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FEUILLE FÉDÉRALE 100° année

Berne, le 15 janvier 1948

Volume I

Paraît, eu règle générale, chaque semaine.

Prix: 28 francs par an; 15 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis; 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Bern.

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi sur le maintien de la propriété foncière rurale.

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(Du 30 décembre 1947.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre, avec le présent message, un projet de loi sur le maintien de la propriété foncière rurale, projet qui représente une première tranche de la législation agricole en voie d'élaboration. Notre message donne tout d'abord les raisons qui nous ont amenés à vous proposer de modifier le droit régissant actuellement la propriété foncière agricole; il décrit ensuite, en termes généraux, le but et le caractère du projet que nous vous soumettons. Dans une seconde partie, nous commentons en détail le contenu du projet de loi.

A. PARTIE GÉNÉRALE L'ORIGINE, L'ESPRIT ET LES BUTS DU PROJET DE LOI I. L'évolution et la structure de l'agriculture suisse, considérées quant au sol.

Plus qu'aucune autre branche de l'économie, l'agriculture dépend du sol, tout en étant soumise aux lois de la nature. Même si l'on améliore la formation des paysans et leurs connaissances, même si les méthodes de culture sont perfectionnées, la production agraire a toujours pour fondement le sol, lequel est de nature et de productivité diverses et subit l'influence des saisons, du soleil, de la pluie, de la chaleur et du gel. L'homme ne peut rien changer aux phénomènes naturels, et ses procédés techniques ne permettent que dans une certaine mesure d'améliorer le sol et d'accroître son rendement. Cette constatation revêt une importance particulière dans un petit pays comme le nôtre, où la population est relativement dense, Feuille federale, 100e année. Vol. I.

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où une partie appréciable des terres sont improductives (9312 sur 41295 km 2 ) et où un nombre très limité de terrains peuvent encore être rendus productifs.

Ainsi saute aux yeux l'importance capitale du sol pour l'avenir de l'agriculture et de cette partie de la population qui y exerce son activité.

L'évolution qui a eu lieu dans le secteur agricole a fait naître des problèmes variés, toujours plus nombreux, qui sont tous en rapport plus ou moins étroit avec la question du sol agricole et ne peuvent jamais en être complètement séparés. On a été ainsi amené à constater récemment que le sol cultivable mérite de retenir l'attention spéciale du législateur. L'expérience a appris que les erreurs commises par le législateur et une politique du sol mal comprise ont des répercussions fâcheuses pour la paysannerie et, en fin de compte, pour la production agricole. Certes, dans notre ordre économique et juridique, le sol cultivable fait, pour la plus grande partie, l'objet de la propriété privée. Étant donné le rôle particulièrement important qu'il joue dans notre économie, il ne doit cependant pas être traité comme un objet quelconque de la propriété. Il ne doit pas être considéré comme une marchandise dont on peut disposer selon son bon plaisir; il ne doit même pas être placé sur le même pied que la propriété foncière urbaine ou les terrains bâtis ou destinés à recevoir une construction, biens qui ne présentent pas le même intérêt vital pour la communauté.

Il n'y a pas plus de quarante ans, lors de l'élaboration de notre code civil, on insistait encore sur le caractère de droit privé de la propriété, tant pour les biens en général que pour le sol agricole. On considérait que la notion de propriété avait pour corollaire le droit, pour le paysan, de disposer librement de ses terres, de les vendre, de les partager et de les grever de droits de gage sans limite de charge. On ne voyait guère les dangers que pouvait susciter cette liberté absolue, ou du moins on ne leur accordait pas assez d'attention. Les conséquences en furent un morcellement souvent très accentué des biens-fonds et aussi, en partie, le surendettement de domaines agricoles. Aujourd'hui, le législateur s'efforce de remédier à ces conséquences ou du moins de les atténuer. Ces efforts s'accomplissent d'ailleurs dans nombre d'autres pays,
comme nous le montrerons ci-après.

Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut examiner le régime juridique, avec ses modifications et ses lacunes, à la lumière de l'évolution économique. En Suisse, cette évolution s'est faite, entre le début du siècle et le déchaînement de la première guerre mondiale, à un rythme qu'on peut qualifier dans l'ensemble d'assez lent et régulier. Différents faits exercèrent cependant une influence toujours plus forte sur la situation de l'agriculture.

Les progrès rapides de la technique procurèrent à l'agriculture des machines perfectionnées et facilitèrent les travaux, du moins pour les exploitations de plaine d'une certaine étendue. Mais il en résulta en même temps un énorme développement de l'industrie, lequel, inévitablement, se fait en partie au

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détriment de l'agriculture. En particulier, le sol productif dont elle disposait fut diminué de différentes manières: par l'extension des villes et, d'une façon générale, par la demande toujours plus forte de logements, par l'expansion des installations industrielles et artisanales, par la création de bassins d'accumulation et d'usines, par l'établissement de voies de communication (voies ferrées, routes, places d'aviation) et par d'autres causes encore. Sans doute, l'extension donnée aux améliorations du sol permit-elle de gagner de nouvelles terres productives et d'augmenter le rendement de celles qui existaient déjà. Mais cela ne suffit pas -- il s'en faut de beaucoup -- pour compenser les pertes enregistrées. Celles-ci, de leur côté, eurent pour effet une régression graduelle de la population occupée dans l'agriculture. A cela vint s'ajouter l'exode des campagnes, qu'on peut expliquer surtout par l'espoir de trouver à la ville des conditions sociales plus favorables, un travail plus facile, une liberté personnelle plus grande.

L'évolution que nous venons de décrire a profondément modifié, en Suisse, le rapport entre la classe paysanne et l'ensemble de la population, et le rapport entre l'aire agricole et la surface totale des terres. Il est intéressant d'examiner ces répercussions à la lumière de quelques données statistiques (nous tirons nos renseignements de l'Annuaire statistique de. la Suisse de 1944, ainsi que des Statistiques de la Suisse, fascicule 151, volume 6, publiées par le bureau fédéral de statistique et qui traitent des exploitations agricoles, d'après le recensement fédéral des entreprises de 1939; en outre dans les publications du secrétariat des paysans suisses, à Brougg; voir aussi : 0. K. Kaufmann, Das neue ländliche Bodenrecht der Schweiz, SaintGall, 1946; A. Studier, Bessere B&triebsgrundlagen für die schweizerische Landwirtschaft, Aarau 1946).

La population de résidence, qui, en 1888, était de 2,9 millions d'habitants, avait atteint en 1929 le chiffre de 4 millions. L'augmentation a donc été de 40 pour cent en 41 ans. Durant la même période, le nombre des personnes ayant une activité économique a passé de 1,2 à 1,7 million, c'est-à-dire a augmenté de 45 pour cent, tandis que le nombre des personnes occupées dans l'agriculture et la sylviculture tombait de 488 000 à 413
000, ce qui représente une régression de 13 pour cent. .Cela signifie aussi que le pourcentage des personnes exerçant leur activité économique dans l'agriculture et la sylviculture passait de 40 à 23 pour cent.

Le recensement des entreprises agricoles nous donne une image semblable. En 1905, il y avait en Suisse 243 710 exploitations de plus d'un demi-hectare, en 1939 encore 210 327. Leur nombre a donc diminué en un peu plus de trois décennies de 33 383 unités, ce qui représente une régression moyenne d'environ 1000 unités par an. Autant de familles paysannes ont en même temps perdu la possibilité d'avoir une situation indépendante. Point n'est besoin d'insister sur les répercussions que peut avoir à la longue une telle évolution, dans le domaine économique et social.

28 Les chiffres suivants renseignent sur les changements enregistrés, pendant la même période, quant à la grandeur des entreprises.

1905

0,5 à 3 ha 3 à 5 ha 5 à 10 ha 10 à 15 ha 15 à 30 ha Au-dessus de

. . .

....

....

. . .

. . .

30 ha

.

.

.

.

100390 40 062 55 467 19763 14744 7 284 237710

1939

72444 36 764 59 044 23911 15492 2 657

Augmentation ou diminution

--27946 -- 3 298 + 3 577 +4148 +748 -- 4 627

--27,8% -- 8 % + 6,4 % +21 % + 5 % -- 63 %

210312

La statistique nous fournit en outre des indications intéressantes sur la grandeur des exploitations agricoles suisses. Le recensement de 1939 donnait le tableau suivant: 1. Exploitations de petits planteurs, avec moins de 0,5 ha de surface productive : environ 28 000 exploitations = */,, (11,8 %) de l'ensemble des exploitations.

2. Très petites exploitations, avec surface productive de 0,5 à 3 ha : environ 72 000 exploitations = 3/10 (30,4 %) de l'ensemble des exploitations.

3. Petites exploitations, avec surface productive de 3 à 5 ha: environ 37 000 exploitations = % (15,4 %) de l'ensemble des .exploitations.

4. Petites exploitations moyennes, avec surface productive de 5 à 10 ha : environ 59 000 exploitations = ijt (24,7 %) de l'ensemble des exploitations.

5. Exploitations moyennes, avec surface productive de 10 à 20 ha: environ 33 000 exploitations = 1/7 (14 %) de l'ensemble des exploitations.

6. Grandes exploitations, avec plus de 20 ha de surface productive : seulement 8 700 exploitations = %,, (3,6 %) de l'ensemble des exploitations.

Selon ce tableau, plus de la moitié de l'ensemble des exploitations agricoles du pays, soit 57,6 pour cent, disposent de moins de 5 ha de terres.

La Suisse est par conséquent un pays type de petites exploitations, et l'exploitation agricole y a généralement le caractère d'une entreprise familiale. Cette remarque est confirmée par les chiffres suivants : La main-

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d'oeuvre occupée en 1939 dans l'agriculture était constituée par des membres de la famille de l'exploitant dans la proportion de 78 pour cent pour les hommes et de 93 pour cent pour les femmes. La proportion de la maind'oeuvre priée en dehors de la famille n'était que de 22 pour cent pour les hommes et de 7 pour cent pour les femmes. Un peu plus d'un cinquième seulement des exploitations agricoles occupaient en permanence, à cette époque, du personnel étranger à la famille; il s'agissait le plus souvent d'un valet ou d'une domestique seulement.

Un examen portant sur le rapport entre le nombre des exploitations cultivées par leur propriétaire et celui des exploitations affermées est particulièrement instructif quand il s'agit d'établir des règles pour le futur droit foncier. Cet examen est d'autant plus intéressant qu'on a, à plusieurs reprises, exprimé la crainte que la nouvelle législation ne tende à favoriser systématiquement l'exploitation du sol par le propriétaire et ne relègue l'affermage toujours plus au second plan.

D'après le recensement des entreprises de 1939, la proportion des terres appartenant à leur exploitant représentait 77 pour cent de la superficie totale des terres cultivées, celle des terres affermées 22 pour cent et celle des terres exploitées par un usufruitier 1 pour cent. On admet en général que le rapport normal entre la propriété et l'affermage est de 6 à 1. En Suisse, comme l'indiquent les chiffres cités, ce rapport s'est déjà modifié en faveur de l'affermage. Tout particulièrement frappant est le changement profond qui s'est produit dans la courte période de 10 ans, 1929--1939, durant laquelle le nombre des agriculteurs-propriétaires, exploitant seulement leurs terrains, a diminué de 8000, en chiffre rond, tandis que celui des exploitations comprenant uniquement des terrains pris à ferme augmentait d'au moins 4000. L'ensemble des terrains exploités par leur propriétaire a reculé, durant la même période, de 1 065 800 à 1 017 312 ha, tandis que les terrains pris à ferme passaient de 237 940 à 309 888 ha. Cette évolution unilatérale remonte, du reste, à une assez longue période.

Dans l'ensemble, on enregistre ainsi une extension de l'affermage agricole dépassant la moyenne, au moins une forte augmentation de ce mode d'exploitation, jusqu'en 1939, année du dernier
recensement. La situation, du reste, diffère suivant les cantons; le Valais et Uri sont les cantons où l'affermage est le moins répandu ; la proportion des exploitations agricoles qui y sont affermées n'est que de 10 pour cent. Les recensements des entreprises de 1929 et de 1939 indiquent pour la Suisse une augmentation des terres affermées de l'ordre de 71 000 ha ou, abstraction faite des pâturages de montagne, de 40 000 à 50 000 ha. La surface des terres exploitées par leur propriétaire a diminué en conséquence. Une grande transformation a donc eu lieu au détriment des agriculteurs de profession, en faveur des non-agriculteurs. C'est là un phénomène dont il faut tenir compte lors de l'élaboration du futur droit foncier.

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Relativement régulière, l'évolution de l'agriculture suisse a été, depuis le début du siècle, non seulement interrompue par deux guerres mondiales mais aussi troublée entre temps par la crise des années 30. On a relevé des phénomènes malsains toujours plus fréquents, en particulier la chasse aux domaines agricoles, accompagnée de la surenchère et de l'offre de prix excessifs; il en est souvent résulté un surendettement. La situation devint si critique que l'agriculture ne pouvait plus être laissée à elle-même, indépendamment des interventions de l'Etat dans certains secteurs de la production, du ravitaillement de la population, de la formation des prix.

II. Les mesures législatives prises jusqu'à maintenant.

Les dangers qui menacent l'agriculture et les difficultés avec lesquelles nombre d'agriculteurs se trouvaient aux prises amenèrent les autorités fédérales, déjà au cours des années précédentes, à intervenir à plusieurs reprises dans le domaine législatif, soit en prenant des mesures de caractère provisoire, soit en adoptant des solutions durables consacrées par la loi.

1. Parmi les mesures de caractère provisoire, nous citerons tout d'abord l'arrêté fédéral du 13 avril 1933 instituant des mesures juridiques temporaires pour la protection des agriculteurs dans la gêne. Cet arrêté, déclaré urgent, remonte à la période de erise qui a précédé la dernière guerre; il fut bientôt remplacé par celui du 28 septembre 1934, qui porte le même titre. Ces actes législatifs instituaient une procédure d'assainissement agricole, revêtant la forme d'un concordat à effets plus étendus, qui comprenait aussi les créances garanties par gage, pour empêcher que le débiteur, en retard sans sa faute pour le paiement d'intérêts hypothécaires ou le remboursement de capitaux, ne puisse être chassé de son domaine.

Ici déjà on voit apparaître clairement l'intention d'assurer la situation matérielle de l'agriculteur lorsqu'il mérite d'être ménagé. L'arrêté fédéral de 1934 a été prorogé à plusieurs reprises, en dernier lieu par l'arrêté du Conseil fédéral du 17 décembre 1943, qui a assuré la liaison avec la loi sur le désendettement (v. aussi art. 113 de cette loi). Par suite des circonstances plus favorables, l'arrêté de 1934 est, depuis longtemps, plus rarement appliqué.

C'est aussi pour protéger l'agriculture,
c'est-à-dire pour empêcher autant que possible la spéculation sur les biens agricoles, que fut instituée la défense d'aliéner dos immeubles agricoles, en entier ou par parcelles, dans les six ans à compter de leur acquisition. La: disposition en question, qui modifie l'article 218 du code des obligations, fut décidée après la dévaluation du franc suisse, alors qu'on pouvait craindre tout spécialement des achats à but de spéculation. Elle fit l'objet de l'arrêté du Conseil fédéral du 16 octobre 1936 concernant le commerce des immeubles agricoles, acte législatif qui a pour base l'arrêté fédéral du 29 septembre 1936 sur les mesures extraordinaires d'ordre économique. Plus tard, le 1er décembre

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1942, l'arrêté du 16 octobre 1936 fut remplacé par un arrêté ayant pour fondement l'article 3 de l'arrêté fédéral du 30 août 1939 sur les mesures propres à assurer la sécurité du pays et le maintien de sa neutralité.

La dernière guerre, avec ses effets et ses dangers, imposa des mesures plus énergiques. Il s'agissait, en particulier, d'assurer à la propriété et à la possession une plus grande stabilité, dans l'intérêt des cultures. C'est ainsi que nous prîmes, le 19 janvier 1940, un arrêté instituant des mesures contre la spéculation sur les terres et contre le surendettement, ainsi que pour la protection des fermiers. Une partie des dispositions de cet arrêté furent successivement complétées, étendues et supprimées les 20 décembre 1940, 7 novembre 1941, 29 octobre 1943 et 25 mars 1946. L'arrêté subordonne le transfert de la propriété sur des immeubles agricoles à la ratification par l'autorité. Pour ces immeubles, il a fixé en outre un maximum de charge, par l'effet duquel de nouvelles charges ne sont admises, en général, que jusqu'à concurrence de la valeur d'estimation, c'est-à-dire de la valeur de rendement, augmentée, s'il y a lieu, d'un supplément de 25 pour cent au plus. Le courtage contre rémunération, en matière de biens-fonds, est subordonné à l'octroi d'une concession par l'autorité cantonale. Une durée minimum de cinq ans était primitivement prescrite pour les baux à ferme ; Le droit de donner congé était limité. Le dernier arrêté n'a cependant maintenu qu'une durée minimum de 3 ans pour les baux à ferme et a supprimé les autres mesures prises en faveur des fermiers.

2. La loi fédérale du 12 décembre 1940 sur le désendettement de domaines agricoles, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1947, institue des mesures de caractère durable. Le désendettement lui-même, c'est-à-dire l'extinction ou l'amortissement des créances hypothécaires qui dépassent la valeur d'estimation, se fera, il est vrai, dans un cas donné, au cours d'une période de 20 à 25 ans et sera ensuite terminé. En revanche, les mesures qui, dans la loi, visent à prévenir le surendettement, ont vraiment un caractère durable; elles s'appliquent à titre général et ne sont pas subordonnées à la condition que le canton exécute le désendettement sur son territoire. Ces mesures sont la fixation d'une charge maximum, puis quelques
dispositions qui modifient le droit successoral paysan du code civil et enfin l'interdiction de revente, qui cesse également d'être une institution provisoire.

III. Les tendances et los solutions du droit étranger.

Il n'est ni possible ni nécessaire de donner, dans ce message, un aperçu complet des dernières mesures législatives prises à l'étranger dans le secteur agricole. Il convient cependant de jeter un regard sur l'évolution qui s'est produite tout récemment dans le droit foncier de certains Etats placés devant les mêmes tâches que nous et d'apprendre à connaître la voie dans laquelle ils se sont engagés ou entendent s'engager. Souvent, les règles

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héritées du passé ne suffisent plus, et des idées nouvelles se font jour.

Les indications -- assez sommaires -- que nous donnons ci-dessous sont empruntées surtout aux rapports de nos légations et à la presse sans que nous puissions, à vrai dire, contrôler chaque ibis l'exactitude des sources indiquées (l'ouvrage de 0. K. Kaufmann Dcui neue ländliche Bodenrecht der Schweiz, déjà cite, donne aussi de précieux renseignements aux pages 75s., 245 s. et 342 s.).

En France, avec le principe dé l'égalité de tous les héritiers et la fréquence des partages en nature, les bouleversements que la Révolution a provoqués dans la propriété foncière ont eu pour effet d'amener la prédominance de la petite exploitation. Aujourd'hui, les trois quarts ou presque de toutes les exploitations paysannes ont moins de 10 ha. Notons cependant, comme en Suisse, une diminution du nombre des petites exploitations et une légère augmentation du nombre des exploitations moyennes. Les terres agricoles appartiennent à l'exploitant dans la proportion de 60 pour cent,, le reste étant affermé ou faisant l'objet d'un métayage. Au cours du XIXe siècle, la centralisation du système hypothécaire, par la création en 1851 du « Crédit foncier », a joué un très grand rôle.

Les dernières décennies ont apporté beaucoup de changements dans le droit foncier. La « loi Chauveau », du 27 novembre 1918, « ayant pour objet de faciliter le remembrement de la propriété rurale » -- remplacéepar un décret-loi de 1935 -- devait faciliter les réunions parcellaires. Une loi du 31 octobre 1919 avait pour but de favoriser la petite propriété foncière. Les effets pratiques de cette « loi autorisant les départements et les communes à acquérir des terrains et des domaines ruraux, à les lotir et à les revendre en vue de faciliter l'accession à la petite propriété des travailleurs et des personnes peu fortunées » ne furent, il est vrai, pas très considérables. Une loi du 7 février 1938 et un décret du 17 juin 1938 ont prévu, en droit successoral paysan, la reprise en entier de petits domaines par un héritier. Enfin, la loi du 16 novembre 1940 « relative aux opérations immobilières » a subordonné tous les transferts de propriété à la ratification par le préfet.

En Espagne, une loi très complète a été édictée le 23 mars 1935 pour régler l'affermage agricole:
La durée des baux correspond au moins à un cycle de production fondé sur l'assolement, mais est de quatre ans au moins ; une année avant l'échéance du terme, le fermier peut demander la prolongation du contrat ; sa demande sera accordée si des raisons particulière» (par exemple non-paiement du fermage, exploitation défectueuse du fermier, reprise des biens affermés par le bailleur, pour les exploiter lui-même) ne s'y opposent pas. L'acheteur de la propriété remise à ferme est tenu par le contrat de bail.

En Belgique, l'affermage prédomine ; trois cinquièmes du sol agricole sont donnés à ferme. La loi du 7 mars 1929 portant revision des articles

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du code civil relatifs au bail à ferme, a fixé à neuf âne la durée minimum des nouveaux baux à ferme. Le contrat de bail peut prévoir, pour le fermier, le droit de mettre fin au bail par congé, avant l'expiration du terme; il ne peut accorder cette faculté au bailleur que si celui-ci veut exploiter lui-même les terres affermées. En cas d'aliénation de la propriété donnée à ferme, l'acheteur est lié par le bail. La loi belge accorde au fermier une grande latitude quant au mode d'exploitation.

Dans les Pays-Bas aussi, l'affermage joue un grand rôle et s'étend à environ la moitié des terres agricoles. Il a été réglé à nouveau par la loi du 31 mai 1937. Les nouveaux contrats de bail sont en principe soumis à l'examen du juge. Ce dernier peut mettre fin au bail s'il estime excessives les obligations mises à la charge du fermier et qu'une entente ne puisse intervenir entre les parties. La durée du bail est réglée d'une manière particulière. Aucun bail ne peut être conclu pour un temps déterminé, sans une autorisation spéciale; le congé n'est possible que pour des motifs suffisants, les intérêts des parties étant considérés. Si le bailleur reprend ses terres pour les exploiter lui-même ou qu'il veuille remettre leur exploitation à un descendant ou à son conjoint, il y a là un motif de congé. En outre, le congé peut être librement donné au cours de la première année de chaque période de bail de dix ans.

En examinant la situation en Angleterre, il ne faut pas perdre de vue que, dans ce pays, l'agriculture ne joue pas le même rôle que dans le nôtre, son importance s'étant cependant accrue pendant la guerre. En 1931, l'agriculture anglaise n'occupait plus que 6,4 pour cent des personnes ayant une activité économique. L'Angleterre est le type du pays industriel.

Cette constatation explique, à côté d'autres raisons, pourquoi le droit agraire, en Angleterre, n'a pas subi une évolution analogue à celle qu'il a connue dans d'autres législations modernes. La grande propriété foncière, qui, encore aujourd'hui, a un caractère féodal très marqué, est prédominante. En 1930, les exploitations de plus de 40 ha représentaient 66,3 pour cent du sol productif. Maintenant, on s'efforce, par la voie du partage successoral, d'arriver peu à peu à une diminution des grands domaines. Jusqu'en 1925, la propriété foncière était
dévolue au fils aîné ou à ses descendants. Maintenant elle est soumise aux règles générales du partage successoral. Exception est cependant faite pour cette partie encore considérable de la propriété foncière anglaise qui fait l'objet de ndéicommis; elle ne peut pas être héritée d'après les règles applicables à la succession légale ou testamentaire, mais seulement d'après celles sur les fidéicoramis.

Les dispositions qui, en Angleterre, régissent l'affermage, ont aussi un caractère spécial. L'affermage est très répandu. On ne le distingue pas du bail à loyer. Les terres sont, quant à la forme, affermées en règle générale d'année en année. En fait, le bail dure le plus souvent très longtemps,

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souvent pendant des générations, et il n'y est mis fin que pour des motifs graves. S'il y a vente, l'acheteur est lié par le bail. Pour des cas déterminés, l'affermage forcé est prévu. Dans l'ensemble, l'affermage a perdu de son importance comme forme juridique de l'utilisation du sol; les terres qui appartenaient en propre aux agriculteurs représentaient, en 1913, une proportion de 10,6 pour cent, en 1927, de 36 pour cent.

On recommande, en Angleterre, le maintien des offices locaux chargés de donner des conseils en matière de cultures et de contrôler les cultures.

Les agriculteurs qui ne remplissent pas leurs obligations d'exploiter peuvent être soumis à une surveillance d'entreprise (compulsory direction). S'ils ne se conforment pas aux ordres du surveillant, ils peuvent être dépossédés de leurs terres (dispossession) ; s'ils sont fermiers, il est possible de mettre fin au bail. En cas d'opposition, un tribunal administratif statue.

Une solution satisfaisante à tous égards semble n'avoir pas encore été trouvée. L'Angleterre ne veut pas risquer de voir son agriculture ruinée; elle a reconnu l'importance politique et économique d'une paysannerie saine, productive. Sans aucun doute, on est au point de départ d'une évolution qui doit assurer des conditions d'existence satisfaisantes au paysan indépendant, ainsi qu'au petit et moyen fermier.

L'évolution en Irlande mérite de retenir l'attention. Une réforme agraire profonde a transformé l'affermage, qui, encore au cours du siècle dernier, était pratiqué presque exclusivement. Au cours de la période qui va de 1870 à 1896, des mesures légales ont été prises qui interdisaient le congé arbitraire, permettaient le libre transfert des droits du fermier à un autre fermier et prévoyaient la revision périodique et officielle des fermages.

Durant cette période, les fermages furent, en moyenne, diminués d'un tiers environ. Grâce à ces mesures, la situation du fermier se rapprocha de celle du propriétaire. La dernière évolution a encore facilité l'accession du fermier, avec l'aide de l'Etat, à la propriété des biens pris à ferme; en effet, si certaines conditions sont remplies, l'Etat désintéresse le bailleur et cède au fermier les terres louées, en libre propriété, contre paiement d'une rente annuelle.

L'Ecosse n'a pas connu des changements aussi radicaux. Le
droit de donner congé y est réglé d'une manière unilatérale. Le fermier a la faculté de donner congé une année d'avance, librement, tandis que le bailleur ne peut résilier le bail qu'en cas de non-paiement du fermage.

Dans le domaine dei l'agriculture, le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, en particulier son département de l'agriculture, déploie aussi une très vive activité. Parmi les nombreuses mesures législatives et autres qui ont été prises, il faut citer notamment le soutien des prix de produits agricoles, l'octroi de crédits spéciaux, les mesures sociales visant à améliorer la situation matérielle des paysans et enfin l'encouragement et le soutien de l'agriculture par l'Etat, au moyen de la création d'établissements de

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recherches, de conseils techniques donnée aux agriculteurs et de mesures de protection contre les forces naturelles (inondations, érosions, etc.).

Comme ces mesures cependant ne concernent pas le droit foncier proprement dit, il n'y a pas lieu de les examiner de plus près. Constatons toutefois que, dans les Etats-Unis d'Amérique aussi, on fait des efforts considérables, en utilisant des ressources financières importantes, pour créer une paysannerie saine et indépendante. L'aide que l'Etat accorde aux fermiers et aux vétérans de la guerre, pour l'achat d'une exploitation, montre que, même au pays des entreprises géantes, 011 reconnaît l'importance des petites et moyennes exploitations agricoles.

En Allemagne, la république de Weimar, voyant les dangers d'une industrialisation excessive, avait déjà reconnu la pressante nécessité de trouver une solution au problème agraire. L'article 155 de la constitution de Weimar, du 11 août 1919, est caractéristique: « La répartition et l'utilisation du sol sont contrôlées par l'Etat de manière à éviter les abus et afin que soient assurés à chaque Allemand un logement sain et à toutes les familles allemandes, en particulier aux familles nombreuses, un foyer domestique et un centre d'activité économique repondant à leurs besoins. Lors de l'établissement des dispositions sur les asiles de famille, les anciens combattants seront pris en considération de façon spéciale.

La propriété foncière dont l'acquisition est nécessaire pour satisfaire aux besoins dee logements, pour favoriser la colonisation et la mise en culture, ou pour les progrès de l'agriculture, peut être expropriée. Les fideicommis seront supprimés.

La culture et l'utilisation du sol sont un devoir du propriétaire foncier envers la collectivité. La plus-value acquise à l'immeuble sans dépense de travail ou de capital doit être utilisée au profit de la collectivité.

Toutes les richesses du sol et du sous-sol, et toutes les forces naturelles susceptibles d'utilisation économique, sont placées sous la surveillance de l'Etat.

Les droits régaliens appartenant à des particuliers devront être transférés à l'Etat par voie législative. »

On sait que la constitution de Weimar n'a jamais été formellement abrogée. Mais le programme de réforme agraire contenu dans l'article 155 n'a pu être réalisé que dans de modestes proportions. Un arrêté, prévoyant la création annuelle de 10 000 nouvelles « Bauernstellen » (colonies paysannes) paraît n'avoir pas eu de succès. Jusqu'en 1933, l'Etat ne prit aucune mesure efficace contre le morcellement des terres. Le crédit hypothécaire pesait lourdement sur l'agriculture allemande. Sous le régime national-socialiste, les autorités édictèrent le « Reichserbhofgesetz », du 29 septembre 1933; la «Bekanntmachung» du «Bundesrat», du 15 septembre 1918, concernant le commerce des immeubles agricoles fut en outre modifiée par la « Grundstückverkehrsbekanntmachung » du 26 janvier 1937.

Dans l'ensemble, on ne peut pas encore déterminer avec certitude comment se poursuit l'évolution interrompue par la guerre. Les autorités d'occupation ont envisagé une réforme agraire ayant surtout pour but de faire disparaître la grande propriété foncière, qui est encore répandue

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dans nombre de régions. Avec le consentement de l'occupant, les autorités allemandes ont déjà pris des dispositions dans ce sens. D'après les renseignements reçus jusqu'à maintenant, il faut distinguer entre la zone d'occupation russe et les autres.

Dans la zone russe, les administrations territoriales du Mecklembourg et de la Poméranie occidentale, de la Saxe et de la Thuringe ont, en septembre 1945, édicté des ordonnances assez semblables sur la réforme agraire « pour donner suite aux revendications formulées par les paysans exploitant eux-mêmes, qui demandent la juste répartition des terres et pour liquider la grande propriété foncière des Junkers, des seigneurs féodaux, des princes et des propriétaires fonciers en Allemagne ». La réforme prévue doit, ainsi l'indiquent le préambule et les premiers articles de l'ordonnance, « réaliser le rêve, vieux de plusieurs siècles, des paysans qui ne possèdent point ou que peu de terres : le rêve de devenir propriétaires ».

La réforme est désignée comme une nécessité immédiate, nationale, économique et sociale. La propriété foncière doit désormais reposer sur des exploitations paysannes solides, saines et productives, propriété de l'exploitant. Ce but doit être atteint grâce à l'augmentation de la superficie des domaines de moins de 5 ha, à la création de nouvelles exploitations paysannes indépendantes et par l'attribution de terres à des déportés et à des réfugiés qui ont, au cours de la guerre, perdu leurs foyers et leurs biens. Les terres des Junkers et des seigneurs féodaux, et, dans les grands domaines, les surfaces qui dépassent la limite de 100 ha, doivent être expropriées sans indemnité et partagées. A conditions égales, un droit de préférence est reconnu, pour l'attribution, aux familles nombreuses; une partie limitée des terres devenues libres doivent être cédées à des ouvriers de l'industrie, à des employés et à des paysans, en petites parcelles n'excédant pas un demi-hectare. Les attributaires reçoivent, contre indemnité, des terres libres de dettes; sauf exceptions déterminées, ils ne peuvent cependant pas les partager ou les vendre, les affermer ou les grever d'hypothèques.

D'après les communications que nous avons reçues, les dispositions ainsi prises ont été appliquées, dans la zone russe, à quelque 6300 grandes exploitations privées et
1000 grandes exploitations appartenant à l'Etat, mesurant, au total, 2,6 millions d'hectares. On a créé 270 000 « Bauernstellen » et remis 60 000 terrains à des ouvriers agricoles et à des employés.

Dans les autres parties de l'Allemagne, la réforme agraire a un caractère moins radical. Le « Landerrat » des trois pays qui sont dans la zone américaine, soit la Bavière, le Wurtemberg et Bade ainsi que la Hesse, a adopté, en septembre 1946, un « Gesetz zur Beschaffung von Siedlungsland », qui, jusqu'à maintenant, est entré en force dans le pays de Hesse. Conformément à cette loi, les terres nécessaires sont prélevées sur les propriétés foncières qui ont plus de 100 ha de surface productive, suivant une pro-

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gression en rapport avec la grandeur de ces propriétés, les domaines de l'Etat et des collectivités publiques étant aussi mis à contribution; en outre, on peut englober dans l'opération les exploitations où la culture est, d'une manière continue, défectueuse, et celles qui sont continuellement affermées.

Xi'ancien propriétaire reçoit une indemnité calculée d'après la valeur de rendement.

Par une loi du 20 février 1947, le conseil de contrôle interallié a abrogé la loi dite «Erbhofgesetz». La situation d'avant 1933 a été ainsi rétablie pour le droit de succession. En revanche, selon la nouvelle loi, les immeubles agricoles ne peuvent être ni aliénés, ni grevés ou affermés sans la ratification par l'Etat ; cette ratification sera refusée notamment si l'aliénation est de nature à compromettre une exploitation rationnelle et à nuire ainsi au ravitaillement de la population ou qu'il y ait disproportion évidente entre la valeur de l'immeuble et la contre-prestation promise. La nouvelle loi prévoit maintenant aussi l'obligation d'exploiter; si un immeuble agricole n'est pas utilisé ou qu'il ne soit pas exploité conformément aux prescriptions applicables, l'autorité compétente peut ordonner soit la surveillance de l'exploitation par une personne désignée à cet effet, soit l'exploitation par un fidéicommissaire ou enfin, imposer à l'intéressé d'affermer l'immeuble, en tout ou partie, à un agriculteur capable.

Dans les Etats situés à l'est de l'Europe, nous constatons des réformes agraires profondes, ayant un caractère plus ou moins révolutionnaire; il s'agit des pays où l'influence russe s'est fait sentir et que l'occupation russe conduit maintenant à des innovations radicales. Il n'est pas nécessaire de faire ici un exposé du système agraire russe lui-même. Ce système étant essentiellement différent du nôtre, il ne permet pas de tirer des conclusions pour notre pays; du reste, en Russie aussi, l'évolution ne paraît pas encore terminée. Mais il est impossible de ne pas discerner des influences russes dans les pays de l'est de l'Europe. Jusqu'à la première guerre mondiale, le système dominant dans ces Etats était encore celui de la grande propriété de la noblesse, système qui remontait à la féodalité.

Cette grande propriété avait toutefois perdu son ancien caractère de droit public. Elle s'était transformée
en une simple propriété privée, qui, socialement, ne remplissait plus sa tâche. A cela s'ajoutèrent des tendances nationalistes, car les terres appartenaient souvent à des étrangers. Un nouveau partage doit permettre à une nouvelle classe de paysans de vivre sur le sol qu'elle cultivait. Même là où les changements sont moins profonds, la tendance à créer de petites et moyennes exploitations se manifeste partout, En Hongrie, le gouvernement national provisoire a édicté, le 15 mars 1945, une ordonnance sur la suppression de la grande propriété foncière et l'attribution de terres aux agriculteurs. Il a ainsi ouvert la voie à une réforme agraire profonde qui, comme en Allemagne, doit assurer une

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transformation, dans un sens démocratique, et l'avenir du pays, une réforme qui doit « permettre l'essor politique, social, économique et spirituel des paysans hongrois opprimés depuis des siècles ». Toutes les propriétés foncières agricoles dont la superficie dépasse 100 « Kastraljoch » (environ 56 ha) sont « revendiquées » en vue de la réforme agraire, en principe contre indemnité. Dans le cas de surfaces ne dépassant pas 1000 « Kastraljoch », 100 « Joch » ont été laissés à l'ancien propriétaire, tandis que les biens de plus de 1000 « Joch » furent expropriés sans indemnité. Les attributaires reçoivent des terres libres de charges ; à titre d'indemnité, ils versent cependant dans le « Bodenregulierungsfonds » une somme égale à vingt fois le rendement net calculé d'après le prix du froment; c'est le fonds en question qui sert à indemniser les propriétaires qui ont droit à une indemnité.

La superficie attribuée dans un cas particulier ne doit pas dépasser la surface que la famille paysanne peut exploiter par ses propres moyens, compte tenu de la qualité du sol et du mode d'exploitation. Si, durant deux années d'exploitation, l'attributaire néglige la culture des terres qu'il a reçues, ces terres peuvent lui être retirées. Cette réforme a complètement changé la structure de l'ancien Etat agraire féodal.

En Yougoslavie, on a procédé de la même manière, par le moyen d'une 101 sur .la réforme agraire et la colonisation, adoptée par le parlement le 23 août 1945. Aux termes de cette loi, les domaines comprenant plus de 35 ha de terres productives serviront à créer ou à agrandir de petites exploitations. Une famille paysanne reçoit de 8 à 12 ha de terrains productifs. Avec l'assentiment des intéressés, plusieurs domaines peuvent être exploités en commun.

Une loi roumaine, de juillet 1945, a permis de répartir 1 120 000 ha de terres entre les paysans ; ce partage a touché les domaines de plus de 50 ha.

En Tchécoslovaquie, un partage des propriétés de plus de 30 ha a également eu lieu. On a renoncé à un plus fort morcellement pour conserver aux exploitations une surface assurant leur viabilité et permettre la continuation de l'ancien système d'exploitation.

Par deux ordonnances, des 6 septembre 1944 et 29 mars 1945, la Pologne a commencé une réforme agraire. Cette réforme, elle aussi, a pour but de
créer des exploitations plus petites, viables et productives. Comme grandeur normale, on a prévu 5 ha. Les exploitations trop petites doivent être agrandies pour atteindre à peu près cette étendue. De nombreuses exploitations nouvelles doivent être créées. Les terres que le paysan reçoit deviennent sa propriété privée, libre de charges. Il ne peut cependant pas les partager, les vendre, les affermer ou les grever. L'Etat se procure les surfaces nécessaires en expropriant sans indemnité des terres déterminées. Les domaines privés sont aussi touchés par cette expropriation en tant qu'ils comprennent plus de 100 ha en général ou de 51 ha de terres labourables.

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Parmi les Etats nordiques, nous pouvons citer la Finlande., qui, depuis 1909 déjà, connaît le système de la ratification des nouveaux baux à ferme et de la fixation de fermages équitables par des commissions communales spéciales. La durée des baux est, en règle générale, de 50 ans, exceptionnellement de 25 ans. Une loi du 3 mars 1936 a prévu un droit d'emption en faveur des fermiers qui exploitent une propriété depuis au moins 15 ans ; l'Etat favorise l'achat de terres par les fermiers sous la forme d'hypothèques amortissables.

L'évolution toute récente qui s'est faite en Suède, mérite de retenir notre attention particulière. Elle a trouvé son expression dans une loi du 21 décembre 1945 restreignant le droit d'acquérir des immeubles agricoles, loi mise en vigueur le 1er janvier 1946 et applicable tout d'abord, il est vrai, jusqu'à la fin de l'année 1948 seulement. Cette loi nous touche de près car non seulement elle poursuit des buts identiques aux nôtres, mais elle se fonde aussi sur des conceptions juridiques communes aux deux pays. Les moyens dont la loi se sert pour atteindre son but ressemblent d'une manière surprenante aux mesures que nous avons prises au cours de la dernière guerre en vertu des pouvoirs extraordinaires. Cette constatation est d'autant plus digne d'attention que la Suède, comme la Suisse, reste attachée au principe selon lequel le propriétaire doit pouvoir disposer librement de son bien; mais on a reconnu, en Suède, que cette liberté, en tant qu'elle se rapporte au sol agricole et forestier, ne peut être illimitée, si les intérêts du pays ne doivent pas être compromis. L'impérieuse nécessité d'assurer, autant que possible, l'approvisionnement du pays par la production indigène a par conséquent conduit à enlever dans une large mesure au propriétaire son droit de disposer.

Le législateur entend veiller, dans la mesure du possible, à ce que le sol cultivable reste tel et soit utilisé. C'est ce but que vise le contrôle par l'Etat du transfert des biens-fonds; ce contrôle s'étend aux immeubles agricoles et forestiers d'une valeur de plus de 5000 couronnes. Le législateur estime que, pour les parcelles de moindre valeur, un contrôle n'est pas nécessaire, étant donné d'une part que ces parcelles ne servent régulièrement qu'au ravitaillement complémentaire des ouvriers et des
artisans et que, d'autre part, elles ne sont pas cultivées d'après des méthodes proprement agricoles. Elles ne peuvent en outre guère attirer les spéculateurs.

D'après le système de la loi suédoise, tout transfert de propriété qui porte sur un immeuble dont la valeur excède la limite prévue est subordonné à l'approbation de l'autorité. L'approbation doit être demandée dans les trois mois dès la conclusion de l'opération; si cette formalité n'est pas remplie ou que l'autorité rejette la demande, l'opération est nulle. La loi fait une distinction entre les motifs d'exclusion, qui provoquent toujours un refus de l'autorité, et les conditions auxquelles l'approbation peut être accordée, après examen du cas particulier. Au nombre des motifs

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d'exclusion figurent l'incapacité du requérant et l'intention de revendre à des fins de spéculation. L'autorité devra statuer en tenant compte des circonstances, notamment si l'acheteur cherche surtout à placer des capitaux ou si, pour une autre raison, il ne veut pas exploiter lui-même la propriété, s'il a déjà un domaine agricole ou enfin si des motifs spéciaux disposent en faveur de l'approbation. Une procédure simplifiée est ouverte si l'acheteur établit qu'il n'y a, dans le cas particulier, aucun motif d'exclusion et qu'il veut acquérir le bien-fonds pour l'exploiter lui-même, soit qu'il ne possède «ncore aucune terre soit qu'il veuille, au moyen de l'achat, arrondir son petit domaine de manière à lui donner une étendue suffisante pour l'entretien ·d'une famille paysanne. Dans ces cas, l'opération est affranchie de tout examen. L'approbation peut imposer à l'acquéreur une charge, en particulier l'obligation de s'en tenir à un mode d'exploitation déterminé.

C'est ainsi que la loi suédoise cherche à réaliser avec souplesse l'idée ·dominante du maintien et de l'utilisation maximums de la propriété rurale.

L'approbation d'un achat peut, par conséquent, être refusée aussi à un.

agriculteur qui s'est montré incapable. Inversement, elle doit être accordée à un non-agriculteur qui paraît vouloir et pouvoir assurer le plein rendement du domaine. Si la loi tend aussi à empêcher la constitution de grands domaines, elle permet, en revanche, que des propriétés soient réunies et .arrondies d'une manière appropriée par l'achat de parcelles, lorsqu'il est ainsi possible d'obtenir une exploitation plus rationnelle. On ne peut pas encore se rendre compte des effets de cette loi progressiste, étant donné qu'elle est en vigueur depuis peu de temps seulement.

IV. Les travaux préparatoires de la nouvelle législation agricole.

Le 26 février 1943, nous avons confié au département de justice et pouce le soin de préparer la future législation agricole. Le département a immédiatement formé une grande commission d'experts choisis en majeure partie dans les milieux de l'agriculture. Cette commission fut chargée de prendre connaissance des voeux présentés par l'agriculture, pour ses différents secteurs, et d'établir sur cette base des projets législatifs provisoires susceptibles d'être examinés et discutés par d'autres
milieux intéressés. Le rôle de la commission est ainsi de fournir au Conseil fédéral l'avis d'experts. Elle est présidée par le chef du département fédéral de justice et police.

Pour l'examen des différents problèmes, la commission d'experts a constitué plusieurs sous-commissions: Sous-commission » » »

A: B: C: D:

question constitutionnelle.

droit foncier.

formation professionnelle et recherches agricoles.

élevage et garde du bétail.

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Sous-commission E : améliorations foncières, colonisation agricole.

» F : arboriculture fruitière et viticulture.

» G: production végétale, amélioration de la production agricole.

» H : paysans de la montagne, travail à domicile.

» J : économie laitière.

» K : direction de la production, placement, marché.

» L: associations agricoles, prévoyance sociale.

Un bureau suit le cours des travaux dans leur ensemble, reçoit tout d'abord les projets partiels des sous-commissions et fait en sorte qu'il y ait concordance entre ces projets; il renseigne notamment les sous-commissions intéressées, dans les nombreux cas où les problèmes traités par l'une d'elles touchent au domaine réservé a une autre.

M. Oswald, professeur à l'université de Fribourg, a été chargé par le département de la rédaction de la loi.

D'une manière générale, il n'y a pas lieu de parler longuement, déjà maintenant, des travaux et des projets des différentes sous-commissions.

Relevons simplement qu'on s'est demandé plusieurs fois si la législation agricole prévue devait faire l'objet d'une seule loi ou de plusieurs. Les discussions engagées dans la sous-commission E, le bureau et la grande commission, ont conduit ä la conclusion que le droit foncier devait être en tout cas traité séparément et présenté en premier lieu, sous la forme d'une loi spéciale. Cette conclusion n'est pas fondée uniquement sur le fait que le droit foncier est une des premières matières traitées par la sous-commission B et par la grande commission. Elle repose aussi et surtout sur le caractère spécial de ce droit. II s'agit d'un ensemble de mesures législatives qui sont en corrélation avec le code civil, le code des obligations et le droit de poursuite et y apportent certaines modifications. Les autres parties de la législation agricole, en particulier les questions économiques, ont un caractère différent. Le régime juridique des terres agricoles peut être fixé indépendamment de la réglementation qui interviendra pour les autres parties de la nouvelle législation. Voilà pourquoi nous vous présentons en -premier lieu, avec le présent message, un projet de loi « sur le maintien de la propriété foncière rurale ».

Après avoir été adopté par la grande commission d'experts, le projet a été remis à différents milieux intéressés, qui furent invités à faire connaître
leur manière de voir. Un grand nombre de réponses sont parvenues, certaines contenant des contre-projets. Notre département de justice et police a tenu en outre à renseigner, lors de la réunion annuelle de septembre 1947, la conférence des directeurs cantonaux de justice et police sur les principales questions à résoudre. A la demande de la conférence, le projet fut soumis aux cantons, qui furent priés de se prononcer par écrit.

Feuille fédérale. 100e année. Vol. I.

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42 Y. Les caractéristiques du projet.

1. En décidant de régler d'une manière particulière le droit foncier agricole, le législateur fédéral pourrait être tenté de choisir comme point de départ certaines des prescriptions édictées pendant la guerre, en vertu des pouvoirs extraordinaires. Mais ces prescriptions n'ont été édictées que pour une durée limitée et doivent, en leur qualité de droit d'exception, disparaître; elles ont du reste déjà été abrogées en partie. On ne pouvait donc pas songer à faire consacrer telles quelles, par une législation durable, les modifications profondes qu'il avait fallu apporter au droit en vigueur sous la pression des circonstances nées de la guerre. Dans ce domaine comme ailleurs, on peut compter avec le retour de circonstances plus stables, auxquelles l'ordre légal doit être adapté ; les règles du droit ne devront plus viser des phénomènes ou des dangers se modifiant fréquemment.

Il faut examiner avec soin dans quelle mesure les idées nouvelles, qui ont été consacrées par le droit sous le régime des pouvoirs extraordinaires, peuvent trouver accueil dans une réglementation durable. La question se pose, en particulier, pour la large atteinte que l'Etat, par suite des conditions créées par la guerre, a portée (et a dû porter) à la liberté de disposer et de contracter. Un allégement, dans ce domaine, doit intervenir même si l'évolution récente du droit décèle incontestablement une certaine tendance à développer le pouvoir d'intervention de l'Etat. H incombera au législateur de trouver une solution acceptable, de déterminer le juste milieu entre une liberté individuelle illimitée et un rétrécissement excessif de cette liberté par l'autorité.

Une législation agricole doit avoir pour but suprême le maintien d'une agriculture forte, productive. S'il importe, dans tout Etat, que l'agriculture ait ces qualités, c'est tout particulièrement vrai pour notre petite Suisse, qui, étant donné sa situation géographique, dépend dans une large mesure de l'étranger pour son ravitaillement en denrées alimentaires et en marchandises indispensables. Cette dépendance ne disparaîtra jamais complètement, car, dans notre pays de montagnes, le sol productif ne suffit pas à nourrir la population, qui est dense. Nous avons cependant un intérêt vital à assurer, dans les limites du possible,
notre ravitaillement par la production indigène, et cela d'autant plus qu'une agriculture prospère permet en outre l'existence d'une importante partie de la population.

Pour cela, il faut toutefois que l'agriculteur ait des attaches solides avec le sol. L'amour du paysan pour sa terre a des raisons profondes.

Le législateur devra donc veiller en premier lieu à ce que, dans son ensemble, le sol cultivable du pays ne soit désormais pas trop diminué.

Mais il prêtera aussi l'attention nécessaire aux rapports de l'agriculteur avec le sol, car de ces rapports dépend dans une large mesure la prospérité de l'agriculture. Il faut s'efforcer d'assurer une certaine stabilité à la possession du sol; des changements fréquents ne sont pas désirables et

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ne sont guère conciliables avec une exploitation du sol pratiquée avec méthode et de manière à obtenir de bonnes récoltes dans l'avenir également.

L'interdiction de revente qui figure dans la loi sur le désendettement constitue déjà une limite. Les considérations qui précèdent s'appliquent aussi au bail à ferme ayant pour objet des terres agricoles; il devrait avoir normalement une durée d'au moins quelques années. La création de conditions d'existence supportables est en outre de la plus grande importance ; pour s'en convaincre, il suffit de songer au sort des innombrables paysans qui n'ont jamais réussi à se débarrasser du poids écrasant de leurs dettes.

A côté des capacités personnelles et de l'activité du paysan et de sa famille, les facteurs économiques (ampleur de la récolte, placement et prix des produits) jouent ici, il est vrai, un rôle prépondérant ; les mesures juridiques ne doivent, cependant, pas être négligées. La possibilité de désendetter et la charge maximum -- barrières contre le surendettement -- sont déjà l'objet de dispositions légales. Enfin, on peut considérer qu'il incombe au législateur de faire en sorte que tous les terrains productifs soient exploités rationnellement. Ce but est cependant plus difficile à atteindre. Des mesures juridiques ne permettront guère d'y arriver.

Fondé sur ces considérations, le projet de la grande commission d'experts prévoyait les mesures que voici: contrôle par l'autorité des transferts de biens-fonds agricoles, sous forme de la ratification obligatoire, droit de retrait des descendants en cas d'aliénation à un tiers, régime de l'autorisation pour le courtage en matière de biens-fonds, durée minimum des baux à ferme, procédure de concordat simplifiée, éventuellement avec surveillance de l'entreprise; en outre, les dispositions nécessaires à l'exécution de la loi (désignation des autorités, procédure, protection juridique).

2. Les dispositions les plus importantes du projet de loi sont celles qui règlent le transfert de la propriété immobilière agricole ; le choix du système prévu mérite une attention particulière. Le maintien, pour les actes d'aliénation, de la ratification par l'autorité était, malgré les allégements notables apportés sur ce point aux dispositions de l'ordonnance fondée sur les pouvoirs extraordinaires, vivement critiqué. Dans
plusieurs milieux, il se heurtait même à une opposition catégorique. On reprochait au projet de violer ainsi l'égalité des citoyens devant la loi et de créer un droit de classe incompatible avec nos sentiments ; on croyait aussi voir dans la ratification obligatoire des idées importées de l'étranger.

Arrêtons-nous tout d'abord à ce dernier reproche. D'une manière générale, il serait faux de prétendre que l'évolution du droit dans un pays ne peut et même ne doit pas être influencée par l'étranger. L'histoire nous fournit à ce sujet suffisamment d'exemples. En tout temps, des idées et des conquêtes importantes, dans le domaine de la législation aussi bien que dans d'autres domaines culturels, ont franchi les frontières de leur pays d'origine lorsqu'elles trouvaient aussi ailleurs un terrain favorable,

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par suite de la similitude des conditions et des besoins. La seule chose dont doive se garder le législateur, c'est d'imiter servilement. En prenant modèle sur l'étranger, il devra toujours s'assurer que les idées empruntées sont conciliables avec les conceptions fondamentales en honneur dans son pays et que les circonstances exigent cet emprunt. Il en va ainsi dans le domaine de l'agriculture. L'évolution des législations étrangères -- nous en avons dressé une esquisse plus haut -- permet de constater que, dans ce domaine, beaucoup de pays ont à résoudre des problèmes semblables à ceux qui se posent pour nous. C'est avec raison que M. Oswald, dans l'exposé des motifs du projet, déclare: «II faut donner à ce problème important une solution spécifiquement suisse, une solution répondant à nos conditions économiques particulières et qui soit en accord avec les conceptions juridiques de la majorité du peuple suisse et avec son sens du droit et de la justice ». Ce principe a guidé non seulement le rédacteur de la loi, mais aussi la commission d'experts et nous-mêmes.

Le reproche de violer l'égalité des citoyens devant la loi visait la ratification obligatoire prévue pour les transferts d'immeubles. On déclarait qu'il était non fondé de soumettre précisément les terres agricoles à un régime exceptionnel. Mais ce reproche, lui non plus, n'est pas justifié.

Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, on le sait, exige seulement que, dans des circonstances semblables, les citoyens jouissent du même traitement. Si les circonstances de fait sont essentiellement différentes, une réglementation différente est justifiée; une telle réglementation peut même être nécessaire, car une violation du principe de l'égalité des citoyens devant la loi pourrait précisément consister dans le fait que le même traitement serait appliqué à des situations différentes et que le législateur ne tiendrait pas compte de cette différence. Lorsqu'il y a des raisons objectives d'établir des règles spéciales, ces règles ne sont pas contraires au principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Et s'il est exact que le projet contient des règles spéciales pour le sol agricole, on ne saurait cependant contester sérieusement qu'il y ait, à cela, des raisons objectives. Ces raisons, nous l'avons dit, résident dans la nature
particulière du sol, qui constitue un bien éminemment important, unique, et qui, d'une manière générale, ne peut pas être augmenté. Le législateur ne doit pas négliger le fait que graduellement ce bien a déjà diminué d'une manière sensible et que la paysannerie, qui en dépend pour son existence, représente maintenant moins d'un quart de la population totale du pays. Il y a là un phénomène qui réclame la plus grande attention.

Il faut, si possible, empêcher une aggravation de la situation et veiller à ce que ce sol précieux soit exploité d'une manière rationnelle.

Les personnes occupées dans l'agriculture bénéficieront, certes, aussi de ces efforts du législateur, mais ce n'est point là un motif pour combattre la réglementation envisagée; celle-ci, du reste, créera pour les agriculteurs non seulement clés droits mais aussi des devoirs. Le sol agricole joue en

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effet un rôle spécial et important par le fait qu'il assure l'existence de la famille paysanne, que l'Etat doit avoir à coeur de maintenir. Dans notre rapport du 10 octobre 1944 sur la demande d'initiative pour la famille, nous avons déjà attiré votre attention sur ce point. Nous disions notamment : « La famille paysanne est pour ainsi dire le seul type où toutes les formes communautaires -- de la communauté de production au patrimoine spirituel commun -- soient encore vivantes. Cette unité extraordinaire permet d'apprécier l'importance que revêt, pour le pays, le maintien d'un nombre aussi élevé que possible de familles paysannes saines. Les dangers qui menacent la famille paysanne méritent donc toute notre attention. » (FF 1944, 890.) Et Kaufmann, dans son ouvrage, déjà cité, sur le nouveau droit foncier rural (p. 66s.), relève: «L'existence de la famille paysanne dépend de ses attaches avec le sol C'est a la campagne que la vie de famille peut encore se développer pleinement. Les conditions de vie à la campagne ont déjà pour effet de lier les membres de la famille les uns aux autres plus étroitement qu'à la ville, où chacun se crée, de bonne heure, des intérêts propres. Mais ce qui distingue avant tout la famille paysanne, c'est l'activité professionnelle indépendante, exercée en commun par ses membres sur le domaine ancestral. Tôt déjà, les enfants participent à cette activité. Là où l'exploitation paternelle leur offre des possibilités de travail, beaucoup d'entre eux y restent occupés longtemps après avoir atteint leur majorité. Bien plus encore que dans les autres professions, le sort de la famille dépend ici du succès ou de l'insuccès de l'activité économique de ses membres... La famille paysanne a donc une situation spéciale, car elle doit faire face à des dangers spéciaux. Un droit spécial, répondant à cette situation spéciale, est nécessaire pour la protéger contre ces dangers. » On ne peut que se rallier à de telles considérations.

Nous ne sommes pas du tout les seuls à reconnaître la nécessité de ce droit spécial. Comme nous l'avons indiqué sous chiffre III, il est significatif que la plupart des pays ont établi une législation agricole spéciale. L'introduction de règles particulières pour l'agriculture ne constitue cependant pas une innovation pour notre pays; nous avons déjà institué
celles du droit successoral paysan, dans le code civil, et, plus récemment, celles de la loi sur le désendettement; on n'a pas reproché à ces dispositions spéciales de constituer un droit de classe. Si un tel reproche était fondé, il vaudrait d'ailleurs pour beaucoup d'autres règles; nous pensons en particulier aux dispositions spéciales du code des obligations relatives aux commerçants et au commerce, à la législation régissant les ouvriers de fabrique, les voyageurs de commerce et aux règles concernant des branches entières de l'artisanat ou des entreprises, telles les banques, les caisses d'épargne et les sociétés d'assurances. Dans toutes ces matières, le législateur a jugé possible et même nécessaire, pour tenir compte des besoins particuliers, d'édicter des règles spéciales dont l'application est limitée à chacun des domaines en question.

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3. Bien qu'aucun nootif d'ordre juridique ne s'oppose ainsi à ce qu'on reprenne, dans la législation durable, le système de la ratification obligatoire pour les actes d'aliénation, cette reprise ne peut être recommandée que si elle est nécessaire à l'efficacité de la loi, et dans cette mesure seulement. Il est incontestable, en effet, que ce système constitue une atteinte profonde à la liberté des contrats, règle générale de notre droit privé, et qu'il représente une lourde charge pour les autorités auxquelles est confié l'examen des requêtes. Suivant la manière dont les conditions de la ratification sont décrites, l'application de ce système peut en outre présenter des difficultés, comme le prouvent les critiques adressées à l'arrêté du Conseil fédéral du 19 janvier 1940. Ces critiques, il est vrai, visent surtout les nombreux dépassements de la limite de prix par des paiements illicites ; puisqu'on a prévu d'emblée, pour la législation durable, de ne pas fixer comme condition générale de la ratification le paiement d'un prix déterminé, il n'y aurait donc désormais pas lieu d'avoir de craintes à ce sujet.

On a recommandé ici et là -- notamment dans certains milieux paysans -- de remplacer le système de la ratification obligatoire par un droit de retrait élargi, c'est-à-dire par la faculté accordée à certaines personnes de revendiquer un bien-fonds vendu par son propriétaire à un tiers et de prendre la place de l'acheteur. H s'agit donc d'un droit légal de préemption. Ce droit permet aussi, dans une certaine mesure, d'atteindre les buts que nous poursuivons avec le droit foncier agricole. Si le droit de retrait est accordé aux plus proches parents, il sert en effet à cette protection de la famille paysanne dont ü a été question précédemment. En vue d'assurer une exploitation aussi bonne et durable que possible, le droit de retrait peut aussi être reconnu, tout d'abord, à un fermier capable, dont l'exploitation a duré plusieurs années, puis, à certaines conditions, à de tierces personnes qui veulent exploiter elles-mêmes le domaine. Ainsi réglé, le droit de retrait peut assurément, jusqu'à un certain point, remplacer la ratification obligatoire s'il n'est pas possible de la maintenir. Certes, ce droit n'est pas aussi efficace que l'institution précitée, pour cette raison déjà qu'il est toujours
loisible aux titulaires du droit de retrait de l'exercer ou non, tandis que la ratification obligatoire assure le contrôle de l'autorité sur chaque vente, l'acte ne pouvant être parfait sans la ratification. En revanche le droit de retrait s'accorde mieux que la ratification obligatoire avec notre régime du droit privé, précisément parce que -- abstraction faite des décisions judiciaires en cas de litiges -- il permet d'éviter que l'autorité n'intervienne dans chaque cas.

Du reste, les deux systèmes ne s'excluent pas; le législateur n'a pas seulement le choix entre l'un ou l'autre. L'importance du droit de retrait diminue en revanche, s'il est combiné avec la ratification obligatoire ; inversement, un droit de retrait très étendu peut rendre superflue cette dernière. Il y a cependant aussi une solution moyenne, Si l'on estime en

effet que maintenir la ratification obligatoire va trop loin, on peut laisser la faculté d'introduire ce système aux cantons qui le considèrent comme indispensable pour leur territoire. Le fait que, suivant les cantons, des mesures de protection sont plus ou moins nécessaires en matière de transfert des biens-fonds agricoles, dispose en faveur de cette solution; pour prendre leur décision, les cantons pourraient, du reste, aussi tenir compte des expériences faites avec l'actuel arrêté du Conseil fédéral. Si on laisse aux cantons la faculté d'appliquer le système de la ratification obligatoire, U se justifie parfaitement de prévoir et de régler le droit de retrait par des dispositions fédérales.

4. Vu cette situation et les objections sérieuses présentées contre l'imposition du système de la ratification obligatoire, nous avons décidé de recommander la solution intermédiaire. Nous proposons par conséquent de renoncer à introduire sur le plan fédéral la ratification obligatoire, mais en autorisant les cantons à le faire sur le plan cantonal (art. 44 du projet). Il est possible de donner une telle compétence aux cantons, qui ne pourraient, sans porter atteinte au droit fédéral, soumettre d'eux-mêmes à une ratification de l'autorité les contrats de vente portant sur des biensfonds. L'exercice de cette compétence peut avoir pour effet de créer une situation juridique différente de canton à canton de même que la situation de fait n'est pas la même dans les cantons. Mais il n'y a pas à craindre de difficultés d'ordre pratique. La solution proposée a ensuite l'avantage de ne pas étendre, plus qu'il ne paraît vraiment nécessaire, sur le plan fédéral une mesure sévère.

Le projet, tout en accordant aux cantons la possibilité d'instituer le système de la ratification obligatoire, prévoit un droit de retrait applicable dans tout le pays (art. 7 s.). Nous espérons qu'il sera ainsi possible de protéger efficacement, mais par des mesures acceptables, les terres agricoles contre la spéculation et une utilisation non conforme à leur destination.

5. Quant à la place à donner au droit foncier dans notre système juridique, on pourrait estimer que le projet doit se présenter comme une revision partielle du code civil, puisque les dispositions de ce code relatives aux droits réels comprennent les règles sur le droit
foncier en général et que ces règles doivent subir maintenant certaines modifications. Une telle manière de faire n'est toutefois pas recommandable, pour deux raisons.

La première de ces raisons est que le droit des obligations et le droit de poursuite sont aussi touchés par le projet et que les chapitres généraux de ce projet ne peuvent pas être facilement incorporés à l'une des lois précitées. La seconde raison est que le projet ne constitue pas du tout une revision proprement dite de ces lois, une revision leur donnant un contenu nouveau. Il s'agit au contraire d'établir pour l'agriculture des dispositions spéciales qui dérogent au droit commun mais laissent subsister pour le reste les règles du code civil, du code des obligations et de la loi

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sur la poursuite. Dans ces conditions, l'adoption d'une loi spéciale est,.

sans aucun doute, la solution qui s'impose.

VI. La base constitutionnelle.

Le projet de loi se fonde sur les articles 31 bis et 64 de la constitution.

L'un des articles économiques revisés, l'article 31 bis, 3e alinéa, lettre 6, permet de prendre en faveur de l'agriculture des mesurée législatives très étendues. Selon cette disposition, la Confédération a le droit, lorsque l'intérêt général le justifie, et en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions pour conserver une forte population paysanne, assurer la productivité de l'agriculture et consolider la propriété rurale. Si cette disposition constitutionnelle doit en premier lieu servir de base à la loi qui réglera les problèmes économiques de l'agriculture, elle n'est pas sans importance cependant pour le présent projet; elle met fin à toute discussion possible sur la question de savoir si certaines des dispositions du projet sont conformes ou non à la constitution.

L'article 31 bis, 2e alinéa, déclare que la Confédération a le droit d'édicter des prescriptions sur l'exercice du commerce et de l'industrie. Cette disposition sert de base au chapitre III du projet qui traite du courtage en matière de biens-fonds (art. 17 à 20), exercé à titre professionnel et visé par conséquent par l'article 31 bis.

Selon l'article 64 enfin, la Confédération a le droit de légiférer sur toutes les matières de droit civil, ainsi que sur le droit de poursuite. L'article 64 est le fondement de nos grandes lois de droit privé. Il peut donc aussi servir de base aux règles spéciales de droit réel et de droit des obligations prévues pour le sol agricole. Ces règles sont celles du droit de retrait (art. 7 à 16), de l'affermage (art. 21 à 24) et des mesures de protection contre des réalisations forcées nuisibles à l'économie (art. 25 à 40), et aussi celles qui figurent dans le chapitre sur le transfert des immeubles agricoles (art. 44).

Quant à ces dernières, on a prétendu qu'elles sortent des limites de l'article 64 de la constitution, car elles touchent à la notion même de la propriété. La société suisse des juristes a discuté cette question, mais sans arriver à une conclusion nette, lors de la réunion tenue en 1945, au cours
de laquelle elle a examiné « les problèmes actuels de la législation agricole » (voir les rapports de MM. Franz Jenny et Louis Guisan, publiés dans les actes de la société suisse des juristes 1945, p. 219« s., ainsi que le procèsverbal de l'assemblée annuelle de Baden, p. 444« s., en particulier p. 461 a s.). Les critiques, il est vrai, visaient la ratification obligatoire imposée sur le plan fédéral. Si ces critiques devaient cependant être reconnues fondées, elles pourraient aussi s'appliquer à l'institution de la ratification obligatoire, décrétée par les cantons sur la base d'une compétence accordée par le droit

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fédéral. Il est par conséquent nécessaire d'examiner de plus près les critiques en question.

Notre ordre juridique reconnaît et protège la propriété privée. Il admet, en général, le droit du propriétaire de disposer librement de sa chose, de contracter des engagements à ce sujet et de s'en délier. A vrai dire, la constitution fédérale, à la différence de nombreuses constitutions cantonales, ne proclame pas expressément le principe de la garantie de la propriété; ce principe n'en est pas moins indiscuté. On fait valoir maintenant que restreindre la possibilité du propriétaire foncier d'aliéner sa terre à un acquéreur agréé par lui, c'est porter atteinte à la notion de la propriété.

Cette notion, déclare-t-on, est ainsi vidée de son sens; un des piliers de notre droit privé est ébranlé. Une telle atteinte, ajoute-t-on, ne serait par conséquent licite que si une revision de la constitution en donnait la faculté au législateur.

Le droit privé confère au propriétaire la libre disposition de la choseMais cette libre disposition n'est pas illimitée; l'ordre juridique ne le permet pas. An libre exercice des droits de l'individu s'oppose la liberté correspondante des autres individus, qui bénéficient de la même protectionDés égards réciproques sont donc indispensables, si la liberté ne doit pas mener à des conflits perpétuels et dégénérer en désordre. En droit privé, la propriété trouve donc déjà ses limites naturelles dans le droit des autres (par exemple dans les droits de voisinage). A cela s'ajoutent les restrictions du droit de disposer qu'imposé l'intérêt public, restrictions qui, peu à peu, sont devenues plus nombreuses et plus graves. L'article 702 du code civil réserve expressément de telles restrictions. H incombe à la législation de fixer en détail ces restrictions, qu'elles soient de droit privé ou de droit public. Ainsi la propriété a certaines limites, et dans ces limites seulement elle peut bénéficier de la protection de la constitution; pour la constitution, la propriété existe seulement dans la mesure établie par la législation et avec les restrictions qu'elle y apporte. (Burckhardt, Kommentar zur Bundesverfassung, 3e édition, p. 783 s.) Il ne pourrait être question d'une violation de la constitution que si le législateur voulait restreindre l'exercice du droit de propriété d'une manière
telle que la propriété, considérée comme droit exclusif sur la chose, serait annihilée et qu'il appartiendrait en définitive à l'Etat et non plus au propriétaire de disposer de la chose.

Les dispositions du projet sur le transfert des immeubles agricoles ne vont cependant pas aussi loin. Tout d'abord, elles ne portent pas atteinte à la situation du propriétaire aussi longtemps qu'il reste propriétaire.

S'écartant des avant-projets, elles renoncent à imposer d'une manière générale au propriétaire de terres agricoles l'obligation de les exploiter.

En revanche, dès que le propriétaire veut se défaire de son droit de propriété, il n'est plus libre. L'autorité procède à un examen. Cet examen peut aboutir au refus de ratifier la vente faite à l'amateur qui se présente,.

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lorsque cette vente aurait pour l'économie des conséquences par trop préjudiciables.

Sans doute voit-on intervenir ici, a nouveau, des considérations de droit public dans ce domaine du droit privé que constitue la propriété.

Mais cette évolution est propre à notre époque, et il est de la nature des choses que la propriété immobilière soit soumise à plus de restrictions que la propriété mobilière, car le sol touche de beaucoup plus près à. l'intérêt public que ces biens mobiliers et revêt une beaucoup plus grande importance pour la collectivité. Nous avons indiqué précédemment pourquoi, aujourd'hui, l'intérêt public qui s'attache au sol cultivable est plus grand que jamais.

Cependant, on ne peut guère soutenir que les mesures envisagées soient inconciliables avec la reconnaissance d'une propriété immobilière de droit privé. Il s'agit en définitive d'une question de mesure. Personne n'a pris ombrage du fait que l'article 218 du code des obligations, dans la teneur donnée par l'article 95 de la loi sur le désendettement, prévoit que le propriétaire est tenu de garder un immeuble agricole durant six ans au moins, si les autorités compétentes ne permettent pas, à titre exceptionnel, une aliénation anticipée. Cette disposition se fonde, elle aussi, sur l'article 64 de la constitution. En assignant au propriétaire qui veut aliéner ses terres un acheteur différent, lui impose-t-on vraiment une restriction plus pénible à supporter qu'en l'empêchant de revendre pendant plusieurs années ?

Et comment les droits de retrait, fréquents dans l'ancien droit cantonal, étaient-ils compatibles avec une notion de la propriété tout aussi ferme qu'à l'heure actuelle ? Lors de l'élaboration du code civil suisse, on estimait encore que la propriété foncière relevait avant tout du droit privé, et c'est pourquoi les droits réels laissent une grande place à la liberté des contrats; des conséquences néfastes montrent clairement la nécessité de revenir à un régime un peu plus strict. La communauté ne doit-elle avoir que le droit de prescrire des distances suffisantes pour les constructions, de prendre les dispositions nécessaires pour éviter les incendies et d'arrêter d'autres mesures d'ordre et de sécurité ? Doit-elle rester désarmée en face de situations ou de changements qui, du point de vue de l'intérêt général, sont
incomparablement plus importants ? On peut difficilement admettre ·que telle soit la portée d'une garantie non exprimée de la propriété ou la conséquence d'une liberté de disposer et de contracter qui a déjà subi nombre de restrictions dans le code des obligations en vigueur.

On a aussi prétendu qu'il était contraire au principe de la liberté du commerce et de l'industrie d'exiger, pour la vente d'un bien-fonds, la ratification de l'autorité; ce reproche est devenu caduc, vu l'article 31 bis 3e alinéa, de la constitution ; si l'on devait voir, dans la ratification demandée, une limitation du droit individuel précité, le nouvel article constitutionnel permettrait cette limitation.

C'est pourquoi nous arrivons à la conclusion que la réglementation prévue dans le projet trouve son fondement dans la constitution actuelle.

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Dans cet ordre d'idées, nous mentionnerons enfin la «demande d'initiative visant la protection du sòl et du travail par des mesures contre la spéculation », déposée le 1er juillet 1943 à la chancellerie fédérale par le mouvement national des jeunes paysans suisses. Cette demande, appuyée par 54 698 signatures, nous a été transmise par les conseils législatifs pour rapport. Elle tend à introduire dans la constitution un article ainsi conçu : La Confédération prend, avec le concours des cantons, les mesures nécessaires pour soustraire à la spéculation le sol utilisable.

Ces mesures tendront en particulier aux buts suivants: Le sol cultivable ne doit pouvoir être acquis que par celui qui le cultivera lui-même pour assurer son existence. Les dérogations seront réglées par la législation.

Le sol cultivable sera protégé contre le surendettement.

La spéculation immobilière pratiquée à des fina commerciales ou en vue de la construction sera empêchée.

Le premier alinéa de ce texte se rapporte d'une manière générale au sol utilisable, les deux suivants au sol cultivable et le dernier à la propriété immobilière servant à des fins commerciales ou à des constructions. Comme nous l'avons déjà indiqué, le principe énoncé au deuxième alinéa sort du but que se propose notre projet de loi; quant à la protection contre le surendettement, en tant que le législateur peut l'assurer, elle est déjà réalisée par la limite de charge prévue dans les arrêtés pris en vertu des pouvoirs extraordinaires et dans la loi sur le désendettement. Pour les deux ordres de mesures, nous estimons -- comme nous l'avons déjà dit dans ce chapitre -- qu'il n'est pas nécessaire de créer une nouvelle base constitutionnelle.

B. COMMENTAIRE DES DISPOSITIONS DU PROJET TITRE ET PRÉAMBULE II n'est pas très facile de trouver un titre indiquant d'une manière très concise et précise le but de la loi et son contenu. Nous vous proposons d'user de l'expression « maintien de la propriété foncière rurale ». Le terme « propriété foncière » est employé ici moins dans son sens purement juridique que dans celui que lui prête le langage courant. Il ne se rapporte notamment pas aux seuls propriétaires, mais vise aussi les fermiers et les usufruitiers de terres agricoles. La loi entend renforcer les attaches saines et naturelles qui lient le paysan à la terre. Jusqu'à un certain point, les mesures de protection prévues pour les terres ont donc aussi un effet sur les personnes qui les possèdent et les cultivent. L'intervention du législateur et la nature des mesures qu'il prend restent déterminées par sa sollicitude pour le sol cultivable.

Nous nous sommes déjà exprimés sur les articles constitutionnels mentionnés dans le préambule du projet. Peut-être pourrait-on examiner

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encore ce point: L'article premier du projet indique, en se servant d'une formule générale, le but que poursuit la loi. Si l'insertion d'un article spécial à ce sujet devait paraître inutile, il serait permis d'envisager de faire figurer le texte de l'article premier dans le préambule.

CHAPITRE

PREMIER

DISPOSITIONS GËNÉKALES Le chapitre premier a seulement quelques articles qui indiquent le but de la loi, touchent ensuite à la question de la compensation en nature et déterminent enfin le champ d'application des dispositions.

7. Le but de la loi. L'article premier en donne une définition générale, en quatre propositions. Avant tout, la propriété foncière rurale doit être protégée parce qu'elle est le fondement d'une paysannerie saine et à la hauteur de sa tâche; on précise ainsi que la prospérité de la population agricole est inséparable d'une bonne politique agraire. Pour cela, il s'agit de favoriser la constitution et le maintien d'entreprises agricoles, d'encourager l'utilisation du sol et d'affermir le lien qui existe entre la famille et le domaine.

Il n'est pas usuel d'insérer dans le texte d'une loi un article spécial pour indiquer le but qu'elle poursuit; on laisse plutôt ce soin au message qui accompagne le projet et à l'interprétation. Un article-programme peut néanmoins avoir sa raison d'être, surtout dans une loi spéciale dont les dispositions dérogent aux règles générales et s'appliquent à une catégorie déterminée de personnes ou de choses. L'article premier du projet, tel que nous le proposons, fait apparaître tout spécialement ce caractère de la loi; il peut être utile pour l'interprétation d'autres articles.

Les avant-projets prévoyaient en outre que le propriétaire d'immeubles agricoles était tenu de cultiver ces terres, de ne pas les laisser en friche.

Du point de vue de l'économie, on pourrait justifier l'insertion d'une telle prescription, du reste conforme au but de la loi. Signalons, à ce sujet, dans la constitution de Weimar, l'article 153, qui garantit la propriété et la limite, mais dont le troisième alinéa déclare ce qui suit : « La propriété oblige. Son usage doit être en même temps un service rendu à l'intérêt général. » Nous avons cependant renoncé à prévoir une obligation générale d'exploiter les terres agricoles. Pour qu'une telle obligation ne reste pas un voeu pie ou un appel à la compréhension du propriétaire, il faudrait instaurer des sanctions et celles-ci ne seraient guère faciles à déterminer.

La règle en question n'aurait, du reste, pas une grande portée pratique, car l'intérêt du propriétaire garantit de la façon la plus sûre qu'il ne laissera pas ses
terres en friche. Dans des cas spéciaux de terres mal exploitées, on aura la possibilité d'intervenir par l'institution d'une surveillance de l'entreprise, conformément aux articles 35 et suivants du projet.

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//. La compensation en nature. Depuis longtemps, les milieux préoccupés par le sort de l'agriculture demandent que le sol productif de notre pays -- déjà très limité --- ne soit pas diminué davantage. Ils voudraient, par conséquent, qu'une compensation en nature fût fournie lorsque les terrains agricoles sont soustraits à leur destination. On réclame, dans ce sens, un plan d'aménagement national ou régional qui doit permettre de maintenir la superficie productive encore existante. Mais les difficultés qui s'opposent à la réalisation de l'idée de la compensation en nature sautent aux yeux. Le sol productif dont dispose notre pays est en effet demandé non seulement par l'agriculture, mais encore pour nombre d'autres buts importants que l'on ne peut simplement ignorer. Ce sont notamment l'extension des villes et le besoin de logements pour une population qui va augmentant, la création d'installations industrielles, l'établissement et les corrections de routes et d'autres voies de communication qui ont, au cours des temps, diminué l'aire productive de notre pays. Ces affectations sont aussi conformes à l'intérêt du pays et doivent, du moins dans une certaine mesure, pouvoir se faire, II ne faut donc pas s'étonner que l'idée de la compensation en nature se heurte à une forte opposition. Pour les forêts, le principe de la compensation est, à vrai dire, reconnu. Il est consacré par l'article 31 de la loi du 11 octobre 1902 sur la police des forêts, qui dispose que l'aire forestière ne doit pas être diminuée et que les défrichements sont soumis à une autorisation de l'autorité.

A l'article 2, le projet se borne à mentionner la compensation en nature en cas d'actes d'aliénation comme un principe général qui doit être observé « dans la mesure du possible », les cantons étant libres de l'appliquer et d'en fixer les modalités. Les cantons doivent donc, en premier lieu, décider s'ils entendent déclarer ce principe applicable et, dans l'affirmative, de quelle manière la compensation peut ou doit se faire. La solution proposée se justifie. En effet, il ne sera certes pas toujours facile, en cas de disparition de terres productives, de trouver une compensation sur le territoire de la même commune. Le problème ne pourra par conséquent, dans ce cas-là, trouver sa solution que dans un rayon plus vaste. Du reste,
il est d'importance secondaire que les nouvelles terres cultivables puissent être trouvées à une distance plus ou moins grande; l'intérêt du pays, c'est que la plus grande surface possible de terres soit améliorée ou rendue cultivable. Pour éviter des conflits entre cantons, il faut cependant prévoir que le Conseil fédéral pourra statuer dans les cas où plusieurs cantons seront intéressés dans une question de compensation, Nous ne croyons pas pouvoir actuellement aller plus loin, en ce qui concerne cette question délicate. Peut-être l'avenir apportera-t-il une solution plus efficace. H est en tout cas certain que, même largement appliquée, la compensation en nature prévue à l'article 2 du projet ne gênerait aucunement un vaste plan d'aménagement national ou régional

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et qu'au contraire, elle servirait ce plan en conservant temporairement à l'agriculture le plus possible de terres cultivables ; il est en tout temps possible d'affecter des terres agricoles à d'autres buts, mais il est moins facile de regagner pour l'agriculture des terrains bâtis (pour les questions · de droit concernant le plan d'aménagement national et régional, voir d'ailleurs les actes de la société suisse des juristes de 1947, p. 171 a s.).

III. Le champ d'application de la loi est déterminé par ses articles 3 à 6.

L'article 3 règle l'application normale selon le droit fédéral, en précisant que-la loi s'applique aux: biens-fonds affectés exclusivement ou principalement à l'agriculture. La loi sur le désendettement parle aussi de « domaines » ; il s'agit là d'une notion économique (voir l'art. 1er de la loi sur le désendettement et les art. 1 à 3 de l'ordonnance sur le désendettement de domaines agricoles). C'est à juste titre que la loi précitée a une terminologie différente^ car elle vise précisément le désendettement de domaines agricoles, considérés comme unités économiques. Dans notre projet, au contraire, ce sont les biens-fonds agricoles comme tels qui sont au premier plan. Ont aussi ce caractère, conformément à l'article 655 du code civil, les droits distincts et permanents immatriculés au registre foncier (ainsi les droits de superficie, les droits à une source, les droits d'eau), qui peuvent jouer un rôle important également dans l'agriculture. Quant aux forêts, là loi ne leur est applicable que si elles font partie d'ime entreprise agricole. Sont donc exclues les forêts représentant une exploitation sylvicole, forêts qui, eri fait, ne peuvent être considérées comme immeubles agricoles et auxquelles les dispositions du projet ne conviendraient pas.

Quant aux terres affectées à l'agriculture, il est des cas où l'application de la loi ne se justifierait pas ou pas toujours. Les besoins peuvent varier à cet égard. C'est pourquoi le projet autorise les cantons à prévoir des exceptions générales, pour les biens-fonds urbains ou situés dans des localités à caractère urbain (art. 4), pour les parcelles isolées qui ne font pas partie intégrante d'une entreprise agricole et sont utilisées indépendamment d'elle (art. 5) et enfin pour les droits de jouissance sur les allmends, alpages,
forêts ou pâturages, si ces droits appartiennent à des sociétés d'allmends, à des consortages d'alpages ou de forêts ou à d'autres collectivités semblables. D'autres considérations sont en effet valables pour de tels droits (art. 6). A vrai dire, l'applicabilité de la loi pourrait aussi être avantageuse pour ces droits d'allmends ou d'alpages, qui sont souvent très recherches et qu'on accapare parfois au détriment des paysans de la montagne. En vertu de l'article 59, 3e alinéa, du code civil, les droits en question sont toutefois régis par le droit cantonal, qui est très divers et marque notamment des différences quant au mode du transfert. C'est pourquoi les cantons doivent pouvoir trancher la question de l'applicabilité de la loi, en tenant compte de leurs circonstances particulières, et, le cas échéant, compléter les prescriptions fédérales ou y déroger.

Comment devra-t-on déterminer, dans un cas particulier (notamment

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dans le cas d'un transfert de propriété), si la loi s'applique ou non ? Le projet a renoncé à prévoir une procédure spéciale d'assujettissement analogue à celle qui est instituée par les articles 2 à 4 de la loi sur le désendettement. Les avant-projets prévoyaient une telle procédure, mais on l'a finalement laissée de côté, car elle ne paraissait pas nécessaire. H faut cependant que l'applicabilité de la loi puisse être clairement établie. Voilà pourquoi, selon l'article 3, 3e alinéa, quiconque justifie d'un intérêt a le droit de faire constater par l'autorité compétente désignée par le canton (art. 41) si la loi est applicable ou-non dans un cas particulier. Ont un intérêt au sens de la loi, le propriétaire en premier lieu, puis quiconque veut acheter un immeuble, et, d'une manière générale, toute personne en mesure d'établir qu'elle doit être au clair sur l'applicabilité de la loi dans un cas déterminé.

CHAPITRE

DEUXIEME

DROIT DE RETRAIT SUR LES BIENS-FONDS AGRICOLES I. Dans les articles 7 à 15, le projet reprend une institution juridique autrefois très répandue et qui s'est maintenue longtemps dans les cantons suisses, en partie même jusqu'à l'entrée en vigueur du code civil: le droit de retrait. Comme nous l'avons dit, on entend par là la faculté que la loi reconnaît à certaines personnes de revendiquer un bien-fonds vendu par son propriétaire à un tiers et de prendre la place de l'acheteur. Cette sorte de droit légal de préemption, nous la retrouvons dans nombre d'anciennes dispositions de la Suisse orientale et occidentale, le plus souvent réglée très en détail (voir à ce sujet Eugène Huber, System und Geschichte des Schweiz, Privatrechts, vol III p. 265, vol. IV p. 717 s,, en particulier p. 719, 721, 728). Elle apparaît surtout sous deux formes, d'une part, : comme droit de préemption des indigènes en cas de vente d'un bienfonds à un étranger, d'autre part, comme institution en faveur de parents plus ou moins proches du vendeur (ainsi, p. ex. l'ancien code civil bernois de 1824, §§ 819 à 833, restés en vigueur jusqu'à fin 1911). Dans les deux formes indiquées, cette institution marque une tendance conservatrice, puisqu'elle vise à conserver la propriété foncière à la famille ou du moins aux gens du pays. Elle n'a pas pu, il est vrai, résister partout à l'évolution, et on l'a souvent considérée comme désuète, notamment sous l'influence des idées répandues par la Révolution française. Sous la République helvétique, le droit de retrait fut supprimé, mais il reprit vie plus tard dans certains cantons. Là aussi, il a disparu avec l'entrée en vigueur du code civil (sous réserve du droit de préemption du copropriétaire selon l'article 682).

Les expériences faites au cours des dernières décennies sur le marché des biens-fonds agricoles permettent de se demander si le législateur fédéral n'a pas adopté ici une solution trop radicale, en renonçant à une institution, juridique qui, aujourd'hui encore ou aujourd'hui de nouveau, dans une plus

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large mesure, peut avoir de bons effets. L'article 1er du projet compte au nombre des buts de la loi le renforcement du lien qui existe entre la famille et le domaine. Or la réintroduction du droit de retrait en faveur des parents est tout particulièrement propre à permettre ce résultat. Ce serait aussi une façon de soutenir, dans le domaine de l'agriculture, l'oeuvre de la protection de la famille, telle qu'elle est prévue par le nouvel article 34 quinquies de la constitution. Le législateur ne doit pas craindre de reprendre des idées anciennes, que l'on croyait dépassées, si des difficultés et des dangers visibles justifient de les faire revivre. Nous croyons donc pouvoir vous proposer .d'accepter la disposition en question.

II. Quant au champ d'application du droit de retrait que nous prévoyons, il y a lieu de relever que ce droit doit pouvoir être exercé, en général, lors de toute vente portant sur un bien-fonds assujetti à la loi en vertu des articles 3 à 5. Le droit de retrait s'étend aussi au cheptel vendu avec le bien-fonds, pourvu qu'un prix global ait été fixé pour le tout (art. 7, 3e al.).

Pour empêcher des manoeuvres tendant à éluder la loi, le projet assimile à la vente la cession et les enchères publiques volontaires; il en va autrement, cela va sans dire, des enchères forcées et de l'expropriation pour cause d'utilité publique (art. 7, 1er et 4e alinéa).

De son côté, l'article 11 soustrait au droit de retrait certains cas où la loi ne veut limiter en rien la liberté de vendre : a. Actes juridiques portant sur des parcelles de moins de 10 ares et servant à arrondir un domaine. En règle générale, une opération de cette nature vise à faciliter une exploitation rationnelle et ne doit pas être entravée sans nécessité. Il faut cependant veiller à ce que par l'achat répété de petites parcelles on ne puisse, sous prétexte d'arrondir un domaine, transférer graduellement des biens-fonds d'une certaine étendue ou des domaines entiers, en éludant ainsi le droit de retrait ; c'est pourquoi la dispense prévue est subordonnée à la condition qu'aucun acte de ce genre n'ait été conclu entre les mêmes parties au cours des cinq années précédentes.

b. Vente de biens-fonds à un acquéreur se proposant de bâtir ou d'utiliser le sol à des fins artisanales ou industrielles. Cette vente constitue une
exception importante, de caractère général. Une loi sur le droit foncier agricole doit respecter une pareille affectation si on veut qu'elle tienne compte des différents intérêts en jeu et n'empêche pas des constructions nécessaires. La disposition en question concerne notamment les achats à l'amiable de terrains faits en vue d'établir des ouvrages destinés à la production d'énergie électrique et les installations qui en font partie. Ces ouvrages sont si importants, voire si indispensables du point de vue de l'économie générale, qu'ils doivent être considérés comme ayant leur raison d'être, même s'ils ont pour effet de diminuer les terres affectées à l'agriculture.

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c. Actes juridiques portant sur plusieurs biens-fonds faisant partie d'une entreprise mixte où domine le caractère non agricole. Il s'agit, là aussi, d'exceptions générales. Le projet vise ici des cas-limites, dans lesquels on pourrait se demander si la loi doit s'appliquer. Nous pensons aux hôpitaux, hôtels, domaines de maîtres et autres propriétés semblables qui, comme cela se soit fréquemment chez nous, possèdent une exploitation agricole. Les parcelles agricoles de ces entreprises mixtes doivent pouvoir être aliénées librement.

///. Titulaires du droit de retrait. Le.projet prévoit trois groupes successifs de titulaires, les membres d'un groupe ne pouvant invoquer le droit de retrait que si aucun membre du groupe précédent ne l'exerce. Selon l'article 7, 1er alinéa, ce droit ne peut en outre être invoqué que si le titulaire veut exploiter le bien lui-même, en paraît capable et offre des garanties suffisantes pour le paiement du prix de vente. Les deux premières conditions découlent du but auquel tend le droit de retrait, tandis que la troisième vise à protéger le vendeur contre un risque qu'il serait injuste de lui faire courir. Voici dans quel ordre le droit de retrait peut être invoqué : 1. En premier lieu viennent les proches parents du vendeur, soit les descendants, les frères et soeurs et leurs descendants, le conjoint et les père et mère (art. 8, 1er al.). Puisqu'il s'agit de maintenir le domaine dans la famille, ce cercle de personnes paraît suffisamment étendu; on dépasserait le but en étendant le droit de retrait à tous les héritiers légaux.

Les parents en question ont ainsi, de par la loi, un droit de retrait.

L'article 8, 2e alinéa, reconnaît ce droit d'une manière moins nette aussi aux personnes qui, sans avoir de parenté avec le vendeur, se trouvent^ envers lui ou du moins envers le bien-fonds vendu dans des rapports spéciaux, de sorte qu'elles méritent d'avoir le pas sur un acheteur quelconque.

Le projet désigne notamment le fils adoptif, le garçon confié aux soins du vendeur, le filleul. Cette disposition reflète l'idée de la protection de la famille dans un sens large. Ces rapports ne doivent, il est vrai, pas faire naître ex lege un droit au retrait. Le juge doit, au contraire, avoir la faculté de décider librement et en tenant compte des circonstances si le droit de retrait
doit être reconnu ou non, quand une personne le demande en se fondant sur cette disposition et que le droit lui est contesté.

2. En deuxième lieu vient, selon l'article 9, le fermier qui a exploité pendant plusieurs années le bien-fonds vendu. Il est tout à fait normal que ce fermier ait la priorité sur un acheteur quelconque. Le projet renonce à fixer une durée minimum du bail comme condition du droit de retrait; une disposition dans ce sens serait nécessairement arbitraire et même dangereuse pour le fermier, car elle pourrait pousser le bailleur à donner congé au preneur peu avant que soit atteinte la durée d'affermage requise.

Ici aussi, il appartiendra au juge de décider en cas de contestation; dans Feuille fédérale. 100e année. Vol. I.

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ces cas-là, il tiendra compte en particulier de l'activité du fermier et examinera aussi si l'acheteur entend exploiter lui-même le bien.

3. Ainsi les parents et le fermier seront, d'une façon générale, les seules personnes bénéficiant du droit de retrait. L'article 10 mentionne cependant encore le cas où l'acheteur est déjà propriétaire de biens-fonds agricoles assurant à une famille une situation matérielle suffisante. A cette condition, mais à cette condition seulement, on devra aussi permettre le retrait à des tiers qui n'avaient, jusqu'ici, aucune attache avec le vendeur ou le bien-fonds vendu, pourvu qu'ils entendent exploiter eux-mêmes et remplissent les autres conditions de l'article 7, 1er alinéa. Cette disposition tend à favoriser l'existence d'exploitants indépendants; étant donnés les buts que vise la loi dans son ensemble, il s'agit là d'une tâche qui doit passer avant la constitution de grandes entreprises ou la réunion, en mains d'un seul agriculteur, de plusieurs domaines ruraux indépendants.

4. Tant dans le groupe des parents (art. 8) que dans celui des tiers (art. 10) il peut y avoir plusieurs ayants droit. C'est pourquoi l'article 12 fixe l'ordre des titulaires. Pour les parents, il s'agit d'une règle imperative (2e et 3e al.); pour les tiers, le juge doit décider quand les intéressés ne peuvent s'entendre entre eux. Il en est de même lorsque l'acheteur est, lui aussi, titulaire du droit de retrait (1er al.). Est réservé le cas visé à l'article Q2lter du code civil (texte de la loi sur le désendettement) suivant lequel l'entreprise agricole peut être partagée en plusieurs exploitations viables si elle s'y prête en raison de son étendue et de sa nature; ainsi plusieurs titulaires du droit peuvent l'exercer en même temps, l'objet étant partagé en conséquence (4e al.).

IV. La disposition concernant le prix de rachat auquel le titulaire du droit de retrait peut reprendre le bien-fonds vendu est importante (art. 13).

Il faut faire à ce sujet une distinction entre les parents et les autres ayants droit. Les parents font partie du cercle des héritiers légaux du vendeur.

Le droit de préemption tend précisément à maintenir le domaine dans la famille, comme ce serait le cas, en vertu du droit de succession, si le propriétaire ne vendait pas le domaine. Il paraît par conséquent indiqué
d'appliquer ici aussi, en ce qui concerne le prix de rachat, les principes du droit successoral paysan. Autrement dit, il paraît indiqué, conformément à l'article 620 du code civil, de fixer ce prix à la valeur d'estimation déterminée selon la loi sur le désendettement (art. 6 : valeur de rendement augmentée, s'il y a lieu, d'un supplément de 25% au maximum). Cette solution est appropriée à la situation de ce groupe de titulaires envers le vendeur qui est leur parent et au but auquel tend dans ce cas l'octroi du droit de retrait. En revanche, il n'y a aucun motif d'accorder cet avantage aux personnes qui invoquent le droit de retrait sans être parentes ni héritières du vendeur. Ces personnes, il est vrai, ne seront pas tenues de payer dans chaque cas le prix, peut-être excessif, convenu entre le vendeur

59 et l'acheteur (prix d'amateur); elles pourront reprendre le bien-fonds à la valeur vénale. Cette règle est équitable même pour le vendeur.

L'article 13, 2e alinéa, vise un cas spécial. Si des parents, qui n'invoquent pas le droit de retrait, ont fourni une aide pécuniaire au propriétaire d'un domaine, lui permettant peut-être ainsi de reprendre le domaine ou de le garder, ils doivent, si possible, en cas de vente, recevoir l'équivalent de leurs avances, puisque la condition à laquelle ils ont aidé leur parent disparaît. C'est pourquoi, en pareil cas, le juge doit pouvoir augmenter équitablement la valeur d'estimation.

L'article 13, 4e alinéa, en reprenant la règle de l'article 619 du code civil, permet aux autres titulaires du droit de retrait de réclamer, le cas échéant, leur part du gain, en cas d'aliénation de l'immeuble acquis par retrait.

V. L'exercice du droit de retrait suppose que les ayants droit ont eu connaissance de la conclusion de la vente. C'est pourquoi l'article 14 oblige la personne qui dresse l'acte autenthique à rechercher s'il existe des parents titulaires du droit de retrait, ou un fermier, et à remettre au conservateur du registre foncier la liste de ces personnes. De son côté, le conservateur doit aviser les personnes en question dès qu'il a été requis d'inscrire la vente.

Il est plus difficile d'atteindre les personnes qui peuvent demander le retrait en vertu de l'article 10; on ne sait même pas s'il en existe. Le seul moyen de les informer est, par conséquent, de recourir à la publication de la conclusion du contrat. C'est là un moyen qui paraît quelque peu incommode, mais dont on ne peut se passer. Certains cantons, du reste, ont déjà prévu la publication des transferts de la propriété sur les biens-fonds; cette disposition ne sera donc pas nouvelle pour eux. Il appartiendra aux cantons de choisir la forme de la publication.

Selon l'article 15, le droit de retrait peut être invoqué dans le mois à compter du jour où l'ayant droit a reçu la communication dont il a été question. La loi prévoit en outre un délai de péremption; la péremption est acquise une année après la réquisition d'inscription du contrat de vente au registre foncier. La péremption est acquise même si, pour une cause quelconque, la communication n'a pas eu lieu ou que l'ayant droit n'ait pas été
atteint par elle. La sécurité juridique serait compromise s'il était possible d'exercer le droit de retrait pendant une durée illimitée. Dans nombre de cas, il ne serait, du reste, pas possible d'annuler les effets d'une vente conclue depuis longtemps.

VI. Quant aux pâturages de montagne, l'article 16 du projet prévoit un régime spécial qui s'est révélé nécessaire pour tenir compte des conditions particulières de cette catégorie d'immeubles et pour les conserver, dans la mesure du possible, aux paysans de la montagne. Le 15 juin 1943, le Conseil national a adopté un postulat Roth, déposé en 1942 et ainsi rédigé:

60 Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu de préparer le plus rapidement possible les bases légales qui conféreraient aux paysans de la montagne la jouissance durable des alpages d'été.

Il y aurait lieu d'envisager notamment les mesures suivantes: 1° Exclure toute spéculation; 2° Interdire toute vente à des non-agriculteurs; 3° Limiter la vente à des coopératives et agriculteurs étrangers aux cas où les pâturages ne sont pas exploités par les paysans de la région; 4° Reprendre les alpages privés à leur valeur d'exploitation et leur appliquer le régime de la communauté; 5° Procéder au désendettement, afin de réduire dans la mesure du possible les frais d'estivage du bétail.

De l'exposé que M. le conseiller national Roth a fait à l'appui de son postulat, nous extrayons les passages suivants: « L'alpage d'été joue un rôle des plus importants pour l'existence de la population de la montagne. Sans le libre pacage à la montagne, durant les mois d'été, il n'est pas possible d'élever un jeune bétail sain. Grâce à l'utilisation de l'alpage, le paysan peut tenir peut-être la moitié plus de bétail que s'il ne pouvait pas « alper ». Durant l'été, les paysans de la montagne ont la faculté de confier leurs bêtes à un berger ou à une autre personne en prenant la charge pour l'alpage; ils peuvent ainsi s'occuper librement de leurs foins dans la vallée et prendre l'occupation accessoire dont ils ont tant besoin. En outre, l'alpage commun procure à nombre de montagnards du bois, du foin sauvage et de la litière. Une bonne partie des habitants des régions de montagne devraient renoncer à exister comme petits paysans s'ils ne pouvaient plus « alper ». Si l'on privait les paysans de la montagne de leurs alpages, toutes les oeuvres de secours entreprises avec les meilleures intentions ne pourraient empêcher leur ruine.

La future législation agricole doit réserver une place importante au maintien des alpages d'été. Elle ne peut se borner à empêcher la vente à des non-agriculteurs, le paiement de prix excessifs et le surendettement.

Elle doit, d'une manière positive, réserver les alpages aux paysans de la montagne, dans la mesure où ces derniers en ont besoin; en outre, l'Etat doit faciliter le retour des alpages à la collectivité. Je ne voudrais pas refuser le droit d'existence aux alpages privés, et je n'ignore pas qu'ils ont toutes sortes d'avantages. Mais ils doivent être soustraits à la spéculation.

En cas d'aliénation ils doivent pouvoir, avec l'aide de la Confédération et du canton, rentrer dans la propriété commune des montagnards intéressés».

Le postulat de M. Roth ne peut pas être réalisé dans toute son étendueSa tendance est cependant juste et en accord avec celle de notre projet·C'est avec raison qu'il attire l'attention sur l'importance des alpages et de l'estivage du bétail pour la population montagnarde. Etant donné la diversité des conditions qui règne en Suisse, il ne serait pas indiqué de prévoir un régime applicable à l'ensemble du pays. C'est pourquoi l'article 16

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autorise les cantons à édicter les prescriptions qui leur paraîtront nécessaires.

Les pâturages de montagne sont aussi assujettis à la loi. Le droit de retrait leur est ainsi applicable. Les dispositions générales relatives à ce droit ne suffisent cependant pas ici, notamment en ce qui concerne la désignation des ayants droit. Les cantons doivent donc pouvoir aller plus loin et accorder aussi un droit de retrait aux communes, consortages d'alpages et autres collectivités de droit public. Il faudra veiller, en outre, à assurer aux montagnards de la région les droits d'estivage nécessaires, que l'alpage appartienne au consortage local ou à un autre propriétaire.

Les dispositions que prendront les cantons en vertu de la compétence qui leur est ainsi accordée seront soumises à la sanction du Conseil fédéral.

Celui-ci devra examiner si elles restent dans les limites de l'autorisation donnée et ne dérogent pas au droit fédéral d'une manière incompatible avec le but visé.

CHAPITRE

TROISIÈME

LE COURTAGE EN MATIÈRE DE BIENS-FONDS Depuis longtemps on se plaint, tout particulièrement dans les milieux agricoles, de la situation peu satisfaisante qui existe dans le domaine du courtage professionnel en biens-fonds. La Confédération est sollicitée de prendre des mesures. Si la profession de courtier est exercée par un grand nombre de personnes tout à fait dignes de confiance et irréprochables, elle est aussi exercée souvent par des gens qui ont un certain bagout mais ne donnent aucune garantie du point de vue moral et financier, qui ont peut-être échoué dans une autre profession et tentent fortune maintenant comme intermédiaires ou agents immobiliers. Or l'exécution d'un mandat d'intermédiaire est, dans une large mesure, une affaire de confiance et demande du caractère; l'intermédiaire doit pouvoir résister à la tentation d'amener la conclusion d'un contrat par des moyens qui ne sont pas tout à fait corrects. L'agriculteur qui veut acquérir un domaine n'a pas, en règle générale, la connaissance des affaires que possède le courtier. Or l'agriculteur souvent doit s'en remettre à ce dernier pour trouver un domaine à sa convenance. Dans ce genre d'affaires, plus d'un agriculteur a eu des déceptions et a été dupé. Lorsqu'il voulait s'en prendre à l'agent immobilier, il constatait peut-être que celui-ci était insolvable. Les courtiers qui usent de procédés déloyaux ne font pas seulement du tort à leurs mandants; ils favorisent aussi la spéculation qui est précisément un des maux que le projet a pour but de combattre.

On ne peut donc guère contester qu'il soit nécessaire de mettre de l'ordre dans ce domaine; reste à savoir à qui il incombe de le faire. Comme il s'agit de dispositions relevant de la police du commerce, les cantons sont

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compétents au premier chef. Mais la Confédération elle aussi est compétente, en vertu de l'article 31 bis, 3e alinéa, de la constitution; elle peut donc légiférer pour tout le territoire de la Confédération, si elle le juge nécessaire, liant ainsi les cantons.

Lorsque, durant la dernière guerre, la chasse aux biens agricoles, pour lesquels on offrait souvent des prix déraisonnables, eut pris un aspect sérieux, nous nous vîmes obligés d'intervenir aussi dans l'activité des courtiers, en nous fondant sur nos pouvoirs extraordinaires. Nous le fîmes en prenant notre arrêté du 19 janvier 1940 instituant des mesures contre la spéculation sur les terres et contre le surendettement, ainsi que pour la protection des fermiers. Cet arrêté (art. 27 s.) soumet au régime de la concession cantonale l'activité exercée contre rémunération par les intermédiaires. Il fixe les conditions de l'octroi de cette concession et déclare nulles certaines clauses des contrats de courtage.

Actuellement, tous les cantons, à l'exception de Unterwald-le-Bas, Glaris, Baie-Ville et Neuchâtel, ont des dispositions sur le courtage des biens-fonds exercé à titre professionnel. Presque toutes les dispositions cantonales se fondent sur notre arrêté de 1940; elles se trouvent le plus souvent dans les ordonnances d'exécution de cet arrêté, parfois aussi dans des actes législatifs spéciaux. Avant notre arrêté, un petit nombre de cantons seulement avaient fait usage de leur compétence. Cette constatation doit pousser à insérer dans la législation ordinaire certaines dispositions fondamentales du droit fédéral. On aura ainsi, du moins dans les grandes lignes, une réglementation uniforme, qui, cependant, ne devra pas nécessairement s'étendre à tous les détails. La raison qui milite en particulier en faveur de dispositions fédérales, c'est que, de cette manière seulement, l'autorisation accordée par le canton permettra, en fait, l'exercice de la profession sur tout le territoire de la Confédération. Actuellement, il est vrai, l'article 27 de notre arrêté ne prévoit pas cette conséquence ; il déclare, au contraire, que la concession est valable seulement sur le territoire du canton où elle a été accordée. Mais on considère précisément qu'il y a là une lacune. Limiter au territoire cantonal la validité de l'autorisation, c'est restreindre
l'activité du courtier, qui doit souvent chercher ailleurs aussi le bien-fonds désiré par son mandant. Il serait peut-être ainsi obligé à verser, pour l'obtention de nombreuses concessions cantonales, des émoluments hors de proportion avec son chiffre d'affaires. Le fait qu'un petit nombre de cantons reconnaissent, sous réserve de réciprocité, les concessions accordées d^ns les autres cantons, n'est qu'un pis-aller insuffisant. Il est préférable de poser des exigences sévères pour l'octroi de l'autorisation. Les cantons pourront ainsi se rallier au système qui permet au courtier, dûment autorisé, d'exercer son activité sur tout le territoire du pays.

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Les articles 17 à 20 du projet se fondent sur ces considérations. Il nous a cependant paru juste, en établissant des mesures d'application générale, de nous en tenir au minimum nécessaire pour obtenir un résultat. Comme dans la réglementation provisoire, ce minimum consiste à soumettre à une autorisation officielle le fait de servir, à titre professionnel, d'intermédiaire pour la conclusion de contrats de vente ou d'échange portant sur des immeubles agricoles ou d'indiquer professionnellement l'occasion de conclure de tels contrats (art. 17). Ainsi on assure un contrôle qui permet d'écarter les éléments non qualifiés. Rappelons du reste que, selon l'article 53, lettre A, chiffre 3 de l'ordonnance du 7 juin 1937 sur le registre du commerce, celui qui exerce la profession de courtier doit requérir son inscription sur le registre du commerce.

L'autorisation est personnelle; elle n'est accordée qu'aux personnes ayant l'exercice des droits civils et civiques et jouissant d'une bonne réputation ; elle ne peut pas être octroyée aux faillis et à ceux qui ont fait l'objet d'une saisie infructueuse (art. 18). Le fait que le canton peut exiger une caution convenable a une importance pratique. L'autorisation peut être révoquée en tout temps, si les conditions posées pour l'octroi ne sont plus remplies ou si le courtier exerce une activité tendant à violer ou à éluder la loi (art. 19).

Lors de l'élaboration du projet, on s'est demandé s'il ne fallait pas, en s'inspirant à peu près de notre arrêté du 19 "janvier 1940, déclarer nulles de plein droit certaines clauses des contrats de courtage, pour empêcher, dans la mesure du possible, le mandant d'être trompé. Il se serait agi en par, ticulier des conventions par lesquelles le mandant se soumet à une peine conventionnelle pour le cas de révocation du mandat, garantit une commission sans qu'il y ait à examiner si le contrat a été conclu grâce ou non à l'activité du courtier, ou renonce à son for naturel. En définitive, on a trouvé préférable de ne pas insérer dans le projet de telles dispositions, qui sont strictement de droit civil, et de s'en tenir aux règles générales du code des obligations. Par conséquent, les rapports entre mandant et courtier continuent, d'après le projet, à être réglés par les articles 412 à 417 du code des obligations. Les contestations
relatives à l'interprétation du contrat assortissent au juge. Ces articles du code des obligations ont déjà donné lieu à une jurisprudence étendue. Il serait vraiment risqué d'intervenir ici par des dispositions auxquelles on donnerait facilement une teneur trop générale et qui tiendraient trop peu compte des conditions d'un cas particulier. En outre, on pourrait se demander si et pourquoi, dans le seul domaine du commerce des biens-fonds agricoles, il est nécessaire d'édicter des règles spéciales sur les rapports internes entre les parties.

Il convient donc de s'en tenir aux règles générales. Parmi celles-ci, nous ne citons que l'article 417 du code des obligations; selon cet article, si un salaire excessif a été stipulé, le juge peut le réduire équitablement, à la demande du mandant.

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Si le législateur fédéral se borne ainsi à établir un petit nombre de dispositions, relevant de la police du commerce, il ne considérera pas pour autant que la profession de courtier en immeubles agricoles soit ainsi complètement réglée. L'article 20 du projet autorise les cantons à édicter des dispositions plus sévères, dispositions qui sont soumises à la sanction du Conseil fédéral. En usant de cette autorisation, les cantons devront se borner,, eux aussi, à prendre des mesures relevant de la police du commerce; ils n'auront pas la faculté d'édicter des dispositions de droit privé, touchant au mandat, car la compétence leur ferait défaut pour intervenir ainsi dans le droit des obligations. Les cantons pourront donc fixer des conditions encore plus sévères sur la qualification du requérant pour exercer la profession de courtier, soumettre à un contrôle régub'er l'activité des intermédiaires autorisés, prévoir pour ces derniers une responsabilité disciplinaire et les obliger à tenir des livres de compte spéciaux.

CHAPITRE

QUATRIÈME

AFFERMAGE Nous avons dit que l'affermage occupe, dans la structure de l'agriculture suisse, une place importante. En élaborant le droit foncier, il convient de considérer aussi l'affermage et d'examiner si des mesures spéciales de protection sont nécessaires. Il est notoire que l'affermage s'est développé normalement sous l'empire des règles en vigueur et que, exception faite despériodes de guerre, son développement n'a pas été profondément troublé.

Cette constatation permet de conclure que, dans l'ensemble, il est possible de s'en tenir aux règles du code des obligations. Aussi le projet se borne-t-il à modifier sur deux points le droit en vigueur.

Durant la guerre, il est vrai, l'arrêté du Conseil fédéral du 19 janvier 1940, avec ses compléments, a profondément modifié le régime légal de l'affermage (art. 33 à 41), tout d'abord en instituant des dépositions pour les, fermiers au service actif, ensuite en fixant comme règle, pour les baux à ferme, une durée minimum de cinq ans et enfin en limitant aux cas de circonstances graves le droit des deux parties de donner congé. Les hostilités ayant pris fin, les dispositions sur le service actif perdirent leur raison d'être; l'arrêté du Conseil fédéral du 25 mars 1946 modifiant les mesures pour la protection des fermiers abrogea en outre les restrictions apportées au droit de donner congé; cet arrêté fixe pour les baux à ferme une durée minimum de trois ans. A titre d'information, nous mentionnons encore l'ordonnance XI a que le département fédéral de l'économie publique a édictée le 11 juillet 1938 sur les mesures extraordinaires concernant le coût de la vie. Aux termes de cette ordonnance, une autorisation officielle est obligatoire, à certaines conditions, pour la fixation des fermages, droits de pacage et droits d'estivage. Ces droits, s'ils sont manifestement.

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surfaits, peuvent être abaissés. On peut se demander si les prescriptions en question, fondées sur la législation consécutive à la dévaluation et visant à fixer des pris maximums, continueront à rester en vigueur; la matière n'est pas du domaine du droit foncier.

Notre projet ne s'occupe donc pas du tout de fixer le fermage des bien» agricoles. Il n'y a aucune raison de le faire. Du reste, il serait faux de croire que le bailleur est, du point de vue économique, toujours le plus fort, qu'il est en mesure d'imposer toutes ses conditions au fermier. Au contraire, le propriétaire est souvent dans une situation difficile, parce que la maladie ou l'âge l'empêchent d'exploiter lui-même son bien et qu'il est forcé, par conséquent, de recourir à un fermier.

On s'accorde à reconnaître qu'il ne peut être question de limiter, dans le droit ordinaire, la faculté de résilier les baux à ferme agricoles. En traitant de la même manière fermier et bailleur, les règles spéciales édictées pendant la guerre allaient moins loin que les dispositions prises pour le bail à loyer, en vertu desquelles, vu la pénurie de logements, seul le bailleur voit limiter son droit de donner congé. Dans certains Etats (Espagne, Belgique, Hollande, Ecosse, Irlande, Finlande), la possibilité de donner congé, en matière de baux agricoles, est limitée d'une manière générale.

Mais de telles règles seraient contraires à notre système et à nos conceptions juridiques. Lorsque la situation est normale, nous devons respecter, dans la mesure du possible, le principe de la liberté des contrats, là où le besoin d'une protection spéciale n'impose pas des exceptions. Ainsi, comme nous l'avons dit, l'arrêté du Conseil fédéral du 25 mars 1946 a déjà rétabli, dans le domaine du bail à ferme, le droit des parties de donner librement congé, conformément aux dispositions du code des obligations.

Le législateur ferait cependant bien d'emprunter aux dispositions édictées pendant la guerre le principe de la durée minimum des baux à ferme, tout en prévoyant la possibilité d'exceptions. Il donnera ainsi à l'affermage agricole une certaine stabilité, facilitera l'existence des fermiers travailleurs et sérieux, créera une des conditions nécessaires à une exploitation satisfaisante et rationnelle. Un bail d'une année seulement n'est pasadapté aux conditions de
l'agriculture, et n'est, en général, ni dans l'intérêt du bailleur ni dans celui du fermier. Cette constatation s'est aussi imposée dans d'autres pays. Ainsi la durée normale des affermages agricoles est de 4 ans en Espagne, de 11 ans en Belgique et de 50 ans en Finlande. En Hollande, le bail est conclu habituellement pour un temps indéterminé (voir l'ouvrage déjà cité de Kaufmann « Das neue ländliche Bodenrecht der Schweiz » p. 342 s.).

Le projet se borne, sur ce point aussi, à limiter avec modération la liberté des contrats. L'article 21 prescrit une durée minimum de trois ans. Pour de justes motifs, l'autorité peut autoriser une durée plus courte. Lorsqu'une durée inférieure à trois ans a été convenue ou que le contrat a été conclu.

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pour un temps indéterminé,: il est réputé conclu pour trois ans, à moins qu'une demande d'autorisation ne soit présentée à l'autorité dans les trois mois dès le début du bail. Lorsqu'un bail est prorogé tacitement à l'expiration du temps convenu ou que ni l'une ni l'autre des parties n'a donné congé pour le terme prévu par le contrat, le bail est réputé renouvelé, aux mêmes conditions, de trois en trois ans, si l'autorité n'avait pas déjà autorisé une durée plus courte (art. 22).

Dans quelques cantons, des parcelles qui ne font pas partie d'un domaine et ne sont pas exploitées avec lui ne sont affermées que pour une année, conformément à l'usage. Pour ces parcelles, un affermage d'une assez longue durée est beaucoup moins nécessaire que pour un domaine entier.

Selon l'article 21, 4e alinéa, du projet, les cantons ont en conséquence la faculté, par une mesure générale, de dispenser ces cas de l'autorisation obligatoire et de laisser aux parties le soin de fixer la durée du contrat.

La deuxième modification du droit ordinaire se trouve à l'article 23 du projet. Il s'agit d'abandonner, en matière d'affermage agricole, le principe énoncé à l'article 281 du code des obligations: l'achat rompt le bail.

Aujourd'hui déjà, le danger peut être écarté grâce à l'article 282 du code (comme pour le bail à loyer, art. 260) par l'annotation du bail à ferme au registre foncier. Il est fait un usage très restreint de cette faculté. Même sans annotation au registre foncier, l'acheteur des biens affermés reprend toutefois, en règle générale, le contrat, laissant le fermier sur les terres louées. Il conviendrait cependant de donner un caractère obligatoire à ce louable usage, et de renverser par conséquent le principe de l'article 281 du code des obligations. Des exceptions sont justifiées. Ce sont celles qu'énoncé l'article 282 du code des obligations, texte nouveau. Dans ces cas, l'acheteur, sans égard à la durée du bail à ferme, peut donner congé, pourvu qu'il ·observe le délai légal de six mois ou le délai plus court prévu dans le contrat.

Les cas spéciaux se produisent lorsque l'immeuble est vendu en vue d'une construction ou pour des buts publics ou lorsque l'acheteur a acquis les terres affermées pour les exploiter lui-même; dans ces cas, le droit réel du nouveau propriétaire doit avoir le pas sur le droit
personnel du fermier.

Il convient de préciser que ces modifications ne s'appliquent qu'à l'affermage d'immeubles agricoles. Si d'autres biens sont affermés, par exemple des hôtels, des fabriques ou d'autres entreprises commerciales, il n'y a aucune raison de déroger au droit en vigueur; l'affermage de ces biens continue à être régi par les articles 281 et 282 non modifiés du code des obligations.

Enfin l'article 24 autorise les cantons à édicter, sous réserve de la sanction du Conseil fédéral, d'autres prescriptions sur l'affermage des pâturages de montagne, notamment pour assurer un droit de pacage préférentiel et équitable aux possesseurs de bétail de la région. II s'agit d'une compétence analogue à celle que l'article 16 réserve aux cantons, en leur permettant

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d'édicter des règles spéciales sur la propriété de tels pâturages ; il en a été question précédemment (voir le chapitre deuxième, chiffre VI). Les deux articles poursuivent, avec des moyens différents, le même but. Etant donine que les conditions, régies par le droit cantonal, varient d'un canton à l'autre, les cantons doivent pouvoir déroger aussi aux règles sur l'affermage.

CHAPITRE

CINQUIÈME

MESURES DE PROTECTION CONTRE DES RÉALISATIONS FORCÉES NUISIBLES A L'ÉCONOMIE Malgré les efforts entrepris pour assurer l'existence des paysans, on ne pourra jamais empêcher que certains agriculteurs ne tombent dans une situation financière difficile, par suite de malchance et de circonstances défavorables, ou ne puissent sortir de leurs difficultés. Une législation ayant pour but de maintenir la propriété foncière rurale devra donc tendre aussi à venir en aide à l'agriculteur qui n'est pas responsable de sa gêne et à empêcher, dans la mesure du possible, qu'il ne soit chassé de sa maison et de ses terres, si l'on peut envisager qu'il pourra se maintenir durablement. Le législateur doit s'attacher d'autant plus à cette idée que le domarne constitue le moyen d'existence du débiteur et de sa famille; la réalisation du domaine entraîne, en général, la dissolution de la famille paysanne et oblige les enfants adultes à chercher ailleurs un gagne-pain.

L'exécution forcée a ici, du point de vue moral et social, des conséquences particulièrement regrettables.

Les dispositions du chapitre cinquième cherchent pour ces raisons à apporter une protection contre des réalisations forcées nuisibles à l'économie. Pour cela, elles prévoient une procédure de concordat différente et la possibilité d'instituer une surveillance d'entreprise si le débiteur exploite mal le domaine.

/'. La 'procédure de, concordat. Pour empêcher la réalisation forcée de domaines, on dispose aujourd'hui de la procédure d'assainissement agricole, telle qu'elle est prévue dans l'arrêté fédéral du 28 septembre 1934 instituant des mesures juridiques temporaires pour la protection des agriculteurs dans la gêne. Cet arrêté a été prorogé par les arrêtés fédéraux des 23 décembre 1936, 20 décembre 1938 et 11 décembre 1941. L'arrêté du Conseil fédéral du 17 décembre 1943 l'a prorogé une dernière fois, jusqu'à l'entrée en vigueur de là loi du 12 décembre 1940 sur le désendettement de domaines agricoles. La procédure d'assainissement agricole est donc encore en vigueur et s'applique aujourd'hui aux concordats agricoles. L'aide financière accordée par les caisses de secours agricoles, avec l'appui de la Confédération et des cantons, y rend de grands services.

La loi sur le désendettement est entrée en vigueur le 1er janvier 1947,, et produira ses effets dans les cantons qui, conformément à l'article 10, 2e alinéa, auront institué une caisse d'amortissement. La loi devra permettre la radiation des créances hypothécaires non couvertes. La fixation d'une charge maximum pour les créances garanties par gage servira à prévenir le surendettement hypothécaire de l'agriculture. Le danger du surendettement subsistera néanmoins pour certains agriculteurs. Nous pensons en particulier ici aux cas où la loi sur le désendettement ne peut pas ou ne peut plus s'appliquer. Certains cantons n'institueront pas de caisse d'amortissement et n'exécuteront pas le désendettement. Us continueront à bénéficier de l'aide financière en faveur des agriculteurs dans la gêne. Relevons en outre que le désendettement, en règle générale, ne s'étendra qu'aux domaines acquis avant le 1er avril 1932. Lorsqu'il s'agit d'acquisitions postérieures, l'article 10 de l'ordonnance sur le désendettement de domaines agricoles a admis, pour des cas déterminés, l'application de la loi. De plus, le désendettement ne peut être demandé que dans les cinq ans dès l'entrée en vigueur de la loi; après le 31 décembre 1951, aucune requête ne sera admise. Ainsi l'application de la loi sur le désendettement est limitée quant au temps et à la matière. Selon l'article 113 de la loi, l'application de la procédure d'assainissement prévue par l'arrêté fédéral du 28 septembre 1934 (avec ses compléments et modifications actuels ou futurs) peut être demandée seulement dans les cinq ans dès l'entrée en vigueur de la loi.

En vertu de l'article 114, l'aide financière sera continuée pendant sept ans dès la même date.

A partir du 1er janvier 1952, on ne pourra cependant plus demander l'application de la procédure d'assainissement agricole ou de la loi sur le désendettement. Dès cette date, l'agriculture ne disposera plus d'une procédure concordataire adaptée à ses conditions. Parmi les paysans, il y aura toutefois toujours des débiteurs en difficulté, qu'il faudra aider d'une manière ou d'une autre. Beaucoup devront, avec des ressources modestes, acheter un domaine. Or^ même dans les bonnes années, le revenu dans l'agriculture n'est pas si élevé que l'exploitant puisse, dans de tels cas, se libérer largement des engagements
contractés. II suffira pour payer les intérêts, Mais il y aura encore de mauvaises années et des crises qui aggraveront la situation de nombre d'entreprises agricoles. Une procédure de concordat, répondant aux besoins de l'agriculture, est donc nécessaire.

Le caractère particulier de la procédure de concordat prévue par les articles 25 à 34 apparaît dans le fait qu'elle peut s'étendre aux créances garanties par gage. Depuis des décennies, une telle procédure répond à un besoin pour les entreprises où des capitaux relativement importants sont engagés, notamment pour l'hôtellerie. Dans de pareils cas, l'aide apportée au débiteur par le concordat ordinaire de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite n'est pas efficace, étant donné que ce concordat

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n'affecte pas les créances garanties par gage et que leur titulaire peut, en tout temps, ouvrir de nouveau une poursuite. Il faut, par conséquent, accorder au débiteur un sursis au remboursement du capital, avec des allégements plus ou moins étendus en matière d'intérêts. C'est dans cette idée qu'on avait institué en 1917 un concordat hypothécaire sous une forme spéciale. Depuis lors, cette institution a été reprise dans nombre d'ordonnances extraordinaires; selon toute vraisemblance, elle devra être reprise, avec un champ d'application plus vaste, dans le système général de l'exécution forcée.

En vertu de l'article 26 du projet, le débiteur ne peut toutefois bénéficier d'une procédure de concordat hypothécaire qu'à des conditions précises, strictes. Il doit rendre vraisemblable que, sans sa faute, il est hors d'état de payer intégralement le capital et les intérêts des créances garanties par gage, que les immeubles constitués en gage lui sont nécessaires pour continuer à exploiter son domarne agricole, c'est-à-dire pour le maintien de son existence, et enfin, que lui-même ou les membres de sa famille sont dignes d'aide.

Selon les articles 27 a 29 du projet, le concordat hypothécaire, comme l'actuel assainissement agricole, permettent l'octroi des mesures suivantes: sursis au remboursement des créances en capital, limitation du taux de l'intérêt des créances hypothécaires couvertes, réduction du taux de l'intérêt ou suppression des intérêts du capital non couvert, extinction, par un paiement de 75 pour cent, des intérêts hypothécaires échus, couverts.

En outre, la situation des cautions est réglée, dans les articles 30 à 32, conformément aussi aux dispositions en vigueur.

Le projet ne règle pas complètement la procédure de concordat applicable aux agriculteurs; il se borne à indiquer les règles spéciales qui dérogent aux règles générales du concordat. A côté des articles 25 à 34 du projet, et dans la mesure où ces dispositions n'y dérogent pas, les articles 293 à 317 de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite restent ainsi applicables (art. 34, 3e al.). La modification la plus profonde introduite par le projet consiste dans le fait que la procédure de concordat hypothécaire ne connaît pas d'assemblée des créanciers (art. 34). Les créances garanties par gage étant prises en considération,
la situation des créanciers gagistes, par rapport aux créanciers chirographaires, y est en outre toute différente.

Pour l'acceptation du concordat par les créanciers, une majorité des voix, telle que l'exige l'article 305 de la loi sur la poursuite, ne peut être déterminante ici. Sans cela, les créanciers chirographaires, généralement plus nombreux mais représentant peut-être des créances d'importance secondaire, pourraient facilement faire échouer le concordat, contre la volonté du petit nombre des créanciers gagistes représentant des sommes importantes. A côté des conditions spéciales que prévoit l'article 34 du projet,

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les règles générales de l'article 306 de la loi sur la poursuite seront cependant déterminantes pour l'homologation du concordat.

//. La surveillance de l'entreprise, réglée dans les articles 35 à 40 du projet, ne constitue pas non plus une innovation. Selon l'article 34 de l'arrêté fédéral de 1934 instituant des mesures juridiques temporaires pour la protection des agriculteurs dans la gêne, l'autorité de concordat peut, dans sa décision sur l'assainissement agricole, obliger le débiteur à tenir une comptabilité appropriée aux circonstances et en outre soumettre son entreprise à la surveillance d'un représentant de l'institution de secours agricole ou d'une autre personne qualifiée, ou proposer à l'autorité compétente de le pourvoir d'un curateur ou d'un conseil légal conformément à l'article 393 ou 395 du code civil. Au nombre des mesures destinées à consolider les entreprises désendettées, la loi sur le désendettement prévoit aussi, à l'article 71, la désignation d'un conseil légal pour l'administration des biens du débiteur, à l'article 72, la surveillance de l'entreprise. Cette mesure peut être ordonnée par l'autorité de concordat, sur la proposition de la caisse d'amortissement ; la surveillance de l'entreprise est exercée par un représentant de la caisse ou une autre personne capable; le surveillant peut être secondé par un conseiller d'exploitation (voir au sujet de la genèse de ces dispositions, Kaufmann, ibid. p. 334). La procédure de désendettement applicable aux entreprises hôtelières prévoit aussi un contrôle de la gestion du débiteur. Des institutions semblables ont été créées en Allemagne et en Autriche au début du siècle et dernièrement en Italie.

D'une 'manière générale, l'intervention d'un tiers dans la conduite d'une entreprise peut se justifier dans deux cas: lorsque l'exploitation de l'entreprise souffre de défauts qui font redouter un désastre financier; lorsque l'exploitant dans la gêne a déjà bénéficié des mesures juridiques et qu'il s'agit maintenant d'assurer les résultats obtenus par l'assainissement et d'éviter aux créanciers de nouvelles pertes. Notre projet prévoit le premier de ces cas. D'après l'article 35, la surveillance de l'entreprise peut être .ordonnée, à l'égard du propriétaire d'un domaine agricole qui constitue pour lui et pour sa famille le moyen d'existence
essentiel. Cette mesure doit servir à amener le débiteur à mieux exploiter son domaine. Elle doit écarter la menace d'une réalisation forcée. Voilà pourquoi elle a sa place dans le chapitre cinquième de la loi. C'est une possibilité à laquelle on doit pouvoir recourir lorsque le rendement d'une entreprise agricole marque une régression continue, que le paysan n'est plus capable, par lui-même, de surmonter ses difficultés, mais que l'on peut espérer remédier à cette situation par une meilleure exploitation. En cas de succès, l'existence du paysan et de sa famille est sauvée et l'on épargne une perte aux créanciers.

Cette idée, qui n'est pas nouvelle mais qui est susceptible de développement, devait, croyons-nous, trouver place dans le nouveau droit agricole.

Certes, le paysan, pas plus-que d'autres débiteurs, se verra avec joie limité

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dans sa liberté d'action et obligé de suivre les ordres d'un tiers. Mais ces raisons, d'ordre sentimental, ne sauraient être déterminantes lorsqu'il s'agit d'arracher le débiteur à une situation obérée. Comparée à l'exécution forcée, qui revêt un caractère strict et formaliste, la surveillance de l'entreprise se présente comme une procédure plus souple et moins rigoureuse qui doit permettre de maintenir le paysan sur son domaine.

Il appartient à l'autorité de concordat d'ordonner la surveillance de l'entreprise ; sa décision peut être déférée à l'autorité supérieure de concordat-dans les cantons qui connaissent une telle juridiction de recours (art.

36). Cela ne signifie pas que la surveillance de l'entreprise doive être précédée de l'ouverture d'ime procédure de concordat; il n'est même pas nécessaire qu'une poursuite soit déjà en cours. Le propriétaire d'un domaine agricole a la faculté de demander cette mesure de son propre chef. La demande peut aussi émaner, avec l'assentiment du débiteur, des créanciers hypothécaires. Ceux-ci, après avoir ouvert une poursuite, peuvent la faire en lieu et place d'une réquisition de vente. La demande ne peut cependant être accordée que si le débiteur n'est pas responsable de sa gêne et si lui-même ou les membres de la famille faisant ménage commun avec lui sont dignes d'aide. Il faut en outre qu'une exploitation meilleure de l'entreprise permette d'envisager le paiement successif des dettes échues, sinon la surveillance de l'entreprise n'aurait pas sa raison d'être. En cas de fort endettement, la condition susindiquée peut manquer, et il ne restera au débiteur qu'à tenter de recourir à la procédure de concordat. Si cette procédure a déjà été ouverte et qu'un sursis au remboursement du capital soit accordé, l'autorité de concordat peut d'elle-même ordonner la surveillance de l'entreprise (art. 27, 2e al.).

La surveillance de l'entreprise dure au moins une année, au plus trois ans ; si elle a été tout d'abord ordonnée pour une durée inférieure, elle peut être prolongée de manière à atteindre trois ans au plus (art. 39). Si à la fin de cette période on constate son inefficacité, il faudra admettre qu'une prolongation serait aussi sans objet. La surveillance de l'entreprise peut être révoquée par décision de l'autorité de concordat, avant l'expiration du terme
fixé, si le débiteur ne se soumet pas aux ordres qui lui sont donnés ou s'il est évident que la mesure prise ne peut avoir les effets attendus.

Le débiteur soumis à la surveillance de l'entreprise est limité dans son droit de disposition. L'article 38 fixe les détails. En outre, les immeubles agricoles du débiteur, son bétail et son matériel ne peuvent pas être réalisés dans la mesure où ils sont indispensables à l'exploitation normale de l'entreprise.

La surveillance de l'entreprise est exercée par un surveillant que désigne l'autorité de concordat (art, 37)..Le résultat de cette mesure dépendra en très grande partie de la manière dont le surveillant comprendra et remplira sa tâche, de ses aptitudes. Le surveillant doit être un agriculteur ou un chef d'exploitation expérimenté, joignant l'autorité à l'habileté ; seulement alors le débiteur observera ses ordres. Les surveillants devront

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s'employer à amener le débiteur à exploiter le domaine d'une manière rationnelle, à le convaincre de cette nécessité de sorte qu'il maintienne cette exploitation rationnelle après la suppression de la surveillance.

Le projet ne règle que d'une manière générale la surveillance de l'entreprise. L'application de cette mesure exigera une réglementation plus complète. Pour que la loi ne soit pas trop alourdie par des prescriptions de détail, il est prévu, à l'article 40, que ces prescriptions feront l'objet d'uiie ordonnance du Tribunal fédéral, autorité suprême en matière de poursuite et de faillite. De cette façon, il sera aussi plus facile de modifier ou de compléter les règles de détail, compte tenu des expériences faites. L'ordonnance prévue devra régler notamment les points suivants: a. La procédure, c'est-à-dire, contenu et justification de la demande, pièces à annexer, tâches incombant à l'autorité de concordat, procédure devant cette autorité, contenu et communication de la décision ; b. Les tâches du surveillant: ordres à donner pour une exploitation rationnelle de l'entreprise, prise en mains de l'administration de l'entreprise, paiement des dettes échues, avec les revenus de .l'entreprise ; si cela est nécessaire, ordre de payer entre ses mains les sommes dues au débiteur; d'une manière générale, toutes les mesures nécessaires pour atteindre le but visé par la surveillance.

c. Utilisation des revenus de l'entreprise; dans le cas où tous les créanciers ne peuvent pas être désintéressés, quant à leur créances échues, il sera indiqué de prévoir le concours de l'office des poursuites pour l'établissement d'un tableau de distribution.

CHAPITBE SIXIÈME COMPÉTENCE ET PROCÉDURE Le projet de loi prévoit des mesures de caractère différent. Relèvent du droit administratif les décisions sur l'applicabilité de la loi dans un cas particulier, l'autorisation à accorder pour le courtage exercé à titre professionnel en matière de biens-fonds et pour les baux à ferme de courte durée.

Lorsqu'il s'agit, en revanche, de trancher un litige relatif à l'exercice du droit de retrait, on a affaire à une question de droit civil qui ressortit aux tribunaux. La procédure de concordat, de même que la surveillance de l'entreprise, sont de la compétence de l'autorité de concordat.

Vu ces considérations, seules les
autorités compétentes dans les questions de droit administratif doivent donc être désignées. H ne peut s'agir, naturellement, que d'autorités cantonales, dont la désignation sera du ressort des cantons (art. 41). Ces derniers peuvent faire appel à des autorités déjà constituées ou en instituer de nouvelles. Selon le projet, les cantons ont toute latitude à cet égard, sous réserve cependant de l'obligation qui leur est imposée de désigner une juridiction cantonale de recours, chargée de veiller à l'application uniforme de la loi sur le territoire cantonal. Si, dans

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un domaine déterminé, les cantons ne désignent qu'une juridiction pour tout le canton, ils sont libérés de cette obligation. Les cantons doivent en outre régler la procédure à suivre-devant les autorités des différentes instances, à moins que cette procédure ne soit déjà fixée par la législation cantonale.

Les particuliers dont les droits sont touchés par la loi ne sont pas seuls intéressés à une application uniforme des dispositions prévues; la collectivité, du moins en ce qui concerne certaines décisions, à prévoir en termes généraux, peut aussi y avoir intérêt. C'est pourquoi, conformément à l'article 41 du projet, les cantons peuvent désigner une autorité qui a le droit de recourir à la juridiction cantonale supérieure contre certaines décisions de l'autorité de première instance. A cet effet, tous les prononcés de l'autorité inférieure devront être communiqués à l'autorité spéciale pour lui permettre d'exercer son droit de recours.

D'une manière générale, on peut et doit laisser à la juridiction cantonale supérieure le soin de statuer définitivement, d'autant plus qu'il s'agit surtout de questions d'appréciation dont la connaissance définitive est laissée en général aux cantons par la législation fédérale (v. art. 127 de la loi d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943). Vouloir soumettre tous ces cas à l'examen d'une juridiction fédérale serait contraire à cette délimitation fondamentale des attributions et conduirait trop loin.

Le problème se pose différemment lorsqu'il s'agit de savoir si un bienfonds déterminé est assujetti ou non à la loi. De la réponse dépend l'application de toutes les autres dispositions de la loi; c'est dire l'importance de cette question pour les intéressés. Une protection légale plus forte s'impose donc dans ce cas; le recours à une juridiction fédérale doit être possible.

Comme il s'agit d'une question administrative, il paraît indiqué d'en attribuer la connaissance au Tribunal fédéral statuant comme cour de droit administratif, à moins qu'on ne veuille créer pour cela une juridiction fédérale spéciale de recours. Il en a été question au moment où l'on envisageait la modification de notre arrêté contre la spéculation sur les terres. Alors déjà -- il s'agissait pourtant de mesures se fondant sur les pouvoirs extraordinaires -- une opposition s'était
manifestée. Aujourd'hui au moment de créer un régime durable, cette mesure serait encore moins indiquée. La décision prise dans ce cas par la juridiction cantonale supérieure pourra donc être attaquée par la voie du recours de droit administratif; il appartiendra au Tribunal fédéral de statuer, conformément à la procédure prévue dans la loi d'organisation judiciaire (art. 97 s. OJ, art. 42 du projet).

Feuille fédérale. 100* année. Vol. I.

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CHAPITRE

SEPTIÈME

TRANSFERT DES IMMEUBLES AGRICOLES Nous nous sommes déjà prononcés sur le rôle que joue la ratification obligatoire en matière de transfert des biens-fonds et sur la possibilité de transférer cette institution dans la législation durable (voir les chapitres V et VI de la lre partie du message). La Confédération ayant le droit de restreindre ainsi le transfert des biens-fonds sur tout le territoire suisse, elle peut autoriser les cantons à le faire, pour leur territoire, s'ils l'estiment nécessaire; les cantons ne pourraient, de leur propre chef, recourir à une telle mesure, car il s'agit d'une modification du droit fédéral.

C'est l'article 44 du projet qui donne aux cantons la compétence en question. Cette compétence vaut pour les actes juridiques ayant pour objet le transfert de la propriété sur les immeubles agricoles visés par la loi, soit par l'article 3 (biens-fonds affectés exclusivement ou principalement à l'agriculture, forêts qui font partie d'une entreprise agricole et, à la même condition, droits distincts et permanents immatriculés au registre foncier). Les cantons ne peuvent pas aller au delà de ces limites; ils ont en revanche la possibilité de restreindre le champ d'application de la ratification obligatoire. Ceux qui veulent faire usage de la faculté que leur confère l'article 44 doivent donc déterminer s'ils entendent appliquer cette prescription à tous les immeubles agricoles ou en excepter certaines catégories ou enfin, s'ils entendent dispenser de la ratification obligatoire, à certaines conditions, des actes d'aliénation. Il va de soi qu'une telle réglementation doit être valable à titre général, de sorte que l'étendue et les conditions de la ratification obligatoire dans le canton soient clairement fixées; là où des actes d'ah'énation sont dispensés de la ratification obligatoire, l'autorité n'a pas à intervenir dans un cas particulier.

Le troisième alinéa de l'article 44 est restrictif. Le droit fédéral soustrait en effet à la ratification obligatoire introduite par les cantons les actes juridiques qui ne donnent pas lieu au droit de retrait. En tant donc que le législateur fédéral ne juge pas possible de restreindre la liberté de vendre des biens-fonds agricoles, les cantons ne doivent pas non plus le faire par le moyen de la ratification obligatoire. Les plus importantes
de ces exceptions sont celles de l'article 11, lettre b; il s'agit des actes juridiques portant sur des biens-fonds qui sont vendus pour des constructions ou pour l'utilisation du sol à des fins artisanales ou industrielles. Sont compris dans ces biens-fonds les immeubles qui sont acquis de gré à gré pour préparer ou exécuter des ouvrages destinés à la production d'énergie électrique ou des installations qui en dépendent. Vu l'importance que ces ouvrages revêtent pour l'économie nationale, de tels achats de terrains ne sauraient être empêchés par un droit de retrait ou la ratification obligatoire prévue pa,r un canton.

75

En revanche, soin est laissé aux cantons de décider dans quelle mesure ils entendent fixer les conditions auxquelles est subordonnée la ratification d'une aliénation, quelle méthode ils veulent utiliser. Le législateur peut recourir à des systèmes différents; il a en particulier la possibilité d'indiquer les conditions dans lesquelles la ratification doit être accordée ou, inversement, celles qui entraînent nécessairement le refus de la ratification; il lui est aussi loisible de combiner les deux systèmes, comme dans l'arrêté du Conseil fédéral du 19 janvier 1940 instituant des mesures contre la spéculation sur les terres. Il ne sera cependant guère indiqué d'entrer dans tous les détails car cela ne serait pas compatible avec le but général visé par la ratification obligatoire, soit le maintien, dans la mesure du possible, des terres affectées à l'agricultures et leur exploitation rationnelle. Quant au rappel de l'arrêté de 1940, il ne signifie pas qu'il faille reprendre, autant que possible sans modification, les règles strictes qu'il contient; pour la législation durable, des adoucissements importants doivent être apportés à la ratification obligatoire.

Les cantons qui font usage de la compétence accordée à l'article 44 doivent enfin désigner les autorités compétentes pour accorder la ratification; ils doivent aussi régler la procédure. Ils pourront plus facilement s'en tenir à l'organisation créée en vertu de l'arrêté fondé sur les pouvoirs extraordinaires, si elle a fait ses preuves.

Les prescriptions édictées par les cantons en vertu de l'article 44 seront sotimises, elles aussi, à la sanction du Conseil fédéral; ainsi, dans ce secteur également, l'autorité fédérale exercera un certain contrôle.

CHAPITRE

HUITIÈME

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES Pour l'application de la loi, les cantons doivent nécessairement édicter des dispositions complémentaires, en particulier sur la compétence des autorités et la procédure. L'article 45 du projet, analogue à l'article 52 du titre final d\i code civil, dispose que les cantons sont tenus d'établir de telles prescriptions.

L'article 46 charge le Conseil fédéral de contrôler l'application de la loi et de prendre, de son côté aussi, les dispositions encore nécessaires à son exécution.

L'article 47 contient une clause générale sur les dispositions contraires à la loi; toutes ces dispositions sont abrogées dès l'entrée en vigueur de la loi. Le texte du projet et le message font ressortir que la loi intervient dans le ohamp d'application du code civil, du code des obligations et de la loi sur la poursuite. En ces matières, la loi nouvelle n'abroge et ne remplace cependant pas complètement des articles déterminés; elle institue un droit spécial, applicable seulement dans le secteur agricole. Seul le champ

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d'application des dispositions des .lois en question est limité. Ces dispositions continuent à être en vigueur pour le reste.

Avec l'entrée en vigueur de la loi, l'arrêté du Conseil fédéral du 19 janvier 1940 instituant des mesures contre la spéculation sur les terres et contre le surendettement, ainsi que pour la protection des fermiers, avec ses compléments, devra disparaître ; mais il appartiendra au Conseil fédéral de l'abroger, en exécution de l'arrêté fédéral restreignant les pouvoirs extraordinaires. Il n'est donc pas nécessaire de prévoir, dans la loi, une disposition spéciale à ce sujet.

En même temps qu'il abroge, par une clause générale, toutes les dispositions contraires à la loi, l'article 47 modifie sur deux points le droit successoral paysan, tel qu'il figure dans l'article 94 de la loi sur le désendettement ; ce sont les articles 621 quater et 625 bis du code civil qui sont visés.

Voici de quoi il s'agit: a. L'article 621 quater, dans la forme que lui" donne la loi sur le désendettement, autorise deux dérogations au principe de l'article 620, suivant lequel l'attribution d'une exploitation agricole se fait à un héritier, à la valeur de rendement. D'après le 1er alinéa de l'article 621 quater, les cantons ont le droit de disposer que, dans les régions montagneuses et dans celles où la propriété foncière est morcelée, le partage peut être opéré par attribution de certains biens-fonds à différents héritiers ; aux termes du 2e alinéa, ils peuvent, dans les régions à caractère urbain, autoriser l'attribution à un prix dépassant la valeur de rendement.

Cette innovation de la loi sur le désendettement a fait souvent l'objet de critiques; on y voyait l'abandon, pour de vastes régions du pays, de l'application du droit successoral paysan (voir K. Fehr « Das neue bäuerliche Erbrecht », Revue de la société des juristes bernois, fase. 82, p. 1 s., en particulier, p. 21; P. Liver «Die Aenderungen am bäuerlichen Erbrecht des ZGB durch das Bundesgesetz über die Entschuldung landwirtschaftlicher Heimwesen » « Festschrift » pour le professeur Tuor, Zurich 1946, p. 66), Notre commission d'experts, elle aussi, a fait ressortir avec force que l'article 621 quater constituait le contraire d'un progrès et a demandé qu'on atténuât au moins sa portée. Nous l'avons fait, l'exception du premier alinéa
étant désormais autorisée seulement pour les régions de montagne et non plus pour celles où la propriété foncière est morcelée. Le 2e alinéa, qui, il est vrai, touche d'un peu moins près à la législation agraire, a été transformé. Dans les régions à caractère urbain, l'attribution ne doit pas se faire à un prix dépassant la valeur de rendement ; en revanche les cantons peuvent, en dérogation à l'article 619, porter de 15 à 25 ans le délai pendant lequel les cohéritiers sont autorisés, en cas de vente de l'immeuble, à réclamer leur part du gain.

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b. Suivant l'article 625 bis, dans la teneur de la loi sur le désendettement, s'il paraît impossible d'attribuer une entreprise agricole dans son entier à un .ou plusieurs héritiers ou de la diviser en plusieurs exploitations viables, chaque héritier peut exiger la vente du tout.

Le projet a simplifié cette disposition en ce sens qu'elle doit s'appliquer si aucun des héritiers ne demande l'attribution du tout. En fait, la vente de l'exploitation ne peut être évitée si les conditions requises pour l'attribution du tout à un ou plusieurs héritiers sont remplies mais qu'aucun des héritiers ne veuille reprendre l'exploitation.

Dans notre message, nous avons indiqué à plusieurs reprises quelle idée devait nous guider dans l'élaboration de la nouvelle législation agraire : créer les conditions qui permettent à notre agriculture de prospérer et d'offrir des moyens d'existence à une paysannerie saine et à la hauteur de sa tâche. A cet effet, il faut aussi soustraire le sol cultivable à la spéculation, dans la mesure du possible. Ces deux buts sont, pour notre pays, de la plus grande importance. L'évolution qui s'est faite au cours de la dernière moitié du siècle dernier nous a appris beaucoup de choses ; le législateur doit en tenir compte s'il veut remplir sa tâche, qui est d'établir un régime sain pour l'avenir. A côté des problèmes économiques, il faudra résoudre les questions d'ordre juridique, régler les conditions d'exploitation des terres et les rapports du sol avec l'homme qui le cultive. La loi sur le désendettement tend à, résoudre une partie du problème, en prévoyant la possibilité de décharger des domaines très endettés et en instituant des mesures durables pour prévenir le surendettement. Ce qui reste à faire, c'est d'adapter notre législation aux besoins spéciaux de l'agriculture. Les défauts manifestes du régime actuel sont, pour le législateur, un avertissement pressant qu'il ne peut pas refuser d'entendre.

Nous vous proposons d'adopter le projet de loi et vous plions d'agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 30 décembre 1947.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, ETTER.

»las

Le chancelier de la Confédération, LEIMGKDBEK

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(Projet.)

Loi fédérale am-

ie maintien de la propriété foncière rurale.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu les articles 31bis et 64 de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 30 décembre 1947, arrête :

CHAPITRE

PREMIER

DISPOSITIONS GÉNÉRALES A. Bin.

B. Compensation en nature.

C. Champ d'application.

I. Règle.

Article premier.

La présente loi a pour but de protéger la propriété foncière rurale, fondement d'une paysannerie saine et à la hauteur de sa tâche, d'encourager l'utilisation du soi, d'affermir le lien qui existe entre la famille et le domaine et de favoriser la création et le maintien d'entreprises agricoles.

Art. 2.

1 L'aire agricole de la Suisse doit, dans la mesure du possible, rester affectée à l'agriculture.

2 Les cantons décident si, et sous quelle forme, il y aura lieu de compenser, en mettant des terres au service de l'agriculture, une diminution de la surface productive résultant d'un acte d'aliénation.

3 Si la compensation en nature touche plusieurs cantons, les décisions des juridictions cantonales peuvent être déférées au Conseil fédéral.

Art. 3.

1 La loi s'applique aux biens-fonds affectés exclusivement ou principalement à l'agriculture.

* Elle est applicable aux forêts qui font partie d'une entreprise agricole et, à la même condition, aux droits distincts et permanents immatriculés au registre foncier.

3 Quiconque Justine d'un intérêt peut, dans un cas particulier, faire constater par l'autorité compétente si la présente loi est applicable ou pas. Une telle décision peut faire l'objet d'xin recours.

Art. 4.

Les cantons peuvent déclarer la loi inapplicable aux biensfonds urbains ou situés dans des localités à caractère urbain.

a Ces régions doivent être exactement déterminées pour chaque arrondissement du registre foncier.

3 La délimitation sera communiquée d'office au conservateur compétent. t Art. 5.

Lorsqu'il s'agit d'actes juridiques qui concernent des biens,fonds ne faisant pas partie intégrante d'une entreprise agricole, les cantons ont le droit de déclarer la présente loi inapplicable, dans l'ensemble du territoire cantonal ou certaines régions à délimiter exactement, aux biens-fonds dont la superficie ne dépasse pas la limite fixée par le canton, cette limite ne pouvant être supérieure à cinquante ares.

Art. 6.

1 La loi s'applique également, s'ils appartiennent à des sociétés d'allmends, à des consortages d'alpages ou de forêts ou à d'autres collectivités semblables, aux droits de jouissance sur les allmends, les alpages, les forêts ou les pâturages.

2 Les cantons peuvent compléter la présente disposition ou y déroger.

1

11. Droit cantonal réservé.

I. Conditions urbaines.

l. Biens-fonds dont la superficie ne passe pas 5 D ares.

3. Droits de jouissance.

CHAPITRE II DROIT DE RETRAIT SUR LES BIENS-FONDS AGRICOLES

Art. 7.

En cas de vente d'un bien-fonds agricole, les personnes désignées dans les articles 8 à 10 ont, si elles veulent exploiter le bien ellesmêmes, en paraissent capables et offrent des garanties suffisantes pour le paiement du prix de vente, un droit de préemption. L'acquisition de la propriété au cours d'enchères forcées et les exceptions prévues à l'article 11 sont réservées.

a Le droit de retrait est personnel et le titulaire ne peut ni le céder ni l'exercer pour le compte d'un autre.

1

A. Conditions et étendue.

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B, Titulaires.

I, Parents et autres proches.

II. Fermier.

III. Autres personnes.

C. Exceptions.

3 Si.un achat porte à la fois sur des biens-fonds et des objets mobiliers et qu'un prix global soit fixé pour le tout, le droit de retrait s'étend à l'ensemble de l'acquisition.

4 En ce qui concerne l'exercice du droit de retrait, la cession et les enchères publiques volontaires sont assimilées au contrat de vente.

Art. 8.

1 Le droit de retrait peut être exercé en premier lieu par les descendants, les frères et soeurs et leurs descendants, le conjoint et les père et mère du vendeur, 2 II peut être en outré reconnu à une personne qui se trouve, à l'égard du vendeur ou du bien-fonds vendu, dans des rapports spéciaux justifiant une situation préférable (fils adoptif, filleul, garçon confié aux soins du vendeur, etc.). Le juge décide librement, en tenant compte des circonstances.

t Art. 9.

1 Si le droit de retrait n'est invoqué par aucune des personnes indiquées à l'article 8, sa reconnaissance peut être demandée par un fermier qui a exploité pendant plusieurs années le bien-fonds vendu.

2 En cas de contestation, le juge décide si le droit de retrait doit être reconnu au fermier, en tenant compte de la durée du bail, des aptitudes du fermier et en examinant si l'acheteur veut exploiter lui-même le bien.

Art. 10.

Lorsque le droit de retrait n'est invoqué ni par l'une des personnes indiquées à l'article 8 ni par un fermier, sa reconnaissance peut être demandée par d'autres personnes qui veulent exploiter elles-mêmes le bien-fonds, à condition que l'acheteur soit déjà propriétaire de biens-fonds agricoles assurant .une situation matérielle suffisante à une famille.

Art. 11.

Le droit de retrait ne peut pas être invoqué: a. S'il s'agit d'actes juridiques portant sur des biens-fonds de moins de dix ares et servant à arrondir d'autres biens-fonds, pourvu qu'aucun acte de ce genre n'ait été conclu entre les parties au cours des cinq années précédentes; b. S'il s'agit d'actes juridiques portant sur des biens-fonds qui sont acquis en vue de bâtir ou d'utilisation du sol à des fins artisanales ou industrielles; c. S'il s'agit d'actes juridiques portant sur plusieurs biens-fonds qui font partie d'une entreprise mixte où domine le caractère non agricole domine.

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Art. 12.

Si plusieurs titulaires du droit entendent l'exercer ou que D. Ordre d« l'acheteur soit lui aussi titulaire du droit de retrait, le juge décide ll(ulalresde l'attribution du bien-fonds en tenant compte de la situation personnelle des titulaires.

2 Le conjoint et les père et mère ne peuvent exercer le droit de retrait qu'après les enfants, le conjoint avant les père et mère. Les frères et soeurs, ainsi que leurs descendants, sont en droit de l'invoquer postérieurement seulement aux autres parents. Les petitsenfants du vendeur et les descendants des frères et soeurs ne peuvent l'exercer qu'après leur père ou leur mère.

3 Entre parents du même degré il n'y a pas de droit de retrait.

Les descendants ne peuvent pas davantage l'invoquer envers leur père ou mère.

4 L'article 621 ter du code civil s'applique par analogie. En cas de contestation, le juge décide du partage et de l'attribution du bien-fonds.

Art. 13.

1 Les parents peuvent exercer le droit de retrait sur la base de E Prix ^ la valeur d'estimation prévue dans la loi du 12 décembre 1940 sur rachat, le désendettement de domaines agricoles, les autres titulaires du droit, sur la base de la valeur vénale.

2 Pour garantir les prestations financières faites au vendeur par des parents qui n'invoquent pas le droit de retrait, le juge peut augmenter équitablement la valeur d'estimation.

3 Pour le surplus le titulaire du droit doit reprendre le bien-fonds aux conditions fixées dans le contrat de vente.

* Lorsqu'un bien-fonds, acquis par retrait, est aliéné au cours des quinze années suivantes, les autres titulaires du droit peuvent réclamer leur part du gain, au sens de l'article 619 du code civil, si, lors de l'exercice du droit de retrait, une annotation a été faite à ce sujet dans le registre foncier.

Art. 14.

1 La personne qui dresse l'acte authentique de vente est tenue F. Exercice du d de se renseigner sur les parents du vendeur visés àT l'article 8,- ainsi ?"?'

* "*"''· i /* · -i I- Communique sur Je fermier, et de remettre au conservateur du registre foncier cation.

une liste de ces personnes.

2 Le conservateur du registre foncier doit, après avoir reçu la réquisition d'inscription du contrat de vente, aviser les parents et le fermier.

3 Les autres titulaires du droit de retrait sont informés par une publication de la conclusion du contrat de vente. Les cantons fixent la forme de cette publication.

1

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II. Délai.

O. Pâturages de montagne*

Art. 15.

Le titulaire du droit de retrait doit l'invoquer dans le mois à compter du jour où il a reçu la communication du conservateur du registre foncier ou à partir de la publication, par une déclaration adressée au vendeur.

2 Le droit de retrait s'éteint en tout cas une année après la réquisition d'inscription du contrat de vente au registre foncier.

1

Art. 16.

Les cantons sont autorisés à édicter encore d'autres prescriptions sur les pâturages de montagne, notamment à prévoir un droit de retrait favorisant l'acquisition de pâturages de montagne privés par des communes, des collectivités de droit public ou des consortes d'alpage du droit cantonal, 2 Lorsque les possesseurs de biens-fonds agricoles sis dans des régions de montagne sont établis dans ces régions, des droits de pacage suffisants leur seront réservés.

3 Ces prescriptions sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

1

CHAPITRE III COURTAGE EN MATIÈRE DE BIENS-FONDS A. Autorisation.

I. Obligation.

II. Conditions.

111. Révocation.

Art. 17.

Les personnes bénéficiant d'une autorisation de l'autorité désignée par le canton peuvent seules, à titre professionnel, servir d'intermédiaires pour la conclusion de contrats de vente ou d'échange portant sur des immeubles agricoles ou indiquer l'occasion de conclure de tels contrats.

2 L'autorisation est personnelle et valable pour tout le territoire de la Confédération.

3 Pour l'octroi de l'autorisation, les cantons peuvent prélever un émolument équitable.

Art. 18.

1 L'autorisation n'est accordée qu'aux personnes ayant l'exercice des droits civils et civiques, jouissant d'une bonne réputation; elle peut être subordonnée à la fourniture d'une caution convenable.

2 Elle sera refusée aux faillis et à ceux qui ont fait l'objet d'une saisie infructueuse.

Art. 19.

L'autorisation sera révoquée si les conditions posées ne sont plus remplies ou que le courtier incite ou coopère intentionnellement à la conclusion d'actes juridiques tendant à violer ou à éluder la présente loi.

1

83

Art. 20.

Les cantons sont autorisés à édicter des dispositions plus sévères, B.i Dispositions de droit canto2 Ces dispositions sont soumises à la sanction du Conseil fédéral. nal.

1

CHAPITRE

If

AFFERMAGE

Art. 21.

Sans l'autorisation de l'autorité compétente, les immeubles agricoles ne peuvent pas être affermés, en tout ou partie, pour une durée inférieure à trois ans.

2 Lorsque le bail a été fait pour une durée inférieure à trois ans ou pour un temps indéterminé, il est réputé conclu pour trois ans, à moins qu'une demande d'autorisation ne soit présentée dans les trois mois dès le début du bail.

s Une durée inférieure à trois ans peut être autorisée pour de justes motif s.

4 Les cantons peuvent dispenser de l'autorisation les baux qui portent sur des parcelles; Ces prescriptions sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

Art. 22.

1 Lorsqu'un bail est prorogé tacitement à l'expiration du temps convenu ou que ni l'une ni l'autre des parties n'a donné congé pour le terme prévu par le contrat et admis par la loi, le bail est réputé renouvelé, aux mêmes conditions, de trois en trois ans, jusqu'à ce que, par suite d'un congé donné six mois d'avance, il soit résilié pour la fin d'une période de trois ans.

2 Si, avec l'autorisation de l'autorité, le bail a été conclu pour une durée inférieure à trois ans il sera réputé renouvelé pour une période de même durée.

Art. 23.

Les articles 281 et 282 du code des obligations sont remplacés par les dispositions suivantes, s'agissant de l'affermage d'immeubles agricoles : Art. 281, Si, après la conclusion du contrat, le bailleur aliène la chose affermée ou qu'elle lui soit enlevée par l'effet de poursuites ou de sa faillite, l'acquéreur est subrogé au bailleur quant aux droits et obligations résultant du bail.

Art. 282. Lorsque des immeubles affermés sont aliénés en vue d'une construction immédiate, pour des buts publics ou pour être 1

A. Baux è ferme.

I. Durée minimum.

II. Reconduction.

III. Aliénation de la choss affermée.

1. La vente ne rompt pas le bail.

2. Exceptions.

exploités par le nouveau propriétaire, le preneur n'a pas le droit d'imposer au tiers acquéreur la continuation du bail, à moins que ce dernier ne s'y soit obligé ; le bailleur cependant reste tenu de réparer tout le dommage causé au fermier par la résiliation anticipée du contrat.

A moins que le contrat ne permette de résilier le bail plus tôt, le tiers acquéreur doit toutefois observer, en donnant congé, le délai de six mois fixé par la loi, et il est réputé avoir assumé la continuation du bail s'il ne le dénonce pas.

Sont réservées les règles spéciales concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique.

B. Pâturages de montagne.

Art. 24.

Les cantons sont autorisés à édicter d'autres prescriptions sur l'affermage des pâturages de montagne, notamment pour assurer un droit de pacage préférentiel et équitable aux possesseurs de bétail de la région de montagne dont fait partie le pâturage.

2 Ces prescriptions sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

1

CHAPITRE V

MESURES DE PROTECTION CONTRE DES RÉALISATIONS FORCÉES NUISIBLES A L'ÉCONOMIE A. La Procédure de concordat.

I. Conditions, 1. En général.

Art. 25.

Si la procédure officielle d'assainissement ou celle de désendettement ne peuvent être ouvertes, parce que le canton n'exécute pas le désendettement et ne continue pas l'aide financière, le propriétaire d'un domaine agricole peut demander un concordat conformément aux dispositions suivantes.

a Lorsque la requête du propriétaire n'a pas été précédée de la surveillance de l'entreprise, l'autorité de concordat peut, en lieu et place d'un sursis concordataire, ordonner la surveillance de l'entreprise jusqu'à l'aboutissement du concordat.

3 L'autorité de concordat statue, après avoir entendu le débiteur et le commissaire, sur la prise en considération de la requête.

1

Art. 26.

2. Pour la pròi Un concordat hypothécaire peut être combiné avec un concordat TMîdat hypTM"" ordinaire à la requête du débiteur qui rend vraisemblable : a. Que, sans faute de sa part, il est hors d'état de payer intégralement le capital et les intérêts des créances garanties par gage;

85

b. Qu'en outre, les immeubles constitués en gage lui sont nécessaires pour continuer à exploiter son domaine agricole et que ce domaine constitue le moyen d'existence essentiel de sa famille; c. Que lui-même ou les membres de la famille faisant ménage commun avec lui sont dignes d'aide, 2 Si l'ouverture de la procédure de concordat hypothécaire est décidée, l'autorité de concordat ordonne une estimation conformément à la loi sur le désendettement de domaines agricoles.

Art. 27.

Dans la procédure de concordat hypothécaire, l'autorité de con- n. Procédure cordât peut prendre les mesures suivantes: hypothèse!

a. Sursis de deux ans au remboursement des créances en capital '· Mesuresavec, à titre exceptionnel, une prolongation de deux ans au plus, à la demande du propriétaire; 6. Limitation à quatre pour cent du taux de l'intérêt, en ce qui concerne les créances hypothécaires couvertes, avec effet depuis la dernière échéance antérieure à l'ouverture de la procédure, jusqu'à l'expiration du sursis au remboursement du capital au plus tard; c. Réduction du taux de l'intérêt ou suppression des intérêts, en ce qui concerne les créances en capital non couvertes, pour la durée du sursis au remboursement du capital; d. Extinction, par paiement au comptant de soixante-quinze pour cent, des intérêts hypothécaires échus, couverts. Cette mesure ne peut cependant être prise que si les créanciers chirographaires perdent cinquante pour cent ou plus de leurs créances. En règle générale, la réduction ne doit toucher que les intérêts des créances en capital grevant le gage au delà des deux tiers de sa valeur d'estimation.

1

2

Si le sursis au remboursement du capital est accordé, l'autorité de concordat peut ordonner la surveillance de l'entreprise du débiteur au sens des articles 35 à 40.

Art. 28.

Pendant le sursis au remboursement du capital, aucun acte de poursuite ne peut être exercé contre le débiteur, quant aux sommes faisant l'objet du sursis, et la prescription ou la péremption qui pourraient être interrompues par un acte de poursuite restent suspendues. Le sursis fait tomber, avec tous leurs effets, les poursuites en réalisation de gage intentées antérieurement.

2. sursis au mTMt°Udue"ca.

<"Hal"' EffBts "

86

Art. 29.

b. Révocation.

A la requête d'un créancier gagiste, d'une caution, d'un codébiteur ou d'un garant, l'autorité de concordat peut révoquer le sursis pour toutes les créances qui en sont l'objet, s'il est prouvé que le débiteur: a. Peut se passer du sursis sans que sa situation matérielle soit compromise; ou b. A agi pendant le sursis avec déloyauté ou légèreté au préjudice du créancier gagiste qui demande la révocation; ou c. A donné à ferme son domaine, à moins qu'il ne tire du fermage ses moyens d'existence; ou d. A aliéné du bétail engagé ou s'en est défait au préjudice d'un créancier gagiste.

2 Lorsque le bénéfice du sursis a été étendu à une caution solidaire ou à un codébiteur, le sursis n'est révocable envers eux que s'ils peuvent s'en passer sans que leur .situation matérielle soit compromise.

3 Dans les cas visés au 1er alinéa, lettre a, et au 2e alinéa, la révocation peut être prononcée au plus tôt deux ans après l'octroi du sursis ou le rejet d'une demande de révocation.

l

Art. 30.

Les cautionnements souscrits par le débiteur sont éteints par l'attribution du dividende concordataire afférent aux créances chiro.3 du dé- graphaires.

2 L'autorité de concordat peut cependant attribuer un dividende réduit ou faire abstraction de tout dividende. Elle tient compte des circonstances, en particulier des répercussions auxquelles sont exposés le débiteur principal et les cautions conjointes, ainsi que de l'origine du cautionnement.

Art. 31.

1 2. CautionneLe sursis au .remboursement du capital s'étend à la caution ments de simple.

tiers.

2 a. Sursis au Les cautions solidaires peuvent demander d'être mises au bénéremboursement dir ca- fice du sursis si elles prouvent que sans le sursis leur situation matépital.

rielle serait compromise. Le sursis peut être limité à une partie de la créance et subordonné à la fourniture de sûretés.

3 Pendant le sursis, les droits conférés aux cautions par les articles 510 et 511 du code des obligations sont suspendus. La caution n'a pas davantage le droit de requérir du débiteur principal, conformément à l'article 506 du code des obligations, des sûretés ou, à ce défaut, sa libération.

03. Situation dëà cautions.

1. Cautionnement: biteui

1

87

Art. 32.

S'ils ne prouvent pas qu'un paiement compromettrait leur situation matérielle, les cautions, codébiteurs et garants répondent de la perte que subit le créancier du fait de la limitation du taux de l'intérêt des créances hypothécaires couvertes, ou de l'extinction des intérêts hypothécaires échus, couverts.

Art. 33.

L'autorité de concordat statue sur la requête du débiteur à la suite de débats, sans assemblée préalable des créanciers.

2 La convocation aux débats se fait par une publication; cette publication indique, d'une part, que le projet de concordat est déposé auprès de l'autorité de concordat, les intéressés pouvant le consulter pendant dix jours avant les débats, d'autre part, que le débiteur, le commissaire, les créanciers et les cautions pourront, dans les débats, proposer des amendements et faire opposition à l'homologation du concordat.

3 La publication n'est pas nécessaire lorsque les créanciers et cautions connus de créances hypothécaires non couvertes, ainsi que le commissaire et le débiteur, ont adhéré au concordat. Dans ce cas, les créanciers et cautions connus de créances chirographaires, ainsi que le commissaire et le débiteur, sont informés par écrit qu'ils pourront s'opposer pendant les débats à l'homologation du concordat.

1

b. Perte d'inlèrêfs.

IV. Convocation aux débats.

Art. 34.

Lorsque la procédure de concordat hypothécaire est combinée v. Décision, avec le concordat des créanciers chirographaires, l'autorité de concordat doit homologuer le concordat, si la somme que représentent les créanciers acceptants est au moins égale aux deux tiers du montant total des créances, que les conditions de l'article 306 de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite soient remplies, que les modalités du concordat paraissent de nature à sauvegarder la situation matérielle du débiteur et que cette solution soit plus favorable aux créanciers qu'une liquidation forcée immédiate, 2 Dans les cantons où il existe une autorité supérieure de concordat, la décision peut lui être déférée dans les dix jours dès la communication.

3 Au surplus, les dispositions du titre onzième de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite sont applicables.

1

Art. 35.

La surveillance de l'entreprise peut être ordonnée à l'égard du B. surveillance propriétaire d'un domaine agricole qui constitue pour lui et pour i^gut^^tt sa famille le moyen d'existence essentiel.

1

88 3

Cette mesure doit amener le débiteur à mieux exploiter son domaine et écarter la menace d'une réalisation forcée.

Art. 36.

il. Compétence L'autorité de concordat est compétente pour ordonner la suret »quête.

veiUanee de l'entreprise. Dans les cantons où il existe une autorité supérieure de concordat, le débiteur et les créanciers peuvent lui déférer la décision dans les . dix jours.

2 La surveillance de l'entreprise peut être demandée par le débiteur et, avec son assentiment, aussi par les créanciers hypothécaires, en Heu et place de la réalisation.

3 La demande sera écartée si le débiteur est responsable de sa gêne et si lui-même et les membres de sa famille faisant ménage commun avec lui ne sont pas dignes d'aide et qu'en outre le paiement successif des dettes échues ne puisse pas être envisagé.

4 L'autorité de concordat peut, jusqu'à ce qu'une décision définitive soit intervenue, suspendre à titre provisionnel la réalisation des biens-fonds.

Art. 37.

ni. Surveii.

Lorsque l'autorité de concordat ordonne la surveillance de l'entrelant " prise, elle désigne comme surveillant un agriculteur ou un chef d'exploitation expérimenté.

1

iv. effets.

v. Durée.

Art. 38.

Tant que dure la surveillance de l'entreprise le débiteur ne peut, sans l'assentiment du surveillant, valablement aliéner ou grever des immeubles, les affermer ou les louer, constituer des gages, souscrire des cautionnements, disposer à titre gratuit ou effectuer des paiements sur le capital de ses dettes antérieures à la surveillance de l'entreprise.

2 Tant que dure la surveillance de l'entreprise, les immeubles agricoles du débiteur, son bétail et son matériel ne peuvent être réalisés que dans la mesure où ils ne sont pas indispensables à l'exploitation normale de l'entreprise.

1

Art. 39.

La surveillance de l'entreprise est ordonnée pour une année au moins; elle peut être prolongée de manière à avoir une durée totale de trois ans au plus.

2 Elle peut, par décision de l'autorité de concordat, être révoquée avant l'expiration du délai fixé, 3 La surveillance est levée en tout temps, sur la proposition d'un créancier ou du surveillant, si le débiteur se soustrait aux obligations 1

89

qui lui sont imposées ou aux ordres du surveillant, ou s'il s'avère impossible que le débiteur puisse, pendant la durée de la surveillance, exécuter ses engagements anciens et nouveaux en utilisant les revenus de l'entreprise agricole. Une demande rejetée ne peut être renouvelée avant six mois.

Art. 40.

Une ordonnance du Tribunal fédéral réglera la procédure applicable en matière de surveillance d'entreprise, fixera les tâches du surveillant et l'utilisation des revenus de l'entreprise.

VI. Ordonnance d'exe cution

CHAPITRE VI COMPÉTENCE ET PROCÉDURE

Art. 4L Les cantons désignent l'autorité compétente pour décider de l'applicabilité de la loi à un bien-fonds, pour autoriser le courtage en matière de biens-fonds, ainsi que pour autoriser la conclusion de baux à ferme d'une courte durée. Ils règlent la procédure.

2 Ils désignent une autorité cantonale de recours qui tranche définitivement sous réserve de l'article 42.

3 Les cantons peuvent désigner une autorité qui a le droit de recourir contre des décisions déterminées de la juridiction de première instance.

-' ·:: - ' . ' Art. 42.

Le recours de droit administratif au Tribunal fédéral est ouvert contre les décisions prises en dernière instance cantonale au sujet de l'applicabilité de la loi à un bien-fonds.

1

.-.'·.

-. · Art.. 43.

.

Pour l'activité déployée en application.de la présente loi, les cantons peuvent percevoir des émoluments modérés.

CHAPITRE

VII

TRANSFERT DES IMMEUBLES AGRICOLES

Art. 44.

:.

1

Les cantons peuvent, pour leur territoire, subordonner à la ratification par l'autorité, d'une manière générale ou dans des cas Feuille, fédérale. 100e année. Vol. I.

7

A. Autorités cantonales

B. Tribunal fédéral.

C. Emoluments.

90

déterminés, la validité des actes juridiques ayant pour objet le transfert de la propriété sur des immeubles agricoles.

·· · · 2 Dans ce cas, ils règlent le champ d'application de la ratification obligatoire, les conditions de la ratification, ainsi que la procédure, et désignent les autorités compétentes.

3 Les actes juridiques qui, en vertu de l'article 11, ne donnent pas lieu à un droit de retrait, seront dispensés de la ratification obligatoire.

* Ces prescriptions sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

CHAPITRE

VIII

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES

A. Dispositions cantonales d'application.

0. Exécution.

C. Modification et abrogation de lois.

Art. 45.

Les cantons établissent les règles complémentaires prévues pour l'application de la présente loi.

2 Ils sont tenus de les établir, et ils peuvent le faire dans dea ordonnances d'exécution, toutes les fois que les règles complémentaires du droit cantonal sont nécessaires pour l'application de la loi.

3 Ces règles sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

1

Art. 46.

Le Conseil fédéral édicté les dispositions nécessaires à l'exécution de la présente loi et contrôle l'application de la loi.

1 2

Art, 47.

Toutes les dispositions contraires à la présente loi sont abrogées,

Les articles 621 quater et 625 bis du code civil sont remplacés par les textes suivants: Art. 621 quater. Les cantons ont le droit de disposer que dans les régions de montagne le partage peut être opéré par attribution à la valeur de rendement de certains biens-fonds à différents héritiers; il ne doit toutefois pas en résulter, en règle générale, un morcellement des biens-fonds.

Dans les régions à caractère urbain, les cantons peuvent prolonger jusqu'à vingt-cinq ans le délai pendant lequel les cohéritiers ont le droit de réclamer leur quote-part du gain au sens de l'article 619.

91

Ces dispositions doivent indiquer exactement les régions dans lesquelles les exceptions susdites sont valables ; elles sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

Art. 625bis. Si aucun des héritiers ne demande l'attribution de toute l'exploitation agricole ou qu'une telle requête soit rejetée, chacun des membres de la communauté héréditaire peut exiger qu'elle soit vendue comme un tout.

Art. 48.

loi.

Le Conseil fédéral fixe la date de l'entrée en vigueur de la présente o. Entrée en · .

.

6132

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi sur le maintien de la propriété foncière rurale.(Du 30 décembre 1947.)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1948

Année Anno Band

1

Volume Volume Heft

02

Cahier Numero Geschäftsnummer

5348

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

15.01.1948

Date Data Seite

25-91

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