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XLIXme année. Vol. III.

N° 24.

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Mercredi 16 juin 1891

Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant

la création d'une compagnie d'aérostiers.

(Du 24 mai 1897.)

Monsieur le président et messieurs, Déjà dans notre projet d'une « Organisation des troupes » du
décembre 1893, nous TOUS avions proposé la création d'un parc
aérostatique et le bureau d'état-major général avait fait à ce sujet un rapport spécial qui fut imprimé fit joint au message du Conseil fédéral.

Vous avez renoncé à la discussion du projet de loi sur « l'Organisation des troupes ». Mais dans ces trois années le ballon captif a été l'objet dans les armées étrangères de grands perfectionnements, il est devenu un engin de guerre d'une très grande importance et la nécessité de pourvoir notre armée du matériel qui lui est indispensable nous oblige à revenir sur ce sujet par la présentation de ce projet de loi ; nous avons la conviction, en effet, que l'emploi du ballon captif militaire est devenu aussi pour nos milices d'une urgence absolue et indiscutable.

Les ballons captifs furent employés il y a déjà plus de cent ans par les armées françaises pour observer les mouvements de l'ennemi : le décret du 2 avril 1794 créa la première compagnie d'aérostiers.

Feuille fédérale suisse. Année XLIX: Vol. III.

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Le ballon servit aux Français dans la première guerre de la.

Eépublique pendant les sièges de Maubeuge et de Charleroi et à la bataille de Fleuras. L'apparition de cette machine énorme produisit sur la garnison de Charleroi un effet moral considérable, et le gouverneur demanda à capituler, désespérant, disait-il, de cacher sa mauvaise situation à un ennemi qui possédait un pareil moyen d'observation. Le 26 juin 1794, eut lieu la bataille de Fleuras et l'aérostat eut aussi sa part dans le succès définitif. Il était resté neuf heures en l'air ; et Jourdan fut toujours renseigné sur les mouvements de l'ennemi aussitôt qu'ils s'effectuaient et put manoeuvrer promptement pour les faire échouer, grâce aux utiles et rapides informations qu'il recevait de son chef d'état-major, le général Morlot, qui se trouvait dans la nacelle.

Le comité de salut public, satisfait des résultats obtenus au moyen des ballons, créa une seconde compagnie d'aérostiers et fonda peu de temps après l'école nationale aérostatique de Meudon. Les aérostiers suivirent ensuite les armées de Pichegru, de Moreau et de Hoche. Bonaparte les fit transporter en Egypte, où tout le matériel aérostatique fut détruit à la bataille d'Aboukir avec le vaisseau qui le portait. Les compagnies d'aérostiers furent alors supprimées par le directoire. A cette époque, la méthode employée pour le gonflement du ballon était très compliquée. On produisait le gaz au moyen de fourneaux d'une construction spéciale dans une station à l'intérieur du pays ; de là il fallait transporter, à travers mille difficultés, le ballon tout gonflé, jusque sur le théâtre de la guerre. Aussi dès que commencèrent les grandes guerres offensives de la France, il ne fut plus possible de faire suivre par les ballons gonflés les armées qui opéraient au delà des Alpes et du Ehin.

L'aérostation militaire fut alors presque totalement délaissée ; ce ne fut qu'en 1870 qu'elle fut de nouveau utilisée et cela encore par la France. Son emploi eut lieu de deux manières différentes : au siège de Paris les ballons servirent à un service de poste pour relier la province à la capitale ; à l'armée de la Loire on chercha à les utiliser comme ballons captifs pour observer l'ennemi. Mais, malgré le concours de personnes très compétentes, ces essais ne réussirent pas. On reconnut alors qu'il
était impossible d'improviser au moment de la guerre le matériel aérostatique qui doit être étudié avec le plus grand soin et dans ses plus petits détails.

Les Allemands n'obtinrent pas plus de succès dans leurs essais d'emploi d'un ballon captif devant Strasbourg.

Les expériences faites en 1870 décidèrent les Français à étudier avec soin l'aérostation militaire ; l'école de Chalais-Meudon fut rétablie ; la fabrication du gaz et tout le matériel furent perfec-

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tiennes, un personnel de plus en plus nombreux fut rompu à toutes les manoeuvres aérostatiques ; aussi le développement de l'aérostation militaire en France engagea bientôt toutes les armées voisines à copier c« qui se faisait dans ce pays.

Le manque de mobilité du matériel aérostatique de la première Eépublique fut diminué par l'emploi d'un générateur d'hydrogène sur roues, qui constituait ainsi une fabrique mobile de gaz, de sorte que l'on pouvait procéder à la fabrication du gaz et au gonflement du ballon sur le champ de bataille même. Un nouveau perfectionnement, introduit il y a quelques années, consiste dans le transport du gaz comprimé dans des cylindres d'acier, ce qui permet de gonfler le ballon beaucoup plus rapidement.

Aucune grande guerre n'ayant eu lieu depuis la réintroduction de l'aérostation militaire, les ballons captifs ne furent employés que dans quelques campagnes coloniales.

Les Anglais l'utilisèrent au Betschuana et au Soudan.

En 1887, l'Italie dota l'expédition du général San Marzano en Erythrée d'un parc aérostatique. Ce détachement comptait 6 officiers et 4 sections du génie avec trois ballons. Le gaz produit à Naples était transporté comprimé dans des tubes d'acier. Les ballons furent employés à diverses reprises dans le camp retranché de Saati, et la relation officielle du général San Marzano dit que de la position de Saati le champ d'observation depuis la nacelle s'étendait audelà de ce que pouvaient voir les avant-postes.

Dans la campagne du Tonicin, lés ballons furent employés sur la demande de l'amiral Courbet qui les considérait comme le seul moyen de reconnaissance que l'on pût employer dans ce pays très couvert. Un détachement d'aérostiers, comprenant 2 officiers, 36 sous-officiers et soldats accompagna les renforts envoyés au Tonkin au printemps 1884. Ce détachement fut renforcé par 30 artilleurs de marine et 80 coolies. A cause du manque presque absolu de communications dans ce pays, il avait fallu créer un matériel spécial très léger et réduire les dimensions des ballons, de sorte qu'ils ne cubaient plus que 300 mètres.

Le détachement prit part à l'expédition contre Bac-Ninh, immédiatement après son arrivée à Hanoï et rendit de très grands services par les reconnaissances qui purent être faites par ce moyen, soit pendant la marche, soit pendant le combat
de Tung-Son ; de plus, la présence du ballon contribuait de beaucoup à élever le moral des troupes. Cet aérostat fut transporté tout gonflé pendant 13 jours. Après un nouveau gonflement, il fut employé pendant le bombardement de Hong-Hoa où il fut très utile pour ' observer la ville assiégée et constater les effets du tir. Le détachement fit enfin

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partie de la colonne du général Négrier qui utilisa le ballon avec succès devant Kep et fit lui-même une ascension pour se rendre un compte exact du terrain et de la situation. Cette campagne a prouvé ainsi que le ballon captif est un très précieux moyen de renseignement pour le général en chef et qu'il peut suivre les troupes pendant plusieurs semaines dans un terrain meine très couvert.

Quoique les rapports sur les résultats obtenus avec le ballon pendant les grandes manoeuvres soient très incomplets, ils reconnaissent cependant que l'on a été généralement satisfait de ces résultats.

Un coinpte-rendu des plus complets est celui qu'a publié le lieutenant Debureaux dans la Revue du génie, après les grandes manoeuvres de 1891 en France.

« Jamais, dit cet officier, les services du matériel aérostatique n'avaient été mis en lumière avec autant de netteté. Il est vrai que les ballons captifs ont trouvé dans le téléphone un complément précieux, qui rend leur rôle bien plus considérable ; car aujourd'hui les officiers montés dans la naeuile peuvent communiquer continuellement avec le général en chef, lui faire part clé leurs découvertes et le tenir ainsi au courant du moindre mouvement de l'ennemi, s'opérant à des distances parfois considérables.

« Mais là ne se bornent pas les améliorations réalisées. Grâce aux procé lés de compression du gaz on est arrivé à mettre un ballon en état de planer en une demi-heure ; les équipages ont obtenu une telle mobilité que le transport du ballon vide ou gonflé s'opère avec la plus grande facilité. Ce matériel s'est rendu par étapes de Versailles à Brienne, 200 kilomètres en 10 jours, quelques étapes dépassant 40 kilomètres.

« Le ballon fit sa première apparition au combat d'Aulnay. Début pénible ; il pleuvait et ventait et le parc dut gagner la ferme de la Garenne par des chemins de terre défoncés et montueux.

Malgré ces obstacles, la « Meuse » s'élève à l'heure dite et rend de grands services : son équipage peut prévenir le commandant du yjme corps que l'attaque bruyante contre laquelle il se défend n'est qu'une feinte. Grâce à la « Meuse », l'emplacement des réserves et la marche de la véritable ligne d'attaque sont signalés.

Quatre généraux, montant successivement dans la nacelle, purent se rendre compte des précieux avantages de cet observatoire.

« A
Colombey, le général de Galliffet resta deux heures et demie dans la nacelle, donnant des ordres par le téléphone, de la hauteur de 350 à 400 mètres à laquelle le ballon était retenu. Les troupes couvraient un front de 12 kilomètres sur des profondeurs de 8 à 9 kilomètres ; cependant le commandant de l'armée de l'ouest pou-

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vait en suivre toutes les dispositions, reconnaître chaque unité, décider des emplacements à occuper par l'artillerie. Il pouvait lire comme sur une carte un terrain de 15 kilomètres et même par la poussière soulevée deviner le passage des troupes sous bois. Quand le général fut descendu, un fil téléphonique le tint en relation constante avec les observateurs restés dans la nacelle.

« A Vendeuvre, le ballon permit de signaler au général Davout des engagements de cavalerie qui avaient lieu à plus de 9 kilomètres. Pendant la bataille nocturne sur la Voire, il rendit encore de grands services. A Margerie, le vent soufflait en tempête et l'on ne crut pas devoir risquer le matériel, obstacle qui n'arrêterait pas en temps de guerre.

« Les marches avec ballons gonflés ont été merveilleuses. Le ballon traversa la ville de Bar-sur-Aube en plein combat, malgré de grands obstacles et l'encombrement ; la traversée des forêts de Bossican et du Grand-Orient se fit sans entraver la marche des colonnes; chaque obstacle était franchi en deux ou cinq minutes et le ballon entraîné au trot sur les bas-côtés reprenait sa place avec une précision extraordinaire. » En Italie le ballon fut employé avec beaucoup de succès aux manoeuvres de forteresse de Vérone en 1887. D'après un rapport du directeur des manoeuvres, le défenseur grâce à son ballon, était constamment au courant de tous les mouvements de son adversaire, ce qui lui permettait de régler et de concentrer le feu de ses pièces.

Les renseignements manquent sur les résultats obtenus dans d'autres manoeuvres; cependant les officiers suisses qui ont pris part aux grandes manoeuvres d'Aquila en 1895, rapportent que là aussi le ballon a rendu d'excellents services en permettant de reconnaître à temps la marche des colonnes et les réserves de l'ennemi.

En Autriche, on forma en 1895, un détachement aérostatique qui prit part aux manoeuvres impériales en Bohême. Quoique le matériel fut de fort médiocre qualité, ce détachement rendit de grands services. Le ballon de 1000 mètres cubes fut gonflé ainsi que deux sacs-réservoirs de 60 mètres cubes chacun au moyen du gaz d'éclairage par le gazomètre de Budweis et transporté ensuite, de nuit, par un temps très orageux jusque sur le terrain des manoeuvres, c'est-à-dire à une distance de 25 kilomètres. Le jour suivant, le 2
septembre, le ballon fut employé par la direction des manoeuvres et fut transporté dans l'après-midi à une distance de 12 kilomètres. Le lendemain, le ballon contribua à la victoire du XIVme corps en découvrant de bonne heure la marche du VIIIme corps. Le troisième jour le ballon marcha avec l'avant-garde du

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yjjjme corpS et rendit au commandant de ce corps de précieux services par ses indications Quelques comptes-rendus donnent d'intéressants détails sur l'emploi du ballon cerf-volant dans les dernières manoeuvres impériales en Allemagne.

Chaque corps d'armée avait un grand ballon captif qui planait à 1000 mètres de hauteur. Le maniement du treuil et du cable nécessitait pour chaque ballon l'emploi de 60 hommes et le train de chaque ballon comprenait 6 voitures-tubes à six chevaux pour le transport de l'hydrogène.

Le déchargement, le gonflement et l'ascension du ballon avaient lieu en 14 minutes. Les communications de la nacelle à l'état-major du corps d'armée se faisaient au moyen du télégraphe de campagne.

Dans plusieurs armées, le détachement d'aérostiers comprend une section fixe chargée de la production du gaz et une section mobile qui doit suivre l'armée et employer le ballon en temps utile.

La méthode ordinaire de la production du gaz hydrogène consiste à décomposer l'eau par le fer et l'acide sulfurique de sorte que l'hydrogène devient libre. On peut aussi décomposer l'eau par le fer chauffé à rouge ; -- c'est ce procédé qu'employaient les premiers aérostiers en France, -- ou bien encore au moyen du courant électrique. Ce dernier procédé, l'électrolyae, est employé par plusieurs industries, par exemple, pour la production du chlore, de la potasse, de l'oxygène ; l'hydrogène se dégage comme produit sans valeur, ce qui permet à l'administration militaire allemande d'acheter à très bas prix l'hydrogène nécessaire pour le gonflement de ses ballons. Dans le cas où nous ne posséderions pas en Suisse d'industrie analogue, il nous faudra préparer le gaz à part. Mais comme les installations que nécessite l'électrolyse de l'eau sont très coûteuses, nous devrons employer le procédé ordinaire par le fer et l'acida sulfurique. L'appareil doit être installé dans une station centrale dans l'intérieur du pays ; il peut être fixe, ou mis sur roues pour faciliter son transport en cas d'évacuation.

Le gaz produit par le générateur est immédiatement comprimé sous une pression de 120 à 150 atmosphères, pour réduire son volume autant que possible pour le transport et emmagasiné dans des tubes d'acier de 2 à 4 mètres de longueur, que l'on place suides voitures spécialement construites dans ce but.

Le matériel aérostatique mobile comprend : le ballon, la voiture-treuil qui sert à dérouler et à enrouler le câble du ballon, le

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fourgon pour le transport du ballon vide avec le matériel de réserve, les voitures-tubes nécessaires pour le gonflement.

~L'enveloppe du ballon est en soie ou en baudruche ; elle est entourée d'un filet de chanvre, auquel la suspension relie la na·celle qui porte les observateurs.

La sphère est la forme la plus naturelle du ballon ; c'est celle qui a été adoptée dans toutes les armées, sur le modèle français (voir pi. I). Les sections d'aérostiers de l'armée allemande ont es·sayé un ballon allongé que le vent soutient comme un cerf-volant et qui doit présenter ainsi une résistance spéciale aux coups de vent.

La voiture-treuil (voir pi. II) sert à retenir le ballon au moyen d'un cable de chanvre, de soie ou d'acier. On enroule le ·câble sur le treuil suivant que le ballon doit monter ou descendre; ainsi l'ascension du ballon se règle au moyen du treuil qui est commando lui-même, suivant les cas, par un moteur à vapeur ou au pétrole.

La longueur du câble est de 500 à 1000 mètres.

Le fourgon sert au transport de l'enveloppe du ballon, avec tous ses agrès, ainsi que des pièces de réserve.

Les voitures-tubes (voir pi. III) servent au transport des tubes remplis d'hydrogène comprimé. Elles sont formées d'un cadre ·sur lequel on place les tubes ; une boite à remplir sert, pour la détente du gaz, de réservoir intermédiaire entre les tubes et le ballon. Le nombre de voitures nécessaires pour un gonflement (2 à 6) dépend des dimensions des tubes et du ballon.

Le parc aérostatique mobile comprend ainsi le fourgon, la Toiture-treuil et un certain nombre de voitures-tubes ; lorsque la construction de ces voitures est bien comprise et que leurs attelages sont suffisants, la mobilité de ce parc égale celle d'une batterie.

Outre l'armée française, les armées russe, italienne, danoise, «spagnole, portugaise, belge, hollandaise, roumaine et suédoise possèdent actuellement des parcs aérostatiques dont le matériel est analogue à celui des parcs français et a été livré par l'industrie parisienne. Les armées allemande, anglaise et autrichienne sont pourvues d'un matériel spécial, construit par l'industrie nationale.

Le service aérostatique de l'armée française comprend l'établissement central de Chalais-Meudon et quatre compagnies d'aérostiers rattachées chacune à un régiment du génie et stationnées à Versailles, Arras, Montpellier et Grenoble.

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En temps de guerre, les effectifs sont doublés par l'appel des réservistes et forment alors 13 parcs et détachements, attribués en partie aux armées (à raison d'un parc par armée) et en partie aux places fortes.

Une section d'aérostiers de campagne comprend 3 officiers, 14 sous-officiers, 2 trompettes, 74 aérostiers, 2 sous-officiers du train, 28 conducteurs, 6 chevaux de selle, 52 chevaux de trait.

Un parc d'armée comprend 28 voitures, savoir : une voiture-treuil à 6 chevaux, une voiture d'agrès à 6 chevaux, une voiture-fourgon à 4 chevnux, deux fourgons à vivres à 2 chevaux: une prolonge à ridelles à 4 chevaux, deux voitures de réquisition à 2 chevaux, vingt voitures-tubes dont au moins 9 sont attelées à 6 chevaux.

L'instruction des officiers et de la troupe a lieu à l'école de Chalais-Meudon suivant les prescriptions détaillées du règlement du 8 décembre 1890. Les officiers y reçoivent l'instruction technique et sont exercés aux observations ; le diplôme d'officier aérostier ne leur est donné que lorsqu'ils ont fait 5 ou 6 ascensions libres.

Le développement de ce service en France engagea les Allemands en 1884 à créer à Berlin une station d'études pour ballons captifs avec un personnel de 4 officiers, 4 sous-officiers, 29 soldats et 1 aéronaute. Cette station est placée sous les ordres de la Ire brigade des chemins de fer. Son effectif fut augmenté plusieurs fois, et comprend actuellement : 6 officiers, 141 sous-officiers et soldats.

Une seconde section d'aérostiers fut créée en 1890 k Munich avec un eifectif de 3 officiers, 4 sous-officiers et 26 hommes. La, composition des parcs de ces sections et leur nombre en temps de guerre ne sont pas connus.

En Angleterre une commission fut chargée en 1871 d'étudier l'aérostation militaire et de faire des expériences à la suite desquelles le ministre de la guerre décida en 1879 d'introduire le ballon dans l'armée.

On essaya d'abord des ballons gonflés au gaz d'éclairage, puis on employa l'hydrogène et immédiatement après, en 1880, on cemmença les essais de transport du gaz comprimé.

En 1884, on établit définitivement une section aérostatique à Chatham et en 1888 on fixa la composition du parc aérostatique, comme suit : 8 officiers, 30 sous^officiers et soldats aérostiers, 20-

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sous-officiers et soldats conducteurs, 3 chevaux de selle, 6 voitures à 4 chevaux, savoir : 1 voiture-ballon avec 2 ballons de baudruche de 283 mètres cubes et un câble de 750 mètres de longueur ; une voiture-matériel avec deux ballons et du matériel ; 4 voiturestubes avec 35 tubes chacune.

En 1890 on créa un dépôt aérostatique comprenant 1 inspecteur, 1 ingénieur, 1 mécanicien et 6 hommes, pour la fabrication et la compression de l'hydrogène.

La section d'aérostation dépend du génie.

C'est en 1895 que l'Italie se décida à introduire l'aérostation militaire dans son armée par la création d'une station d'essais. Le matériel fut fourni par l'ingénieur Gabriel Yon à Paris, et n'a pas subi depuis de modifications essentielles, à l'exception de l'achat en Angleterre de pompes et de tubes pour l'emploi du gaz comprimé.

Une compagnie de spécialistes fut créée en 1887 dans le 3me régiment du génie et chargée du service de l'aérostation et des projecteurs électriques ; une seconde compagnie fut encore créée plus tard pour le même service.

Un parc aérostatique de campagne comprend 2 officiers, 52 sous-officiers et soldats du génie, 27 sous-officiers et soldats du train, 2 chevaux de selle, 36 chevaux de trait, 9 voitures, savoir : 1 fourgon pour le matériel aérostatique, 1 voiture-treuil, 1 voiture de transport, 6 voitures-tubes.

Le matériel que les Italiens possèdent actuellement correspond environ à celui de deux parcs de campagne et d'un parc de forteresse.

En Autriche, le ministre de la guerre de l'empire a hésité longtemps avant d'introduire le ballon dans l'armée, cependant il reconnut ne pas pouvoir tarder plus longtemps à le faire et créa en 1893 une station d'études qui fit de l'emploi du ballon dans le combat, l'objet d'expériences très complètes. Le personnel permanent de cette station comprend 2 officiers et 6 hommes ; chaque année un certain nombre d'officiers et de soldats de toutes armes y reçoivent pendant 6 mois l'instruction nécessaire, de sorte que déjà en 1895 on put employer avec succès un détachement d'aérostiers aux manoeuvres impériales de Bohême. L'armée autrichienne ne possède pas encore une organisation définitive des parcs de campagne; cependant comme un crédit assez élevé était inscrit pour l'aérostation militaire au budget de 1896, il est probable que la création d'un
véritable parc de campagne ne se fera plus attendre longtemps.

En Russie, une commission fut créée en 1884 sous la présidence du général Boreskoff pour l'étude de l'aérostation militaire

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et la création de parcs aérostatiques. En 1886, le-matériel nécessaire fut acheté à Paris à la maison Gabriel ion. Ce nouvel engin de guerre fat rapidement apprécié dans l'armée, les achats de matériel continuèrent, le personnel fut augmenté et en 1890 on adopta l'organisation définitive suivante : Un parc aérostatique d'instruction central a pour objet de former une station permanente d'études, de donner l'instruction théorique et pratique aux officiers et aux hommes destinés à ce service, de servir en temps de guerre à la formation de sections aérostatiques de campagne et de construire et de conserver en temps de paix le matériel destiné à ces sections.

Un certain nombre de sections aérostatiques de forteresse sont réparties déjà en temps de paix dans les places fortes, avec le matériel nécessaire.

Les sections aérostatiques de campagne ne sont pas formées en temps de paix, mais sont créées en cas de mobilisation, comme il a été dit plus haut, par le parc d'instruction.

Le cadre permanent du parc d'instruction comprend 7 officiers, 88 sous-officiers et soldats. Le matériel de ce parc consiste en : 4 ballons captifs de 640 m3.

3 ballons libres de 1000 m3.

2 ballons signaux de 120 m8, et d'autres engins.

La composition des 4 parcs de forteresse qui existent actuellement indique l'importance que l'on donne en Russie à l'aérostation militaire ; chacun de ces parcs comprend : 6 ballons captifs de 640 m8.

3 ballons libres de 1000 m8.

3 réservoirs transportables de 250 m8.

1 treuil à vapeur sur deux voitures.

1 treuil à bras, et le matériel nécessaire pour la fabrication du gaz.

Après cette revue du développement de l'aérostation militaire, nous pouvons examiner la question suivante: Quelle est donc l'importance de cet engin de guerre, pour qu'il ait été adopté dans l'espace de quelques années par presque toutes les armées ?

Le ballon est un observatoire mobile très élevé, pouvant être employé presque immédiatement, en quelque point que ce soit du champ de bataille ; il en résulte que le ballon captif est, dans le combat, le moyen de renseignement le plus sûr qu'une armée

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puisse posséder. L'officier placé dans la nacelle voit le terrain dans un rayon de 15 kilomètres, les plis du terrain disparaissent presque entièrement pour lui, il voit par dessus chaque ondulation, par dessus chaque obstacle. Aussi l'observateur peut depuis le ballon renseigner le commandant de l'armée de la manière la plus rapide, tant sur les mouvements et la répartition des forces de l'ennemi, que sur la situation de ses propres troupes.

Le ballon captif donne ainsi au général qui le possède une supériorité considérable sur son adversaire qui ne le possède pas ; car il lui permet de connaître d'avance les intentions de son adversaire et de prendre à temps ses dispositions en conséquence.

L'intériorité de celui -qui ne possède pas de ballon captif est évidente et la conscience de ce désavantage paralyse l'énergie des chefs et des troupes, comme le montre la relation du siège de Charleroi dans la première guerre de la République. En tenant compte du matériel que possèdent les armées des pays voisins, nous devons craindre qu'en cas de guerre avec l'une ou l'autre de ces puissances, notre adversaire n'utilise contre nous ce précieux observatoire.

Aucun autre moyen ne saurait le remplacer, ni le service de renseignements le plus complet, ni d'habiles espions, ni une puissante cavalerie, ni de hardies patrouilles, ni des postes d'observation sur les hauteurs.

Le service d'espionnage le mieux organisé s'est toujours montré insuffisant pendant la bataille, car, dans ces conditions, un homme seul ne peut obtenir la vue d'ensemble des grands mouvements des troupes ennemies, et môme s'il y réussissait, il lui manquerait encore les moyens de faire parvenir ses nouvelles à temps.

De même, la cavalerie, soit en grandes masses, soit au moyen de patrouilles, ne pourra pas percer les lignes ennemies et voir ce qui se passe en arrière de celles-ci. L'infanterie, grâce à la puissance de son fusil et à l'emploi de la poudre sans fumée, pourra empêcher toutes les tentatives que fera la cavalerie pour déchirer le voile qui s'étend devant elle. La cavalerie pourra prendre le contact avec l'ennemi, indiquer aussi quelquefois l'étendue de son front, mais elle restera toujours dans l'ignorance de la force des troupes qui sont devant elle et surtout ne parviendra pas à découvrir quelle est la place des réserves. Et
même si, avec beaucoup de hardiesse et d'énergie, après de longs détours, une patrouille de cavalerie arrive à voir les réserves, à connaître le nombre des colonnes de marche, il lui faudra encore transmettre ces renseignements qui n'arriveront au commandant en chef que très rarement en temps utile, si même ils ne sont pas interceptés par l'ennemi.

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II en est de même de l'emploi des postes d'observation sur les hauteurs. Il suffit de se rendre compte de l'étendue du champ de bataille de deux armées qui luttent entre elles et les conditions stratégiques à la suite desquelles ces rencontres ont lieu, pour reconnaître sans peine qu'il sera excessivement rare de trouver, à proximité du champ de bataille, un point assez élevé pour que l'on puisse en embrasser l'ensemble ou même une partie et qu'il sera encore plus rare que ce point soit sitné de telle manière qu'il favorise les observations ainsi que la transmission des nouvelles au quartier général. Aussi n'est-il pas possible de compter pour les dispositions à prendre sur une chance aussi incertaine, c'est-àdire d'en faire dépendre le sort d'une armée.

Il en est tout autrement avec le ballon captif, car avec un matériel bien étudié, dont la mobilité doit égaler celle d'une batterie de campagne, il est possible d'avoir, en moins d'une demiheure (20 à 25 minutes, même 14 minutes, d'après les derniers comptes-rendus des manoeuvres allemandes) un observatoire élevé de 500, 700 ou même de 1000 mètres au-dessus du sol et relié, par téléphone ou par télégraphe à un poste de transmission placé au point de départ du câble, ou même directement au quartier général du commandant en chef.

L'officier placé dans la nacelle voit depuis cette hauteur toute l'étendue du front de l'armée ennemie, ses travaux de fortification, il voit ses batteries, il peut les compter, et ce qui a le plus d'importance pour le commandant en chef, il voit toutes les réserves de l'ennemi, il connaît leur emplacement et peut annoncer aussi au général, à temps, l'arrivée des corps qui vont renforcer les troupes de l'adversaire.

D'autre part, il peufc suivre la marche de nos propres troupes, contrôler l'action de notre artillerie, observer les progrès de la lutte sur chaque partie du front et renseigner ainsi le général très rapidement et à chaque moment, sur l'ensemble de la bataille.

On a fait plusieurs objections générales à l'emploi du ballon captif; ainsi l'on a dit que le ballon ne sera pas toujours sur place et disponible au moment nécessaire.

Cette objection pouvait avoir sa raison d'être lorsque l'on préparait le gaz hydrogène sur place et que le gonflement du ballon demandait plusieurs heures. Actuellement, cette cause de
retard n'existe plus, car avec l'emploi du gaz comprimé dans des tubes d'acier, le gonflement et l'ascension du ballon ont lieu sur le champ de bataille, au moment voulu, très rapidement, en moins d'une demi-heure. Les tubes remplis de gaz sont chargés sur des voitures de guerre, comme les munitions pour les troupes, et l'ensemble

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des voitures portant le ballon, ses agrès, le treuil et le nombre de tubes nécessaires pour un gonflement, forme une unité, comme par exemple une batterie. Et pour avoir cette unité à temps sur la place voulue, il faut lui assigner exactement sa place dans la colonne de marche (en général, dans le gros de J'avant-garde). Ce n'est là qu'une question d'encolonnement, comme elle se présente tous les jours pour l'artillerie, le génie et les services auxiliaires.

Le gonflement du ballon a lieu immédiatement avant son emploi sur le champ de bataille et jusqu'à ce moment son enveloppe vide est transportée dans le fourgon.

On a fait souvent l'objection que l'observateur en ballon ne peut rien voir par le brouillard, et n'a ainsi aucune utilité.

Ceci est exact, mais il en est absolument de même pour l'artillerie. L'infanterie elle-même est gênée, dans ses mouvements et son tir, par cet état de l'atmosphère et cependant personne ne pense à considérer cet inconvénient comme une imperfection de l'infanterie et de l'artillerie. Du reste, le brouillard est relativement assez rare et il gêne le ballon de l'adversaire tout autant que le nôtre ; aussi cette objection n'a pas de valeur.

On reproche aussi au ballon d'indiquer où se trouve le gros, ou tout au moins le commandant en chef.

Il n'est pas du tout nécessaire que le ballon se trouve à proximité immédiate du commandant en chef; il suffit d'établir un bon service d'ordonnances à cheval ou à bicyclette, ou ce qui est mieux encore une petite ligne téléphonique ou télégraphique pour assurer la rapidité des transmissions.

Du reste, dans les grandes batailles, il n'y a pas un gros unique, dont l'emplacement pourrait être trahi par la présence du ballon ; l'armée marche en plusieurs colonnes profondes, et le ballon sera attribué à l'une d'elles ; son ascension n'indique à l'ennemi que la présence de troupes sur un certain point, ce que celui-ci aura toujours constaté longtemps auparavant par le contact avec l'avant-garde de cette colonne. Le ballon ne donnera ainsi aucune indication sur la marche des colonnes principales et l'emplacement des réserves de l'armée, et si l'ennemi voulait en tirer des conclusions de ce genre, il s'exposerait à de gravés erreurs.

Lorsqu'il ne s'agit que d'une division ou d'un corps d'armée, comme par exemple dans les manoeuvres,
le ballon se trouvera en général à l'avant-garde, dont la tâche est surtout démonstrative et qui ne fournit à l'ennemi aucune donnée sur les mouvements du gros.

La distance à laquelle le ballon se trouve de l'emplacement du quartier-général étant sans importance si l'on emploie une ligne té-

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léphoniqne ou télégraphique, il peut servir dans certains cas à tromper l'ennemi. C'est ce que le général de Négrier fit à Kep, dans la campagne du Tonkin.

On prétend aussi que les ballons captifs militaires ne peuvent pas ascensionner par des vents un peu forts (vitesse 7 à 8 m. à la seconde).

Ceci aussi est inexact, car avec un ballon militaire bien conditionné, on peut affronter, suivant des aéronautes expérimentés, des vitesses de 15 m. à la seconde, qui sont assez rares. De même, le ballon captif de l'exposition de Genève a supporté sans inconvénient des vitesses de vent de 12 m. à la seconde.

En outre, il ne faut pas oublier que le ballon de l'adversaire est soumis exactement aux mêmes conditions atmosphériques que le nôtre.

On dit aussi que l'observation devient impossible par un fort vent à cause des oscillations de la nacelle.

Cette affirmation est très exagérée ; les oscillations dépendent beaucoup du mode de suspension et même lorsqu'elles sont très fortes, elles ne gênent pas l'observateur, si elles ont une certaine régularité. Ainsi, des essais faits avec le ballon captif de l'exposition de Genève ont démontré que des observations avec des jumelles sont encore faciles à des distances de 6 à 7 km., même lorsque les oscillations du ballon ont une amplitude de 50 à 60 mètres.

Il reste à étudier la question militaire importante de savoir si le ballon a à craindre le feu de l'ennemi, c'est-à-dire s'il doit se tenir en arrière à une distance telle que l'observation du champ de bataille en soit rendue plus difficile. Ici aussi la réponse à cette question est négative.

Des essais de tir contre les ballons, qui ont eu lieu récemment dans des conditions se rapprochant le plus de celles de la guerre, ont prouvé que la mise hors de combat d'un ballon nécessite une forte consommation de munitions, dans le cas où le ballon ne se tiendrait pas hors de portée dès le début.

En France, on admet maintenant les conclusions suivantes : les projectiles du fusil de petit calibre ne causent à l'enveloppe de l'aérostat qu'un danger relatif, car par les petits orifices qu'ils produisent la diffusion du gaz est absolument insuffisante. D'ailleurs, les aérostats captifs n'ont point à s'approcher si près des lignes ennemies. Pour ce qui est des atteintes par les projectiles de l'artillerie, il est prouvé qu'à la distance de 5500 mètres et à l'altitude de 800 mètres, le ballon est à peu près invulnérable, et comme son

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rayon d'observation s'étend jusqu'à 15 km., il n'y a pas de raison de placer l'aérostat à une distance moindre que 5 à 7 km. des batteries ennemies.

En Autriche, on a fait en juillet 1895 au polygone de Steinfeld avec une batterie des essais de tir en campagne contre un ballon captif mobile. Après un tir de 80 shrapnels, ce qui donne environ 10,000 balles et éclats, le ballon resta intact et l'on n'y découvrit ensuite que trois petits trous sans importance.

On peut ainsi mettre le ballon à l'abri du tir de l'artillerie, son seul ennemi, en le tenant à une distance suffisante des batteries, en le faisant ascensionner à une grande hauteur (la longueur du câble a été portée dans plusieurs armées de 500 à 1000 mètres) et en le déplaçant horizontalement et verticalement dès qu'il est exposé au tir efficace de l'artillerie.

Les difficultés du pointage augmentent pour l'artillerie avec l'altitude de l'aérostat ; on est même parfois obligé d'enterrer la crosse des canons, ce qui crée un ralentissement et une gêne sérieuse pour le service des bouches à feu.

Nous croyons avoir démontré dans les pages qui précédent quelle est l'importance des ballons captifs pour Ta conduite des armées et dans quel état d'infériorité se trouve celui qui, n'ayant pas de ballon, doit livrer bataille à un adversaire pourvu d'une station aérostatique. Nous croyons de plus que pour notre armée la nécessité et l'importance du ballon eaptif sont encore plus grandes, si l'on tient compte de la faiblesse numérique de notre cavalerie. Elle sera probablement toujours en présence d'une cavalerie ennemie supérieure en nombre et aura ainsi les plus grandes difficultés à reconnaître l'emplacement des forces principales de l'adversaire, avant et pendant la bataille.

Du reste, l'effet moral est une raison en faveur de l'adoption de cet engin de guerre, qui à elle seule vaut toutes les autres.

Il a été dit plus haut que, pendant la Ire guerre de la Eépublique, les déjenseurs de Charleroi demandèrent à leurs commandants de rendre la place, parce qu'ils se considéraient comme hors d'état d'en continuer la défense sous les yeux des observateurs placés dans la nacelle de l'aérostat, désespérant, disaient-ils, de cacher plus longtemps leur mauvaise situation. On rapporte aussi que dans la campagne du Tonkin, le ballon contribuait de beaucoup
à élever le moral des troupes. Quel serait l'effet produit sur nos milices lorsqu'elles verraient planer dans les airs ce puissant observatoire de l'adversaire auquel elles ne pourraient rien cacher de leurs mouvements, si elles n'avaient pas la satisfaction de constater que

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nous avons les mêmes moyens d'observer l'ennemi? Nos soldats et leurs chefs n'éprouveraient-ils pas un sentiment de découragement en voyant l'indécision qui en résulterait dans nos mouvements, tandis qu'ils constateraient par chacun des mouvements de l'adversaire qu'il possède la connaissance exacte du but à atteindre?

Notre armée n'éprouverait-elle pas une certaine angoisse en croyant qu'elle est inférieure à l'armée qu'elle doit combattre, qu'il lui manque un engin de guerre indispensable et que son matériel est insuffisant pour la guerre ? Ces questions d'ordre moral ont, pré.cisément pour notre armée dont la discipline repose sur la confiance dans les chefs, une -valeur indiscutable.

En dehors des objections d'ordre général que noas avons réfutées précédemment, il y en a d'autres qui s'appliquent plus spécialement à l'emploi du ballon en Suisse.

On dit, par exemple, que le terrain est trop mouvementé pour que l'on puisse bien observer de la nacelle de l'aérostat. Cette remarque n'est pas exacte pour toute la région comprise entre le Jura, les Alpes, le lac de Genève et le Rhin. C'est la seule région que nous ayons à considérer pour les grandes opérations de la guerre et dans toute cette région les ondulations du terrain n'ont pas une hauteur suffisante pour masquer la vue de l'observateur dès qu'il est à une altitude de 300 à 500 mètres (à plus forte raison de 1000 mètres). Plusieurs officiers de l'état-major général suisse ont fait des ascensions en ballon en Suisse pour étudier cette question et l'un d'eux a résumé ses impressions en ces lignes : « Déjà à une hauteur de 200 mètres au-dessus du sol, la vue que l'on a présente un grand intérêt ; à une hauteur de 300 à 500 mètres, on voit parfaitement tous les détails du terrain dans un rayon d'environ 13 kilomètres. Les différents accidents du terrain apparaissent avec une grande précision ainsi que les routes qui se détachent en longs rubans blancs. Il n'y a pas d'observatoire à comparer au ballon pour donner une idée générale du pays, parce que l'on a une vue d'ensemble dans laquelle chaque objet apparaît avec sa valeur vraie. De plias, les différents mouvements de terrain et les forêts ne sont pas un obstacle à la vue, car le rayon visuel passe au-dessus, de sorte que jusqu'à une distance variable suivant l'altitude de l'aérostat, les
angles morts sont presque entièrement supprimés. On a l'impression, impression qui correspond exactement à la réalité, que l'on a sous les yeux un immense relief dans lequel chaque petit détail serait représenté. J'estime que depuis un ballon captif maintenu à une hauteur de 300 à 500 mètres, l'on pourrait, dans un rayon de 7 à 8 kilomètres et même au-delà, voir d'une manière suffisante toutes les troupes qui pourraient y manoeuvrer. »

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Ceci est encore plus exact, les distances sont encore plus grandes, si l'on fait ascensionner le ballon à 700 ou 1000 mètres.

Tandis que d'une part l'on prétend que les mouvements du terrain gênent dans notre pays la vue que l'on pourrait avoir d'un ballon captif, d'autre part l'on dit que nous avons assez de sites élevés pour pouvoir nous passer d'un observatoire artificiel. Une simple étude de la carte suffit pour réfuter cette objection ; les futurs champs de bataille se trouvent, comme il a été dit plus haut, dans la plaine suisse. Et a moins que la bataille ne se livre immédiatement au pied de la chaîne orientale du Jura ou au pied de l'Utliberg, nous ne connaissons pas d'autre terrain qui puisse ·servir de champ de bataille et assez rapproché d'une hauteur qui permettrait d'en embrasser l'ensemble. Nous ne pouvons pas compter «ur le hasard dans nos calculs pour le choix de notre matériel de guerre. Ce qu'il nous faut, c'est un observatoire toujours prêt, que nous puissions installer partout et déplacer suivant les besoins.

On dit aussi quelquefois que l'emploi des ballons captifs présente en Suisse des difficultés plus grandes qu'ailleurs, parce que en Suisse les vents sont plus forts que dans les pays voisins.

C'est une de ces affirmations hasardées, qui ne reposent sur rien et sont acceptées trop facilement. En Suisse, les vents ne sont pas plus forts qu'ailleurs ; c'est ce qui résulte de l'étude des rapports des stations météorologiques.

Une dernière objection que l'on a faite est celle des difficultés de l'instruction de la troupe ; avec notre temps de service si court, nous ne pourrions pas arriver à dresser suffisamment le personnel nécessaire au service d'un parc aérostatique.

Nous croyons que ceci est encore une erreur. Ce service n'est nullement aussi difficile qu'il semble ; de plus, on peut faciliter l'instruction et l'emploi de la troupe par la division du travail.

Pour la fabrication du gaz, sa compression, nous aurons une section fixe, dont le personnel sera recruté parmi les hommes dont la profession nous donnera les garanties d'instruction technique suffisante, ainsi, des ingénieurs, des chimistes, des mécaniciens, des chauffeurs.

Puis, pour le travail aérostatique proprement dit, c'est-à-dire pour le transport, le gonflement du ballon et les ascensions, un personnel
spécial formant la section mobile. Ici aussi on recrutera des hommes que leur profession mettra à même de manipuler facilement ce matériel et d'y faire les réparations nécessaires ; des cordiers, des tailleurs, des mécaniciens, etc. Les sous-officiers et solFeuille fédérale suisse. Année XLIX. Vol. III.

27

406

dats y recevront l'instruction nécessaire pour le gonflement, le maniement du ballon et son transport tout gonflé, à travers les obstacles. Les officiers apprendront de plus la pratique des ascensions et des observations et recevront l'instruction théorique nécessaire qui leur permettra d'employer toujours leur matériel en parfaite connaissance de cause. Nous ne croyons pas qu'il y ait de grandes difficultés à obtenir ce résultat, car ce service n'est pas plus compliqué que celui d'une batterie, d'une compagnie d'artillerie de position ou de forteresse ou d'une compagnie de pontonniers, et l'on peut aussi constater que les aéronautes de profession arrivent à dresser sans peine le personnel d'aides qui leur est nécessaire.

On objecte aussi quelquefois que nous devrions attendre le moment où le problème de la navigation aérienne serait résolu.

Une étude de l'aéronautique et de tous les efforts qui ont été faits pour arriver au but, dépasserait les limites de cet exposé. Dupuy de Lomé, Giffard, Tissandier, Yon, Renard et Krebs, le professeur Langley et l'ingénieur Maxim ont fait des essais très intéressants mais encore insuffisants. On crut, il y a plus de dix ans, que le problème était résolu par le commandant Renard, mais c'était une erreur, de même que la nouvelle plus récente, que Éenard avait construit un aéronef qui pourrait tenir tòte à des vents de 12 m. à la seconde, ne s'est pas confirmée. Malgré tous ces efforts, il ne paraît pas qu'il y ait aucune certitude ni même aucune probabilité que le problème de la navigation aérienne soit résolu prochainement.

Il est impossible de dire aujourd'hui s'il s'écoulera encore quelques années ou 40 ou 50 années avant que l'homme puisse se promener librement dans les airs.

Aussi nous ne croyons pas que pour doter notre armée d'aérostats, nous devions attendre des découvertes qui peuvent se faire seulement dans le milieu du siècle prochain. Le matériel de guerre de notre armée doit répondre aux besoins actuels et le ballon captif comme observatoire mobile du champ de bataille, nous est absolument nécessaire, non pas dans 20 ou 50 ans, mais maintenant et sans retard.

Pour la création d'une compagnie d'aérostiers, nous ne voulons naturellement rien inventer dans cette branche, mais nous devons étudier avec soin ce qui a été fait dans les autres pays,
choisir ce qui nous paraît être le meilleur et s'adapter le plus facilement aux besoins de notre armée.

Ensuite des études que nous avons faites, nous proposons de constituer la compagnie des aérostiers de la manière suivante :

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4 officiers, 37 aérostiers (sous-officiers et soldats), 34 sousofficiers et soldats du train, 8 chevaux de selle, 58 chevaux de trait, 14 voitures.

Cette compagnie se divise en deux sections : La section mobile, la section des machines, dont la composition est indiquée au tableau.

Le matériel comprendra : a. un ballon complet d'environ 600 mètres cubes ; de plus, une enveloppe et un filet de réserve. Ces pièces sont celles qui s'usent le plus et nous devons en avoir un exemplaire de réserve dans le fourgon pour pouvoir les remplacer dos que cela est nécessaire.

b. un câble et un treuil avec moteur à vapeur ou à pétrole ; le tout porté sur une voiture. Le câble aurait une longueur de 800 à 1000 mètres et serait en soie ou en acier. Le fourgon devrait porter aussi un cable de réserve.

c. un générateur pour la fabrication de l'hydrogène.

d. un gazomètre, pour emmagasiner le gaz après sa production et avant sa compression. Ce gazomètre ne devrait pas être métallique, ce qui demande une installation trop compliquée ; il devrait consister en un petit ballon auxiliaire.

e. un compresseur avec machine, pour comprimer le gaz dans les tubes.

f. des tubes d'acier pour l'emmagasinement du gaz comprimé, avec les voitures nécessaires pour leur transport.

Le nombre de tubes indispensables pour un gonflement serait réparti sur trois voitures d'un modèle spécial ; comme nous estimons que pour être prêts à toutes les éventualités, il nous faut avoir trois gonflements ou garnitures, cela nous donne 9 voitures pour le transport de ces tubes.

C'est sur la base de ce programme, et d'après les données des fournisseurs et le préavis de la section technique de notre Département militaire, que nous avons calculé le devis des dépenses nécessaires pour ce matériel, les installations et les voitures et dont l'ensemble se monte à 153,600 francs répartis ainsi :

408 l voiture-treuil avec moteur à vapeur ou à pétrole et des câbles de 1000 m. de longueur ; 1 générateur à hydrogène ; 1 fourgon avec 1 ballon complet ; 1 enveloppe et un filet de réserve ; 1 petit ballon g a z o m è t r e . . . . . . . fr. 52,800 1 chaudière à vapeur pour les pompes de compres6,000 sion .

.

.

.

.

.

.

.

. » pompes de compression avec machines a vapeur . » 11,000 3 garnitures de tubes (1 garniture à 18,000 francs, » 54,000 voitures-tubes pour le transport des tubes (9 à » 18,000 2,800 francs fourgons pour le transport du matériel (3 à » 4,500 1,500 francs) ·» 7,300 frais de transport et imprévu, 5 °/0 fr. 153,600 Les bâtiments qui sont nécessaires pour le ballon captif, soit pour remiser le matériel et les voitures, soit pour la manipulation du matériel pendant les écoles et les cours sont les suivants : a. un hangar pour le ballon, b. un hangar pour les machines, c. un hangar pour la chaudière.

.·'"d a. Hangar pour le ballon. Une très importante partie de l'instruction d'une compagnie d'aérostiers consiste non-seulement dans les exercices de gonflement du ballon, mais aussi dans l'emploi du ballon pour les observations et dans les marches avec le ballon gonflé. Pour ces manoeuvres qui doivent être souvent répétées, on ne peut, si l'on veut éviter de grosses dépenses, car le gonflement d'un ballon de 600 mètres cubes revient à 400 ou 500 francs, gonfler le ballon chaque jour. Il faut donc, qu'il reste gonflé plusieurs jours, pendant que ces manoeuvres ont lieu ; il n'est pas possible non plus de le laisser pendant ce temps sans abri, car il soufi'rirait beaucoup du vent, de la pluie et du soleil.

Il faut donc, pour ménager le matériel, construire un hangar, dans lequel on pourra remiser le ballon gonflé.

Ad Ì). Bâtiment des machines. Il doit contenir : 1. le générateur ou appareil producteur d'hydrogène.

2. les pompes de compression.

3. le gazomètre.

Comme il n'est pas possible de régler la production du gaz, de manière à ce que la quantité produite par le générateur corresponde exactement à celle que les pompes peuvent comprimer il

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est nécessaire de recueillir le gaz produit dans un gazomètre, qui sert de réservoir et de régulateur, pour éviter les pertes de gaz et permettre un travail régulier des pompes. Un petit ballon cubant environ 60 mètres donnera le gazomètre le plus simple et le moins coiiteux.

Il est nécessaire d'avoir un bâtiment pour ces trois appareils; avec un espace suffisant pour la manipulation des tubes.

Dans ces deux hangars, il y a un espace suffisant pour pouvoir remiser toutes les voitures dans l'intervalle des cours.

Ad c. Bâtiment de la chaudière. Ce bâtiment renfermera la chaudière à vapeur (locomobile), le charbon, les acides et le fer nécessaire à la fabrication du gaz.

Le coût de ces constructions se monterait, suivant le devis : pour le hangar du ballon à fr. 24,300 » le bâtiment des machines à » 6,700 » le bâtiment de la chaudière à » 4,000 Total fr. 35,000 II faudrait y ajouter le prix d'un terrain de 1,500 à 1,800 mètres carrés ; mais comme les dimensions et le prix de ce terrain dépendent essentiellement des circonstances locales, il n'est pas possible d'indiquer ici un chiare exact. Ce poste serait supprimé dans le cas ou ces constructions pourraient être établies sur la place de manoeuvres de l'une de nos places d'armes.

Les frais des premières acquisitions et des installations nécessaires se monteront, en tout, à 200,000 ou 220,000 francs environ.

L'administration est simple et peut être rattachée à celle d'un arsenal. Quant à l'instruction, les prescriptions générales existant déjà pour les troupes du génie suffiront parfaitement. Mais il sera notifié qu'il n'y aura une école de recrues que tous les 4 ans ; elle comptera environ 35 hommes, et au point de vue administratif, elle sera rattachée à une école de recrues.

Comme pour la création d'une compagnie d'aérostiers, il s'agit d'une nouvelle unité de troupe, il est nécessaire que cette création ait lieu par une loi. Cependant, il est utile de laisser au Conseil fédéral, soit à l'Assemblée fédérale, une certaine marge dans la fixation de l'effectif, car le personnel et le matériel nécessaires ne pourront être exactement déterminés que lorsque nous aurons pu faire quelques expériences sur l'emploi de ce nouvel engin de guerre dans notre terrain et conjointement avec l'armée.

410 II va sans dire que l'organisation entière devra être attribuée à l'arme du génie- comme c'est le cas, aussi, en France, en Angleterre et en Italie.

En terminant, nous affirmons de nouveau notre intime conviction que notre armée ne peut pas manquer plus longtemps de ce puissant engin de guerre qu'est le ballon captif, si elle ne veut pas rester dans un état d'infériorité manifeste vis-à-vis des autres armées européennes. L'effectif nécessaire en hommes et Jen chevaux est si faible qu'il ne peut entrer en ligne de compte ; et les dépenses qu'entraîné la création de cette nouvelle troupe ne dépassent en aucune manière les sommes que nous donnons habituellement, sans hésitation et avec pleine connaissance de cause, pour compléter notre matériel et notre préparation à la guerre.

H s'agit ici non pas seulement de perfectionner la partie technique de notre armement, mais surtout de fortifier le sentiment de confiance que notre armée doit avoir en elle-même.

L'effet moral que produirait sur nos troupes et aussi sur leurs chefs la présence, durant le combat, d'un ballon ennemi, serait, dans le cas où nous ne pourrions pas disposer nous-mêmes du même engin de guerre, tout-à-fait incalculable et pourrait contribuer à la perte de la bataille que nous aurions à livrer pour le salut de la patrie.

Nous vous présentons, monsieur le président et messieurs, l'assurance renouvelée de notre haute considération.

Berne, le 24 mai 1897.

Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération: DEUCHEE.

Le Jer vice-chancelier : SCHATZMANH.

411

Projet.

Loi fédérale concernant

la création d'une compagnie d'aérostiers.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la CONPÉDÉEATION SUISSE, vu le message du Conseil fédéral du 24 mai 1897, décide : 1. Il est créé une compagnie d'aérostiers qui relève de l'arme du génie.

2. La compagnie d'aérostiers est destinée au service d'un ballon captif et de son parc. Elle est formée conformément aux données des tableaux ci-après.

Toutefois, le Conseil fédéral demeurera libre d'apporter, dans le cadre du budget, les modifications d'organisation qui lui paraîtront nécessaires après expériences faites.

3. Les hommes de la compagnie d'aérostiers qui passent en landwehr, restent attribués à cette compagnie pour le service du dépôt et du complément.

4. Les prescriptions en vigueur actuellement pour l'arme du génie seront appliquées à l'instruction de la compagnie d'aérostiers.

5. Le Conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier la présente loi et de fixer la date de son entrée en vigueur.

412 Effectif d'une compagnie d'aérostiers.

a. Section mobile.

Capitaine, chef de la compagnie .

Premiers-lieutenants ou lieutenants Sergent-major .

.

.

.

Sergents .

.

.

.

.

Soldats aérostiers .

.

.

Maréchal des logis du train .

Brigadiers d u train .

.

.

Soldats du train .

.

.

Trompette .

.

.

.

.

Infirmier .

.

.

.

.

Officiers.

Sons-officiers et soldats.

Cheranx de selle.

1 2 -- -- -- -- -- -- -- --

-- -- 1 3 25 1 2 27 1 1

1 2 1 -- -- 1 2 -- 1 --



61

S

Officiers.

Sons-officiers et soldats.

Chevaux de selle.

1 -- -- -- --

-- 2 6 1 2

1

11

b. Section des machines.

Premier-lieutenant ou lieutenant Serments .

.

.

.

Soldats aërostiers .

.

Brigadier ou appointé du train Soldats d u train .

.

.

.

.

.

.

.

--

Total : 4 officiers, 72 sous-officiers et soldats, 8 chevaux de selle.

413

Voitures et chevaux de trait de la compagnie.

a. Section molile.

1 1 6 3 2

voiture-treuil à 6 chevaux . . . 6 chevaux de trait.

fourgon à 6 chevaux .

6 » » » voitures-tubes à 6 chevaux .

36 » » » voitures-tubes non attelées .

fourgons à 2 chevaux .

52 chevaux de trait.

13 voitures.

Késerve

54 chevaux de trait.

b. Section des machines.

1 fourgon et 4 chevaux de trait ; au besoin le générateur figurant aussi comme voiture.

Total : 14 voitures et 58 chevaux de trait.

(Les soldats du train et les chevaux de trait de la section des machines sont destinés au transport des tubes du bâtiment de fabrication du gaz à la gare la plus rapprochée.)

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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la création d'une compagnie d'aérostiers. (Du 24 mai 1897.)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1897

Année Anno Band

3

Volume Volume Heft

24

Cahier Numero Geschäftsnummer

---

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

16.06.1897

Date Data Seite

389-413

Page Pagina Ref. No

10 072 835

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