00.056 Message concernant l'initiative populaire fédérale «pour une durée du travail réduite» du 28 juin 2000

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons l'initiative populaire «pour une durée du travail réduite» et vous proposons de la soumettre au vote du peuple et des cantons avec recommandation de la rejeter sans contre-projet.

Le projet d'arrêté fédéral correspondant est joint en annexe.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

28 juin 2000

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Adolf Ogi La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

3776

2000-0708

Condensé L'initiative populaire «pour une durée du travail réduite» a été déposée à la Chancellerie fédérale le 5 novembre 1999, sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, munie de 108 296 signatures valables. Cette initiative prévoit d'introduire progressivement une durée de travail annuelle d'au maximum 1872 heures, pour tous les travailleurs, ce qui correspond à une semaine de travail moyenne de 36 heures. L'initiative prévoit dès son acceptation une réduction annuelle du temps de travail de 52 heures, jusqu'à ce que l'objectif fixé soit atteint. Les emplois à temps partiel doivent également profiter de cette réduction, qui n'entraînera aucune diminution de salaire pour les travailleurs dont la rémunération ne dépasse pas 150 % de la moyenne des salaires versés en Suisse (environ 7600 francs). Différentes mesures d'accompagnement sont prévues, comme un nombre maximum d'heures de travail supplémentaire (100 par année), une durée maximale absolue de la semaine de travail (48 heures), une interdiction générale de traiter les travailleurs à temps partiel de manière discriminatoire et une aide financière de la Confédération en faveur des entreprises qui mettent en oeuvre plus rapidement cette réduction.

La réglementation actuelle et le temps de travail effectif vont bien au-delà des 36 heures de travail hebdomadaires moyennes, préconisées dans l'initiative. La loi sur le travail, qui s'applique à une majorité de travailleurs, fixe à 45­50 heures la durée maximale de travail hebdomadaire. Aujourd'hui, la semaine de travail moyenne est d'environ 42 heures en Suisse.

De même que pour les initiatives lancées (en vain) précédemment, le Conseil fédéral est convaincu que la réduction de la durée du travail est avant tout l'affaire des partenaires sociaux. Une telle réduction inscrite dans la Constitution, avec le manque de souplesse que cela entraîne au niveau des heures de travail de tous les travailleurs, ne peut en aucun cas répondre aux besoins des différentes branches de l'économie et des entreprises. La réduction massive du temps de travail réclamée par les auteurs de l'initiative, avec une garantie de salaire pour les petits et moyens revenus, aurait des conséquences négatives sur notre économie: il faudrait compter avec une augmentation des coûts salariaux et du niveau des prix; les petites
entreprises et les branches nécessitant un nombre élevé d'heures de travail comme l'agriculture seraient les premières touchées. Le nombre des demandeurs d'emploi et des chômeurs a fortement régressé depuis le lancement de l'initiative (au printemps 1998), ce qui fait que le but principal des auteurs de l'initiative ­ la lutte contre le chômage ­ a actuellement perdu de son acuité. Il est d'ailleurs peu probable que cette initiative contribue à réduire notablement le chômage, voire à le faire disparaître. Il est possible qu'une réduction généralisée du temps de travail dans certaines branches de l'économie conduira à une réduction du nombre des demandeurs d'emploi; dans d'autres branches, au contraire, les postes ainsi libérés pourraient difficilement être repourvus. Le manque de personnel hautement qualifié irait en s'aggravant. D'un autre côté, la diminution du temps de travail pourrait être compensée en grande partie par du travail supplémentaire ou par des rationalisations. Cette initiative aurait également des conséquences indirectes néfastes telles

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que l'aggravation du travail au noir. Enfin, la Confédération, les cantons et les communes devraient faire face à un supplément de dépenses financières et de personnel.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose aux Chambres de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative «pour une durée du travail réduite» sans contre-projet.

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Message 1

Forme

1.1

Texte

Le 5 novembre 1999, l'Union syndicale suisse (USS) a déposé l'initiative populaire fédérale «pour une durée du travail réduite», présentée sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, libellé dans ces termes: I La Constitution est complétée comme suit: Art. 34a (nouveau) durée du travail annuelle est d'au maximum 1872 heures. Les jours fériés et les jours de vacances prévus par la loi sont déduits de ce nombre.

2 Elle peut être dépassée de 100 heures de travail supplémentaire au plus, qui donnent droit à un supplément. En règle générale, les heures de travail supplémentaire sont compensées par du temps libre. Elles peuvent être reportées sur l'année suivante.

3 La durée maximale de la semaine de travail est de 48 heures, heures de travail supplémentaire y comprises. Elle ne peut être dépassée. Tout contrat de travail fixe la durée du travail usuelle.

4 Les personnes travaillant à temps partiel ne doivent pas être discriminées par rapport aux personnes travaillant à plein temps. Cette règle vaut en particulier pour l'embauche, l'attribution des tâches, l'aménagement des conditions du travail, la formation et le perfectionnement professionnels, l'avancement, le licenciement et les assurances sociales, prévoyance professionnelle y comprise.

1 La

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont complétées comme suit: Art. 24 (nouveau) l'année qui suit l'acceptation de l'initiative populaire, la durée maximale du travail est ramenée à 2184 heures, moins les jours fériés et les jours de vacances prévus par la loi. Elle est ensuite réduite de 52 heures par an jusqu'à ce qu'elle atteigne 1872 heures. Le nombre d'heures des emplois à temps partiel est diminué en proportion ou le salaire horaire augmenté en proportion.

2 Les réductions de la durée du travail résultant des présentes dispositions ne doivent entraîner aucune réduction de salaire pour les travailleurs et les travailleuses dont le salaire brut ne dépasse pas 150 % de la moyenne des salaires versés en Suisse.

3 La Confédération accorde une aide financière de durée limitée aux entreprises qui réduisent la durée du travail de dix pour cent ou plus en un an et qui s'engagent, dans un contrat passé avec elle et avec les associations de travailleurs et de travailleuses compétentes, à créer ou à maintenir des postes.

1 Dans

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1.2

Aboutissement

Par décision du 9 décembre 1999, la Chancellerie fédérale a constaté l'aboutissement formel de l'initiative «pour une durée du travail réduite», qui a recueilli 108 296 signatures valables (FF 1999 9107).

1.3

Délai

Aux termes de l'art. 29, al. 1, de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC; RS 171.11), le Conseil fédéral présente son message et ses propositions à l'Assemblée fédérale dans un délai d'un an au plus tard à compter du dépôt de l'initiative. Ce délai est donc fixé ici au 4 novembre 2000.

Aux termes de l'art. 27, al. 1, LREC, lorsque l'initiative populaire exige une révision partielle de la Constitution (Cst.; RS 101) et qu'elle est présentée sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces, l'Assemblée fédérale décide, dans un délai de 30 mois à compter du jour où l'initiative a été déposée, si elle approuve ou non l'initiative. L'Assemblée fédérale peut décider de prolonger le délai d'un an si l'un des conseils au moins a pris une décision sur un contre-projet ou sur un acte législatif qui a un rapport étroit avec l'initiative populaire (art. 27, al. 5 bis, LREC).

1.4

Modifications découlant de l'adoption de la nouvelle Constitution du 18 avril 1999

Suite à l'adoption de la Constitution du 18 avril 1999 (nCst.), l'initiative «pour une durée du travail réduite» ne pourra pas conserver sa numérotation actuelle (art. 34a): elle figurera à l'art. 110a. La disposition transitoire qui la complète portera provisoirement le numéro d'art. 197 (nouveau), ch. 1, Cst., sous le titre «dispositions transitoires ad art. 110a». Nous utiliserons dans la suite du présent message cette nouvelle numérotation. Le texte de l'initiative populaire n'a pas besoin d'être adapté au niveau rédactionnel (ce qui serait possible dans le cadre des disposition prévues au ch.

III de la nouvelle Constitution, pour autant que cela s'impose).

1.5

Validité

1.5.1

Unité de la forme

Aux termes de l'art. 121, al. 4, de l'ancienne constitution (aCst.; cet article correspond à l'art. 194, al. 3, nCst.), toute initiative tendant à la révision partielle de la Constitution ne peut revêtir la forme que d'une proposition conçue en termes généraux ou celle d'un projet rédigé de toutes pièces, mais en aucun cas les deux formes (art. 75, al. 3, de la loi du 17 décembre 1976 sur les droits politiques, LDP; RS 161.1). Cette initiative revêt exclusivement la forme d'un projet rédigé de toutes pièces. L'unité de la forme est donc respectée.

3780

1.5.2

Unité de la matière

Une initiative ne peut porter que sur une seule matière. L'unité de la matière est respectée lorsqu'il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d'une initiative (art. 121, al. 3, aCst. ou art. 194, al. 2, nCst., art. 75, al. 2, LDP).

Outre la réduction progressive de la durée annuelle du travail, qui passe à 1872 heures au maximum, l'initiative prévoit diverses mesures complémentaires: une limitation des heures de travail supplémentaire, une durée maximale de la semaine de travail, une interdiction générale de discriminer les travailleurs à temps partiel, une diminution correspondante de la durée du travail des personnes à temps partiel ou une augmentation proportionnelle de leur salaire, une garantie de salaire pour les petits et moyens revenus ainsi qu'une aide financière versée par la Confédération à certaines entreprises.

Il existe pour toutes ces mesures un rapport intrinsèque avec la diminution du temps de travail visée par les auteurs de l'initiative. On pourrait à la limite se demander si l'interdiction générale de discriminer les travailleurs à temps partiel n'est pas contraire à l'unité de la matière. Or, une diminution du temps de travail ne manquerait pas d'influer sur leurs rapports de service, et l'initiative prévoit expressément que ces emplois bénéficient de la réduction. L'unité de la matière est donc garantie.

1.5.3

Mise en oeuvre de l'initiative

La réduction de la durée du travail visée par l'initiative peut être mise en oeuvre dans la loi et dans les faits.

2

Situation initiale

2.1

Rappel des précédentes initiatives populaires

L'initiative populaire «pour une durée du travail réduite» poursuit des buts analogues à ceux d'autres initiatives qui l'ont précédée et qui ont toutes été repoussées.

Le 23 août 1984, l'Union syndicale suisse lança une initiative pour la réduction du temps de travail. Celle-ci prévoyait de ramener par étapes la durée maximale de la semaine de travail à 40 heures, sans perte de salaire pour les travailleurs. L'initiative visait à garantir à ces derniers une part équitable des gains en productivité induits par les progrès techniques ainsi qu'à créer les conditions du plein emploi. Elle fut rejetée le 4 décembre 1988 par 1 475 536 voix contre 769 264 et par tous les cantons, sauf deux.

Le 20 novembre 1973, les Organisations progressistes suisses (POCH) déposèrent une initiative exigeant une diminution généralisée du temps de travail à 40 heures par semaine. Cette initiative aussi fut rejetée par le peuple le 5 décembre 1976, par 1 315 822 voix contre 370 228 et par tous les cantons sans exception.

L'Union syndicale suisse et la Fédération des sociétés suisses d'employés retirèrent en 1960 une autre initiative, allant dans ce sens.

3781

Quant à l'initiative du Groupe de l'alliance des indépendants, qui préconisait l'introduction de la semaine des 44 heures, elle fut rejetée en 1958.

2.2

Réglementation du temps de travail

La plupart des travailleurs sont soumis à une réglementation légale de leur temps de travail, dont la plus exhaustive est la loi du 13 mars 1964 sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce (loi sur le travail, LTr; RS 822.11), de par son champ d'application. Cette loi s'applique en principe à toutes les entreprises, publiques ou privées, à quelques exceptions près. Elle n'est par exemple pas applicable aux entreprises qui tombent sous le coup de la législation fédérale régissant le travail dans les entreprises de transports publics ou encore aux entreprises agricoles. Ses dispositions sur la durée du travail ne concernent pas les administrations de la Confédération, des cantons et des communes pas plus que certaines catégories de travailleurs qui occupent des postes à responsabilité, notamment les médecins assistants et les enseignants d'écoles privées.

Aux termes de la loi sur le travail, la durée maximum de la semaine de travail est de 45 heures pour les travailleurs occupés dans les entreprises industrielles ainsi que pour le personnel de bureau, le personnel technique et les autres employés, y compris le personnel de vente des grandes entreprises de commerce de détail; elle est de 50 heures pour tous les autres travailleurs (art. 9, al. 1, LTr). Cette durée maximum ne peut être dépassée que dans des cas exceptionnels, par l'accomplissement d'heures de travail supplémentaire. Les travailleurs ne peuvent pas faire plus de deux heures de travail supplémentaire par jour, si ce n'est les jours chômés ou dans des situations d'urgence. La modification du 20 mars 1998 a considérablement réduit le temps de travail supplémentaire admis par année civile: celui-ci est passé à 170 heures (pour une durée de travail hebdomadaire de 45 heures) et à 140 heures (pour une semaine de 50 heures), au lieu des 260 et 220 heures tolérées jusque-là.

Pour le travail supplémentaire, l'employeur versera au travailleur un supplément de salaire d'au moins 25 %, ou le compensera, avec l'accord du travailleur et dans un délai convenable, par un congé de même durée (art. 12 et 13 LTr). Il convient d'opérer une distinction entre le travail supplémentaire au sens de la loi sur le travail et les heures supplémentaires au sens du droit des obligations (art. 321c CO). On entend par heures supplémentaires des heures
de travail plus nombreuses que ne le prévoit le contrat ou l'usage, si les circonstances dans l'entreprise l'exigent. Ces heures supplémentaires sont en principe compensées par un congé d'une durée au moins égale ou par le versement du salaire normal majoré d'un quart au moins, sauf clause contraire d'un accord écrit, d'un contrat-type de travail ou d'une convention collective prévoyant une autre solution.

Des dispositions spéciales sont applicables aux travailleurs des entreprises de transport. La loi fédérale du 8 octobre 1971 sur le travail dans les entreprises de transports publics (loi sur la durée du travail, LDT; RS 822.21) ne prévoit pas de durée maximale de la semaine de travail à proprement parler comme c'est le cas dans la loi sur le travail. Aux termes de la LDT, la durée quotidienne du travail est de sept heures au plus en moyenne de 28 jours. Elle ne doit pas dépasser neuf heures en moyenne dans un groupe de sept jours de travail consécutifs (art. 4 LDT). Cette réglementation tient compte du fait que la LDT régit plus spécialement l'exploitation en continu. Selon l'ordonnance du 19 juin 1995 sur la durée du travail 3782

et du repos des conducteurs professionnels de véhicules automobiles (O sur les chauffeurs; OTR 1; RS 822.221), la durée maximale de la semaine de travail du salarié est de 46 heures, et, lorsque plusieurs personnes se relaient comme passager et conducteur (équipage multiple), elle peut atteindre 53 heures (art. 6 OTR 1).

Selon l'ordonnance du 6 mai 1981 sur la durée du travail et du repos des conducteurs professionnels de véhicules légers affectés au transport de personnes et de voitures de tourisme lourdes (OTR 2; RS 822.222), la durée maximale de la semaine de travail du salarié est de 48 heures et, dans les entreprises de taxis, de 53 heures (art. 5 OTR 2). Enfin, les transports maritimes et les transports aériens connaissent des réglementations de la durée du travail qui leur sont propres.

Les employés et fonctionnaires de la Confédération travaillent en moyenne 41 heures par semaine. Le temps de travail effectif est de 42 heures, mais le temps effectué en plus est compensé par cinq jours de congé par année civile. Les heures supplémentaires ne doivent pas dépasser deux heures par jour. En règle générale, ces heures doivent être compensées par un congé de même durée (art. 8 et 8b du règlement des fonctionnaires (1); RS 172.221.101; art. 12 et 12b du règlement des employés; RS 172.221.104). Le nouveau projet de loi sur le personnel de la Confédération laisse aux dispositions d'exécution le soin de régler le temps de travail. Les employés engagés en vertu d'un contrat de droit public dans les cantons et les communes voient leur temps de travail réglé par les législations cantonale ou communale en vigueur.

Il n'existe, pour certaines branches et catégories de travailleurs qui n'entrent pas dans le champ d'application de la loi sur le travail, aucune disposition obligatoire de droit public réglant la durée du travail. Cela est vrai pour l'agriculture, les médecins assistants ayant un contrat de droit privé et d'autres employés qui occupent un poste à responsabilité. Les contrats-types cantonaux applicables aux travailleurs agricoles prévoient un temps de travail (maximal ou normal) de 49 à 60 heures et/ou une durée journalière de 9 à 11 heures. Il est cependant toujours possible de déroger aux dispositions d'un contrat-type (art. 360 CO).

2.3

Evolution du temps de travail en Suisse

Quand on suit l'évolution du temps de travail en Suisse sur une période assez longue, il faut toujours garder présent à l'esprit que les méthodes de relevé statistique utilisées et les branches étudiées ont varié.

Jusqu'en 1973, la durée du travail hebdomadaire a été traitée par sondage dans l'industrie et dans le bâtiment. Il s'agissait de valeurs moyennes relatives au temps de travail usuel dans les entreprises. A partir de 1973, la statistique de la durée normale du travail dans les entreprises se fonde sur les déclarations des travailleurs accidentés. On entend par temps de travail normal dans l'entreprise le temps de travail individuel fourni par les travailleurs à plein temps qui ne font pas d'heures supplémentaires et qui ne s'absentent pas temporairement de leur lieu de travail. Ce temps de travail n'a été relevé, jusqu'en 1985, que dans l'industrie et le bâtiment, et, après cette date, également dans les branches de services, chez les horticulteurs et chez les sylviculteurs. L'agriculture n'en fait pas partie.

Les relevés montrent que la durée de travail hebdomadaire moyenne est passée de 47,9 heures en 1946 à 42,3 heures en 1990, toutes branches confondues, ce qui correspond à une diminution de 5,6 heures sur une période de 45 ans. Depuis 1991, 3783

le temps de travail est resté très constant et n'a diminué que de 0,2 heure par semaine jusqu'en 1998. Le tableau 1 expose l'évolution par branche. A noter que les réductions indirectes du temps de travail suite par exemple à la modification du droit aux vacances ne sont pas prises en compte.

Temps de travail moyen (normal dans l'entreprise) (heures par semaine) Tableau 1 Année

Total1

1946 1960 1970 1975 1980 1985 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

47,9 46,0 44,7 44,3 43,8 43,4 42,2 42,1 42,0 41,9 41,9 41,9 41,9 41,9 41,9

1 2

Horticulture

45,4 44,4 44,1 43,8 43,8 43,7 43,7 43,6 43,7 43,5

Industrie des Chimie machines2

Bâtiment

Hôtellerie

Adm. publ., défense nationale, assurances sociales

48,2 45,9 45,0 44,6 44,1 42,9 41,0 41,0 40,9 40,9 40,9 40,9 40,9 41,0 40,9

49,9 49,1 47,4 45,9 45,6 44,5 43,5 43,1 42,8 42,5 42,5 42,5 42,4 42,4 42,3

45,0 43,4 43,1 42,7 42,3 42,3 42,3 42,4 42,8 42,9

43,3 41,8 41,8 41,7 41,7 41,7 41,7 41,7 41,7 41,7

46,5 44,0 43,1 43,2 42,9 42,3 40,9 40,9 40,9 40,9 40,9 40,8 40,8 40,8 40,8

jusqu'en 1980: industrie et bâtiment; dès 1985: industrie, arts et métiers, services, hort iculture et sylviculture jusqu'en 1989: métallurgie et industrie des machines; à partir de 1990: industrie des machines

Source: message du 26 novembre 1975 sur l'initiative populaire pour l'introduction de la semaine de travail de 40 heures, FF 1975 II 2265 (pour les années allant de 1946 à 1970); message du 27 mai 1987 concernant l'initiative populaire «pour la réduction de la durée du travail», FF 1987 II 1033 (pour les années allant de 1975 à 1980); statistiques sur le temps de travail dans les entreprises, OFS (pour les années allant de 1985 à 1998).

Outre le relevé sur la durée normale du travail dans les entreprises, l'Office de la statistique (OFS) établit depuis 1991 des statistiques sur le volume de travail, dont les bases de calcul empiriques sont fournies par l'enquête suisse sur la population active (ESPA). On entend par volume de travail les heures de travail fournies par toutes les personnes qui ont effectué une heure au moins de travail productif dans l'année. Ce volume s'obtient de la façon suivante: total des heures de travail normalement fournies par tous les travailleurs au cours de l'année civile plus les heures supplémentaires, payées ou non, moins les absences.

Il ressort de cette statistique que le volume de travail annuel effectif a diminué, de 1991 à 1998, de 4,3 % (passant de 5573 millions d'heures à 5334 millions). Cette diminution s'explique, d'une part, par le recul du nombre des travailleurs (­3,6 %) 3784

et, d'autre part, par une augmentation de 4 % du nombre de travailleurs à temps partiel (par rapport au nombre total des travailleurs) (cf. tableau 3).

Le temps de travail annuel des travailleurs à plein temps a légèrement augmenté de 1991 à 1998 (cf. tableau 2). Cette augmentation est due en grande partie à la diminution des heures d'absence. Il s'agit ici avant tout (pour les travailleurs masculins) des conséquences des réformes de l'armée. Le nombre des heures supplémentaires est resté stable pendant la même période.

Temps de travail effectif par année, en heures par poste de travail à plein temps (sans vacances ni jours fériés) Tableau 2 Année

Total

Agriculture et sylviculture

Bâtiment

Hôtellerie

Administration publique

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

1888 1901 1906 1921 1896 1895 1906 1924

2408 2492 2402 2439 2269 2234 2175 2194

1898 1863 1894 1869 1874 1901 1905 1887

2023 2049 2045 2043 1964 1938 1991 2094

1896 1914 1947 1944 1893 1891 1861 1898

Source: statistiques sur le volume de travail, OFS

2.4

Extension du travail à temps partiel

Depuis 1991, l'enquête suisse sur la population active (ESPA) fournit les données nécessaires à l'établissement des statistiques sur les travailleurs à temps partiel. A noter que ces chiffres incluent toutes les personnes exerçant une activité rémunérée (c'est-à-dire également les indépendants et les membres de la famille qui participent à une activité rémunérée) et non seulement les travailleurs; sont exclus les saisonniers, les bénéficiaires d'une autorisation de courte durée, les frontaliers et les demandeurs d'asile. Sont considérés comme des travailleurs à temps partiel ceux qui ont un taux d'occupation allant jusqu'à 89 %.

Près de 30 % des personnes actives en Suisse ont un emploi à temps partiel (en 1999). C'est surtout le cas des femmes: presque 55 % d'entre elles exercent une activité à temps partiel, alors que ce taux tombe à 9 % chez les hommes. Les femmes représentent 82 % des personnes occupées à temps partiel. Le tableau 3 met en évidence l'essor qu'a pris ce travail au cours des années 90. Si, en 1991, 1 travailleur sur 4 travaillait à temps partiel, en 1999, c'est presque 1 travailleur sur 3. La part des personnes travaillant à temps partiel a augmenté tant chez les hommes que chez les femmes, avec une augmentation un peu plus marquée chez les premiers.

3785

Pourcentage des travailleurs à temps partiel Tableau 3 Année

Travailleuses à temps Travailleurs à temps partiel1 partiel2

Total (Hommes et femmes)3

Part des femmes (en %) occupant un poste à temps partiel4

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

49,1 51,8 52,4 53,1 52,9 52,2 53,5 53,8 54,6

25,4 26,6 27,0 27,5 27,3 27,4 28,3 28,5 29,4

82,5 83,6 82,9 82,9 83,0 82,8 83,0 82,9 82,0

7,8 7,7 8,1 8,2 8,1 8,3 8,6 8,7 9,4

1

Pourcentage de femmes occupant un poste à temps partiel par rapport au nombre total de femmes actives 2 Pourcentage d'hommes exerçant une activité à temps partiel par rapport au nombre total d'hommes actifs 3 Pourcentage d'hommes et de femmes occupant un poste à temps partiel par rapport au total des actifs 4 Pourcentage de femmes exerçant une activité à temps partiel par rapport au total des actifs Source/bases de calcul: ESPA 1991­1999, OFS

Le travail à temps partiel est très répandu en Suisse par rapport aux pays membres de l'Union européenne. Seuls les Pays-Bas enregistrent un pourcentage plus élevé dans ce domaine.

2.5

Droit international et comparaison de pays

2.5.1

Organisation internationale du travail (OIT)

En matière de durée maximale du travail, l'Organisation internationale du travail a déjà adopté différentes conventions.

Trois d'entre elles prévoient un temps de travail maximal de 48 heures hebdomadaires et de 8 heures par jour: convention (no 1) sur la durée du travail (industrie), 1919 (entrée en vigueur en 1921, ratifiée jusqu'ici par 52 Etats); convention (no 30) sur la durée du travail (commerce et bureaux), 1930 (entrée en vigueur en 1933 et ratifiée par 30 Etats); convention (no 153) sur la durée du travail et les périodes de repos (transport routier), 1979 (entrée en vigueur en 1983 et ratifiée par 7 Etats, dont la Suisse).

La convention (no 47) des 40 heures, 1935 (entrée en vigueur en 1957 et ratifiée par 14 Etats) consiste essentiellement en un programme. Pour l'Etat qui entend la ratifier, elle constitue à la fois une déclaration de principe en faveur de la semaine de 40 heures, dont l'introduction et l'application ne doivent avoir aucune conséquence

3786

fâcheuse pour les travailleurs, et un engagement de prendre ou d'appuyer des mesures à cette fin. Les conventions nos 109 et 180, qui réglementent notamment la durée du travail à bord de bateaux, c'est-à-dire le travail des gens de la mer, ne sont pas encore entrées en vigueur, pas plus que la convention (no 175) du 7 juin 1994 sur le travail à temps partiel.

Parmi ces conventions, la Suisse n'a ratifié que la convention (no 153) sur la durée du travail et les périodes de repos (transport routier), 1979 (FF 1980 III 793).

2.5.2

Droit de l'Union européenne (UE)

La Directive du Conseil 93/104/CE du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (JOCE no L 307 du 13.12.1993, p. 18) contient notamment une disposition sur la durée hebdomadaire du travail, qui prescrit que la durée moyenne du travail par semaine (soit sur sept jours) ne doit pas dépasser 48 heures, heures supplémentaires comprises. Les Etats membres de l'UE peuvent prévoir une période de référence ne dépassant pas quatre mois. Cette directive, à laquelle il est possible de déroger à certaines conditions, s'applique à l'heure actuelle à tous les domaines d'activité publics et privés, à l'exception des transports (routier, aérien, maritime et ferroviaire), de la navigation et des activités des médecins en formation. La directive sera néanmoins étendue aux domaines qui étaient jusqu'à maintenant exclus (entre autres aux médecins en formation, pour lesquels un délai de transition de neuf ans est prévu).

2.5.3

Réglementation de la durée maximale du travail dans les Etats membres de l'UE

Dans la plupart des Etats membres de l'UE, la durée maximale du travail est réglée par la loi. Dans certains Etats (Luxembourg, Finlande, Grèce, Pays-Bas, Autriche, Suède, Espagne), celle-ci autorise en principe la semaine de 40 heures (parfois en moyenne). Quelques autres Etats (Allemagne, Irlande, Italie, Royaume-Uni) prévoient une durée maximale du travail de 48 heures par semaine (en moyenne). Au Portugal, la durée du travail est de 44 heures hebdomadaires au maximum, et de 42 pour les employés de bureau. En Belgique, la semaine de 39 heures a été instaurée en 1999 (jusqu'alors elle était de 40 heures). La France est en train de passer à la semaine de 35 heures (39 jusqu'ici). Au Danemark, la durée du travail n'est pas réglementée par la loi mais par le biais des conventions collectives de travail. Nous allons regarder de plus près la législation de la France, de l'Allemagne et de l'Autriche, en tenant compte aussi de la réglementation sur les heures supplémentaires.

En France, la loi dite Robien du 11 juin 1996 a mis en place des incitations financières afin de maintenir ou de créer des emplois, notamment par le biais de réductions volontaires de la durée du travail.

La première loi sur la semaine de 35 heures (loi du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, «loi Aubry») fixe la durée légale du travail à 35 heures (au lieu de 39 heures) au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés, et au 1er janvier 2002 pour les autres. Cette loi oblige les employeurs et les syndicats à négocier les modalités de réduction du 3787

temps de travail afin qu'elles soient les plus adaptées aux branches professionnelles et aux entreprises. Une aide est attribuée aux entreprises qui négocient une réduction du temps de travail d'au moins 10 %, permettant ainsi d'atteindre les 35 heures, voire moins, pour autant que la mesure ait un effet positif sur l'emploi de 6 % de l'effectif (préservation ou création de postes). La durée légale de 35 heures constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, et les entreprises peuvent, par conséquent, avoir une durée effective supérieure dans la limite de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures (avec en principe une limite maximale de 130 heures par année).

La deuxième loi (relative à la réduction du temps de travail) prévoit une période de transition pour les heures supplémentaires, fixe le nouveau cadre légal relatif à la durée du travail et détermine un barème de cotisations patronales de sécurité sociale pour les entreprises ayant passé un accord «35 heures». Elle est entrée en vigueur le 1er février 2000, après validation par le Conseil constitutionnel, non sans quelques importantes modifications. Le Conseil a en particulier renforcé la sécurisation des accords conclus suite à la première loi; il a supprimé le système de taxation des heures supplémentaires proposé par le gouvernement, ce qui entraînera une perte de recette pour le financement des allégements de charges, somme que le gouvernement devra puiser dans le budget de l'Etat.

Les huit premières heures supplémentaires donnent lieu à une bonification (en temps de repos ou majoration de salaire) de 25 %, les suivantes (au-delà de la 43e heure) à une bonification de 50 %. Les entreprises qui signent des accords sur la réduction du temps de travail bénéficient de ristournes de cotisations patronales aux assurances sociales, ristournes assez importantes sur les bas salaires.

Les deux lois s'appliquent en principe aux entreprises privées comme aux entreprises publiques, à l'exception cependant des hôpitaux publics, des administrations publiques (toutefois, des négociations sont en cours afin d'introduire les 35 heures dans la fonction publique), des cadres dirigeants et de certaines professions (par exemple les employés de maison, les voyageurs, les concierges et les gardiens d'immeuble); des règles particulières sont
prévues pour le transport routier.

Depuis la première loi Aubry, les 35 heures ont permis de créer ou de sauvegarder 180 000 emplois1; en mars 2000, 3,1 millions de salariés (sur 14 millions) étaient couverts par des accords sur la réduction du temps de travail1. Cette réduction s'est réalisée selon des formules très variées, la plus courante étant l'octroi de journées ou de demi-journées de repos chaque semaine. De nombreux accords ont introduit des mécanismes permettant de calculer la durée du travail sur l'année. Dans plus de 80 % des accords, les travailleurs bénéficient d'une compensation salariale intégrale.

Dans la loi même ne figure une garantie de salaire que pour les salaires les plus bas (en rapport avec le salaire minimal légal, le SMIC).

En Allemagne, la durée du travail des salariés ne doit pas dépasser 8 heures par jour ouvrable. Elle peut être portée à 10 heures si elle ne dépasse pas une moyenne de 8 heures par jour ouvrable sur six mois. Les conventions collectives de travail peuvent prévoir des dérogations (loi allemande du 6 juin 1994 sur la durée du travail, par. 3 et 7). La législation autorise, en moyenne sur six mois ­ des durées de travail hebdomadaire jusqu'à 48 heures.

1

Ministère de l'emploi, «la réduction du temps de travail», Bilan au 22 mars 2000.

3788

En Autriche, la réglementation pose le principe que la durée quotidienne normale du travail ne dépasse pas 8 heures, et la durée hebdomadaire normale, 40 heures (loi autrichienne sur la durée du travail, par. 3, entrée en vigueur de cette disposition le 1er juillet 1994). En comptant les heures supplémentaires, la durée normale du travail peut être augmentée de 5 heures par semaine et de 60 heures au plus par année civile. Des dérogations sont possibles par le biais des conventions collectives de travail, et la loi elle-même prévoit des exceptions (en ce qui concerne la durée maximale du travail et les heures supplémentaires).

2.5.4

Comparaison de durées du travail

Le tableau 4 présente les heures de travail hebdomadaire des travailleurs à temps complet dans les Etats de l'UE et en Suisse. Toutes les branches sont prises en compte dans ces chiffres, qui constituent une moyenne, mais il ne faut pas oublier que, dans les pays de l'UE ­ contrairement à la Suisse ­, les heures supplémentaires et les absences (exception faite des vacances et des jours fériés) sont généralement incluses. Si la statistique suisse retenait également ces éléments, il faudrait vraisemblablement corriger légèrement vers le bas les chiffres indiqués pour notre pays.

Nonobstant cette réserve, les données peuvent fort bien être comparées, puisque, sauf sur ce point, les statistiques sont harmonisées.

Sur la base de ces données, la durée du travail hebdomadaire est de 40,5 heures en moyenne dans les pays membres de l'UE, tous les Etats, à l'exception du RoyaumeUni, présentant une fourchette de 38,5 à 41 heures (état en 1998). Le Royaume-Uni se distingue des autres par un fort écart de la durée maximale du travail, qui est de 44 heures, alors qu'on trouve les durées les plus courtes en Italie (38,5), en Belgique (38,6) et au Danemark (38,7). Dans la plupart (14) des Etats de l'UE, la durée hebdomadaire du travail est plus courte qu'en Suisse; avec ses 42 heures par semaine, la durée du travail en Suisse dépasse d'une heure et demie la moyenne de l'UE, tout en étant inférieure de 2 heures à celle du Royaume-Uni.

Heures de travail effectuées normalement par semaine Tableau 4

Belgique Danemark Allemagne Grèce Espagne France Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Autriche Portugal

1997

1998

38,3 38,6 40,1 40,5 40,6 39,7 40,1 38,5 39,5 39,2 40,0 40,9

38,6 38,7 40,1 40,8 40,7 39,7 ...

38,5 39,3 39,0 40,1 41,0 3789

Finlande Suède Royaume-Uni Union européenne (15 pays) Suisse

1997

1998

39,1 40,1 44,0 40,4 42,0

39,2 40,1 44,0 40,5 42,0

Sources: Labour Force Surveys/EUROSTAT; enquête suisse sur la population active (ESPA), OFS.

En automne 1999, l'OIT a publié une étude complète, présentant et comparant la durée du travail dans de nombreux pays du monde («Key Indicators of the Labour Market 1999», Geneva, International Labour Office 1999). Il ressort de cette étude que les pays d'Extrême-Orient et du Sud-Est asiatique affichent le nombre d'heures de travail par an le plus élevé, et qu'en Amérique du Nord, la durée du travail est en moyenne plus longue qu'en Europe. Aux Etats-Unis, la durée moyenne du travail ­ notamment dans le secteur des services ­ a même augmenté ces dernières années. Au demeurant, les chiffres présentés dans l'étude sont à prendre avec précaution, parce que la saisie des données varie d'un pays à l'autre.

3

Buts des auteurs de l'initiative

En lançant cette initiative, l'Union syndicale suisse (USS) poursuit trois objectifs (documentation USS n o 62, Nouveau partage du temps de travail, février 1999).

Premièrement, l'initiative vise à éliminer le chômage. Aux dires des auteurs, la réduction du temps de travail est l'un des moyens les plus importants et les plus efficaces d'y parvenir, puisque le travail est alors réparti entre un plus grand nombre de travailleurs. En principe, il peut être admis que toute forme de réduction du temps de travail se répercute à 50 % sur l'emploi. L'impact de l'initiative en termes d'emploi concerne donc 250 000 places de travail, qui seraient créées ou qui ne disparaîtraient pas.

Deuxièmement, l'initiative doit conduire à une répartition plus juste des activités rémunérées et non rémunérées entre femmes et hommes. La réduction du temps de travail doit donner plus de liberté aux femmes et aux hommes, à côté de leur activité rémunérée, pour consacrer du temps à leur famille ou à une activité non rémunérée nécessaire. Hommes et femmes doivent avoir les mêmes chances de se partager entre vie professionnelle et vie familiale. De ce point de vue, l'initiative fait un grand pas en direction de l'égalité des sexes.

Troisièmement, la qualité de la vie doit s'améliorer du fait de l'augmentation de temps libre générée par la réduction du temps de travail.

Les auteurs de l'initiative estiment que la réduction du temps de travail qu'ils proposent serait compensée sans problème par les progrès de la productivité, de sorte que non seulement la garantie des petits et moyens salaires est réaliste, mais qu'il peut même être admis qu'il ne serait pas nécessaire de diminuer les gros salaires.

3790

4

Teneur et appréciation du principe de l'initiative

Nous allons maintenant nous pencher sur les différents éléments de l'initiative et les apprécier notamment d'un double point de vue pratique et juridique. Les conséquences de l'initiative pour l'économie suisse ainsi que pour la Confédération, les cantons et les communes seront étudiées aux chap. 5 et 6.

4.1

Champ d'application

La réduction du temps de travail prévue par l'initiative et les mesures qui l'accomagnent s'appliquent aux travailleurs et aux travailleuses2. La notion de travailleur/ travailleuse n'est pas définie dans le texte de l'initiative. Mais il faut l'entendre dans un sens large et ne pas la limiter à son acception découlant de contrats de travail de droit privé. Rien n'indique que les auteurs de l'initiative aient voulu concevoir celleci de manière limitative.

Comme le texte de l'initiative ne prévoit aucune exception ni n'autorise d'en faire dans le cadre d'une réglementation légale, on peut donc admettre que l'initiative est valable pour tous les rapports de travail découlant du droit privé (y compris l'apprentissage) dans toutes les branches, et tous les rapports de service et de travail de droit public auprès de la Confédération, des cantons et des communes. La réduction de la durée du travail demandée par l'initiative devrait donc s'appliquer également aux branches et aux travailleurs qui aujourd'hui ­ par rapport à la moyenne ­ ont une durée de travail beaucoup plus longue, comme l'agriculture, les médecins assistants ou les employés exerçant des fonctions de cadre supérieur. Le champ d'application de l'initiative déborde donc celui de la convention de l'OIT (exception faite de la convention no 47, qui n'est cependant qu'un programme), de la réglementation de l'UE et des législations nationales de France, d'Allemagne et d'Autriche (cf. ch. 2.5.1, 2.5.2 et 2.5.3).

4.2

Diminution progressive de la durée du travail

Aux termes de l'art. 110a, al. 1, Cst., la durée du travail ne devrait pas excéder 1872 heures par an, ce qui donne une moyenne hebdomadaire de 36 heures (1872: 52 = 36). Les vacances et les jours fériés prévus par la loi sont déduits de ce nombre (phrase 2 de cette disposition), ce qui signifie que les vacances et les jours fériés sont inclus dans les 1872 heures de travail annuel. Selon le droit des obligations, les vacances sont de cinq semaines au minimum pour les travailleurs jusqu'à leurs 20 ans révolus et de quatre semaines au minimum pour tous les autres travailleurs (art. 329a, al. 1, CO). Si des vacances supplémentaires étaient convenues, elles ne devraient pas être déduites du temps de travail annuel obligatoire, mais augmenteraient en proportion de la durée moyenne du travail hebdomadaire.

2

A la différence du texte allemand, les versions française et italienne de l'art. 110a, al. 1 et 4, Cst., ne font pas expressément référence à la notion de «travailleurs et travailleuses». Malgré cette formulation différente, il faut s'en tenir au texte de l'initiative, dont la signification est identique dans les trois langues, même si la version allemande est la plus claire. La disposition transitoire de l'art. 24, al. 2, qui se réfère à l'art. 110a et se recoupe dans les trois versions, cite en toutes lettres les travailleurs et travailleuses.

3791

L'al. 1 de la disposition transitoire proposée prévoit une réduction par étapes de la durée annuelle du travail. Dans l'année qui suit l'acceptation de l'initiative, la durée maximale annuelle, vacances et jours fériés prévus par la loi compris, serait ramenée à 2184 heures, soit en moyenne 42 heures par semaine. Elle diminuerait ensuite de 52 heures chaque année ­ soit une heure par semaine ­ jusqu'à atteindre 1872 heures. A compter de l'acceptation éventuelle de l'initiative, cela prendrait sept ans.

L'introduction d'une semaine de travail moyenne de 42 heures dans l'année qui suit l'acceptation de l'initiative ne poserait pas de problème particulier aux travailleurs dans la plupart des branches de l'économie, la semaine de travail normale y étant déjà de 42 heures (cf. tableaux 1 et 4). Il en irait tout autrement, par contre, dans les exploitations agricoles ou chez certains employeurs, qui seraient confrontés à d'importants problèmes pratiques en raison du taux d'occupation élevé de leurs travailleurs; c'est le cas par exemple des cadres supérieurs ou des médecins assistants.

La réduction progressive de la durée du travail hebdomadaire serait de six heures en six ans. En six ans donc, la réduction de la durée du travail serait égale à celle qui s'est produite ces 45 dernières années (cf. tableau 1). Il saute aux yeux qu'une telle évolution aurait des répercussions, et non des moindres, sur toutes les branches.

Il ne faudrait pas sous-estimer non plus les conséquences de la réduction du temps de travail sur le partenariat social. On peut prévoir que la marge de manoeuvre pour négocier la conclusion ou la modification de conventions collectives de travail (CCT) diminuerait, les employeurs n'étant alors plus disposés à négocier la durée du travail; on peut d'ores et déjà prédire qu'aucune réduction du temps de travail ne figurerait plus dans une convention collective. Nous sommes pourtant d'avis qu'une réduction éventuelle de la durée du travail est d'abord l'affaire des partenaires sociaux. Ce sont les différentes associations d'employeurs et de travailleurs qui sont le mieux à même de juger si et dans quelle mesure, dans leur branche, une réduction de la durée du travail est possible ou supportable.

4.3

Conséquences de la réduction de la durée du travail en matière de salaires

L'initiative prévoit une garantie des petits et moyens salaires. L'al. 2 de la disposition transitoire prévoit que les réductions de la durée du travail ne doivent entraîner aucune diminution de salaire pour les travailleurs et les travailleuses dont le salaire brut ne dépasse pas 150 % de la moyenne des salaires versés en Suisse.

Se pose ici la question de savoir de quelle base, ou de quelle moyenne, on part.

L'enquête sur la structure des salaires publiée par l'Office fédéral de la statistique fait la différence notamment entre la valeur centrale (médiane) et la moyenne proprement dite (moyenne arithmétique). La valeur médiane est la ligne de partage entre la moitié des travailleurs gagnant pour une semaine standardisée de 40 heures

3792

un salaire brut3 supérieur à cette valeur, et l'autre moitié, un salaire brut inférieur.

Le salaire moyen proprement dit résulte de la division de la somme de tous les revenus salariaux par le nombre total des travailleurs. Les deux valeurs diffèrent considérablement. En 1994, la valeur médiane était de 4841 francs, alors que la moyenne arithmétique était beaucoup plus élevée, soit 5418 francs4. Depuis lors, l'OFS ne publie plus que la valeur centrale qui était de 5096 francs en 1998. Il y a lieu de penser que la moyenne arithmétique reste supérieure à cette valeur. Si on prend l'initiative à la lettre («moyenne des salaires versés en Suisse»), il faudrait se référer à la moyenne arithmétique. Mais, manifestement, ses auteurs entendent par là la valeur médiane. Ils expliquent par exemple dans la publication no 62 de l'USS que l'initiative interdit de réduire les salaires «atteignant aujourd'hui environ 7200 francs», ce qui correspondrait à un «salaire moyen» de 4800 francs, soit à peu près à la valeur médiane. L'OFS estime que la valeur médiane est bien la meilleure mesure du niveau des salaires; comparée à la moyenne arithmétique, elle tient relativement bien la route par rapport à la prise en compte des valeurs extrêmes (salaires très bas et très élevés). Comme naguère la presse a souvent présenté la valeur médiane sous l'appellation de salaire moyen (cf. p. ex. la dépêche de l'ATS du 21 décembre 1999: «le salaire moyen en Suisse se monte à 5096 francs») et que le véritable salaire moyen n'est plus publié depuis quelque temps, il nous semble correct d'assimiler la «moyenne des salaires versés en Suisse» dont parle l'initiative à la valeur médiane.

Sur la base de cette valeur médiane à l'heure actuelle, la garantie de salaire s'étendrait à un salaire mensuel brut de 7644 francs5. Comme la valeur médiane se rapporte à une semaine de 40 heures standardisée, ce revenu devrait lui aussi se rapporter à des semaines de 40 heures. Avec une durée du travail supérieure, la limite s'élèverait en proportion, et descendrait de même si la durée du travail était moindre. Reste que cette limite devrait être adaptée chaque fois à la dernière statistique.

Il est vraisemblable que les travailleurs dont le salaire dépasse cette limite devront consentir un sacrifice salarial. Et même les salaires garantis pourraient
subir les conséquences de la réduction du temps de travail. On peut ainsi se demander si les employeurs accorderaient encore des augmentations de salaire pendant la période transitoire de réduction progressive de la durée du travail.

4.4

Heures supplémentaires, durée du travail hebdomadaire maximale et durée du travail usuelle

L'initiative prévoit que la durée maximale du travail annuel peut être dépassée de 100 heures de travail supplémentaire au plus par an, en général compensées par du temps libre et qui peuvent être reportées sur l'année suivante (art. 110a, al. 2, Cst.).

3

4 5

Les montant saisis sont convertis en salaires mensuels standardisés, soit une durée de travail unifiée de 4 semaines 1/3, de 40 heures. On retient les éléments de salaire suivants: salaire mensuel brut (y compris les contributions du travailleur aux assurances sociales, les prestations en nature, les parts de primes, de chiffre d'affaires ou de provisions versées régulièrement), les indemnités pour travail en équipe, de nuit et le dimanche, 1/12 du 13 e salaire et 1/12 des versements annuels extraordinaires.

Ces données concernent le total des travailleurs de l'économie privée et de la Confédération; les cantons n'étaient pas (encore) saisis dans la statistique.

Ce revenu brut est composé des mêmes éléments qui sont mentionnés à la note 3.

3793

La durée maximale de la semaine de travail, travail supplémentaire compris, est fixée à 48 heures, et aucun dépassement n'est autorisé (art. 110a, al. 3, Cst.).

Il convient d'admettre que le supplément prévu devrait être garanti tant lors de la compensation par du temps libre (supplément de temps) que lorsque le travail supplémentaire fait l'objet d'un paiement (supplément de salaire). Au demeurant, la réglementation des heures supplémentaires laisse quelques questions en suspens.

Par exemple, la question du montant du supplément ou de la durée déterminante pour la compensation en temps n'est pas précisée. Comme le calcul des heures supplémentaires se fait sur l'année entière, c'est seulement après coup, soit à la fin de l'année, qu'on pourrait dire si des heures supplémentaires ont été effectuées, et quel en a été le nombre. De ce point de vue, la disposition qui veut que le travail hebdomadaire ne dépasse pas 48 heures, heures supplémentaires comprises, n'a pas de sens. Il serait impossible de dire s'il y a eu des heures supplémentaires dans la semaine, et, si oui, combien. On peut supposer que les 48 heures représentent une limite absolue, à ne dépasser en aucun cas. Une autre question se pose, concernant les 100 heures de travail supplémentaire qui peuvent être reportées sur l'année suivante. Faut-il les imputer au contingent de 100 heures de l'année suivante, ou bien celui-ci peut-il être utilisé pleinement, en plus du report de l'année précédente?

Si c'est la seconde solution qui est applicable, il est possible d'accumuler en l'espace de quelques années un stock considérable d'heures de travail supplémentaire.

Les auteurs de l'initiative justifient la durée hebdomadaire maximale de 48 heures par une harmonisation avec le droit communautaire. Mais l'initiative est plus limitative que la réglementation de l'UE, qui prévoit que les 48 heures de travail hebdomadaire à ne pas dépasser est une durée moyenne (cf. ch. 2.5.2), alors que l'initiative veut fixer la durée maximale du travail à 48 heures, pour chaque semaine.

Reconnaissons toutefois que l'UE ne fait que prescrire la norme minimale contraignante et que l'initiative est compatible avec le droit européen.

La réglementation proposée concernant les heures supplémentaires et la durée maximale du travail hebdomadaire laisserait assurément
une certaine marge de manoeuvre aux entreprises, mais elle est dans l'ensemble infiniment moins souple que les dispositions en vigueur (cf. ch. 2.2). Elle ne permettrait guère de tenir compte des besoins différents ressentis par les diverses branches.

L'initiative demande en outre que tout contrat de travail fixe la durée du travail usuelle (art. 110a, al. 3, Cst.). L'USS entend exclure ainsi les rapports de travail à propos desquels on passe sous silence ou escamote plus ou moins la durée normale du travail, comme c'est trop souvent le cas dans le «travail sur appel» (Documentation USS no 62).

4.5

Travail à temps partiel

4.5.1

Prise en compte de la réduction du temps de travail

La réduction progressive du temps de travail doit également profiter aux personnes occupant un poste à temps partiel: celles-ci pourront choisir entre une réduction en proportion de leur temps de travail ou une augmentation en proportion de leur salaire horaire (al. 1, dernière phrase de la disposition transitoire). Sans parler du surcroît de travaux administratifs qu'elle engendrerait, la mise en oeuvre pratique de 3794

cette disposition serait problématique pour les emplois à temps partiel dont le taux d'occupation n'est pas défini en pour-cent par rapport à un plein temps. Dans ces cas-là, on ne saurait pas exactement sur quelle durée de travail à plein temps se baser pour calculer la réduction progressive du travail.

4.5.2

Interdiction de la discrimination

L'initiative exige que les travailleurs à temps partiel ne soit par discriminés par rapport aux travailleurs à plein temps, notamment en ce qui concerne l'embauche, la répartition des tâches, l'aménagement des conditions de travail, la formation et le perfectionnement professionnels, l'avancement, le licenciement et les assurances sociales (art. 110a, al. 4., Cst.).

Nous sommes d'avis que le droit privé actuel protège suffisamment les travailleurs à temps partiel contre d'éventuelles discriminations par rapport aux travailleurs à plein temps. Certes, le droit en vigueur ne prévoit pas d'interdiction expresse de la discrimination mais, dans le code des obligations, le travail à temps partiel est considéré sur un pied d'égalité avec le travail à plein temps (art. 319, al. 2, CO). Cette obligation d'égalité de traitement, qui découle de la protection de la personnalité dans le droit du travail, veut que les travailleurs d'une même entreprise ne soient pas traités délibérément de manière discriminatoire. Il est cependant possible, grâce à la liberté contractuelle, de convenir de conditions de travail moins favorables dans les limites de ce qui est permis par la loi (prestations minimales prévues dans la loi ou dans des conventions collectives de travail, interdiction de clauses contraires aux bonnes moeurs). La loi sur l'égalité du 24 mars 1995 (RS 151) offre une protection supplémentaire aux femmes ­ en Suisse, la grande majorité des personnes travaillant à temps partiel (cf. tableau 3) ­ qui travaillent à temps partiel.

L'institution d'une égalité de traitement totale entre personnes occupées à temps partiel et à temps complet poserait un problème au niveau de la formation professionnelle de base. En effet, une occupation à temps partiel durant l'apprentissage conduirait à des problèmes de coordination avec l'enseignement professionnel dispensé à plein temps aux apprentis.

En ce qui concerne les assurances sociales, les travailleurs à temps partiel sont aujourd'hui en partie moins bien traités que leurs collègues à plein temps. La loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP; RS 831.40) ne porte en effet que sur les travailleurs qui ont un salaire minimum annuel dépassant les 24 120 francs (état au 1er janvier 2000), ce qui écarte la
moitié des personnes exerçant une activité à temps partiel. Cette problématique a fait l'objet de nombreuses interventions parlementaires et politiques. Dans le cadre de la procédure de consultation sur la première révision de la LPP, le Conseil fédéral a fait diverses propositions d'amélioration de la situation des travailleurs à temps partiel, mais il a finalement renoncé à adopter une réglementation particulière au vu des coûts impliqués et des résultats de la consultation. Une amélioration de la couverture accidents des travailleurs à temps partiel a en revanche eu lieu récemment, avec l'entrée en vigueur le 1er janvier 2000 de la révision de l'ordonnance du 20 décembre 1982 sur l'assurance-accidents (OLAA; RS 832.202). Grâce à cette modification, les travailleurs à temps partiel sont désormais aussi assurés contre les accidents non professionnels lorsqu'ils sont occupés chez un employeur au moins 3795

huit heures par jour (cette limite était précédemment fixée à 12 heures). Une discrimination minime existe aussi dans l'assurance-chômage: les travailleurs qui gagnent moins de 500 francs par mois ne sont pas exemptés de l'obligation de cotiser bien qu'ils n'aient pas droit à une indemnité s'ils perdent leur emploi (art. 40, ordonnance sur l'assurance-chômage, OACI; RS 837.02).

Le Conseil fédéral estime qu'il faut examiner les améliorations éventuelles à apporter au statut des travailleurs à temps partiel dans le cadre de chaque assurance sociale isolément en considérant en particulier les conséquences sur les prestations et le financement.

4.6

Soutien financier des entreprises par la Confédération

L'initiative prévoit que la Confédération soutienne financièrement, pendant une période limitée, les entreprises qui réduisent le temps de travail d'au moins 10 % en un an et qui s'engagent, dans un contrat passé avec elle et avec les associations de travailleurs compétentes, à créer ou à maintenir des postes (al. 3 de la disposition transitoire). Le montant et la durée de cette aide financière n'ont pas été fixés. Cette disposition doit être envisagée à la lumière de l'article sur les essais pilotes de la loi sur l'assurance-chômage, qui vise des buts semblables, et des conséquences de l'initiative pour la Confédération (cf. ch. 5.3.3.1 et 6.1).

4.7

Exécution et mise en oeuvre

Bien qu'elle constitue une règle de conduite applicable immédiatement, l'initiative laisse de nombreuses questions en suspens, qui, en cas d'acceptation, devraient être réglées vraisemblablement au niveau de la loi (cf. ch. 4.4 concernant le travail supplémentaire et ch. 4.6 sur l'aide financière). A celles-ci viendraient s'ajouter des adaptations matérielles dans de nombreuses lois et ordonnances. Et la question de l'exécution devrait encore être réglée. Il faudrait très probablement développer les organes d'exécution (avant tout les inspections cantonales du travail), voire en créer de nouveaux, pour permettre une mise en oeuvre efficace de cette réduction massive de la durée du travail.

5

Répercussions de l'initiative sur l'économie suisse

5.1

Appréciation générale des effets de l'initiative

L'initiative a pour objectif de réduire le temps de travail hebdomadaire à 36 heures.

Selon ses auteurs, cette mesure est susceptible de réduire durablement le chômage en créant 250 000 emplois. L'argumentation des auteurs repose sur l'idée que l'emploi est une quantité fixe qui a tendance à se réduire à travers le temps indépendamment des gains de productivité et du coût du travail. Ils observent que, au cours de la dernière récession, les entreprises ont eu tendance à réduire le nombre de leurs employés alors même qu'elles connaissaient parfois des gains de productivité. A partir de ce constat, ils préconisent une meilleure répartition du travail subsistant

3796

entre un plus grand nombre de personnes. L'idée est de «partager» l'emploi, de diminuer les heures de ceux qui travaillent et de donner ces heures à ceux qui sont au chômage. Cette vision ne prend pas en compte la dynamique de l'économie.

Chaque année, des dizaines de milliers d'emplois sont supprimés et des dizaines de milliers d'emplois sont crées par les entreprises. Entre les 4e trimestres 1997 et 1999, le solde net entre les emplois supprimés et ceux crées s'élève à +73 000 (selon la STATEM, OFS). On sait de plus qu'au cours des années 1996­97, soit en phase de récession économique, plus de 7200 nouvelles entreprises ont été créées; elles emploient presque 15 000 personnes. Ces chiffres montrent clairement que l'emploi n'est pas une donnée fixe qui a tendance à diminuer régulièrement. Au contraire, depuis le début du siècle, alors que la productivité a augmenté massivement, le nombre d'emplois a augmenté tendanciellement. On peut expliquer ce phénomène par le raisonnement suivant : l'amélioration de la productivité fait diminuer les prix des biens et services, parallèlement les gains de productivité permettent des augmentations des salaires. Ces deux effets stimulent la demande globale, ce qui engendre un accroissement de l'emploi. Une amélioration de la productivité a par conséquent un effet positif sur l'emploi à moyen terme. Comme mentionné ci-dessus, on observe une tendance à l'accroissement du taux d'activité sur l'ensemble du siècle alors que la productivité a massivement augmenté. Cette initiative propose un remède inadapté au problème du chômage. La réduction du chômage est possible en octroyant des mesures adaptées aux personnes à risques, comme des cours de perfectionnement et de recyclage. Par ailleurs, en maintenant la flexibilité actuelle sur le marché du travail, l'économie bénéficie de meilleures conditions pour créer des emplois.

5.2

Situation actuelle de l'économie

L'économie suisse est sortie depuis février 1997 d'une longue période de stagnation, voire de recul conjoncturel. Le tableau 5 montre l'évolution du produit intérieur brut et du taux de chômage au cours des vingt dernières années.

5.0 4.0 3.0

310'000 290'000 270'000 250'000

2.0 1.0 2000

1998

1996

1994

1992

1990

1988

1986

1984

1982

0.0

Taux de chômage

6.0 Taux de chômage

Produit intérieur brut (au prix de 1990)

390'000 370'000 350'000 330'000

1980

PIB réel

Tableau 5

Sources: OFS; Secrétariat d'Etat à l'économie (seco).

3797

Depuis 1980, l'économie suisse a connu deux phases de recul conjoncturel, la première en 1982­1983 et la seconde entre 1991 et 1996. La période 1984­1990 a été caractérisée par une phase de croissance qui s'est très fortement accélérée entre 1988 et 1990. La phase actuelle semble correspondre à un redémarrage en douceur de l'activité, qui pourrait s'accélérer à partir de 2000.

Tableau 6 Chômeurs

4eT 1999

3eT 1999

2eT 1999

4eT 1998

1erT1999

3eT 1998

2eT 1998

4eT 1997

1erT1998

3eT 1997

0 2eT 1997

40'000

-3.0 4eT 1996

80'000

-2.0 1erT1997

120'000

-1.0

3eT 1996

160'000

0.0

2eT 1996

200'000

1.0

4eT 1995

240'000

2.0

1erT1996

280'000

3.0

Nombre de chômeurs

Produit intérieur brut

4.0

3eT 1995

Variation en %

Indice de l'emploi

Sources: Indice de l'emploi, variation par rapport au trimestre de l'année précédente: OFS.

Produit intérieur brut, variation par rapport au trimestre de l'année précédente: seco, OFS.

Nombre de chômeurs inscrits: seco.

Cette évolution de la conjoncture peut être mise en rapport avec l'évolution de l'emploi et du chômage (voir tableau 6). On constate tout d'abord que, contrairement aux craintes exprimées au cours de la précédente récession, la période de croissance actuelle se concrétise par une évolution favorable de l'emploi. Avec un retard de 3 trimestres sur la conjoncture, l'emploi a commencé à progresser à partir du premier trimestre 1998. Il a même progressé plus rapidement que le PIB au premier trimestre 1999. Par ailleurs, on observe que le chômage a diminué très nettement depuis le début de la reprise. Il semble par conséquent que le lien entre croissance économique, accroissement de l'emploi et réduction du chômage soit clairement établi au cours de la période de croissance actuelle de l'économie suisse. Enfin, on remarquera que le taux de chômage se situe, à nouveau en Suisse, parmi les plus bas de tous les pays de l'OCDE (2,7 % pour 1999).

Cette tendance réjouissante montre que le marché du travail suisse fait preuve d'une certaine réactivité face à l'évolution de la conjoncture. On observe également que le chômage s'accroît mais également diminue plus fortement en phase avec l'évolution du produit intérieur brut. Cette tendance est un phénomène nouveau pour l'économie suisse.

Au cours de ces vingt dernières années, l'évolution des salaires réels et des heures moyennes travaillées ont connu une évolution contrastée (voir tableau 7).

3798

Tableau 7

Heures de travail normales

Indices des salaires réels

290

270

43.0 260

42.5 250

1998

1996

1994

1992

1990

1988

1986

230

1984

240

41.5 1982

42.0

Salaires réels

280

43.5

1980

Heures de travail

44.0

Sources: Indice des salaires par employés (1939=100): OFS. Heures de travail normales: voir tableau 1 (Remarque: le fléchissement de 1984 s'explique par un changement intervenu dans la méthode de relevé statistique)

On remarque tout d'abord une tendance à la baisse des heures de travail normales (les heures fixées dans le contrat de travail) au cours de la période de 1975 à 1992.

Cette baisse s'est interrompue depuis 1993. Les salaires réels ont augmenté légèrement au cours du début des années 80, puis ont stagné entre 92 et 98. Cette évolution des heures de travail et des salaires réels est directement liée à l'évolution de la conjoncture. Suivant les préférences des travailleurs et des employeurs, les rapports de force et les secteurs d'activité, les gains dus à la croissance sont en général redistribués soit sous forme d'accroissement de salaires, soit sous forme de réduction du temps de travail. Suite à la phase de croissance retrouvée depuis 2 ans, on s'attend à ce que les heures normales de travail diminuent et, que les salaires réels augmentent dans les prochaines années.

5.3

Répercussions sur le marché du travail

Une telle initiative aurait des répercussions sur les deux acteurs principaux du marché du travail: les travailleurs d'une part et les entreprises (employeurs) d'autre part.

En cas d'acceptation, chacun adoptera une attitude en se basant sur les avantages et les inconvénients de la nouvelle situation. Il convient de prendre en compte l'ensemble de ces réactions individuelles pour évaluer l'effet global de cette modification de la Constitution.

5.3.1

Effets sur les travailleurs

Pour les employés gagnant moins d'une fois et demie le salaire moyen, leur salaire mensuel doit rester inchangé (selon l'Enquête sur la structure des salaires (ESS), plus de 80 % des travailleurs sont rémunérés moins d'une fois et demie le salaire moyen). Ce qui signifie qu'ils connaîtront une augmentation de salaire par heure de

3799

travail fournie. Cet accroissement du salaire-horaire doit correspondre à un gain de productivité pour être supportable par les entreprises. Dans certains cas, une réduction du temps de travail peut se traduire par un accroissement de la productivité horaire. Néanmoins, il est à craindre qu'une part importante de travailleurs ne parviennent pas à améliorer leur productivité dans la même proportion que l'accroissement de salaire horaire. Cet effet se concrétisera soit par des stagnations de salaires sur plusieurs années, soit par des réductions d'emplois.

Pour tous les employés gagnant un salaire supérieur à une fois et demie le salaire moyen, il est probable que la réduction du temps de travail s'accompagnerait d'une réduction de salaire. Cette réduction de salaire risque d'être imposée par les chefs d'entreprises en compensation des heures de travail perdues dans le processus de production.

Une étude récente a montré qu'en moyenne les travailleurs suisses préfèrent une place de travail stable et un salaire convenable, respectivement un bon revenu, plutôt que des réductions de leur temps de travail. La réduction du temps de travail n'intervient en effet qu'en septième position parmi 20 possibilités d'amélioration de leurs conditions de travail (Univox Teil III B Wirtschaft 1999, Gfs-Forschungsinstitut, 2000).

Cette initiative risque d'interférer dans le choix individuel, ce qui peut engendrer des insatisfactions. Il est dès lors envisageable qu'un certain nombre de travailleurs continueront à travailler le même nombre d'heure, mais dans l'illégalité. Par ailleurs, les employeurs pourraient également être tentés d'inciter leurs employés à fournir des heures non déclarées. Cette initiative risque, par conséquent, de favoriser le développement du travail au noir.

5.3.2

Effets sur les entreprises

L'emploi au sein des entreprises n'est pas une quantité fixe. Les entreprises engagent des nouveaux travailleurs lorsqu'il y a des perspectives de croissance et licencient lorsque les ventes diminuent. Leur politique en matière d'engagement et de licenciement n'est pas uniforme. Elle dépend des choix des responsables de l'entreprise. Suivant les secteurs, les possibilités de s'adapter à la conjoncture varient également. Pour certains, une baisse de la demande se répercute immédiatement sur l'activité, et les entreprises doivent licencier rapidement (par exemple, dans le secteur de la construction).

Pour d'autres, il est parfois possible de compenser temporairement une chute de la demande en vivant sur les réserves accumulées pendant les périodes de croissance.

Une contrainte légale et uniforme pour tous les secteurs sur le nombre d'heures de travail fournies risque fort d'interférer dans la politique d'engagement et de licenciement des entreprises. Certaines pourraient très bien choisir de mettre davantage de pression sur leurs employés actuels et de les faire travailler plus intensément.

D'autres entreprises peuvent être tentées de demander ou d'attendre de leurs travailleurs qu'ils fournissent «volontairement» du temps de travail supplémentaire sans le comptabiliser comme tel. Ce processus engendrerait une amélioration de la productivité des travailleurs, mais ne provoquerait pas de nouveaux engagements.

Par ailleurs, les petites entreprises répartissent les tâches entre un nombre restreint de travailleurs. Si chaque travailleur devait diminuer son temps de travail, on peut 3800

très bien imaginer que l'ensemble des heures «libérées» ne permettrait pas de créer des emplois. Par exemple, l'ensemble des employés d'un garage passe à 36 heures de travail, mais les heures libérées par le comptable et celle libérées par le mécanicien ne permettent pas de créer un emploi. Il serait très coûteux (en termes de formation aux activités de l'entreprise) pour l'entrepreneur d'engager un nouveau comptable et un nouveau mécanicien pour quelques heures par semaine seulement.

Au surplus, suivant les branches, il pourrait devenir difficile de trouver des personnes prêtes à travailler un aussi faible nombre d'heures de travail. Or l'économie suisse est composée en grande majorité de petites entreprises (suivant le recensement fédéral des entreprises de 1998, les entreprises de moins de 10 employés représentent 88 % du total des entreprises et 27 % de l'ensemble des emplois).

De plus, dans le cas de figure où les entreprises ne parviennent pas à réduire le temps de travail de leurs employés, elles se verraient contraintes de recourir aux heures supplémentaires. Ces heures supplémentaires étant rémunérées à un niveau supérieur à celui des heures normales, il y aurait un effet direct d'accroissement du coût du travail pour les entreprises. Ce coût du travail accru risque de pousser les entreprises à substituer des travailleurs par des machines. Cette remarque s'applique particulièrement pour les activités à faible productivité et par conséquent à faible rémunération. L'accroissement du coût du travail pour ce type d'emplois ne serait acceptable pour les entreprises que si la productivité augmentait dans la même proportion.

Enfin, une réduction du temps de travail sans diminution de salaire (pour tous les travailleurs gagnant moins d'une fois et demie le salaire moyen) correspond à un acroissement du coût du travail. Or les entreprises ne peuvent accorder des augmentations de salaires que dans la mesure où des gains de productivité sont réalisés.

Cette initiative anticipe des augmentations futures de productivité pour les entreprises sans qu'elles puissent être assurées de pouvoir réellement les réaliser. Elle risque d'introduire une rigidité dans la fixation des salaires, qui devrait, au contraire, rester flexible et en phase avec l'évolution de la situation économique.

5.3.3

Effets sur l'emploi et le chômage

5.3.3.1

Effets sur l'emploi

Des économistes de différents pays européens (notamment en France et en Belgique) ont tenté d'évaluer les effets d'une réduction générale du temps de travail sur l'emploi (aucune étude n'a été réalisée en Suisse). Ces études arrivent à des conclusions contrastées, qui dépendent grandement des hypothèses retenues. Il est en effet extrêmement difficile de prendre en compte l'ensemble des réactions des entreprises et des travailleurs. Globalement, ces modèles arrivent à la conclusion que les créations d'emplois sont inférieures aux prévisions. Ces résultats s'expliquent par les raisons invoquées plus haut. Il convient en outre de relever que certaines activités sont plus aisément divisibles que d'autres. Seules des activités répétitives et simples à réaliser peuvent être facilement divisées. Pour qu'une mesure globale de réduction du temps de travail provoque une forte augmentation de l'emploi, il faut également que les entreprises concernées soient suffisamment grandes. La réduction individuelle du temps de travail de plusieurs employés doit permettre de créer une place de travail. Ces deux conditions ne sont pas remplies très couramment dans 3801

l'économie suisse. A cela s'ajoute le fait que la réduction progressive du temps de travail, telle qu'elle est prévue dans l'initiative, n'aura qu'un effet limité, la modification par petits pas de la durée du travail pouvant en partie être compensée par une augmentation de la productivité ou par des mesures organisationnelles. Ce n'est que sur les emplois exigeant un temps de présence déterminé que la réduction du temps de travail individuel aura un effet immédiat. Mais ces postes sont généralement l'exception.

La situation financière tendue des administrations publiques fait qu'on peut s'attendre à ce que la réduction de la durée du travail produise dans le secteur public les mêmes effets que dans le privé. Il n'est pas raisonnable d'attendre de l'administration qu'elle joue le rôle de précurseur dans ce domaine, et qu'elle compense pleinement les réductions de la durée du travail par la création de places de travail.

Il n'existe pas, à l'heure actuelle, de méthode fiable pour mesurer l'efficacité en termes d'emploi d'une réduction de la durée du travail, raison pour laquelle nous renonçons ici à faire ce calcul. On peut toutefois douter qu'une diminution du temps de travail hebdomadaire à 36 heures permette de créer 250 000 emplois, comme l'affirme l'USS.

Les auteurs de l'initiative demandent que la Confédération fournisse une aide financière d'une durée limitée aux entreprises qui réduisent non pas progressivement mais pratiquement en une seule fois la durée du travail (réduction de la durée du travail d'au moins dix % en un an) tout en créant ou en maintenant des postes. Des objectifs similaires sont poursuivis par l'article sur les essais-pilotes de la LACI (art. 110a LACI), grâce auquel de nouveaux instruments peuvent être testés pour maintenir ou créer des places de travail, moyennant une flexibilisation de la durée du travail. La condition préalable de ce financement est, d'une part, qu'un assainissement structurel ne soit pas entravé, l'impact de celui-ci pouvant être amorti, et d'autre part, que les emplois concernés aient un rapport direct avec le chômage, à savoir que ces emplois préviennent des licenciements ou qu'ils soient occupés par des chômeurs.

5.3.3.2

Effets sur le chômage

L'initiative de l'USS s'inscrit dans le contexte de la lutte contre un chômage élevé.

La réduction de la durée du travail doit permettre de créer de nouveaux emplois ou du moins de ne pas en supprimer. La situation a beaucoup changé sur le marché du travail depuis le lancement de cette initiative: le nombre des demandeurs d'emploi et des chômeurs a sensiblement diminué. On s'attend pour l'an 2000 à une croissance économique qui ne sera pas sans effet sur le marché du travail: le chômage en Suisse devrait continuer de reculer. Malgré cet avenir prometteur, il convient de se demander si le problème du chômage peut être résolu par une réduction de la durée du travail.

Les statistiques officielles distinguent les chômeurs des demandeurs d'emploi inscrits. Les premiers sont des personnes sans emploi inscrits dans un office régional de placement (ORP) et disponibles immédiatement; les seconds, également inscrits dans un ORP, peuvent être chômeurs ou ne pas l'être. Ils constituent un groupe de personnes qui, au contraire des chômeurs enregistrés, ne sont pas forcément disponibles immédiatement. Font partie de ce groupe de personnes, concrètement parlant, 3802

des demandeurs d'emploi engagés dans des programmes d'occupation temporaire, de recyclage ou de perfectionnement ainsi que des personnes qui ont un revenu intermédiaire. Bien que la plupart d'entre elles soient également à la recherche d'un poste de travail, indépendamment de leur occupation temporaire, nous n'utiliserons ici que les chiffres des chômeurs enregistrés officiellement, pour plus de précision statistique. La courbe des demandeurs d'emploi officiellement enregistrés évolue parallèlement à celle des chômeurs, mais à un niveau plus élevé.

Tableau 8 300

(en milliers)

250 200 150

Demandeurs d'emploi

100

Chômeurs

50 0 Jan 96 Source:

Jan 97

Jan 98

Jan 99

Jan 00

Situation du marché du travail, janvier 2000, seco.

Le nombre des chômeurs enregistrés en avril 2000 s'élevait à 75 642 (132 761 demandeurs d'emploi) contre 98 602 (demandeurs d'emploi: 170 921) en moyenne en 1999, 139 660 (217 518 demandeurs d'emploi) en moyenne annuelle 1998 et en 1997, 188 304 (244 695 demandeurs d'emploi). Le taux de chômage était de 5,2 % en 1997, de 3,9 % en 1998, de 2,7 en 1999 et de 2,1 % en avril 2000. Les projections pour ces prochaines années annoncent une baisse continue du nombre de chômeurs. On avance les chiffres de 72 000 (taux de chômage: 2,0 %) pour l'an 2000 et de 65 000 (taux de chômage: 1,8 %) pour 2001 et 2002.

D'une manière générale, on peut dire qu'avec le recul du chômage en Suisse, la part des demandeurs d'emploi peu qualifiés a fortement augmenté (38 % des chômeurs enregistrés en avril 2000 ont exercé une fonction d'auxiliaire avant de perdre leur emploi). Ce ne sont plus les places qui manquent aujourd'hui d'une manière générale, mais les places qui correspondent aux qualifications des demandeurs d'emploi.

Il ressort des chiffres du chômage enregistrés en avril 2000: ­

qu'une réduction générale de la durée du travail peut certes conduire, dans certaines branches, à une réduction du nombre des demandeurs d'emploi, mais que, dans d'autres secteurs, elle libère des postes difficiles à repourvoir;

­

que la réduction envisagée aggravera la pénurie de travailleurs hautement qualifiés, loin de créer des places pour des demandeurs d'emploi peu qualifiés, qui sont les premières victimes des mesures de rationalisation.

3803

Ce constat s'inscrit dans la droite ligne de la plupart des études empiriques effectuées dans ce domaine, qui ne concluent à aucun effet positif significatif sur l'emploi. Celles-ci montrent, à l'unanimité, qu'une réduction de la durée du travail n'est pas un moyen de lutter contre le chômage structurel, car elle ne change rien au problème du manque de qualifications des travailleurs.

La Commission pour les questions conjoncturelles a pris position à ce sujet: une réduction imposée de la durée du travail n'est pas un bon moyen de lutter contre le chômage structurel de longue durée; bien au contraire, elle risque de freiner l'emploi pendant les phases de récession et de diminuer les chances de croissance pendant la reprise. Qui plus est, elle ne s'attaque pas aux causes du problème, à savoir les faiblesses structurelles du marché de l'emploi et de l'économie en général (communiqué de presse de la Commission pour les questions conjoncturelles du 14 mai 1998).

L'OCDE a déconseillé jusqu'ici, dans ses analyses périodiques du marché du travail et dans ses recommandations sur la politique à suivre en la matière, d'utiliser des réductions généralisées de la durée du travail pour lutter contre le chômage, à l'exception des mesures propres à une entreprise qui permettent de flexibiliser le temps de travail et où les travailleurs sont prêts, le cas échéant, à sacrifier une part de leur salaire. C'est la conclusion à laquelle sont également parvenus les auteurs d'une étude mandatée par la Commission de surveillance du fonds pour l'assurancechômage (Blum/Zaugg, «Praxishandbuch Arbeitszeitmanagement ­ Beschäftigung durch inovative Arbeitszeitmodelle», Coire/Zurich 1999).

5.4

Autres répercussions sur l'économie

5.4.1

Effets sur les prix des biens de consommation et sur le commerce extérieur

Les entreprises qui recourent principalement à des travailleurs gagnant moins qu'une fois et demie le salaire moyen devraient faire face à une augmentation importante de leurs charges salariales. Il s'agit principalement des secteurs à faible valeur ajoutée comme par exemple l'hôtellerie, la restauration, l'agriculture, le commerce de détail, le textile, les services personnels. Etant donné leur marge bénéficiaire réduite, ces secteurs seraient obligés d'augmenter leurs prix de vente. Cette augmentation des prix va à l'encontre des intérêts des consommateurs. Il y a un risque important que les consommateurs suisses se détournent de ces biens et services. Ce cas de figure risque de provoquer des difficultés supplémentaires pour ces secteurs.

Par ailleurs, une augmentation des prix est susceptible de réduire la capacité concurrentielle des entreprises suisses sur les marchés extérieurs. On sait que la demande étrangère pour certains de ces biens et services est particulièrement sensible aux variations de prix. Par exemple, la demande de services touristiques dépend grandement des comparaisons de prix entre les différents pays. Cette initiative risque assurément de faire augmenter les prix des nuitées dans les hôtels et des repas dans les restaurants. Ces augmentations de prix influenceront directement la demande étrangère de services touristiques suisses. Cette évolution serait très dommageable pour une branche qui connaît déjà des difficultés certaines à rester concurrentielle par rapport à l'offre internationale. D'autres secteurs sont susceptibles de connaître

3804

des difficultés similaires. Enfin, l'accroissement des charges salariales pour les entreprises favoriserait une délocalisation des processus de production à l'étranger.

Les entreprises seraient incitées à déplacer leur site de production dans des pays où les salaires sont inférieurs.

5.4.2

Effets sur les assurances sociales

Le financement des assurances sociales est assuré en grande partie par des prélèvements sur les salaires (l'assurance-maladie et les prestations complémentaires font exception). L'initiative, en déployant des effets sur l'emploi et les salaires, affectera la masse salariale soumise aux cotisations sociales. Elle influera de ce fait sur les recettes des assurances sociales. A plus longue échéance, l'initiative aura aussi des effets sur les dépenses des assurances sociales, les prestations qu'elles versent étant liées au moins partiellement aux cotisations versées et à l'évolution des prix et des salaires.

La prévoyance professionnelle obligatoire ne devrait pas se ressentir d'une modification de la masse salariale, son système de financement par capitalisation garantissant en principe un équilibre entre cotisations et prestations versées. La situation financière de l'assurance-chômage devrait pour sa part dépendre davantage des effets de l'initiative sur le chômage (qui affecte principalement les dépenses de cette assurance) que de ceux sur l'emploi et les salaires (qui affectent principalement ses recettes). Ce sont les financements de l'AI et surtout de l'AVS (les dépenses couvertes par des prélèvements sur les salaires sont nettement plus élevées dans l'AVS que dans l'AI) qui seraient les plus sensibles, au moins à court terme, aux variations de l'emploi et des salaires induites par l'initiative.

Les hypothèses des auteurs de l'initiative (forte augmentation des emplois, large garantie des salaires) n'apparaissent pas suffisamment plausibles (voir ch. 5.1) pour fournir une base de calculs permettant de mesurer les effets financiers de l'initiative sur les assurances sociales. Etant donné l'incertitude quant aux répercussions effectives de l'initiative sur l'emploi, le chômage, les salaires et les prix, les effets à long terme sur les assurances sociales sont difficiles à évaluer. En se fondant sur l'analyse des répercussions de l'initiative sur le marché du travail (voir ch. 5.3) et les remarques faites ci-dessus, le Conseil fédéral est de l'avis que les propositions des auteurs de l'initiative ne constituent pas des mesures propres à améliorer la situation financière des assurances sociales. Bien au contraire, ces mesures pourraient freiner l'augmentation escomptée de la masse salariale au
cours des prochaines années. Il en résulterait un défaut de financement pour certaines assurances sociales, ce qui n'est pas souhaitable compte tenu des perspectives financières déjà difficiles auxquelles celles-ci devront faire face à moyen et long terme.

6

Conséquences pour la Confédération, les cantons et les communes

6.1

Confédération

Les effets directs du mécanisme de subvention prévu à l'al. 3 de la disposition transitoire sur le budget de la Confédération ne peuvent pas être quantifiés parce que le nombre d'entreprises qui recevraient des indemnités financières de la Confédération, 3805

et à quelles conditions, ne peut pas être évalué. Il faut toutefois observer que ce mécanisme de subvention tend non seulement à créer des emplois de manière indifférenciée, mais crée en outre des incitations discutables. Il faut ainsi admettre que l'ampleur des effets d'entraînement pourrait être importante si la Confédération, conformément à l'al. 3 de la disposition transitoire, accorde un soutien financier aux entreprises qui maintiennent ou qui créent des emplois. Examiner si effectivement les emplois en question ne seraient pas maintenus ou créés même sans contribution financière de la Confédération pourrait s'avérer difficile dans les cas d'espèce. Subventionner des emplois présente de plus le risque que soient maintenues des structures qui ne pourraient pas subsister à long terme. Le fait d'empêcher ainsi un changement structurel pourrait entraîner par la suite des adaptations douloureuses. En outre, il faut se demander dans quelle mesure des subventions limitées dans le temps peuvent assurer durablement des emplois. Une fois passé le délai de subvention, la Confédération pourrait être soumise à une pression visant à lui faire assurer, par d'autres moyens, le maintien des emplois dans les entreprises subventionnées. Le danger d'autres mesures dirigistes et financièrement onéreuses pour la Confédération serait grand. Enfin, le mécanisme de subvention proposé exigerait, pour éviter les abus, un travail de contrôle considérable de la part des organes administratifs chargés de l'exécution.

A part les subventions à octroyer, l'initiative aurait aussi des effets directs sur les dépenses de personnel de l'administration générale de la Confédération, de la Poste et des Chemins de fer fédéraux (CFF), car la réduction de la durée du travail ­ avec la garantie salariale prévue pour les petits et moyens revenus ­ devrait être également respectée par les employeurs du secteur public. A cet égard, il importe de tenir compte du fait que, dans l'administration générale de la Confédération en particulier, les limites de l'augmentation de l'efficacité devraient être largement atteintes après réalisation des mesures d'économies prévues. L'acceptation de l'initiative aurait donc très probablement pour conséquence un accroissement des dépenses de personnel ­ à moins que la Confédération ne crée pas de nouveaux
postes mais réduise son offre de prestations. Il faut enfin mentionner que la mise en oeuvre du mécanisme de subvention entraînerait un travail administratif considérable, qui exigerait une augmentation du personnel dans les services fédéraux concernés. En tant qu'employeur ou propriétaire des entreprises que sont la Poste et les CFF, le Conseil fédéral considère, il est vrai, les réductions de la durée du travail comme un moyen, dans certains cas approprié, de sa politique du personnel. Il se réserve de prendre des mesures touchant la durée du travail pour éviter un excédent de personnel dans certains secteurs de l'administration fédérale. C'est pourquoi le Conseil fédéral soutient aussi l'introduction, négociée par les CFF et leurs partenaires sociaux, de la semaine de 39 heures au 1er juin 2000.

Toutefois, l'initiative devrait aussi avoir des effets indirects sur les budgets publics.

Le fait que, jusqu'à un certain montant du salaire, la réduction de la durée du travail ne peut pas être compensée par des réductions de salaire est propre à accroître les coûts salariaux supportés par les entreprises. Celles-ci perdent alors de leur compétitivité, ce qui réduit les bénéfices. A plus ou moins long terme, on ne peut pas exclure un recul de l'emploi et, le cas échéant, une diminution de la masse salariale.

Les effets sur l'assiette fiscale pourraient ainsi s'avérer défavorables. En outre, comme la réduction de la durée du travail pourrait entraîner une réduction des salaires dans la partie supérieure de l'échelle des salaires, les bénéficiaires de ces revenus se retrouveraient dans un palier de progression inférieur. D'où une baisse de revenu pour les impôts fédéraux directs. Enfin, l'initiative pourrait entraîner un surcroît de 3806

dépenses pour l'assurance-chômage, car le renchérissement du facteur travail dans la partie inférieure de l'échelle des salaires tend à faire progresser le chômage.

6.2

Cantons et communes

La réduction du temps de travail toucherait également les rapports de service et le statut des employés relevant du droit public, raison pour laquelle sa mise en oeuvre entraînerait soit une augmentation des dépenses de personnel dans les cantons et les communes, soit une réduction des prestations. Les hôpitaux, les foyers, les entreprises de transports publics, d'élimination des déchets, la police et les établissements pénitentiaires, qui fonctionnent tous sur la base du service par équipes, seraient particulièrement touchés. Il est également possible que les inspections cantonales du travail aient besoin de plus de personnel pour mettre en oeuvre (application et contrôle) la réduction du temps de travail.

Tout comme la Confédération, les cantons et les communes devraient compter avec une diminution du revenu tiré de l'impôt direct.

Sur le fond, les cantons et les communes ne sont en règle générale pas opposés au principe d'une diminution de la durée du travail, mais ils devraient être seuls à décider du moment et de l'opportunité d'une telle mesure.

7

Appréciation de l'initiative par rapport aux objectifs de ses auteurs

Le but initial principal que s'étaient fixés les auteurs de l'initiative, à savoir lutter contre le chômage, a perdu de son importance: le nombre des demandeurs d'emploi et des chômeurs a sensiblement diminué depuis le lancement de l'initiative, au printemps 1998. Pour les raisons que nous venons d'évoquer, il est peu probable que la diminution généralisée de la durée du travail qui est proposée réduise voire supprime le chômage.

Parvenir à une redistribution des activités rémunérées et non rémunérées entre femmes et hommes grâce à cette initiative, apparaît également incertain. Cela dépend bien plus de la volonté de la société. Le fait qu'une initiative populaire fédérale intitulée «Répartition du travail» (FF 1999 2412) et qui visait un but correspondant n'ait pas abouti, démontre que cet objectif ne serait vraisemblablement pas porté par la population. La réduction générale de la durée du travail de six heures en moyenne par semaine, demandée par la présente initiative, accorderait certes objectivement plus de temps pour les activités accessoires, pour les soins aux enfants ou ceux à des membres âgés de la famille, pour des aides aux voisins et d'autres activités non rémunérées. Dans ce sens, une diminution générale de la durée du travail pourrait quelque peu contribuer à un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale. Savoir si les travailleurs consacreraient effectivement ce temps libre au travail familial ou à d'autres activités non rémunérées est cependant une autre question. Pour que les parents puissent combiner le travail rémunéré et les soins familiaux, d'autres mesures seraient nécessaires, comme par exemple l'amélioration des possibilités d'accueil externes à la famille (crèches, écoles de jour). Ceci ne peut toutefois pas être réalisé par le biais de la présente initiative et ne peut également être ordonné par la Confédération aux communautés compétentes.

3807

Le troisième objectif fixé, à savoir améliorer la qualité de vie grâce à plus de temps libre, serait atteint dans une large mesure. Il est toutefois légitime de se demander si un temps de travail bien rempli et une activité satisfaisante ne font pas aussi partie de la qualité de vie, et si une durée du travail réduite est forcément synonyme, pour tous les travailleurs, d'une augmentation de la qualité de vie. Enfin, une réduction généralisée de la durée du travail comporte aussi des risques, et non des moindres (tels que des sacrifices salariaux pour les revenus plus élevés ou une perte éventuelle de la place de travail), qui peuvent venir gâcher le temps libre.

8

Conclusion

Le Conseil fédéral rejette l'initiative populaire «pour une durée du travail réduite» pour des raisons économiques, de marché du travail, juridiques et pratiques. La diminution progressive du temps de travail, assortie d'une garantie de salaire pour les petits et moyens revenus, serait lourde de conséquences ­ parfois imprévisibles ­ pour notre économie. Une réglementation rigide de la durée du travail, applicable à tous les travailleurs au niveau constitutionnel, ne saurait répondre aux besoins des différentes branches et entreprises. Le Conseil fédéral est en principe favorable à une réduction de la durée du travail mais celle-ci doit avant tout demeurer l'affaire des partenaires sociaux, qui peuvent le mieux mesurer jusqu'à quel point elle est possible dans leur branche. Cette solution garantit également à l'économie suisse la flexibilité dont elle a besoin pour faire face aux fluctuations conjoncturelles. Bien entendu, il n'est pas exclu qu'à l'avenir des modifications interviennent au niveau de la loi. Le Parlement s'est toutefois opposé à rediscuter les dispositions sur la durée maximale du travail dans le cadre de la récente révision de la loi sur le travail.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose aux Chambres de recommander au peuple et aux cantons de rejeter sans contre-projet l'initiative populaire «pour une durée du travail réduite».

3808