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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la reconstruction du fort de Dailly (Du 23 avril 1948)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser le présent message à l'appui d'un projet d'arrêté fédéral concernant la reconstruction du fort de Dailly.

I.

Dans la nuit du 28 au 29 mai 1946, de violentes explosions détruisaient la plus grande partie du fort de Dailly (St-Maurice), causant la mort de 10 ouvriers civils. La présence de grandes masses de gaz toxiques et de matériaux dangereux à l'intérieur du fort ne permirent pas de se rendre compte immédiatement de l'ampleur des dégâts. C'est plusieurs jours seulement après l'explosion qu'il fut possible d'inspecter systématiquement les souterrains et de constater que cette catastrophe est, par son importance, sans précédent dans les annales de nos fortifications. Si l'aspect extérieur du fort n'est pour ainsi dire pas modifié, les destructions souterraines s'étendent en revanche à toute la partie la plus moderne de l'ouvrage; elles sont quasi totales. La région fortifiée de St-Maurice est ainsi privée d'une partie de son artillerie et de plusieurs installations importantes.

L'enquête préliminaire révéla que divers magasins à munitions avaient sauté à des intervalles variant entre 2 et 5 minutes.

Le 7 juin 1946, le juge d'instruction militaire chargeait une commission de cinq experts, présidée par M. le professeur A. Rohn, président du conseil de l'école polytechnique fédérale à Zurich, de rechercher les causes directes ou indirectes du sinistre. Cette commission a été appelée à s'exprimer sur toutes les hypothèses formulées dans les milieux civils et militaires.

Il s'agissait en particulier de répondre aux questions ci-après: 1. Les explosions sont-elles en rapport avec les tremblements de terre qui se sont produits dans le Valais au printemps 1946 ou avec d'autres phénomènes d'ordre géologique ?

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2. Quelles causes, d'ordre chimique ou électrique par exemple, ont pu provoquer l'explosion des dépôts de munitions ? Des mesures peu rationnelles ou des négligences expliqueraient-elles la catastrophe ?

3. Les explosions doivent-elles être attribuées à l'imprudence ou à la malveillance ?

4. Le désastre peut-il s'expliquer par la décomposition ou l'inflammation spontanée des munitions ?

D'emblée, les experts se rendirent compte que leur mission était tout d'abord de déterminer les causes de l'explosion pour en empêcher la répétition et notamment de contribuer à tranquilliser les personnes qui travaillent dans les forts ou les magasins à munitions. La tâche des experts fut rendue particulièrement difficile par l'absence d'éléments permettant d'orienter les recherches. La commission, ainsi que le service technique militaire, procédèrent à une série de recherches et d'essais physico-chimiques, technologiques, électriques, etc.

Les conclusions des experts, consignées dans un rapport du 12 avril 1947, peuvent être résumées comme il suit: 1. La catastrophe de Dailly n'a sûrement pas de causes géologiques.

L'état des parois des chambres à munitions après l'explosion est une nette réponse à la question de savoir si les tremblements de terre sont à l'origine de la catastrophe, 2. Aucun indice ne pemet d'admettre que les causes du sinistre sont dues, par exemple, à une inflammation de matières déposées dans les magasins ou à proximité de ceux-ci, à un court-circuit ou à la défectuosité d'un appareil électrique. Les installations électriques examinées dans d'autres magasins du fort de Dailly sont très bien faites, et il n'est pas probable qu'une négligence dans l'exécution soit à l'origine du sinistre.

3. Les experts estiment, en outre, que l'imprudence ou la malveillance ne peuvent expliquer la catastrophe ; ni les ouvriers qui travaillaient dans le fort, ni les agents chargés du service des installations ne peuvent être mis en cause.

4. Constatant qu'aucun indice probant n'autorise à admettre que le sinistre a pour origine l'influence d'agents extérieurs (chaleur, incendie, choc, malveillance, etc.), la commission d'experts considère le phénomène de la décomposition des poudres à la nitrocellulose comme cause probable de la catastrophe. Les nombreuses recherches n'ont cependant apporté aucune preuve
décisive à ce sujet. Il n'a pas non plus été possible de démontrer que les poudres à la nitrocellulose auraient été mal fabriquées ou n'auraient pas été soumises à l'essai de stabilité tel qu'il était prescrit à l'époque de leur fabrication.

L'examen de toutes les munitions des mêmes types que celles qui

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étaient entreposées dans les magasins de Dailly n'a révélé aucun défaut quelconque.

Enfin, les experts ont recommandé aux autorités militaires d'examiner une série de mesures propres à prévenir de telles catastrophes. Bien que toutes les prescriptions concernant la fabrication, la manutention, le magasinage et l'entretien des munitions soient des plus strictes, rien ne sera négligé pour renforcer encore la sécurité des dépôts.

La catastrophe de Blausee-Mitholz a fait naître de nouvelles inquiétudes dans notre population. Bien que les magasins à munitions des ouvrages fortifiés diffèrent sensiblement de ceux qui abritent les grandes réserves de munitions, toutes les mesures qui ont été prises, ou qui pourront l'être encore après la clôture de l'enquête, s'appliquent également aux ouvrages fortifiés. En ce qui concerne la sécurité de la population et de la garnison, les projets de reconstruction de Dailly s'inspirent des recommandations faites par les experts, ainsi que par les spécialistes du département militaire. Si les expertises ordonnées après la catastrophe de Blausee-Mitholz devaient révéler les causes réelles du sinistre, le projet de reconstruction de Dailly n'en serait que peu ou pas modifié. Aussi ne serait-il pas indiqué, pour cette simple raison, de différer l'exécution de travaux qui visent à combler une lacune sensible de notre défense nationale.

II.

Pour mieux faire ressortir l'importance des fortifications de St-Maurice, il importe d'en tracer ici un bref aperçu historique.

Au XIe siècle déjà, St-Maurice était doté d'une tour fortifiée et d'une muraille d'enceinte barrant le défilé. L'origine des fortifications actuelles remonte au siècle passé; le général Dufour en fut le premier constructeur.

Dès la fin du XIXe siècle, par suite de l'amélioration des voies de communication dans la vallée du Rhône, ainsi que de l'augmentation de la portée et de l'eincacité des nouvelles armes, les défenses du défilé s'étendirent aux hauteurs environnantes. C'est de cette époque que date la création du fort de Savatan puis de celui de Dailly. Pendant et après la guerre de 1914 à 1918, l'artillerie des forts fut renforcée, tandis que les défenses extérieures étaient complétées.

Pendant la guerre de 1939 à 1945, aucune modification importante ne fut apportée à la mission dévolue aux ouvrages de St-Maurice. L'armement et l'équipement furent modernisés, et c'est précisément le fort de Dailly qui bénéficia -- en raison de la place qu'il occupe dans le système fortifié -- de l'essentiel de ces améliorations.

Relevons que les fortifications du Gothard, de Sargans et de St-Maurice, citadelles du réduit, jouent un rôle de premier plan dans notre défense nationale. L'importance attachée de tout temps au barrage des défilés n'a jamais échappé aux autorités civiles et militaires du pays. Elles s'efforcèrent

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constamment de faire bénéficier ces trois forteresses des modernisations répondant aux exigences de la guerre.

Il serait faux de se contenter de reconstruire le fort et remplacer les armes détruites au lieu de saisir l'occasion d'intégrer les travaux dans un programme général. St-Maurice constitue, nous l'avons vu, un ouvrage peu homogène, construit successivement, à différentes époques. Il importe de placer la reconstruction, aujourd'hui nécessaire, dans le cadre d'une organisation plus rationnelle.

La reconstruction doit donc êtie étudiée en corrélation avec le regroupement des moyens, abstraction faite des installations qui ne répondent plus aux exigences de la guerre moderne. On pourrait se demander s'il n'eût pas été plus judicieux d'abandonner les souterrains qui ont souffert de l'explosion et de reconstruire un ouvrage en un lieu plus propice à la défense. Cette idée n'a pas été retenue, la situation favorable de Dailly étant incontestée. Les protections offertes par le roc sont suffisantes.

En éliminant les points faibles, il sera aisé de l'élever au niveau des autres ouvrages les plus modernes du pays. Par mesure d'économie, on a d'emblée renoncé aux projets qui ne tenaient pas compte des installations encore utilisables.

III.

Les études entreprises au lendemain de la catastrophe tiennent compte de toutes les nécessités de la guerre moderne. Elles ne sont pas limitées, nous venons de le voir, à la seule reconstruction du fort. Elles embrassent tout le système fortifié de St-Maurice et comprennent plusieurs étapes.

La première consiste à rendre aux fortifications de St-Maurice, dans le plus bref délai, une partie des moyens détruits par la catastrophe du 28 mai 1946. Les suivantes résident dans une série d'améliorations et de renforcements jugés indispensables, mais dont l'exécution peut être différée.

Le coût des travaux à exécuter dans le cadre d'un programme général a été calculé à 20 290 000 francs pour la première étape.

Le projet d'arrêté ci-joint concerne ces travaux. En décidant de différer ceux des autres étapes, nous avons tenu compte de nos possibilités financières limitées. Il y aura lieu de se déterminer ultérieurement sur toute nouvelle transformation des fortifications de St-Maurice.

Pour des raisons compréhensibles, il n'est toutefois pas possible d'entrer ici dans le détail des travaux projetés. La nécessité du secret nous oblige à renseigner d'autre manière les commissions parlementaires.

Des frais de la première étape, arrêtés à 20 290 000 francs, il y a lieu de déduire une somme d'environ 5 millions, qui représente le versement des compagnies d'assurance, moins les frais pour le déblaiement des galeries

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et casemates, pour la remise en état des munitions endommagées, moina aussi les indemnités aux familles des victimes.

Aussi, pour couvrir partiellement les frais de la première étape, pourrat-on recourir, jusqu'à concurrence d'une somme d'environ 5 millions de francs, au compte de dépôt « Dommages causés par l'explosion de Dailly ».

Les travaux s'échelonneront sur plusieurs années. Le crédit annuel, fixé selon l'urgence et les circonstances, figurera au budget. En revanche,, il faudra commander en 1948 déjà du matériel en raison des longs délais de livraison exigés par l'industrie. Ces livraisons seront exceptionnellement payées, nous venons de le voir, sur le crédit « Dommages causés par l'explosion de Dailly ».

Nous vous proposons d'adopter le projet d'arrêté fédéral ci-joint.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 23 avril 1948.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de. la Confédération, CELIO 7059

Le chancelier de la Confédération, LEIMGRUBER

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ARRÊTÉ FÉDÉRAL concernant

la reconstruction du fort de Dailly

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu le message du Conseil fédéral du 23 avril 1948, arrête :

Article premier La reconstruction et le renforcement du fort de Dailly, d'un coût total de 20 290 000 francs, sont autorisés.

Art. 2 Le crédit annuel nécessaire sera inscrit au budget ordinaire. Les frais seront partiellement payés sur le compte de dépôt « Dommages causés par l'explosion de Dailly ».

Art. 3 Le présent arrêté, qui n'est pas d'une portée générale, entre immédiatement en vigueur.

Le Conseil fédéral est chargé de son exécution.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la reconstruction du fort de Dailly (Du 23 avril 1948)

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29.04.1948

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