97.417 Initiative parlementaire Droit du travail. Augmentation de la valeur litigieuse pour les procédures gratuites (Thanei) Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 8 mai 2000

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, En vertu de l'art. 21quater, al. 3, de la loi sur les rapports entre les conseils, nous vous soumettons le présent rapport et le transmettons parallèlement au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose, par 17 voix contre 0, d'approuver le présent projet de loi (une proposition de minorité est jointe au rapport).

8 mai 2000

Au nom de la commission: Le président, J. Alexander Baumann

2000-1020

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Rapport I Partie générale 1

Situation initiale

Le 28 avril 1997, Mme Thanei, conseillère nationale, a déposé une initiative parlementaire visant à modifier des dispositions du titre dixième du code des obligations (CO)1, afin que toute procédure d'un litige résultant du contrat de travail dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 30 000 francs, soit gratuite.

Le 12 janvier 1998, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a procédé à l'examen préalable de l'initiative parlementaire. Par 10 voix contre 9, la commission a proposé de donner suite à l'initiative.

Le 16 mars 1998, le Conseil national, se ralliant à la proposition de la majorité de la Commission des affaires juridiques, a décidé de donner suite à l'initiative par 79 voix contre 782.

Conformément à l'art. 21quater, al. 1, de la loi sur les rapports entre les conseils3, le Conseil national a chargé la Commission des affaires juridiques d'élaborer un projet d'acte législatif.

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Travaux de la commission

La Commission des affaires juridiques du Conseil national a examiné le 25 janvier 1999 l'avant-projet qu'elle a décidé de mettre en consultation. Le 8 mai 2000, la commission a pris connaissance des résultats de la consultation. Elle a approuvé, par 17 voix contre 0, le projet de loi. Une minorité de la commission ne veut pas modifier la réglementation actuelle de l'art. 343 CO4 et propose donc de ne pas entrer en matière sur le projet de révision (cf. commentaire sous ch. 4.2).

2.1

Consultation

Conformément à l'art. 21quater, al. 2, de la loi sur les rapports entre les conseils5, la commission a décidé de charger le Conseil fédéral de procéder à une consultation permettant aux milieux concernés de prendre connaissance de l'avant-projet et de donner leur avis avant les délibérations dans le premier conseil. La modification proposée concernant une question de procédure, la commission a restreint le cercle des milieux consultés aux cantons, aux partenaires sociaux ainsi qu'au Tribunal fédéral. Le département chargé de la consultation, en l'occurrence le Département fédéral de justice et police, a recueilli 37 avis, dont 26 avis des cantons, huit des partenaires sociaux ainsi que celui du Tribunal fédéral.

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RS 220 BO 1998 N 588 RS 171.11 RS 220 RS 171.11

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L'avant-projet a reçu un écho favorable de la majorité des milieux consultés: 18 cantons ainsi que sept organisations (essentiellement syndicales) se sont déclarés favorables à l'augmentation de la valeur litigieuse de 20 000 à 30 000 francs.

Les principaux arguments en faveur du projet ont été les suivants: La pratique montre que souvent les travailleurs fixent délibérément trop bas leurs créances ressortant du droit du travail afin de pouvoir bénéficier des avantages procéduraux découlant de l'art. 343 CO. La pression toujours plus forte de l'économie renforce l'importance de l'accès facilité aux tribunaux. L'augmentation de la valeur litigieuse se justifie tout particulièrement dans l'optique des licenciements abusifs. Certains cantons, tels le cantons du Valais ou le canton de Vaud, ont fait des expériences positives en augmentant la valeur litigieuse, ou en prévoyant comme à Genève une assistance judiciaire gratuite en première instance pour les litiges relevant du droit du travail. Certains cantons soulignent que les craintes de voir augmenter le nombre de litiges sont infondées. Certains cantons se prononcent même pour une augmentation de la valeur litigieuse à 40 000 francs.

Huit cantons ainsi que trois organisations se sont prononcés contre une augmentation de la valeur litigieuse. Les arguments avancés sont notamment les tensions financières supplémentaires que ne manquerait pas d'engendrer une telle augmentation. De plus, l'assistance judiciaire gratuite permet déjà aujourd'hui d'éviter les cas de rigueur. On craint également une surcharge des tribunaux. Trois cantons et une organisation opposés à l'augmentation de la valeur litigieuse à 30 000 francs se déclarent favorables à une augmentation qui ne dépasserait pas 25 000 francs.

II Partie spéciale 3

Droit en vigueur

L'art. 343 CO établit des règles de procédure spéciales, obligatoires pour les cantons, en matière de contestations découlant du contrat de travail.

Selon son al. 2, les cantons sont tenus de soumettre à une procédure simple et rapide tous les litiges résultant du contrat de travail dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 20 000 francs. C'est le montant de la demande qui détermine la valeur litigieuse, sans égard aux conclusions reconventionnelles.

L'al. 3 de l'art. 343 CO précise que dans les litiges au sens de l'al. 2, les parties n'ont à supporter ni émoluments, ni frais judiciaires. Toutefois, le juge peut infliger une amende à la partie téméraire et mettre à sa charge tout ou partie des émoluments et frais judiciaires.

En 1972, la valeur litigieuse donnant droit à une procédure simple, rapide et gratuite avait été fixée à 5000 francs. En 1988, lors de la révision de la réglementation sur la protection contre les congés, le montant de la valeur litigieuse a été augmenté à 20 000 francs. Cette augmentation avait comme objectif d'adapter le montant au renchérissement intervenu depuis 19726. Dans sa version actuelle, l'art. 343 CO fixant à 20 000 francs la valeur litigieuse est entré en vigueur le 1 er janvier 1989.

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FF 1984 II p. 638

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Commentaire du projet

4.1

Majorité de la commission

4.1.1 Toutes les personnes élevant des prétentions sur la base d'un contrat de travail devraient pouvoir saisir le tribunal dans les mêmes conditions, indépendamment de leurs ressources financières. Il s'agit là d'une condition indispensable à une mise en oeuvre effective de la législation sociale, dont le droit du travail fait partie. La perspective d'être confronté à des frais de justice représente, surtout pour la partie faible au litige, un obstacle qu'il ne faut pas négliger et qui contredit le sens et le but des dispositions matérielles de protection sociale. Or, le danger d'une «justice de classe», à laquelle seuls ceux qui en ont les moyens pourraient recourir, se fait toujours plus réel.

4.1.2 Une bonne protection juridique pour les travailleuses et les travailleurs est aujourd'hui particulièrement importante. Les conditions de la gratuité de l'accès aux tribunaux pour des prétentions découlant du droit du travail ne permettent plus de régler de manière satisfaisante le problème. En effet, les demandes d'un travailleur dépassent trop souvent le seuil de gratuité fixé à 20 000 francs.

Pour illustrer le problème, on peut citer l'exemple des demandes formées sur la base de l'art. 336a CO7. En cas de résiliation abusive du contrat de travail, cet article prévoit une indemnité pouvant atteindre l'équivalent de six mois de salaire. Une indemnité maximum au sens de cette disposition pour un salaire mensuel moyen de 5000 francs dépasse donc déjà de 10 000 francs la limite supérieure permettant de bénéficier de la gratuité de la procédure. Dans ce contexte, si on analyse les demandes introduites auprès des tribunaux, on constate que, dans beaucoup de cas, la valeur litigieuse ne dépasse pas 20 000 francs. Cela tient au fait que la partie demanderesse diminue volontairement ses prétentions pour éviter des frais de procédure, d'autant plus que les risques, et particulièrement les conséquences financières, sont difficiles à estimer et à prévoir. On le constate, la limite de la gratuité de la procédure fixée aujourd'hui à 20 000 francs peut entraîner des effets pervers.

4.1.3 Les effets négatifs induits par l'actuelle disposition sont cependant atténués du fait que les parties, lorsque cela est nécessaire, peuvent demander à bénéficier d'une procédure gratuite pour des cas où la valeur litigieuse est supérieure à 20 000 francs.

Mais la pratique relative à l'octroi de la gratuité de la procédure varie fortement selon les tribunaux. Par ailleurs, la classe moyenne et les personnes n'ayant pu économiser qu'avec peine ne peuvent bénéficier d'une procédure judiciaire gratuite.

Une adaptation du montant de la valeur litigieuse permettrait d'éviter des inégalités dans l'octroi de cette gratuité.

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RS 220

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4.1.4 Certaines caisses de chômage exigent de leurs assurés qu'ils engagent une procédure devant un tribunal, lorsque leur a été signifiée la fin de leurs rapports de travail. Si les assurés n'introduisent pas cette procédure, des caisses risquent de partir de l'idée que c'est le travailleur qui est responsable de son renvoi. Les caisses adaptent alors en conséquence les prestations, au détriment de l'assuré. Il importe dès lors de garantir aux travailleurs un accès simple et gratuit au tribunal pour éviter que ces derniers ne soient ensuite pénalisés.

4.1.5 Lors de la révision du droit du travail entrée en vigueur le 1er janvier 1989, le projet mis en consultation renonçait à fixer une valeur litigieuse: tout litige résultant du contrat de travail était donc soumis à une procédure simple, rapide et gratuite, indépendamment de la valeur litigieuse. Mais cette solution souleva une vive opposition des cantons qui craignaient la multiplication des procès et qui redoutaient une surcharge insupportable des tribunaux8. La disposition finalement adoptée procéda à une simple adaptation à l'augmentation du coût de la vie de la valeur litigieuse déterminante qui fut portée à 20 000 francs, au lieu des 5000 francs précédemment en vigueur depuis 1972.

Si l'on tient compte de l'augmentation du coût de la vie, et de l'évolution des salaires, le montant de la valeur litigieuse correspond actuellement à 25 000 francs environ. En effet, en 1989, l'indice suisse des prix à la consommation est en moyenne annuelle de 115,49 et en 1998 de 144. Le renchérissement intervenu entre 1989 et 1998 est donc supérieur à 25 %. Ainsi, l'augmentation proposée de la valeur litigieuse n'est pas exagérée. Elle porte à 30 000 francs la valeur litigieuse donnant droit à une procédure simple, rapide et gratuite. C'est donc à peine plus que la simple augmentation du coût de la vie. Lors des discussions sur l'initiative parlementaire Rechsteiner Paul (Droit du travail. Augmentation de la valeur litigieuse déterminante; 96.430) le 6 octobre 199710, le Conseil national n'avait pas voulu porter la valeur litigieuse à 50 000 francs, estimant que l'augmentation était alors excessive.

Il paraît aujourd'hui raisonnable de porter ce montant à 30 000 francs.

4.2

Minorité de la commission

Une minorité de la commission ne désire pas modifier la réglementation de l'al. 2 de l'art. 343 CO11. Elle propose en conséquence de ne pas entrer en matière sur le projet. Elle constate que l'augmentation proposée dépasse de 5000 francs l'augmentation du coût de la vie intervenue depuis la dernière adaptation de l'art. 343 CO.

Cette dernière adaptation déjà allait bien au-delà du renchérissement du coût de la vie. La minorité souligne en outre qu'une telle augmentation ne manquerait pas de poser des problèmes financiers aux cantons qui verraient le nombre de procès où les 8 9 10 11

FF 1984 II p. 638 Indice suisse des prix à la consommation, base décembre 1982=100 BO 1997 N 1968 RS 220

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frais sont à leur charge augmenter. Enfin, la minorité craint que cette augmentation n'incite les demandeurs à gonfler artificiellement leurs prétentions jusqu'à atteindre le nouveau plafond de 30 000 francs. A tout cela s'ajoute qu'un certain nombre d'éléments permettent d'atténuer les cas dits de rigueur, à savoir, la possibilité de déposer une plainte partielle, la possibilité de bénéficier d'une assistance juridique gratuite, ou encore la protection juridique dont bénéficie actuellement la plupart des employés. On peut donc affirmer que l'accès à la justice est aujourd'hui généralement garanti.

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Conséquences financières et effets sur l'état du personnel

Il est à prévoir que la modification prévue de l'art. 343 CO entraîne pour la Confédération (Tribunal fédéral) et pour les cantons des dépenses supplémentaires. En effet, la valeur litigieuse donnant un accès gratuit aux tribunaux étant augmentée, on peut s'attendre à ce que s'élève le nombre de procès où les cantons et la Confédération devront prendre en charge les frais. Mais il convient toutefois de tenir compte du fait qu'à l'heure actuelle, la partie demanderesse abaisse souvent de sa propre initiative ses conclusions en dessous de 20 000 francs.

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Constitutionnalité

La compétence de la Confédération pour édicter des dispositions relatives au droit du travail se fonde sur les art. 110 et 122 de la Constitution fédérale.

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