transitoire à l'article 89bis prévu par la première. L'initiative du 27 juillet 1946 est donc subordonnée à l'acceptation de celle du 23 juillet; en cas de rejet de la première initiative, la seconde deviendra sans objet.

Cela ressort de l'intitulé et du texte de la disposition transitoire. La seconde initiative n'a donc pas de portée indépendante.

On pourrait ainsi être tenté de traiter les deux initiatives en même temps.

Mais l'article 15 de la loi du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale s'y oppose: «Si plusieurs demandes d'initiative populaire concernant la même question constitutionnelle sont déposées à la chancellerie fédérale, l'Assemblée fédérale devra d'abord traiter et soumettre à la votation populaire celle qui aura été déposée en premier lieu. Les autres demandes seront successivement liquidées dans l'ordre où elles ont été déposées. » Les initiatives en cause se rapportent toutes deux à la même question constitutionnelle, c'est-à-dire aux arrêtés fédéraux urgents. Il faut donc les traiter indépendamment l'une de l'autre et les soumettre séparément au vote populaire. On ne saurait prétendre que leur connexité est si étroite qu'elles devraient être examinées conjointement. En effet, elles ne dépendent qu'unilatéralement l'une de l'autre.

Seule la seconde est subordonnée à la première, mais non inversement.

Les signataires de l'initiative du 23 juillet sont par conséquent en droit d'exiger que leur demande soit discutée et soumise à la votation populaire indépendamment de celle du 27 juillet. C'est peut-être la raison pour laquelle les deux initiatives n'ont pas été fondues en une seule.

Nous nous bornons par conséquent à examiner ci-après la première initiative. Quant à la seconde, il convient de relever, dès maintenant, qu'elle perdrait sa raison d'etra et ne pourrait être ni discutée par les chambres fédérales ni soumise à la votation du peuple et des cantons si l'initiative du 23 juillet devait être rejetée. Elle est en effet subordonnée
à la condition que la modification constitutionnelle proposée dans la première initiative aboutisse. Si cette condition ne se réalise pas, l'initiative du 27 juillet 1946 deviendra sans objet, eo ipso.

L'initiative que nous avons à examiner présentement vise, dans sa première partie, les arrêtés fédéraux urgents et, dans la seconde, le droit de nécessité.

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I. LES ARRÊTÉS FÉDÉRAUX URGENTS 1. Dans sa première partie (al. 1er et 2), l'initiative demande une nouvelle limitation des arrêtés fédéraux urgents. Elle continue ainsi la série des initiatives déposées au cours des années 1930 et suivantes et tendant à rendre au referendum facultatif toute sa valeur. Ce droit populaire du referendum fut introduit par la constitution fédérale de 1874, qui énonçait alors, à l'article 89, 2e alinéa, ce qui suit: « Les lois fédérales sont soumises à l'adoption ou au rejet du peuple, si la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons. Il en est de même des arrêtés fédéraux qui sont d'une portée générale et qui n'ont pas un caractère d'urgence. » Cette disposition constituait un progrès important vers l'idéal démocratique ; le peuple obtenait ainsi la possibilité d'exercer une influence directe sur l'activité législative et il pouvait opposer son veto à chaque modification de la législation. Mais pour tenir compte des circonstances mouvantes de la vie, cette nouvelle institution fut munie d'une soupape de sûreté; on fit en effet exception pour les arrêtés fédéraux de portée générale qui ont un caractère d'urgence, ne voulant pas que le referendum leur fût applicable; sinon la démocratie serait paralysée et dans l'impossibilité d'agir, ce qui constituerait un danger surtout aux époques de trouble et pourrait conduire à la dictature. Par urgence on entendait l'impossibilité de différer la promulgation de nouvelles mesures juridiques; on laissa aux deux conseils législatifs le soin de décider si cette condition était remplie ou non. Les chambres peuvent donc déclarer urgent un arrêté fédéral de portée générale et le soustraire au referendum.

Au cours de la grave crise économique qui a sévi dans le monde pendant les années 1930 et suivantes, en particulier à l'époque de l'avènement du national-socialisme en Allemagne et de ses répercussions en Suisse, le nombre des arrêtés fédéraux urgents augmenta considérablement et par conséquent celui des cas dans lesquels le peuple ne fut pas appelé à collaborer au travail législatif. Cet état de choses était dû tant au rythme accéléré imposé à notre législation par les mesures prises dans les Etats totalitaires, en particulier en Allemagne, qu'aux circonstances extraordinaires. Que la clause d'urgence ait été
considérée comme une nécessité, c'est ce que démontre le fait que sur 80 arrêtés fédéraux urgents, 47 ont été adoptés en votation finale par les deux conseils unanimes, tandis que 16 autres étaient acceptés presque à l'unanimité. La suppression de la clause d'urgence ne fut proposée que dans 16 cas, soit pour le cinquième des 80 arrêtés, mais dans cinq de ces cas la clause a été votée par les deux: conseils unanimes ou presque unanimes. Ce n'est que dans deux cas que moins des a /3 des députés se prononcèrent en faveur de l'urgence. La majorité acceptante, il est vrai, fut souvent formée par moins de la moitié des membres .des conseils (cf. FF 1938 I 722).

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Néanmoins, une certaine opposition se manifesta dans le peuple, ce qui est compréhensible; elle était dirigée principalement, il est vrai, contre les arrêtés pris en vertu des pouvoirs extraordinaires, mais aussi contre la clause d'urgence des arrêtés fédéraux de portée générale. On doit reconnaître que les arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence n'étaient pas tous pressants au point qu'il eût été impossible d'attendre l'expiration du délai de referendum et, le cas échéant, de procéder à la votation populaire. Mais l'insécurité et la malice des temps entravaient l'examen tranquille et objectif des problèmes et favorisaient l'excitation des masses populaires; c'est pourquoi on hésitait parfois à soumettre au peuple des mesures indispensables à l'existence de l'Etat, mais qui imposaient des sacrifices à la population ou limitaient ses droits. Il en fut ainsi notamment à l'époque où la plus grande partie de la population ne pouvait pas encore se rendre compte de la gravité du danger qui menaçait les Etats démocratiques et libéraux et où, d'autre part, il importait pour des motifs de politique extérieure d'imposer certaines restrictions aux discussions publiques. C'est pourquoi les autorités responsables et en particulier les chambres fédérales s'efforcèrent de parer aux inconvénients de l'exercice des droits populaires afin de sauvegarder l'existence même de l'Etat démocratique. Ainsi peut s'expliquer le fait qu'on ait parfois attendu, avant de prendre certaines mesures, jusqu'au moment où il était impossible de temporiser plus longtemps. Dans certains cas, on se tira d'affaire en interprétant extensivement la notion de l'urgence en ce sens qu'elle s'appliquait non seulement quand il était impossible d'ajourner la promulgation d'un arrêté, mais encore quand l'arrêté était matériellement inévitable.

Bien que cette interprétation extensive n'ait été adoptée qu'à titre exceptionnel en cas de circonstances extraordinaires, elle mécontenta certains milieux, qui y virent un danger pour le droit de referendum. C'est ainsi que dans la courte période d'une armés et demie, pas moins de trois initiatives demandèrent de restreindre l'adoption d'arrêtés urgents.

Le 26 août 1936, le secrétariat du parti communiste suisse a déposé une initiative appuyée par 53 416 signatures valables et tendant à remplacer
l'article 89, 2e alinéa, de la constitution par la disposition suivante : Toutes les loia fédérales et tous les arrêtes fédéraux d'une portée générale sont soumis à l'adoption ou au rejet du peuple ai la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

Seuls les lois et les arrêtés fédéraux votés dans l'intérêt du peuple travailleur par n/| des membres présents des chambres fédérales peuvent être soustraits à la votation populaire.

Nous avions proposé le rejet de l'initiative (FF 1937 III 1 s.) et les conseils législatifs se rallièrent à notre manière de voir. En votation populaire du 20 février 1938, l'initiative a été rejetée à une grande majorité (par tous les cantons et par 488 195 non contre 87 638 oui).

1042 Quelques jours avant la votation, soit le 11 février 1938, une deuxième initiative, celle du mouvement des lignes directrices, appuyée par 289 765 signatures valables, avait abouti. Elle visait à remplacer l'article 89, 2e alinéa, de la constitution par la disposition suivante: Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale sont soumis à la votation du peuple si la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

Les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre pas de délai peuvent être déclarés urgents si chacun des deux conseils le décide à la majorité des deux tiers des votants et, dans ce cas, ils ne sont pas soumis à la décision du peuple ; ils cessent leurs effets trois ans après leur mise en vigueur.

Dans un rapport très fouillé du 10 mai 1938 (FF 1938 I 717 s.), nous avions proposé le rejet de l'initiative et recommandé l'adoption d'un contre-projet qui reprenait le premier alinéa de l'initiative et remplaçait son second alinéa par le texte suivant : Les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entréo en vigueur ne souffre aucun délai peuvent être déclarés urgents avec l'accord de la moitié au moins de tous les membres de chacun des deux conseils. Dans ce cas, la votation populaire no peut pas être demandée. La durée d'application des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée.

Les deux conseils se rallièrent à notre contre-projet, en y apportant quelques modifications d'ordre rédactionnel. L'initiative fut alors retirée en faveur du contre-projet de l'Assemblée fédérale. Celui-ci fut adopté à une grande majorité dans la votation populaire du 22 janvier 1939 (soit par 346 024 oui contre 155 032 non et par 18 cantons et 6 demi-cantons contre un). La disposition ainsi introduite dans la constitution n'a subi jusqu'à aujourd'hui aucune modification. Le 3e alinéa de l'article 89 de la constitution est ainsi conçu : Lea arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun délai peuvent être déclarés urgents par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils. Dans ce cas, la votation populaire ne peut pas être demandée. La durée d'application des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée.

Entretemps, soit le 7 avril 1938, une troisième initiative fut déposée, celle de l'union des indépendants, appuyée par 55 786 signatures valables.

Elle visait à modifier la constitution fédérale de la manière suivante : Art. 89, 2e al, : Les lois fédérales, de même que los arrêtés fédéraux de portée générale, doivent être en outre soumis à l'adoption ou au rejet du peuple si la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons. Les conseils peuvent aussi décider que les lois fédérales ou des arrêtés fédéraux seront immédiatement soumis à. l'adoption ou au rejet du peuple.

Art. 89, 4e al.

Les arrêtés fédéraux d'une portée générale et dont l'entrée en vigueur ne saurait être différée peuvent être appliqués provisoirement jusqu'à l'expiration du délai référendaire et jusqu'à une votation populaire éventuelle, pour autant

1043 qu'ils ont été adoptés à l'appel nominal par la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil. Ils deviennent caduca s'ils ne sont pas soumis au peuple et adoptés par celui-ci dans les quatre mois dès la remise du nombre de signatures requis pour demander la votation du peuple.

Art. 890»«: En cas de mobilisation générale, les droits constitutionnels peuvent être provisoirement restreints par des arrêtés fédéraux d'une portée générale.

En cas de détresse économique générale, les conseils peuvent être autorisés, pour une durée maximum de deux années, par une loi qui devra être soumise à l'adoption ou au rejet du peuple, à restreindre, au moyen d'arrêtés fédéraux d'une portée générale, la liberté de commerce et d'industrie et à décréter des mesures financières extraordinaires; dans les deux cas, l'égalité devant la loi sera respectée.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux édictés en vertu de l'article 89 6i« deviennent caducs une année au plus tard après la fin de la mobilisation au cas prévu dans le premier alinéa, ou après l'expiration de la loi au cas prévu dans le deuxième alinéa. Ils peuvent être soustraits au referendum s'ils sont adoptés à l'appel nominal par la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux qui auraient été promulgués en méconnaissance des articles 89 et 896za de la constitution fédérale n'engagent ni les administrations ni les tribunaux.

Cette initiative fut retirée le 11 octobre 1940, la votation populaire du 22 janvier 1939 ayant montré qu'elle n'avait aucun chance d'être acceptée.

2. La quatrième initiative, celle qui est aujourd'hui en cause demande une modification du troisième alinéa de l'article 89, tel qu'il a été introduit dans la constitution à la suite de la votation populaire de 1939. Cet alinéa serait remplacé par un nouvel article 89 ois. Les deux premiers alinéas de l'article proposé concernent les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun retard. Ces arrêtés devraient, comme actuellement, pouvoir être mis en vigueur immédiatement par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils et leur durée d'application devrait être limitée. Mais en dérogation à l'article 89, 3e alinéa, actuel, ils seraient soumis au referendum facultatif et, en cas de referendum, ils cesseraient de porter effet une année après leur adoption par l'Assemblée fédérale si, entretemps, ils n'ont pas été approuvés par ·le peuple. La différence avec la disposition actuelle consisterait donc en ceci que le referendum pourrait rendre caduc un arrêté fédéral urgent si la votation populaire n'avait pas lieu dans le délai d'une année ou si, ayant eu lieu, les électeurs rejetaient l'arrêté. Sans sacrifier l'avantage que représente la possibilité de mettre immédiatement en vigueur les arrêtés fédéraux urgents, l'initiative tend ainsi à permettre qu'eux aussi soient soumis au referendum. Sans l'assentiment exprès ou tacite du peuple, les arrêtés fédéraux urgents n'auraient effet que pour une durée limitée.

Cette innovation est-elle recommandable ?

a. L'idée fondamentale de l'initiative n'est pas nouvelle; elle consiste dans la mise en vigueur provisoire des arrêtés fédéraux urgents et dans la

1044 possibilité de demander le referendum pendant un court délai. Cette idée se trouvait déjà, sous une forme un peu plus rigide, dans l'initiative de l'union des indépendants (art. 89, 4e al.), qui a été retirée en faveur de la réglementation actuelle. Dans notre rapport du 3 avril 1939 (FF 19391541 s.), nous l'avons examinée à fond. Pour éviter des répétitions, nous renvoyons à. ce rapport en nous bornant à quelques explications complémentaires.

En principe, on ne peut que saluer la volonté de permettre au peuple d'exercer une influence aussi sur les arrêtés fédéraux urgents. Si la constitution actuelle ne lui accorde ce droit que dans une mesure restreinte, la raison en est uniquement dans la difficulté de concilier ce principe avec les nécessités pratiques, en particulier avec l'obligation d'agir rapidement.

Tandis qu'en 1874 on s'était borné à exclure la collaboration du peuple en matière d'arrêtés fédéraux urgents, la revision de 1939 a permis d'insérer dans la constitution l'obligation de limiter la durée d'application de ces arrêtés afin que la participation du peuple ne soit pas exclue d'une manière définitive. Après l'expiration du délai fixé, l'arrêté doit par conséquent, s'il est indispensable, être remplacé par un autre acte législatif soumis au referendum. Le mouvement des lignes directrices voulait aller plus loin et fixer dans la constitution même un délai de trois ans. Mais nous avons recommandé une solution plus souple consistant à prévoir simplement que la durée d'application des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée et à laisser aux chambres le soin de fixer le délai dans chaque cas, suivant les circonstances. Si nous nous sommes opposés à l'idée d'un délai déterminé, c'est parce que nous appréhendions qu'il ne fût inopérant et peut-être même gênant dans certains cas. Car si l'on interdisait ainsi la prorogation d'un arrêté fédéral urgent arrivé à terme par un autre arrêté fédéral également urgent, il resterait cependant possible de remplacer l'arrêté échu par un nouvel arrêté qui y dérogerait et serait soustrait au referendum.

La solution proposée par l'initiative aujourd'hui en cause ne diffère pas foncièrement de celle du mouvement des lignes directrices. Tout d'abord, elle n'évite pas plus que cette dernière, ni que l'article 89 actuel de la constitution, l'exclusion
temporaire du referendum en matière d'arrêtés fédéraux urgents. Selon le nouveau système proposé, le peuple n'aurait, de même, son mot à dire qu'après que l'arrêté aurait été en vigueur pendant un certain temps. Il n'y aurait donc, à cet égard, aucune amélioration. En revanche, la nouvelle solution donnerait au peuple la possibilité de rendre inopérant plus rapidement un arrêté qui ne lui conviendrait pas. Tandis que, d'après le droit en vigueur, il appartient aux deux conseils de fixer la durée d'application d'un arrêté fédéral urgent, l'initiative permettrait au peuple de mettre l'arrêté hors vigueur déjà dans le délai d'une année; et si, malgré le referendum, la votation n'avait pas lieu dans ce délai, l'arrêté cesserait automatiquement d'avoir effet et il ne pourrait pas être renouvelé.

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Ce système prête le flanc aux mêmes critiques que celles qui ont conduit au rejet de la disposition prévoyant un délai de trois ans (FF 1938 I 727 s.).

A certains égards, elles ont même plus de poids dans le cas particulier.

Comme lo délai ne serait en effet que d'une année, le danger d'une application schématique et inopportune serait encore plus grand, sans parler de la possibilité de l'éluder facilement'. Un inconvénient particulièrement sérieux réside dans le fait que le délai d'une année serait insuffisant. Une fois l'arrêté pris, il faudrait en effet le publier, puis attendre l'expiration du délai de referendum de 90 jours et, le cas échéant, organiser la votation populaire. Or, aux termes de l'article 9, 2e alinéa, de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, la votation ne peut avoir lieu que quatre semaines au moins après la publication suffisante de l'arrêbé fédéral en question. En outre, au cas où l'arrêté fédéral urgant serait rejeté, nous devrions préparer simultanément une autre solution afin de remédier aux inconvénients, peut-être graves, que l'arrêté fédéral urgent permettait d'écarter. Et, selon l'initiative, il nous serait interdit de proposer à cet effet un nouvel arrêté fédéral urgent et nous devrions avoir recours à un arrêté fédéral soumis au referendum ou a une loi. II va de soi que le laps de temps restant jusqu'à l'expiration du délai d'un an serait trop court. La situation serait encore plus inextricable si plusieurs cas de ce genre devaient être réglés à brève échéance, ce qui peut parfaitement se produire, en particulier en période de crise. C'est ainsi qu'en 1934, les chambres ont pris pas moins de 16 arrêtés fédéraux urgents.

Mais si la votation populaire n'intervenait pas dans le délai d'une année, l'arrêté deviendrait automatiquement inopérant. Et cette conséquence frapperait même l'arrêté fédéral que le peuple accepterait à une grande majorité. Ce n'est pas la volonté de la majorité qui serait ainsi déterminante, mais bien celle des auteurs de l'initiative. Pour se faire une idée des effets d'un tel système, il suffit de se représenter quelle eût été la situation si les principaux arrêtés fédéraux urgents édictés par exemple dans le domaine de l'économie, des oeuvres de secours, des finances ou de la protection
de l'Etat n'avaient pas pu être pris ou n'avaient pas pu l'être en temps utile.

On eût sans doute rendu ainsi un très mauvais service à l'idéal démocratique et à l'ensemble du pays.

A cela s'ajoutent les inconvénients qui résultent de l'abrogation d'un arrêté fédéral. Nous avons déjà exposé que l'abrogation ou la caducité d'un arrêté fédéral impopulaire n'améliorerait pas la situation. On se trouverait en présence d'une solution de continuité à laquelle il faudrait remédier d'une autre manière. Mais l'initiative ne résout pas la question. En interdisant le recours à un arrêté prorogatif, elle rend au contraire plus difficile la solution adéquate puisque, selon le texte actuel de l'article 89,3e alinéa, de la constitution, la durée d'application des arrêtés urgents peut être d'emblée déterminée de telle façon que leur expiration ne risque pas, selon toute probabilité, de compromettre des intérêts vitaux du pays. Dans notre

1046 rapport sur l'initiative du mouvement des lignes directrices, nous nous sommes déjà exprimés sur l'inopportunité de prohiber la prorogation des arrêtés fédéraux urgents (FF 1938 I 727 s.); nous pouvons renvoyer à cet exposé.

Les arrêtés qui se bornent à instituer une mesure unique peuvent susciter des difficultés particulières. L'une d'elles réside déjà dans le fait que la limitation de la durée d'application de ces arrêtés est inopérante ; il est vrai qu'elle ne peut pas nuire non plus puisque la mesure prise continuera à avoir effet quand bien même l'arrêté fédéral n'est plus en vigueur. Mais quelle serait la situation si le referendum était demandé et que l'arrêté perdît sa validité ? Les mesures prises devraient-elles être rapportées ï Citons, à titre d'exemple, l'arrêté fédéral urgent du 26 septembre 1931 concernant l'aide à l'industrie horlogère, qui nous a autorisés à participer, au nom de la Confédération, à la Société générale de l'horlogerie suisse S. A.

pour un montant de six millions de francs et à accorder en outre à cette société un prêt sans intérêt de sept millions et demi de francs. Qu'arriverait.il si ces montants avaient été versés déjà avant une votation populaire ?

Faudrait-il exiger le remboursement immédiat ? Ce serait sans doute difficile. Ou bien devrait-on laisser subsister les effets déjà acquis de l'arrêté ? Mais alors la votation populaire serait inopérante. La difficulté est encore plus manifeste dans le cas où, en vertu d'un arrêté fédéral urgent, la Confédération s'est engagée à verser pendant plusieurs années des subventions à un ouvrage d'utilité publique. Faudrait-il, à supposer que le peuple rejette l'arrêté, suspendre au moins le paiement des subventions fédérales même si l'ouvrage établi dans l'intérêt général devait s'écrouler ? La caducité d'un arrêté urgent peut donner lieu à des difficultés aussi dans d'autres cas.

Songeons par exemple aux prescriptions sur la protection de l'Etat. L'arrêté fédéral urgent ne pourrait souvent plus être considéré comme un moyen efficace de dominer la situation dans les cas pressants. Or, si l'Etat démocratique n'est pas en mesure d'agir rapidement dans les cas de ce genre, il est, comme le montrent les expériences des dix dernières années, exposé aux plus graves dangers.

Le referendum facultatif présenterait des
inconvénients même pour les arrêtés fédéraux urgents qui ne seraient pas l'objet d'un referendum, étant donné que la situation juridique serait incertaine jusqu'à l'expiration du délai de referendum. Ce système rendrait instable la conduite de l'Etat et difficile le partage des responsabilités.

Nous sommes par conséquent d'avis que la modification proposée n'améliorerait pas le régime actuel, mais le rendrait au contraire moins bon.

b. Est-il d'ailleurs nécessaire de reviser l'article 89 de la constitution et le moment pour le faire serait-il opportun ? La revision de 1939 a déjà perfectionné cette disposition constitutionnelle. En particulier, elle a permis d'atteindre le but de la présente initiative : prohiber l'emploi d'arrêtés

1047 fédéraux urgents pour introduire des règles de droit durables. C'est pourquoi le texte constitutionnel adopté en 1939 prévoit que la durée d'application des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée. Cette disposition doit engager les chambres à limiter au minimum indispensable la durée d'application des arrêtés et à ne pas les proroger sans nécessité. Il est vrai que parfois des règles de droit de caractère durable et par conséquent soumises en principe au referendum ont dû être prises au moyen d'arrêtés fédéraux urgents.

Mais la limitation de leur durée d'application oblige au moins en pareils cas les chambres à remplacer, dans un délai relativement court, les arrêtés fédéraux urgents arrivés à terme par des lois ou par de nouveaux arrêtés fédéraux de portés générale soumis au referendum, s'ils ne sont pas de nouveau munis de la clause d'urgence. Il n'y a pas lieu de craindre que les chambres n'abusent de leur pouvoir d'appréciation pour exclure arbitrairement le referendum, car dans notre régime démocratique l'opinion publique exerce un contrôle efficace sur le parlement, en particulier à l'occasion de la réélection du Conseil national et du Conseil des Etats.

La clause d'urgence a d'ailleurs été récemment examinée et réglementée à nouveau dans un domaine où son application est particulièrement importante, c'est-à-dire dans le domaine de la libsrté du commerce et de l'industrie.

La revision des articles constitutionnels relatifs au domaine économique a posé en effet la question de savoir si une nouvelle limitation de la clause d'urgence se justifiait au moins en matière de législation d'ordre économique.

On a estimé que tel n'était pas le cas d'une manière générale. En revanche, les dérogations à la liberté du commerce et de l'industrie que les nouveaux articles constitutionnels rendent possibles ne pourront pas être munies de la clause d'urgence, sous réserve du droit de nécessité. C'est ce que précise l'alinéa 1er du nouvel article 32 : « Les dispositions prévues aux articles 31 bis, 3l ter, 2e alinéa, Slquater et 3lquinquîes ne pourront être établies que sous forme de loi ou d'arrêtés sujets au vote du peuple. Pour les cas d'urgence survenant en période de perturbations économiques, l'article 89, 3e alinéa, est réservé. » Oa a jugé nécessaire d'atténuer le principe de la liberté du
commerça et de l'industrie, mais sans aller pourtant jusqu'à admettre l'application de la clause d'urgence même pour les dérogations à es principe. Le peuple et les cantons ont approuvé cette réglementation dans la votation du 6 juillet 1947, ce qui démontre sans doute qu'une nouvelle limitation de la clause d'urgence dans le domaine des arrêtés fédéraux d'ordre économique ne répond pas à un besoin.

La clause d'urgence a aussi une importance considérable en matière financière. Sa limitation dans ce domaine avait déjà été demandée par l'initiative populaire du 29 décembre 1934 pour la sauvegarde des droits du peuple en matière fiscale, initiative qui avait notamment pour objet de soumettre à la votation du peuple, même en cas d'urgence, l'introduction et l'augmentation d'impôts et de redevances (y compris les droits de

1048 douane de nature surtout fiscale) et proposait en outre de soumettre à la votation du peuple dans le délai d'un an les impôts et redevances introduits ou augmentés depuis le 13 octobre 1933. Cette initiative compte au nombre de celles qui, à notre regret, n'ont pas pu être liquidées alors que le délai fixé à cet effet est expiré depuis longtemps. Comme nous l'avons exposé dans nos réponses à l'interpellation de M. Béguin du 1er mars 1937, à l'interpellation de M. Perréard du 11 décembre 1946 et à la question écrite de M. Bircher du 20 décembre 1946, cette initiative date de l'époque à laquelle ont été édictées des prescriptions extraordinaires en matière fiscale pour la sauvegarde d'intérêts supérieurs du pays. Tendant à une refonte partielle du régime des finances fédérales, l'initiative de 1934 est étroitement liée au problème de la réforme financière que de nouvelles dispositions constitutionnelles permettront do réaliser et elle ne peut être traitée que conjointement avec ce problème. Dans notre message du 18 mars 1938 (FF 1938 I 385 s.), nous avions déjà fait des propositions précises sur la.

nouvelle réglementation des finances fédérales, mais ces propositions n'ont pas abouti. On connaît les circonstances qui nous ont empêchés d'établir un nouveau projet. Nous pouvons renvoyer à cet égard à notre message du 22 janvier 1948 (FF 1948 I 329 s.). En tout cas, la revision préalable de l'article 89, 3e alinéa, de la constitution dans le sens proposé par les auteurs de l'initiative pour le retour à la démocratie directe ne simplifierait pas la.

solution adéquate du problème, mais la compliquerait au contraire.

En ce qui concerne les autres domaines de la législation, le texte actuel de l'article 89 de la constitution devrait suffire. Autant que nous le sachions, il n'a pas donné lieu à des abus qui justifieraient sa revision. Quand il s'est agi par exemple d'insérer dans la constitution l'article 3&quinquies sur la, protection de la famille, qui a été adopté dans la votation populaire du 25 novembre 1945, il n'a pas été question d'exclure la possibilité d'édicter les dispositions légales d'application par voie d'arrêtés fédéraux urgents.

En revanche, l'arrêté fédéral du 19 janvier 1943 sur l'initiative concernant la réglementation du transport des marchandises prévoyait que la législation
en matière de trafic par chemin de fer et de transports motorisés exécutés sur la voie publique, par eau ou par air ne pourrait pas être soustraite au referendum (FF 1943 22), mais cet arrêté fut rejeté dans la votation populaire du 10 février 1946. Les expériences faites depuis l'adoption en 1939 de l'article 89, 3e alinéa, de la constitution ne justifient pas une nouvelle limitation de la clause d'urgence. Un examen rétrospectif des arrêtés fédéraux urgents édictés pendant cette période de neuf ans prouve au contraire que la disposition constitutionnelle susdite a été appliquée avec circonspection et mesure. La plupart des 26 arrêtés fédéraux de portée générale qui ont été déclarés urgents ont leur raison d'être déjà du point de vue du droit de nécessité, de sorte que de simples arrêtés fondés sur nos pouvoirs extraordinaires eussent suffi. Quant aux autres, leur urgence dans le temps ne saurait guère être contestée. Celui qui a la durée d'application

1049 la plus longue est peut-être l'arrêté fédéral du 30 septembre 1938, prorogé le 22 juin 1945 jusqu'à fin 1950, concernant le statut des transports automobiles (RO 6l, 398). Mais l'urgence dans le temps de ce statut a été longuement exposée dans les messages du 18 juin 1937 (FF 1937 II148 s.) et du 27 avril 1945 (FF 1945 I 477 s.). D'ailleurs, les arrêtés fédéraux urgents édictés à l'époque ne permettent pas de tirer des conclusions valables pour la législation ordinaire, car ils ont dû être pris sous la pression des circonstances exceptionnelles des années de guerre et d'après-guerre.

Les considérations qui précèdent nous amènent à conclure au rejet des alinéas 1er et 2 de l'article constitutionnel 89 bis proposé par les auteurs de l'initiative et à faire abstraction de tout contre-projet.

II. LE DROIT DE NÉCESSITÉ La seconde innovation (al. 3) consisterait en ceci que les arrêtés fédéraux qui dérogent à la constitution cesseraient d'avoir effet dans le délai d'une année s'ils n'ont pas été approuvés auparavant par le peuple et les cantons.

De même qu'en vertu de la première innovation (al. 1er et 2), il s'agirait de limiter à un an la validité de certains arrêtés fédéraux. Mais les alinéas 1er et 2, qui se rapportent aux arrêtés fédéraux édictés selon la procédure legislativo normale et soustraits au referendum en raison de leur urgence dans le temps, visent à limiter le délai pendant lequel le referendum est exclu. Par l'alinéa 3 en revanche, il s'agirait de limiter la validité de certains actes législatifs édictés en vertu du droit de nécessité, c'est-à-dire des arrêtés fédéraux qui dérogent à des dispositions constitutionnelles déterminées, de sorte qu'en temps normal la procédure prévue pour la revision de la constitution eût dû être suivie. La limitation de leur durée d'application permettrait ainsi de remédier dans le délai d'une année à l'inobservation de la procédure législative régulière. Dorénavant, la législation exceptionnelle ne pourrait ainsi déroger à la constitution que pour une année au plus.

Cette seconde innovation est-elle acceptable ?

1. L'initiative ne tend pas à interdire le droit de nécessité ou à restreindre les conditions auxquelles il est subordonné. Elle reconnaît au ·contraire qu'il est souvent inévitable de déroger à certaines dispositions constitutionnelles au moyen d'actes législatifs fondés sur le droit de nécessité; ces actes continueront à être considérés à l'avenir comme valables et compatibles avec la constitution. Mais en limitant leur durée d'application, l'initiative entend obliger le législateur à rétablir le plus rapidement possible la concordance entre les nouvelles dispositions et la constitution: Ou bien la constitution serait revisée selon la procédure législative normale et adaptée aux arrêtés dits de nécessité ou bien ceux-ci cesseraient d'avoir effet. L'initiative ne demande pas non plus l'adjonction à la constitution d'un article sur l'état de nécessité. Aussi pouvons-nous renoncer à justifier encore une fois dans le présent rapport le droit de nécessité ou une dispo-

1050 sition constitutionnelle concernant l'état de nécessité, puisque nous l'avons déjà fait dans des rapports précédents (cf. FF 1939 I 541 s.; 1938 I 717 s.; 1937 III17 s.). Nous nous bornerons à examiner s'il y a lieu ou non de limiter la durée d'application des arrêtés fondés sur le droit de nécessité. Il va sans dire que la possibilité de mettre en vigueur immédiatement de tels arrêtés est nécessaire au maintien de l'Etat lui-même et que, d'autre part, la concordance même formelle entre la législation et la constitution doit être rétablie dès que les circonstances le permettent.

Comme en ce qui concerne les arrêtés fédéraux urgents, le délai d'un an ci prévu est trop court pour permettre de procéder à une revision constitutionnelle normale. Sans doute ne serait-il pas nécessaire d'attendre le referendum et la procédure ordinaire de la revision pourrait-elle être engagée immédiatement. Mais le délai d'un an qui est déjà insuffisant pour le referendum l'est encore plus pour la revision de la constitution. Car pendant ce laps de temps, il faudrait élaborer un projet d'arrêté et un message à l'adresse des chambres, qui devraient en délibérer et régler peutêtre des divergences avant qu'ait lieu la votaticn du peuple et des cantcnsII suffit de se reporter à l'article 8 de la loi du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale pour constater que le délai d'une année est trop court. Cet article prévoit en effet que lorsqu'une demande de revision partielle est présentée sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, les chambres doivent décider, au plus tard dans le délai d'une année, si elles adhèrent ou non au projet. L'application de cette disposition a démontré que le délai d'une année ne peut pas être respecté dans la grande majorité des cas. Sur les 48 initiatives qui ont abouti entre 1909 et 1947, seules 14, soit moins d'un tiers, ont pu être liquidées dans ce délai, en sorte qu'on doit se demander s'il ne serait pas préférable de reviser l'article 8 susdit. Et l'alinéa 3 de l'article 896is aujourd'hui proposé rendrait encore plus difficile l'observation du délai d'une année. Car il exige encore davantage que l'article 8 de la loi de 1892, puisque non seulement les délibérations
parlementaires, mais encore la votation populaire devraient avoir lieu dans l'année. Il faut en outre tenir compte d'une différence essentielle: Au moment où une initiative est lancée, son objet a déjà été débattu dans l'opinion publique ; le peuple est renseigné et l'initiative n'est souvent rien d'axitre que le résultat de ses discussions. Rien de pareil ne se passe en matière de droit de nécessité. Dans ce domaine, il est de règle que, sous la pression des circonstances, les autorités sont obligées d'agir à l'improviste et rapidement, en sorte qu'au moment où le délai d'une année commencerait à courir elles se trouveraient en face d'une situation non encore élucidée. Signalons enfin que la préparation et l'exécution de la revi sion constitutionnelle interviendraient toujours aux époques extraordinaires pendant lesquelles l'administration est absorbée par d'autres tâches urgentes, et qu'elles donneraient lieu ainsi à des difficultés accrues.

1051 On doit dès lors s'attendre que dans bien des cas un projet de revision constitutionnelle ne pourrait pas être soumis en temps utile à la votation populaire. Ainsi l'arrêté pris pour parer à un état de nécessité cesserait automatiquement d'avoir effet. Après les expériences faites pendant les quinze dernières années, il n'est sans doute pas nécessaire d'insister sur les conséquences graves qui en résulteraient et pourraient compromettre même l'existence de l'Etat. Un remède, nous le rappelons, serait d'autant plus difficile à trouver que la prorogation de l'arrêté frappé de caducité serait expressément prohibée.

Quant aux mesures d'application déjà prises, les mêmes difficultés se présenteraient qu'en ce qui concerne les arrêtés fédéraux urgents cessant de porter effet. Dans le cas, par exemple, où un arrêté nous confiant des pouvoirs extraordinaires généraux perdrait sa validité, les mesures prises dans l'intervalle en vertu de ces pouvoirs devraient-elles aussi être considérées comme caduques ? A en juger d'après la disposition transitoire que l'initiative du 27 juillet 1946 propose d'ajouter à l'article 896is, il faudrait l'admettre, puisque les arrêtés fédéraux perdraient leur validité, « de même que les dispositions légales fondées sur ces arrêtés ou qui les modifient ».

Suivant les circonstances, la situation serait pire que si l'on renonçait d'emblée à édicter un arrêté fondé .sur le droit de nécessité. Mais l'Etat pourrait se trouver en présence de situations dangereuses même si l'invalidité do l'arrêté n'avait pas d'effet rétroactif.

Par ces motifs, la solution proposée dans le 3e alinéa nous paraît aussi inacceptable.

2. Mais cette solution serait-elle sinon recommandable, au moins acceptable, si le délai d'une année était prolongé et porté par exemple à trois ans ?

Comme en matière d'arrêtés fédéraux urgents, le délai fixé dans la constitution aurait des effets par trop schématiques aussi en ce qui concerne les arrêtés pris en vertu du droit de nécessité. Pour remédier à cet inconvénient, il faudrait d'une part prévoir un délai assez long pour permettre la revision constitutionnelle dans tous les cas, mais le délai perdrait d'autre part toute raison d'être s'il était trop long. Or la situation est si différente, suivant les circonstances, qu'il n'est guère possible de trouver
un délai approprié. Mais les désavantages d'un délai inadéquat seraient encore plus graves qu'en matière d'arrêtés fédéraux urgents. C'est déjà un argument contre l'adoption d'un délai déterminé.

Il ne faut pas non plus passer sous silence un autre inconvénient sérieux, savoir le danger qu'une revision constitutionnelle vitale pour l'Etat ne trouve pas grâce devant le peuple ou les cantons. On a refusé à juste titre d'admettre que l'urgence dite matérielle suffise à elle seule pour déroger à la procédure législative normale au moyen d'arrêtés fédéraux urgents, mais la question se pose de nouveau aujourd'hui, bien que d'un point de

1052 vue différent et même opposé. En effet, l'arrêté fédéral urgent ne présuppose pas que le pays se trouve dans un état de nécessité ; il constitue une procédure législative qui peut être suivie aux époques où l'appareil de l'Etat démocratique fonctionne encore sans entrave. En revanche, le droit de nécessité n'entre en ligne de compte que si le pays se trouve dans un état de nécessité, qui est par conséquent une condition essentielle. Cette distinction fondamentale implique des solutions différentes. Il serait contraire au principe démocratique de permettre qu'en temps normal les arrêtés fédéraux de portée générale soient déclarés urgents et soustraits au vote du peuple uniquement parce que le résultat de la consultation populaire pourrait être inopportun. La situation est différente lorsque le pays se trouve en état de nécessité, notamment en temps de guerre et de danger de guerre.

Comme les expériences faites pendant la dernière guerre l'ont prouvé, il n'est pas possible, pour des motifs de politique étrangère ou intérieure, de maintenir intactes, aux époques critiques, les libertés individuelles sans que l'existence de l'Etat coure des risques. Cela concerne tout particulièrement la liberté de la presse et la liberté de réunion et d'association. Mais la limitation de ces libertés supprime l'une des conditions essentielles du fonctionnement normal des votations populaires. Car ces consultations ne peuvent aboutir à un résultat raisonnable que s'il est loisible aux électeurs de débattre publiquement en toute liberté l'objet qui est soumis à leurs suffrages, dans des conditions telles que les objections erronées ou inexactes puissent être rectifiées. Selon un mot connu, la démocratie c'est la discussion. Or, aux époques troublées, il est plus nécessaire que jamais d'éclairer la population en vue de la formation de l'opinion publique. Car les événements étant plus incertains et plus imprévisibles, il est aussi plus facile d'égarer intentionnellement l'opinion publique. Mais, d'autre part, c'est précisément aux époques troublées qu'on doit surtout faire appel à la compréhension et à l'esprit de sacrifice du peuple. Le verdict populaire risque ainsi d'être différent de ce qu'il serait en temps normal et de n'être pas conforme aux intérêts de la collectivité. Cette faiblesse de la démocratie a
souvent été exploitée avec succès à l'étranger, en particulier pendant la dernière guerre, pour abattre la démocratie elle-même. Ce serait une erreur de laisser le dernier mot au peuple et aux cantons lorsque n'existent plus la libre discussion et la possibilité de renseigner les électeurs, c'est-à-dire les conditions nécessaires à la formation objective de l'opinion publique et de la volonté populaire.

Qu'il soit difficile de prendre toujours à temps les mesures nécessaires par la voie législative normale, c'est ce que démontre le sorte de la «lex Haberlin ». Après que le peuple eut rejeté la loi sur la protection de l'ordre public contre laquelle le referendum avait été demandé, les chambres fédérales se virent obligées d'ancrer quelques mois plus tard une partie des dispositions de cette loi dans l'arrêté fédéral du 21 juin 1935 tendant à garantir la sûreté de la Confédération et de le soustraire au referendum.

1053 Cet arrêté, qui nous rendit de précieux services, fut ensuite inséré dans le code pénal et adopté finalement avec lui dans la votation populaire du 3 juillet 1938. Mais dans le cas de cet arrêté il s'agissait plus d'une urgence matérielle que de l'urgence dans le temps. Il n'aurait ainsi guère eu de raison d'être comme arrêté fédéral urgent ordinaire, mais bien comme arrêté fondé sur le droit de nécessité. Car le seul danger eût consisté dans la possibilité d'une demande de referendum et dans le fait de ne pouvoir recueillir les suffrages de la majorité des électeurs. Mais il serait encore plus difficile d'obtenir en temps utile l'approbation d'une revision constitutionnelle par le peuple et les cantons. Citons à titre d'exemple le programme financier de 1936 qui aurait nécessité la revision de pas moins de 5 articles de la constitution, 23 lois fédérales, 4 arrêtés fédéraux et les statuts de 2 caisses d'assurance.

Dans une consultation du 19 février 1935 au département des finances et des douanes relative à l'initiative pour la sauvegarde des droits du peuple en matière fiscale, le professeur Burckhardt a exposé de façon saisissante les graves inconvénients d'une disposition constitutionnelle tendant à restreindre les mesures extraordinaires fondées sur le droit de nécessité. Il écrivait en effet : « A mon avis, tout gouvernement, même le plus respectueux de la constitution, peut se trouver dans l'obligation de violer la constitution; mais il peut aussi justifier cette atteinte à la constitution; tel est le cas lorsque ce qui est en jeu est l'existence de l'Etat, l'existence du pouvoir organisé sans lequel nul ordre juridique et nulle constitution ne sont possibles. Il serait insensé de vouloir sauver la constitution en laissant sombrer l'Etat qui l'incorpore et la maintient, car elle disparaîtrait avec lui. Mais ce problème, comme tous ceux qui ont trait à la validité ou à la non-validité de la loi fondamentale, n'est plus une question de droit dont on pourrait discuter et construire la solution juridiquement. Il ne peut pas y avoir dans ce domaine de principes juridiques, pas plus qu'en ce qui concerne le choix de l'une ou l'autre constitution, lorsque plusieurs d'entre elles sont en compétition. Il s'agit d'une nécessité, mais non d'un droit de nécessité. Une nécessité que le gouvernement
ne peut pas toujours écarter, au sujet de laquelle il ne peut pas prendre d'engagement préalable, mais qu'il ne peut pas non plus invoquer d'avance ou réserver.

Lorsque l'existence de l'Etat est en jeu, on fait ce que la nécessité exige et ce dont on peut répondre, ou on ne le fait pas ; mais on ne commence pas par établir des principes sur le droit de le faire ou de ne pas le faire. C'est une discussion oiseuse et dangereuse. Oiseuse, parce qu'une autorité responsable au sens élevé du terme ne peut pas s'engager ni positivement ni négativement; dangereuse, parce qu'on ne doit pas jouer avec ce conflit tragique. » Par conséquent, la solution proposée ne serait pas même recommandable si le délai d'une année était prolongé sensiblement. Aussi renonçons-nous à tout contre-projet sur ce point également.

Feuille fédérale. 100e année. Vol. I.

71

1054 3. Cela ne veut nullement dire que nous méconnaissions le bien-fondé du désir d'une abolition rapide des arrêtés pris en vertu de nos pouvoirs extraordinaires. Une grande partie de ces arrêtés ont déjà cessé d'avoir effet, et nous nous efforçons d'incorporer le plus rapidement possible dans la législation ordinaire ceux qui sont encore en vigueur et dont le maintien est indispensable. Pour l'essentiel, nous sommes déjà revenus à la démocratie directe illimitée, les arrêtés qui reposent sur nos pouvoirs extraordinaires constituant aujourd'hui l'exception. Nous espérons pouvoir bientôt nous en passer totalement. Mais l'adoption de l'initiative entraverait ce retour à la procédure législative normale.

Nous ne pouvons que nous féliciter de ce que le peuple puisse de nouveau collaborer pleinement au travail législatif et nous décharger, avec le parlement, d'une partie des responsabilités.

Etant données ces explications, nous vous proposons de soumettre au peuple et aux cantons l'initiative du 23 juillet 1946 en leur recommandant de la rejeter et sans leur présenter de contre-pro jet.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, l'assurance de notre considération distinguée.

Berne, le 27 février 1948.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le vice - président, E. NOBS 6935

Le chancelier de la Confédération, LEIMGBUBER

1055 (Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL BUT

l'initiative du 23 juillet 1946 pour le retour à la démocratie directe

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu l'initiative du 23 juillet 1946 pour le retour à la démocratie directe et le rapport du Conseil fédéral du 27 février 1948; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et sui vanta de la loi du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution, arrête :

Article premier L'initiative du 23 juillet 1946 pour le retour à la démocratie directe sera soumise à la votation du peuple et des cantons. Elle est ainsi conçue : « Les citoyens soussignés ayant le droit de vote demandent, conformément à l'article 121 de la constitution fédérale, l'abrogation de l'article 89, alinéa 3, de la constitution (clause d'urgence) et son remplacement par les dispositions suivantes: Art. 89 fris. Les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun retard peuvent être mis en vigueur immédiatement par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils; leur durée d'application doit être limitée.

Lorsque la votation populaire est demandée par trente mille citoyens actifs ou par huit cantons, les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence perdent leur validité un an après leur adoption par l'Assemblée fédérale s'ils ne sont pas approuvés par le peuple dans ce délai; ils ne peuvent alors être renouvelés.

1056

Les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence qui dérogent à la constitution doivent être ratifiés par le peuple et les cantons dans l'année qui suit leur adoption par l'Assemblée fédérale; à ce défaut, il perdent leur validité à l'expiration de ce délai et ne peuvent être renouvelés, » Art. 2 L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative.

Art. 3 Le Conseil fédéral est chargé d'exécuter le présent arrêté.

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative du 23 juillet 1946 pour le retour à la démocratie directe (Du 27 février 1948)

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1948

Année Anno Band

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09

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5387

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04.03.1948

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1038-1056

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